L`enseignement des sciences en milieu minoritaire
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L`enseignement des sciences en milieu minoritaire
Pruneau, D. et Langis, J. (2002). L’enseignement des sciences en milieu minoritaire : Défis et possibilités. Dans Actes du Colloque pancanadien sur la recherche en milieu francophone minoritaire : Bilan et perspectives. Site web de l’ACELF : www.acelf.ca/publi/crde/index.html Résumé Une étude pan-canadienne (1999) a démontré, chez les élèves des milieux francophones minoritaires, des résultats d’apprentissage plus faibles en sciences que chez les élèves anglophones, ainsi qu’une attitude plus négative face à cette matière. Cet article vise l’explication de ces résultats grâce à une recension des écrits canadiens et américains, et par la présentation d’une mini-étude exploratoire menée auprès d’élèves et d’enseignants du sud-est du Nouveau-Brunswick. Des suggestions pédagogiques pour l’enseignement des sciences en milieu minoritaire et des pistes de recherche sont également proposées. Telle qu’en témoigne une étude pan-canadienne menée auprès d’élèves de 13 et 16 ans (Conseil des ministres du Canada, 1999), l’apprentissage des sciences pose des problèmes particuliers en milieu minoritaire francophone canadien. En effet, cette étude montre que les résultats d’apprentissage des élèves de plusieurs milieux francophones minoritaires seraient plus faibles que ceux des élèves anglophones. Toujours selon la même étude, les élèves francophones en milieu minoritaire auraient développé une attitude moins positive face aux sciences que les élèves anglophones à qui on les a comparés. Comment expliquer ces résultats? Il est certain qu’au cours de la dernière décennie, des recherches ont permis de déceler des résultats d’apprentissage faibles en sciences chez une proportion importante des élèves canadiens et américains (exemples : The National Commission on Mathematics and Science Teaching for the 21st Century, 2000 et McCann, 1998).. Divers facteurs ont été évoqués pour expliquer cette situation : le manque de formation des enseignants en sciences, l’insuffisance de matériel de manipulation, l’insécurité des enseignants face à cette matière, les difficultés financières reliées aux sorties sur le terrain, la surcharge de l’horaire semaine, les méthodes pédagogiques encore traditionnelles employées par les agents d’éducation, la surimportance accordée aux matières fondamentales (le français et les mathématiques), etc. Nous considérons ces facteurs comme réels et présents partout au Canada… Toutefois, qu’est-ce qui est spécifique à un milieu minoritaire et qui contribue à rendre la situation particulière dans ce type de milieu? La réponse à cette question se situe, entre autres, dans l’interaction de deux facteurs : la nature de l’apprentissage scientifique et la faiblesse des compétences langagières des élèves des milieux minoritaires. Dans cet article, nous discutons d’abord de la nature de la démarche scientifique et des performances langagières nécessitées par l’apprentissage des sciences. Nous évoquons ensuite certaines des difficultés d’apprentissage rencontrées en sciences par les élèves en milieu minoritaire. À titre d’illustration, nous rapportons les résultats d’une mini-étude exploratoire effectuée dans le sud-est du Nouveau-Brunswick. Enfin, nous discutons de suggestions pratiques faites par les chercheurs travaillant en milieu minoritaire. Nous concluons en proposant des pistes de recherche pour arriver à mieux comprendre les défis auxquels font face les enseignants de sciences et les élèves en milieu minoritaire. La démarche scientifique et l’apprentissage des sciences Les diverses sciences s’apparentent à des essais de compréhension du monde. Pour comprendre leur environnement, les scientifiques ont recours à un processus typique : ils observent, font des hypothèses, planifient et réalisent des expériences, évaluent leurs données et présentent des rapports. Pour réaliser ces étapes, ils manipulent des concepts1 et des images mentales et visuelles : ils imaginent les phénomènes dans leur tête, emploient des analogies pour comparer ces phénomènes à d’autres et utilisent des schémas et des concepts pour communiquer et faire valoir leur résultats (Mathewson, 1996). Le langage scientifique est constitué de ce processus et de ces images et concepts. C’est un langage académique (Cummins, 1980) et spécialisé. C’est ainsi que l’apprentissage des sciences implique l’acquisition, par les élèves, de vocabulaire spécifique, de structures syntaxiques et de certaines caractéristiques discursives (Laplante, 2000). Un élève