Décès et accompagnement des proches
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Décès et accompagnement des proches
d o s si e r Le décès à l’hôpital témoignage Décès et accompagnement des proches ❚ Se préoccuper de l’entourage et des familles est un élément indispensable de l’accompagnement de la fin de vie ❚ Au sein de l’Unité de soins palliatifs (USP) à Puteaux, l’équipe soignante a tenté de réfléchir aux démarches de soins nécessaires pour améliorer les pratiques dans ce domaine. onsieur N. est arrivé dans notre unité de M soins palliatifs, un matin, transféré d’un MOTS CLÉS • Accompagnement des familles • Décès • Entretien • Équipe soigante • Fin de vie ❚ C’est à partir de l’expérience relatée plus haut et à l’occasion d’un mémoire de DU Deuil à l’Université du Kremlin-Bicêtre que nous avons entrepris des démarches en ce sens. Les paroles de familles apparaissant entre guillemets sont extraites de ce travail de recherche. Ce mémoire, fondé sur des entretiens semi-directifs réalisés auprès de proches de patients décédés, tente de repérer ce qui a été une aide pour eux durant la prise en charge, ou ce qui ne l’a pas été. AVANT LE DÉCÈS LA PRÉPARATION À L’ANNONCE DE LA MORT ❚ Le choc lié à l’annonce du décès est d’autant plus important que la préparation des proches à cet événement est insuffisant. L’annonce de l’aggravation et de l’imminence du décès doit précéder celle de la mort. Celle-ci peut alors se faire dans un climat plus serein et éviter les effets de surprise. L’entourage prend ensuite les dispositions souhaitées ou possibles : être présent, SOiNS - n° 721 - décembre 2007 © 2011 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. - Document téléchargé le 06/09/2011 par ROBERT MORGANE (151559) ▲ hôpital voisin. Sa femme et son fils portent sa valise et suivent les brancardiers. Dès l’accueil, lorsque nous nous penchons sur lui afin de le saluer, nous nous rendons compte tout de suite qu’il est dans un état comateux. L’observation clinique confirme que son état correspond à une phase agonique. Le médecin propose à l’épouse et au fils de ce patient un entretien en présence de l’infirmière. La conversation s’engage par une présentation succincte du service. Puis nous échangeons sur la situation. Le médecin leur fait part de notre inquiétude. Son état précaire peut certes s’améliorer transitoirement mais nous craignons fortement la survenue du décès dans les heures qui suivent. Nous lui demandons si, avant cette période difficile, Mme N. a pu parler avec lui de ses désirs face aux derniers jours de vie, à sa mort. A-t-il exprimé des choix particuliers ? A-til une préférence dans le choix de vêtements, la désignation d’un lieu ? Est-il croyant ? D’autres membres de la famille sont-ils susceptibles de venir ? Nous leur conseillons ensuite de rester auprès de lui, en leur expliquant que même inconscient il perçoit vraisemblablement leur présence et leur chagrin. Moins de deux heures après son arrivée, le patient décède, ce qui génère dans l’équipe un sentiment de frustration et de ressentiment. Pourquoi l’aggravation de l’état de santé du malade n’a-t-elle pas été évaluée par l’équipe qui avait en charge le patient ? Cette aggravation ne justifiait-elle pas l’annulation de son transfert ? Face à ce constat, le médecin s’adresse à l’épouse au moment du départ du corps, quelques heures plus tard : « Nous sommes désolé que le transfert de votre mari chez nous se soit fait si peu de temps avant sa mort. Il aurait sans doute été préférable pour lui et pour vous de ne pas être bousculés dans vos repères en ces moments difficiles ». À notre grande surprise, celleci nous répond : « Vous n’avez pas à vous excuser. Nous avons reçu, mon mari, mon fils et moi-même, une attention, une aide plus importantes en quelques heures que nous n’en avions eu auparavant pendant les six semaines d’hospitalisation. Je suis soulagée d’être ici pour vivre ces moments. Je me sens entourée, soutenue. J’ai moins peur ». ❚ Cet épisode, ainsi que d’autres, nous a fait prendre conscience de l’importance des pratiques spécifiques mises en œuvre pour accompagner les familles durant la phase directement liée à la mort d’un proche. L’accompagnement est d’ailleurs explicitement intégré dans la définition des soins palliatifs fixée par la loi de juin 19991. ISABELLE BONNEFOND BERNARD DEVALOIS NOTES 1. Loi n°99-477 du 