Odilon Redon, Le Prisonnier ou Le Captif - Musée des Beaux

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Odilon Redon, Le Prisonnier ou Le Captif - Musée des Beaux
Fiche d’œuvre/
XIXe
Odilon Redon (Bordeaux, 1840 – Paris, 1916)
Le prisonnier ou Le captif, vers 1880
Mots clefs
Portrait/ Symbolisme/ Série des
Noirs/ Fusain/ Clair-obscur
Le prisonnier ou Le captif, vers 1880
Fusain sur papier, 52 x 37 cm
Inv. 993.13.1.D
© Ville de Nantes, Musée des Beaux-arts/A. Guillard
L’œuvre
Ce portrait au fusain a été exécuté par Odilon Redon au début des années 1880 et fait partie d’un grand ensemble de
fusains, d’eaux-fortes et de lithographies, que l’artiste appelle les Noirs et qui constitue l'essentiel de sa production entre
1872 et 1895. Les Noirs accompagnent les années les plus sombres de sa vie et sont le témoin de ses angoisses.
Un hommage à son maître
Le prisonnier, représenté en buste, est un vieillard barbu. Son visage émerge du fond noir monochrome, tandis que son
corps reste captif de l’ombre. Sous son grand front violemment éclairé, les orbites noires cachent des yeux aveugles. De
la même façon, la lumière révèle les boucles vaporeuses de la barbe qui masquent la bouche du captif. Privé de regard,
emmuré dans son silence, il est entravé, comme le suggèrent les maillons d’une chaîne sur son bras, et ainsi renvoyé à sa
solitude. Un sentiment d’étrangeté, d’inquiétude, naît de cette image symbolique d’un emprisonnement existentiel.
Ce portrait évoque le maître de l’artiste, Rodolphe Bresdin (1822 – 1885), dont est connu un rare portrait au crayon
exécuté par Redon en 1865. La gravité du sujet fait à la fois écho à la propre vision du monde de Redon et aux difficultés
de Bresdin, qui vit dans la misère et n’arrive plus à créer, à tel point qu’il écrit à son disciple en août 1877 « je suis dans
une panne atroce ». C’est ce douloureux mutisme qu’Odilon Redon figure ici. Un an après la mort de son maître et ami, il
réutilisera son portrait de 1865 dans la lithographie intitulée À la vieillesse tirée de l’album La Nuit paru en 1886.
Les Noirs, une production singulière
Exclu du Salon, Odilon Redon expose ses Noirs pour la première fois en 1881 dans les locaux de la revue La Vie Moderne.
L’exposition déroute la plupart des visiteurs et le seul vraiment enthousiaste est Joris-Karl Huysmans (1848-1907) qui
déclare : « C’est le cauchemar dans l’art. » En effet, sur les feuilles de Redon croît un monde merveilleux et inquiétant à la
fois, souvent peuplé de créatures fantastiques évoluant dans des paysages sauvages. Le traitement de la lumière
accentue souvent l’étrangeté des scènes représentées. Dans Le prisonnier, c’est elle qui modèle le personnage, à la
manière de Rembrandt. Comme son illustre prédécesseur, Redon parvient à transcender la réalité par un emploi fabuleux
du clair-obscur.
Très éloigné d’un art officiel, choquant la plupart de ses contemporains, Odilon Redon participe pourtant au
renouvellement de la pratique du fusain en France à la fin du XIXe siècle, dont le statut est, selon ses propres termes,
« mal vu des artistes, et négligé ». Ici, la gravité du sujet est admirablement servie par le fusain. L’artiste parle de cette
matière comme d’une « poudre volatile, impalpable, fugitive sous la main », moyen le plus adapté à ses recherches, « et
du clair-obscur et de l’invisible ».
Artiste atypique, loin des académistes, Redon est un proche des symbolistes tels qu’Edouard Vuillard (1868-1940), Pierre
Bonnard (1867-1947) ou encore Maurice Denis (1870-1943), et collabore avec les impressionnistes, bien que selon lui ces
derniers n’accordent que trop peu d’importance à l’expression des sentiments intérieurs dans leurs œuvres.
Musée des beaux-arts de Nantes / Service des Publics / Zoé PRIEUR / Février 2014
L’artiste en quelques dates
20 avril 1840 : Naissance à Bordeaux. Enfance solitaire dans la propriété familiale de Peyrelebade, en Gironde.
1857 : Rencontre le botaniste Armand Clavaud qui travaille sur les liens possibles entre vie végétale et animale. Il l’initie
aux théories de Darwin, au bouddhisme, à la poésie hindoue et à la littérature ancienne et contemporaine (Baudelaire,
Flaubert, Poe…)
1865 : Apprentissage chez le graveur et lithographe Rodolphe
Bresdin, à Bordeaux, qui a une influence essentielle sur l’art de
Redon. Il l’initie à la gravure et à la lithographie.
1870 : Participe à la guerre franco-prussienne en tant que
simple soldat. Après la guerre, dont il garde un souvenir très
sombre, il s’installe à Paris. Il retourne tous les étés à
Peyrelebade. Début de ses Noirs.
Années 1880 : Apogée des Noirs. Début d’une reconnaissance
de ses pairs.
1889 : Naissance d’Ari, son second fils. Changement,
apaisement dans ses représentations. Passage progressif au
pastel et à la couleur, jusqu’à l’abandon complet des Noirs
durant l’été 1902.
6 juillet 1916 : Mort d’Odilon Redon à Paris. Il est inhumé au
cimetière de Bièvres.