qui apprend en sciences doit apprendre à « parler sciences », c’est-à-dire : « définir en ses propres mots les concepts étudiés, décrire les objets d’études, expliquer les phénomènes observés, concevoir et décrire la procédure d’une expérience, formuler une conclusion et rédiger et présenter un rapport d’expérience » (Lemke, 1990). « Ces fonctions langagières (décrire, expliquer, formuler…) comportent une dimension proprement langagière ainsi qu’une dimension scientifique de nature conceptuelle et dans certains cas, procédurale. Ainsi, pour être en mesure de maîtriser ces fonctions langagières, les élèves doivent comprendre les concepts scientifiques impliqués, connaître et pouvoir utiliser correctement le vocabulaire nécessaire, les structures syntaxiques et les caractéristiques discursives appropriées à chacune de ces fonctions. L’apprentissage s’exprimerait donc sous la forme d’un savoir langagier (parler sciences), d’un savoir procédural (faire des sciences) et d’un savoir conceptuel (comprendre les sciences) » (Laplante, 2001). Les sciences et les limites langagières Les tâches précédentes s’avèrent difficiles à accomplir pour les élèves des minorités en raison de leurs compétences langagières restreintes. Nous présentons ici les idées ou résultats de chercheurs américains2 qui décrivent les conséquences de compétences langagières limitées sur l’apprentissage scientifique. Il semblerait d’abord que plusieurs concepts scientifiques n’ont pas vraiment de sens pour les élèves des minorités culturelles. Le phénomène représenté par le concept n’a jamais été observé ou, s’il a été observé, il n’a souvent pas été nommé ou il a été nommé dans une autre langue. Durant une leçon, le manque de familiarité avec un concept limite la construction d’une compréhension partagée entre les élèves et l’enseignant (Rosenthal, 1996). Les phénomènes et les évènements décrits demeurent non-familiers pour les auditeurs. Ceux-ci, par malaise ou par gêne, participent moins à la discussion scientifique suscitée par l’enseignant et recommandée par le programme d’étude. Étant donné le manque de compréhension, l’attention des élèves est partagée entre deux processus : apprendre la langue et comprendre les sciences (Lemke, 1990). Ils éprouvent parfois de la 1 difficulté à identifier les éléments importants de la matière ou à comprendre les tâches à accomplir, ce qui influence leur réussite lors d’exercices ou de tests (Lee et Fradd, 1996). Les démarches de discussion et d’écriture exigées par la démarche socio-constructiviste (décrire ses observations, ses expériences, discuter avec les camarades, rédiger un rapport de recherche…) pose également des problèmes importants (Laplante, 2000). Quand on compose avec des compétences langagières limitées, il est plus compliqué d’organiser un texte et de lier des idées pour démontrer une causalité (Duran, Dugan et Weffer, 1998). En raison de ces difficultés, les élèves ont tendance à percevoir plus de fatigue et de stress durant un cours de sciences (Dormic, 1980). Influencés par ces émotions négatives, certains d’entre eux vont avoir tendance à se couper de l’apprentissage (Mathewson, 1996) ou à faire semblant de comprendre (Townend, Petrenas et Street, 1998). Problèmes de l’enseignement et de l’apprentissage des sciences en milieu minoritaire néobrunswickois Afin de vérifier, en milieu canadien, la présence du lien précédemment développé entre les compétences langagières limitées des élèves et leurs difficultés d’apprentissage en sciences, nous avons convié à des entrevues individuelles 17 élèves et 10 enseignants du sud-est du Nouveau-Brunswick. Dans cette région, les élèves sont pour la plupart bilingues et s’expriment en combinant des éléments de français, d’anglais, de chiak et de vieux français. Les 17 élèves de 7e année ont été interrogés dans une école de GrandeDigue et les 10 enseignants provenaient d’écoles et de niveaux scolaires différents. Les questions ouvertes des entrevues ont porté sur les perceptions des répondants au sujet des problèmes posés par les sciences en milieu minoritaire. Ainsi, nous avons demandé aux élèves ce qu’ils trouvaient facile et difficile en sciences et aux enseignants s’ils pensaient que leurs élèves rencontraient des difficultés particulières en sciences parce qu’ils vivaient en milieu francophone minoritaire. Les enseignants devaient ensuite expliquer, s’il y a lieu, la nature des problèmes évoqués et identifier les types d’élèves, qui, selon eux, éprouvaient des difficultés. Nous avons également vérifié, chez les élèves, la compréhension de 10 concepts scientifiques, à raison de deux concepts dans