LA NOTIFICATION D`UN TITRE EXÉCUTOIRE AU REDEVABLE DE

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LA NOTIFICATION D`UN TITRE EXÉCUTOIRE AU REDEVABLE DE
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LA NOTIFICATION D’UN TITRE EXÉCUTOIRE AU REDEVABLE DE L’IMPÔT
CONSTITUE-T-ELLE UN OBSTACLE AU RECOUVREMENT
DES CRÉANCES FISCALES ?
Par Thierry GASQUET
Docteur en Droit
Avocat au Barreau de TOULOUSE
Le contentieux du recouvrement est un contentieux de l’urgence dans lequel les garanties des redevables de l’impôt sont, le plus
souvent, réduites à leur plus simple expression. Leur développement passe alors par l’affirmation et la préservation de principes
fondamentaux en matière de poursuites.
Parmi ces principes, celui de la notification du titre exécutoire au redevable de l’impôt, préalablement à l’engagement de
poursuites à son encontre, illustre parfaitement la volonté du juge de rétablir un certain équilibre entre l’objectif d’optimisation
des rentrées fiscales poursuivi par les comptables publics, et la préservation des droits des personnes poursuivies. En la matière,
la jurisprudence récente du juge judiciaire ouvre des perspectives nouvelles pour les redevables de l’impôt, et, corrélativement,
fait naître des difficultés de procédure supplémentaires pour les services chargés du recouvrement.
1. - Dès lors que les tentatives de recouvrement amiable ont échouées, l’engagement de poursuites en recouvrement
forcé reste le seul moyen de contraindre les redevables défaillants à s’acquitter de leurs dettes fiscales. Pour remplir à
bien leur mission, et ainsi que le prévoit l’article L. 258 du LPF, les comptables publics peuvent recourir non
seulement aux voies d’exécution spécifiquement fiscales (avis à tiers détenteur notamment), mais également, aux
procédures civiles d’exécution de droit commun réformées par la loi n° 91-650 du 9 juillet 1991 (JO 14 juillet 1991,
Dr. Fisc. 1992, n° 14, p. 609-612) et son décret d’application n° 92-755 du 31 juillet 1992 modifié (JO 5 août 1992,
Dr. Fisc. 1993, n° 6, p. 289-293).
Quelle que soit la voie d’exécution choisie pour procéder au recouvrement des sommes qui lui sont dues, le Trésor
n’échappe pas à la règle selon laquelle la poursuite d’un débiteur n’est possible que si le créancier dispose d’un titre
exécutoire constatant une créance liquide et exigible1. L’article 25 du décret n° 62-1587 du 29 décembre 1962
portant règlement général sur la comptabilité publique (JO 30 déc., p. 12828) dispose d’ailleurs, alinéa 1er, que le
recouvrement forcé des créances est poursuivi par les voies de droit en vertu d’un titre ayant force exécutoire. De
sorte qu’à défaut d’être en possession d’un tel titre, le créancier fiscal, à l’instar du créancier de droit commun, ne
peut prétendre qu’à la prise de mesures conservatoires.
Mais en outre, en vertu de l’article 83 du décret du 29 décembre 1962, les titres exécutoires doivent être notifiés aux
redevables, conformément aux instructions du ministre des finances, soit par les ordonnateurs, soit par les
comptables. La régularité de la poursuite des redevables de l’impôt demeure alors conditionnée par la notification du
titre exécutoire que le Trésor détient à leur encontre.
Or, à l’approche du dixième anniversaire de la réforme des voies d’exécution, un constat s’impose : la condition
tenant à la notification du titre au redevable de l’impôt génère un contentieux grandissant, au point de constituer un
obstacle sérieux au recouvrement des créances fiscales.
1
Posée par l’article 2 de la loi du 9 juillet 1991, la nécessité d’être en possession d’un tel titre préalablement au recours aux voies d’exécution est
ensuite rappelée par les textes pour chaque mesure d’exécution, qu’il s’agisse des saisies-attributions (L. art. 42, D. art. 55), de la saisie des
rémunérations dues par un employeur à son débiteur (Code Trav., art. R. 145-1), des saisies-ventes (L. art. 50, D. art. 81), de la saisie des droits
incorporels (L. art. 59, D. art. 139), ou de la saisie-appréhension (D., art. 140).
2
I. – De l’émission du titre exécutoire à sa notification
L’authentification des créances prises en charge dans un titre exécutoire constitue un préalable à l’engagement des
poursuites. Nous n’en rappellerons ici que les grandes lignes (A)2, avant d’aborder le principe de la notification du
titre (B).
A. – L’authentification des créances fiscales dans un titre exécutoire
2. - Le titre exécutoire, que l’on peut définir comme l’instrumentum permettant au créancier qui serait en sa
possession de recourir aux mesures d’exécution forcées pour recouvrer les créances qu’il détient à l’encontre d’un
débiteur récalcitrant, revêt diverses formes dont l’énumération est limitativement donnée à l’article 3 de la loi du 9
juillet 1991, modifié en dernier lieu par la loi n° 99-957 du 22 novembre 1999 (JO 23 nov.). En vertu de ce texte,
seuls constituent des titres exécutoires :
-
les décisions des juridictions de l’ordre judiciaire ou de l’ordre administratif ainsi que les transactions soumises
au président du tribunal de grande instance lorsqu’elles ont force exécutoire ;
les actes et les jugements étrangers ainsi que les sentences arbitrales déclarées exécutoires par une décision non
susceptible d’un recours suspensif d’exécution ;
les extraits de procès-verbaux de conciliation signés par le juge et les parties ;
les actes notariés revêtus de la formule exécutoire ;
le titre délivré par l’huissier de justice en cas de non-paiement d’un chèque ;
les titres délivrés par les personnes morales de droit public qualifiés comme tels par la loi, ou les décisions
auxquelles la loi attache les effets d’un jugement.
