les genres journalistiques
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GUIDE DU JOURNALISTE PROFESSIONNEL LES GENRES JOURNALISTIQUES LES CLES DE L’INFORMATION PROFESSIONNELLE Dr. Abdelouahhab ERRAMI Publications de l’Organisation islamique pour l’Education, les Sciences et la Culture -ISESCO1438 H/ 2016 Dépôt légal : 2016MO2564 ISBN : 978-9981-26-627-8 Photocomposition, montage et impression : ISESCO Rabat - Royaume du Maroc SOMMAIRE Préface ............................................................................................................ 7 Introduction .................................................................................................. 9 CHAPITRE I : Les genres journalistiques : cadre référentiel, classification, différences, caractéristiques principales, compétences, aspects de mise en forme ....................... 13 I. Cadre référentiel des genres journalistiques ................................. 15 1. Les genres journalistiques, pourquoi ?.................................................. 15 2. Les genres journalistiques : questions référentielles ........................... 16 II. Classification des genres journalistiques (par opposition aux genres non journalistiques et aux formats journalistiques) ............ 1. Classification des genres journalistiques .............................................. 2. Genres non journalistiques et formats journalistiques ...................... a. Les genres non journalistiques ........................................................ b. Les formats journalistiques ................................................................ III. Principales différences entre les genres journalistiques ............ 1. Caractéristiques dominantes des genres journalistiques ..................... 2. Les différences essentielles entre les genres d’information et les genres d’opinion .................................................................................… 3. Les différences essentielles entre les genres d’information .................. 4. Les différences essentielles entre les genres d’opinion ........................... 5. Les genres journalistiques et l’exploitation des sources ......................... 18 18 22 22 23 25 25 26 27 28 29 IV. Genres journalistiques et aptitudes professionnelles requises ....... 31 V. Aspects formels de certains genres journalistiques ....................... 32 CHAPITRE II : Groupe des genres d’information : Rapporter les évènements ...................................................................... 35 1. La brève .................................................................................................... 37 5 2. Le filet ....................................................................................................... 3. L’article d’information ............................................................................ 4. Le montage .............................................................................................. 5. La mouture ............................................................................................... 6. Le résumé de rapport .............................................................................. 7. Le compte rendu ..................................................................................... 8. L’écho ....................................................................................................... 38 40 42 43 44 45 48 CHAPITRE III : Groupe des genres majeurs : Expliquer les évènements et les phénomènes ............................ 49 1. L’interview ............................................................................................... 2. Le reportage journalistique .................................................................... 3. L’enquête journalistique ......................................................................... 4. Le portrait ................................................................................................ 51 62 68 75 CHAPITRE IV : Groupe des genres d’opinion : Commenter les évènements et les phénomènes ............................... 81 1. Le billet ..................................................................................................... 2. La critique ................................................................................................. 3. L’éditorial ................................................................................................. 4. La chronique ............................................................................................ 5. L’article d’analyse .................................................................................... 83 85 88 91 94 Conclusion .................................................................................................... 99 Bibliographie ................................................................................................ 103 6 Préface A la lumière des résultats de l’évaluation des activités réalisées, depuis 2005, par l’Organisation islamique pour l’Education, les Sciences et la Culture (ISESCO) visant le renforcement des capacités professionnelles et techniques des ressources humaines dans les domaines de l’information et de la communication, l’ISESCO s’est attelée à répondre aux besoins des pays membres en matière de formation technique et professionnelle de ses ressources humaines, afin de leur permettre de relever de manière efficace et interactive, les défis imposés par le développement des technologies de l’information et de la communication. Partant de ses responsabilités en tant que coordinatrice de l’action islamique commune dans ses champs de compétence, y compris celui de l’information et de la communication; considérant la nécessité de produire un document de référence à même d’aider à la mise à niveau de la presse écrite, en général, et des genres journalistiques en particulier; poursuivant ses efforts visant à appuyer les établissements de formation et de perfectionnement et les institutions de communication de masse dans les pays membres, afin de les doter des compétences techniques leur permettant de former des spécialistes de la presse écrite pour accompagner les développements que connaît ce secteur, l’ISESCO a élaboré ce guide professionnel dédié aux genres journalistiques, et ce en réponse à une demande longtemps exprimée par les journalistes dans les Etats membres ayant bénéficié de sessions de formation, organisées par l’ISESCO dans ses centres régionaux de formation et de production audio-visuelle et multimédia à Khartoum, Damas et Téhéran. L’élaboration et la publication de ce guide visent, en premier lieu, à combler le déficit dont souffre notre bibliothèque médiatique en termes de manuels professionnels qui visent à présenter les aspects pratiques et les outils du travail journalistique, et à doter les professionnels d’une « culture de pratique journalistique ». Le présent guide comporte deux parties. La première donne une présentation générale des genres journalistiques, en spécifiant la place de chacun de ces genres dans le système journalistique et mettant en exergue leurs caractéristiques dominantes, leurs points de convergence et de divergence, ainsi que les compétences qu’ils requièrent. Cette première partie fait également état des repères qui permettent de percevoir, de manière globale, l’éventail des genres journalistiques. La deuxième partie présente les caractéristiques des principaux genres journalistiques ainsi que les règles qui les régissent. Elle expose également « les critères de qualité » auxquelles le journaliste peut se référer pour évaluer les outils utilisés dans son travail. 7 L’ISESCO tient à saluer l’effort remarquable fourni par l’expert Dr. Abdelouahhab ERRAMI pour la réalisation du présent ouvrage, et forme l’espoir que les journalistes et les étudiants des instituts de journalisme dans les Etats membres ainsi que les chercheurs et les professionnels de la presse écrite en tireront profit. Puisse Allah guider nos pas sur le droit chemin. Dr Abdulaziz Othman Altwaijri Directeur général de l’Organisation islamique pour l’Education, les Sciences et la Culture (ISESCO) 8 Introduction Un journaliste ne peut prétendre au professionnalisme s’il ne maîtrise pas les genres journalistiques qui constituent la base même de son travail quotidien. Ces genres sont les moules où est coulée la matière journalistique selon qu’elle soit purement informative ou porteuse d’une opinion. Les genres journalistiques imposent leurs règles spécifiques au journaliste, tout en lui offrant les outils adéquats lui permettant de traiter chaque cas avec la forme et l’exigence technique nécessaires. Les genres journalistiques servent à orienter le produit médiatique soit vers une simple relation de faits ou le dévoilement de la vérité. Par ailleurs, ces genres spécifient les méthodes de travail, précisent les rapports du journaliste avec ses sources, déterminent la manière d’évoluer sur le terrain et référent aux modes de traitement, en donnant des orientations sur la nature du discours, les choix stylistiques, la titraille, etc. L’approche (qualitative et quantitative) des genres journalistiques permet de déterminer la ligne éditoriale des médias, en raison de la relation dialectique entre ces genres et les politiques éditoriales. Partant, on constate que la presse d’information adopte, généralement, « les genres informationnels » dans une grande proportion; tandis que la presse d’opinion adopte principalement « les genres d’opinion ». La presse d’investigation, quant à elle, utilise « les genres majeurs », notamment l’enquête journalistique. La presse magazine et les « soft news » penchent pour les articles « colorés », tels les reportages, les portraits et les articles marqués par la personnalité de l’auteur, telles que la chronique ou la tribune permanente, etc. On peut également trouver des journaux dont la ligne éditoriale est basée exclusivement sur l’un des genres journalistiques, tels le reportage, l’enquête ou l’analyse. Le journaliste accompli est celui qui est à l’aise dans tous les genres journalistiques, même si cela n’exclut pas la spécialisation dans un genre ou dans un autre. Partant, il est difficile pour un journaliste de prétendre au professionnalisme s’il n’est pas en mesure d’intégrer, dans sa globalité, « la carte des genres journalistiques» que le présent guide met entre les mains des journalistes praticiens qui aspirent à parfaire leur formation technique et professionnelle, ainsi que des étudiants et professeurs des institutions de formation des journalistes, désireux d’étayer les cours par des références pratiques. Ce guide vient répondre à une demande que n’ont pas cessé d’exprimer les journalistes dont j’ai eu le privilège, en tant qu’expert dans le développement des 9 compétences journalistiques, d’assurer la formation au Maroc et ailleurs au cours des deux dernières décennies. Par conséquent, il vient combler le manque qui existe dans la bibliothèque arabe en guides professionnels qui visent, au-delà de donner des outils de travail, à apporter aux professionnels une référence nouvelle qui consacre la « culture de la pratique journalistique ». Le présent manuel se présente en deux parties : 1. Une partie synthétique (chapitre I) dans laquelle l’auteur adopte une démarche comparative en présentant les genres journalistiques dans leur relation dialectique, en plaçant chacun d’entre eux à la place qui lui convient sur « la carte des genres » et en mettant en exergue – se basant sur leurs fonctions respectives – leurs points de convergence et leurs points de divergence, ainsi que leurs caractéristiques principales et les compétences qu’ils requièrent. Pour éviter d’alourdir le présent guide et pour maintenir sa vocation pratique, nous avons préféré présenter les principales caractéristiques qui permettent d’assimiler, de manière globale, la « carte des genres journalistiques ». Par ailleurs, nous avons eu recours, surtout dans la partie synthétique, à des tableaux qui permettent au lecteur d’appréhender, de manière générale, les concepts présentés. 2. Une partie détaillée qui présente, d’abord, un à un, les genres journalistiques et leurs principales caractéristiques, en expliquant les règles qui les fondent, le domaine qui les intègre et les spécificités qui font de chacun d’entre eux un genre à part entière. On définira ensuite les « normes de qualité » auxquelles le journaliste peut se référer pour évaluer professionnellement ses outils de travail. Dans le présent guide, les genres ont été répartis selon la classification qui distingue les genres majeurs en tant que groupe indépendant des genres d’information et d’opinion. Le but de cette approche est de faciliter l’utilisation de l’ouvrage et mettre en relief l’harmonie fonctionnelle des genres. On remarquera une légère différence dans la manière avec laquelle sont présentés les genres journalistiques dans la partie détaillée (chapitres II, III et IV), et ce en fonction des spécificités de chaque genre. En effet, il était nécessaire que le présent guide s’y adapte en tenant compte des critères qui fondent chaque genre en particulier. Ce qui, en définitive, a imposé cette différence entre les volumes consacrés à chaque genre (cela est particulièrement vrai pour les genres majeurs dont la partie qui leur a été dédiée est relativement plus longue que les autres). 10 Le présent guide n’a pas intégré les genres interactifs et d’expression (courrier des lecteurs, lettre ouverte, tribune libre, opinion, etc.), parce qu’il s’agit de genres produits par les lecteurs ou écrits par des personnes étrangères à l’équipe de la rédaction, même si le secrétariat de la rédaction se charge d’en assurer l’habillage avant de les présenter aux lecteurs. Le guide a également fait l’impasse sur d’autres genres journalistiques tels la caricature, la table ronde, la revue de presse et la photo de presse du fait de leurs spécificités ou de leurs exigences techniques, ce qui les éloigne du cadre de la rédaction journalistique. Le présent ouvrage se compose de quatre chapitres qui se déclinent comme suit : - « les genres journalistiques » : le cadre référentiel, la classification, les différences, les caractéristiques principales et les compétences (Chapitre I). - « le système des genres informatifs » (Chapitre II). - « le système des genres majeurs » (Chapitre III). - « le système des genres d’opinion » (Chapitre IV). Ces chapitres ont été conçus de manière à aborder globalement les genres journalistiques à travers une lecture linéaire du présent guide. Par ailleurs, cela permet aux journalistes d’aborder ces genres de manière sélective à chaque fois qu’ils passent à la pratique. Nous espérons que le présent guide contribuera à développer les aptitudes professionnelles des journalistes du monde arabe et à promouvoir une professionnalisation devenue indispensable dans un monde où la concurrence médiatique est de plus en plus rude. L’auteur Dr Abdelouahab ERRAMI Expert en développement des capacités journalistiques 11 CHAPITRE I LES GENRES JOURNALISTIQUES Cadre référentiel, classification, différences, caractéristiques principales, compétences, aspects de mise en forme I. Cadre référentiel des genres journalistiques 1. Les genres journalistiques, pourquoi ? La maîtrise des genres journalistiques - tant en théorie qu’en pratique - constitue, pour tout journaliste, la base du professionnalisme. En effet, il n’existe aucune forme d’article de presse en dehors des genres universellement reconnus et utilisés par les journalistes sous toutes les latitudes, suivant les mêmes normes et les mêmes règles à respecter. Les genres journalistiques revêtent une importance primordiale dans le travail de la presse parce qu’ils : - répondent, ensemble, aux exigences d’informer, d’éduquer, de cultiver et de distraire, fonctions dévolues à la presse en général ; - assurent la diversité et la complémentarité dans la communication avec le public que l’on fait accéder à l’information (on parle alors de consistance) ; - traçent une ligne de démarcation entre l’information et l’opinion, afin de rester loin de toute idéologie et éviter la subjectivité dans les sujets abordés ; - déterminent une démarche pour le travail journalistique, étant donné que le genre journalistique détermine la méthode de recherche de données, les rapports avec les sources, la structure, la rédaction, la présentation (habillage) de l’article et sa valorisation visuelle ; - permettent une évaluation du coût de la prestation journalistique, coût qui peut être élevé quand il s’agit de genres qui requièrent un travail de terrain (reportage, enquête approfondie) ; - établissent un contrat avec le lecteur selon des normes dont celui-ci connaît les finalités et les limites. En effet, les genres journalistiques structurent les attentes des lecteurs dans la mesure où ils permettent à ceux qui sont intéressés par l’information d’aller directement vers les genres informatifs, tandis que d’autres seront plus attirés par les genres majeurs. Il est d’ailleurs possible d’établir, au sein même de ces genres, des rapports plus affinés avec les lecteurs. Ainsi, le journaliste est-il tenu, suivant les spécificités du genre journalistique qu’il adopte, de travailler de manière à répondre aux attentes des lecteurs. Chaque genre impose ses propres règles que le journaliste est tenu de respecter. Citons quelques exemples : • écrire selon une perspective personnelle (le billet, par exemple) ou collective (l’éditorial, par exemple) ; 15 • s’adapter au degré de crédibilité requis (élevé dans le cas de la chronique en comparaison avec le billet, par exemple) ; • Maintenir un certain niveau d’encadrement vis-à-vis du lecteur (exprimer un point de vue officiel dans le cas de l’éditorial, par exemple) ; • s’adapter au degré d’objectivité attendu par le lecteur (élevé dans le cas des genres informatifs, de l’enquête et de l’article d’analyse) ; • s’attacher à la rigueur de la structure ou faire preuve d’inventivité quand il s’agit de certains genres (avec des différences plus ou moins importantes entre les genres informatifs, majeurs et d’opinion). 