L`enseignement des sciences en milieu minoritaire

Transcription

L`enseignement des sciences en milieu minoritaire
Pruneau, D. et Langis, J. (2002). L’enseignement des sciences en milieu minoritaire :
Défis et possibilités. Dans Actes du Colloque pancanadien sur la recherche en milieu
francophone minoritaire : Bilan et perspectives. Site web de l’ACELF :
www.acelf.ca/publi/crde/index.html
Résumé
Une étude pan-canadienne (1999) a démontré, chez les élèves des milieux francophones
minoritaires, des résultats d’apprentissage plus faibles en sciences que chez les élèves
anglophones, ainsi qu’une attitude plus négative face à cette matière. Cet article vise
l’explication de ces résultats grâce à une recension des écrits canadiens et américains, et
par la présentation d’une mini-étude exploratoire menée auprès d’élèves et d’enseignants
du sud-est du Nouveau-Brunswick. Des suggestions pédagogiques pour l’enseignement
des sciences en milieu minoritaire et des pistes de recherche sont également proposées.
Telle qu’en témoigne une étude pan-canadienne menée auprès d’élèves de 13 et 16 ans
(Conseil des ministres du Canada, 1999), l’apprentissage des sciences pose des problèmes
particuliers en milieu minoritaire francophone canadien. En effet, cette étude montre que
les résultats d’apprentissage des élèves de plusieurs milieux francophones minoritaires
seraient plus faibles que ceux des élèves anglophones. Toujours selon la même étude, les
élèves francophones en milieu minoritaire auraient développé une attitude moins positive
face aux sciences que les élèves anglophones à qui on les a comparés.
Comment expliquer ces résultats? Il est certain qu’au cours de la dernière décennie, des
recherches ont permis de déceler des résultats d’apprentissage faibles en sciences chez
une proportion importante des élèves canadiens et américains (exemples : The National
Commission on Mathematics and Science Teaching for the 21st Century, 2000 et
McCann, 1998).. Divers facteurs ont été évoqués pour expliquer cette situation : le
manque de formation des enseignants en sciences, l’insuffisance de matériel de
manipulation, l’insécurité des enseignants face à cette matière, les difficultés financières
reliées aux sorties sur le terrain, la surcharge de l’horaire semaine, les méthodes
pédagogiques encore traditionnelles employées par les agents d’éducation, la surimportance accordée aux matières fondamentales (le français et les mathématiques), etc.
Nous considérons ces facteurs comme réels et présents partout au Canada…
Toutefois, qu’est-ce qui est spécifique à un milieu minoritaire et qui contribue à rendre la
situation particulière dans ce type de milieu? La réponse à cette question se situe, entre
autres, dans l’interaction de deux facteurs : la nature de l’apprentissage scientifique et la
faiblesse des compétences langagières des élèves des milieux minoritaires.
Dans cet article, nous discutons d’abord de la nature de la démarche scientifique et des
performances langagières nécessitées par l’apprentissage des sciences. Nous évoquons
ensuite certaines des difficultés d’apprentissage rencontrées en sciences par les élèves en
milieu minoritaire. À titre d’illustration, nous rapportons les résultats d’une mini-étude
exploratoire effectuée dans le sud-est du Nouveau-Brunswick. Enfin, nous discutons de
suggestions pratiques faites par les chercheurs travaillant en milieu minoritaire. Nous
concluons en proposant des pistes de recherche pour arriver à mieux comprendre les défis
auxquels font face les enseignants de sciences et les élèves en milieu minoritaire.
La démarche scientifique et l’apprentissage des sciences
Les diverses sciences s’apparentent à des essais de compréhension du monde. Pour
comprendre leur environnement, les scientifiques ont recours à un processus typique : ils
observent, font des hypothèses, planifient et réalisent des expériences, évaluent leurs
données et présentent des rapports. Pour réaliser ces étapes, ils manipulent des concepts1
et des images mentales et visuelles : ils imaginent les phénomènes dans leur tête,
emploient des analogies pour comparer ces phénomènes à d’autres et utilisent des
schémas et des concepts pour communiquer et faire valoir leur résultats (Mathewson,
1996). Le langage scientifique est constitué de ce processus et de ces images et concepts.