chacune des sciences suivantes : physique, sciences de la vie, environnement, sciences de la terre et chimie. Les concepts choisis étaient issus des programmes scolaires de la deuxième à la quatrième année (exemple : sève, branchies…) et leur compréhension a été constatée à 100% auprès de cinq élèves québécois ou d’origine belge plus jeunes que les élèves interrogés (9 ans). Les résultats de la mini-étude exploratoire ont été analysés par deux chercheures de façon qualitative (recherche et regroupement de catégories émergentes) ou quantitative (compter le nombre d’élèves qui réussissent à définir un concept). Le graphique 1 rapporte les réponses des élèves au sujet des éléments qu’ils trouvent difficiles en sciences. Dans ce tableau, on retrouve principalement deux problèmes, soit les mots et les évaluations. On constate ici que plusieurs élèves sont conscients de certaines difficultés langagières puisqu’ils en parlent spontanément. Ils diront : Tu sais, en sciences, il y a des mots, plein de mots. Je deviens mêlé! Je n’ai jamais vu ces mots! (Cedric) ou Je ne peux pas me rappeler de tous les mots. (Stéphanie) 2 Graphique 1 : Les éléments que les élèves trouvent difficiles en sciences (n = 17) Réponses Expériences Explications Évaluations Rien Les mots 0 2 4 6 8 10 12 14 Les difficultés langagières sont également implicites dans le graphique 2, dans lequel on remarque que plusieurs élèves ne peuvent définir dans leurs propres mots les concepts de marais, liquide en ébullition, branchies, sève… La plupart du temps, ils ont dit qu’ils ne connaissaient pas ces mots. Certains élèves ont tenté des définitions. Les branchies étaient des prises pour brancher des machines (Yannick) ou des cornes de chevreuil (Marie-Claude). Les marais étaient des paniers de roches (Gabriel) ou des choses pour laver le plancher (Toni). Les concepts choisis faisaient pourtant partie du programme de sciences du primaire du Nouveau-Brunswick et ils devraient avoir été abordés en classe (ce qui n’est toutefois pas toujours le cas en raison du temps de classe limité accordé à l’enseignement des sciences). Dans ce contexte, il est donc intéressant de s’interroger à propos des difficultés des élèves à définir des mots. S’agit-il ici d’un manque de vocabulaire (les élèves ne seraient pas familiers avec les mots ou … avec les mots en français)? S’agit-il plutôt d’un manque de connaissance ou d’expérience avec les réalités désignées par les mots? S’agit-il enfin d’une difficulté de nature cognitive ou linguistique (habileté à définir des concepts dans ses propres mots)? 3 Graphique 2 : Réussite des élèves dans la définition de concepts scientifiques (n = 17) jumelles liquide en ébullition branchies oxygène marais atmosphère boussole étang minéraux sève 0 5 10 15 20 Interrogés à ce sujet, six enseignants sur dix ont affirmé que leurs élèves rencontraient des difficultés particulières dans leur apprentissage parce qu’ils vivaient dans un milieu francophone minoritaire. Les autres enseignants ont affirmé que la non-réussite académique en science était simplement généralisée dans toutes les régions du Canada. Dans le graphique 3, on retrouve ensuite les explications que les enseignants ont fournies au sujet des difficultés des élèves en sciences. En observant les réponses des enseignants, on s’aperçoit que la moitié d’entre eux pensent à attribuer les problèmes d’apprentissage à des facteurs langagiers : élèves avec des problèmes de lecture, enfants de parents anglophones, élèves présentant des problèmes de vocabulaire. Les enseignants expliquent les problèmes de vocabulaire de la façon suivante : Ils ne connaissent pas les mots en français (Eileen)… Ils ne savent pas ce que je veux dire quand je dis le mot « remise » (Lucie)… Ils demandent le mot en chiak (Thérèse)… 4 Graphique 3 : Réponse des enseignants au sujet des types d’élèves qui rencontrent des difficultés en sciences (n = 10) Retard par rapport aux autres Élèves avec des problèmes de lecture Élèves timides Élèves avec des difficultés de résolution de problèmes Peu d'esprit scientifique Manque d'estime de soi Élèves moins motivés Moins exposés à la recherche scientifique Enfants de parents anglophones Élèves ayant des problèmes à la maison Difficultés dans d'autres matières Élèves ayant un vocabulaire limité 0 1 2 3 4 De même, quand on questionne les enseignants de façon plus spécifique, plusieurs avouent que les élèves rencontrent des difficultés pendant qu’ils écrivent (six enseignants sur dix), lisent (huit enseignants sur dix) et apprennent leurs leçons en sciences (quatre enseignants sur dix), c’est-à-dire pendant des activités