2. Les genres journalistiques : questions référentielles Il y a un certain nombre de questions essentielles liées aux genres journalistiques dont les principales sont : a. Le genre journalistique est-il une question de forme ou de fond ? Si on considère le genre comme étant un moule dans lequel on coule la matière journalistique, il s’agirait alors essentiellement d’une question de forme (le genre tiendra lieu de contenant). Cependant, cette forme requiert une approche donnée, tant au niveau de la conception et du travail sur le terrain qu’au bureau (desk), de telle manière à ce que le genre puisse structurer le contenu qu’il est censé mouler. Aussi, plus le journaliste maîtrise le genre sur lequel il travaille, plus il maîtrise le contenu qu’il présente au lecteur. b. Quel rapport existe-t-il entre genre journalistique et ligne éditoriale ? L’utilisation des genres journalistiques est étroitement liée à la ligne éditoriale. La ligne éditoriale peut opter pour un groupe de genres donné (information, opinion, genres majeures) ou se spécialiser dans un seul genre (enquête, reportage, analyse). Une ligne éditoriale peut également être déterminée à travers l’examen de la répartition des genres dans un même organe de presse, à travers l’évaluation des genres surexploités, des genres exploités de manière optimale, des genres sous-exploités et des genres écartés ; ce qui permet de définir l’identité éditoriale de tel ou tel organe de presse. c. Comment les facteurs liés à l’économie, la concurrence, l’organisation, la hiérarchie et la prise de décision au sein d’un journal influent-ils sur les genres journalistiques ? Certains genres journalistiques, telle l’enquête approfondie, engendrent un coût financier plus élevé par rapport aux autres. Dans la même veine, une forte concurrence entre les organes de presse pousse obligatoirement à la diversification 16 des genres. Cependant, l’organisation du travail au sein des institutions de presse permet une meilleure maîtrise de la rentabilité des genres utilisés. L’existence de sections (desk) de reportage ou d’enquêtes au sein des rédactions permet de régler la cadence dont ces sections utilisent les genres. Il devient alors possible de préparer, au préalable, les équipes et les sujets de manière proactive pour réussir l’exploitation des genres et atteindre les objectifs journalistiques escomptés. Plus les rédacteurs en chef maîtrisent la culture des genres journalistiques, plus ils seront capables d’intégrer efficacement les attentes des lecteurs dans les décisions de l’équipe de rédaction. d. Quel est le niveau de rigueur applicable aux règles de chaque genre ? Chaque genre journalistique se fonde sur des règles qui lui sont propres, indépendamment des caractéristiques qu’il partage avec les autres genres. Chaque genre se reconnaît à travers des spécificités qui lui confèrent son identité propre. C’est pour cette raison que les règles qui structurent chaque genre sont rigoureuses. A ce titre, il convient de préciser que la nature de ces règles changent, globalement, d’un groupe de genres à un autre, de la même façon que change sa mécanicité et la marge de créativité journalistique. En effet, cette marge devient plus large selon que l’on choisisse des genres informatifs ou d’opinion ou encore des genres majeurs. e. Comment déterminer le genre journalistique qui s’adapte le mieux à l’évènement ou au sujet ? A chaque évènement ou phénomène correspond un genre approprié à travers lequel le journaliste peut aborder son sujet de la meilleure manière possible. Il va sans dire que ce sont les besoins en matière d’information journalistique (besoins de rapporter les évènements ou les phénomènes, de les expliquer ou de les commenter) qui déterminent le choix d’un genre plutôt qu’un autre, d’un genre avant ou après un autre, ou d’un genre en combinaison avec un ou plusieurs autres (cas du dossier de presse par exemple). En effet, la capacité de savoir « quand utiliser le genre journalistique approprié » constitue un atout principal de la rédaction en chef car il permet le bon usage des genres dans un cadre professionnel. 17 II. Classification des genres journalistiques (par opposition aux genres non journalistiques et aux formats journalistiques) 1.Classification des genres journalistiques L’on peut distinguer entre différentes classifications connues de tous les théoriciens de la presse : a. Classification générale (basée sur la dichotomie information/opinion) : Cette classification a le mérite d’être claire en cela qu’elle divise les genres journalistiques en deux catégories distinctes : les genres informationnels et les genres d’opinion comme le montre le tableau suivant : Classification sur la base de la dichotomie « information/opinion » Genres d’information Genres d’information 1. La brève 2. Le filet 3. L’article d’information 4. Le montage 5. La mouture 6. Le compte rendu 7. Le résumé de rapport 8. L’écho 9. Le portrait 10. L’interview 11. Le reportage journalistique 12. L’enquête journalistique 18 1. Le billet 2. La critique 3. L’éditorial 4. La chronique 5. L’article d’analyse b. Classification fonctionnelle : (basée sur les fonctions des genres journalistiques) : Cette classification suppose que le journaliste agit soit pour relater les évènements, soit pour les expliquer, soit pour les commenter. Elle suppose également qu’il existe des genres interactifs à travers lesquels l’organe de presse accorde au public un espace, en son sein, pour exprimer directement son point de vue sur les évènements et les phénomènes (voir tableau ci-dessous) : Classification des genres journalistiques selon leurs fonctions essentielles : Genres pour rapporter les évènements 1. La brève 2. Le filet 3. L’article d’information 4. Le montage 5 la mouture 6. Le résumé de Rapport 7. Le compte rendu 8 L’écho Genres pour expliquer les évènements 1. L’interview (*) 2. Le reportage (**) 3. L’enquête 4. L’article d’analyse 5. Le portrait Genres pour commenter les évènements 1. La brève 2. Le filet 3. L’article d’information 4. Le montage 5. la mouture 6. Le résumé de Rapport 7. Le compte rendu 8. L’écho Genres interactifs (genres d’expression non journalistiques, traités au niveau du secrétariat de la rédaction) 1. L’interview (*) 2. Le reportage (**) 3. L’enquête 4. L’article d’analyse 5. Le portrait (*) L’interview peut également faire partie des genres qui rapportent l’évènement dans le cas où elle relate des informations nouvelles. (**) Le reportage peut également faire partie des genres d’information lorsqu’il rapporte des évènements à chaud. 19 c. Classification où « les genres majeurs » sont mis dans une catégorie à part : Cette classification découle du fait que ces genres que sont l’interview, le reportage et l’enquête requièrent des aptitudes professionnelles particulières (voir tableau suivant) : Classification qui distingue les genres majeurs : Genres journalistiques 1. La brève 2. Le filet 3. L’article d’information 4. Le montage 5. La mouture 6. Le compte rendu 7. Le résumé de rapport 8. L’écho 9. Le portrait Genres d’opinion Genres majeurs 1. Le billet 1. L’interview de 2. La critique presse 3. L’éditorial 2. Le reportage 4. La chronique journalistique 5. L’article d’analyse 3. L’enquête journalistique d. Classification des genres journalistiques selon leur appartenance au « journalisme assis » ou au « journalisme debout » : Certains genres journalistiques requièrent impérativement le déplacement sur le terrain, d’où leur appartenance à la catégorie dite du « journalisme debout », tandis que d’autres genres peuvent être utilisés par le journaliste sans sortir de son bureau, d’où leur appartenance à la catégorie dite du « journalisme assis ». Cependant, on ne peut tracer une ligne de démarcation nette entre ces deux catégories du fait qu’ils sont complémentaires et répondent à des besoins d’information différents. Il est par ailleurs utile de noter que les genres du « journalisme assis » sont bien plus nombreux que ceux du « journalisme debout » (16 contre 6 comme le montre le tableau suivant). Ceci étant précisé, les genres du journalisme de terrain ne supplantent en aucun cas le journalisme de desk qui reste une composante indispensable au sein d’un organe de presse. 20 Genres du « journalisme assis » et du « journalisme debout » : Genres du « journalisme assis » (de bureau) Genres du « journalisme debout » (de terrain) 1. La brève 2. Le filet 3. L’article d’information 4. Le montage 5. La mouture 6. Le résumé de rapport 7. L’article d’analyse 8. L’éditorial 9. Le billet 10. La chronique 11. La critique (*) 12. La caricature 13. Le courrier des lecteurs (**) 14. La lettre ouverte (**) 15. La tribune libre (**) 16. La libre opinion (**) 1. Le compte redu 2. L’écho 3. L’interview de presse (*) 4. Le reportage 5. L’enquête journalistique 6. Le portrait (*) (*) Certains genres peuvent appartenir à la fois au « journalisme assis » et au « journalisme debout », tels la critique (déplacement pour voir une pièce de théâtre ou la présentation d’un livre), l’interview ou le portrait. (**) Ces productions sont faites à l’extérieur du journal, c’est pourquoi elles sont classées dans la catégorie du « journalisme assis ». 21 e. Autres classifications : Il existe d’autres classifications qui mettent « le billet », par exemple, dans la catégorie des « genres de fantaisie ». Nous ne tiendrons pas compte de cette classification ici car nous estimons que le journalisme ne doit pas être fantaisiste, même s’il peut, par ailleurs, recourir à des genres journalistiques qui - pour une finalité journalistique fonctionnelle - adoptent des figures de style comme la narration, la description, la métaphore ou l’allusion. Certains classent la caricature dans la catégorie des genres d’opinion, ce qui ne manque d’ailleurs pas de pertinence. Il existe également d’autres classifications qui relèvent du domaine des recherches académiques dont nous ne traiterons pas ici, car elles s’éloignent de la vocation pratique que nous escomptons donner au présent guide. 2. Genres non journalistiques et formats journalistiques : Il est à noter que le journal comporte – aux cotés des genres journalistiques cités plus haut – des « genres non journalistiques » qui répondent à des besoins de distraction, de publicité, de commercialisation, de promotion et de services. La matière de ces genres est publiée sous différents formats journalistiques, tant en ce qui concerne la structure, la répartition et la mise en page. Dans les deux tableaux suivants, nous donnons la liste des genres non journalistiques (a) et celle des formats journalistiques (b) pour éviter toute confusion entre ces deux derniers avec les genres journalistiques qui font l’objet du présent guide. a. Les genres non journalistiques : Liste des principaux genres non journalistiques : Dans le domaine de la distraction : • Jeux (mots fléchés, mots croisés, jeu des sept erreurs, sodoku, test des connaissances, la blague du jour) ; • Entretien avec une personne donnée (entretien libre ne s’embarrassant pas des règles professionnelles de l’interview) ; • Ecrits humoristiques ; • Coulisses du sport et de l’art, potins, rumeurs ; • Bandes dessinées, photographies avec bulles, etc. Dans le domaine de la publicité, de la commercialisation et de la promotion : • Petites annonces classées ; • Annonces de naissances, décès et de mariages ; • Offres d’emploi ; 22 • publicité commerciale ; • Annonces financières (avis financiers, informations sur les institutions économiques) ; • Annonces institutionnelles ; • Annonces judiciaires ; (ventes judiciaires, jugements des tribunaux) • Auto-publicité des organes de presse ; • Annonces gratuites à caractère social au profit des associations à but non lucratif ; Dans le domaine des services : • Cuisine, jardinage, consommation, vie intime, santé, voyages, travaux d’entretien à domicile et bricolage ; • Annonces à des publics spécifiques : coupure d’électricité, ouverture d’agences bancaires ; • Agenda de la semaine : spectacles, programmes de télévision, loisirs, conférences ; • Courrier des lecteurs ; • Conseils pratiques de la vie quotidienne ; • Météo ; • Cours de change et bourse ; • Résultats des compétitions sportives ; • Horoscope. b. Les formats journalistiques : Liste des principaux formats journalistiques • La brève • L’article • Le dossier • Le cahier spécial (inclut l’information et la publicité liée au sujet traité) • Le châpeau • L’ours • Le sommaire • L’encadré 23 • La mise en rivière • La couverture • La une •La dernière •La page des lecteurs •La page éditoriale •Les rubriques •Le grand format (34,93 X 54,61) •Le tabloïd •Le berlinois •Les annexes •Les séries •La photo légendée 24 III. Principales différences entre les genres journalistiques : 1. Caractéristiques dominantes des genres journalistiques : Les genres journalistiques ont chacun des fonctions, des mécanismes de fonctionnement et des caractéristiques spécifiques qui peuvent prédominer dans certains genres, se réduire ou disparaitre dans d’autres. Le tableau suivant fait ressortir les différences qui existent entre les genres journalistiques selon leurs caractéristiques dominantes. Il est à noter que certains genres se répètent dans le tableau car ils correspondent aux caractéristiques évoquées : Caractéristiques dominantes des genres journalistiques Genres journalistiques où prédominent ces caractéristiques Information • Les genres informationnels Usage des moyens de sensibilisation • Le portrait • Le reportage Usage de la logique et de la persuasion • L’article d’analyse • L’enquête journalistique • L’éditorial • La chronique Analyse menant à une conclusion • L’article d’analyse • L’enquête journalistique Usage de la stylistique pour agir sur le lecteur • Le billet • Le coup de gueule (*) • Le reportage • Le portrait • La chronique • La critique Usage d’une stratégie pour obtenir une information ou un point de vue • L’interview • L’enquête Genres journalistiques qui se terminent par • L’article d’analyse une conclusion • L’enquête Genres journalistiques dont la conclusion est importante (genres d’opinion d’une manière générale) 25 • L’éditorial • L’enquête • La chronique • La critique Genres où l’on utilise le dévoilement progressif (ou l’occultation méthodique) pour créer le suspens • Le reportage • Le billet (*) Editorial basé sur une vive polémique où l’argumentation doit être solide. 2. Les différences essentielles entre les genres d’information et les genres d’opinion : On peut dire, en adoptant une approche fonctionnelle, que les genres journalistiques se divisent globalement en genres d’information qui ont une fonction « d’avertissement » et en genres d’opinion qui ont une fonction de « corrélation » entre les évènements, le but étant d’aboutir à des conclusions qui ont un sens, c’est-à-dire que ces genres interrogent les évènements et ne se contentent pas de les relater. La différence fondamentale entre les genres d’information et les genres d’opinion réside dans le fait que les premiers visent à refléter la réalité, tandis que les seconds recherchent la vérité qui se cache derrière cette réalité. Si le journaliste agit comme « intermédiaire » quand il utilise les genres d’information, il se transforme en un « encadrant » d’évènements pour en tirer les significations sociales, quand il recourt aux genres d’opinion. Les genres d’information sont fondés sur la démarche de l’observation minutieuse des évènements, tandis que les genres d’opinion font appel au raisonnement qui mène à des convictions journalistiques étayées, d’une manière ou d’une autre, par des preuves ou des arguments. Le tableau suivant fait ressortir les différences essentielles entre les genres d’information et les genres d’opinion en termes de fonction, de finalité, de statut du journaliste, de méthodologie et de traitement. 26 Genres d’information Genres d’opinion Fonction Fonction d’avertissement Fonction de corrélation Finalité Refléter la réalité Rechercher la vérité Statut du journaliste Intermédiaire Encadrant Méthodologie Observation Raisonnement Nature du traitement Objectivité « Subjectivité objective » (l’opinion, même si elle est personnelle, doit être basée sur des données objectives) Approche/moyens Arguments, preuves, relations de causalité Précision, simplicité, clarté 3. Les différences essentielles entre les genres d’information : Les différences entre les genres d’information sont déterminées sur la base de différents critères. C’est ainsi que la différence entre la brève, le filet et l’article d’information réside essentiellement dans l’espace dédié à chacun d’entre eux, ce qui veut dire que la longueur et la rapidité de production constituent les deux critères principaux qui les différencient. Quant aux différences entre le montage et la mouture, elles résident dans la méthodologie adoptée par le journaliste qui les produit, notamment en ce qui concerne l’utilisation des sources complémentaires, l’assemblage dans le cas du montage et la réécriture dans le cas de la mouture. Le montage se fonde, quant à lui, sur l’objet en tant que critère de différentiation, car il se consacre essentiellement à l’exploitation des rapports écrits ou ce qui en tient lieu, sans sortir de ce cadre. Le compte rendu et l’écho sont, eux, intimement liés au terrain, ce qui explique, d’ailleurs, leur appartenance au journalisme debout, contrairement aux autres genres de la presse d’information. Le tableau suivant expose les critères de différenciation entre les genres d’information : 27 Critères de différentiation des genres de la presse d’information : Les genres journalistiques Les critères de différenciation • La brève • Le filet • L’article d’information Longueur/rapidité de production • Le montage • La mouture Méthodologie de traitement • Le résumé de rapport Sujet • Le compte rendu • L’écho Liaison avec le terrain 4. Les différences essentielles entre les genres d’opinion : Autant les genres d’opinion sont différents les uns des autres, autant ils sont complémentaires, leur dénominateur commun étant le commentaire des évènements. Les tableaux suivants exposent les caractéristiques qui les différencient du point de vue de leur logique générale (a), de leur rapport à l’objectivité (b) et de l’usage qu’ils font de l’argumentation (c) : a. La logique qui régit les genres d’opinion : Le genre journalistique La logique qui le régit Le billet Ne cherche pas à convaincre par l’argument mais plutôt par l’exemple et l’illustration pertinente La critique N’appelle pas forcément l’argumentation et les preuves L’éditorial Exprime des positions basées sur l’argumentation L’article d’analyse Proche de la démarche scientifique et académique. Le journaliste se départit de toute subjectivité La chronique L’auteur lève toute ambiguité sur le sujet et le traite avec l’esprit du sage, en allant au fond des choses. 28 b. Les genres d’opinion et le degré d’objectivité : Classification des genres d’opinion en allant du plus subjectif au plus objectivif 1. Le billet 2. La critique 3. L’éditorial 4. La chronique 5. L’article d’analyse c. Genres d’opinion et degré de recours à l’argumentation : Classification des genres d’opinion selon leur degré de recours à l’argumentation 1. L’article d’analyse 2. L’éditorial 3. La chronique 4. La critique 5. Le billet 5. Les genres journalistiques et l’exploitation des sources : « Le journaliste ce sont ses sources ». Cette formule signifie que le journaliste ne peut réussir dans la profession que s’il s’appuie sur des sources fiables, dignes de foi et, parfois, exclusives. Même si cette formule est vraie, on constate que le rapport des genres journalistiques avec les sources n’est pas identique. C’est ainsi que, dans le cas de certains genres journalistiques, les sources créent l’évènement ; tandis que dans d’autres, la recherche de sources contradictoires devient la tâche principale du journaliste. Dans un troisième cas, le journaliste se limiterait à exploiter les sources disponibles alors que, pour d’autres genres, le terrain est la source principale. Il est des cas où la source est utilisée d’office, tandis que dans d’autres cas, le recours à la source est moindre. Le tableau ci-dessous explicite les caractéristiques principales des genres journalistiques dans leur rapport aux sources. 