Décès et accompagnement des proches

Transcription

Décès et accompagnement des proches
d o s si e r
Le décès à l’hôpital
témoignage
Décès et accompagnement
des proches
❚ Se préoccuper de l’entourage et des familles est un élément indispensable
de l’accompagnement de la fin de vie ❚ Au sein de l’Unité de soins palliatifs (USP)
à Puteaux, l’équipe soignante a tenté de réfléchir aux démarches de soins nécessaires
pour améliorer les pratiques dans ce domaine.
onsieur N. est arrivé dans notre unité de
M soins palliatifs, un matin, transféré d’un
MOTS CLÉS
• Accompagnement
des familles
• Décès
• Entretien
• Équipe soigante
• Fin de vie
❚ C’est à partir de l’expérience relatée plus haut
et à l’occasion d’un mémoire de DU Deuil à
l’Université du Kremlin-Bicêtre que nous avons
entrepris des démarches en ce sens. Les paroles
de familles apparaissant entre guillemets sont
extraites de ce travail de recherche. Ce mémoire,
fondé sur des entretiens semi-directifs réalisés
auprès de proches de patients décédés, tente de
repérer ce qui a été une aide pour eux durant la
prise en charge, ou ce qui ne l’a pas été.
AVANT LE DÉCÈS
LA PRÉPARATION À L’ANNONCE DE LA MORT
❚ Le choc lié à l’annonce du décès est d’autant
plus important que la préparation des proches à
cet événement est insuffisant. L’annonce de l’aggravation et de l’imminence du décès doit précéder celle de la mort. Celle-ci peut alors se faire
dans un climat plus serein et éviter les effets de
surprise. L’entourage prend ensuite les dispositions souhaitées ou possibles : être présent,
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hôpital voisin. Sa femme et son fils portent sa
valise et suivent les brancardiers. Dès l’accueil,
lorsque nous nous penchons sur lui afin de le
saluer, nous nous rendons compte tout de suite
qu’il est dans un état comateux. L’observation clinique confirme que son état correspond à une
phase agonique. Le médecin propose à l’épouse
et au fils de ce patient un entretien en présence
de l’infirmière. La conversation s’engage par une
présentation succincte du service. Puis nous
échangeons sur la situation. Le médecin leur fait
part de notre inquiétude. Son état précaire peut
certes s’améliorer transitoirement mais nous craignons fortement la survenue du décès dans les
heures qui suivent. Nous lui demandons si, avant
cette période difficile, Mme N. a pu parler avec
lui de ses désirs face aux derniers jours de vie, à
sa mort. A-t-il exprimé des choix particuliers ? A-til une préférence dans le choix de vêtements, la
désignation d’un lieu ? Est-il croyant ? D’autres
membres de la famille sont-ils susceptibles de
venir ? Nous leur conseillons ensuite de rester
auprès de lui, en leur expliquant que même
inconscient il perçoit vraisemblablement leur présence et leur chagrin. Moins de deux heures après
son arrivée, le patient décède, ce qui génère dans
l’équipe un sentiment de frustration et de ressentiment. Pourquoi l’aggravation de l’état de santé
du malade n’a-t-elle pas été évaluée par l’équipe
qui avait en charge le patient ? Cette aggravation
ne justifiait-elle pas l’annulation de son transfert ?
Face à ce constat, le médecin s’adresse à l’épouse
au moment du départ du corps, quelques heures
plus tard : « Nous sommes désolé que le transfert de
votre mari chez nous se soit fait si peu de temps avant sa
mort. Il aurait sans doute été préférable pour lui et pour
vous de ne pas être bousculés dans vos repères en ces
moments difficiles ». À notre grande surprise, celleci nous répond : « Vous n’avez pas à vous excuser.
Nous avons reçu, mon mari, mon fils et moi-même, une
attention, une aide plus importantes en quelques heures
que nous n’en avions eu auparavant pendant les six
semaines d’hospitalisation. Je suis soulagée d’être ici pour
vivre ces moments. Je me sens entourée, soutenue. J’ai
moins peur ».
❚ Cet épisode, ainsi que d’autres, nous a fait
prendre conscience de l’importance des pratiques spécifiques mises en œuvre pour accompagner les familles durant la phase directement liée
à la mort d’un proche. L’accompagnement est
d’ailleurs explicitement intégré dans la définition
des soins palliatifs fixée par la loi de juin 19991.