3. - S’agissant plus précisément des créances publiques, l’article L. 252 A du LPF résultant de l’article 98 de la loi n°
92-1476 du 31 décembre 1992 (Dr. Fisc. 1993, n° 1-2, comm. 2) prévoit que constituent des titres exécutoires les
arrêtés, états, rôles, avis de mise en recouvrement, titres de perception ou de recettes que l’État, les collectivités
territoriales ou les établissements publics dotés d’un comptable public délivrent pour le recouvrement des recettes de
toute nature qu’ils sont habilités à recevoir.
De sorte que les principaux titres exécutoires émis par les personnes morales de droit public sont les suivants :
- Les rôles ou titres de perception homologués par le préfet, par délégation le directeur des services fiscaux ou des
agents ayant au moins le grade de directeur divisionnaire (CGI, art. 1658) ; le contribuable en a connaissance d’un
extrait lors de l’envoi de l’avis d’imposition prévu à l’article L. 253 du LPF. Une fois exécutoire, ce titre justifie la
créance du créancier saisissant, s’il n’y a opposition devant la juridiction compétente (Cass. Com., 12 janvier 1993,
n° 90-20 758 : M. Bègue, Dr. Fisc. 1993, n° 31, comm. 1616).
- Les avis de mise en recouvrement adressés, sur le fondement de l’article L. 256 du LPF, par le comptable public à
tout redevable de sommes, droits, taxes et redevances de toute nature dont le recouvrement lui incombe lorsque le
paiement n’a pas été effectué à la date d’exigibilité. Ces avis constituent des titres exécutoires (CE, 3 avril 1991, n°
80.572, M. Coffinet : Dr. Fisc. 1992, n° 23, comm. 1176, concl. O. Fouquet ; Cass. Com., 10 mars 1998, n° 649 D,
Receveur des Impôts des Abymes c/ Komla : RJF 6/98, n° 726), mais il ne saurait en aller de même s’agissant d’une
lettre par laquelle le comptable chargé du recouvrement des impositions supplémentaires consécutives à un
redressement invite le contribuable à payer ces impositions, dans la mesure où une telle lettre ne comporte pas le visa
lui donnant force exécutoire conformément à l’article L. 256 du LPF (Cass. Com., 5 octobre 1999, n° 1407 D,
Prins : RJF 11/99, n° 1610).
- Les titres de recette individuels ou collectif délivrés par le directeur départemental de l’équipement ou le maire en
application du premier alinéa de l’article L. 421-1-2 du Code de l’urbanisme3. Sont ici visés les taxes, versements et
2
Pour des études exhaustives, M-C. Gauthier, Les titres exécutoires délivrés par l'État : Procédures, mars 1998, p. 8 et avril 1998, p. 3 ; X, Les
titres exécutoires émis par l'État : Les Notes Bleues de Bercy, 16-31/08/1997, n° 117.
3
Ces nouvelles dispositions ont été commentées dans une circulaire du 10 février 1999 (Cir. Min. Equip., Transp. et log. n° 99-10 du 11 février
1999 : Dr. Fisc. 1999, n° 13, 12 193), dans laquelle l’Administration a notamment rappelé que jusqu’à l’intervention de cette réforme, le titre de
recette constituait seulement un acte de recouvrement transmis par le directeur départemental de l’équipement au trésorier-payeur général et
3
participations prévus aux articles 1585 A et 1599 octies du Code Général des Impôts et les taxes mentionnées au 1°
de l’article L. 332-6-1 du Code de l’urbanisme (LPF, art. L. 255 A dans sa rédaction issue de l’article 50-I de la loi
n° 98-1267 du 30 décembre 1998 : Dr. Fisc. 1999, n° 4, comm. 53).
- Les décisions de justice, contrats, arrêtés de débet, états ou décisions exécutoire émis pour le recouvrement des
créances étrangères à l’impôt et au domaine, des amendes et condamnations pécuniaires, de la redevance de
l’audiovisuel et des produits locaux4.
4. – Les titres visés à l’article L. 252 A du LPF présentent plusieurs caractéristiques communes, parmi lesquelles
figure d’abord l’obligation qui leur est faite de constater une créance liquide, cette condition étant remplie lorsqu’elle
sera évaluée en argent ou lorsque le titre contient tous les éléments permettant son évaluation (L. du 9 juillet 1991,
art. 4)5, et exigible, c’est-à-dire apte à faire l’objet d’un paiement6.
5. - Ils doivent ensuite respecter des exigences minimales de motivation, notamment posées par l’article 81 alinéa 1 er
du décret du 29 décembre 1962 en vertu duquel tout ordre de recette doit indiquer les bases de la liquidation : depuis
l’arrêt Ifremer du 21 août 1996 (n° 143.173 : Dr. Fisc. 1996, n° 49, comm. 1471, concl. G. Goulard), régulièrement
confirmé (6 novembre 1998, n° 178-322, 171-574 et 171-576, CNIH : Dr. Fisc. 1999, n° 26, comm. 521, concl. G.
Bachelier ; CAA Paris, 30 décembre 1998, n° 98-1489, CNIH : Dr. Fisc. 1999, n° 17, comm. 335, concl. V. Haïm),
le Conseil d'État érige en principe général de la comptabilité publique la règle selon laquelle tout état exécutoire doit
contenir les bases de la liquidation de la créance pour le recouvrement de laquelle il est émis, à moins que ces bases
n’aient été préalablement portées à la connaissance du débiteur.