C’est un langage académique (Cummins, 1980) et spécialisé. C’est ainsi que
l’apprentissage des sciences implique l’acquisition, par les élèves, de vocabulaire
spécifique, de structures syntaxiques et de certaines caractéristiques discursives
(Laplante, 2000). Un élève qui apprend en sciences doit apprendre à « parler sciences »,
c’est-à-dire : « définir en ses propres mots les concepts étudiés, décrire les objets
d’études, expliquer les phénomènes observés, concevoir et décrire la procédure d’une
expérience, formuler une conclusion et rédiger et présenter un rapport d’expérience »
(Lemke, 1990). « Ces fonctions langagières (décrire, expliquer, formuler…) comportent
une dimension proprement langagière ainsi qu’une dimension scientifique de nature
conceptuelle et dans certains cas, procédurale. Ainsi, pour être en mesure de maîtriser
ces fonctions langagières, les élèves doivent comprendre les concepts scientifiques
impliqués, connaître et pouvoir utiliser correctement le vocabulaire nécessaire, les
structures syntaxiques et les caractéristiques discursives appropriées à chacune de ces
fonctions. L’apprentissage s’exprimerait donc sous la forme d’un savoir langagier (parler
sciences), d’un savoir procédural (faire des sciences) et d’un savoir conceptuel
(comprendre les sciences) » (Laplante, 2001).
Les sciences et les limites langagières
Les tâches précédentes s’avèrent difficiles à accomplir pour les élèves des minorités en
raison de leurs compétences langagières restreintes. Nous présentons ici les idées ou
résultats de chercheurs américains2 qui décrivent les conséquences de compétences
langagières limitées sur l’apprentissage scientifique.
Il semblerait d’abord que plusieurs concepts scientifiques n’ont pas vraiment de sens pour
les élèves des minorités culturelles. Le phénomène représenté par le concept n’a jamais
été observé ou, s’il a été observé, il n’a souvent pas été nommé ou il a été nommé dans
une autre langue. Durant une leçon, le manque de familiarité avec un concept limite la
construction d’une compréhension partagée entre les élèves et l’enseignant (Rosenthal,
1996). Les phénomènes et les évènements décrits demeurent non-familiers pour les
auditeurs. Ceux-ci, par malaise ou par gêne, participent moins à la discussion scientifique
suscitée par l’enseignant et recommandée par le programme d’étude. Étant donné le
manque de compréhension, l’attention des élèves est partagée entre deux processus :
apprendre la langue et comprendre les sciences (Lemke, 1990). Ils éprouvent parfois de la
1
difficulté à identifier les éléments importants de la matière ou à comprendre les tâches à
accomplir, ce qui influence leur réussite lors d’exercices ou de tests (Lee et Fradd, 1996).
Les démarches de discussion et d’écriture exigées par la démarche socio-constructiviste
(décrire ses observations, ses expériences, discuter avec les camarades, rédiger un rapport
de recherche…) pose également des problèmes importants (Laplante, 2000). Quand on
compose avec des compétences langagières limitées, il est plus compliqué d’organiser un
texte et de lier des idées pour démontrer une causalité (Duran, Dugan et Weffer, 1998).
En raison de ces difficultés, les élèves ont tendance à percevoir plus de fatigue et de stress
durant un cours de sciences (Dormic, 1980). Influencés par ces émotions négatives,
certains d’entre eux vont avoir tendance à se couper de l’apprentissage (Mathewson,
1996) ou à faire semblant de comprendre (Townend, Petrenas et Street, 1998).