ISABELLE BONNEFOND
BERNARD DEVALOIS
NOTES
1. Loi n°99-477 du 9 juin
1999 visant à garantir
le droit à l’accès aux
soins palliatifs parue au
JO du 10 juin 1999
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le décès à l’hôpital
• Bacqué M.F., Deuil et
santé, Odile Jacob, 1997
• Faure C., Vivre le deuil
au jour le jour, Albin
Michel, 2004
• Hanus M., Bacqué
M.F., Le deuil, Que saisje ? Puf, 2000
• Hanus M., Dechaux
J.H., Jesu F., sous la
direction de, Les familles
face à la mort, L’esprit du
temps, 1998
• Marin I., L’agonie ne
sert à rien, Esprit, vol. 6 ;
243 : 27-36
• Pillot J., L’après découle
de l’avant, Études sur la
mort, 1999, vol. 116 : 99110
• Richard M.S., Soigner
la relation en fin de vie,
Dunod, 2004
venir de loin, etc. « La veille au soir, je lui ai
chanté une chanson, il réagissait. Il était réceptif donc il
n’était pas dans un vrai coma. »
❚ À la disposition de l’équipe soignante, nous
avons inclus dans le dossier de soins une fiche spécifique qui précise systématiquement qui prévenir
et dans quel créneau horaire, en cas d’aggravation pré-mortem et en cas de décès. Nous vérifions systématiquement que ces données sont
bien renseignées et mises à jour dès qu’un décès
est imminent, afin que rien ne soit laissé au
hasard.
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RÉFÉRENCES
❚ La date, les participants et l’ensemble des éléments recueillis lors de cet entretien sont reportés
dans le dossier du service afin d’éviter qu’une
information ne se perde et ne doive être à nouveau recueillie.
❚ À la fin de l’entretien, une notice explicative
reprenant tous les éléments abordés est remise à
la famille. Lorsque les principales démarches ont
pu être anticipées, l’effet de surprise est amoindrie, la prise de décision finale est facilitée. « Par
chance, on en avait parlé ensemble. (silence) Je savais ce
qu’il y avait à faire. Je n’avais pas besoin de débattre
avec qui que ce soit de ce que je faisais. »
L’ANTICIPATION DES PROCÉDURES
❚ Un entretien avec un médecin et/ou une infirmière est réalisé avant le décès avec les proches
GESTION DES HEURES QUI SUIVENT LA MORT
afin d’expliquer ce qui se passera après celui-ci. LE MAINTIEN DU CORPS DANS SA CHAMBRE
Les membres de l’équipe proposent aux familles AVANT TRANSFERT
d’aborder ces questions délicates. Si la famille ❚ Il est possible de maintenir le corps dans sa
accepte le principe (dans l’immense majorité des chambre dans un délai de dix heures avant le
cas, elle accepte volontiers car c’est pour elle un transfert obligatoire vers un milieu réfrigéré.
vrai soulagement que
Cela permet une préd’obtenir des réponses L’accompagnement réalisé durant
sentation du corps
aux questions intérioridans un endroit
sées), l’entretien est la phase ultime de la maladie
devenu familier (la
alors conduit dans un
chambre où le patient
lieu adapté, en pre- de la personne décédée aura permis a vécu ses derniers
nant le temps nécesjours). Après la toisaire (20 à 30 minutes des échanges d’une grande richesse lette mortuaire, la
en général).
famille peut donc, si
❚ La question de la toilette mortuaire est imman- elle le souhaite, se recueillir auprès du corps,
quablement abordée lors de cet entretien. Il est dans une chambre réaménagée à cet effet. Le
signalé qu’elle peut se faire en présence et/ou transfert vers la chambre mortuaire (de l’étaavec l’aide d’un proche (ce qui doit être indiqué blissement) ou la chambre funéraire (privée
dans le dossier). Cette toilette et la présentation choisie par la famille) peut ensuite avoir lieu
du corps qui la suit est fondatrice du processus de dans les délais prescrits.
deuil pour le proche mais aussi pour les soignants « C’est très bien le fait de ne pas l’avoir embarqué.
C’est symbolique. Il était chez lui dans cette chambre,
qui ont accompagné cette personne.