qui exigent de bonnes compétences langagières. Les résultats de cette mini-étude exploratoire laissent croire, ainsi, que la dimension langagière de l’apprentissage des sciences pose un problème au Nouveau-Brunswick et que les compétences langagières relatives aux tâches à accomplir en sciences pourraient être développées plus à fond. Des recherches approfondies seront toutefois nécessaires pour confirmer ces résultats et mieux comprendre la situation. Les propositions pédagogiques des chercheurs Aux États-Unis et un peu au Canada, les chercheurs en didactique des sciences et en linguistique ont proposé des suggestions pédagogiques pour pallier aux problèmes langagiers qui limitent l’apprentissage et l’intérêt pour les sciences. La solution pédagogique la plus fréquemment invoquée est celle de l’apprentissage expérientiel. Ce type d’apprentissage suppose le contact direct avec les objets grâce à des manipulations et visites sur le terrain. Les phénomènes représentés par les concepts scientifiques sont observés directement et les élèves emploient spontanément les concepts scientifiques 5 pour répondre à des stimuli (Carrasquillo et Rodriguez, 1996). La compréhension des concepts est ainsi facilitée et l’expression du contenu scientifique encouragée (Lee et Fradd, 1996), stratégies qui favorisent l’acquisition de vocabulaire. Une autre technique souvent invoquée pour résoudre le problème du vocabulaire est la définition approfondie des concepts au début d’une leçon de sciences (Rosenthal, 1996; Townend, Petrenas et Street, 1995). On suggère de demander aux élèves ce qu’ils connaissent des principaux concepts d’une leçon en employant des questions ouvertes, d’afficher la nouvelle terminologie dans la classe, de fournir des exemples concrets pour des concepts abstraits ou d’inviter les élèves à réaliser des cartes de concepts. Des activités d’écriture peuvent également être effectuées au début d’un thème scientifique pour employer les nouveaux concepts (Carrasquillo et Rodriguez, 1996). Une liste du nouveau vocabulaire peut enfin être distribuée. Dans le même ordre d’idées, les chercheurs (Duran, Dugan et Weffer, 1997; Carrasquillo et Rodriguez, 1996; Lemke, 1990) suggèrent à l’enseignant d’effectuer des récapitulations fréquentes sur les concepts d’une leçon ou d’un thème. Pour ce faire, l’enseignant peut exploiter le même concept dans une démonstration puis dans des expériences de groupe et individuelles. Il a également avantage à résumer souvent les notions apprises en employant le nouveau vocabulaire scientifique. Les concepts peuvent également être mis à profit dans d’autres matières. L’emploi fréquent et judicieux de dessins, illustrations et diagrammes est également prescrit par Mathewson (1996). Ces représentations graphiques, effectuées par les élèves pour traduire leur perception et effectuer une synthèse, et par l’enseignant pour faciliter la mémoire collective, contribuent à la formation, transformation et maintenance d’images mentales au sujet d’un concept scientifique. Une autre approche, proposée et expérimentée avec succès par Rivard et Straw (2000), chercheurs canadiens et Rosebery, Warren et Conant (1992), chercheurs américains, est celle de la discussion. Cette approche engage les esprits des élèves dans l’argumentation, ce qui leur permet d’employer les concepts scientifiques et de construire une signification commune entre eux et avec l’enseignant. En effet, les élèves apprennent et comprennent en donnant un sens qui leur est propre à une expérience, en rattachant une nouvelle expérience à leurs idées antérieures et en modifiant leurs idées par confrontation avec celles de leurs camarades. De plus, il semblerait que le langage conversationnel, qui met à profit des expressions faciales et des gestes, est celui qui progresse le plus vite quand on apprend une nouvelle langue (Rosenthal, 1996). La pratique de l’écriture scientifique complémente la discussion et favorise chez les élèves la clarification de leurs idées et l’appropriation de l’apprentissage et du langage. Rivard et Straw (2000) ainsi que Laplante (2000), chercheurs canadiens, ont obtenu d’excellents résultats en multipliant les occasions où les élèves devaient écrire en sciences. Laplante a systématiquement employé des techniques d’enseignement du français pour aider les élèves à maîtriser les macro-fonctions3 dans l’écriture scientifique. Les élèves de sixième année ont analysé un rapport d’expérience déjà produit, ils en ont 6 rédigé un autre avec l’aide de l’enseignant pour bien identifier les éléments constituants de ce type de texte et ils ont reçu une aide systématique