Dōjō Zen de Garches - Groupe Zen Garches
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Dōjō Zen de Garches - Groupe Zen Garches
– Dōjō Zen de Garches – – Gōdō : Luc Sōjō Bordes Mondo 15 septembre 2013 C’est une question que je voulais te poser en privé, mais comme tu dis, ça peut servir tout le monde : j’ai un ami proche, moine zen, qui pratique depuis assez longtemps et d’une façon importante, qui est en phase de découragement et de doute. Et donc, il m’a posé la question : « Est-ce que Luc a eu des périodes de doute ?», voilà ! Donc je voulais te la poser parce c’est un sujet qu’on n’a jamais abordé. Le doute fait partie de n’importe quelle voie spirituelle. Je dirais presque que c’est un passage obligé. Puisque la pratique consiste à laisser tomber les illusions, à nous éveiller du rêve justement. Ce faisant, nous entrons en contact avec la dimension infinie de notre existence, avec Bouddha. Mais, ça ne se fait pas du jour au lendemain, et on a pu souvent observer, chez moi d’ailleurs et je l’ai souvent vu autour de moi, que c’est un peu comme traverser un gué. À un moment, on se retrouve au milieu du gué. Il n’y a pas moyen de revenir en arrière et l’on n’est pas encore passé de l’autre coté. À ce moment-là, le doute s’élève. Est-ce que je n’ai pas fait fausse route ? Est-ce que je pratique bien ? Est-ce que c’est la voie qu’il fallait que je suive ? Etc. Parfois, cela peut prendre des proportions très puissantes. Et dans ce cas-là, il est important de ne pas rester seul, d’en parler à son maître si on en a un, ou à un ancien, ou à un enseignant, quelqu’un qui justement a traversé cette période-là. Même les moines chrétiens parlent de doute, qui est souvent embusqué, même après des années de pratique. Le doute peut se réveiller, mais avec beaucoup moins d’acuité qu’au début. Le moine dont tu parles pratique beaucoup ? Oui Il a un maître ? Oui, tout à fait. Alors il faut qu’il s’en ouvre à son maître. Ça fait partie de l’histoire. La voie spirituelle n’est pas un long fleuve tranquille. Il y a des moments de doute, des moments de refus, des moments d’interrogation. Mais ça ne veut pas dire que ces moments sont une régression. Au contraire. D’accord ? D’accord, merci. -----------------------------------------Depuis que je viens, j’ai rencontré un petit problème à un moment donné : pendant la méditation, j’ai des nausées, des envies de vomir. Au début c’était en méditation, jamais autrement, je rentre bien, je sors bien. Et j’avais ce petit phénomène qui commençait un peu à m’incommoder on va dire, qui me perturbait, et plus je luttais et pire c’était. Je me suis posé des tas de questions. J’ai essayé de voir pourquoi, comment. Rien n’y faisait. Plus ça allait, pire c’était. Et puis un jour, je me suis dit : « Arrête de lutter. Tant pis, il se passera ce qu’il se passera ». Et en fait, je n’ai pas contrôlé, j’ai laissé faire et j’ai été jusqu’au vomissement. Bon, la première fois…et ça s’est encore reproduit une autre fois encore. J’essayais de contrôler, c’était de pire en pire, j’ai dit : « Bon, laisse encore… » Et j’y suis encore retournée… Tu veux dire dans le dojo ? Oui. J’ai dit : « Tant pis, de toute façon au point où j’en suis, je lâche. » C’était soit arrêter le zazen, (c’est vrai, la question s’était posée parce c’était vraiment gênant), et j’ai dit soit j’arrête, soit…Je n’ai pas voulu arrêter zazen, et quand, la dernière fois, je n’ai plus voulu contrôler, dès l’instant où vraiment j’ai lâché, ça s’est arrêté. Ça ne s’est pas reproduit depuis. Je me suis dit : « Bon, ça va revenir ». Et en fait, ça s’est complètement arrêté. Oui, chez toi, le lâcher-prise a pris cette forme là. Pour d’autres personnes, ça peut prendre une autre forme, ça peut être une douleur dans l’épaule, dans les genoux, ça peut être des ruminations mentales qui reviennent tout le temps et qu’on n’arrive pas à contrôler. C’est ce je disais dans le premier kusen. Ce lâcher-prise est fondamental. C’est vraiment abandonner. Et à ce moment là, on ouvre les mains. Et là les choses sont en ordre. On s’ouvre à l’esprit vaste. C’est vrai qu’en essayant de contrôler, j’ai l’impression que…c’était gênant pour moi si vous voulez. Plus je contrôlais, pire c’était. Oui. C’est ça. C’est valable pour tout. Par exemple quand on n’arrive pas à dormir, on veut absolument dormir. C’est justement en s’acharnant que ça ne marche pas. C’est pareil avec la peur : on finit par avoir peur d’avoir peur. Etc. Je ne m’attendais à ce que ça puisse provoquer ce genre de phénomène. À ce point. J’étais loin de me douter que