Ainsi, un titre de recettes doit, notamment, comporter des indications sur le calcul et le fondement légal de la dette
(CAA Paris, 2 mars 1995, n° 93-1429, Sté Codara : RJF 10/95, n° 1125). Lorsque tel n’est pas le cas, le juge
administratif retient l’absence de motivation du titre exécutoire, et prononce la décharge des créances litigieuses. Est
néanmoins irrecevable un moyen fondé sur l’absence de motivation du titre exécutoire, dès lors qu’il est présenté
après l’expiration du délai de recours contentieux et ne procède pas de la même cause juridique que celle invoquée
dans ce délai (CE, 9 novembre 1994, n° 136-761, Sté Saumon Pierre Chevance : Dr. Fisc. 1995, n° 3, comm. 40,
concl. J. Arrighi de Casanova).
6. - Enfin, ces titres sont délivrés par les personnes publiques elles-mêmes : en vertu de la jurisprudence Préfet de
l’Eure (CE, 30 mai 1913 : S. 1915.3.9, note M. Hauriou), les autorités administratives sont, en principe, irrecevables
à demander au juge le prononcé des mesures qu’elles ont le pouvoir de décider, car elles ne peuvent renoncer aux
prérogatives de puissance publique qui sont les leurs. Ce privilège, habituellement qualifié de privilège du préalable 7,
est érigé par la Haute Juridiction en règle fondamentale du droit public (CE, 2 juillet 1982, Huglo et autres : AJDA
1982 p. 657, concl. J. Biancarelli, note Lukaszewicz, Dalloz, 1983, p. 327, note O. Dugrip et IR 270 obs. P.
Delvolvé) et offre aux personnes publiques un pouvoir général d’agir unilatéralement en vue de l’intérêt général, en
prenant les décisions qui s’imposent, indépendamment du consentement de ceux qu’elles concernent et par la seule
volonté de leur auteur. Outre qu’il se justifie, en théorie, par la présomption de légalité attachée aux décisions de
l’Administration, censée être toujours « de bonne foi », ce privilège s’explique également par la nécessité évidente
d’assurer le fonctionnement continu et régulier de l’action administrative, en l’occurrence, la perception de l’impôt.
permettant aux comptables du Trésor d’engager la procédure de recouvrement, et indiqué que désormais, à l’instar du rôle en matière d’impôt sur
le revenu ou d’impôts locaux, ce titre revêt également les caractères d’une décision par laquelle les taxes sont assises (détermination des éléments
imposables) et liquidées (calcul des taxes). Et d’ajouter que, pour remplir ces fonctions, le titre de recette doit, par opération taxable, déterminer
tout à la fois les éléments relatifs à l’assiette, à la liquidation et au recouvrement des taxes d’urbanisme.
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En la matière, il convient de se reporter en tant que de besoin aux instructions correspondantes, à savoir : instruction codificatrice n° 98-134-A7
du 16 novembre 1998 (recouvrement des créances étrangères à l’impôt et au domaine), instruction codificatrice n° A6 du 11 février 1984 (Titres 2
à 5, 7 à 9) modifiée par l’instruction n° 93-84-A6 du 20 juillet 1993, ainsi que les instructions codificatrices n° 95-033-A6 (Titre 1) et n° 95-034A6 (Titre 6) du 21 mars 1995 (recouvrement des amendes et condamnations pécuniaires), instruction n° 85-74-A8 du 18 juin 1985 (recouvrement
de la redevance de l’audiovisuel), instruction codificatrice n° 98-041-MO du 24 février 1998 (recouvrement des produits des collectivités et
établissements publics locaux) et instruction codificatrice n° 95-125-M2 du 20 décembre 1995 (recouvrement des produits des établissements
publics de santé et des frais d’hébergement des établissements sociaux et médico-sociaux).
5
Seul le montant de la créance tel qu’il résulte du titre exécutoire détermine la somme pour laquelle la saisie pourra être pratiquée ; de sorte que
lorsqu’un commandement aux fins de saisie est émis pour une somme supérieure au montant réel de la dette, les deux ordres de juridiction
s’accordent à juger qu’il demeure valable à concurrence de ce montant (Cass. Civ., 6 mai 1998, n° 96-14.339 : Recueil Dalloz 1999, p. 172, note
F. Ruellan et R. Lauba ; CE, 5 avril 1993, n° 88-530, M. Miquel : Dr. Fisc. 1993, n° 26, comm. 1376 ).
6
Alors que l’article 551 du CPC (ancien) organisait l’exigence du caractère certain, liquide et exigible de la créance, la loi du 9 juillet 1991 n’a
pas repris cette trilogie en ne mentionnant pas le caractère certain de la créance ; cette solution s’explique, notamment, par la possibilité offerte
aux créanciers de pratiquer des saisies pour le recouvrement de créances conditionnelles, à terme ou à exécution successive (L. du 9 juillet 1991,
art. 13 al. 2), voire des mesures conservatoires lorsque la créance paraît fondée en son principe et en cas de circonstances susceptibles d’en
menacer le recouvrement (L. du 9 juillet 1991, art. 67, déc. du 31 juillet 1992, art. 210).
7
V. notamment sur ce point, P. Ancel, L’exécution par la puissance publique : RTD. Civ., 1993, p. 135 ; V. Haïm, Les créances publiques et le
privilège du préalable : Recueil Dalloz, 1994, p. 217.
4
En application du privilège du préalable, le Conseil d'État considère qu’il n’appartient pas au juge de désigner la
personne qui sera tenue de régler une imposition (CE, 30 janvier 1987, n° 35.186 et 35.187, SARL Ma Boutique et
M. Avril : RJF 3/87, n° 367 et 368, concl. M. de Guillenchmidt), la Cour de Cassation confirmant, de son côté,
qu’aucune juridiction n’est compétente pour délivrer un titre de perception d’impôt (Cass. Com., 27 novembre
1984 : Bull. Civ. IV, n° 312 ; 6 juin 1989, n° 850 P, Miailhe : RJF 8-9/89, n° 1047).