9 juin 1999 visant à garantir le droit à l’accès aux soins palliatifs parue au JO du 10 juin 1999 49 d o s si e r le décès à l’hôpital • Bacqué M.F., Deuil et santé, Odile Jacob, 1997 • Faure C., Vivre le deuil au jour le jour, Albin Michel, 2004 • Hanus M., Bacqué M.F., Le deuil, Que saisje ? Puf, 2000 • Hanus M., Dechaux J.H., Jesu F., sous la direction de, Les familles face à la mort, L’esprit du temps, 1998 • Marin I., L’agonie ne sert à rien, Esprit, vol. 6 ; 243 : 27-36 • Pillot J., L’après découle de l’avant, Études sur la mort, 1999, vol. 116 : 99110 • Richard M.S., Soigner la relation en fin de vie, Dunod, 2004 venir de loin, etc. « La veille au soir, je lui ai chanté une chanson, il réagissait. Il était réceptif donc il n’était pas dans un vrai coma. » ❚ À la disposition de l’équipe soignante, nous avons inclus dans le dossier de soins une fiche spécifique qui précise systématiquement qui prévenir et dans quel créneau horaire, en cas d’aggravation pré-mortem et en cas de décès. Nous vérifions systématiquement que ces données sont bien renseignées et mises à jour dès qu’un décès est imminent, afin que rien ne soit laissé au hasard. ▲ RÉFÉRENCES ❚ La date, les participants et l’ensemble des éléments recueillis lors de cet entretien sont reportés dans le dossier du service afin d’éviter qu’une information ne se perde et ne doive être à nouveau recueillie. ❚ À la fin de l’entretien, une notice explicative reprenant tous les éléments abordés est remise à la famille. Lorsque les principales démarches ont pu être anticipées, l’effet de surprise est amoindrie, la prise de décision finale est facilitée. « Par chance, on en avait parlé ensemble. (silence) Je savais ce qu’il y avait à faire. Je n’avais pas besoin de débattre avec qui que ce soit de ce que je faisais. » L’ANTICIPATION DES PROCÉDURES ❚ Un entretien avec un médecin et/ou une infirmière est réalisé avant le décès avec les proches GESTION DES HEURES QUI SUIVENT LA MORT afin d’expliquer ce qui se passera après celui-ci. LE MAINTIEN DU CORPS DANS SA CHAMBRE Les membres de l’équipe proposent aux familles AVANT TRANSFERT d’aborder ces questions délicates. Si la famille ❚ Il est possible de maintenir le corps dans sa accepte le principe (dans l’immense majorité des chambre dans un délai de dix heures avant le cas, elle accepte volontiers car c’est pour elle un transfert obligatoire vers un milieu réfrigéré. vrai soulagement que Cela permet une préd’obtenir des réponses L’accompagnement réalisé durant sentation du corps aux questions intérioridans un endroit sées), l’entretien est la phase ultime de la maladie devenu familier (la alors conduit dans un chambre où le patient lieu adapté, en pre- de la personne décédée aura permis a vécu ses derniers nant le temps nécesjours). Après la toisaire (20 à 30 minutes des échanges d’une grande richesse lette mortuaire, la en général). famille peut donc, si ❚ La question de la toilette mortuaire est imman- elle le souhaite, se recueillir auprès du corps, quablement abordée lors de cet entretien. Il est dans une chambre réaménagée à cet effet. Le signalé qu’elle peut se faire en présence et/ou transfert vers la chambre mortuaire (de l’étaavec l’aide d’un proche (ce qui doit être indiqué blissement) ou la chambre funéraire (privée dans le dossier). Cette toilette et la présentation choisie par la famille) peut ensuite avoir lieu du corps qui la suit est fondatrice du processus de dans les délais prescrits. deuil pour le proche mais aussi pour les soignants « C’est très bien le fait de ne pas l’avoir embarqué. C’est symbolique. Il était chez lui dans cette chambre, qui ont accompagné cette personne. ❚ D’autres points sont également abordés lors de avec ses tableaux, ses sculptures. Nous accorder du temps dans ce lieu nous a permis de nous dire au cet entretien : revoir. » • la question de l’habillement du défunt, • le recueil des souhaits religieux et/ou rituels du patient (l’assurance est donnée qu’ils seront res- L’ACCUEIL DES PROCHES pectés), ❚ Quand l’entourage du défunt arrive dans le ser• le respect du délai prescrit pour la conservation vice, son accueil doit faire l’objet d’une attendu corps avant son transfert en milieu réfrigéré, tion toute particulière. Il faut impérativement • le choix du transfert dans la chambre mortuaire éviter que la famille découvre dans sa chambre de l’établissement ou