ATELIER THEATRE - MA VILLEPINTE - par Laurent

Transcription

ATELIER THEATRE - MA VILLEPINTE - par Laurent
Atelier permanent de théâtre - animé par Laurent VACHER
VILLEPINTE - février à octobre 2000
Pendant 9 mois, la Compagnie Les Acharnés a confié à Laurent VACHER, comédien et metteur en
scène, la direction d'un atelier hebdomadaire de pratique du théâtre en direction des détenus du
quartier mineur de la Maison d'Arrêt de Villepinte (Seine-Saint-Denis). Dans ce texte, il nous livre ses
réflexions et ses critiques concernant son travail et les difficultés rencontrées dans l'enceinte de la
prison.
QUELQUES REMARQUES CONCERNANT LES ATELIERS THEATRE
AU QUARTIER MINEURS DE LA MAISON D’ARRET DE VILLEPINTE.
par Laurent VACHER
Faire des ateliers théâtre en milieu carcéral, c’est amener les jeunes à faire du théâtre par
rapport à ce qu'ils sont. Sinon, qu’est-ce qu’on attend d’un homme de théâtre en prison ?
J’ai tenté de faire durant ces ateliers avec ces jeunes ce que je fais à l’extérieur: du théâtre.
Même si certaines improvisations ont été violentes sur les thèmes du braquage, de la garde
à vue ou d’une sexualité mal vécue, ce n’a jamais été par choix mais ce sont les jeunes qui
souhaitaient aborder ces sujets. Par contre, au sein de ces improvisations, tant bien que mal,
avec toutes les difficultés qu’il peut y avoir à canaliser ces énergies, je suis resté dans le
domaine du théâtre.
Au cours de ces séances, on a eu affaire à un véritable début de travail théâtral avec
répétitions, distribution de la parole, construction d’un espace imaginaire et de règles de jeu
permettant d'établir une fiction dans un espace vide (où est la banque, où est le
commissariat, dans quel sens on ouvre la porte... ?).
Pour ma part, les comportements physiques dits violents des adolescents lors de ces
improvisations tenaient plus de l'exubérance que de la violence. Je ne me suis senti à aucun
moment dans une situation de violence, ou dans une situation explosive. Il est vrai que le
surveillant qui est derrière la vitre à regarder ce qui se passe n’est pas dans une position
facile durant 1 heure et demi : il assiste de façon complètement passive à l’exubérance de
ces jeunes qui à l’occasion et en passant peuvent lui adresser des quolibets qui seront alors
les seuls moments retenus par les surveillants de ces séances théâtrales.
Cependant, les surveillants connaissent ces jeunes et le peu de raffinement de leurs
expressions. Il peut paraître curieux qu’ils s’en étonnent.
J’ai à chaque fois incité les enfants à s’occuper d’eux-mêmes et de l’atelier en cours, et non
des surveillants.
Concernant les débordements ayant eu lieu à l’issue de l’atelier, je serais affligé de penser
qu’ils sont en lien direct avec la pratique théâtrale. Pour moi, ces jeunes s’expriment à
travers le théâtre et même s’ils ne se sont pas rendus compte que leurs improvisations,
c'était du théâtre, j’ai eu l’impression de les amener à un travail sur l’imaginaire. Ils ont
d’ailleurs exprimé à cette occasion une vision très critique d'eux-mêmes et de ce genre
d’activités (braquage, cambriolage...).
Quant à l’improvisation lors de laquelle il y a eu des allusions orales et physiques à la
fellation, j’ai de mon plein gré interrompu le travail expliquant aux jeunes que le thème de
travail était une histoire d’amour, et non de la violence autour du sexe. Le canevas
d’improvisation devait les amener loin de telles scènes, quand j’ai vu vers quoi cela
s’orientait, j’ai mis un terme à ce travail leur expliquant que pour moi ils étaient totalement
hors sujet et qu’une fellation forcée n’avait absolument rien à voir avec un acte amoureux.
J’ai senti que j’étais alors sur un sujet très difficile, et la séance de théâtre est repartie sur un
autre thème.
Au début de cette séance, je leur par ailleurs fait part de mon mécontentement d’avoir été
réprimandé suite à leur inconduite après le précédent atelier. Les jeunes m’avaient répondu
que cela ne me concernait pas.
Cela s’est mieux passé avec l’autre groupe que j’avais eu précédemment parce qu’il
s’orientait plus spontanément vers le mode de la narration et non sur le mode du jeu, ce qui
donnait un travail beaucoup plus calme.
Les deux derniers ateliers que j’ai eu avec ce groupe ont uniquement porté sur un travail de
texte qui s’est très bien déroulé tant sur le point de vue de la lecture du texte que sur l’aspect
théâtral même si la concentration est difficile à maintenir avec ces jeunes.
Par rapport au comportement des jeunes que j’ai rencontré et pour lesquels j’ai par ailleurs
beaucoup de respect, ils sont très frustrés et leur langage est essentiellement à base de
grossièretés et d’insultes, registre duquel je me suis appliqué avec peine à les faire sortir.
Par ailleurs, ils me semblent avoir une totale méconnaissance des valeurs morales, du bien
et du mal et je sors de ces séances frappé par leur manque de repères et leurs questions à
mon égard (sur mon mode de vie notamment).
Suite à cette expérience, il me semble indispensable de mener une réflexion sur le thème
suivant : pourquoi faire venir des hommes de théâtre dans un lieu carcéral ?
Qu’attend-on de quelqu’un qui n’est ni dans le système pénitentiaire, ni social, ni
administratif, qui vient de son plein gré par métier et par passion, si ce n’est qu’on soit pour
ces jeunes une autre façon de voir le monde ?
Nous ne sommes ni des révolutionnaires, ni des dynamiteurs ou des porte-flingues mais
plutôt du côté des Don Quichotte et des poètes.
On peut s’interroger sur la façon dont le personnel pénitentiaire assume cet état de fait. Il
serait sûrement plus consensuel d’envisager de faire faire ces ateliers par des intervenants
sociaux qui utilisent le théâtre comme un outil d’insertion, ce qui n’est pas mon cas.
J’ai toujours écouté et essayé de prendre en compte les réflexions venant des surveillants, y
compris concernant les difficultés de circulations des enfants et leur vision de ce que pourrait
être une activité théâtre au sein d’un établissement pénitentiaire, par contre, je ne pense pas
que les surveillants aient été à l'écoute de ce que je leur ai dit du travail que j’entreprenais
avec les jeunes.
Nous sommes totalement d’accord sur une chose : le non-fonctionnement d’un rendez-vous
théâtral hebdomadaire.
Il nous semble que ce genre de travail ne peut être qu’un coup dans l’eau si on doit attendre
une semaine avant de voir les fruits et les conséquences d’une improvisation ou du travail
sur un texte.
Il s’est passé tellement de choses entre-temps que ce qui s’est déroulé le samedi d’avant est
déjà oublié une semaine après.
Il me semble indispensable d’avoir une discussion sur ce thème avec l’administration et les
surveillants.