Sera donc censuré l’arrêt d’une Cour d’Appel qui confirmait une décision d’un Tribunal de Grande Instance ayant,
en application de l’article L. 268 du LPF, ordonné la vente du fonds de commerce appartenant à un contribuable, en
retenant que la créance de l’Administration résultait d’un arrêt d’une Cour Administrative d’Appel devenu définitif
et que le titre exécutoire était ainsi versé aux débats (Cass. Com., 7 mars 1995, n° 93-10 862, Durand : Dr. Fisc.
1995, n° 20, comm. 1093). De même, l’obligation de payer les créances fiscales résultant, non pas du jugement
rejetant les prétentions développées par le contribuable dans le contentieux d’assiette introduit par lui, mais des seuls
titres exécutoires émis par l’Administration elle-même (Cass. Ord. 1er Prés., 20 juin 1996, n° 1009-1 / 3596, SARL
Corevim : RJF 11/96, n° 1365-1366), sera cassé un jugement rendu dans une instance en annulation d’un avis de
mise en recouvrement et dans lequel, après avoir rejeté la demande d’annulation de l’avis, le tribunal avait condamné
le contribuable à payer à l’Administration une somme correspondant au montant des droits résultant de l’insuffisance
de déclaration et des indemnités de retard y afférentes (Cass. Com., 13 février 1996, n° 265 D, Dijan : RJF 5/96, n°
673).
7. - Cela étant, et nonobstant le privilège du préalable dont ils sont détenteurs, les comptables publics seront, dans
certaines hypothèses prévues par un texte spécial, tenus de recourir au juge pour se faire délivrer un titre exécutoire à
l’encontre d’un redevable. Comme le prévoit l’article 3 de la loi du 9 juillet 1991, la décision ainsi rendue, qu’elle le
soit par une juridiction de l’ordre judiciaire ou de l’ordre administratif, constituera un titre exécutoire. Les incidences
de l’intervention de cette décision varient cependant notablement, selon que le Trésor est, ou n’est pas, partie au
jugement.
Dans le premier cas, le titre exécutoire constitué par la décision de justice mettant à la charge d’une personne (qui en
devient redevable) les dettes fiscales initialement assises au nom d’une autre personne pourra servir de fondement
aux poursuites fiscales, à la condition cependant que ladite décision soit revêtue de la formule exécutoire 8. Tel est par
exemple le cas dans les situations suivantes :
- en matière de responsabilité solidaire des gérants majoritaires de SARL (LPF, art. L. 266) et des dirigeants de
personnes morales ou autres groupement (LPF, art. L. 267), lorsque des manœuvres frauduleuses ou des
inobservations graves et répétées des obligations fiscales, ayant rendu impossible le recouvrement des impositions
établies au nom de la personne morale, peuvent leur être reprochées. Dès lors que la procédure engagée devant le
Président du TGI aboutit au prononcé de la solidarité du dirigeant, le jugement prononçant cette solidarité constitue
le titre exécutoire permettant au Trésor de rechercher le dirigeant en paiement en paiement des dettes fiscales restant
dues par la société ;
- lorsque le comptable désirera poursuivre personnellement le dirigeant d’une entreprise ayant fait l’objet d’une
procédure collective (L. du 13 juillet 1967, art. 91 ; L. 25 janvier 1985, art. 169). Auquel cas, le titre exécutoire sera
alors constitué par l’ordonnance du Président du tribunal ;
- si, en présence d’un avis à tiers détenteur qui lui a été notifié, le tiers détenteur ne verse pas, entre les mains du
Trésor, les sommes qu’il détient pour le compte du redevable de l’impôt (déc. du 31 juillet 1992, art. 64 ; avis Cour
Cass., 7 mars 1997, n° 96-15, Rec. princ. de St-Jean de Maurienne : RJF 6/97, n° 626 ; Recueil Dalloz, 1997, jurisp.
p. 454, note F. Ruellan et R. Laura, Gaz. Pal. 1er - 3 mars 1998, p. 2, note J.J. Bourdillat, RDT. Civ. 1997, p. 1000,
obs. R. Perrot), le Trésor pourra alors s’adresser au juge de l’exécution pour se faire délivrer une décision de
condamnation valant titre exécutoire9 ;
8
S’agissant des décisions rendues par les juridictions de l’ordre judiciaire, et réserve faite des jugements exécutoires sur minute, l’article 502 du
NCPC pose en principe que nul jugement, nul acte, ne peut être mis à exécution que sur présentation d’une expédition revêtue de la formule
exécutoire, à moins que la loi n’en dispose autrement. Le libellé de la formule exécutoire résulte de l’article 15 du décret n° 47-1047 du 12 juin
1947. Pour ce qui est des décisions rendues par les juridictions de l’ordre administratifs, la formule exécutoire est reproduite à l’article R. 209 du
Code des TA et CAA dans sa rédaction issue du décret n° 97-563 du 29 mai 1997.
9
Etant précisé que la procédure d’ordonnance sur requête prévue à l’article 32 du décret du 31 juillet 1992 ne pouvant être suivie, toute demande
doit alors être présentée selon les formes ordinaires de l’introduction de l’instance, c’est-à-dire par assignation conformément aux dispositions de
l’article 19 du même décret (avis Cour Cass. du 9 février 1998 : Gaz. Pal. 20 – 21 mars 1998, p. 21 ; 5 – 6 février 1999, p. 14, obs. T. Moussa).