c’était ça. D’autre part, depuis le temps que tu viens, je vois que maintenant tu as pris une chaise, où tu es bien mieux dans la posture. Mais avant tu n’étais pas du tout dans la posture. Non, mais c’est un effet de la chaise aussi. Oui. C’est pour ça que j’ai cru à un moment donné que c’était la posture. J’ai souvent cherché la cause. J’ai cru que c’était la posture parce que j’étais un petit peu mal assise et puis en fait.. En tout cas, ça ne te le fait plus là. Non, ça s’est arrêté d’un seul coup. J’ai cherché des réponses et puis en fait… Ça s’est du rêve, c’est de l’illusion. Quelque chose a lâché. Ne cherche pas à analyser. C’est bien comme ça. Tu as sauté un obstacle. C’est positif, c’est de la souffrance, mais elle est positive, un drôle de désagrément surtout… C’est comme le doute, c’est un obstacle à sauter, mais on ne sait pas comment s’y prendre parce que l’ego, par essence, ne peut pas lâcher prise, « ça » lâche prise. Souvent c’est le corps, il faut écouter le corps. Les nausées, c’est tout à fait parlant. D’accord ? Merci ! ---------------------------------------------------------J’ai deux questions, par rapport aux deux questions précédentes : C’est contraignant de faire zazen, surtout au début, la position à maintenir, et le corps invente des stratagèmes pour essayer de s’échapper… Tout à fait ! Est-ce que les vomissements ne sont pas un stratagème pour sortir de la position qui est inconfortable ? C’est bien possible. Même encore maintenant, après près de 30 ans de pratique, il y a des moments où, surtout si je pratique seul, j’ai envie de me mettre dans une posture beaucoup plus cool. Et puis en fait je me rends compte que non, ce n’est pas zazen. Zazen, c’est zazen et ce que nous avons à faire c’est nous hisser au niveau de zazen, pas adapter le zazen à nous. Il y a dix mille façons de fuir pendant zazen : se réfugier dans le sommeil ou dans les rêves. Je me souviens, comme j’aime beaucoup la musique, parfois il m’arrivait dans les deux premières années où je pratiquais zazen, de me passer des disques entiers dans la tête, morceau après morceau, je les connaissais par cœur ! C’était ma façon de fuir. Ça peut être des vomissements, des nausées, ça peut être dormir, ça peut être tout bloquer. Mais quand on lâche prise, il n’y a pas de recette miracle, ça « se » fait. À ce moment-là, zazen fait zazen. Il n’y a plus moi et zazen. Et quand zazen fait zazen, on ne sait pas si on est tendu ou relâché, ou ceci ou cela, on « est » simplement, du verbe être. Ma deuxième question par rapport à la toute première question, c’est une question de débutant : le postulant disciple, comment trouve-t-il son maître ? Est-ce qu’il va voir quelqu’un et lui demande s’il veut être son maître, ou bien est-ce c’est quelqu’un qui vient trouver le disciple en disant, je serais ton maître ? Comment ça naît ? Comment ça se crée ? Ça n’est pas une question de débutant, c’est une question importante. Il y a des gens qui pratiquent depuis vingt ans et qui n’ont pas de maître. Il y a plusieurs cas de figure. Si je prends mon petit exemple - et aussi ce que j’ai pu voir chez d’autres godos, ce sont des personnes qui se déclarent comme disciple. Ce n’est pas le maître qui va dire : « Toi tu es mon disciple ». Ce sont les personnes qui vont se déclarer comme des personnes qui choisissent un guide. Et là, c’est aussi au maître d’être clairvoyant, de sentir que ce n’est pas un coup de tête, un coup de foudre etc. Même si ce n’est pas à exclure. C’est à lui de bien sentir ça. C’est bien d’expérimenter aussi plusieurs enseignants et de voir quel est celui qui nous fait le plus toucher la Voie. Ce n’est pas forcément une question de ses qualités personnelles d’enseignant. C’est l’interaction entre les deux qui est importante. I shin den shin disait maître Deshimaru. Et puis il y a un deuxième cas de figure : ce sont des gens qui n’osent pas vraiment faire le pas, de dire les choses, mais qui suivent quelqu’un. Cela reste informel. Je pense qu’au bout d’un moment, c’est bien de se déclarer, cela facilite les échanges entre maître et disciple. Parce que si on ne s’est pas déclaré comme disciple, le jour où le maître a quelque chose à nous redire ou autre, on dit « Oh ! Qu’est-ce que tu as toi ? Je ne suis pas ton disciple, tu n’as rien à redire ». Se déclarer disciple d’un enseignant c’est vraiment abandonner son ego. Mais ça implique de la confiance en lui. C’est une synergie. Et en tout cas c’est le disciple qui se déclare. Le maître ne peut pas se bombarder maître de quelqu’un, ça ne marche pas comme ça.