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JURISPRUDENCE En restreignant le champ d’application des avantages individuels acquis, la Cour de cassation incite les employeurs à dénoncer les accords collectifs plutôt qu’à les réviser. Des effets amplifiés de la dénonciation des accords collectifs Étienne Colin, Avocat au Barreau de Paris, cabinet Parienté P ar un arrêt peu commenté du 8 juin 2011 (n° 09-42.807), la chambre sociale de la Cour de Cassation a significativement fait évoluer sa jurisprudence en matière de dénonciation des accords collectifs relatifs au temps de travail. Elle a en effet jugé dans cette décision, rendue au visa de l’article L. 2261-14 du Code du travail, « que lorsque la convention ou l’accord mis en cause n’a pas été remplacé par une nouvelle convention ou un nouvel accord dans les délais précisés au premier alinéa, les salariés des entreprises concernées conservent les avantages individuels qu’ils ont acquis, en application de la convention ou de l’accord, à l’expiration de ce délai ; que constitue, notamment, un avantage collectif, et non un avantage individuel acquis, celui dont le maintien est incompatible avec le respect par l’ensemble des salariés concernés de l’organisation collective du temps de travail qui leur est désormais applicable ». LE RÉGIME JURIDIQUE APPLICABLE À LA DÉNONCIATION DES ACCORDS Selon les articles L. 2261-9 et suivants du Code du travail, un accord collectif dénoncé est maintenu en vigueur pendant un délai de préavis de trois mois à compter de la dénonciation, période pendant laquelle doivent être engagées des négociations en vue de la conclusion d’un accord de substitution. Si aucun accord de substitution n’est conclu au terme de ce préavis, l’accord collectif dénoncé continue de produire effet pendant une durée pouvant aller jusqu’à douze mois à compter de la fin du préavis. Si un accord collectif de substitution vient à être signé dans cette période de douze mois, il entre en vigueur dès sa conclusion et les formalités de dépôt effectuées. 8 Enfin, si aucun accord collectif de substitution n’est conclu à l’issue de cette période de survie, le Code du travail prévoit que les salariés concernés conservent les avantages individuels qu’ils ont acquis en application de l’accord dénoncé, lesquels sont incorporés à leurs contrats de travail. Toute la question est alors de savoir ce qu’est un avantage individuel acquis. Sur cette base, la chambre sociale de la Cour de cassation considérait jusqu’à présent que l’avantage individuel est celui qui est susceptible d’un exercice individuel, par opposition aux avantages collectifs, principalement constitués des dispositions conventionnelles améliorant le droit syndical ou la représentation du personnel. À cet égard, il est jugé avec constance que les dispositions des accords collectifs fixant le montant ou la structure des rémunérations sont des avantages individuels et non collectifs (Cass. soc., 1er juill. 2008, n° 07-40.799). L’avantage acquis est quant à lui, selon la jurisprudence, celui qui correspond à un droit ouvert et non simplement éventuel. C’est, pour schématiser, le droit dont le salarié a déjà bénéficié, ou à tout le moins dont il doit bénéficier au cours de la relation de travail (Cass. soc., 23 juin 1999, nos 97-43.162 et 97-43.163). QUE PENSER DE L’ARRÊT DU 8 JUIN 2011 ? En posant le principe que « constitue un avantage collectif, et non un avantage individuel acquis, celui dont le maintien est incompatible avec le respect par l’ensemble des salariés concernés de l’organisation collective du temps de travail qui leur est désormais applicable », la Cour semble adopter une position qui s’oppose assez largement pour l’avenir à ce que les avantages issus Semaine sociale Lamy • 3 octobre 2011 • n° 1507 d’accords collectifs relatifs au temps de travail, autres que ceux ayant spécifiquement trait à la rémunération, puissent être qualifiés d’avantages individuels acquis. En effet, dès lors qu’un accord d’entreprise relatif au temps de travail a été dénoncé par l’employeur, c’est nécessairement que ce dernier entend mettre en place au sein de l’entreprise une nouvelle organisation du travail. Dans ces conditions, on voit mal quel type d’avantage pourrait encore résister à une argumentation fondée sur l’incompatibilité de l’avantage revendiqué par les salariés avec la nouvelle organisation du travail. Pour reprendre les faits ayant donné lieu à l’arrêt du 8 juin 2011, l’avantage issu de l’accord collectif dénoncé et revendiqué par les salariés était une pause journalière de quarante-cinq minutes considérée comme temps de travail effectif. Le maintien revendiqué par les salariés de cette pause au titre des avantages individuels acquis est jugé par la Cour de cassation incompatible avec la nouvelle organisation du travail mise en place dans l’entreprise. Or, à l’évidence, l’ensemble des avantages d’un accord collectif en matière de temps de travail (temps de pause, durée de travail journalière…) sont susceptibles, en application de cette jurisprudence, d’être privés de la qualification d’avantages individuels acquis, et donc de disparaître au terme de la période de survie en l’absence d’accord de substitution. Il sera en effet aisé de soulever l’incompatibilité du maintien d’un tel avantage avec la nouvelle organisation du travail, compte tenu de la généralité de la formule retenue par la Cour de cassation. Pourtant, on ne perçoit pas au nom de quoi des salariés d’une entreprise ne pourraient pas continuer à bénéficier d’une pause journalière de quarante- cinq minutes, dès lors qu’ils ont bénéficié individuellement