Problèmes de l’enseignement et de l’apprentissage des sciences en milieu minoritaire
néobrunswickois
Afin de vérifier, en milieu canadien, la présence du lien précédemment développé entre
les compétences langagières limitées des élèves et leurs difficultés d’apprentissage en
sciences, nous avons convié à des entrevues individuelles 17 élèves et 10 enseignants du
sud-est du Nouveau-Brunswick. Dans cette région, les élèves sont pour la plupart
bilingues et s’expriment en combinant des éléments de français, d’anglais, de chiak et de
vieux français. Les 17 élèves de 7e année ont été interrogés dans une école de GrandeDigue et les 10 enseignants provenaient d’écoles et de niveaux scolaires différents. Les
questions ouvertes des entrevues ont porté sur les perceptions des répondants au sujet des
problèmes posés par les sciences en milieu minoritaire. Ainsi, nous avons demandé aux
élèves ce qu’ils trouvaient facile et difficile en sciences et aux enseignants s’ils pensaient
que leurs élèves rencontraient des difficultés particulières en sciences parce qu’ils
vivaient en milieu francophone minoritaire. Les enseignants devaient ensuite expliquer,
s’il y a lieu, la nature des problèmes évoqués et identifier les types d’élèves, qui, selon
eux, éprouvaient des difficultés. Nous avons également vérifié, chez les élèves, la
compréhension de 10 concepts scientifiques, à raison de deux concepts dans chacune des
sciences suivantes : physique, sciences de la vie, environnement, sciences de la terre et
chimie. Les concepts choisis étaient issus des programmes scolaires de la deuxième à la
quatrième année (exemple : sève, branchies…) et leur compréhension a été constatée à
100% auprès de cinq élèves québécois ou d’origine belge plus jeunes que les élèves
interrogés (9 ans). Les résultats de la mini-étude exploratoire ont été analysés par deux
chercheures de façon qualitative (recherche et regroupement de catégories émergentes)
ou quantitative (compter le nombre d’élèves qui réussissent à définir un concept).
Le graphique 1 rapporte les réponses des élèves au sujet des éléments qu’ils trouvent
difficiles en sciences. Dans ce tableau, on retrouve principalement deux problèmes, soit
les mots et les évaluations. On constate ici que plusieurs élèves sont conscients de
certaines difficultés langagières puisqu’ils en parlent spontanément. Ils diront : Tu sais,
en sciences, il y a des mots, plein de mots. Je deviens mêlé! Je n’ai jamais vu ces mots!
(Cedric) ou Je ne peux pas me rappeler de tous les mots. (Stéphanie)
2
Graphique 1 : Les éléments que les élèves trouvent difficiles en sciences (n = 17)
Réponses
Expériences
Explications
Évaluations
Rien
Les mots
0
2
4
6
8
10
12
14
Les difficultés langagières sont également implicites dans le graphique 2, dans lequel on
remarque que plusieurs élèves ne peuvent définir dans leurs propres mots les concepts de
marais, liquide en ébullition, branchies, sève… La plupart du temps, ils ont dit qu’ils ne
connaissaient pas ces mots. Certains élèves ont tenté des définitions. Les branchies
étaient des prises pour brancher des machines (Yannick) ou des cornes de chevreuil
(Marie-Claude). Les marais étaient des paniers de roches (Gabriel) ou des choses pour
laver le plancher (Toni). Les concepts choisis faisaient pourtant partie du programme de
sciences du primaire du Nouveau-Brunswick et ils devraient avoir été abordés en classe
(ce qui n’est toutefois pas toujours le cas en raison du temps de classe limité accordé à
l’enseignement des sciences). Dans ce contexte, il est donc intéressant de s’interroger à
propos des difficultés des élèves à définir des mots. S’agit-il ici d’un manque de
vocabulaire (les élèves ne seraient pas familiers avec les mots ou … avec les mots en
français)? S’agit-il plutôt d’un manque de connaissance ou d’expérience avec les réalités
désignées par les mots? S’agit-il enfin d’une difficulté de nature cognitive ou
linguistique (habileté à définir des concepts dans ses propres mots)?