1879 – 1899 : une production prolifique d’albums
1879 : Dans le Rêve
1882 : À Edgar Poe
1883 : Les Origines
1885 : Hommage à Goya
1886 : La Nuit
1888/ 1889/ 1896 : trois séries de la Tentation de SaintAntoine
1889 : À Gustave Flaubert
1890 : Les Fleurs du Mal
1891 : Songes, dédié à Armand Clavaud
1899 : L’Apocalypse de Saint Jean
1900 – 1911 : de grands décors
1900 – 1901 : Décoration de la salle à manger du château
de son ami Robert de Domecy à Sermizelles, dans
l’Yonne.
1902 : Décoration du boudoir de l’appartement parisien
de la veuve d’Ernest Chausson.
1908 : Commande de cartons de tapisserie pour la
manufacture des Gobelins.
1910 – 1911 : Dernier grand décor, Le Jour et La Nuit,
pour la bibliothèque de l’abbaye de Fontfroide, dans
l’Aude.
Bonus
Citations
« Vers 1875, tout m’arriva sous le crayon, sous le fusain, cette poudre volatile, impalpable, fugitive sous la main. Et c’est
alors que ce moyen, parce qu’il m’exprimait le mieux, me resta. Cette manière quelconque, qui n’a aucune beauté en soi,
facilitait bien mes recherches du clair-obscur et de l’invisible. C’est une matière mal vue des artistes, et négligée. Que je le
dise pourtant, le fusain ne permet pas d’être plaisant, il est grave. On ne peut tirer bon pari de lui qu’avec le sentiment
même. Tout ce qui ne suggère rien à l’esprit ne vaut rien qui vaille avec le charbon. Il est sur la lisière de quelque chose de
désagréable, de laid. » (Odilon Redon, Lettre à Edmond Picard, Bruxelles, août 1894)
« J’ai fait un art selon moi. Je l’ai fait avec les yeux ouverts sur les merveilles du monde visible, et, quoi qu’on ait pu en
dire, avec le souci constant d’obéir aux lois du naturel et de la vie.
Je l’ai fait aussi avec l’amour de quelques maîtres qui m’ont induit au culte de la beauté. » (Odilon Redon, À soi-même,
1913)
« Le noir est la couleur la plus essentielle…il faut la respecter. Rien ne le prostitue. Il ne plait pas aux yeux et n’éveille
aucune sensualité. Il est agent de l’esprit bien plus que la belle couleur de la palette et du prisme.
Ces étranges litho, souvent sombres, abstruses et dont l’aspect est peu séducteur, s’adressent à des esprits de silence et
même ayant encore en eux les ressources si rares de l’ingénuité naturelle. » (Odilon Redon, À soi-même, 1913)
Musée des beaux-arts de Nantes / Service des Publics / Zoé PRIEUR / Février 2014
Pour aller plus loin
• Œuvres
Odilon Redon, Portrait de Rodolphe Bresdin, vers 1865, crayon noir et estompe sur papier, 31 x 24,2 cm, Paris, musée du
Louvre, département des Arts graphiques.
Odilon Redon, Le liseur ou vieillard barbu assis, après 1885, crayon gras avec traits à la pointe, reprises à la mine de
plomb et estompe sur papier préparé, Paris, musée du Louvre, département des Arts graphiques.
Rembrandt van Rijn (1606 – 1669), Pieter Haaringh le Jeune, premier état, 1655, pointe sèche et burin, Paris, BNF,
département des estampes.
Odilon Redon, Portrait de Rodolphe Bresdin, vers
1865, crayon noir et estompe sur papier, 31 x
24,2 cm, Paris, musée du Louvre, département
des Arts graphiques.
Odilon Redon, Le liseur ou vieillard barbu assis, après
1885, crayon gras avec traits à la pointe, reprises à la
mine de plomb et estompe sur papier préparé, Paris,
musée du Louvre, département des Arts graphiques.
© Musée du Louvre / M. Beck-Coppola
Rembrandt van Rijn (1606 – 1669), Pieter
Haaringh le Jeune, premier état, 1655, pointe
sèche et burin, Paris, BNF, département des
estampes.
© BNF, Paris
• A voir
Depuis le 2 février et jusqu’au 18 mai 2014, une exposition consacrée à Odilon Redon se tient à la Fondation Beyeler de
Bâle.
• Bibliographie
- Catalogue d’exposition, Odilon Redon, peintre des rêves, Galeries nationales, Grand Palais, Paris, Edition de la Réunion
des Musées Nationaux, 2011.
- Catalogue d’exposition, Trésors cachés : dessins et estampes du XIXe siècle, cabinet d'arts graphiques du musée des
Beaux-arts de Nantes, Musée des Beaux-arts de Nantes, 2012.
- Catalogue d’exposition, L'action restreinte : l'art moderne selon Mallarmé, Musée des Beaux-arts de Nantes, 2005.
- Catalogue d’exposition, Cyrille Sciama, Rodolphe Bresdin, fantastique et onirique, Musée des Beaux-arts de Nantes,
2007.
• Sitographie
http://www.grandpalais.fr/fr/article/exposition-odilon-redon-prince-du-reve
http://www.grandpalais.fr/fr/article/odilon-redon-2
http://www.grandpalais.fr/fr/article/odilon-redon-dossier-pedagogique
http://www.grandpalais.fr/sites/default/files/field_press_file/dp_odilon_redon_prince_du_reve.pdf
http://www.musee-orsay.fr/fr/collections/autour-de-redon.html
http://www.fondationbeyeler.ch/fr/expositions/odilon-redon/introduction
Musée des beaux-arts de Nantes / Service des Publics / Zoé PRIEUR / Février 2014

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