5
- si, en présence d’une saisie-attribution, le tiers saisi ne verse pas, entre les mains du créancier saisissant, les
sommes qu’il détient pour le compte du redevable de l’impôt. Ce tiers peut alors être condamné au paiement des
causes de la saisie (L. du 9 juillet 1991, art. 24), le juge de l’exécution étant alors compétent pour délivrer un titre
exécutoire (Décr. du 31 juillet 1992, art. 64).
8. - Dans le second cas, c’est-à-dire lorsque la décision de justice règle un litige d’ordre privé dans lequel l'État n’est
pas partie, la décision n’acquiert pas autorité de la chose jugée à l’égard de l'État qui ne peut ni l’invoquer, ni se la
voir opposer (CE, 20 février 1980, Mme X… : Dr. Fisc. 1981, n° 13, comm. 680 ; 29 octobre 1986, n° 48-105, Mme
Y… : RJF 12/86, n° 1040). Cette solution se justifie par le fait que le comptable public ne tient que de la loi son
pouvoir d’agir contre le redevable, de sorte que si un juge désigne ce redevable, ce ne peut être que par application
de la loi fiscale, dans un litige mettant en cause le service de l’assiette ou celui du recouvrement. Lorsque tel n’est
pas le cas, la décision de justice n’a pas pour effet de constituer le débiteur redevable solidaire de l’impôt et ne peut
être invoquée par l’Administration non partie à l’instance (CE, 13 mars 1989, n° 71.571 : Rec. p. 865 ; CAA
Bordeaux, 17 novembre 1992, n° 90-142, M. Clermont : Dr. Fisc. 1993, n° 5, comm. 192 ; TA Lille, 18 décembre
1997, n° 93-2540, Mme Waxin : Dr. Fisc. 1998, n° 25, comm. 581, concl. G. Mulsant).
B. – Le principe de l’obligation de notification du titre
9. - Il n’est pas concevable qu’un contribuable soit poursuivi pour une dette fiscale, s’il n’a pas auparavant reçu le
titre exécutoire authentifiant ladite dette et l’informant de son obligation. Au demeurant, la loi fiscale ne déroge en
rien aux règles générales d’opposabilité des actes administratifs, et notamment à l’article 8 de la loi du 17 juillet
1978 en vertu duquel, sauf disposition prévoyant une décision implicite de rejet ou un accord tacite, toute décision
individuelle prise au nom de l'État, d’une collectivité, d’un établissement public ou d’un organisme, fût-il de droit
privé chargé de la gestion d’un service public, n’est opposable à la personne qui en fait l’objet que si cette décision
lui a été préalablement notifiée.
Aussi, un titre qui est par lui-même exécutoire n’est pas nécessairement exécutable, car ne permet pas à son
détenteur d’en poursuivre l’exécution forcée si sa notification n’a pas été réalisée, ou si la preuve de cette notification
ne peut être apportée ; le respect de l’obligation de notification du titre préalablement à toute poursuite en
recouvrement forcé conditionne alors la validité desdites poursuites engagées sur le fondement du non-paiement des
sommes réclamées dans le titre10.
10. - La Cour de Cassation pose ainsi en principe que les titres exécutoires émis par une personne morale de droit
public ne peuvent donner lieu à une mesure d’exécution forcée s’ils n’ont été notifiés au débiteur (Cass. Civ., 10
novembre 1998, n° 1229 P, TPG de la Région de Haute-Normandie : Bull. Civ. II, n° 269, RJF 4/99, n° 489 ; 1er
juillet 1999, n° 97-13.255, ENIM : Bull. Civ. II, n° 130, Procédures 1999, comm. n° 249, note H.C., Gaz. Pal., 5-7
décembre 1999, p. 264).
Sur le fondement de l’article 583 du CPC ancien, elle considère alors que le commandement de payer, premier acte
de poursuites, doit comporter la notification complète des titres exécutoires qui sont à l’origine de la poursuite, s’ils
n’ont déjà été notifiés au débiteur. Lorsque la preuve de la notification des titres n’est pas apportée, et lorsque ces
titres ne sont ni produits aux débats, ni joints au commandement de payer, ce dernier acte est délivré dans des
conditions irrégulières comme n’ayant été ni précédé ni accompagné d’une notification faite au redevable des titres
exécutoires et n’ayant pas mis en mesure le juge et le requérant de s’assurer de la régularité de ces titres, de vérifier
la nature et le montant des sommes réclamées et d’en connaître le fondement (Cass. Com., 7 octobre 1997, n° 1964
D, Ville de Paris c/ Sté La Belle Jardinière : RJF 3/98, n° 345)11.
Par ailleurs, et alors même que la condition tenant à la notification préalable du titre exécutoire est une condition de
fond de validité de l’acte de poursuites, et non une condition de forme, de sorte que celui qui l’invoque n’est pas tenu
d’apporter la preuve d’un grief que lui cause l’irrégularité qu’il invoque (Cass. Com., 20 novembre 1990, n° 1342 P,
Donsimoni : RJF 1/91, n° 123), la Cour ne manque pourtant pas de justifier les solutions qu’elle rend, en se référant
à une violation du principe du contradictoire (Cass. Com., 24 avril 1990, n° 527 D, ODIP : RJF 6/90, n° 761), à
10
L’article 503 du NCPC dispose d’ailleurs que les jugements ne peuvent être exécutés contre ceux auxquels ils sont opposés, qu’après leur avoir
été notifiés, à moins que l’exécution n’en soit volontaire.
11
Inversement, il ne peut être reproché à une Cour d’Appel d’avoir déclaré régulières des poursuites, dès lors que le commandement émis par le
Trésor avait été précédé de la notification d’un titre exécutoire et de lettres de rappels (Cass. Com., 12 juillet 1993, n° 1385 D : Trabach, RJF
10/93, n° 1395).