durant la rédaction de leur propre rapport. Ces interventions ont contribué à améliorer les performances des élèves en sciences. De même, Pearson et Stephens (1994) suggèrent une autre piste prometteuse en écriture scientifique : exploiter systématiquement les habiletés scientifiques qu’on doit développer en sciences pour faire écrire les élèves. Si ceux-ci doivent écrire suite à une observation, une comparaison, une classification, une sériation, ou pour décrire les procédés employés, leur vocabulaire relié aux concepts et au processus sera d’autant plus diversifié. La lecture peut également être mise à profit pour contrer les problèmes du vocabulaire. Il existe aujourd’hui des livres d’histoires qui portent sur des sujets ou concepts scientifiques tout en conservant leur forme ludique. Les histoires de ce type assurent un retour sur les concepts et favorisent leur mémorisation. En effet, ces histoires contribuent à rendre les sciences plus amusantes, plus merveilleuses ou plus proches de la vie quotidienne des enfants. Les nouvelles techniques de lecture (faire des prédictions, identifier la crédibilité de la source, critiquer la réalité de la situation présentée…) peuvent avantageusement être employées avec ces histoires et dans des textes scientifiques traditionnels. D’autres solutions sont aussi proposées pour mieux travailler en sciences avec les élèves des milieux minoritaires : - augmenter le temps d’attente quand on questionne les élèves : pour leur permettre de s’exprimer, de formuler leur réponse et de poser des questions (Townend, Petrenas et Street, 1998). - intégrer les sciences avec les autres matières : pour que les concepts scientifiques soient employés de façon réelle et répétée. Finalement, la démarche socio-constructiviste, appliquée de façon à favoriser le changement conceptuel2, pourrait avantageusement être employée en milieu minoritaire. À cet égard, la démarche proposée par Beeth (1998) et par Hewson, Beeth et Thorley (1998) favoriserait la mise en place d’une discussion approfondie des élèves autour d’un phénomène ou d’un concept. Les étapes de cette démarche sont les suivantes : - demander aux élèves de décrire leurs idées au sujet d’un phénomène ou d’un concept, verbalement, par écrit ou à l’aide de schémas, - les inviter à trouver des arguments pour défendre leurs idées, - les inciter à réfléchir et à dire jusqu’à quel point ils tiennent à leurs idées (discours métacognitif), - favoriser un débat autour des forces et limites des diverses idées émises dans le groupe, - faire choisir les idées qu’on trouve les plus plausibles, - faire vivre diverses expériences pour vérifier et choisir parmi les idées ou pour émettre de nouvelles idées. D’autres techniques pédagogiques de plus en plus employées en sciences telles le dessin des idées des élèves au sujet d’un phénomène avant et après une leçon, les réseaux conceptuels (aussi avant et après une leçon) et les journaux en dialogue4 (Reddy et al. 1998) pourraient finalement être mises à profit. Selon Bloom (1992), quand un élève 7 attribue un sens à un concept, ce n’est pas seulement au niveau sémantique mais également au niveau expérientiel. « Le sens accordé à un concept est le produit de différentes opérations mentales, du schème personnel d’interprétation de l’élève ainsi que de ses émotions, valeurs et sens esthétique » (p. 27). Les dessins avant et après, les réseaux conceptuels et les journaux en dialogue permettent à l’élève d’exprimer, avec toutes ses composantes, le sens qu’il accorde aux concepts et phénomènes tout en lui permettant de réfléchir à l’évolution de ce sens à la lumière des expériences vécues. Comme les scientifiques, l’élève manipule des images visuelles et des concepts. Au niveau métacognitif (ou métaconceptuel), ces trois techniques pourraient aider l’élève à être témoin de ses apprentissages au sujet du vocabulaire scientifique. Est-ce que son dessin, réseau conceptuel ou journal en dialogue révèle qu’il connaît un mot de sciences au plan sémantique? Est-ce que l’activité démontre qu’il est familier avec le phénomène désigné par le mot? Est-ce qu’il peut expliquer le phénomène ou concept? Les trois outils (dessins, réseaux conceptuels et journaux en dialogue) pourraient également faciliter la tâche des enseignants pour évaluer les connaissances des élèves à propos des concepts de sciences et pour adapter leur enseignement en conséquence. Nécessités de recherche en enseignement et apprentissage des sciences en milieu minoritaire francophone canadien Comme on a pu le constater en lisant cet article, les problèmes et les solutions de l’enseignement des sciences