29 Le montage La mouture Le filet (l’information se confond avec la source) L’article d’information Exploitation des sources disponibles L’article d’analyse Recherche de sources nouvelles et contradictoires La brève L’enquête (l’information se journalistique confond avec la source) Sources créatrices de l’événement Source d’office Le reportage L’écho Le résumé de rapport Le portrait (la source pour ce qu’elle est et d’autres sources proches) Le compte rendu L’interview de presse Le terrain comme source principale Les genres journalistiques et le recours aux sources : Le billet La chronique L’éditorial Recours limité aux sources IV. Genres journalistiques et aptitudes professionnelles requises : Les genres journalistiques requièrent des compétences spécifiques de la part des journalistes. Ceux-ci doivent connaître ces compétences afin de développer leurs aptitudes et les utiliser de manière efficiente. Le tableau suivant énumère les aptitudes plus importantes requises chez un journaliste : Principales aptitudes requises par les différents genres : La brève Suivi quotidien de l’actualité, aller à l’essentiel, être rompu au « degré zéro de l’écriture », privilégier la concision(1) Le filet Suivi quotidien de l’actualité, aller à l’essentiel, être rompu au « degré zéro de l’écriture », distinguer les détails importants qui constituent le background de l’information Suivi quotidien de l’actualité, capacité d’exploitation de sources diverses et à structurer de nombreuses données en les classant selon leur degré d’importance L’article d’information Le montage relever l’essentiel parmi des sources diverses Le montage Relever l’essentiel à partir de sources diverses, réécrire Le résumé de rapport Tirer l’essentiel des documents en présence, quel qu’en soit le volume, et produire un article structuré Le compte rendu Rassembler la matière première sur le terrain, saisir, sur le terrain, les détails de l’information qui permettent de faire vivre l’évènement au lecteur L’écho Capacité de se déplacer rapidement sur le terrain, capacité de capter les détails significatifs, avoir le sens du détail pertinent, avoir le sens de la curiosité L’interview Construction d’une solide stratégie de discours afin de pouvoir dialoguer et interroger, capacité d’affronter et de se comporter d’égal à égal avec la personne interviewée Le reportage Vision sociale perspicace, capacité de rassembler des détails épars pour leur donner une signification précise, aptitudes rédactionnelles 31 L’enquête Le portrait Grande mobilité sur le terrain, capacité de tisser des rapports avec les sources basés sur la confiance mutuelle, contact facile avec autrui, possession d’aptitudes à établir des relations nouvelles Capacité de saisir les détails significatifs et de suivre les carrières. Capacité de saisir la psychologie et la psychologie sociale de l’interlocuteur, avoir de bonnes aptitudes rédactionnelles (capacités stylistiques) Le billet Capacités rédactionnelles, humour, aptitudes littéraires, aptitude à saisir la portée des évènements mineurs La critique Créativité, vaste culture, aptitudes rédactionnelles L’éditorial Aptitude à convaincre La chronique Vaste culture, sagesse, clairvoyance, pas de jugements hâtifs, célébrité, charisme L’article d’analyse Capacité de questionnement et de synthèse. Aptitude à relier des éléments épars et en tirer les significations pertinentes (1) C’est une expression du critique structuraliste et penseur français Roland Barthes. Il entend par là un style direct exempt de toute fioriture. V. Aspects formels de certains genres journalistiques : Les genres journalistiques ne sont pas présentés de la même façon. Il y a des usages qui, du fait de la pratique, se sont érigés en règles, si bien que certains écrits sont liés à des rubriques identifiables à leur caractère permanent (éditorial, chronique, billet) ou à l’évocation de leur genre (brève, écho, éditorial, chronique, portrait, interview, reportage, enquête). Par ailleurs, certains genres sont présentés dans des formes qui les distinguent des autres genres (trame, encadré, gras, italique, justification). Le tableau ci-dessous résume les principales formes qui caractérisent certains genres journalistiques : 32 Aspects formels Genres journalistiques Genres qui portent des noms Editorial, chronique, billet fixes(1) Genres généralement reconnus Brève, écho, éditorial, chronique, portrait, interview, grâce à leurs types reportage, enquête Genres à identité visuelle Editorial, chronique, billet, brève et filet, lorsqu’ils sont mis en rivière (1) Selon l’appellation choisie par le journal : L’éditorial peut garder son nom de genre ou prendre d’autres appellations telles : Mot du jour », « Notre opinion », « En toute objectivité », etc. 33 CHAPITRE II GROUPE DES GENRES D’INFORMATION : Rapporter les évènements 1. La brève Ce genre s’apelle ainsi parce qu’il se limite à relater ce qui s’est passé sans rentrer dans les détails. Il correspond à peu près à ce qu’on peut relater verbalement en vingt secondes. L’on peut dire donc que la brève c’est l’information. Considérée comme le genre journalistique le plus court, la brève répond d’abord à la question « quoi ? » et, à partir de là, elle donne une information nouvelle qui se rapporte à un événement, à un fait ou à une déclaration. La brève s’emploie à répondre aux questions « qui ? », « où ? » et « quand ? » qui sont, avec « quoi ? », les quatre questions référentielles et « le noyau dur de l’information ». L’on peut également, dans ce cadre, répondre brièvement aux questions « comment ? » et « pourquoi ? » nécessaire. Il est fréquent que la brève soit le prélude à d’autres genres que le journaliste pourra utiliser par la suite. Cependant, la brève peut être suffisante dans la mesure où l’information n’a pas de suites qui justifient son développement à travers d’autres genres. La brève ne recourt pas au recoupement des sources et ne requiert pas la citation de sources multiples ou l’exploitation de sources contradictoires comme c’est le cas pour d’autres genres. A l’instar des autres genres d’information, la brève - malgré son caractère très concis - se construit sous forme de « pyramide inversée », c’est-à-dire en partant du plus au moins important, tout en conservant le contenu informatif qui en justifie la publication. La brève est généralement constituée d’un paragraphe unique de 50 mots environ (5 à 6 lignes/colonne) en moyenne. A titre exceptionnel, elle peut aller jusqu’à deux paragraphes, surtout quand l’information requiert un développement à travers l’évocation du background de l’information. La brève respecte toutes les règles communes à l’écriture des genres d’information (la pyramide inversée), y compris la citation de la source ou des sources, ce que certains rédacteurs ont souvent tendance à omettre, croyant que la brève ne nécessite pas l’identification et la citation des sources. La brève ne porte pas de titre au sens journalistique du terme. Elle est présentée sous « un mot-clé » qui renvoie au lieu, au sujet ou à la personne concernée 37 par l’évènement (acteur ou sujet) afin de faciliter le choix du lecteur. Certains journaux mettent en exergue les premiers mots de la brève en utilisant soit le gras, soit l’italique, afin de distinguer les brèves qui se suivent les unes les autres, ce qui fait de ces mots des titres intégrés au début de chaque brève et lui donnent davantage de force. Dans d’autre cas, chaque brève est précédée, au niveau de la présentation, d’une puce (losange, petit carré, petit cercle). En général, les brèves sont rassemblées et mises en rivière(1) pour en faciliter la lecture, pour éviter qu’elles ne se dispersent dans le journal et pour qu’elles ne servent pas de « bouche-trous » dans la maquette. Les brèves demeurent le genre le plus lu parmi les genres journalistiques proposés par les journaux. Normes de qualité de la brève 1. Une information pure, sans commentaire et exempte de détails ; 2. Présente une information nouvelle ; 3. Donne l’essence de l’information et répond, en premier lieu, à la question « quoi ? » ; 4. Respecte la structure de « la pyramide inversée » ; 5. Se compose d’un seul paragraphe (en général) ; 6. Est rédigée dans un style clair, concis et simple ; 7. Mentionne la source. (1) Généralement sous un titre fixe : « Divers », « de source informée », « Ici et là », « En bref »… 2. Le filet LLe filet est un court article d’information qui comporte des détails que ne peut contenir la brève et qui répond généralement aux questions « comment ? » ou «pourquoi ? » ou aux deux à la fois. L’information traitée dans le filet doit revêtir une importance qui justifie un espace plus grand que celui de la brève. Cela veut dire que le journaliste doit disposer de détails pour étoffer son information. Faute de quoi, il doit consacrer du temps à rechercher ces détails, partant du fait que l’importance de l’information justifie l’intégration d’éléments complémentaires afin de la rendre plus explicite au lecteur. 38 En bref, le filet est une brève enrichie de détails qui explicitent l’information. Quand le filet répond aux questions « comment ? » et « pourquoi ? » la concision est de mise. Ce genre se compose de deux ou trois paragraphes en moyenne et dépasse rarement 25 lignes. Le filet peut occuper un espace cinq fois supérieur à celui de la brève. Le filet est le genre d’information le plus court où se révèlent, de manière patente, les caractéristiques de la pyramide inversée (agencement des idées en allant des plus importantes au moins importantes), ainsi que le respect des règles qui régissent les genres d’information (absence de commentaire et d’opinion, utilisation des guillemets pour les témoignages directs, citation des sources, choix de la conclusion…). La longueur relative du filet (par rapport à la brève) implique le choix d’un titre où on ne se contente pas d’un mot-clé. Il est préférable que l’on choisisse un titre principal unique, bref ou sans surtitre ni sous-titre(1). La presse occidentale a pris l’habitude de tirer les filets des dépêches relatives aux informations nationales et internationales, à telle enseigne que le journal Le Monde » par exemple, donne à la colonne où il regroupe les filets le titre de « dépêches ». Les journaux recourent au regroupement des filets dans une même colonne comme pour les brèves - pour leur donner une identité visuelle. 39 Normes de qualité du filet : 1. Information pure, brute (sans commentaire) et etoffée par quelques détails ; 2. Information qui ne peut être réduite à une brève en raison de son importance ; 3. Apporte du nouveau ; 4. Présente le noyau dur de l’information et peut répondre brièvement aux questions : « comment ? » et « pourquoi ? » ; 5. Prend la structure de la pyramide inversée et en respecte les règles ; 6. Est composé de trois paragraphes en moyenne ; 7. Adopte une langue et un style clairs (langue simple et directe) ; 8. Cite la (ou les) source(s) ; 9. Ne se termine pas par une conclusion ; 10. Peut présenter un background ; 11. Porte un titre informatif ; 12. Non signé (en général). (1) Voir : Le guide du journaliste professionnel: Le titre, le chemin le plus court vers le lecteur. Abdelwahab Rami 2006, pp.42-43 (en arabe). 3. L’article d’information Selon Jean-Luc Martin-Laguardette, nombreuses sont les classifications qui négligent l’article d’information proprement dit. C’est un article dont la matière dépasse le volume du filet et qui se compose généralement de plus de quatre paragraphes, soit un total de 600 à 700 mots. La longueur de l’article d’information peut, parfois, correspondre à celle de certaines dépêches (émises par les agences de presse), notamment celles ayant une structure rédactionnelle synthétique (la synthèse). Quelle que soit la longueur de « l’article d’information », il demeure soumis aux mêmes règles qui régissent le filet (règles de la pyramide inversée). L’article d’information met à la disposition du lecteur de plus amples détails et lui permet de suivre l’information malgré la multiplicité des intervenants et des sources due parfois à la divergence des intérêts et à la contradiction des sources. Le journaliste doit maintenir le dynamisme de son article jusqu’à la fin, en y incorporant des témoignages et des données qui ajoutent chaque fois des 40 éléments nouveaux à ce qui précède, sans toutefois tomber dans l’usage abusif, voire superflu des détails, le principe fondamental de la presse étant la richesse dans la concision. Par ailleurs, il est nécessaire de casser la monotonie de l’article, s’il s’avère long, en le ponctuant de sous-titres. Ce genre journalistique peut avoir un surtitre, un sous-titre ou les deux à la fois, le but étant de renforcer son titre principal. C’est pourquoi le titre de l’article d’information est généralement plus long que celui du billet. L’article d’information peut être signé. Normes de qualité de l’article d’information : 1. Information pure, sans commentaire, étayé par des détails ; 2. Information avec des développements multiples, trop importante pour être traitée dans une brève ou un filet ; 3. Présente du nouveau par rapport à l’information elle-même, ou par rapport aux développements d’évènements antérieurs connus ; présente des détails que le journaliste a eu en exclusivité ; 4. Va au-delà du « noyau dur de l’information » pour répondre aux questions informatives « comment ? » et « pourquoi ? » ; 5. Adopte la structure de « la pyramide inversée » et ses règles ; 6. Se compose de plus de quatre paragraphes (en général) ; 7. Adopte un style clair et précis (langue pragmatique simple) ; 8. Cite la source ou des sources diverses et contradictoires ; 9. Ne donne pas de conclusion ; 10. Utilise le background de l’information ; 11. Porte un titre informatif principal binaire ou ternaire ; 12. Peut porter la signature de son auteur. (1) MARTIN-LAGARDETTE, Jean-Luc, Guide de l’écriture journalistique. Ecrire, informer, convaincre, Syros 1994. 41 4. Le montage Le montage est un genre journalistique qui s’appuie sur des sources d’information écrites que le journaliste agence sans avoir besoin, contrairement à la mouture, d’en réécrire le texte. Le journaliste sélectionne les phrases ou les paragraphes à partir des sources de référence et les reconstruit suivant le format de la pyramide inversée, tout en citant ces sources. Pour assurer la cohésion des phrases et des paragraphes sélectionnés à partir des sources, le journaliste recourt à des formules ou à des connecteurs logiques qui assurent l’articulation et la liaison, et qui résument son effort rédactionnel. Aussi, l’effort réel du journaliste se concentre-t-il, dans ce genre, sur la recherche des sources et leur exploitation à travers la sélection des parties qui présentent un intérêt informatif pour procéder ensuite à la construction de l’article en allant du plus important au moins important. L’on peut résumer le montage par la formule suivante : « des sources écrites, des ciseaux et des phrases charnières ». Normes de qualité du montage : 1. Information pure n’exprimant aucune opinion ; 2. S’appuie sur des documents ou d’autres sources écrites dont on extrait des parties sans les réécrire ; 3. Généralement plus long que le filet ; 4. Va généralement au-delà du « noyau dur de l’information » pour répondre aux questions informatives « comment ? » et « pourquoi ? » ; 5. Le journaliste se limite à agencer les parties de la matière qu’il propose (construction) et en assure la cohésion et l’harmonisation rédactionnelle par des connecteurs logiques et des phrases charnières (fluidité) ; 6. Adopte la construction de « la pyramide inversée » et ses règles ; 7. Se caractérise par la clarté du style et de l’écriture ; 8. Cite les sources utilisées (concordantes ou contradictoires) ; 9. Ne se termine pas par un épilogue ; 10. Porte un titre informatif, principal ou binaire. 42 5. La mouture La mouture est un genre journalistique qui présente une information composée dont les éléments sont tirés d’un ensemble de sources généralement écrites (dépêches, articles de presse, déclarations, documents divers, etc.). La condition première de la réussite de la mouture est la réécriture car elle permet d’insérer tous les éléments dans un même article suivant le style propre du journaliste, tout en citant les sources utilisées. La mouture est en général plus longue que le filet (de 20 à 100 lignes/colonne). Si on ne tient pas compte du procédé de traitement qui se base sur l’exploitation des différentes sources et la réécriture dans un style personnalisé, la mouture peut se confondre, dans sa forme finale, avec l’article d’information tel qu’il a été défini plus haut. L’effort rédactionnel que déploie le journaliste dans la mouture se manifeste, avant tout, à travers la sélection des éléments d’information à partir des sources de référence, puis à travers les critères de classement des éléments d’information et, enfin, à travers la réécriture de l’ensemble de la matière. A l’instar des autres genres d’information, la mouture adopte la construction de la pyramide inversée et les règles y afférentes. Critères de qualité de la mouture : 1. Information pure, sans commentaire, étayée par des détails ; 2. S’appuie sur des documents et des sources diverses (écrites ou orales), avec réécriture de leur contenu ; 3. Généralement plus longue que le filet ; 4. Va généralement au-delà du « noyau dur de l’information » pour répondre aux questions informatives « comment ? » et « pourquoi ? » ; 5. Adopte la construction de « la pyramide inversée » et les règles y afférentes ; 6. Se caractérise par la clarté du style et de la langue (langue pragmatique simple) ; 7. Cite des sources différentes et divergentes ; 8. Ne se termine pas par une conclusion ; 9. On y exploite le background de l’information ; 10. Porte un titre informatif, généralement principal ou binaire. 43 6. Le résumé de rapport Le résume de rapport est un genre d’information qui présente des synthèses d’études, de rapports ou de documents émanant en général de sources institutionnelles, comme les banques, les institutions de l’Etat, les organisations non gouvernementales, les organismes internationaux, etc. Dans ce genre, le journaliste peut, selon les cas, travailler sur un document d’une ou de deux pages ou, exceptionnellement, sur un rapport de plus de mille pages. Cependant, le volume du document traité ne détermine pas celui du résumé de rapport, en ce sens que sa longueur n’influe pas sur le résumé de rapport qui présente, plutôt, les informations les plus importantes. Le résumé de rapport est un travail effectué au bureau (desk). Il s’agit d’exploiter un document unique pour en présenter ce que le journaliste estime être le plus utile, sans recourir à d’autres sources, qu’elles soient écrites ou orales. Dans le résumé de rapport, le journaliste adopte la règle de la pyramide inversée pour construire la matière qu’il veut présenter. Critères de qualité du résumé de rapport : 1. Information pure qui n’expose aucune opinion ; 2. Exploite un document unique pour en tirer un article de presse ; 3. Adopte la construction de « la pyramide inversée » et les règles y afférentes ; 4. Se caractérise par la clarté du style et de la langue ; 5. Ne se termine pas par une conclusion ; 6. Porte un titre informatif généralement binaire. 44 7. Le compte rendu Le compte rendu est un genre qui suit l’actualité dans ses détails sur le terrain. Il suppose, comme condition fondamentale, la présence sur le terrain et la mobilité sur la scène des évènements. Il suppose également un suivi des acteurs de cette scène et la collecte de leurs témoignages en vue d’en exploiter les plus importants et, parfois, les plus éloquents, dans la mesure où ils rapportent l’atmosphère générale dans laquelle se déroule l’événement. Cependant, le compte rendu, que l’on peut définir brièvement comme « l’enregistrement d’une réalité donnée », ne doit pas abuser du style descriptif, ni exploiter les détails significatifs de manière inconsidérée. Il ne doit pas recourir de manière exagérée aux moyens de sensibilisation, à l’écriture visuelle ou à la documentation. Car il s’agit là des caractéristiques propres au reportage, lequel reportage s’emploie à apporter un sentiment objectif au lecteur et non une information supplémentaire, comme c’est le cas du compte rendu. Le compte rendu a pris une signification unique dans l’esprit des journalistes qui le lient, désormais, à l’information portant sur les réunions, les rencontres, les séminaires, les congrès et les cérémonies, le réduisant ainsi aux activités qui se déroulent dans des salles fermées ou des amphithéâtres clos, avec des intervenants qui se relaient sur le podium et un public silencieux qui écoute attentivement les discours des orateurs qui animent ces activités, lesquelles peuvent revêtir un caractère politique, scientifique ou culturel. Cette conception ne couvre cependant qu’une partie des larges possibilités ouvertes devant le compte rendu, si tant est qu’on le considère comme un genre qui enregistre la réalité à partir du terrain. Par conséquent, on peut rédiger des compte rendus d’évènements tels les incendies, les accidents qui ont fait des dégâts matériels ou humains, les rencontres sportives, les inaugurations d’infrastructures publiques ou la destruction d’habitations dans le cadre de la lutte contre l’habitat insalubre, etc. Dans ce genre, le principal outil méthodologique du journaliste sur le terrain demeure « la sélectivité signifiante » qui consiste à rechercher tout ce qui peut enrichir le compte rendu en informations. Car celui-ci ne doit pas se réduire à un simple procès verbal qui consigne tout ce qui se passe sur la scène de l’événement. De ce point de vue, le compte rendu ne doit s’intéresser qu’aux acteurs principaux de l’évènement qui sont à même de présenter des témoignages utiles au lecteur et qui reflètent la réalité de ce qui s’est passé sur le terrain. S’il y a différents intervenants qui se relayent pour prendre la parole au cours d’une activité donnée, le journaliste n’est pas tenu de citer tous leurs propos ou d’accorder un espace à l’intervention de chacun d’entre eux, ni de les présenter selon l’ordre consigné dans le programme officiel de l’activité, lequel est, d’ailleurs, souvent soumis à un ordre protocolaire. 