6
l’impossibilité dans laquelle se trouvent le juge et le contribuable de s’assurer de la régularité du titre, voire à la
connaissance, que doit avoir le redevable, de la cause et de l’étendue de son obligation.
S’agissant, par exemple, de la contestation élevée par un redevable à l’encontre d’un procès-verbal de saisieexécution, une Cour d’Appel justifie légalement son arrêt en énonçant à bon droit que le commandement doit
comporter la notification complète des titres exécutoires qui sont à l’origine de la poursuite, puis en annulant ledit
procès-verbal au motif qu’il se bornait à se référer à des avis de mise en recouvrement dont, bien qu’il fût indiqué
que le détail était donné « en tête des présentes », il était seulement indiqué qu’il s’agissait de dix avis de mise en
recouvrement et de quatre mises en demeure ; la Cour d’Appel a pu ainsi, à bon droit, déduire de ces constatations
qu’un tel acte, dépourvu de la date et du numéro de ces pièces, de l’objet et du montant de chacune des créances de
l’Administration, n’identifiait pas chacune de ces dernières et ne permettait pas au débiteur de savoir en vertu de quel
titre exécutoire il était poursuivi, et de connaître de manière précise la cause et le montant des sommes qui lui étaient
réclamées et qu’une telle irrégularité lui causait grief, comme le privant de la possibilité de faire toute offre de
paiement ou d’exercer les voies de recours utiles (Cass. Com., 4 février 1997, n° 95-12 179, M. Cohen et Mme
Iemetti : Dr. Fisc. 1997, n° 30, comm. 884).
11. - L’on peut néanmoins se demander si, en définitive, une contestation tenant au défaut de délivrance préalable
d’un tire exécutoire à l’encontre de la personne poursuivie, ne relève pas de la compétence de la juridiction
administrative. En effet, aux termes de l’article L. 281 du LPF, les contestations portant sur l’obligation de payer,
sur le montant de la dette compte tenu des paiements effectués, sur l’exigibilité de la somme réclamée, ou sur tout
autre motif ne remettant pas en cause l’assiette et le calcul de l’impôt, relèvent du seul juge de l’impôt tel qu’il est
prévu à l’article L. 199, alors que le juge judiciaire n’est compétent que pour apprécier les moyens tenant à la
régularité en la forme de l’acte de poursuites.
D’ailleurs, le juge administratif accepte d’apprécier, dans le cadre d’un contentieux du recouvrement, une
contestation élevée à l’encontre d’un acte de poursuites et fondée sur le fait que les créances dont le recouvrement
forcé est poursuivi n’ont pas été préalablement authentifiées dans un titre exécutoire notifié au redevable. Dans un
arrêt du 25 juin 1991 (n° 2680, SCI Saint-Jean : RJF 10/91, n° 1305), la Cour Administrative d’Appel a ainsi jugé
que le comptable public ne pouvait procéder, auprès d’un redevable, au recouvrement forcé de taxes foncières qui
n’avaient pas au préalable étaient authentifiées dans un titre exécutoire établi à son nom.
Le Conseil d'État considère, quant à lui, que les dispositions de l’article 1663 du CGI, aux termes desquelles les
impôts directs, produits et taxes assimilés sont exigibles le dernier jour du mois suivant celui de la mise en
recouvrement du rôle, ne sont applicables que si le contribuable a été, avant la date d’exigibilité ainsi déterminée,
avisé de la mise en recouvrement du rôle contenant l’imposition à laquelle il a été assujetti, de sorte que, dans le cas
où il est établi que l’Administration a omis d’adresser l’avis d’imposition prévu par l’article L. 253 du LPF, ou l’a
notifié avec retard, l’impôt n’est exigible au plus tôt qu’à compter de la date à laquelle le contribuable a été informé
de la mise en recouvrement du rôle (CE, 20 novembre 1992, n° 71.902, M. Seigneur : Dr. Fisc. 1993, n° 11, comm.
567 et concl. J. Arrighi de Casanova à la RJF 1/93 p. 10)12. Le contribuable doit alors être déchargé de l’obligation
de payer résultant d’un commandement de payer notifié par les services chargés du recouvrement, dès lors qu’il est
établi que cet acte de poursuites a été notifié antérieurement à la réception des avis d’imposition (CE, 9 janvier 1995,
n° 135.520, M. Nizard : Dr. Fisc. 1995, n° 23-24, comm. 1291).
Il en va de même s’agissant d’avis à tiers détenteur délivrés à titre conservatoire pour valoir opposition sur prix de
vente de fonds de commerce, alors même que les créances en cause n’ont pas encore été mises en recouvrement (CE,
21 décembre 1994, n° 126-113, Sté Patol Equipement : Dr. Fisc. 1995, n° 39, comm. 1846 ; 28 novembre 1997, n°
154-912, M. Valle Cadorniga : Dr. Fisc. 1998, n° 15, comm. 314). Le Tribunal des Conflits considère d’ailleurs
que, lorsqu’un redevable conteste un avis à tiers détenteur émis pour valoir opposition sur prix de vente du fonds de
commerce, au motif que les créances dont le recouvrement était poursuivi n’avaient pas été mises en recouvrement,
sa contestation porte, non pas sur la régularité de la mesure de poursuite en elle-même, à laquelle le comptable a
choisi de recourir, mais sur la validité de la décision de celui-ci d’engager des poursuites pour recouvrer des
impositions qui n’étaient pas encore exigibles ; par suite, cette contestation ne relève pas de la juridiction de l’ordre
judiciaire, mais du seul juge de l’impôt (T. Confl., 23 novembre 1998, n° 3106, SARL Ofir c/ TPG du Val-de-Marne :
RJF 3/99, n° 350 et concl. R. Schwartz au BDCF 3/99, n° 31)13.