vers une chambre funéraire le patient décédé sans y être accompagnée. privée (funérarium), les implications financières Aussi, nous disposons une affiche sur la porte de de cette décision, la chambre, invitant les visiteurs à se rendre • la question du mode de transfert en cas de des- d’abord au poste de soins. tination éloignée, ❚ Ce temps de la découverte du corps du défunt • les questions sur les formalités d’état civil, sur le demande un accompagnement pour éviter, choix d’un organisme de Pompes funèbres. comme cela s’est produit dans l’exemple ci- 50 © 2011 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. - Document téléchargé le 06/09/2011 par ROBERT MORGANE (151559) SOiNS - n° 721 - décembre 2007 d o s si e r Décès et accompagnement des proches après, une incompréhension voire une peine inutile. « Cela s’est mal passé au début. On m’avait appelée pour me dire qu’il était au plus mal. Je suis arrivée par l’ascenseur en face de la chambre, et suis rentrée tout de suite. Il venait de mourir. Donc l’équipe faisait les soins. Un soignant m’a empêchée de le voir. Je me suis sentie repoussée. C’est mon mari.... (silence) ... J’ai demandé s’il était mort. On ne m’a pas vraiment répondu. Cela m’a choquée. (silence) Après, on m’a laissée avec lui. J’ai eu peur de le toucher. J’étais seule. Je ne voulais pas qu’on soit avec moi. Après, vous l’avez habillé. C’est vrai que c’était mieux, plus supportable. Je ne suis pas restée auprès de lui. J’ai demandé à ce que l’on mette le drap sur ses mains car elles bleuissaient. » « Les enfants ne l’ont pas vu, ils étaient présents lorsqu’on a fêté Noël avec lui, dans sa chambre. » « Par contre, ce que je n’aurai jamais dû faire, c’est le voir dans le sac. C’est la dernière image que j’ai gardée, la vision de mon mari avec la fermeture éclair du sac plastique. » ❚ Le fait que cette femme ait rencontré une difficulté confirme l’importance d’une écoute et d’une attention spécifique lors de ce temps particulier. Nous avons pu en reparler avec elle ensuite et l’aider à gérer ses émotions et les événements suivants. Cet échec nous a aidé à améliorer notre pratique soignante pour les prises en charge ultérieures. © J. Legars/Elsevier Masson SAS Le mot est de préférence remis directement à la famille, le cas échéant envoyé par voie postale. ❚ La possibilité de mettre en place des programmes de suivi de deuil serait intéressante. PROCÉDURES QUI DOIVENT ÊTRE CONNUES DE TOUS LES SOIGNANTS Malheureusement, nous n’en n’avons pas la possibilité, même si nous en avons vraiment le souhait. L’accompagnement réalisé durant la phase ultime de la maladie de la personne décédée aura permis des échanges d’une grande richesse. ❚ L’ensemble des procédures doit être connue de tous les membres de l’équipe pour gérer le deve- CONCLUSION DES nir du corps du défunt. Chaque situation doit être envisagée afin de ne pas laisser place aux hésitations ni aux doutes sur l’ensemble des démarches à accomplir. Des mises au point régulières sont indispensables afin que chacun garde le même niveau de connaissance de ce qui doit être fait, le même éveil, la même attention hors de toute routine. LA GESTION DU DEUIL ❚ La rédaction d’une lettre de condoléances est, dans notre pratique, un élément important pour l’accompagnement des endeuillés. Nous la réalisons systématiquement de manière manuscrite. Le médecin qui rédige les certificats de décès en est chargé au nom de toute l’équipe. Il n’existe pas de protocole uniforme qu’il conviendrait d’appliquer à la lettre pour mieux accompagner les familles lors du décès d’un patient. Il convient que chaque équipe définisse donc, en fonction de sa pratique, ce qui est souhaitable et possible, comment mettre en place les procédures garantes d’un accompagnement “réussi”. Une évaluation régulière doit permettre de repérer les dérives à réajuster ou les améliorations à apporter. Avant tout, ne faut-il pas faire abstraction de notre propre conception des choses pour mieux ajuster nos actes dans le respect de la psychologie et de l’éthique du défunt et de ses proches ? ■ SOiNS - n° 721 - décembre 2007 © 2011 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. - Document téléchargé le 06/09/2011 par ROBERT MORGANE (151559) LES AUTEURS Isabelle Bonnefond IDE, USP Hôpital Puteaux (92), Bernard Devalois, médecin, USP Hôpital Puteaux (92), [email protected] 51