45 Le compte rendu adopte la structure de la pyramide inversée dans son traitement des évènements. Par conséquent, il n’est pas tenu de respecter leur déroulement chronologique. Il place plutôt le fait le plus important en tête, même si celui-ci n’intervient qu’en dernier lieu. Dans le compte rendu, le journaliste veille également à ne pas omettre, délibérément, des éléments significatifs de l’événement, tel le témoignage ou la déclaration qui apporte du nouveau par rapport à la situation politique, sous prétexte que ce propos a été tenu par une personne du public ou que le nom de cette personne ne figurait pas sur le programme officiel de l’activité en question. Une autre caractéristique du compte rendu réside dans le fait qu’il porte une vision «individualisée» de l’évènement sans que cela veuille dire que c’est une vision « subjective ». En effet, le journaliste doit sélectionner, de manière directe, les éléments de son compte rendu qui peuvent consister en des données qu’il peut avoir en exclusivité par rapport à ses collègues s’il sait user à bon escient de ses relations, de son sens professionnel et de son flair journalistique. Il ne doit pas oublier de se procurer « le dossier de presse » dès son arrivée sur le lieu de l’évènement dans la mesure où les organisateurs l’ont mis à disposition. Cependant, l’obtention de ce dossier ne peut le dispenser de suivre personnellement l’ensemble de l’événement. « Le titre du compte rendu de presse consiste souvent en une déclaration, une opinion ou une tendance générale qui se dégage d’une assemblée générale ou d’un congrès ou qui reflète des données revêtant une signification particulière »(1). (1) «Guide du journaliste professionnel : Le titre de presse, le chemin le plus court vers le lecteur » - Abdelwahab RAMI (2006, p. 44) (en langue arabe) 46 Caractéristiques du compte rendu de presse : Sept caractéristiques distinguent le compte rendu : 1. Le compte rendu est plus global qu’un article d’information pur ; 2. Le compte rendu est une information à chaud ; 3. Le compte rendu donne au lecteur l’impression d’être sur le terrain où se déroule l’évènement ; 4. Le compte rendu donne une importance particulière au contexte de l’évènement ; 5. Le compte rendu s’attache aux détails qui le rendent plus près de la réalité ; 6. Le compte rendu porte une vision individualisée de l’évènement ; 7. Le journaliste peut se libérer - dans une certaine mesure - du style pragmatique qui caractérise les autres genres d’information. Source (pour plus de détails) : « les genres journalistiques d’information : de l’évènement à l’information » - Abdelwahab RAMI (sous presse) Critères de qualité du compte rendu de presse : 1. Information ample (plus ample que l’information pure) ; 2. Généralement plus long que les articles traitant de l’information pure ; 3. Le journaliste descend sur le terrain (enregistrement des faits) ; 4. Recrée l’atmosphère générale de l’évènement ; 5. Ne se limite pas uniquement aux évènements qui se déroulent dans des lieux fermés ; 6. Donne une vision individualisée de l’évènement ; 7. Rapporte les détails significatifs qui rapprochent l’évènement du lecteur « sélectivité signifiante » ; 8. Dépasse généralement « le noyau dur de l’information » pour répondre aux questions « pourquoi ? » et « comment ? » (rapporte le contexte de l’événement) ; 9. Adopte la construction de la pyramide inversée avec les règles y afférentes ; 10. Ne respecte pas la chronologie ; 11. Suit sur place l’ensemble de l’évènement ; 12. Adopte un style et une langue clairs ; 13. S’appuie sur les sources du terrain, souvent orales, vivantes et directes ; 14. Ne se termine pas par une conclusion ; 15. Porte un titre informatif qui peut être principal, binaire ou ternaire. 47 8. L’écho L’écho est un genre journalistique qui accompagne d’autres genres dits de terrain, tels le reportage ou l’enquête. Il s’agit donc d’un genre complémentaire qui s’intéresse surtout à ce qui se passe en « marge » de l’évènement qui a souvent une signification politique ou sociale. Par ce qui se passe «en marge» de l’événement, on entend des faits mineurs, inédits ou inattendus relatés par les témoins de l’évènement principal ou par le journaliste lui-même. Il existe d’ailleurs chez les journalistes, en particulier, une propension à rechercher ce genre d’échos pour leur caractère insolite ou singulier. L’écho peut être une entrée qui incite à lire l’évènement principal. Il prend généralement la forme de la brève et est rédigé selon les mêmes règles même s’il peut, très rarement, être plus long pour s’adapter à la taille du filet. Critères de qualité de l’écho : 1. Genre qui vient en complément à d’autres genres dits de terrain ; 2. Puise sa matière dans les «aspects marginaux» de l’évènement ; 3. S’intéresse aux imprévus et aux coulisses ; 4. Tend à rechercher l’extraordinaire et l’insolite ; 5. A une portée politique ou sociale ; 6. Est rédigé selon les mêmes règles que la brève ; 7. Est soumis aux règles de la pyramide inversée ; 8. Ne porte pas de titre. 48 CHAPITRE III GROUPE DES GENRES MAJEURS : Expliquer les évènements et les phénomènes 1. L’interview 1.1 Définition de l’interview : L’interview(1) est un outil dédié à expliquer les évènements. Il se présente sous forme de questions/réponses(2) et vise à rechercher des informations, des éclaircissements ou des opinions inédites qui peuvent émerger grâce aux questions du journaliste et à son interaction avec son interlocuteur qui est, de préférence, une personne ayant une compétence professionnelle (dans les domaines politique, économique, social, professionnel, scientifique etc..), et capable de livrer un message clair, d’intérêt général. Pour son interview, le journaliste doit choisir une personne qui constitue une source qualifiée, c’est-à-dire une personne qui, au moment de l’interview, est la plus indiquée pour parler du sujet de l’entretien. L’interview est donc un outil destiné à recueillir une matière exclusive et inédite à partir d’une source de première main. Sa matière peut être exploitée, après publication, dans d’autres genres journalistiques. L’interview a d’autres appellations comme « l’entretien », « l’entrevue », «la rencontre avec… », qui ne répondent pas forcément toutes à la même démarche ni à la même méthode. C’est ainsi qu’il est préférable d’adopter « l’invité » à la télévision et « l’entretien » à la radio, médias à travers lesquels on écoute les invités parler au public par journalistes interposés. Le journaliste professionnel doit également distinguer entre une interview par laquelle il veut obtenir des informations inédites et importantes et un simple entretien qui est, plutôt, proche d’un échange d’idées avec la personne qu’il questionne. Il ressort des appellations ci-dessus qu’il faut toujours garder à l’esprit que l’interview s’appuie, essentiellement, sur le discours oral et non écrit, même si le développement des technologies nouvelles, notamment l’internet, a introduit l’usage de l’interview écrite où le journaliste envoie ses questions par mail et reçoit les réponses par écrit. Cependant, ce procédé pose, d’une certaine manière, un problème d’éthique journalistique dans la mesure où rien ne garantit que les réponses ont été écrites par l’interviewé lui-même et où l’« interviewé » (1) L’interview de presse signifie ici le questionnement qui constitue un objectif en soi et qui est publié de manière indépendante sous forme de questions/réponses, et non l’interview dont la matière est exploitée dans d’autres genres tels « l’interview-portrait » ou « l’interview-enquête », ou l’entretien libre qui ne répond pas aux normes de l’interview de presse en tant que genre distinct. (2) L’interview se déroule généralement sous forme de questions/réponses dans un style direct, vivant et fidèle. Elle apparaît rarement sous forme d’interview rédigée ou mixte (une partie rédigée et une autre sous forme de questions/réponses). 51 peut éluder certaines réponses ou éviter certaines questions qui lui semblent sensibles ou embarrassantes sans que le journaliste puisse intervenir. Ce procédé ôte également aux questions préliminaires toute leur utilité, dans la mesure où l’interviewé peut commencer par répondre à la question de son choix. L’interview devient ainsi, généralement, une matière dépourvue de vitalité et de dynamisme du fait de l’absence des « relances » qui permettent au journaliste de recentrer l’entretien de manière immédiate et directe et donnent à l’interview le dynamisme et le professionnalisme requis. D’une manière générale, le procédé qui consiste à envoyer des questions et à recevoir des réponses par écrit aboutit à une interview dépourvue de la « stratégie discursive » (voir plus loin) que doit impérativement adopter tout journaliste professionnel. Etant donné qu’une bonne interview ne doit pas se départir des caractéristiques du discours oral, comme indiqué plus haut, cette oralité doit être conservée, même après le traitement des réponses de l’interviewé et leur révision. 1.2 Les types d’interview de presse : L’interview de presse peut être classifiée selon les types suivants(1) : • Interview d’information : Dans ce type, l’interviewé constitue l’élément central de l’évènement dont il est l’acteur. Il donne à travers l’interview des informations et des données relatives à cet événement. • Interview descriptive : Dans ce type, l’interviewé a été témoin d’un évènement ou d’un phénomène donné et en parle. • Interview analytique : Dans ce type, le journaliste s’appuie sur l’interviewé pour situer un ou plusieurs évènements dans leur contexte en recourant, en premier lieu, à la question « pourquoi ? ». • Interview commentaire : « Quel est votre point vue sur… ? », « quel commentaire vous inspire… ? », « quel est votre sentiment par rapport à… ? », constituent des questions centrales dans ce type d’interview. (1) Nous avons adopté ici la classification que l’on retrouve dans le document « L’information sur l’actualité et les genres journalistiques », Centre de Ressources en Education aux Médias (CREM) - document PDF http//reseau-crem.qc.ca, pp.2-3. 52 • Interview d’opinion : L’interview tourne autour de sujets controversés où, par exemple, un homme politique répond à des accusations ou répond à des adversaires; un penseur défend une théorie, une démarche intellectuelle ou réfute des idées données. • Interview d’une personnalité : Ce type est destiné à attirer l’attention du public sur les réalisations d’une personnalité politique, artistique, culturelle, sportive ou scientifique. L’interviewé y donne des éclaircissements et des informations qui peuvent tourner autour de sa vie professionnelle, de ses réalisations et, parfois, de ses échecs. On peut utiliser dans ce type ce qu’on appelle « l’interview libre » qui repose surtout sur des « questions de relance » courtes destinées à « ouvrir » l’appétit de l’interviewé pour parler davantage de lui-même. • Interview à grand thème : Elle tourne autour des grandes tendances sociales et s’attaque généralement aux phénomènes tels la corruption, l’insécurité, la désaffection envers la lecture et la politique, etc. 1.3 « Stratégie discursive » dans l’interview : La stratégie de l’interview ou « stratégie discursive » se compose des éléments suivants : 1.3.1 Connaissance du sujet : La navigation sur internet peut donner au journaliste des éléments de base sur le sujet à traiter dans l’interview. « Une connaissance minimale » du sujet (la maîtrise de certaines données sans lesquelles on ne peut diriger un entretien) donne au journaliste la confiance nécessaire quand il sollicite l’interview, lui ouvre les choix de l’angle de traitement et l’aide à préparer des questions pertinentes et actuelles à même de garantir un bon résultat sur le plan journalistique. 1.3.2 Connaissance de la personne interviewée : La littérature journalistique divise les personnes interviewées en trois catégories: celles qui collaborent, celles qui hésitent et celles qui esquivent les questions. Le journaliste doit adopter une stratégie discursive propre à la nature de chacune de ces catégories. L’interviewé qui collabore se montre ouvert aux questions du journaliste, inspire et offre de bonnes occasions pour poser des questions de relance. il peut même, parfois, orienter l’entretien dans une direction qui permet au journaliste d’avoir des données qui dépassent celles qu’il escomptait de l’entrevue. L’interviewé hésitant, quant à lui, ne donne que des « demi-réponses », 53 ne se livre ni ne s’exprime que dans des limites précises du fait de l’autocensure qui résulte souvent de la peur des conséquences que peuvent avoir ses propos sur son statut moral, ou la perte du poste qu’il occupe ou qu’il convoite. L’interviewé esquivant, lui, se réfugie dans les généralités, la langue de bois et noie ses propos dans l’idéologie et le verbiage. 1.3.3 Définition de l’angle d’attaque : L’angle d’attaque est déterminé par le degré de connaissance, à la fois, du sujet et de la personne interviewée. En effet, c’est à la lumière de ces données que le journaliste élabore ses questions après avoir défini les axes de l’interview. Si les réponses de l’interviewé révèlent des éléments nouveaux dignes d’intérêt mais en dehors de l’angle d’attaque, le journaliste doit en souligner l’importance et suggérer à son interlocuteur d’y revenir dans une interview ultérieure. Ainsi, le journaliste peut-il générer d’autres interviews, à partir de « l’interview-mère », avec cet interlocuteur qu’il aura connu et dont il aura jaugé la personnalité. Le journaliste doit être prêt à changer d’angle d’attaque dans la mesure où celui qu’il a choisi ne lui donne pas satisfaction au cours de l’interview. 1.3.4 Définition des axes de l’interview : Pour maîtriser ses questions et éviter leur interférence et leur dispersion, le journaliste doit diviser le sujet en axes distincts. 1.3.5 Organisation des questions en fonction de la finalité de l’interview: Ici, il faut distinguer les questions « préliminaires » des questions « principales ». Il faut également définir la finalité de l’interview : s’agit-il d’obtenir des données objectives, des opinions, des idées ou une analyse approfondie afin de classer les questions de manière à répondre à la finalité de l’interview ? Il faut également fixer la question du début et la question de la fin de l’interview. 1.3.6 Préparation des « questions de vérification » et des « questions alternatives » : Le journaliste doit préparer des « questions de vérification » dans le cas où son interlocuteur ne semble pas sûr de ce qu’il avance, ainsi que des « questions alternatives » dans le cas où l’interviewé semble hésiter ou éviter d’apporter les réponses recherchées. Il prépare également des questions avec des formulations différentes pour remplacer les questions embarrassantes. L’interview « semi-orientée » demeure la meilleure structure pour ce genre journalistique, dans la mesure où elle peut engendrer des questions de relance qui favorisent une meilleure communication journalistique avec l’interlocuteur. 54 1.3.7 Préparation d’une stratégie de communication pour jeter des passerelles entre le journaliste et son interlocuteur : Toute personne qui se prête à une interview - quelle que soit son expérience avec la presse - commence l’interview dans un état tendu. Aussi, l’une des premières tâches du journaliste est-elle de rassurer son interlocuteur en créant une atmosphère détendue afin que l’interview se déroule au mieux sur le plan relationnel. 1.3.8 Création d’une relation de parité (d’égal à égal) entre le journaliste et son interlocuteur : Parmi les pré-requis pour créer cette relation, citons la tenue vestimentaire, la manière de se présenter à l’interlocuteur au téléphone ou directement au cours de la rencontre et la manière de poser les questions : avoir le trac, avoir une locution claire, parler sans se presser, maîtriser sa respiration, fixer l’interlocuteur des yeux. 1.4 Les étapes de l’interview : Première étape : Rechercher les données « pré-interview » et rassembler la documentation pour : • Avoir une connaissance générale du sujet de l’interview. • Avoir une connaissance générale des différents aspects (professionnels, culturels, psychologiques) de la personnalité de l’interviewé. • La connaissance, par le journaliste, de ces éléments pousse l’interviewé à fournir des réponses plus objectives et plus sensées. • Dans cette phase, le journaliste procède, également, au choix de l’angle d’attaque de l’interview. Deuxième étape : Prendre rendez-vous avec la personne à interviewer : Au moment de prendre rendez-vous, le journaliste doit décliner tout d’abord son identité professionnelle complète (l’organe de presse, sa fonction dans l’organe de presse, l’intérêt qu’il porte au sujet…). Il doit expliquer ensuite le thème de l’interview et peut, à cette occasion, présenter les lignes générales de celleci sans trop de détails pour ne pas dévoiler les questions qu’il compte poser à l’interviewé. Dans cette phase, le journaliste arrête avec son interlocuteur la forme de l’interview : directe (face à face, par téléphone, par skype…), ou indirecte (par fax, par courrier postal ou par courrier électronique). En tout cas, le journaliste ne doit jamais montrer une préférence à une forme autre que l’interview directe (face 55 à face) qui est la forme la plus professionnelle et la plus conforme à l’éthique du métier. Enfin, le journaliste demande un rendez-vous avec son interlocuteur, qui doit être fixé d’un commun accord en tenant compte des contraintes professionnelles du journaliste et du calendrier de la personne à interviewer. Le journaliste consigne avec soin la date, l’heure et le lieu du rendez-vous. Il arrête, également, avec son interlocuteur, la durée approximative que doit prendre l’entretien (un quart d’heure, une demi-heure, une heure…). Troisième étape : Préparer les questions : Dès l’obtention du rendez-vous, le journaliste peut commencer à préparer ses questions. Etant donné que l’interview a pour objectif d’expliquer et d’éclairer, les questions ne doivent pas être fermées, car les questions non ouvertes peuvent offrir à l’interviewé l’occasion d’éviter de répondre clairement aux questions en répondant simplement par un « oui » ou par un « non ». Quant au nombre des questions que le journaliste doit préparer, il faut prévoir une moyenne de 10 questions pour une durée de 30 minutes, sachant que certaines questions seront dépassées au cours de l’interview parce que l’interviewé les aura traitées dans des réponses précédentes, tout comme certaines questions nouvelles découleront instantanément des réponses fournies au cours de l’entretien. Il faut également noter le caractère dynamique des questions, dans la mesure où le journaliste peut en avancer certaines ou en reculer d’autres, selon les réponses obtenues et les conditions dans lesquelles se déroule l’entretien, notamment en ce qui concerne la personnalité de l’interlocuteur et sa façon de répondre aux questions. Quatrième étape : L’interview : Avant d’aller à la rencontre de son interlocuteur, le journaliste doit préparer son bloc-notes, et prévoir un stylo de rechange pour parer à toute éventualité. En cas d’utilisation d’un magnétophone, celui-ci doit être de petite taille et doit être testé une demi-heure avant l’entretien pour s’assurer qu’il est en état de marche et que ses piles sont chargées ; il doit disposer de piles de rechange au cas où celles qu’il utilise viennent à se décharger au cours de l’entretien. Le journaliste doit considérer le magnétophone comme un simple outil d’appoint qui ne peut, en aucun cas, remplacer les notes écrites. Pour cela il doit être parfaitement entraîné à prendre des notes et à les organiser au fur et à mesure. 56 Conduite à tenir par le journaliste au cours de l’entrevue : Le journaliste doit suivre le protocole lors d’une interview directe (face à face) : 1. Saluer et remercier l’interviewé puis se présenter et présenter son cadre de travail ; 2. Présenter le sujet sur lequel il travaille ainsi que l’angle sous lequel il veut l’aborder ; 3. Evoquer les problématiques liées au sujet pour montrer à son interlocuteur qu’il a une connaissance suffisante de l’objet de l’entretien et qu’il souhaite obtenir auprès de lui des précisions et des éclaircissements complémentaires sur certains points ; 4. Demander l’autorisation d’utiliser le magnétophone au cas où le journaliste veut en faire usage ; 5. Montrer qu’une attention particulière sera accordée à ce que dit l’interviewé à travers une écoute attentive, la communication à travers des hochements de tête qui expriment l’assimilation des propos de l’interviewé ; 6. Résumer les principales données de l’interview juste après la dernière réponse de l’interviewé (pour s’assurer de l’exactitude des données recueillies) ; 7. Remercier et demander la permission de revenir éventuellement sur certains points pour les préciser par téléphone. 57 La prise de notes suppose que le journaliste écrive vite et soit entraîné à l’usage des abréviations (plus = +), (moins = -), (le premier = 1er), (le deuxième = 2è). Même si la précision est exigée et la citation fidèle de certains passages est nécessaire, il n’est pas besoin de consigner l’entretien mot-à-mot étant donné que cela prend beaucoup de temps et coupe le fil des idées de l’interviewé dont les réponses ressembleraient ainsi à des phrases écrites sous la dictée. Si le journaliste n’entend pas bien une phrase ou une partie de phrase, ou ne saisit pas le sens d’une expression, il doit immédiatement demander à l’interviewé de l’expliquer, de la répéter ou de la préciser. Au cours de l’interview, le journaliste doit toujours avoir à l’esprit la matière qui va être publiée parce que cela le pousse à se concentrer sur les informations et les données dont le lecteur a besoin. Il doit poser ses questions comme étant celles du public qu’il représente, et ne doit pas se livrer à étaler ses propres opinions sur le sujet abordé, car cela peut mener à une confrontation entre lui et son interlocuteur. Le journaliste doit exprimer dans ses notes l’atmosphère générale dans laquelle se déroule l’interview : noter les silences de son interlocuteur, le débit et la fluidité de son discours, ses réactions, ses hésitations, son enthousiasme, etc. Certains aspects de cette atmosphère peuvent être fixés par une photo prise durant l’interview, pas avant, ni après. Le recours aux photos archives ne doit se faire qu’en cas de nécessité absolue. Etant donné que l’interview se construit sur la base de la coopération entre l’interviewé et le journaliste, ce dernier est tenu de respecter certains engagements moraux, notamment en ce qui concerne les propos tenus à titre privé hors enregistrement (off the record). Cela veut dire que le journaliste ne doit pas rapporter ce que l’interviewé considère comme des informations ou des opinions livrées uniquement pour l’édifier sans qu’elles soient destinées à être publiées. Le professionnalisme du journaliste se révèle à travers «les questions de relance» qui expriment son expérience et sa capacité d’exploiter les réponses de son interlocuteur pour éclairer davantage les lecteurs. Durant l’interview, le journaliste doit user d’un langage proche de celui de son interlocuteur, afin que celui-ci n’éprouve aucun sentiment de supériorité ou d’infériorité par rapport à lui. Il est toujours préférable que l’interview se déroule en tête-à-tête. Cinquième étape : Rédaction de l’interview : Immédiatement après l’interview, le journaliste commence sa rédaction en s’appuyant sur sa mémoire, pendant que les données y sont encore fraiches. 58 Au moment de la rédaction, le texte doit être révisé afin de le débarrasser des données et des opinions répétées et éclaircir certaines données confuses, etc. Il faut savoir qu’une interview d’une heure doit normalement, après son traitement, occuper deux pages d’un journal de grand format. Dans son interview, le journaliste doit accorder une attention particulière à l’introduction (surtout la première question et la première réponse) pour accrocher le lecteur tant par la forme que par le fond, sachant qu’il n’y a aucune obligation de garder, lors de la publication, le même ordre dans lequel ont été préparées les questions avant l’interview ou posées au cours de celle-ci. L’interview peut sortir sous forme de questions/réponses (Q/R) ou sous une forme rédigée (interview écrite). Dans le chapeau, il est nécessaire de faire une brève présentation de l’interviewé et d’indiquer le contexte dans lequel s’est déroulée l’interview ainsi que la date et le lieu de sa réalisation. 59 Titre de l’interview Le titre de l’interview est extrait des réponses de l’interviewé « Le titre principal de l’interview - qui est forcément tiré des réponses de l’interviewé - doit être précédé d’un surtitre qui mentionne le nom de l’interviewé, sa qualité et, si nécessaire, le contexte de l’interview. Les propos de l’interviewé doivent être mis entre guillemets pour en souligner le caractère direct. Toute l’attention doit être accordée à la fidélité au contenu de l’interview. La fidélité au contenu de l’interview veut dire que le journaliste ou le secrétaire de la rédaction ne doivent pas mettre en relief un propos ou une donnée d’ordre secondaire pour en faire un titre. Ils ne doivent pas non plus orienter les propos essentiels en les reformulant de manière défectueuse ou mal intentionnée. Parmi les contraintes qu’impose la fidélité aux propos de l’interviewé, citons la longueur des titres de l’interview. A cet égard, il s’agira de rechercher la phrase qui exprime le mieux les propos essentiels de l’interviewé et la substance de son discours. Le titre extrait de l’interview doit être formulé sous forme de citation directe sans aucune modification sauf dans les cas où les impératifs de l’information et les normes professionnelles le nécessitent. Le but est de clarifier l’idée ou l’opinion et de faire en sorte que l’information soit exprimée de manière acceptable selon les formes journalistiques (corriger une mauvaise construction de phrases, remédier aux insuffisances d’ordre stylistique, éviter que le titre ne comporte trop d’adjectifs ou de répétitions, simplifier l’expression, etc.). En aucun cas, les modifications apportées à la phrase-titre ne doivent pas altérer le sens de celle-ci. Car toute modification de sens, si minime soit-elle, est une trahison vis-à-vis de l’interviewé. Or, il ne s’agit pas de faire dire à celui-ci ce qu’il n’a pas dit. Il n’est pas conseillé de tirer le titre des premiers paragraphes de l’interview, car le lecteur risque de décrocher avant d’être allé au bout du texte de l’interview. Si l’idée principale de l’interview tient en deux phrases qui ne peuvent être résumées, celles-ci doivent toutes les deux figurer dans le titre. Si le journaliste veut faire un seul titre à partir de deux phrases différentes tirées des propos de l’interviewé, il est alors nécessaire que la construction du titre soit fluide et n’altère pas le contenu initial (...). » Source : Abdelwahab RAMI, Guide du journaliste professionnel : le titre, le chemin le plus court vers le lecteur, 2006 - pp. 48-49. (en langue arabe). 60 Critères de qualité de l’interview : 1. L’interview vise à expliquer des évènements ou des phénomènes ; 2. Elle est basée sur la coopération entre le journaliste et son interlocuteur ; 3. L’interviewé doit être la personne compétente et indiquée pour parler du sujet ; 4. L’interview ne se résume pas à une simple conversation ; 5. Elle n’est pas un moyen de soigner l’image de la personne interviewée, ou celle de l’institution qu’elle représente ou encore celle du courant auquel elle appartient ; 6. Le journaliste définit le genre d’interview qu’il veut réaliser et s’y conforme (informatif, descriptif, analytique, interview-commentaire, interview-opinion, interview-personnalité, interview à grand thème) ; 7. Le journaliste y adopte une stratégie discursive basée sur : • La connaissance du sujet ; • La connaissance de la personnalité de l’interviewé ; • La définition de l’angle d’attaque; • La définition des axes de l’interview ; • Le classement des questions en fonction de la finalité de l’interview ; • La préparation des « questions de confirmation » et des « questions alternatives » ; • L’élaboration d’une stratégie de communication qui jette des passerelles entre le journaliste et son interlocuteur ; • L’établissement d’une relation d’égal à égal avec l’interviewé ; 8.Le journaliste doit respecter les étapes de l’interview et les exigences de chacune d’entre elles : • Rechercher les données « pré-interview » et se documenter ; • Prendre rendez-vous avec la personne à interviewer ; • Préparer les questions de l’interview ; • Réaliser l’interview ; • Rédiger l’interview. 61 2. Le reportage journalistique 2.1 Définition du reportage journalistique : Le reportage journalistique repose sur la technique de la narration pour décrire des faits, des évènements ou des phénomènes, qu’ils soient politiques, sociaux, économiques ou autres. Le reportage journalistique rapproche le lecteur du sujet traité à travers la citation d’exemples concrets afin de donner à l’information plus de vivacité et de couleur. Le reportage est un témoignage direct qui se distingue par son caractère vivant. Il appartient aux genres de « la presse debout », étant donné que le terrain en constitue un élément indispensable. Dans le reportage, tous les sens du journaliste doivent être en éveil (la vue, l’ouïe, l’odorat, le goût et le toucher). La relation fidèle des faits, des évènements et des phénomènes exige que le journaliste se comporte comme une plaque sensible sur laquelle viennent s’imprimer les différents éléments du sujet. On peut dire que le reportage est réussi quand le lecteur a l’impression, en lisant le texte, de se trouver sur le terrain et de vivre l’évènement en direct. 2.2 L’angle d’attaque : L’angle d’attaque dépend du sujet traité. Plus cet angle est réduit, plus le reportage tend à gagner en profondeur et plus le journaliste maîtrise son sujet. Si on veut, par exemple, aborder le sujet de l’environnement comme thème, les angles d’attaque deviennent multiples : l’environnement qui englobe l’eau, la terre et l’air ; la pollution sous toutes ses formes et les problèmes liés à l’assainissement ; l’environnement et l’espace, etc. Chacun de ces thèmes a sa spécificité par rapport aux facteurs du temps et de l’espace et en termes de priorités locales. D’où l’importance de préciser l’angle d’attaque ; autrement, le journaliste se retrouverait en train de parler « de tout et de rien ». 2.3 La documentation et l’identification des sources et des témoins : La documentation (études, rapports) concernant le sujet du reportage doit être exploitée uniquement pour étayer les données sur le terrain et ne doit pas prendre une place prépondérante. Les premières sources doivent être identifiées et ciblées avant le déplacement sur le terrain. S’il s’agit, par exemple, d’une enquête se rapportant à la gestion administrative d’une institution donnée, la première source pour recueillir des témoignages sur place doit être le directeur de cette même institution. Si le sujet se rapporte à l’absentéisme ou aux promotions, la source première, dans ce cas, devient le directeur des ressources humaines de l’institution. 62 Le journaliste doit voir en la diversité et l’antagonisme des positions, des intérêts et des points de vue une source d’enrichissement pour le reportage. Il doit toujours chercher à avoir un retour (feedback) dans le cadre du sujet qu’il traite. L’angle d’attaque est défini ici en fonction des sources principales et secondaires, sachant que ces dernières ont également une fonction d’information et de sensibilisation non négligeable. Dans le reportage, on ne parle pas de « personnes » mais plutôt d’« acteurs » ou de « personnages » comme dans une fiction (cinéma, roman, théâtre…), car on les voit se mouvoir, s’exprimer devant nos yeux, on les écoute parler avec des tonalités différentes et on les entend exprimer des sentiments qui traduisent des états d’âmes diverses. Ces personnages ont un âge, des noms et des traits vivants. 2.4 Les détails significatifs : Le reportage journalistique exploite, par excellence, le détail significatif de façon métonymique, c’est à dire qu’il utilise la partie pour le tout, dans la mesure où le détail est représentatif d’une réalité. C’est ainsi que Omar qui lève son poing en criant « ces revendications représentent le minimum des droits que nous revendiquons ! » est représentatif dans les faits de tous les manifestants qui sont à ses côtés. Le « froncement de sourcils d’Ahmed » est, selon le contexte, synonyme de crainte, de renfrognement ou de méditation. 2.5 L’écriture visuelle : En lisant un reportage, on doit avoir l’impression de regarder un film cinématographique. La description et la narration jouent un rôle prépondérant dans ce genre journalistique. Au lieu de dire, par exemple, qu’Ahmed était « très en colère », alors qu’on ne peut pas mesurer de manière concrète cette « grande colère », on devrait se suffire de décrire ce qu’on on a vu, à savoir que « Ahmed a jeté violemment le dossier qu’il avait à la main » ; cette formulation étant plus proche de l’objectivité que la précédente qui, elle, n’est qu’un simple jugement de valeur. 2.6 Les données objectives : Le reportage est un genre qui appartient, en principe, à l’ensemble des genres d’information, où il n’y a pas de place pour la subjectivité ou pour les opinions personnelles du journaliste. Seule la conviction que le journaliste s’est faite à partir de son observation des données objectives doit être rapportée au lecteur, tout en évitant de tomber dans les images stéréotypées, les visions réductrices ou le mimétisme. 63 L’enquêteur doit également éviter de se perdre dans les données chiffrées et les menus détails (juridiques, structurels, organisationnels, etc.) dont la compréhension demande un examen approfondi. La multiplication des détails et des chiffres compromet l’objectif de la sensibilisation et du supens qui sont, avec celle de l’information, des finalités essentielles du reportage. 2.7 L’engagement : Si le journaliste n’est pas imprégné par le sujet, son engagement s’en ressentira au niveau de la rédaction ; si bien qu’il présentera son sujet de manière hésitante. Le degré d’engagement vis-à-vis du sujet abordé oscille entre deux extrêmes : d’une part, ce qui est fortement conseillé et, d’autre part, ce qui est fortement déconseillé. Le journaliste doit, avant la rédaction de son article, définir le point où il se situe par rapport à ces deux extrêmes. L’enquêteur ne doit pas exploiter tout ce qu’il a consigné dans son « carnet de reportage », mais en sélectionner uniquement ce qui cadre avec l’angle d’attaque qu’il a choisi. Il doit choisir, parmi les témoignages, ceux qui sont les plus courts et les plus profonds ; parmi les chiffres, ceux qui sont les plus significatifs ; parmi les situations, celles qui sont les plus vraisemblables et les plus expressives ; parmi les photos, celles qui illustrent avec le plus de précision possible le sujet du reportage. En effet, le reportage ne se réduit pas à un simple album où on rassemble, n’importe comment, des témoignages, des photos et des situations. 2.8 La construction du reportage : La construction du reportage, tout comme dans le cinéma, répond à la technique du « découpage ». Ici, la notion de « spectateur » apparaît comme une donnée fondamentale. Au cours du reportage, le journaliste doit se focaliser sur : • La loi de l’alternance : Pour que le reportage soit vivant et dynamique, et afin qu’il ne soit pas linéaire (rompre la monotonie de la narration), le journaliste doit recourir à l’alternance tout au long de l’article, ce qui implique un agencement alternatif des photos, des idées, de l’action, des séquences, descriptives, de la narration, du style direct et du style indirect (témoignages, par exemple), des données objectives, des observations sur le terrain, des paragraphes (relativement) longs et des paragraphes courts, des phrases (relativement) longues et des phrases courtes. 64 • L’introduction du reportage : L’introduction du reportage doit être directe, claire, précise, simple, concise et dynamique. • La fin du reportage : Le reportage n’a pas de conclusion, et ce afin que les images demeurent imprimées dans l’esprit du lecteur (sensibilisation). En plus des caractéristiques de l’introduction, la fin du reportage doit traduire l’engagement de l’auteur (sensibilisation). 2.9 La longueur du reportage : Le style narratif fait que le reportage est un genre qui tend à être relativement long. Cependant, c’est la richesse du sujet qui en détermine, en définitive, la longueur. C’est sur cette base que le journaliste décide si le reportage est trop long (remplissage, redondance) ou trop court (concision réductrice). 2.10 Le titre du reportage : Le titre du reportage exploite « le vu et le vécu », l’écriture visuelle et, parfois, le témoignage. Il fait partie, en principe, de la catégorie des titres attractifs(1). (1) Pour plus de détails voir : Abdelwahab RAMI, Le guide du journaliste professionnel : le titre, le plus court chemin vers le lecteur, - 2006 - pp. 51-55, ou Le guide du journaliste professionnel : le reportage journalistique » en collaboration avec l’ISESCO et l’ISJC - 2004, pp.179-184. (en langue arabe). 65 Le reportage journalistique Le sujet du reportage doit : • « Etre d’une importance primordiale d’ordre politique, économique, sociale, culturelle ou sportive. Le journaliste doit être persuasif sur le fait que le sujet traité constitue une priorité journalistique nouvelle. • Etre inédit. Si le sujet a déjà été traité, le journaliste doit choisir un angle d’attaque différent et novateur. • Etre intéressant pour une large frange de l’opinion à laquelle il est destiné et ne pas se limiter aux cas isolés, sauf si ceux-ci sont représentatifs d’un phénomène social général, qu’il soit négatif ou positif. • Traiter d’une question d’actualité : les problèmes qu’il pose doivent être réels, la problématique qu’il traite doit être objective sans être ni tendancieuse ni arbitraire. • Etre constructif, en ce sens qu’il favorise la dynamique du développement, de la démocratie et de la modernité. • Présenter les caractéristiques structurelles suivantes : - Se fonder sur des données objectives et s’éloigner de toute forme de subjectivité. - Adopter les caractéristiques de l’écriture visuelle dans le but de mieux sensibiliser le lecteur. - Avoir un angle d’attaque clair et veiller à l’unité du sujet même si celui-ci est composé. - Etre présent sur le terrain (…) - Respecter la technique de la composition (…) et respecter les exigences formelles propres à ce genre journalistique. » Source : Critères de sélection des travaux journalistiques pour l’obtention du Grand Prix de Journalisme », (Maroc) - 2004 - Abdelwahab RAMI. 66 Critères de qualité du reportage journalistique : 1. Le genre du reportage journalistique correspond à l’évènement traité (politique, social, économique, culturel…) ; 2. Il doit satisfaire aux fonctions d’information (données objectives), de sensibilisation (observations de visu) et de distraction (composition, coloration) ; 3. Son angle de traitement doit être défini ; 4. Le terrain y occupe une place importante ; 5. Il exploite des données objectives ; 6. Il exploite les observations de visu ; 7. Il utilise les cinq sens ; 8. Il utilise l’écriture visuelle ; 9. IL utilise le style narratif (narration, description, exemples, acteurs, témoignages…) ; 10. Il exploite les détails significatifs ; 11. Il exploite la documentation, les sources et les témoins ; 12. On y maîtrise l’engagement affectif ; 13. Il est construit selon les critères suivants : - L’alternance - L’introduction - La sortie - La longueur 67 3. L’enquête journalistique 3.1 Définition de l’enquête journalistique : L’enquête journalistique constitue l’outil d’investigation le plus mûr. D’ailleurs, la presse ne peut prétendre à son statut de « quatrième pouvoir » que si elle met en œuvre ce genre qui (en plus de l’interview et du reportage) appartient au groupe des « genres majeurs ». Loin de ce qu’ont accompli les deux journalistes du Washington Post, Bob Woodward et Karl Bernstein, dans ce qui est désormais connu sous le nom de « Watergate », et qui avaient réussi à prouver que le Président américain Richard Nixon a mis sur écoute ses adversaires du Parti démocrate afin de gagner les élections présidentielles américaines de 1972, l’obligeant à démissionner deux années plus tard (le 8 août 1974), l’enquête journalistique appelle essentiellement la mise en œuvre d’une méthodologie, non seulement pour rapporter très fidèlement les faits, mais aussi et surtout pour aboutir aux vérités qui se cachent derrière le vernis extérieur des faits. L’enquête se fonde sur la nécessité impérieuse de présenter des preuves pour étayer les conclusions du journaliste. Par conséquent, il n’est point d’enquête en l’absence de preuves, d’arguments et de logique. Généralement, l’enquête journalistique traite de situations en rapport avec les affaires publiques, qui renvoient à des dysfonctionnements liés à des situations données, aux compétences de personnalités connues, à des irrégularités commises par des individus ou des institutions, à l’appropriation d’avantages de manière indue, à des échecs que l’on veut cacher, etc. Aussi, la mauvaise gestion, l’abus de pouvoir, les actes contraires à la morale, l’injustice sous toutes ses formes, les entorses à la loi constituent-ils les sujets privilégiés de chaque journaliste dans le cadre de l’enquête. Mais cela ne veut pas dire que le journaliste ne doit utiliser l’enquête journalistique que pour traiter exclusivement de ces « grands sujets ».En effet, la vie quotidienne offre divers sujets pour l’enquête, certes avec des angles d’attaque plus aigus, mais tout aussi pertinents, de façon à permettre à la presse de suivre de manière vigilante les phénomènes qui agitent la société et dont le traitement - contrairement à ce que pensent certains - ne nécessite pas des mois d’investigation continue sur le terrain. Dans tous les cas, l’enquête vise à répondre à trois questions fondamentales : - Qui est responsable (du dysfonctionnement, objet de l’enquête : une personne ou un groupe de personnes, une institution ou un ensemble d’institutions…) ? -Qui profite (d’une situation donnée : une personne, un groupe de personnes, une institution, un ensemble d’institutions…) ? 