12
En l’espèce, le contribuable n’ayant pas informé l’Administration de son changement d’adresse et n’ayant pas pris les dispositions utiles pour
faire suivre son courrier, le juge a considéré que le moyen tiré du défaut d’exigibilité des créances en cause n’était pas fondé. Pareille solution a
d’ailleurs été adoptée par la Cour Administrative d’Appel de Lyon, dans une affaire où, bien que n’ayant pas informé l’Administration de son
changement d’adresse, le contribuable avait néanmoins fait suivre son courrier (CAA Lyon, 23 octobre 1996, n° 95-307, Ournier : Dr. Fisc. 1996,
n° 49, comm. 1480).
7
Ainsi, et au delà du fait qu’ils se reconnaissent, une nouvelle fois, tous deux compétents pour apprécier la régularité
d’un acte de poursuites adressé au redevable sans notification préalable d’un titre exécutoire, nonobstant le principe
de séparation prévu à l’article L. 281 du LPF 14, l’on retiendra surtout que les deux ordres de juridiction s’accordent
pour exiger du créancier fiscal qu’il notifie son titre exécutoire avant de poursuivre son redevable.
Néanmoins, l’étendue de l’obligation de notification du titre est appréciée différemment par chacun des deux ordres,
le juge judiciaire adoptant, pour l’heure, une position plus avancée que celle du juge administratif.
2. – L’étendue de l’obligation de notification du titre
S’agissant aussi bien de la résolution des difficultés tenant à l’Administration de la preuve de la notification du titre
(A), que de celles relatives à la détermination du redevable auquel le titre doit être notifié (B), le juge judiciaire
adopte une position plus tranchée que le juge administratif. Les obstacles à l’action administrative ne s’en trouvent
que renforcés.
A. – La résolution des difficultés tenant à l’administration de la preuve
12. - Si les jurisprudences administratives et judiciaires s’accordent pour censurer un acte de poursuites délivré en
l’absence de titre exécutoire, ou, ce qui revient au même, lorsque l’Administration ne peut apporter la preuve de la
réalité de la notification du titre, il n’en demeure pas moins que dans la plupart des cas, ce titre est notifié en lettre
recommandée avec accusé de réception, voire signifié par huissier s’agissant d’un jugement, ce qui réduit
sensiblement le nombre des contestations.
Dans certaines hypothèses néanmoins, et tel est notamment le cas pour les avis d’imposition, le titre exécutoire (ou
son extrait) est adressé au redevable par lettre simple, de sorte que la réalité de sa notification avant la délivrance
d’un acte de poursuites peut être difficile à apprécier.
13. - La jurisprudence administrative fait alors preuve de pragmatisme : il résulte des principes dégagés dans
l’arrêt Seigneur précité, qu’en la matière, le juge forge sa conviction au vu des pièces du dossier, refusant de faire
supporter systématiquement la charge de la preuve par l’une ou l’autre des parties. Il en va de même s’agissant des
avis d’imposition établis suite à un redressement (CE, 16 décembre 1992, n° 123.268, Sté Livinia Anstalt : Dr. Fisc.
1993, n° 31, comm. 1607, concl. M.D. Hagelsteen, RJF 2/93, n° 195)15.
Néanmoins, et dès lors qu’il est établi que les poursuites ont été diligentées sans notification préalable d’un titre
exécutoire, le juge administratif considère que les services chargés du recouvrement commentent une faute lourde de
nature à engager la responsabilité de l'État et ouvrir droit à réparation16.
La Cour Administrative d’Appel de Nancy a ainsi considéré qu’en engageant des poursuites tendant au recouvrement
forcé de créances établies suite à contrôle fiscal, en l’espèce des avis à tiers détenteur, mais alors même que les
rappels d’impôts n’avaient pas encore été mis en recouvrement (ils ne le seront que postérieurement à la délivrance
des ATD), le service chargé du recouvrement avait commis une faute lourde de nature à ouvrir droit à réparation, dès
lors qu’aucun élément n’était avancé pour justifier la précipitation de cette procédure ; le contribuable eut alors droit
13
Dans un arrêt du 15 novembre 1994 (n° 82-21 753, Rey : Dr. Fisc. 1995, n° 16, comm. 946), la Cour de cassation avait, s’agissant d’un avis à
tiers détenteur émis pour valoir opposition sur prix de vente d’un fonds de commerce à titre conservatoire, jugé qu’aucune disposition légale
n’autorise le comptable public à notifier un tel avis à tiers détenteur pour obtenir paiement d’impositions « non encore exigibles ».
14
Rappelons que cette curiosité juridique se rencontre également s’agissant des mises en demeure prévues à l’article L. 257 du LPF ( Cass. Com.,
9 février 1999, n° 394 D, Sté Force, formation recrutement conseil en entreprise : RJF 5/99, n° 639 ; CAA Marseille, 29 mars 1999, n° 96-12359,
Lagrange : Dr. Fisc. 1999, n° 50-51, comm. 928, concl. J.C. Duchon-Doris), et des lettres de rappels prévues à l’article L. 255 du LPF (v. notre
article : Lettre de rappel et contentieux du recouvrement : ou comme tirer profit des méandres de l’article L. 281 du LPF : Dr. Fisc. 1999, n° 39,
p. 1197 et s.).
15
L’on relèvera également que, dans l’arrêt Seigneur du 20 novembre 1992, la Haute Juridiction n’a pas entendu exclure que l’information faite
au contribuable s’agissant de la mise en recouvrement de l’impôt puisse résulter de la lettre de rappel prévue par l’article L. 255 du LPF et qui lui
est adressée par le comptable chargé du recouvrement préalablement à toute mesure d’exécution forcée.