de cet avantage. Le maintien, en dépit de la nouvelle organisation du travail mise en place, d’un régime propre aux salariés bénéficiaires de l’accord collectif dénoncé, ne pose pas plus de difficultés que le maintien d’un avantage salarial, issu d’un accord collectif dénoncé, dont ne bénéficient pas les nouveaux salariés embauchés. De ce point de vue, si l’on se fonde sur la jurisprudence en vigueur jusqu’à cette décision, il pouvait être sérieusement défendu qu’une pause de quarante-cinq minutes journalière fût un droit individuel, dans la mesure où il est susceptible d’exercice individuel, et un droit acquis, dès lors que les salariés concernés en avaient par définition déjà bénéficié. C’est bien en ce sens que la chambre sociale de Cour de cassation jugeait le 23 mai 2006 (n° 04-42.779) que le jour supplémentaire de congé accordé aux employés dont le repos hebdomadaire coïncide avec un jour férié, dont le salarié avait déjà bénéficié à titre personnel, a la nature un avantage individuel acquis. Dans cette décision, la Cour de cassation ne s’interrogeait pas sur la conciliation du maintien de l’avantage revendiqué par les salariés avec la nouvelle organisation du travail mise en place. L’arrêt du 8 juin 2011 marque donc, par sa généralité, plus un important revirement de la jurisprudence antérieure qu’une simple précision. LES CONSÉQUENCES PRÉVISIBLES DE LA DÉCISION Au-delà de l’aspect technique de cette jurisprudence, il y a tout lieu de considérer qu’elle aura des conséquences concrètes sur la vie conventionnelle dans les entreprises. On sait en effet que la voie de la dénonciation de l’accord collectif est en droit social la solution ultime, à laquelle on recourt lorsque la procédure de révision, mode normal d’évolution des dispositifs conventionnels, n’a pas pu aboutir. Mais on sait aussi que la menace, en l’absence d’accord de substitution à la suite d’une dénonciation d’accord, d’un maintien dans les contrats de travail des avantages individuels acquis, est souvent la principale arme dont disposent les organisations syndicales dans le rapport de forces pour fortement inciter l’employeur à s’inscrire dans le processus de révision. Dès lors, si l’employeur sait par avance qu’en cas de dénonciation d’un accord collectif il ne restera rien ou presque des avantages dont bénéficiaient les salariés en matière de temps de travail, il sera naturellement moins enclin à s’engager loyalement dans un processus de révision négociée de l’accord collectif. Ainsi, cette orientation prise par la Cour de cassation risque, en simplifiant à l’excès les effets de dénonciation, de favoriser ce mode de remise en cause des statuts conventionnels au détriment du processus normal de la révision négociée. Au-delà du caractère défavorable aux salariés de cette évolution jurisprudentielle, il est à craindre qu’elle soit également négative quant à la dynamique conventionnelle et à la paix sociale dans les entreprises. Nul ne pourrait alors s’en féliciter. n LE TEXTE DE L’ARRÊT Sur le moyen unique Vu l’article L. 2261-14 du Code du travail Attendu, selon ce texte, que lorsque la convention ou l’accord mis en cause n’a pas été remplacé par une nouvelle convention ou un nouvel accord dans les délais précisés au premier alinéa, les salariés des entreprises concernées conservent les avantages individuels qu’ils ont acquis, en application de la convention ou de l’accord, à l’expiration de ces délais ; que constitue, notamment, un avantage collectif, et non un avantage individuel acquis, celui dont le maintien est incompatible avec le respect par l’ensemble des salariés concernés de l’organisation collective du temps de travail qui leur est désormais applicable ; Attendu, selon l’arrêt attaqué, que M. X… et cinq autres salariés de la société Sogeres, laquelle a repris le 1er décembre 2003 l’exploitation du restaurant d’entreprise de la Poste de Marseille, ont fait l’objet de sanctions disciplinaires sous la forme d’avertissements pour ne pas travailler chaque jour quarante-cinq minutes de plus que « l’horaire légal » ; qu’ils ont saisi la juridiction prud’homale pour qu’elle dise qu’en l’absence de conclusion d’un accord de substitution, ils devaient continuer à se voir appliquer l’avantage, issu de l’accord collectif du 27 juillet 2001 conclu dans l’entreprise cédante, consistant au bénéfice d’une pause journalière de quarante-cinq minutes considérée comme un temps de travail effectif ; Attendu que pour accueillir leur demande, l’arrêt énonce que l’accord du 27 juillet 2001, qui n’a pas été suivi de la conclusion d’un accord de substitution, ménageait à chaque salarié un avantage individuel acquis qui était incorporé à son contrat de travail, en ce qu’il définissait la structure de sa rémunération qui ne peut être modifiée sans l’accord de ces salariés ; qu’en d’autres termes, c’est de manière artificielle que l’employeur a cru pouvoir substituer un usage au contenu d’un accord collectif qui faisait corps avec chaque contrat de travail ; Qu’en statuant ainsi, alors qu’il résultait de ses propres constatations que le maintien de cet avantage était incompatible avec le respect par les salariés concernés de l’organisation collective du travail qui leur était applicable, puisque cela les conduisait à travailler quarante-cinq minutes de moins que le temps de travail fixé, ce dont elle aurait dû déduire que cet avantage ne constituait pas un avantage individuel acquis par les salariés, la cour d’appel a violé le texte susvisé ; PAR CES MOTIFS : CASSE ET ANNULE u Cass. soc., 8 juin 2011, n° 09-42.807 Semaine sociale Lamy • 3 octobre 2011 • n° 1507 9