3
Graphique 2 : Réussite des élèves dans la définition de concepts scientifiques (n = 17)
jumelles
liquide en ébullition
branchies
oxygène
marais
atmosphère
boussole
étang
minéraux
sève
0
5
10
15
20
Interrogés à ce sujet, six enseignants sur dix ont affirmé que leurs élèves rencontraient
des difficultés particulières dans leur apprentissage parce qu’ils vivaient dans un milieu
francophone minoritaire. Les autres enseignants ont affirmé que la non-réussite
académique en science était simplement généralisée dans toutes les régions du Canada.
Dans le graphique 3, on retrouve ensuite les explications que les enseignants ont fournies
au sujet des difficultés des élèves en sciences. En observant les réponses des enseignants,
on s’aperçoit que la moitié d’entre eux pensent à attribuer les problèmes d’apprentissage
à des facteurs langagiers : élèves avec des problèmes de lecture, enfants de parents
anglophones, élèves présentant des problèmes de vocabulaire. Les enseignants
expliquent les problèmes de vocabulaire de la façon suivante : Ils ne connaissent pas les
mots en français (Eileen)… Ils ne savent pas ce que je veux dire quand je dis le mot
« remise » (Lucie)… Ils demandent le mot en chiak (Thérèse)…
4
Graphique 3 : Réponse des enseignants au sujet des types d’élèves qui rencontrent
des difficultés en sciences (n = 10)
Retard par rapport aux autres
Élèves avec des problèmes de lecture
Élèves timides
Élèves avec des difficultés de résolution de problèmes
Peu d'esprit scientifique
Manque d'estime de soi
Élèves moins motivés
Moins exposés à la recherche scientifique
Enfants de parents anglophones
Élèves ayant des problèmes à la maison
Difficultés dans d'autres matières
Élèves ayant un vocabulaire limité
0
1
2
3
4
De même, quand on questionne les enseignants de façon plus spécifique, plusieurs
avouent que les élèves rencontrent des difficultés pendant qu’ils écrivent (six enseignants
sur dix), lisent (huit enseignants sur dix) et apprennent leurs leçons en sciences (quatre
enseignants sur dix), c’est-à-dire pendant des activités qui exigent de bonnes
compétences langagières.
Les résultats de cette mini-étude exploratoire laissent croire, ainsi, que la dimension
langagière de l’apprentissage des sciences pose un problème au Nouveau-Brunswick et
que les compétences langagières relatives aux tâches à accomplir en sciences pourraient
être développées plus à fond. Des recherches approfondies seront toutefois nécessaires
pour confirmer ces résultats et mieux comprendre la situation.
Les propositions pédagogiques des chercheurs
Aux États-Unis et un peu au Canada, les chercheurs en didactique des sciences et en
linguistique ont proposé des suggestions pédagogiques pour pallier aux problèmes
langagiers qui limitent l’apprentissage et l’intérêt pour les sciences. La solution
pédagogique la plus fréquemment invoquée est celle de l’apprentissage expérientiel. Ce
type d’apprentissage suppose le contact direct avec les objets grâce à des manipulations et
visites sur le terrain. Les phénomènes représentés par les concepts scientifiques sont
observés directement et les élèves emploient spontanément les concepts scientifiques
5
pour répondre à des stimuli (Carrasquillo et Rodriguez, 1996). La compréhension des
concepts est ainsi facilitée et l’expression du contenu scientifique encouragée (Lee et
Fradd, 1996), stratégies qui favorisent l’acquisition de vocabulaire.
