hernadez site - Esprits Nomades

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Miguel Hernández
Les chants rugueux de la terre
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Parcours de Miguel Hernández
Le jardinier de la terre
Choix de textes
Bibliographie
Ah, comme elle est belle la terre de mon jardin. Elle sent un parfum de mère qui rend amoureux...
Miguel Hernández avait les entrailles nouées à la terre et la tête contre les chaudes mamelles de ses chèvres. De
là tous les tressaillements du monde lui parvenaient. Lui le petit paysan « à la tête de patate », savait dire au vent
et aux hommes le pouls des choses qui battent, des hommes qui souffrent.
Dans un jardin de bouches
Futures et dorées,
Mon ombre brillera.
Parcours de Miguel Hernández
Il était né dans une petite ville, Orihuela, près d'Alicante, le 30 octobre1910. Son père était gardien de chèvres. Il
y passa sa jeunesse en gardant les troupeaux et en regardant passer les rêves dans les nuages, attendant sur le dos
que ses chèvres broutent le temps qui passe. Autodidacte à peine dégrossi par les Jésuites (école San Domingo
de 1924 à 1925), il ne se nourrissait que de livres de poésie et de rosée. Aussi étonnant que cela puisse paraître
c'est le très complexe et tortueux Gongora qui le fascina et modela ses premiers poèmes (les lunes
examinées1933- Peritos en lunas). De Gongora il avait pris le goût des images fantasques, incongrues alliées à
une forme stricte. Saint-Jean de la Croix était aussi une de ses lectures préférées. Son meilleur ami fut Ramón
Sigé, écrivain officiel de la ville.
Répondant à un appel intérieur il quitte sa ville natale, sa femme et ses enfants pour rejoindre Madrid, comme un
papillon vers la lampe. Sa solitude semblait trop étroite et le besoin de rencontrer d'autres poètes trop fort. Et à
21 ans le voici sur les routes passant de la poussière au bitume.
Ses rencontres avec Lorca, Alberti et Neruda sont pour lui un choc profond. Lui le paysan taciturne se trouve en
face des grands poètes espagnols et qui le reconnaissent et le protègent. Tous s'émerveillent devant ce « pasteurpoète » qui sent si bon la terre et l'authentique. Lui continuait à se sentir perdu, sans la tendresse de ses chèvres,
ni le frémissement de la terre. Il se résigna à travailler chez un notaire.
Il n'y rencontra pas l'obscure magie du droit, mais l'amour en la personne de Josefina Manrresa. Sa poésie se
soulève alors en chant sensuel. « El rayo que no cesa » (la lumière qui jamais ne s'éteint), entrevoit le tragique de
la vie et la magie de l'amour.
Il fut aussi le secrétaire de José María Cossío, spécialiste taurin. Peu à peu l'influence déterminante de Pablo
Neruda change son écriture. Il se dégage de l'ombre de l'ami précieux Ramón Sigé, englué dans le religieux, et
qui meurt en 1935 le laissant quasiment orphelin.
Et ce jeune paysan prend conscience des houles sociales, de la souffrance du peuple. Il deviendra après sa mort,
une icône des communistes. En 1936, Miguel devient totalement madrilène dans cette atmosphère de guerre
montante qui rôde. Ses amis soutiennent la République et tout naturellement il les rejoint. Ses poèmes chantent
« la liberté à défendre ». L'horrible guerre civile qu'il voit monter, la tragédie du quotidien, change du tout au
tout son écriture qui devient compacte et violente. Partisan de l'armée républicaine en septembre, 5é régiment, il
voit son fils mourir et les carnages de la guerre tout autour de lui.
Il devient le commissaire à la culture du « Bataillon de El campesino ». Sa foi communiste le fait participer à
Moscou au Vème festival du théâtre soviétique. Plus important que cela il se sera marié en 1937, chez lui à
Orihuela avec Josefina. Il aura un fils Manuel Ramón en 1938, qui mourra en bas-âge et dont il ne verra ni la
naissance, ni la mort, et un autre Manuel Miguel en 1939. Pour eux il écrit de merveilleux poèmes de tendresse
et d'espoir (Berceuse à l'oignon).
Lui, enfant jamais idolâtré mais battu par son père qui ne supportait pas de le voir lire et écrire au lieu de
surveiller le troupeau, aura su écrire les plus touchants poèmes d'amour, sans que jamais la haine ou la
vengeance ne niche en lui.
Sa vérité d'homme fit sa vérité de poète, portant en lui trois blessures: d'amour, la mort, de la vie. Et surtout les
blessures de son peuple. Sa joie d'écrire en gravant dans sa tête les mots avant de les coucher sur papier, lors de
ses longues marches, se transmet dans la passion de ses mots. Sa liberté insolente, son authenticité profonde, son
éthique qui lui fera refuser toute compromission même pour sauver sa vie, en font une figure inaltérable de poète
debout, de l'homme debout. Un homme solidaire et solaire, ardent artisan des mots. Il est mort les yeux ouverts,
physiquement et symboliquement, confiant dans les hommes. Le pasteur d'Orihuela fait maintenant paître ses
mots dans les prairies d'étoiles et il court toujours après ses chèvres avant que nulle ne nous manquent les jours
de grande faim de l'espoir.
Le jardinier de la terre
Témoin de l'atroce il transcrit dans ses recueils « Viento del pueblo » (1937) et « El hombre acecha » (1938), la
déshumanisation des hommes. Après le triomphe du fascisme de Franco, il tente de s'enfuir au Portugal, alors
que ses amis lui proposent de se réfugier à l'ambassade du Chili, mais la Garde Civile l'arrête et le torture.
Dans sa prison de Madrid, à Torrijos, il continue à écrire de la poésie, souvent sur du papier-toilette ou des
morceaux épars de papier. Ses amis (Neruda surtout),intercèdent pour le sauver et le faire s'enfuir. Mais lui, fier
et orgueilleux de la bonté et de la dignité des pauvres, n'a de cesse que de vouloir revenir dans sa ville natale
Orihuela, où sa famille est restée. Neruda s'occupe de sa famille. Mais il ne peut que tenter de prendre de vitesse
la condamnation à mort qui plane sur la tête de Miguel Hernández en juillet 1940. Il réussit à faire commuer la
peine de Miguel en trente années de prison.
Il sera aussi de nouveau emprisonné dans la prison d'Alicante, où avec pour seule compagne sa tuberculose, il
passera trois ans.
Dans cet isolement total il écrit « Cancionero y romancero de ausencias ». Si forte est la censure que ce recueil
ne sera publié qu'en 1958.
Miguel Hernández meurt le 28 mars 1942 à cinq heures et demie du matin, portant en lui du fond de ses ténèbres
des messages d'espoir.
Dans son cachot les fièvres l'ont emporté loin des murs des hommes.
Sur les murs de l'hôpital il aura écrit ces ultimes graffitis :
Adieu, frères, camarades, amis : laissez-moi prendre mon congé du soleil et des champs.
Ainsi se refermait la trajectoire d'un petit paysan, presque inculte qui aura rencontré ses pairs poètes qui ne le
rejetèrent point, il aura rencontré aussi l'humanité afin de devenir le porte-parole des opprimés. Sa poésie
militante chante encore plus l'amour que la foi en des lendemains radieux. La mort y est tapie, l'injustice est le
monstre à abattre, mais l'amour est le plus fort jusqu'au bout.
Gabriel Celaya s’était exclamé : « La poésie est une arme chargée de futur ».
Le tyran Franco pourrit au milieu des charognes, et la poésie de Miguel Hernández est toujours elle un printemps
vivant, le printemps du futur. Le berger-poète, expert sous les lunes, drapé dans la dignité des pauvres, chante les
louanges des enfants démunis, du peuple en lutte. Ses poèmes ont l'odeur de la paille, le goût du lait, le chaud
réalisme de la terre.
Enrique Morente l'a chanté, Paco Ibanez aussi, Vicente Pradal le chantera, ainsi vivent de bouche en bouche les
poètes.
À jamais.
Gil Pressnitzer
Choix de textes
(...) Parmi les amis de Federico et Rafael il y avait le jeune poète
Miguel Hernández. Je l’ai connu lorsqu’il arrivait de ses terres d’Orihuela où il avait gardé les chèvres, en
espadrilles et vêtu d’un pantalon paysan de velours.
J’ai publié ses vers dans ma revue « Caballo verde » l’éclat et le brio de sa poésie m’enthousiasmaient.
Miguel était si paysan qu’il transportait un souffle de terre autour de lui.
Il avait un visage de motte de terre ou de patate que l’on arrache d’entre les racines et qui conserve sa fraîcheur
souterraine.
Il vivait et écrivait chez moi.
Ma poésie américaine, faite d’autres horizons, d’autres plaines, l’impressionna et le transforma.
Il me racontait de terrestres histoires d’animaux et d’oiseaux.
Il était cet écrivain sorti de la nature comme une pierre intacte, à la virginité sauvage et à l’irrésistible force
vitale.
Il racontait combien c’était impressionnant de poser ses oreilles sur le ventre des chèvres endormies. On pouvait
ainsi entendre le bruit
du lait qui arrivait aux mamelles, cette rumeur secrète que personne n’a pu écouter hormis ce poète des chèvres.
À d’autres reprises il me parlait du chant des rossignols.
Le Levant espagnol d’où il provenait, était chargé d’orangers en fleurs et de rossignols. Comme cet oiseau
n’existe pas dans mon pays, ce sublime chanteur, ce fou de Miguel voulait me donner la plus vive expression
esthétique de sa puissance. Il grimpait à un arbre dans la rue, et depuis les plus hautes branches, il sifflait comme
chantent ses chers oiseaux au pays natal.
Comme il n’avait pas de quoi à vivre, je lui cherchais un travail.
C’était difficile pour un poète de trouver du travail en Espagne.
Finalement un Vicomte, haut fonctionnaire des Relations, s’intéressa à son cas et me répondit que oui, qu’il était
d’accord, qu’il avait lu les vers de Miguel, qu’il l’admirait, et que celui-ci veuille bien indiquer quel type de
poste il souhaitait pour rédiger sa nomination.
Rempli de joie, je dis au poète :
- Miguel Hernández, tu as enfin un destin. Le Vicomte t’embauche.
Tu seras un haut employé. Dis-moi quel travail tu désires effectuer pour que l’on procède à ton engagement.
Miguel demeura songeur. Son visage aux grandes rides prématurées se couvrit d’un voile méditatif. Des heures
passèrent et il fallut attendre l’après - midi pour qu’il me réponde. Avec les yeux brillants de quelqu’un qui
aurait trouvé la solution de sa vie, il me dit :
- Le Vicomte pourrait-il me confier un troupeau de chèvres par ici, près de Madrid ?
Le souvenir de Miguel ne peut s’échapper des racines de mon cœur. Le chant des rossignols levantins, ses tours
sonores érigées
entre l’obscurité et les fleurs d’orangers, dont la présence l’obsédait, étaient une des composantes de son sang, de
sa poésie terrestre et sylvestre dans laquelle se réunissaient tous les excès de la couleur, du parfum et de la voix
du Levant espagnol, avec l’abondance et la fragrance d’une puissante et virile jeunesse.
PABLO NERUDA « Confieso que he vivido » 1974
Traduction Vicente Pradal - juin 2004
Ballades de la jeunesse
Mon souffle le vent me donne plus de notes que l'oiseau,
ma vie est tissée par des illusions;
ma poitrine ne sait pas la cruelle déception
en moi la tristesse ne peut pas être sombre;
Douleur dans mon âme ne peut faire sa demeure.
Je suis venu dans la mer voiles doucement enflées
de foi et d'optimisme;
Je suis une pleine tasse de boisson chaude;
Je suis le grand livre qui est la Vie
Une Page d'or qui peut s'afficher....
(adaptation personnelle)
Élégie à Ramón Sijé
Je veux avec mes larmes être le jardinier
de la terre que tu occupes et que tu fertilises,
si tôt, compagnon de mon âme.
Nourrissant de ma douleur sans instrument
pluies, orgues et coquillages,
je donnerai ton cœur pour aliment
aux coquelicots désemparés.
Tant de douleur s’amoncelle en mon flanc,
mon mal est tel que mon souffle est souffrance
Un coup-de-poing dur, un coup glacé,
un invisible et homicide coup de hache,
une poussée brutale t’as abattu.
Nulle étendue plus grande que ma plaie,
je pleure mon malheur, ce qui l’entoure
et je sens plus ta mort que je ne sens ma vie.
Je marche sur des chaumes de défunts,
et sans chaleur humaine, sans consolation,
j’oscille entre mon cœur et mes occupations.
Trop tôt la mort a pris son vol,
trop tôt s’est réveillée l’aurore,
trop tôt tu tombes sur le sol.
Je ne pardonne pas à la mort amoureuse,
je ne pardonne pas à la vie inattentive,
je ne pardonne ni à la terre, ni au néant
En mes mains je déchaîne un ouragan
de pierres et d’éclairs et de stridents flambeaux,
affamé, assoiffé de désastres.
Je veux gratter la terre avec mes dents,
je veux trier la terre motte à motte
à coups de dents secs et brûlants.
Je veux miner la terre jusqu’à ce que je te trouve
et embrasser ton noble crâne
et te débâillonner et te faire revenir.
Tu reviendras à mon verger, à mon figuier :
parmi les fleurs en jardins suspendus
voltigera ton âme butineuse
de cires angéliques et de dentelles.
Tu reviendras où roucoulent les grilles
des laboureurs énamourés.
Tu réjouiras l’ombre de mes sourcils,
d’un côté les abeilles, de l’autre ta fiancée,
viendront se disputer ton sang.
Mon avare voix d’amoureux
appelle vers un champ d’amandes écumantes
ton cœur, velours déjà fané.
Vers les âmes ailées des roses
de l’amandier de crème je t’appelle :
car nous avons tant de choses à nous dire,
compagnon de mon âme, compagnon.
Miguel Hernández le 10 janvier 1936
traduction Vicente Pradal/novembre 2003
Que veut le vent de Janvier ?
Que veut le vent de Janvier
qui descend par le ravin
et violente les fenêtres
quand te couvrent mes baisers ?
Nous effondrer.
Nous traîner.
Effondrés et traînés
les deux sangs se sont éloignés,
mais que veut encore le vent
chaque fois plus en colère ?
Nous séparer.
Miguel Hernández
traduction : V. Pradal octobre 2004
Les galoches désertes
Le cinq du mois de janvier
chaque année je mettais
mes souliers de berger
à la fenêtre froide
et trouvais en ces jours
qui font tomber les portes,
mes galoches vides,
mes galoches désertes.
Jamais eu de chaussures
ni costumes, ni mots,
toujours des ruisselets,
des peines et des chèvres,
vêtu de pauvreté
léché par la rivière,
je fus des pieds à la tête
prairie pour la rosée
Le cinq du mois de janvier
je souhaitais pour le six
que le monde entier fût
un magasin de jouets
et en allant dès l'aube
retourner le jardin
mes galoches sans rien,
mes galoches désertes....
Le cinq du mois de janvier
de notre bergerie,
mes souliers de berger
je sortais dans le givre,
jusqu'au six mon regard
pouvait voir à la porte
mes galoches gelées,
mes galoches désertes.
Miguel Hernández
traduction : V. Pradal octobre 2004
CANCIONERO Y ROMANCERO DE AUSENCIAS...EXTRAITS
Il y avait un trou peu profond.
Presque au coeur de l'ombre.
Aucun corps d'homme ne se serrait serré
dans cette ombre étroite.
Avec toi tout s'ouvrait
sur cette terre d'ombre.
Ma maison avec toi c'était
la chambre obscure.
Par toi dans ma maison entrait
l'éclat la lumière.
Ma maison peu à peu est un trou
Et je ne voudrais pas que toute
cette lumière s'éloigne
sans vie de la chambre.
Mais avec la pluie, je sens
les murs se creuser,
les meubles reverdir,
j'en écarte vivement les feuilles.
Ma maison est une ville,
une porte ouverte vers l'aube,
une autre, plus ouverte, vers le soir,
une autre, vers la nuit, immense.
Ma maison est un cercueil.
Chanson terrible sous la pluie,
d'hirondelles au-dehors
débordant la peur.
Dans ma maison un corps s'absente.
Dans ma maison nous deux reste un nom.
Traducteur inconnu site Emmila Gitana
Je m'appelle l'argile
Je m'appelle argile bien que je m'appelle Miguel
argile est mon métier et mon destin
qui tâche de sa langue ce qu'elle lèche.
Je suis un triste instrument du chemin.
Je suis une langue douce et infâme
et me jette aux pieds que j'idolâtre.
Comme un nocturne boeuf d'eau et de friche
qui voudrait être un enfant idolâtré,
je charge tes souliers et ce qui les entoure,
et transformé en tapis de baisers,
j'embrasse et je couvre de fleurs ton talon qui m'insulte.
Crains que l'argile ne grandisse soudain,
crains qu'elle grandisse et monte et couvre avec
tendresse, tendresse et jalousie,
ta cheville de joncs qui est mon tourment,
crains qu'elle n'inonde la blancheur de ta jambe
qu'elle grandisse encore et monte jusqu'à ton front.
Crains qu'elle s'élève comme un ouragan,
depuis le territoire de l'hiver,
qu'elle éclate et qu'elle tonne et qu'elle tombe en déluge
à la fois tendre et dure, sur ton sang.
Crains l'assaut d'une écume offensée
et crains un cataclysme amoureux.
Avant que la sécheresse la consume
l'argile t'aura transformé en argile.
traduction : V. Pradal octobre 2004
La berceuse à l'oignon
L'oignon est du givre
fermé et pauvre.
Givre de tes jours
et de mes nuits.
Faim et oignon:
glace noire et givre
grand et rond.
Dans le berceau de la faim
était mon enfant.
Avec le sang de l'oignon
il s'allaitait.
Mais ton sang,
givré de sucre,
oignon et faim.
Une femme brune,
transformée en lune,
se répand fil à fil
sur le berceau.
Ris, enfant,
Je t'apporte la lune
quand il le faut.
Alouette de ma maison,
ris beaucoup.
Ton rire dans tes yeux
Est la lumière du monde.
Ris tellement
que mon âme t'entendre,
remue l'espace.
Ton rire me rend libre,
me donne des ailes.
M'enlève les solitudes,
m'arrache de la prison.
Bouche qui vole,
cour qui sur tes lèvres
lance des éclairs.
Je me suis réveillé d'être enfant.
Ne te réveille jamais.
J'affiche ma tristesse.
Toi, ris toujours.
Toujours dans le berceau,
à défendre le rire
plume après plume.
Vole enfant dans la double
lune des seins.
Eux, tristes par l'oignon,
toi, satisfait.
Ne t'effondre pas.
Ignore ce qui se passe
et ce qui arrive.
Miguel Hernández
traduction : V. Pradal octobre 2011
Assis sur les morts
Assis sur les morts
qui se sont tus en deux mois,
j embrasse des chaussures vides
et j'empoigne rageusement
la main du cœur
et l'âme qui le maintient.
Que ma voix monte aux sommets
et descende à la terre et tonne,
c'est cela que demande ma gorge
dès maintenant et depuis toujours.
Si je suis sorti de la terre,
si je suis né d'un ventre
malheureux et pauvrement,
ce ne fut que pour devenir
le rossignol des malheurs,
l'écho du manque de chance,
et pour chanter et répéter
à qui se doit de m'écouter,
tout ce qui se réfère
aux peines, aux pauvres et à la terre.
Même si les armes te manquent,
peuple aux cent mille pouvoirs,
que tes os ne défaillent pas,
châtie celui qui te blesse
tant qu'il te reste des poings,
des ongles, de la salive, et qu'il te reste
du cœur, des entrailles, des tripes,
des organes virils et des dents.
Assassine qui assassine,
déteste celui qui déteste
la paix de ton cœur
et le ventre de tes femmes.
Je suis ici pour vivre
tant que mon âme résonne,
et je suis ici pour mourir,
quand mon heure arrivera,
dans les sources du peuple
dès maintenant et depuis toujours.
La vie est faite de plusieurs gorgées
et la mort n'en a qu'une seule.
traduction : V. Pradal octobre 2011
Venu avec trois blessures
Il est arrivé avec trois blessures:
celle de l'amour,
celle de la mort,
celle de la vie,.
puis avec ses trois blessures:
celle de la vie,
celle de l'amour,
la mort.
J'ai ses trois blessures:
celle de la vie,
celle de la mort,
celle de l'amour.
(adaptation personnelle)
Les vents du peuple
Les vents du peuple me soulèvent
Les vents du peuple me traînent
ils ont déchirés mon cœur
et ils dessèchent dans ma gorge
Les bœufs courbent la tête
résignés, impuissants
Face aux punitions:
les lions eux la redressent
leurs griffes déchirent
et se vengent.
Je ne suis pas d’un peuple de bœufs
Je suis d’un peuple étreignant les territoires des lions
les défilés montagneux des aigles
les cordillières des taureaux,
empli d’un orgueil haut dressé.
Que jamais ne prospèrent les bœufs
sur les plateaux nus de l’Espagne.
Qui parle de mettre un joug
sur le cou d’une telle race ?
Qui a posé des ouragans
et jamais des jougs ni des chaînes,
Ni qui arrête la foudre
du prisonnier dans sa geôle ?....
...Asturien fait de bravoure,
Basques de roche blindés
La joie de Valence
et de l'âme espagnole,
comme le champ labouré
et aérées comme les ailes;
Andalouse de foudre
nées entre guitares
et forgées sur l'enclume
les larmes torrentielles;
Estrémadure seigle
Galicienne pluie et calme,
Catalogne bloc de fermeté,
Aragon caste,
Murcie dynamite
tartinade de fruits,
Léon, de Navarre, la faim, la sueur et la hache,
les propriétaires
Rois de l'exploitation minière,
Seigneurs de labour
les hommes qui dans les racines,
gracieuses comme des racines,
vont de la vie à la mort,
vont de rien à rien:
Je veux mettre des jougs
aux gens des mauvaises herbes,
jougs qu'ils ne pourront enlever
sur leur dos cassé.
Dans le crépuscule du bœuf
l'aurore se lève.
Les bœufs meurent et les robes
les aigles, les lions
et les taureaux de l'arrogance,
et derrière eux le ciel
où monte le trouble ou pire.
L'agonie du bœuf
a le petit visage,
de l'animal mâle
Mais élargit la création tout entière.
Paru dans El Mono Azul le 22 octobre 1936
(adaptation personnelle)
extraits du poème Vent du peuple
Si je meurs, que je meure
la tête haute.
Mort et vingt fois mort,
la bouche contre le chiendent,
j'aurai les dents serrées
et le menton provocant.
J'attends la mort en chantant
car il y a des rossignols
qui chantent sur les fusils
au cœur des champs de batailles.
traduction : V. Pradal octobre 2011
Je reste dans l'ombre (Sigo en la ombra)
Je reste dans l'ombre, plein de lumière: Le jour existe-t-il?
Est-ce là ma tombe ou le berceau de ma mère?
Passez le fouet sur ma peau comme un grand froid
Vaisselle qui germe chaude, tendre et rouge.
Il se peut que rien ne soit encore né,
Ou soit mort pour toujours. L'ombre me gouverne,
Si c'est ça la vie, mourir je ne sais pas cela serait
ni ne sais que poursuivre la nostalgie tant éternelle.
Enchaîné à un costume, il me semble que je poursuis
Le dénuement, s’affranchir de ce qui ne peut
Être moi et qui rend sombre le regard absent.
Mais la texture, la distance, vient avec moi
Ombre sur ombre, contre l'ombre qui tourne
Dans la vie dénudée qui s’accroît vers le rien.
(adaptation personnelle)
J’aimerais tant être le jardinier désespéré
de la terre que tu emplis et fertilises,
- et cela au plus tôt
Nourrissant les pluies, les coquillages
et les organes de ma douleur sans corps
décourageant les coquelicots
Donne ton cœur pour les nourrir.
Tant de douleur fichée dans mon flanc
que j’ai grand mal quand je respire.
………..
Ton cœur, comme velours usé
appelle un champ d’amandier moussant
ma voix avare est amoureuse.
Encloses dans les âmes ailées de ces roses
Le suc des amandes t’interpelle,
Il nous faut parler maintenant de plusieurs choses ?
compagnon de mon âme, compagnon.
Recueil des absents
(Adaptation personnelle)
Tu étais comme le jeune figuier
du ravin.
Quand je passais
tu rêvais de montagnes.
Comme le jeune figuier,
resplendissant et sombre.
Tu es comme le figuier.
Comme le vieux figuier.
Je passe à présent dans le bonjour
silencieux des feuilles sèches.
Tu es comme le figuier
dans la lente lumière de la vie...
Ainsi les saisons
et les ports ont l’odeur de la mort
Ainsi quand nous mourons
se défont les mouchoirs de silence.
Nous sommes des corps de vie enterrée
sur l’horizon, loin...
J’écrivis sur le sable
les trois noms de la vie:
la vie, la mort, l’amour.
Une rafale de vent,
de si loin si souvent, de la mer
vint nous effacer...
Brûle les deux portes,
donne la lumière.
Je ne sais pas ce qui m’arrive
je trébuche dans le ciel...
Je voulus dire encore adieu
et je vis seulement ton mouchoir de silence
s’éloigner.
L’impossible.
Un vent de poussière vint
m’aveugler, m’étouffer, me blesser.
Depuis lors j’avale la poussière.
L’impossible.
Miguel Hernández - Recueil des absents - Extraits traductions Jean Gabriel Cosculluela & Charles Juliet
Bibliographie
bibliographie en espagnol
Perito en lunas, Murcia, Sudeste, 1933.
El rayo que no cesa, Madrid, Colección Héroe, 1936.
Viento del pueblo, Valencia, Socorro Rojo Internacional, 1937.
Versos en la guerra (con otros), Alicante, Socorro Rojo Internacional, 1938.
El hombre acecha, Valencia, Delegación de la Secretaría de Propaganda, 1939
Cancionero y romancero de ausencias (1938-1941), Buenos Aires, Lautaro, 1958 (edición póstuma).
Pièces de théâtre
Quien te ha visto y quien te ve y sombra de lo que eras, Madrid, 1929.
El labrador de más aire, Valencia, Nuestro Pueblo, 1937.
Teatro en la guerra, Alicante, Socorro Rojo Internacional, 1938.
bibliographie en français
La foudre n'a de cesse (11 janvier 2002),traduit par Nicole Laurent-Catrice, Éditions Folle avoine
Hormis tes entrailles (novembre 1989),, poèmes traduits par Alejandro Rojas Urrego et Jean-Louis Giovannoni,
Éditions Unes, 1989, (épuisé).
Fils de la lumière et de l'ombre, (Édition bilingue) traduit par Sophie Cathala-Pradal, éd. Sables 1993.
Mon sang est un chemin (Mi sangre es un camino), poèmes choisis et traduits par Sara Solivella et Philippe
Leignel Xenia, 2010
Miguel Hernández, poètes d'aujourd'hui, n° 105, présentation par Jacinto-Luis Guereña, choix de textes,
bibliographie, portraits et fac-similés, éd. Seghers, Paris 1964, (épuisé).

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