Un discours ! Un discours - Département d`information et de
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La clarté dans les discours politiques Un discours ! Un discours ! par Nathalie Damiot Dans l’ombre des politiciens, ils rédigent. Leur mot d’ordre : clarté et simplicité. Leurs outils : les mots. Leur mission : informer et convaincre la population. Comment travaillent ceux dont la plume peut parfois influencer le cours de la politique ? Voici un résumé des règles de l’art. détenteur des mots du pouvoir, peut se coincer les doigts. Lancez le mot « politique » autour d’une table, et tout le monde ou presque y ira de son commentaire. Dans le coin gauche, désabusés, les citoyens accusent : la politique est l’art de discourir pour ne rien dire. Les lieux communs pleuvent. Les politiciens trompent les électeurs. Leurs discours sont hermétiques. Leurs mots trichent. Mais attention ! Rédiger un discours dans un langage compréhensible relève de l’art rédactionnel. Il ne s’agit pas de recourir à un vocabulaire populaire ; il ne faut pas non plus trop simplifier les textes, ni infantiliser la population. Écrire clairement et simplement, c’est transmettre un message qui sera compris et retenu par la majorité. Dans le coin droit, dévoués, les rédacteurs récusent : la rédaction politique est un véritable exercice, une sorte de parcours du combattant de l’écriture. La mission risquée mais non impossible : amener les auditeurs à accepter ce qu’on leur annonce, sans leur déplaire et en les émouvant. Toujours à la recherche du mot juste, de la tournure exacte, le rédacteur a fort à faire. Entre langue de bois et langage administratif Sans vraiment être un genre littéraire en soi, le discours politique est une sorte d’écriture qui a ses propres règles et qui jouit de ses lettres de noblesse, puisqu’il est une des voix de l’expression démocratique. Cependant, entre la langue de bois et le langage administratif persiste une paroi d’originalité assez étroite dans laquelle le rédacteur, 6 Un constat s’impose alors d’emblée : le défi du rédacteur est de taille, d’autant qu’un mauvais discours peut nuire à une bonne politique. Sa tâche consiste donc à exprimer la pensée du politicien, sans la dénaturer, dans une langue qui parlera à l’auditoire. « Un mauvais discours peut nuire à une bonne politique. » Entre paroles et écrits Lire un discours, c’est d’abord parler à haute voix. C’est ce qui fait dire à Denis Dion, conseiller en communication au ministère de l’Éducation du Québec, « qu’il y a un monde entre écrire un texte et le dire ». À ses yeux, le premier devoir du rédacteur est de s’en souvenir. Son talent sert le politicien. Aussi, pour éviter que le message ne soit confus, le rédacteur écrit en limitant le plus possible les suites de sons semblables, les mots étrangers, les formules difficiles à articuler. Prononcer un discours, c’est aussi s’adresser à un public. Jean-François Lisée, ancien conseiller au Parti québécois, chercheur invité au Département de science politique de l’Université de Montréal, souligne que le Rédiger. Le magazine de la rédaction professionnelle no 5, 2002 rédacteur doit connaître les intérêts particuliers de l’auditoire et ajuster le contenu du discours en conséquence. Il importe, précise-t-il, de produire le bon type d’allocution. Par exemple, on ne s’adresse pas de la même manière au peuple ou à des hauts fonctionnaires. Leurs réalités sont différentes. Pour les gagner à sa cause, il est essentiel que le politicien s’adapte à la situation. Comment ? En présentant les idées, le ton, les termes, de façon à soulever un minimum de critiques et susciter un maximum d’approbation. Denis Dion abonde dans le même sens. « Livrer un discours, c’est un peu comme donner un spectacle ». On veut surprendre le public, le faire rire, le provoquer, l’étonner. Ce n’est pas tout de faire appel au jugement et à l’intelligence des auditeurs, encore faut-il y mettre du sentiment. Car il est vrai que « le geste politique répond à des valeurs proches de l’émotion », reconnaît Jean-François Lisée. Et pour tempérer le jeu entre le politicien et son public, les médias s’élèvent. Derrière la machine politique, leur spectre rôde. Comme les discours sont aujourd’hui publiés, cela signifie qu’ils seront non seulement entendus, mais aussi lus. Les rédacteurs le savent et ils se méfient. Pour éviter que le politicien ne se fasse prendre en défaut, le rédacteur veille : il prévoit la réaction de l’éditorialiste, du citoyen, du groupe de pression ou de l’opposition. Dans cette optique, il livre des phrases courtes et directes. Il bannit tout ce qui peut alimenter la critique. Il se garde de jouer sur l’émotion quand elle n’a pas sa place. Pour ne froisser personne – l’image, toujours l’image – il utilise un langage « politiquement correct ». Trouver l’équilibre « Devant tant de contraintes, le rédacteur s’interdit par dessus tout le pêle-mêle, pire ennemi de la clarté, et prévient la confusion, 7 pire ennemie de l’orateur », rappelle Denis Dion. Pour cela, l’auteur habile dispose d’outils. Le principal, la langue. Il la maîtrise. Sans verser dans la langue de bois – mais estelle réellement inévitable ? – ni dans le langage administratif, le rédacteur doit trouver le bon style, le bon niveau de langue. Le procédé suppose des phrases simples, courtes, rythmées, des mots percutants, précis, sans faille. Au Québec, aux prises avec une politique linguistique stricte, le rédacteur doit également éviter les anglicismes. Et pour garder le public attentif, il bannit autant que possible le langage spécialisé. « Le rédacteur évite par dessus tout le pêle -mêle, pire ennemi de la clarté, et prévient la confusion, pire ennemie de l’orateur. » À leur tour, les figures de style revêtent une importance capitale : métaphores et comparaisons aident les auditeurs à comprendre et à retenir les messages. Elles sont d’ailleurs indispensables pour compenser le côté rébarbatif des chiffres. La recette : plus un texte comporte de nombres, plus l’appel aux émotions est fondamental. Le politicien qui veut convaincre les citoyens de la nécessité d’augmenter les impôts, par exemple, n’aura d’autre choix que de recourir à l’émotion s’il ne veut pas s’attirer les foudres des électeurs. Exploitant d’une part toute la richesse de la langue, le rédacteur doit d’autre part se fier à son savoir-faire. Lorsqu’il rédige, il sait que l’auditeur est en général plus attentif au début de l’exposé, mais qu’il mémorise surtout la fin du message. C’est pourquoi l’artisan de la plume intègre souvent, dès l’introduction, l’essentiel du message et le slogan, la « petite formule » – comme on l’appelle dans le jargon politique. Il utilise des relances et des images récurrentes dans le développement. Du reste, la conclusion requiert une attention toute particulière. Elle récapitule l’essentiel du message, souligne les points majeurs de Rédiger. Le magazine de la rédaction professionnelle no 5, 2002 l’allocution et finit généralement sur une note positive. Compliquée la rédaction d’un discours ? Denis Dion s’empresse de répondre. « C’est une question de ton, de dosage et de bon sens ! » Équilibristes, voilà un beau défi ! 8 Rédiger. Le magazine de la rédaction professionnelle no 5, 2002