Une autre technique souvent invoquée pour résoudre le problème du vocabulaire est la
définition approfondie des concepts au début d’une leçon de sciences (Rosenthal, 1996;
Townend, Petrenas et Street, 1995). On suggère de demander aux élèves ce qu’ils
connaissent des principaux concepts d’une leçon en employant des questions ouvertes,
d’afficher la nouvelle terminologie dans la classe, de fournir des exemples concrets pour
des concepts abstraits ou d’inviter les élèves à réaliser des cartes de concepts. Des
activités d’écriture peuvent également être effectuées au début d’un thème scientifique
pour employer les nouveaux concepts (Carrasquillo et Rodriguez, 1996). Une liste du
nouveau vocabulaire peut enfin être distribuée.
Dans le même ordre d’idées, les chercheurs (Duran, Dugan et Weffer, 1997; Carrasquillo
et Rodriguez, 1996; Lemke, 1990) suggèrent à l’enseignant d’effectuer des
récapitulations fréquentes sur les concepts d’une leçon ou d’un thème. Pour ce faire,
l’enseignant peut exploiter le même concept dans une démonstration puis dans des
expériences de groupe et individuelles. Il a également avantage à résumer souvent les
notions apprises en employant le nouveau vocabulaire scientifique. Les concepts peuvent
également être mis à profit dans d’autres matières.
L’emploi fréquent et judicieux de dessins, illustrations et diagrammes est également
prescrit par Mathewson (1996). Ces représentations graphiques, effectuées par les élèves
pour traduire leur perception et effectuer une synthèse, et par l’enseignant pour faciliter la
mémoire collective, contribuent à la formation, transformation et maintenance d’images
mentales au sujet d’un concept scientifique.
Une autre approche, proposée et expérimentée avec succès par Rivard et Straw (2000),
chercheurs canadiens et Rosebery, Warren et Conant (1992), chercheurs américains, est
celle de la discussion. Cette approche engage les esprits des élèves dans l’argumentation,
ce qui leur permet d’employer les concepts scientifiques et de construire une signification
commune entre eux et avec l’enseignant. En effet, les élèves apprennent et comprennent
en donnant un sens qui leur est propre à une expérience, en rattachant une nouvelle
expérience à leurs idées antérieures et en modifiant leurs idées par confrontation avec
celles de leurs camarades. De plus, il semblerait que le langage conversationnel, qui met à
profit des expressions faciales et des gestes, est celui qui progresse le plus vite quand on
apprend une nouvelle langue (Rosenthal, 1996).
La pratique de l’écriture scientifique complémente la discussion et favorise chez les
élèves la clarification de leurs idées et l’appropriation de l’apprentissage et du langage.
Rivard et Straw (2000) ainsi que Laplante (2000), chercheurs canadiens, ont obtenu
d’excellents résultats en multipliant les occasions où les élèves devaient écrire en
sciences. Laplante a systématiquement employé des techniques d’enseignement du
français pour aider les élèves à maîtriser les macro-fonctions3 dans l’écriture scientifique.
Les élèves de sixième année ont analysé un rapport d’expérience déjà produit, ils en ont
6
rédigé un autre avec l’aide de l’enseignant pour bien identifier les éléments constituants
de ce type de texte et ils ont reçu une aide systématique durant la rédaction de leur propre
rapport. Ces interventions ont contribué à améliorer les performances des élèves en
sciences. De même, Pearson et Stephens (1994) suggèrent une autre piste prometteuse en
écriture scientifique : exploiter systématiquement les habiletés scientifiques qu’on doit
développer en sciences pour faire écrire les élèves. Si ceux-ci doivent écrire suite à une
observation, une comparaison, une classification, une sériation, ou pour décrire les
procédés employés, leur vocabulaire relié aux concepts et au processus sera d’autant plus
diversifié.
La lecture peut également être mise à profit pour contrer les problèmes du vocabulaire. Il
existe aujourd’hui des livres d’histoires qui portent sur des sujets ou concepts
scientifiques tout en conservant leur forme ludique. Les histoires de ce type assurent un
retour sur les concepts et favorisent leur mémorisation. En effet, ces histoires contribuent
à rendre les sciences plus amusantes, plus merveilleuses ou plus proches de la vie
quotidienne des enfants. Les nouvelles techniques de lecture (faire des prédictions,
identifier la crédibilité de la source, critiquer la réalité de la situation présentée…)
peuvent avantageusement être employées avec ces histoires et dans des textes
scientifiques traditionnels.
