Qu`as-tu fait de ton frere

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Qu`as-tu fait de ton frere
QU’AS-TU FAIT DE TON FRÈRE ?
LA FRATERNITÉ, SOCLE FONDATEUR DE NOS INSTITUTIONS
L’accueil de l’exilé, le refus de toute discrimination, les principes de Liberté, d’Egalité, et de
Fraternité sont des valeurs fondatrices de la démocratie française. La constitution de 1958 rappelle
que « Tout homme persécuté en raison de son action en faveur de la liberté a droit d'asile sur les
territoires de la République ». Dès son article premier, la constitution confirme que la France
«assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion.
Elle respecte toutes les croyances ».
De leur côté, les Papes n’ont pas cessé de rappeler que l’accueil du migrant est une exigence
majeure pour les chrétiens. Lors de la 100ème Journée mondiale des Migrants en 2014, le pape
François a appelé à transformer le regard des chrétiens : « Tout être humain est enfant de Dieu !
L'image du Christ est imprimée en lui ! Il s'agit alors de voir, nous d'abord et d'aider ensuite les
autres à voir dans le migrant et dans le réfugié, non pas seulement un problème à affronter, mais
un frère et une sœur à accueillir, à respecter et à aimer, une occasion que la Providence nous offre
pour contribuer à la construction d'une société plus juste, une démocratie plus accomplie, un pays
plus solidaire, un monde plus fraternel et une communauté chrétienne plus ouverte, selon
l'Évangile.»
LA SITUATION DANS NOTRE DÉPARTEMENT
L'arrivée des beaux jours ne doit pas nous faire oublier les situations des personnes et des
familles en détresse, en particulier toutes ces personnes qui ne bénéficient pas d'un logement décent.
C’est vrai que, lors des grands froids, les médias se mobilisent pour nous interpeller sur ces
situations dramatiques. Mais lorsque la météo se fait plus favorable, ces relais médiatiques
s’estompent au risque de nous faire oublier que ces situations sont toujours présentes, oubliées mais
toujours présentes.
C’est ainsi qu’en Mayenne, tout cet hiver, des personnes, des familles, des enfants (entre trente
et cinquante personnes au total) n'ont pas reçu de propositions pour être hébergées pour la nuit. Un
scandale auquel nous ne devons pas nous habituer. Le Service Intégré d'Accueil et d'Orientation
(SIAO - 115), assailli par les demandes, s’est efforcé de faire front à l'urgence sans pouvoir remplir
totalement sa mission. En décembre, quelques-uns de ces lieux en France se sont mis en grève pour
alerter sur cette situation.
Avec la fin de la campagne hivernale, des places en hébergement provisoire sont supprimées.
Ainsi, le SIAO se retrouve à accueillir environ 25 familles, soit de l’ordre de 100 à 120 personnes
(dont près de la moitié d’enfants) qui ne trouveront probablement pas d’hébergement d’ici à la fin
avril (Ouest-France 4-5 avril 2015).
DES ACTEURS ENGAGÉS SUR LE TERRAIN
Des bénévoles et des professionnels se mobilisent toute l'année sur tout le territoire de la
Mayenne pour assurer un accueil qui respecte la dignité due à tout être humain. Des particuliers, des
associations et des collectivités aussi mettent à disposition un logement pour un temps déterminé.
Que chacun soit remercié pour cette générosité et cette solidarité.
Les pouvoirs publics mobilisent des moyens financiers pour permettre aux structures de
fonctionner. Les efforts des services de l’État ont permis de doubler l’hébergement depuis deux
ans ; même si cet effort est notable, il reste malheureusement encore insuffisant. Ils ont obtenu des
aides supplémentaires pour favoriser l'hébergement des personnes lors des périodes de grands
froids. Dès lors que le plan hivernal prend fin, où vont être logées toutes ces familles ? Nous
habituerons-nous à laisser 20, 50 voire 100 personnes, chaque soir, sans solution d'hébergement ?
S’il y avait, ne serait-ce qu’une seule personne, à être dans cette situation, nous devrions nous en
inquiéter tout autant. Dans son souci de respecter la dignité humaine, le législateur prévoit que toute
personne sans abri en situation de détresse médicale, psychique et sociale a accès à tout moment à
un dispositif d’hébergement d’urgence (cf. Code de l’Action Sociale et des familles).
Des associations diverses travaillent sur ce chantier, des jeunes se sentent concernés en militant
à « Lycéens sans frontières ». Ces associations s'organisent même entre elles pour être force de
propositions tant dans l'hébergement d'urgence que dans des solutions pérennes, mais leur action est
surtout primordiale dans l'accompagnement social et humain. Elles ont constitué le COLLEDIS
(Collectif d’entraide et d’innovation sociale) ; notre diocèse y est actif avec le Secours Catholique,
les Conférences Saint Vincent de Paul et l’Antenne Sociale. Tous ces bénévoles de différents
horizons, avec des pratiques diverses dans leur militantisme, croyants ou non, sont capables de
collaborer dans l’intérêt des personnes à partir de valeurs communes : accueil inconditionnel,
dignité de la personne, solidarité, …. Ils peuvent être remerciés de mettre en valeur le terme de
fraternité si cher à la république française et aussi, pour les chrétiens, de témoigner de cette
fraternité universelle dans laquelle nous sommes incorporés à la suite du Christ lors de notre
baptême.