68 - Parallèlement à ces deux questions, l’enquête doit répondre aux questions suivantes : qui est victime d’une situation donnée : une personne, un groupe de personnes, une institution, un ensemble d’institutions ? Le responsable du dysfonctionnement peut être le même que celui qui en profite (une personne qui contourne la loi pour améliorer sa propre situation), tout comme le responsable peut être différent de celui à qui la situation profite. Il arrive également que la situation irrégulière soit créée pour nuire à autrui ou provoquée de manière involontaire. En essayant de répondre à la question « qui est responsable ? », l’enquête vise à déterminer en premier lieu la responsabilité directe des parties concernées, en évitant de se laisser emporter dans l’engrenage des « responsabilités partagées » qui est souvent un alibi pour diluer les responsabilités afin d’échapper à l’impératif de rendre compte. Selon sa définition instrumentale, on peut dire que l’enquête est un moyen d’approfondir les réponses aux « six questions sœurs », à savoir « quoi, qui, quand, où, comment et pourquoi », qui peuvent être résumées par les formulations : « qu’estce qui est arrivé exactement ? », « qui sont, avec précision, les parties prenantes dans l’affaire ou le problème ? », « quand se sont déroulés les faits objet de l’enquête ? », « où précisément le fait ou les faits se sont-ils déroulés ? », « comment exactement les faits se sont-ils déroulés et quels en sont les développements ? », « pourquoi les faits se sont-ils développés dans ce sens et non dans un autre ? ». Cependant, il y a une tendance générale à se focaliser, au cours de l’enquête, sur la question « pourquoi ? » en tant qu’orientation méthodologique générale (en opposition avec la question « comment ? » qui inspire l’orientation du reportage). A travers cette orientation (pourquoi ?), l’enquête traite des relations causales qui relient les différents éléments et données du sujet et les place dans le cadre de leur contexte général . La fiabilité des sources joue un rôle déterminant dans la réussite de l’enquête et de sa rentabilité journalistique. C’est pourquoi l’une des actions les plus importantes à entreprendre ici consiste à dresser, dès le départ, la liste des sources et leur répartition en sources qui possèdent des informations ou des secrets et en sources de soutien (aident à trouver des informations données, aident à accéder à une source donnée…). Le journaliste doit également dresser la liste des informateurs qui peuvent l’orienter vers des pistes nouvelles, et à travers lesquels il peut recevoir le retour (feedback) des investigations qu’il mène auprès des parties concernées par l’enquête. Le journaliste doit convaincre ses sources du bon usage qu’il fera des informations qu’ils lui donnent, tout en mettant en avant l’utilité de ces informations pour l’intérêt public. 69 Autant le journaliste doit entourer ses investigations de confidentialité, afin que son enquête aboutisse aux objectifs fixés, autant il doit protéger ses sources en s’abstenant de mentionner leurs noms ou toutes autres indications qui peuvent permettre leur identification. Le journaliste ne doit pas oublier que l’enquête peut être destructrice si elle n’est pas bien menée. L’enquêteur peut, tout en cherchant à redresser un tort, nuire à ceux qu’il veut servir. Il peut être à l’origine de malheurs qui s’abattent sur des familles entières, attenter à l’honneur de personnes respectables ou porter des accusations non fondées contre des innocents, tout simplement parce qu’il a bâclé un aspect de son enquête ou parce qu’il a pris des vérités relatives pour des vérités absolues, négligé certaines sources contradictoires qui lui auraient permis d’avoir une vision plus complète de tous les aspects du sujet, ou n’a pas donné aux personnes impliquées dans les affaires, objet de l’enquête, toute la latitude (pourtant incontournable) pour s’exprimer et se défendre, tout en permettant à leurs adversaires (qui sont parfois en même temps leurs ennemis) de les compromettre. L’enquête doit respecter les règles déontologiques et éviter de tomber dans les jugements de valeur ou l’incrimination et s’abstenir de vouloir jouer le rôle de la justice(1). 3.2 Méthodologie de l’enquête journalistique : L’enquête journalistique est basée sur une méthodologie semblable à celles utilisées dans le domaine académique, notamment dans la recherche sociologique. Aussi, le journaliste doit-il suivre les étapes suivantes dans son enquête : • Définir le sujet à partir d’un problème existant : (son point de départ peut être une petite information reléguée dans un coin isolé d’un journal quelconque). Si le journaliste identifie avec précision son sujet, cela facilite la définition de l’angle d’attaque qui s’impose souvent de lui-même (imposé par la nature des problèmes en question) et auquel il n’existe pas d’autre alternative dans l’enquête journalistique. • Mener la recherche documentaire pour préparer « le dossier de l’enquête » : Ce dernier est nécessaire, contrairement au reportage (qui peut se passer d’un (1) Extrait du document intitulé : Critères de sélection des œuvres journalistiques en compétition pour le Grand Prix national de la presse au Maroc, 2004. Ce document a été élaboré par l’auteur du présent guide à l’attention du jury dudit Grand Prix. 70 tel dossier), comme premier pas incontournable afin de comprendre le sujet pour l’envisager comme une problématique pouvant être divisée en plusieurs hypothèses qui constituent autant de passerelles vers le travail de terrain. Les deux points précédents (le 1 et le 2) constituent la phase de la recherche « pré-enquête ». • La formulation des hypothèses : La formulation d’hypothèses solides est tributaire d’une bonne compréhension du sujet qui est, à son tour, fonction de l’étude du « dossier de l’enquête ». Et c’est le terrain qui confirme ou infirme ces hypothèses.. Il faut noter que la formulation des hypothèses requiert une attention particulière car elle influe - inévitablement - sur la suite (choix des sources, visite de certains endroits dans le cadre des investigations, choix des questions de l’enquête…). • L’expérimentation : Elle consiste à vérifier les thèses. De fait, c’est cette phase qui confère à l’enquête sa légitimité en tant que genre journalistique à part, parce qu’elle constitue la phase de la recherche effective de la vérité. Sans cette phase d’expérimentation des thèses, il n’est point d’enquête journalistique. • Le bilan de l’enquête (résultat des investigations) : Ce bilan ne doit pas sortir du cadre de la dialectique interne entre les données tirées des documents, les témoignages, les attestations, les références objectives et les investigations sur le terrain. Le journaliste n’a pas le droit de se hasarder à adopter des vérités qui ne sont pas étayées par des données et des faits objectifs, ou qui n’ont pas subi l’épreuve de l’expérimentation. 3.3 Les différents types de l’enquête journalistique(1) : Il y a plusieurs types d’enquêtes, notamment : • L’enquête d’actualité : L’enquête d’actualité se concentre sur le quotidien afin d’y repérer les dysfonctionnements qui affectent la gestion des affaires publiques aux niveaux local et national. Elle ne demande pas beaucoup de moyens, ne prend pas beaucoup de temps et n’exige pas un grand effort rédactionnel. Ce type vise à apporter des éclaircissements et s’attache à répondre aux questions du type « pourquoi cela s’est-il passé ainsi ? », « pourquoi tel parti n’a-t-il pas tenu son congrès dans les délais statutaires ? », « pourquoi tel parti (1) « L’enquête », Mouriquand (Jacques), éditions du CFPJ - n°46. 71 tient-il un congrès extraordinaire ? », « pourquoi les parlementaires de tel parti n’ont-ils pas voté en faveur du programme du gouvernement ? », etc. Ce type d’enquête doit être réalisé avec célérité - et discrétion - car il est fort probable que plusieurs médias concurrents s’y intéressent en même temps. • L’enquête de faits divers : C’est le type le plus proche de l’enquête policière. Il sert en général à reconstituer une chaîne d’évènements ou de faits dont un ou plusieurs maillons manquent, et où les services de police constituent, dans la plupart des cas, la source principale d’informations. Dans ce cas, le journaliste fait son enquête pour chercher à tirer au clair une situation confuse, à relever l’incohérence de certaines versions qu’il a reçues, et à enquêter sur le sujet. Il arrive que, dans ce type d’enquête, le journaliste soit l’objet de tentatives acharnées de diversion et de déroutage de la part des sources impliquées ou mobilisées pour influer sur le cours de l’enquête. « L’enquête sur les scandales » en fait partie. • L’enquête magazine : Ce type d’enquête traite des phénomènes et des évènements récurrents ou sur des phénomènes. A l’inverse de l’enquête d’actualité, ce genre interroge les structures sociales profondes en s’aidant, parfois, de différentes sources spécialisées. Le journaliste doit éviter de traiter son sujet de façon abstraite, ce qui n’est pas souhaité professionnellement. Chaque fois qu’il recueille des témoignages de spécialistes (surtout universitaires) qui se caractérisent par la généralisation et l’abstraction, le journaliste doit multiplier les exemples réels et pousser ses interlocuteurs à être plus proches du concret. L’enquête magazine porte une empreinte sociologique, dans la mesure où elle sonde les dynamiques sociales complexes pour en identifier les dysfonctionnements. « La chirurgie plastique au Maroc», « la démission de l’intellectuel marocain, mythe ou réalité ? », « pour qui vote la femme marocaine ? », sont autant de titres qui peuvent inspirer le genre de l’enquête magazine qui s’intéresse surtout aux phénomènes sociaux qu’ils soient constants ou le résultat d’un effet de mode. • L’enquête d’investigation : Il s’agit d’une grande enquête où le journaliste doit, généralement, faire face à une grande résistance ou, même, à une confrontation visant à casser l’enquête ou, au moins, à masquer la vérité. Il doit, par conséquent, être conscient que les parties impliquées construisent leur stratégie en opposition avec la sienne afin de dissimuler les preuves qui aident à la manifestation de la vérité. Parmi les 72 éléments de cette contre-stratégie, le refus d’apporter le moindre témoignage ou de livrer tout document ou indice de nature à accélérer l’enquête pour aboutir à la vérité. Cette stratégie se base souvent sur la « politique du bâton et de la carotte». D’où le coût élevé en temps, en argent et en efforts rédactionnels de l’enquête d’investigation par rapport aux autres types d’enquête cités plus haut, du fait de la volonté de dissimuler la vérité qui caractérise généralement la conduite des parties concernées, surtout celles qui sont impliquées dans des affaires suspectes. • Le portrait-enquête : Ce type d’enquête s’intéresse aux aspects mal connus des personnages publics, qui occupent généralement des postes de décision. Mais, il peut également concerner toute personne impliquée dans un dysfonctionnement donné en sa qualité de responsable ou en tant que partie à qui profite une situation irrégulière (voir plus haut). Il ne s’agit pas d’un portrait, dans la mesure où l’enquête ne concerne pas « la personne en tant que telle » mais, plutôt, d’une enquête qui se déroule suivant les caractéristiques citées plus haut. Cette enquête peut également concerner le rôle d’une personne dans une opération donnée, son enrichissement rapide, la montée de sa popularité ou son effondrement d’une manière qui justifie une enquête basée sur la question « pourquoi ? ». Généralement, le portait-enquête est publié, sommairement, sous le nom générique d’« enquête » en mentionnant en titre le nom de la personne/personnalité concernée. • Le portrait-document : Si le journaliste s’aperçoit que la longue enquête qu’il mène a une valeur documentaire ou historique, il peut lui consacrer un livre. Alors, son ouvrage sort du domaine journalistique pour entrer dans celui de l’historique. Cependant, le journaliste ne doit publier ce travail sous forme d’ouvrage que s’il est absolument sûr de l’efficience de sa méthodologie et de la fiabilité des conclusions de son enquête. Dans ce cas, l’enquête doit être suffisamment riche et embrasser différents aspects du sujet pour mériter de paraître sous forme de livre. Ce genre d’enquête est généralement dédié à certaines affaires décisives. 73 Critères de qualité de l’enquête journalistique : L’enguête journalistique : 1. Cherche à dévoiler la vérité et non à refléter les faits (va au-delà des apparences) ; 2. Utilise la preuve et l’argument et a recours aux outils de la logique ; 3. Est généralement liée aux affaires publiques ; 4. Interroge les manifestations des dysfonctionnements, des irrégularités, des abus, des injustices et autres dépassements ; 5. Répond aux questions suivantes : qui est responsable ?, qui en profite ?, qui est lésé ? ; 6. Approfondit les « six questions sœurs » ; 7. S’appuie méthodologiquement sur la question « pourquoi ? » ; 8. Le journaliste s’appuie sur des sources qui collaborent (à la manière de « gorge profonde » dans l’affaire du Watergate, c’est-à-dire sur des « fuiteurs d’informations »), 9. L’enquête est menée par le journaliste en toute confidentialité ; 10. Le journaliste s’engage à protéger ses sources ; 11.Le journaliste s’engage à utiliser à bon escient les données sensibles que lui livrent ses sources ; 12.Le journaliste s’engage à servir l’intérêt général ; 13.Le journaliste s’engage à ne pas nuire, de manière délibérée ou par négligence, à des personnes ou parties pouvant être impliquées dans l’enquête ; 14. On y exploite les sources contradictoires ; 15.Exige le respect de l’éthique professionnelle ; 16.Exige le respect de la méthodologie de l’enquête. Le journaliste doit: - Définir le sujet de l’enquête et son angle d’attaque ; - Mener la recherche documentaire ; - Formuler des hypothèses ; - Procéder à l’expérimentation ; - Présenter le résultat de l’enquête. 17.Le journaliste respecte les exigences de différents types d’enquête : - L’enquête d’actualité ; - L’enquête des fait divers ; - L’enquête magazine ; - L’enquête d’investigation ; - Le portrait-enquête ; - Le portrait-document. 74 4. Le portrait(1) : 4.1 Définition du portrait : Selon la définition de Martin-Lagardette(2), le portrait(3) est « un article qui brosse les traits d’une personne (célèbre ou non) selon ses caractéristiques propres : sa biographie, ses actions, ses déclarations, son mode de vie et son aspect extérieur ». Il se définit également, dans la pratique, comme « une enquête sur une personne », utilisant des techniques (conception-terrain-rédaction) qui se recoupent avec celles du reportage. Le portrait se justifie par des nécessités liées à l’influence de certaines personnes sur les évènements en cours, ou à leur influence potentielle sur les questions d’actualité. De ce fait, le portrait n’est concevable que dans ses rapports avec les évènements qui font l’actualité. Le portrait ne fait pas de la personne concernée le représentant ou le prototype d’un groupe ou d’une catégorie donnée, comme c’est le cas pour « l’enquête sur une personne unique »(4) (portrait type). Par conséquent, il n’est pas permis de généraliser les traits du portrait à d’autres personnes. Le portrait vise à rapprocher le public d’une personne donnée à travers ce qui la caractérise et ce qu’elle a de spécifique et, éventuellement, à ressortir le rôle que celle-ci peut jouer dans l’avenir. Cela suppose que le journaliste a lui-même saisi, au préalable, les clés de la personnalité qu’il présente à travers son portrait. Le portrait n’est ni une biographie ni un curriculum vitae, même s’il utilise des données tirées de ces deux sources à la fois, selon ce qu’exige l’angle d’attaque adopté. Le tableau suivant résume les différences entre le curriculum vitae et le portrait : (1) Le portrait est cité ici parmi les grands genres pour des raisons purement méthodologiques, en raison de sa proximité avec le reportage et son caractère informatif, bien que certains spécialistes le placent dans la case des « genres impressionnistes ». (2) Martin-Lagardette, Jean Luc : « Guide de l’écriture journalistique : écrire, informer, convaincre » - Syros 1994. (3) Certains l’appelent « profil ». (4) « Guide du journaliste professionnel : le reportage » - Abdelwahab Rami, 2004. 75 Différences entre le curriculum vitae et le portrait : Curriculum vitae Portrait Présente la personne Brosse les traits de la personne Des étapes sans liens Les étapes de la vie expliquent les comportements de la personne Présente toutes les étapes de la vie Sélectionne les étapes significatives de la vie Présente des données et des informations Diffuse un sentiment A un caractère sec et concis Vivant et coloré Professionnel, méthodique Donne un sens au rôle de la personne dans les évènements 4.2 Les traits de la personnalité dans le portrait : Le portrait saisit trois éléments essentiels(5) pour brosser les traits de la personnalité qu’il présente au lecteur : • L’identité : Elle concerne les informations de base sur la personne, objet du portrait (informations minimales) relatives au nom, à l’âge, à la profession, à la situation familiale, aux activités professionnelles ou sociales, au lieu de résidence, aux caractéristiques physiques, etc.. Il est recommandé de fixer les caractéristiques physiques du sujet durant « l’interview-portrait ». La photo prise à cette occasion doit, nécessairement, être conforme à l’angle d’attaque traitement et le journaliste doit exclure les photos d’archives ou celles qui renvoient à d’autres références. La photo du portrait fait généralement l’objet d’une présentation technique qui fait ressortir « le sentiment dominant » qui a imprégné le journaliste au terme de l’interview-portrait qu’il a réalisée avec la personne/personnalité. (5) Nous nous sommes référés ici à ce qui a été écrit sur la saisie des traits de la personnalité dans le portrait par Anne Ducois sur le site E-X-P-E-R-T (Expression Publique : Etat des lieux et réalisation de tutoriaux). 