D’autres solutions sont aussi proposées pour mieux travailler en sciences avec les élèves
des milieux minoritaires :
- augmenter le temps d’attente quand on questionne les élèves : pour leur permettre de
s’exprimer, de formuler leur réponse et de poser des questions (Townend, Petrenas et
Street, 1998).
- intégrer les sciences avec les autres matières : pour que les concepts scientifiques soient
employés de façon réelle et répétée.
Finalement, la démarche socio-constructiviste, appliquée de façon à favoriser le
changement conceptuel2, pourrait avantageusement être employée en milieu minoritaire.
À cet égard, la démarche proposée par Beeth (1998) et par Hewson, Beeth et Thorley
(1998) favoriserait la mise en place d’une discussion approfondie des élèves autour d’un
phénomène ou d’un concept. Les étapes de cette démarche sont les suivantes :
- demander aux élèves de décrire leurs idées au sujet d’un phénomène ou d’un concept,
verbalement, par écrit ou à l’aide de schémas,
- les inviter à trouver des arguments pour défendre leurs idées,
- les inciter à réfléchir et à dire jusqu’à quel point ils tiennent à leurs idées (discours
métacognitif),
- favoriser un débat autour des forces et limites des diverses idées émises dans le groupe,
- faire choisir les idées qu’on trouve les plus plausibles,
- faire vivre diverses expériences pour vérifier et choisir parmi les idées ou pour émettre
de nouvelles idées.
D’autres techniques pédagogiques de plus en plus employées en sciences telles le dessin
des idées des élèves au sujet d’un phénomène avant et après une leçon, les réseaux
conceptuels (aussi avant et après une leçon) et les journaux en dialogue4 (Reddy et al.
1998) pourraient finalement être mises à profit. Selon Bloom (1992), quand un élève
7
attribue un sens à un concept, ce n’est pas seulement au niveau sémantique mais
également au niveau expérientiel. « Le sens accordé à un concept est le produit de
différentes opérations mentales, du schème personnel d’interprétation de l’élève ainsi que
de ses émotions, valeurs et sens esthétique » (p. 27). Les dessins avant et après, les
réseaux conceptuels et les journaux en dialogue permettent à l’élève d’exprimer, avec
toutes ses composantes, le sens qu’il accorde aux concepts et phénomènes tout en lui
permettant de réfléchir à l’évolution de ce sens à la lumière des expériences vécues.
Comme les scientifiques, l’élève manipule des images visuelles et des concepts. Au
niveau métacognitif (ou métaconceptuel), ces trois techniques pourraient aider l’élève à
être témoin de ses apprentissages au sujet du vocabulaire scientifique. Est-ce que son
dessin, réseau conceptuel ou journal en dialogue révèle qu’il connaît un mot de sciences
au plan sémantique? Est-ce que l’activité démontre qu’il est familier avec le phénomène
désigné par le mot? Est-ce qu’il peut expliquer le phénomène ou concept? Les trois
outils (dessins, réseaux conceptuels et journaux en dialogue) pourraient également
faciliter la tâche des enseignants pour évaluer les connaissances des élèves à propos des
concepts de sciences et pour adapter leur enseignement en conséquence.
Nécessités de recherche en enseignement et apprentissage des sciences en milieu
minoritaire francophone canadien
Comme on a pu le constater en lisant cet article, les problèmes et les solutions de
l’enseignement des sciences en milieu minoritaire ont été identifiés surtout aux ÉtatsUnis et auprès de minorités non-francophones. Plusieurs des solutions proposées n’ont
pas été expérimentées ou ne l’ont été qu’avec un nombre restreint de groupes-classe. Peu
de chercheurs canadiens ont jusqu’à date tenté de décrire les mêmes problèmes ou de
tester des solutions.