UN APPEL À PLUS DE SOLIDARITÉ ENCORE
Face au drame des personnes déplacées, nous ne pouvons pas nous taire ou rester inactifs. Nous
savons qu’une part importante de ces personnes arrivent de l'étranger parce que les conditions sur
place ne leur permettent plus de vivre et même parfois pour échapper à une mort certaine. Elles sont
dans une situation dramatique. Elles ont tout quitté : la famille, le travail, leur culture, leur pays ;
elles ont dépensé leur fortune pour partir, pour tenter de vivre sans épée de Damoclès au-dessus de
leur tête. Peut-on leur reprocher de fuir à la recherche d'un monde meilleur ? Bien sûr que nous
avons à les accueillir, à les recevoir comme frères sans, cependant, oublier tous ceux qui n'ont pas
les moyens de fuir, qui ne peuvent faire entendre les cris de leurs souffrances et pour lesquelles nous
devons demander aux états démocratiques d’œuvrer pour plus de liberté et de justice et à nousmêmes d'avoir un plus grand sens du partage.
La fraternité que nous sommes appelés à organiser se trouve en décalage avec la législation de
notre pays : nous parlons de personnes en situation irrégulière parce que nous les observons du
point de vue de notre législation ; elles-mêmes se diraient plutôt en situation d'expatriation ou de
persécution. La belle déclaration universelle des droits de l'homme ne serait-elle réservée qu'à une
partie de l'humanité ? Ne devons-nous pas tout mettre en œuvre pour qu'elle soit effective partout ?
Avant de renvoyer une personne dans son pays, sommes-nous sûrs qu'elle ne court vraiment aucun
danger ? Au nom de leur conscience, des femmes et des hommes ont le droit, ont le devoir de
s'insurger et de travailler pour que les personnes obtiennent le statut de « réfugiées ». Il ne s'agit pas
de s'opposer à la Loi française, il s'agit d'un devoir d'humanité.
UN DEVOIR D’ACCUEIL INCONDITIONNEL
Aujourd'hui, il nous est impossible d’ignorer toutes ces détresses. Nous devons mettre au
contraire tout notre cœur et toute notre intelligence pour tenter de résoudre ces questions. Nous
pouvons intervenir à différents niveaux en tant qu'hommes, en tant que citoyens et en tant que
chrétiens.
- En tant qu’hommes, nous avons à reconnaître la personne sans abri comme faisant partie de
notre humanité et nous comporter en sorte qu’elle puisse le ressentir et l’éprouver comme
tel. À nous d’orienter ces personnes vers les associations et les structures d’accueil
adaptées à leurs besoins et mobiliser en leur faveur les travailleurs sociaux.
- En tant que citoyens, nous pouvons participer aux actions menées par telle ou telle
association : nous pouvons militer pour une meilleure répartition des richesses et pour
que les droits de l'homme soient respectés partout dans le monde ; mais aussi intervenir
près de nos élus communaux et départementaux pour qu’ils acceptent de mettre un ou
plusieurs logements à disposition de familles sans hébergement digne. Des locaux sont
vides : avec le concours des collectivités publiques et le concours des associations, ils
pourraient être aménagés pour accueillir des personnes sans abri. Agir ainsi, c’est rendre
concrète la pensée sociale de l’Église dans son principe de « destination universelle des
biens » :
L’homme ne doit jamais tenir les choses qu’il possède légitimement comme
n’appartenant qu’à lui, mais les regarder aussi comme communes : en ce sens qu’elles
puissent profiter non seulement à lui, mais aussi aux autres (Compendium de la Pensée
sociale de l’Église n° 178 et Gaudium et spes n° 69).
Une société qui, à tous les niveaux, désire véritablement demeurer au service de l’être
humain est celle qui se fixe le bien commun pour objectif prioritaire dans la mesure où
c’est un bien appartenant à tous les hommes et à tout homme (Compendium de la Pensée
sociale de l’Église n° 165).
- En tant que chrétiens, nous avons à reconnaître à travers ces personnes le Christ sans
logement, des « frères » à soutenir dans leurs épreuves, à accompagner dans leurs
difficultés. Nous devons être inventifs pour les aider à sortir de la précarité, leur apporter
un peu de paix, de joie et d’amitié. Ce qui plaît à Dieu, c’est l’homme debout. Si nous
avons un ou des logements vides, pourquoi ne pas envisager d’en confier la gestion à une
association telle qu’Habitat et Humanisme qui pourra y loger des personnes en situation
de précarité ? Les situations de pauvretés sont des défis à notre intelligence mais elles ne
doivent pas l'être pour notre cœur.
Même si les températures sont plus douces, mobilisons-nous pour que chacun trouve un toit et
des amis. Serions-nous capables de relever le défi pour que, d’ici à l’hiver prochain, des logements
dignes puissent être proposés à toutes les personnes et familles sans abri ?
Fait à Laval, le 13 avril 2015
Mgr Thierry SCHERRER
Évêque de Laval
En concertation avec :
Daniel FOUQUERAY, Antenne sociale et Diaconie
Joseph LALAIRE et Guy OGER, Secours catholique
Jean-Yves STEUNOU, Conférence St Vincent de Paul