76 • L’aspect humain : Dans le portrait qu’il brosse, le journaliste ne doit pas verser dans la « psychanalyse », mais doit, plutôt, s’intéresser au comportement de la personne concernée, sa façon de s’exprimer, son rapport avec lui-même, avec son environnement familial et professionnel ainsi qu’avec la société ; ainsi que les motifs et les choix personnels qui ont déterminé son parcours. Le journaliste peut lire les traits psychologiques et psychosociaux de son sujet à travers ses activités secondaires, ses loisirs et ses hobbies, qui constituent des clés pour comprendre sa personnalité. • L’aspect réflexif : Comment réfléchit la personne objet du portrait ?, quels sont ses projets et ses ambitions ? Appartient-elle à une entité culturelle, politique ou autre ? Ce sont là - entre autres - des questions qui visent à cerner la manière de penser du sujet du portrait afin de faire la lumière sur ses positions, ses comportements et ses réussites (ou ses échecs) dans leur relation avec des évènements donnés. 4.3 Les caractéristiques du portrait : • Le portrait s’attache à l’objectivité : Le portrait ne se réduit pas à des impressions subjectives sur une personne donnée, sans relation avec les données objectives. En effet, ce genre demeure profondément attaché à son caractère informatif, en ce sens qu’il jette la lumière sur une personne donnée et, à travers elle, sur le cours des évènements auxquels elle est liée. L’objectivité impose au journaliste, même quand il fait le portrait d’une personne disparue, de ne pas se limiter à un « portrait funèbre » qui cite uniquement les qualités du défunt et le présente comme une personne infaillible. • Le portrait est « global et sélectif » : Le portrait brosse les traits les plus marquants de la personnalité du sujet en mettant en lumière ses aspects les moins connus. Les traits ainsi sélectionnés renvoient à la globalité de la personnalité. Le caractère sélectif veut dire également le choix d’un angle d’attaque qui réponde aux questions que posent l’actualité. L’angle d’attaque peut également s’exprimer à travers la réponse à une question référentielle comme par exemple : pourquoi telle personnalité a-t-elle démissionné du secrétariat général de tel parti ? • Le portrait s’intéresse au parcours des personnes et non aux personnes en tant que telles : L’on peut dire que le portrait ne brosse pas les traits des personnes ou personnalités en tant que telles, mais présente, plutôt, leurs parcours en relation avec les facteurs intrinsèques et extrinsèques qui les ont déterminés, et ce de manière nécessairement sélective et non globale. Ce parcours renvoie à l’enfance, à l’appartenance familiale, à la scolarité, 77 aux étapes marquantes de la vie et aux autres relations qui ont marqué la personnalité, objet du portrait. • Le portrait ne s’intéresse pas uniquement aux célébrités : Dans certains cas, le portrait présente des personnages influents dans un domaine donné, mais peu connues, ou qui ont un rapport avec un évènement extraordinaire, mais ignorées du grand public. Le « portrait d’appoint » (qui accompagne un autre article ou s’inscrit dans le cadre d’un dossier de presse) présente un personnage pour le rapprocher des lecteurs, et ce en marge de l’article principal, ou pour étayer le dossier de presse. • Le portrait s’appuie sur les témoignages du sujet lui-même et sur des témoignages à son sujet : Plus ces témoignages sont vivants et directs (recueillis par le journaliste sur le terrain), plus ils ont de la valeur. Les témoignages de la personne concernée doivent être recueillis au cours d’une entrevue directe, en utilisant les techniques de « l’interview-portrait » - différentes de celles de l’interview classique - qui se rapprochent plutôt de l’entretien libre. L’interview non directive semble être la plus adaptée aux exigences du portrait (tout en gardant à l’esprit l’angle d’attaque). Cette forme requiert une rencontre directe avec la personne, objet du portrait. L’interview-portrait a une grande importance car elle permet à la personne en question d’exprimer sa personnalité et de rectifier les erreurs éventuelles dans les témoignages recueillis à son sujet auprès des autres. Quant aux témoignages que le journaliste recueille au sujet de la personne, objet du portrait, ils sont généralement ceux des amis, des collègues, des personnes intéressées, des spécialistes (s’il s’agit d’une personnalité célèbre), ainsi que les témoignages qui lui sont défavorables. Le journaliste peut, également, recourir à des extraits d’écrits antérieurs comportant des citations de l’intéressé ou le concernant et les intégrer dans le portrait dressé. La rencontre et l’entretien avec la personne, objet du portrait, sont la preuve éclatante que le journaliste est descendu sur le terrain. • La rédaction du portrait : Le portrait utilise toutes les caractéristiques du reportage, tant dans la construction que dans le traitement. Cependant, il se présente sous une forme plus dense (utilisation de « la règle de l’alternance » (1) avec une cadence plus rapide). • La titraille du portrait : Le titre du portrait se fonde sur un trait de caractère saillant de la personnalité portraitisée. (1) Voir « Le reportage » dans le présent guide et, pour plus de détails : « Le guide du journaliste professionnel, le reportage journalistique » du même auteur. 78 Critères de qualité du portrait 1. Le portrait, en tant que forme d’enquête sur une personne, s’appuie sur des données objectives et des observations directes (1) ; 2.Le portait est conçu en relation avec les évènements en cours et sous un angle d’attaque précis ; 3.Le sujet du portrait ne peut être considéré comme le prototype d’un groupe donné (couche sociale, groupe, communauté, etc.) ; 4.Le portrait n’est ni une biographie ni un curriculum vitae ; 5. Le portrait s’attache à l’objectivité ; 6.Le portrait est, à la fois, global et sélectif ; 7.Le portrait s’intéresse aux parcours des personnes et non aux personnes en tant que telles ; 8.Le portrait s’intéresse aux traits suivants de la personnalité : - Les éléments d’identification ; - Les éléments psychologiques et sociopsychologiques ; - L’aspect réflexif ; 9. Le portrait ne s’intéresse pas uniquement aux célébrités ; 10. Il faut mener « l’interview-portait » pour permettre au sujet d’exprimer sa personnalité 11. Le portrait comporte les témoignages du sujet lui-même et les témoignages des autres sur lui ; 12.Le portrait est rédigé selon la technique du reportage, avec une texture plus dense ; 13.Le titre du portrait se base sur un trait dominant du sujet portraitisé. (1) Voir la partie consacrée au reportage dans le présent guide. 79 CHAPITRE IV GROUPE DES GENRES D’OPINION Commenter les évènements et les phénomènes 1. Le billet Le billet se caractérise par le fait qu’il est marqué par la personnalité de son auteur. Sa dénomination en arabe « a’mud» est tirée de l’anglais « column » parce qu’il paraît généralement sous forme de colonne. En français, on l’appelle « billet », c’est-à-dire « papier ». Ces deux termes (billet et papier) renvoient à la notion de concision et de précision qui sont les principales caractéristiques de ce genre journalistique. Il existe deux types de billets : le premier se rapproche de l’éditorial et, dans ce cas, exprime une opinion concise et encadrée. Ce genre est très fréquent dans la presse arabe. Il accompagne généralement des articles d’information qu’il étaye et dont il oriente certains points dans le sens voulu par le journaliste et dont il assume la responsabilité. La réussite du billet se mesure à la langue éloquente du journaliste et à la quantité d’informations et de sens qu’il transment malgré l’espace limité qui lui est assigné . Ce type requiert une aptitude confirmée dans le domaine de l’écriture journalistique, ainsi que la capacité de traiter tous les sujets qui se rapportent à l’activité humaine sur les plans politique, économique, social, et cela peut aller de la biologie aux pompes funèbres. Le deuxième type de billet est plus « rétif » que le premier et se rapproche plus de « la caricature écrite ». Il ne nécessite pas seulement une large culture et de solides références, mais aussi une grande maîtrise de la langue en tant que vecteur d’idées, et doit être en harmonie avec celles-ci. Plus que tous les autres, ce type s’imprègne de l’affect de son auteur ; cet affect qui dégage du sens d’évènements qui peuvent paraître sporadiques, contradictoires et sans liens évidents aux yeux du lecteur non averti. Le journaliste peut envolopper ses propos de satire comme il peut s’abondonner à des associations libres ou encore s’amuser à suspendre le lecteur tant au niveau du fond que de la forme. Cependant, « la chute » du billet en constitue le trait saillant. Si le journaliste la réussit, le sens ou les sens du texte proposé à la lecture aura été - inversement - bien construit. Si, par contre, la chute n’est pas réussie, alors apparaîtra la précarité de la construction, si bien que le billet s’écroule. D’où la pertinence de l’axiome qui dit : « le billet, c’est sa chute ». Cette chute doit être « cachée » au lecteur pour entretenir son intérêt jusqu’à la fin. Etant donné que le billet adopte l’enchaînement des idées, sa construction se fait de manière inversée, c’est-à-dire en partant de la fin (la chute). Son style est proche de celui de la blague que l’on raconte. L’auteur du billet doit être particulièrement capable d’exprimer son opinion sur tous les sujets d’actualité. La relation directe du billet avec les évènements en 83 cours limite considérablement sa durée de vie par rapport à celle des autres genres journalistiques, du fait qu’il fait abstraction des références, de la documentation, des dates, des lieux et des allusions explicites aux sujets traités. L’écriture du billet se caractérise par « l’humour », moyen utilisé pour attirer le lecteur et le faire adhérer à une conclusion à laquelle il sera parvenu lui-même. Cela est possible grâce au caractère succinct du billet et le fait qu’il peut en rire tout au cours de la lecture le prépare à saisir l’enseignement sans grande réticence. Le billet est l’ennemi des idées reçues et des stéréotypes. Sa difficulté - qui constitue également sa force - en fait un genre journalistique qui ne peut être maîtrisé que par une minorité dont les capacités émotionnelles, les talents rédactionnels et les capacités intellectuelles s’adaptent à la fois à l’élégance et au caractère percutant du billet. L’emplacement du billet dans le journal est spécifique. Il se situe généralement à « la une » ou « la dernière » (qu’on appelle également la deuxième « une »). Le titre du billet : Le titre du billet repose sur l’allusion et la suggestion. C’est le seul genre journalistique dont on ne peut saisir le sens du titre sans en lire le texte. Critères de qualité du billet : 1. Plus proche de « la caricature écrite » ; 2. S’imprègne de la personnalité de son auteur ; 3. Se caractérise par la concision et l’économie des mots ; 4. Tend vers la satire, utilise le double-sens, les clins d’oeil et l’allusion; 5. Utilise l’humour comme un moyen et non comme une fin en soi ; 6. Fortement expressif ; 7. Se base sur l’association d’idées et la capacité d’étonner ; 8. « Le billet est sa chute » (une fin inattendue qui en constitue la clé) ; 9. Donne un sens aux « détails » de la vie, tire un sens des évènements qui peuvent paraître contradictoires ou sans liens aux yeux du lecteur moyen ; 10. S’éloigne des idées reçues 84 2. La critique La critique est la présentation d’une œuvre culturelle, créative ou intellectuelle, qui se rapporte à l’écriture ou au monde du spectacle. Son objectif essentiel ne consiste pas à faire la critique (au sens littéral du terme) de l’œuvre présentée, mais plutôt de la mettre à la portée du public, sachant que le journaliste peut y émettre son point de vue qui ne doit pas verser uniquement dans l’énumération des défauts de l’œuvre. Ce qui est important dans l’article critique, c’est de donner une idée générale sur le sujet (exposition, ouvrage, pièce de théâtre…) et d’inciter le lecteur à prendre connaissance de l’œuvre par lui-même. La critique doit s’intéresser à ce que l’œuvre apporte de nouveau et de particulier, en la plaçant dans le contexte général et la dynamique du genre artistique auquel elle appartient. La critique se caractérise par l’unité du discours qui est d’ailleurs une règle générale commune à tous les articles de presse. Le discours de base de la critique peut se ramifier en plusieurs discours secondaires qui doivent soutenir une seule idée principale (l’impression personnelle du journaliste). Le journaliste ne doit pas traiter le sujet avec les outils de l’analyse académique (adopter une méthodologie de recherche scientifique, user d’un lexique spécialisé, recourir à une terminologie spécifique méconnue du grand public, formuler des recommandations ou tirer des conclusions péremptoires…) ; ce qui ne veut pas dire que le journaliste ne doit pas être au fait de la terminologie et du langage du champ artistique en question et de sa culture. L’article critique ne doit pas épuiser le sujet de l’œuvre artistique ou littéraire qu’il présente. Il doit, plutôt, choisir un angle d’attaque donné à travers lequel il peut présenter une vision des caractéristiques principales de l’œuvre. A cet effet, on a généralement recours à ce qu’on appelle « les seuils du texte » pour présenter les œuvres écrites (le titre, l’illustration de la couverture, la préface, la présentation, l’avant-propos, la quatrième de couverture, etc.). Cependant, se fier à ces seuls éléments peut être déroutant. Aussi, le journaliste doit-il prendre le temps de lire l’œuvre dans son intégralité, ou à tout le moins, la parcourir de manière attentive. Dans sa critique, le journaliste doit se suffire aux éléments qui appuient le discours principal et ne doit sélectionner que les informations et les données objectives qui corroborent l’impression générale que lui a inspirée l’œuvre artistique ou littéraire. Il peut inclure des témoignages de l’auteur de l’œuvre - ou de son directeur (en cas d’œuvre collective). Il est également recommandé de citer certains passages de 85 celle-ci surtout quand il s’agit d’œuvres de création. Ces passages sont sélectionnés selon le goût du journaliste, et présentent, en même temps, brièvement les dons et les talents créatifs de l’auteur. Ces témoignages et ces citations - dont les plus pertinents sont toujours les plus concis et les plus significatifs - ont le mérite d’éloigner de l’article critique la subjectivité du journaliste. La critique se caractérise par un style qui doit refléter, dans certains de ses aspects, l’étendue de la culture du journaliste afin de pouvoir convaincre car le lecteur doit sentir que le journaliste maîtrise le sujet traité. Le style de la critique rappelle celui du portrait et du reportage. Et puisque l’article critique tend vers la densification, il semble que sur le plan de la rédaction, il est plus proche du portrait que du reportage. Si nous devions faire une comparaison entre la critique, d’une part, et ces deux genres, d’autre part, nous pourrions dire que la critique est « un reportage » sur une œuvre culturelle ou artistique et non une « enquête », dans la mesure où elle ne suppose pas une construction rigoureuse pour atteindre une vérité incontestable. Comme pour le reportage, une attention particulière doit être accordée à l’introduction et à la chute. Le journaliste peut s’inspirer du titre du film, du livre ou de l’exposition pour choisir le titre de l’article critique. La critique figure parmi les genres journalistiques qui font le plus appel à la créativité du journaliste qui peut adopter un style qui ne soit pas moins créatif que celui de l’auteur de l’œuvre critiquée. Le style de la critique s’imprègne de la nature de l’œuvre qu’elle présente. La critique d’un film cinématographique, par exemple, fait plus appel à une écriture visuelle (voir le reportage journalistique) ; celle d’une œuvre de poésie adopte, quant à elle, une grande sélectivité dans l’expression et l’usage des figures de style (comme la métaphore), en s’inspirant, par ailleurs, de la terminologie et des termes consacrés dans chaque domaine. La construction de l’article critique est soumise à la loi de l’alternance (voir le reportage journalistique), surtout en ce qui concerne l’alternance des citations, des données objectives, des observations sur le terrain et des styles direct et indirect. La critique doit comporter les informations techniques et pratiques relatives à l’œuvre concernée pour indiquer au lecteur comment y avoir accès et à quel prix. 86 Le titre de la critique : Le journaliste peut s’inspirer du titre du livre, du film ou de l’exposition qu’il présente pour choisir le titre de son article, lequel se caractérise par une recherche stylistique. Exemple : la troupe « Théâtre de demain » présente sa nouvelle pièce intitulée : la « balançoire » La rhétorique du chaos Source : Guide du journaliste professionnel, « Le titre de presse, le plus court chemin vers le lecteur » - Abdelwahab RAMI, 2006. Critères de qualité de la critique : 1. La critique est un « reportage » sur une œuvre culturelle, artistique ou intellectuelle ; 2. Elle répond aux « six questions sœurs » en mettant l’accent sur la question « comment ? » ; 3. Elle met l’accent sur ce qui est nouveau et distingué dans l’œuvre, en se plaçant dans le contexte général de la production ; 4. Elle incite le lecteur à découvrir lui-même l’œuvre concernée ; 5. Elle n’épuise pas le sujet traité ; 6. Elle se caractérise par l’unité du discours ; 7. Elle évite l’approche académique ; 8. Elle nécessite la connaissance du domaine ainsi que la maîtrise de la terminologie et de la culture qui s’y rapportent ; 9. Elle préconise un angle d’attaque à travers lequel peuvent être traités avec agencement les différents aspects de l’œuvre ; 10. Elle intègre des témoignages de l’auteur ou du dircteur de l’ouvrage (s’il s’agit d’un ouvrage collectif ) ; 11. Elle inclut, de préférence, des extraits de l’œuvre concernée ; 12. Elle reflète une partie de la culture du journaliste (style distingué) ; 13. Elle adopte un style qui s’apparente à ceux du portrait et du reportage ; 14. Elle figure parmi les genres journalistiques qui font le plus appel à la créativité du journaliste ; 15. Sa composition est soumise à la règle de l’alternance (voir le reportage journalistique) ; 16. Elle intègre les informations techniques relatives à l’œuvre concernée. 87 3. L’éditorial L’éditorial est un genre journalistique qui vise, au-delà de l’émission d’un point de vue, l’expression d’une position qui incarne la ligne éditoriale de l’organe de presse. C’est ce qu’on appelle parfois « le point de vue officiel du journal ». Il est préférable que l’éditorial soit consacré aux grandes questions d’intérêt général dans les domaines politique, économique, social et culturel. Il est généralement publié à « la une ». L’éditorial porte la signature du journal ou, généralement, celle de la personne qui occupe la fonction de directeur de la rédaction ou de rédacteur en chef au sein de l’organe de presse. L’éditorial qui porte la signature du journal exprime plus l’engagement de celui-ci, tandis que celui signé d’un responsable du journal exprime la position de celui-ci sous couvert de la ligne éditoriale. Après la mutation de la presse quotidienne généraliste et sa transformation de « presse d’opinion » en « presse d’information », l’éditorial a perdu de sa force de frappe « à la une » en faveur de l’information fraîche. L’éditorial tire, désormais, sa valeur exclusivement de sa capacité de suivre les évènements et les questions dont l’importance appelle une prise de position claire. Aussi, ne doit-il pas être réduit à une formalité ou à un luxe quotidien, ce qui conduirait à sa dépréciation et à son usure par des sujets qui ne méritent pas d’être traités à travers ce genre journalistique. L’éditorial peut également trouver sa place dans les pages intérieures parmi les articles d’opinion. Bien plus, une même édition peut comporter plusieurs éditoriaux (selon les rubriques du journal). Contrairement à la presse quotidienne, l’éditorial concerne aussi les éditions de la presse hebdomadaire, bimensuelle ou mensuelle. L’éditorial tente toujours de gagner l’adhésion du lecteur à la position qu’il exprime, et ce à travers les preuves qu’il avance sur la véracité des thèses défendues par l’auteur. Cette démarche ne s’appuie pas seulement sur la polémique mais aussi, et surtout, sur l’argumentation, la logique et les exemples vivants, en dehors de toute subjectivité, et cela dans un style mesuré mais ferme. Il existe un type d’éditorial dit : « éditorial coup de gueule », basé sur la contradiction et la polémique (on y travaille le style en vue d’influencer, mais l’argumentation y est de mise). L’éditorial a « une tête », « un ventre » et « une queue »; ce qui correspond à la structure classique de l’article de presse avec une introduction, un développement et une conclusion. 88 Dans « la tête », l’éditorialiste expose le sujet et pose la ou les questions fondamentales qui s’y rapportent. L’introduction doit obligatoirement rappeler l’information sur laquelle se construit l’éditorial pourvu qu’elle soit connue. Si elle est nouvelle ou n’est pas connue du public, l’auteur est tenu de la présenter dans les limites qui la rendent compréhensible. Au niveau du « ventre », l’auteur expose les arguments qui corroborent la position défendue. Au niveau de « la queue », l’éditorialiste met l’accent sur le discours fondamental de manière à créer une prédisposition chez les lecteurs à s’en imprégner ou à l’intégrer. L’argumentation dans l’éditorial : Dans son argumentaire, l’éditorialiste s’appuie sur(1) - Les données objectives (y compris les chiffres et les statistiques) à même de convaincre le lecteur ; - Les évènements qui ont réellement eu lieu et les faits incontestables ; - Les sources dont la notoriété et la fiabilité sont reconnues ; - Les rapports et les études émanant des institutions et organisations locales, régionales et internationales crédibles ; - Les exemples qui rendent la position que défend l’éditorialiste claire, réaliste et concrète ; - Les convictions qui renvoient à un contexte commun qu’il est difficile de contester ; - Le style clair et simple mais percutant, sans verser dans le pédantisme et en évitant le style précieux et ampoulé ; - Les outils qui permettent d’étayer ou de réfuter, surtout dans le cas où la réfutation de thèses différentes ou contraires à l’avis de l’éditorialiste contribue à corroborer celles avancées. Quant à la construction des arguments et à leur agencement, il est préférable que l’éditorialiste commence par avancer les arguments les plus solides pour finir par ceux qui le sont moins. Il ne doit pas utiliser les faibles arguments de manière isolée car cela affaiblit considérablement l’éditorial, mais, plutôt, les répartir à travers le texte pour ne pas atténuer la portée des arguments solides. Le discours de l’éditorial se distingue par son caractère prescriptif, en ce sens qu’il tend à orienter vers ce qui doit être. Cependant, le journaliste doit éviter de (1) Voir également l’encadré sous le titre ‘’la différenciation entre les évènements et leurs détails’’ dans la partie consacrée à l’article d’analyse 89 tomber dans le style du prêche ou du sermon, et éviter que son texte prenne une allure idéologique. Il doit éviter, également, de répéter les mêmes idées avec des formulations différentes, ce qui réduirait l’éditorial à du verbiage. L’éditorial doit s’en tenir à l’unité de sujet car la multiplicité des discours fait perdre au texte sa force et son unité de sujet. Le titre de l’éditorial doit exprimer une position et ne doit pas se limiter à suggérer le sujet. Critères de qualité de l’éditorial : 1. L’éditorial exprime une position conforme à la ligne éditoriale du journal ; 2. Reflète « le point de vue officiel » du journal ; 3. Il est préférable qu’il soit consacré aux grandes questions relatives aux affaires publiques ; 4. Adopte l’argumentation et (pas nécessairement) la polémique ; 5. Ordonne les arguments du plus fort au moins fort ; 6. Adopte le débat d’idées et la logique ; 7. Avance des exemples ; 8. Adopte un style pondéré où le « moi » du journaliste est absent ; 9. Rappelle, dans son introduction (tête) , l’évènement ou le phénomène dont il traite ; 10. Résume le message principal dans la conclusion (queue) ; 11. S’éloigne du style du prêche et du sermon ainsi que du discours idéologique ; 12. Respecte l’unité du sujet ; 90 4. La chronique : La chronique est un genre d’écriture journalistique où l’auteur s’engage, sous un titre invariable et une place fixe dans le journal, à attirer l’attention sur un sujet, qu’il choisit lui-même, partant de sa conviction que le sujet choisi est important. Le chroniqueur peut être un membre de l’équipe de la rédaction ou un collaborateur extérieur. La chronique est dévolue à une plume connue et expérimentée dans le domaine de l’écriture, ou à une personnalité qui possède un poids social et un charisme reconnus. Le chroniqueur adopte une périodicité régulière (généralement hebdomadaire) qu’il prend comme un rendez-vous fixe pour tisser une relation de confiance avec ses lecteurs. Dans la presse arabe, les chroniqueurs sont parfois connus sous le nom d’ « écrivains d’opinion » qu’on sollicite pour paraître, de manière régulière, dans les journaux et les revues. Le chroniqueur représente « la voix de la sagesse » au sein du journal. Bien qu’il s’appuie sur ses opinions propres dans le traitement des sujets qu’il aborde, sa culture - supposée être vaste -, sa compréhension globale du cours des évènements, sa perspicasité, sa faculté d’observation et son aptitude à tirer des enseignements, donnent une valeur et un poids à ce qu’il écrit. Le lecteur doit sentir de la pondération dans les propos du chroniqueur grâce à la démarche pluridisciplinaire qu’adopte celui-ci et à travers son style mesuré, les arguments et les preuves qui étayent ses opinions. Par surcroît, l’auteur de la chronique doit être conscient de sa responsabilité sociale et veiller à ce que ses opinions ne soient pas éphémères (qui ne durent qu’une journée ou quelques heures) et ne se réduisent pas à un simple reflet des évènements. Le chroniqueur cherche souvent à analyser les évènements en vue de parvenir à des conclusions qui revêtent un caractère durable. il questionne généralement les évènements et les phénomènes en relation avec les concepts de démocratie, de bien-être social, d’intérêt général, de modernité, d’égalité, de justice, de tolérance, de progrès, d’authenticité et d’identité culturelle, tout en élevant ces concepts au niveau de la réflexion. D’où la profondeur intellectuelle qui caractérise la chronique. Etant donné que la chronique porte la marque personnelle de son auteur, il est permis d’y utiliser la première personne du singulier, et ce contrairement à l’article d’analyse où le « je » doit être banni. Les mots et les expressions utilisés dans la chronique ne doivent pas être toujours fortuits, et peuvent dépasser le sens premier vers des degrés sémantiques supérieurs. 91 L’auteur de la chronique bénéficie d’une liberté à triple dimension que certains qualifient de « carte blanche » : • La liberté de choix du sujet : Le chroniqueur choisit le sujet qui lui semble digne d’intérêt, en relation avec les évènements en cours ou avec des phénomènes nouveaux ou permanents dans les domaines politique, économique, social ou culturel. Cependant, le rédacteur en chef se doit de suggérer - et non ordonner - au chroniqueur d’« observer » le cours des évènements afin de les placer dans leur contexte véritable et d’en tirer les différents enseignements qui éclairent la lanterne du lecteur. • La liberté de style : Le chroniqueur a un style qui lui est propre. Il n’est pas obligé de se conformer au style de la ligne éditoriale du journal. Plus le style est personnel, plus la chronique apporte de la diversité et de la richesse au journal. Cependant, le rédacteur-en-chef doit attirer l’attention sur certaines règles générales de l’écriture journalistique dont le chroniqueur doit s’inspirer, à savoir surtout: la clarté (clarté du message de base et de l’expression), la fluidité du style, la simplicité, le soin qu’il faut apporter à l’introduction, la maîtrise des techniques de persuasion. • La liberté des moyens de persuasion : La méthode de persuasion utilisée par le chroniqueur peut résider dans la forme (style) ou dans le fond (l’idée). Il peut opter pour l’argumentation intellectuelle ou recourir aux exemples, à l’induction ou à la représentation, etc. Il a, en effet, toute la latitude pour défendre ses thèses dans le style où il excelle le plus, sans être astreint à une démarche précise qui risque de rendre son écrit sec et rébarbatif. Le chroniqueur possède en général la faculté d’analyser les données d’un champ précis avec les outils d’un autre champ (démarche pluridisciplinaire), ce qui donne un attrait supplémentaire à la méthode suivie pour convaincre. La chronique se caractérise par son « identité visuelle » (encadrée ou tramée, accompagnée de la photo du chroniqueur et de son adresse électronique pour correspondre avec les lecteurs…). Cette « identité visuelle » permet aux lecteurs qui apprécient ce genre journalistique d’y accéder directement et sans difficulté. 92 Le titre de la chronique : « Le titre de la chronique reflète la personnalité de son auteur et en exprime le style. Le titre de ce genre, plus que tout autre genre journalistique, relève de la responsabilité de son auteur. Si l’auteur est un collaborateur extérieur à la rédaction, il doit respecter les règles générales auxquelles est soumis le titre. Sinon, il revient au secrétaire de la rédaction de reformuler le titre afin de le rendre conforme à ces règles ». Source : « Le guide du journaliste professionnel : le titre, le chemin le plus court vers le lecteur » - Abdelwahab RAMI - 2006 Critères de qualité de la chronique : 1. Représente la voix de la sagesse et de l’équilibre dans le journal ; 2. Reflète une vaste culture ; 3. Se caractérise par la modération dans les jugements ; 4. Médite sur les évènements et tire les enseignements et les conclusions qui s’imposent ; 5. Adopte généralement une méthodologie pluridisciplinaire ; 6. Reflète la conscience de l’auteur concernant sa responsabilité sociale ; 7. Questionne les concepts sociologiques et les valeurs ; 8. Emploie certains aspects de la pensée ; 9. Utilise le concept de l’induction ; 10. Utilise les outils de la persuasion ; 11. Traite de sujets concrets et réels et ne verse pas dans l’abstraction ; 12. Etablit une relation avec des lecteurs fidèles. 93 5. L’article d’analyse L’article d’analyse examine un fait, une situation, un phénomène ou un problème donnés afin d’en comprendre le sens à travers la recherche des relations entre les faits et les évènements liés au sujet de l’analyse. Aussi, la démarche adoptée dans ce genre journalistique relève-t-elle de la recherche de « ce qui se cache derrière l’information ». L’article d’analyse suit les étapes et les procédures propres à l’enquête journalistique, excepté l’action sur le terrain. De ce fait, l’analyse est une enquête intellectuelle menée au bureau. L’article d’analyse se fonde sur l’explication objective en s’appuyant sur un certain nombre de données historiques, géographiques, politiques, économiques, culturelles, religieuses, etc. C’est-à-dire qu’il adopte la pluridisciplinarité des domaines de la connaissance et tend à exploiter la documentation de manière intense, ne serait-ce qu’en en utilisant les données comme background de l’analyse. L’article d’analyse adopte une démarche démonstrative basée sur l’argumentation et les preuves. L’analyse doit demeurer directe et concrète. Elle ne doit pas tomber dans la théorisation et l’abstraction qui caractérisent la démarche académique. Elle doit également recourir à la relativisation et se garder de faire porter aux évènements une charge qui dépasse leur portée réelle. Elle peut aussi exploiter, comme preuves ou arguments, des témoignages vivants ou tirés de la documentation. L’une des caractéristiques de l’article d’analyse est son ouverture constante aux propositions et aux idées nouvelles, et ce à travers l’exploitation des liens logiques qui prouvent l’inclusion, l’adéquation, l’intersection, l’exclusion ou le dépassement. 5.1 Explication des liens entre les évènements ou entre les détails de ces évènements dans l’article d’analyse Si l’on essaie d’établir une relation entre « A » et «B» en termes d’efficience, d’efficacité ou de positivité, il serait possible de prouver que « A » satisfait aux spécifications définies contrairement à « B ». L’analyse peut aussi prouver le contraire et démontrer que c’est plutôt « B » qui répond aux critères requis et non « A ». De même, l’analyse peut aboutir à des conclusions qui prouvent que ni « A », ni « B » ne répondent aux spécifications demandées ou que chacun des deux y répond totalement ou partiellement. 94 L’analyse peut aussi dépasser « A » et « B » pour apporter une proposition alternative avec « C », en faisant abstraction des deux ou en apportant des modifications ou des amendements partiels à l’un ou à l’autre. 5.2 La construction de l’article d’analyse : Le journaliste présente le sujet (événement, situation, phénomène, problème…) dans l’introduction de son analyse avant d’en exposer la problématique. Le journaliste peut également faire les deux en même temps (présenter le sujet et en exposer la problématique), et ce en présentant le sujet sous forme de problématique. Le journaliste passe ensuite à la clarification des relations dialectiques, cachées, brouillées ou complexes, entre les différents évènements. Le traitement, dans l’article d’analyse se base, d’une manière générale, sur la réponse à la question « pourquoi ? », laquelle conduit à une interprétation approfondie qui révèle les relations et l’interdépendance des différents détails des évènements. La question « pourquoi ? » représente également un des outils de l’induction et de la déduction dont se sert le journaliste-analyste. L’article d’analyse peut, parfois, dans certains de ses passages, avancer des interrogations directes suivies de réponses qui s’appuient sur des évènements ou des conclusions partiels. L’article d’analyse se termine par une conclusion (à l’instar de l’enquête de presse), c’est-à-dire qu’il finit nécessairement en tirant les conclusions de l’analyse. On peut également aboutir aux conclusions (ou à la conclusion) finale(s) lors de la rédaction de ce genre d’article journalistique à travers des conclusions partielles qui résument ce qui précède et introduisent ce qui suit. Les conclusions de l’analyse peuvent être consignées de manière concise dans l’introduction. Parmi les schémas les plus courants de l’article d’analyse, il y a celui qui se base, de manière directe ou allusive, sur le triptyque: situation, causes et conclusions. 5.3 Certains des critères de sélection des œuvres journalistiques proposées pour l’obtention du Grand Prix National de la Presse (Maroc) 2004, relatif à l’article d’analyse(*) • L’article d’analyse doit se concentrer sur un phénomène, un cas, ou une situation politique, économique ou sociale etc., qui a une portée sociale évidente et prioritaire. • L’article d’analyse doit se caractériser par la clarté aux niveaux du traitement, de la présentation des données et de la construction linguistique. (*) Ces critères avaient été définis par l’auteur du présent guide 95 • L’article d’analyse doit être concis dans les limites qui permettent d’apporter tout le sens et qu’exigent les ramifications du sujet. Cela doit se faire sans remplissage ni redondance, sachant que l’analyse n’est pas synonyme de longueur. • Le discours de base que comporte l’article de l’analyse doit être clair et convaincant. Le titre de l’article d’analyse : « Le titre de l’article d’analyse s’attache à consigner le résultat de l’analyse pour guider le lecteur à suivre – à travers l’article – les pas (les éléments, les arguments…) qui ont conduit le journaliste aux conclusions auxquelles a abouti l’analyse ». Le titre peut refléter la conclusion générale de l’analyse ou l’une des conclusions partielles que le journaliste juge comme étant la plus importante, et qui peut constituer une entrée attirante qui incite à la lecture de l’article. Le titre de l’article d’analyse se caractérise par son caractère posé parce qu’il est censé renvoyer au caractère rigoureux et objectif de l’analyse, tout comme il est censé renvoyer au traitement (de manière à montrer que ce n’est pas un genre qui rapporte l’information) ». Source : « Guide du journaliste professionnel : le titre, le plus court chemin vers le lecteur » - Abdelwahab RAMI -2006. 96 Critères de qualité de l’article d’analyse 1. Traite de « ce qui se cache derrière l’information » ; 2. C’est une enquête intellectuelle produite dans les bureaux ; 3. Utilise la documentation de manière intense ; 4. A recours à l’explication objective ; 5. Adopte la démarche démonstrative ; 6. Adopte la pluralité des champs de la connaissance ; 7. Apporte des preuves ; 8. Est concret ; 9. Adopte la relativisation dans l’analyse ; 10. Est ouvert sur les propositions et les idées nouvelles ; 11. Exploite les liens logiques ; 12. Se construit sur la base de la relation dialectique entre les données, en tendant à utiliser la question « pourquoi ? » ; 13. Révèle les corrélations entre les parties des évènements ; 14. Utilise les conclusions partielles ; 15. Se termine par les conclusions de l’analyse (conclusion). 97 CONCLUSION En mentionnant sur la couverture, en guise de sous-titre, que les genres journalistiques sont « les clés de l’information professionnelle », il ne s’agissait pas pour nous d’une simple clause de style ni d’une annonce sans objet. En effet, les journalistes qui ne maîtrisent pas les outils de leur travail ne peuvent pas accéder à « la connaissance spécialisée » qui est supposée les distinguer d’autrui et ne pourront jamais dépasser l’âge de l’adolescence professionnelle ou sortir de l’amateurisme. Nous avons voulu que ce guide soit exhaustif sans pour autant être noyé dans les détails. Nous n’avons pas adopté une approche qui consiste à passer à la loupe chaque genre journalistique. Ce n’était pas là l’objet de ce guide. En effet, l’objet de cet ouvrage était de présenter les genres journalistiques de manière comparative (voir premier chapitre), car nous estimons que les journalistes en exercice ou en formation ne peuvent se passer d’une connaissance parfaite de « la carte des genres journalistiques », et ce en assimilant les finalités (les fonctions) auxquelles ces genres sont dédiés, afin de pouvoir profiter des énormes possibilités qu’offre la profession, s’exprimer, tout en portant la voix de la société, et tenter de s’ériger en « quatrième pouvoir ». Il va sans dire que la direction de la rédaction (en premier lieu la rédaction en chef) ne saurait se passer de cette « carte des genres » afin de pouvoir conférer la richesse, l’attrait et la vitalité nécessaires aux produits journalistiques qu’elle propose et afin d’orienter les journalistes vers des genres donnés ou les amener à se spécialiser dans un genre en particulier. La connaissance des genres journalistiques ne veut pas dire qu’on peut les pratiquer tous avec le même degré de perfection. En effet, les prédispositions, les aptitudes et les goûts du journaliste peuvent le disposer à exceller dans un genre ou dans un autre, ce qui ne constitue point un défaut. Le véritable défaut du journaliste réside dans le fait que sa culture des genres soit insuffisante. C’est pourquoi nous conseillons au lecteur du présent guide de le prendre comme une introduction aux différences entre les genres journalistiques, telles qu’elles ont été explicitées, et ce préalablement à toute spécialisation dans un genre en particulier. Ainsi, pourrait-il apporter une contribution qualitative pour servir une profession qui n’est pas comme les autres et qui est loin d’être un champ libre laissé à l’improvisation et l’anarchie. 7 101 BIBLIOGRAPHIE 1. 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