La revue de la littérature et la courte enquête présentées dans cet article laissent supposer
que les élèves canadiens des milieux francophones minoritaires ont besoin de développer
une certaine littéracie pour réussir en sciences. Aujourd’hui la littéracie ne se limite plus à
des habiletés de lecture et d’écriture. Elle comprend maintenant des compétences de
raisonnement et de communication dans divers contextes (Pearson et Stephens, 1994). Le
contexte de l’apprentissage des sciences est favorable au développement de la littéracie.
Si les enseignants appliquent une démarche socio-constructiviste centrée sur le
changement conceptuel, les élèves auront l’occasion d’émettre, de justifier et de comparer
leurs idées initiales, d’observer des phénomènes, de prédire, de faire des hypothèses et
d’organiser et de communiquer leurs idées, autant d’expériences qui sont susceptibles de
stimuler la littéracie. Le défi en recherche se situe toutefois dans la création, pour les
milieux minoritaires, d’un environnement d’apprentissage et d’interventions qui
combineraient le développement d’habiletés langagières avec l’apprentissage scientifique
pour promouvoir la littéracie scientifique. Comment faire vivre aux élèves une démarche
socio-constructiviste dans laquelle on leur fait expérimenter et visualiser les concepts, de
même que parler, écrire et lire avec succès? Cet environnement d’apprentissage où on
permet aux élèves des minorités de comprendre et d’employer les particularités
linguistiques des sciences (concepts, structures syntaxiques, caractéristiques
discursives…) pourrait être créé et expérimenté.
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D’autres pistes de recherche pourraient également être explorées :
- dans le cadre d’études ethnographiques en classe de sciences, en milieu minoritaire,
décrire comment l’enseignement et l’apprentissage se déroulent dans un tel contexte
(pour mieux saisir les enjeux et les défis à surmonter);
- découvrir comment certains élèves et enseignants s’y prennent (stratégies cognitives et
stratégies d’enseignement) pour affronter et réduire les difficultés liées aux limites
langagières;
- dans le cadre de recherches actions collaboratives avec des enseignants oeuvrant en
milieu minoritaire, produire une liste de stratégies pédagogiques efficaces en sciences.
1
2
3
4
Notes
Legendre (1988) définit un concept comme « une représentation mentale et générale
des traits stables et communs à une classe d’objets directement observables, et qui sont
généralisables à tous les objets présentant les mêmes caractéristiques » (p. 111).
À notre connaissance, peu de chercheurs canadiens se sont penchés sur l’analyse des
conséquences en sciences d’un manque de compétences langagières. Les idées ou les
recherches présentées ici proviennent des États-Unis et décrivent les problèmes vécus
là-bas par les minorités haïtiennes, espagnoles, créoles, africaines, etc.
Vosniadou et Ioannides (1998) définissent le changement conceptuel « comme un
processus graduel durant lequel les structures conceptuelles initiales basées sur les
interprétations enfantines des expériences quotidiennes sont continuellement enrichies
et restructurées. Le changement conceptuel implique une prise de conscience
métaconceptuelle, une flexibilité cognitive et une cohérence théorique » (p. 25). De
même, selon di Sessa et Sherin (1998), le changement conceptuel peut s’opérer de
diverses manières : ajout ou retranchement de concepts, ajout ou retranchement de
liens entre les concepts, modification complète de la structure conceptuelle, etc.
Dans un journal en dialogue, on demande d’abord aux élèves de répondre à une
question générale telle que : qu’est-ce que tu as appris aujourd’hui? Chaque élève
répond à sa façon puis apporte son cahier à l’enseignant qui formule à l’élève une
nouvelle question pour lui permettre d’exprimer pleinement sa compréhension. Les
questions et les réponses se poursuivent de la même façon jusqu’à ce que l’élève ait
traduit sa complète vision des choses (Reddy, Jacob, Mc Crohon et Herrenkohl, 1998).
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