en milieu minoritaire ont été identifiés surtout aux ÉtatsUnis et auprès de minorités non-francophones. Plusieurs des solutions proposées n’ont pas été expérimentées ou ne l’ont été qu’avec un nombre restreint de groupes-classe. Peu de chercheurs canadiens ont jusqu’à date tenté de décrire les mêmes problèmes ou de tester des solutions. La revue de la littérature et la courte enquête présentées dans cet article laissent supposer que les élèves canadiens des milieux francophones minoritaires ont besoin de développer une certaine littéracie pour réussir en sciences. Aujourd’hui la littéracie ne se limite plus à des habiletés de lecture et d’écriture. Elle comprend maintenant des compétences de raisonnement et de communication dans divers contextes (Pearson et Stephens, 1994). Le contexte de l’apprentissage des sciences est favorable au développement de la littéracie. Si les enseignants appliquent une démarche socio-constructiviste centrée sur le changement conceptuel, les élèves auront l’occasion d’émettre, de justifier et de comparer leurs idées initiales, d’observer des phénomènes, de prédire, de faire des hypothèses et d’organiser et de communiquer leurs idées, autant d’expériences qui sont susceptibles de stimuler la littéracie. Le défi en recherche se situe toutefois dans la création, pour les milieux minoritaires, d’un environnement d’apprentissage et d’interventions qui combineraient le développement d’habiletés langagières avec l’apprentissage scientifique pour promouvoir la littéracie scientifique. Comment faire vivre aux élèves une démarche socio-constructiviste dans laquelle on leur fait expérimenter et visualiser les concepts, de même que parler, écrire et lire avec succès? Cet environnement d’apprentissage où on permet aux élèves des minorités de comprendre et d’employer les particularités linguistiques des sciences (concepts, structures syntaxiques, caractéristiques discursives…) pourrait être créé et expérimenté. 8 D’autres pistes de recherche pourraient également être explorées : - dans le cadre d’études ethnographiques en classe de sciences, en milieu minoritaire, décrire comment l’enseignement et l’apprentissage se déroulent dans un tel contexte (pour mieux saisir les enjeux et les défis à surmonter); - découvrir comment certains élèves et enseignants s’y prennent (stratégies cognitives et stratégies d’enseignement) pour affronter et réduire les difficultés liées aux limites langagières; - dans le cadre de recherches actions collaboratives avec des enseignants oeuvrant en milieu minoritaire, produire une liste de stratégies pédagogiques efficaces en sciences. 1 2 3 4 Notes Legendre (1988) définit un concept comme « une représentation mentale et générale des traits stables et communs à une classe d’objets directement observables, et qui sont généralisables à tous les objets présentant les mêmes caractéristiques » (p. 111). À notre connaissance, peu de chercheurs canadiens se sont penchés sur l’analyse des conséquences en sciences d’un manque de compétences langagières. Les idées ou les recherches présentées ici proviennent des États-Unis et décrivent les problèmes vécus là-bas par les minorités haïtiennes, espagnoles, créoles, africaines, etc. Vosniadou et Ioannides (1998) définissent le changement conceptuel « comme un processus graduel durant lequel les structures conceptuelles initiales basées sur les interprétations enfantines des expériences quotidiennes sont continuellement enrichies et restructurées. Le changement conceptuel implique une prise de conscience métaconceptuelle, une flexibilité cognitive et une cohérence théorique » (p. 25). De même, selon di Sessa et Sherin (1998), le changement conceptuel peut s’opérer de diverses manières : ajout ou retranchement de concepts, ajout ou retranchement de liens entre les concepts, modification complète de la structure conceptuelle, etc. Dans un journal en dialogue, on demande d’abord aux élèves de répondre à une question générale telle que : qu’est-ce que tu as appris aujourd’hui? Chaque élève répond à sa façon puis apporte son cahier à l’enseignant qui formule à l’élève une nouvelle question pour lui permettre d’exprimer pleinement sa compréhension. Les questions et les réponses se poursuivent de la même façon jusqu’à ce que l’élève ait traduit sa complète vision des choses (Reddy, Jacob, Mc Crohon et Herrenkohl, 1998). Références Beeth, M.E. (1998). Teaching science in fifth grade : Instructional goals that support conceptual change. Journal of Research in Science Teaching, 35(10), 1091-1101. Carrasquillo, A. et Rodriguez, V. (1996). 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