16
Dans une décision du 22 février 1960 (Sieur Bernard : JCP 1961, II, 12093, note Bénoit), le Tribunal des Conflits a précisé que la faute imputée
à un receveur-percepteur du fait qu’il aurait engagé des poursuites sur la base d’un titre devenu caduc constituerait, si elle était établie, une faute
du service administratif dont le receveur-percepteur a la charge, étrangère à la procédure même des poursuites, de sorte qu’il n’appartient qu’à la
juridiction administrative de se prononcer sur les responsabilités éventuellement encourues par l'État en raison d’une telle faute.
8
à réparation du préjudice découlant de la liquidation de son entreprise (CAA Nancy, 10 décembre 1992, n° 91-425,
Broutard : Dr. Fisc. 1994, n° 13, comm. 636).
Ultérieurement, dans un arrêt du 21 novembre 1995 (CAA Paris, n° 94-985 et 94-989, SA Rallye Opéra : Dr. Fisc.
1996, n° 18-19, comm. 603, et concl. D. Brin au BDCF 2/96 p. 64, Dalloz 1997, jurisp. p. 64, note Y. Brard), la Cour
Administrative d’appel de Paris jugeait qu’en procédant au recouvrement forcé de sommes qui n’avaient pas fait
l’objet d’une mise en recouvrement, l’Administration ne pouvait se prévaloir d’une créance certaine dans son
principe ou son montant, et commettait ainsi une faute lourde. Cette affaire retentissante, dans laquelle
l’Administration fut condamnée à verser à la requérante la somme de 50 millions de Francs (il est vrai que les
montants en jeu étaient eux aussi très importants) ne fut d’ailleurs définitivement close qu’après que l'État fut
condamné à verser au dirigeant de l’entreprise (liquidée suite aux assauts répétés du comptable public), la somme de
4 millions de Francs en réparation des pertes de rémunérations, mais également des troubles graves de toute nature
apportés à ses conditions d’existence, et en particulier à son état de santé (CE, 16 juin 1999, n° 177-075, Tripot : Dr.
Fisc. 1999, n° 46-47, comm. 855, concl. J. Courtial)17.
14. - Le juge judiciaire adopte, quant à lui, une position beaucoup plus catégorique : jugé que s’il appartient au
comptable chargé du recouvrement d’apporter la preuve du caractère exécutoire du titre dont il se prévaut (Cass.
Civ., 15 février 1995, Trésorerie Générale de la Côte-d’Or c/ M. Zadi : Bull. Civ. II, n° 54), est légalement justifiée
la décision d’un tribunal rejetant une saisie des rémunérations après avoir constaté qu’aucun acte de notification du
titre n’est produit, malgré une demande formulée en ce sens (Cass. Civ., 10 novembre 1998, n° 1229 P, précit.).
Un tribunal retient également à bon droit qu’à défaut de production de l’accusé de réception de la notification de
l’acte portant mise en demeure d’exécuter le titre de recette émis, il n’est pas en mesure de vérifier le caractère
exécutoire du titre (Cass. Civ., 5 juin 1996, n° 94-15.307, Trésorerie Principale Municipale de Chalon-sur-Saône c/
M. Platret : Bull. Civ. II, n° 138). Enfin, ayant retenu que les lettres simples invoquées, dont il n’était pas établi
qu’elles précisaient les modalités de recours, ne pouvaient être assimilées à des notifications, la cour d’appel, qui a
constaté que le créancier public n’avait pu justifier de la notification des titres émis a, par ces seuls motifs,
légalement justifié sa décision (Cass. Civ., 1er juillet 1999, n° 97-13.255, précit.).
Quelles que soient les critiques que l’on peut formuler à l’encontre de ces positions, il reste un principe constant
selon lequel les poursuites ne peuvent être diligentées sans notification préalable d’un titre exécutoire. Le problème
est alors de déterminer la personne auprès de laquelle cette notification doit être réalisée.
B. - La nécessaire notification du titre exécutoire au redevable de l’impôt
C’est ici que les difficultés surgissent.
15. - Le comptable doit d’abord prendre garde à ce que le titre dont il se prévaut vise bien le redevable qu’il entend
poursuivre : il ne saurait être reproché aux juges du fond de déclarer irrecevable la demande du comptable chargé du
recouvrement aux fins de saisie des rémunérations du travail d’une épouse et formulée en vue du recouvrement de
factures d’eau et d’assainissement dues en vertu d’un contrat d’abonnement souscrit par elle et son époux, dès lors
qu’après avoir constaté que le titre de perception sur le fondement duquel la demande était présentée ne visait pas
l’épouse, ces mêmes juges du fond pouvaient alors, à bon droit, en déduire que le comptable public ne pouvait
procéder à la saisie des rémunérations de cette dernière sans produire un titre exécutoire à son encontre (Cass. Com.,
28 octobre 1999, n° 97-20.071, Trésorier de Pont Sainte-Marie c/ M. Roger, Dalloz 1999, IR p. 281).
16. - Il ne saurait ensuite, en l’absence de solidarité de plein droit, poursuivre une personne autre que celle inscrite au
rôle. La juridiction administrative accueille ainsi favorablement l’opposition à contrainte élevée, par une épouse
séparée de corps de son mari, à l’encontre d’un acte de poursuites émis pour le recouvrement de taxes foncières, au
motif que l’époux était seul inscrit au rôle au titre de l’immeuble litigieux et que ces impositions n’impliquent pas,
par elles-mêmes, l’obligation solidaire au paiement. La contrainte est alors dépourvue de fondement légal (CAA
Bordeaux, 12 mai 1992, n° 91-270, Mme Lopez : