Fily Dabo Sissoko : Afrique - Llacan
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Fily Dabo Sissoko : Afrique - Llacan
Fily Dabo Sissoko : Afrique, " Terre immense, tes enfants te connaissent mal...." essai de lecture de "Au dessus des nuages" ( 1970) Le texte de Fily Dabo Sissoko ( ci après : FDS) est une originalité dans le corpus des littératures de l'Afrique où très rares sont les récits de voyage. La plupart des textes qui relèvent de ce genre, comme ceux de Bernard Dadié, portent sur un voyage au Nord, à Paris ou à New York, mais très peu sur d'autres pays africains . Le voyage de 1955 mène FDS à Madagascar et au Kenya. C'est l'occasion d'une réflexion sur les colonisations comparées , de notations sur le mouvement mau mau et plus généralement d'une tentative littéraire assez libre, publiée de plus d'une manière posthume, puisqu'il s'agit sans doute du dernier texte de notre auteur. FDS y montre aussi ses références littéraires: il évoque quelues écrivains dont j'essaierai de montrer en quoi ils peuvent compter pour lui. Il écrit une prose poétique, qui reste fidèle à sa propre voix. Cette liberté d'allure est à mon sens le principal attrait d'un texte, qui laisse percer d'étranges oublis. Des notations éparses composent un portrait de l'auteur: nous sommes 6 mois avant les premiers textes de la Loi Cadre, entre le 3O juillet et le 12 septembre 1955 . Fily Dabo Sissoko est un parlementaire français et à ce titre reçu avec respect par l'administration, tout comme Senghor qui est en partie du voyage, au moins aux Comores. L'itinéraire retenu lui fait voir une grande partie de l'Afrique . A l'aller il passe par le Katanga pour aller à Madagascar qu'il parcourt du nord au sud . Après une escale aux Comores, il est au Kenya où il est reçu par le consul de France ; il ne rencontre pas d'hommes politique kényan bien qu'il visite des camps de détention et soit l'objet, là aussi, en tant que parlementaire du traitement réservé aux personnalités. Il parcourt le pays et accomplit plus de 1OOOkms en quelques jours au Tanganyika où il fait une excursion sur les pentes du Kilimanjaro . Le voyage aérien du retour lui fait 2 survoler les lacs Victoria et Tanganyka, avec une escale à Usumbura et la traversée de la grande forêt équatoriale dans laquelle serpente le Congo. J'essaierai de pratiquer une lecture interpellative, à la manière dont Todorov par exemple dans Nous et les Autres s'interroge sur le sens éthique et politique des grands textes du corpus littéraire français. En d'autres termes je pose au texte des questions actuelles: je m'intéresse à ce qu'il dit, mais aussi à ce dont il ne parle pas; j'essaie de construire l'horizon à partir duquel ses positions prennet ou non sens . Dans un premier moment je présenterai le contexte de ce voyage, puis j'essaierai de comprendre son écriture, avant de lire de plus près son voyage au Kenya: il se trouve que j'ai habité au Kenya et que les remarques de FDS résonnent différemment , si le lecteur est familier des lieux et des hommes: en ce sens l'interpellation peut se faire plus précise.... Sur le voyage Il y a bien quelques récits de voyage: Birago Diop ou Hampate Ba sillonent leur pays, le Sénégal et le Soudan , tout comme Omotoso décrit le Nigéria , et raconte même l'Afrique du sud.. Mais ce sont des pays où ces auteurs vivent et travaillent , pas des pays qu'ils visitent. De plus le voyage en Amérique est comme le voyage à Paris une sorte de topos littéraire: V. Mudimbe ou B.Dadie s'inscrivent dans cette lignée. Ainsi ce voyage africain est bien original Très peu d'écrivains africains parlent du reste de l'Afrique; et ce silence m'a souvent frappé . Il se comprend dans le monde colonial; il est plus facile d'aller d'Abidjan à Paris qu'à Lagos ou a Nairobi. Tout était conçu en termes de réseaux de communication , qu'ils soient téléphoniques , routiers ou aériens pour éviter de donner une dimension transversale à l'expérience africaine. De telles pratiques sont encore trop souvent la règle: il fut un temps, pas si lointain, où seule Ethiopian Airlines avait un service Abidjan -Nairobi... Il y avait là , à l'époque coloniale, une volonté politique: éviter le panafricanisme et toute organisation du Sud , tiers mondiste ou Non alignée, en somme décourager toute vélléité d'internationale anticolonialiste. Dans ce contexte l'expression du désir de voyager de FDS est tout à fait intéressante. Mais elle n'est pas une simple curiosité politique . Elle se relie à thèmes présents dans son oeuvre, que l'on pourrait définir comme une quête des origines de l'humanité. Alain RICARD (LLACAN - UMR 7594 du CNRS) 3 Le Gondwana s'abîme sous les flots, projetant le Decan au flanc du tibet, laissant comme témoins, les Maldives et les Comores; déchirant l'Ancien continent , de la Mer Noire au Zambèze ( 92) Cette évocation cosmique d'un continent qui aurait à l'époque primaire réuni l'Amérique du sud, l'Afrique , Madagascar, le Deccan, l'Australie traduit une profonde aspiration à l'unité non pas africaine, mais mondiale... Madagascar est ce qui reste de de ce monde qui réunissait l'Orient et l'Afrique et dont il sent les traces . Toute la fantasmagorie des continents engloutis qui nourrit l'oeuvre de Malcom de Chazal, affleure ici . A Madagascar, il est déja en Asie et dans le Pacifique. La Lémurie a disparu sous les flots (p.39) Or la Lémurie était un continent mythique cette fois dont les habitants auraient été les ancêtres des Malgaches et auraient même donné leur langue aux Gaulois (Béniamino , 1998, 205) Il est étrange de le voir baptiser "vahiné" les jeunes Comoriennes qui accueillent les voyageurs, et de voir évoquer Gauguin à leur propos. Ainsi les Comores donnent un avant goût de Tahiti , chère au coeur de Loti, au coeur de Gauguin ... (75) Entre les Marquisiennes à demi nues du peintre et les jeunes femmes voilées d'un pays musulman de l'Océan indien , il y a là une étrange projection d'un imaginaire qui est l'étrange accouplement d'une vision tectonique et d'une classification coloniale du monde... .Il reproduit en cela la tentative qui a voulu isoler Madagascar, la séparer de l'Afrique et qui veut aujourd'hui que l'Océan indien soit l'objet dans les bibliographies , par exemple d'un traitement particulier: d'une certaine façon c'est la seule région du monde dans laquelle le français est majoritaire... Dans une certaine vision coloniale française l'Océan indien ne fait pas partie de l'Afrique. Pourtant en termes culturels et politiques cette région du monde en fait bien partie: Mayotte et La Réunion sont aujourd'hui sans doute avec les Canaries et Ceuta les seuls confetti des empires coloniaux européens en Afrique. Alain RICARD (LLACAN - UMR 7594 du CNRS) 4 A cette vision d'un monde unifié s'ajoute une quête de l'origine de l'humanité. Les travaux de Louis Leakey ont été publiés en I953, et la vallée du Rift a été considérée comme le terrain privilégié de la paléoanthropologie. Comme nous venons de le voir les évidences à notre disposition indiquent nettement que le continent africain est le lieu o^l'hoome et les grands singes ont évolué ( Leakey, I953: 213) L'Homme était peut être né en Afrique a -t-on commencé à se dire en ces années... Cela parle à l'imagination de FDS. Curieusement il ne fait pas référence à Cheikh Anta Diop, dont les travaux, publiés en I954, proposent une origine des cultures de l'Afrique noire en Egypte , et reprennent à propos de l'Egypte des hypothèses linguistiques déja évoquées en particulier par Lilyas Homburger. "Le Nil vient de là ", écrit-il ( p.111) en survolant le lac Victoria... Le point de vue humaniste où se place FDS dépasse le nationalisme africain , voire le panafricanisme : il n'éprouve pas le besoin de réfléchir sur le berceau des cultures de l'Afrique noire: le berceau de l'humanité est assez vaste pour son projet. Le Congo, entrevu lors du vol de retour, amène au premier plan la dimension africaine, celle d'un continent puissant qu'il traverse, mais dont il ne veut jamais faire un idéal, ou un absolu, mais toujours une partie d'un ensemble dont la "Société théosophique" aurait dit qu'il constituait la fraternité universelle . L'humanité est une : l'Orient, qui commence dans l'océan indien, est le lieu de la rencontre avec l'autre; l'Est de l'Afrique le moment de l'origine. Le voyage est plus qu'une mission administrative: c'est une quête spirituelle , qui prend des dimensions cosmiques, qui colore tout le texte et lui donne une résonance originale. Comment écrire? Les références à divers auteurs nous permettent d'aborder son écriture. Il cite en exergue R.Tagore, poète et romancier bengali, Prix Nobel en I913, assez peu lu aujourd'hui. La quête de Tagore était celle de l'homme universel , appuyée sur une foi en la science . il défendait l'individu et l'autonomie des cultures dans une oeuvre écrite en bengali. La citation choisie par FDS exprime fort bien le sentiment lyrique de la vie, allié à une offrande mystique marquée par le soufisme . Le nouvel humanisme Alain RICARD (LLACAN - UMR 7594 du CNRS) 5 que Tagore rêve et auquel FDS paraît adhérer est celui d'une rencontre entre l'Orient et l'Occident . Cette fusion a eu au vingtième siècle une manière d' incarnation historique: le colonialisme et, dans le cas de Tagore, un agent l'impérialisme britannique dont FDS cite le chantre Kipling: p.23 " si Kipling avait su cela que n'aurait -il pas écrit? " La réflexion sur le colonialisme suscite spontanément l'évocation du romancier de l'impérialisme, qui aurait trouvé dans cette complémentarité entre l'immense Congo et la petite Belgique de quoi alimenter sa propagande impérialiste: le congo , lourd fardeau de l'homme blanc, trop lourd fardeau pour la frêle Belgique . L'aspect de journal , de notes de voyage , de fragment, est d'autant plus intéressant qu'il nous livre des reflexions qui apparaissent spontanées et tracent une cartographie intellectuelle de notre auteur . . Dans la littérature française ses références portent sur des auteurs fin de siècle, comme Ernest Hello , poète et nouvelliste catholique ou des prosateurs artistes, comme Pierre Louys, auteur des Chansons de Bylitis dont Michel Hausser qualifie l' écriture de "plus descriptive que lyrique" . L'effort de FDS porte vers la concision , l'image qui frappe et refuse le développement . Entre le parti pris des choses et l'animisme , entre Francis Ponge et Birago Diop, peut être y-a-t-il place pour une spiritualisation des lieux et des êtres servie par une prose descriptive , parfois recherchée , attentive à la sensation , s'effaçant devant le monde et la nature ? Son écriture est certes plus proche de Birago, moins marquée par les souffles des Ancêtres, bien qu'il consacre un texte (10) à leurs foyers , nourris de sagesse et bénis d'Allah , nouvel exemple de son syncrétisme.... Pour Michel Hausser et je partage ce point de vue: On perçoit,, discrète, l'intention poétique et rythmique... Nous sommes conduits à lire ces textes non comme des originaux mais comme des traductions d'un modèle inconnu qui peut être n'existe pas ... (sa ) prose donne cependant l'impression ou l'illusion d'un rythme sous jacent intraduisible... 2, 288 Les références à J.J. Rabearivelo sont peut être les plus intéressantes et celles qui rapprochent notre auteur d'un poète qui lui ressemble. Cet auteur a fait partie des écrivains anthologisés par L.S.Senghor en 1948; sa tentative poétique nous frappe encore aujourd'hui par sa modernité. FDS nous dit avoir eu entre les mains des manuscrits, ce qui est tout à fait plausible, car encore aujourd'hui une partie de l'oeuvre de Rabearivelo est inédite; il cite un texte du poète malgache , intitulé "Naissance du Alain RICARD (LLACAN - UMR 7594 du CNRS) 6 jour", extrait de la Revue des troupes coloniales, ce qui ne laisse pas d'être un peu étrange; disons que cela lui évite peut être de citer l'anthologie de Senghor... Il s'agit de contraindre le mot à exprimer la sensation et l'image à la manière des poètes des hains tenys malgaches dont on sait que Jean Paulhan a donné une édition française. On pourrait aussi évoquer une autre poésie descriptive et elliptique : le haiku. L'homme ne pénètre ni ne maîtrise le monde : il essaie de le traduire : cette forme de contemplation est une attitude poétique originale, qui est aussi une attitude religieuse. Le récit presque constant chez Sissoko, allié à la rareté du je, d'un sorte d'équanimité ( qu'il partage avec Socé) délaissant l'introspection pour une méditation sur les êtres et les choses, passablement atemporelle par la généralisation morale de l'anecdote, ordinairement rapportée au présent...1,126 Pourquoi n'y aurait il pas entre sagesse bambara et respect boudhique pour la création la rencontre d'une même attitude de respect, que Fily Dabo Sissoko essaierait de transcrire à sa façon ? La rencontre tectonique par Gondwana et Lémuriens interposés prend ici un tour plus intérieur et plus spirituel . Au dessus des nuages ou de la mêlée? C'est au Kenya qu'il formule l'apostrophe qui sert de titre à mon essai , lors d'une rencontre avec des élèves .... L'Afrique, l'Afrique, terre immense , tes enfants te connaissent mal .... A Madagascar il n'a pas semblé préoccupé par les séquelles des évènements de 48. J Rabemanjara était encore en prison en 1955; il ne sera libéré pour aller participer au Congrès de Paris à l'automne I956 , mais FDS ignore diplomatiquement ? - dans son texte ce pan de l'histoire malgache, tout comme il ignore les poèmes du prisonnier, qui était pourtant le principal disciple de Rabearivelo e tpublie à l'été 55 un volume de poésies chez Seghers ... Au Kenya il est plus à l'aise pour traiter des Mau Mau en utilisant le genre du parrallèle qui a, au moins à son époque le mérite de n'être pas rebattu. La France se donne, elle assimile,... La GB lâche les rênes , en gardant ses distances (88). Tout ce qu'il nous raconte sur les camps relève de la contre insurrection et des techniques de Alain RICARD (LLACAN - UMR 7594 du CNRS) 7 regroupement , mises en place par l'Armée britannique - les anglais se trouvent très embarassés de leurs 15O OOO Maus Maus faits prisonnier (85) - est aussi ce qui se produit au nord du Soudan , en Algérie et va s'intensifier avec l'arrivée au pouvoir de ses anciens amis politiques de la SFIO.... Aussi les oppositions rhétoriques (la France assimile...) gagneraient à être jugées à l'épreuve des faits: combien y eut -il d'assimilés, par exemple, avant la mise en place de l'Union française? Le voyage au Kénya prend l'allure d'un reportage: il nous ouvre ses carnets de notes et analyse parfaitement la racine du conflit: la question foncière, qui n' évoque rien de comparable au Soudan mais pourrait faire songer à la Mitidja . Il ne mentionne pas les leaders politiques africains, Jomo Kenyatta, le futur président du Kenya; l'auteur du premier ouvrage anthropologique écrit par un auteur africain, Au pied du Mont Kenya, publié en I938 - traduit en I960 et premier livre de la petite collection maspero , avec une préface de Georges Balandier- et justement consacré à la question foncière, est en résidence surveillée... FDS n'est pas trop loin des chiffres quand il parle de 78O OOO personnes déplacées lors du soulèvement . Il se montre très attentif aux problèmes ruraux dans sa visite . Dans le district de Machakos il montre le développement d'une petite entreprise agricole africaine. " si la colonisation a un sens c'est là dit il dan sla ferme de Joseph Mutiso un Mukamba et non un Wakamba. Personne ne lui a expliqué le fonctionnement des classes nominales dans les langues bantoues... Peut-être eût il dû interroger le grammairien Senghor aux Comores!... Il note l'école bilingue ( anglais-kikuyu) . Je rappelle ici qu'il s'est illustré en 1945 par un discours sur le bilinguisme en URSS, et que ce sujet l'a toujours intéressé. Les relations raciales ne se limitent pas au conflit mau mau . Ainsi la participation commune des femmes blanches et africaines à un atelier de poterie témoigne du degré de cohabitation entre les indigènes et les colons, analogue à celui de l'Afrique du sud malgré diverses formes de ségrégation; comme on le sait avant l'apartheid existait le colour bar. Sa surprise m'a surpris: Des femmes blanches absolument désintéressées initient des femmes noires à la poterie! ( 91) Point d'exclamation , je souligne! L 'Afrique de l'ouest n'a pas connu la colonisation de peuplement et en particulier pas la présence importante de femmes européennes. Mme la commandante de cercle ne serait pas allée participer à un atelier avec les villageoises: une Vie de boy nous en dit assez sur ce sujet. La prose descriptive , un peu sèche de FDS , est efficace pour décrire les paysages qu'il a sous les yeux: la Rift Valley est de fait un spectacle sublime... Elle est une blessure au coeur du continent qui témoigne d'une ancienne unité, celle qu'il va aussi chercher du côté de Tagore.... La nature est pour lui un miracle, qui appelle la Alain RICARD (LLACAN - UMR 7594 du CNRS) 8 contemplation , ici très oecuménique: des prisonniers de guerre italiens ont édifié une chapelle... Après les hommes , les animaux : il est curieux de ce trésor de l'Afrique de l'est, et il ne craint . Son journal de voyage devient une série de notations instantanées: gnous, zèbres, autruches, rhino , éléphants , hippopotames, qui ne cherchent pas à s'insérer dans une vision folklorique, mais vise à une forme d'objectivisme : L'hippo de Maxima springs: le mufle en surface, l'air apaisé, ...il me fixe de ses yeux globuleux qui lui poussent de verrrues sur la tête... C'est une eau limpide et fraîche, emprisonne dans ce bassin ceinturé de palmiers et de ficus aquatiques ...99 . Seul manque à l'appel dans ce bestiaire le Roi des animaux , le lion ... Pourtant le livre de joseph kessel ne paraît qu'en I958 ... Je dois dire que j'ai d'abord été retenu dans ce texte par les pages consacrées au Kilimanjaro, les premières que j'ai rencontrées chez un écrivain de l'Afrique. Rappelons ici qu'à son sommet Julius Nyerere a fait déposer une plaque et que la mwenge, la torche de l'indépendance y fut portée. La montagne fascine FDS et il en donne une description exacte, sensible aux changements de la méteo , nombreux dans la journée, en particulier depuis la terrasse du Kibo hotel , l'un des vrais lieux de mémoire du tourisme en Afrique de l'est ... Les termes relèvent certes encore du vocabulaire colonial: la race chagga est très évoluée: ( 102), elle est riche . Cette notion d'évolution est au coeur de sa pensée et de sa justification de la colonisation. Or ici la réussite économique est parfaite . FDS a raison : la " région est d'une prodigieuse fertilité... Elle produit: banane, manioc, canne à sucre, sisal ; surtout le café arabica, réputé le meilleur du monde... ( 102). Seulement toute l'Afrique de l'est n'est pas le Piémont du Kili... FDS est sensible aux paysages: aux sites naturels mais aussi aux marques de l'homme . La statue de Cecil Rhodes suscite en lui cette remarque: le français pense à celle ( la route) qui réunirait les deux capitales de la Résistance: Alger et Brazzaville... (104) Qui est le français? Est ce ainsi qu'il faut désigner le citoyen de l'Union française? Et Alger n'est plus la capitale de la Résistance et sera bientôt le théâtre de la dernière bataille de la décolonisation... Chaque page fait intervenir le point de vue comparatif entre est et ouest, culture classique et culture de l'Afrique: vigueur de l'hoplite,Masai . Il compare ces derniers aux Peuls, les nomades pasteurs. Alain RICARD (LLACAN - UMR 7594 du CNRS) 9 Notons dans ces instantanés la précision et le caractère concret de son évocation de la jeune fille masai: " elle portait sur la tête une écuelle dégouttant de beurre. Des anneaux de cuivre tintaient à ses chevilles; sa robe drapait tout son corps , des épaules aux anneaux . son sourire disait aussi qu'elle ne craignait rien ... " (109). Après le Nord de la Tanzanie et le monde des Masai il fait escale sur le chemin du retour à Usumbura avant de s'envoler pour Leopolodville . Le rayon d'action des avions doit être limité à I2OO kms... Il a le temps d'apercevoir le lac Victoria , le lac Tanganyka...Puis c'est le Congo De Leopoldville il accomplit la traversée vers Brazzaville où il remarque sobrement : " Des blancs qui oublient qu'ils sont là pour les Noirs, voilà ce qu' j'ai retenu ..." (114) Sans autre précision : de quoi de qui s'agit il ? La jeunesse de l'Union française qu'il salue dans sa dernière page avec des accents martiaux puisqu'il évoque Sparte, n'en avait plus pour très longtemps puisque l'Union allait devenir communauté puis éclater.... Conclusion Il est l'homme d'un "syncrétisme complexe où se reconnaissent simultanément et contradictoirement animisme, islam, scepticisme", écrit Michel Hausser et je serais d'accord avec lui si j'omets " contradictoirement" il y a bien une logique dans les positions de FDS, mais elle relève peut être d'une forme de fiction . Si le récit de voyage est une originalité , je dirai que l'oeuvre même de FDS est tout entière originale et n'a pas été l'objet d'une véritable attention critique: il a fallu attendre l'an dernier pour qu'une thèse lui soit conscrée. Laissée à l'écart du canon littéraire francophone,elle montre bien que l'étude de la littérature en français en Afrique a été trop souvent plus soucieuse des hommes, des programmes que des textes eux mêmes. De la même manière qu'il fallut attendre de longues années avant qu'un texte réactionnaire par rapport à la rectiutude politique des années soixante, Les soleils des indépendances soit reconnu, il y a chez Fily Dabo sissoko un rêve qui irrite. Son oeuvre pose en fait de multiples défis et elle avait retenu mon attention précisément pour ces raisons tout comme celle de son presque contemporain Félix Couchoro , romancier nationaliste qui n'a jamais voyagé en dehors de la Cöte du Bénin mais qui exprime les mêmes aspirations universalistes et la même compréhension bienveillante du projet colonial, sans pouvoir leur donner lui même une traduction politique . La Alain RICARD (LLACAN - UMR 7594 du CNRS) 10 première interrogation porte sur l'autochtonie , sur la culture du sol et s'exprime par ce respect de la nature, par cette contemplation. Cette atttitude de respect devant le monde met FDS en communication avec l'Orient, au lieu de l'enfermer dans une spécificité africaine. Sa seonde interrogation porte sur l' idéal universel , et omet la négritude . La littérature est plus une expérience spirituelle qu'une expression directement politique . La concision, la rigueur, le souci de créer des rythmes souterrains sont les marques de cette expérience. Le plaisir qu'il prend à cette découverte de l'Afrique est la marque de son aspiration à l'universel qu'il essaie de nous transmettre. Il sait voir et décrire . Seulement cette expérience spirituelle a un lieu historique comme le voyage au Kenya le rappelle, ponctué de références aux Mau maus: il emploie l'expression de camp de concentration des mau mau .(110) . Fily Dabo Sissoko exprime fort bien le sentiment des hommes de sa génération, la première à avoir bénéficié de la nouvelle éducation , d'être une élite, d'avoir eu de la chance et en somme de comprendre mieux que les autres l'histoire. Il adopte ainsi un point de vue très nuancé sur la colonisation . Il se place du point de vue de l'Humanité, de la confluence des civilisations; il n'en reste pas à des affaires de chef de canton .. .En ce sens son texte est au coeur de sa pensée qui se veut syncrétique , humaniste, en somme théosophique . mais il est en même temps homme politique.... On peut comprendre qu'il n'ait pas voulu publier tout de suite, mais ce texte inédit et posthume, certes travaillé , aurait gagner à s'alléger de tous les clichés du patriotisme "unioniste", qui paraît étrangement irréel . Sa position est un sorte d'utopie: il se veut "au dessus des nuages" ... Pourtant à force de se vouloir "au dessus de la mêlée", peut être est il par moment un peu dans les nuages: six mois plus tard ils era pour la première fois de sa carrière derrière le RDA aux élections de 1956 et un an plus tard son parti sera écrasé ( Schachter- Morgenthau, 276) . Cette forme d' inconscience n'est pas forcément néfaste à l'écrivain . Quand il laisse parler son admiration pour la nature de l'est africain ou sa curiosité pour ce monde nouveau son écriture emporte notre adhésion . Les contradictions du projet politique s'y abolissent dans une quête utopique. L'écrivain mérite d'être pris au sérieux tout autant - et peut être plus- que l'homme politique: un monde disparu avec ses rêves et ses passions s'exprime dans une oeuvre avec laquelle nous pouvons encore dialoguer: elle est donc bien vivante.... Alain RICARD (LLACAN - UMR 7594 du CNRS) 11 Bibliographie: Fily Dabo Sissoko , Au desssus des nuages, ( de Madagascar au Kenya), Paris, Grassin 1970, 117 p. -----------------------------------Jim Bailey, Kenya , The National Epic, Nairobi, Kenway, 1993, 332 p. Michel Beniamino, Une géographie mythique dans les Mascaraignes: la Lémurie, in Les Mots de la Terre, Géograpohie et littératures francophones, sous la direction de A.Emina, Turin, Bulzoni, I998, p.205-221. 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