❚ D’autres points sont également abordés lors de avec ses tableaux, ses sculptures. Nous accorder du
temps dans ce lieu nous a permis de nous dire au
cet entretien :
revoir. »
• la question de l’habillement du défunt,
• le recueil des souhaits religieux et/ou rituels du
patient (l’assurance est donnée qu’ils seront res- L’ACCUEIL DES PROCHES
pectés),
❚ Quand l’entourage du défunt arrive dans le ser• le respect du délai prescrit pour la conservation vice, son accueil doit faire l’objet d’une attendu corps avant son transfert en milieu réfrigéré, tion toute particulière. Il faut impérativement
• le choix du transfert dans la chambre mortuaire éviter que la famille découvre dans sa chambre
de l’établissement ou vers une chambre funéraire le patient décédé sans y être accompagnée.
privée (funérarium), les implications financières Aussi, nous disposons une affiche sur la porte de
de cette décision,
la chambre, invitant les visiteurs à se rendre
• la question du mode de transfert en cas de des- d’abord au poste de soins.
tination éloignée,
❚ Ce temps de la découverte du corps du défunt
• les questions sur les formalités d’état civil, sur le demande un accompagnement pour éviter,
choix d’un organisme de Pompes funèbres.
comme cela s’est produit dans l’exemple ci-
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Décès et accompagnement des proches
après, une incompréhension voire une peine
inutile.
« Cela s’est mal passé au début. On m’avait
appelée pour me dire qu’il était au plus mal.
Je suis arrivée par l’ascenseur en face de la
chambre, et suis rentrée tout de suite. Il venait
de mourir. Donc l’équipe faisait les soins. Un
soignant m’a empêchée de le voir. Je me suis
sentie repoussée. C’est mon mari.... (silence) ...
J’ai demandé s’il était mort. On ne m’a pas
vraiment
répondu.
Cela
m’a
choquée. (silence) Après, on m’a laissée
avec lui. J’ai eu peur de le toucher.
J’étais seule. Je ne voulais pas qu’on
soit avec moi. Après, vous l’avez habillé.
C’est vrai que c’était mieux, plus supportable. Je ne suis pas restée auprès de lui. J’ai demandé
à ce que l’on mette le drap sur ses mains car elles
bleuissaient. »
« Les enfants ne l’ont pas vu, ils étaient présents lorsqu’on a fêté Noël avec lui, dans sa chambre. »
« Par contre, ce que je n’aurai jamais dû faire, c’est le
voir dans le sac. C’est la dernière image que j’ai gardée, la vision de mon mari avec la fermeture éclair du
sac plastique. »
❚ Le fait que cette femme ait rencontré une difficulté confirme l’importance d’une écoute et
d’une attention spécifique lors de ce temps particulier. Nous avons pu en reparler avec elle
ensuite et l’aider à gérer ses émotions et les événements suivants. Cet échec nous a aidé à améliorer notre pratique soignante pour les prises
en charge ultérieures.
© J. Legars/Elsevier Masson SAS
Le mot est de préférence remis directement à la
famille, le cas échéant envoyé par voie postale.
❚ La possibilité de mettre en place des programmes de suivi de deuil serait intéressante.
PROCÉDURES QUI DOIVENT ÊTRE
CONNUES DE TOUS LES SOIGNANTS
Malheureusement, nous n’en n’avons pas la possibilité, même si nous en avons vraiment le souhait. L’accompagnement réalisé durant la phase
ultime de la maladie de la personne décédée
aura permis des échanges d’une grande
richesse.
❚ L’ensemble des procédures doit être connue de
tous les membres de l’équipe pour gérer le deve-
CONCLUSION
DES
nir du corps du défunt. Chaque situation doit
être envisagée afin de ne pas laisser place aux
hésitations ni aux doutes sur l’ensemble des
démarches à accomplir. Des mises au point
régulières sont indispensables afin que chacun
garde le même niveau de connaissance de ce
qui doit être fait, le même éveil, la même attention hors de toute routine.
LA
GESTION DU DEUIL
❚ La rédaction d’une lettre de condoléances est,
dans notre pratique, un élément important
pour l’accompagnement des endeuillés. Nous la
réalisons systématiquement de manière manuscrite. Le médecin qui rédige les certificats de
décès en est chargé au nom de toute l’équipe.
Il n’existe pas de protocole uniforme qu’il
conviendrait d’appliquer à la lettre pour mieux
accompagner les familles lors du décès d’un
patient. Il convient que chaque équipe définisse donc, en fonction de sa pratique, ce qui
est souhaitable et possible, comment mettre en
place les procédures garantes d’un accompagnement “réussi”. Une évaluation régulière doit
permettre de repérer les dérives à réajuster ou
les améliorations à apporter.
Avant tout, ne faut-il pas faire abstraction de
notre propre conception des choses pour
mieux ajuster nos actes dans le respect de la
psychologie et de l’éthique du défunt et de ses
proches ? ■
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LES AUTEURS
Isabelle Bonnefond
IDE, USP Hôpital
Puteaux (92),
Bernard Devalois,
médecin, USP Hôpital
Puteaux (92),
[email protected]
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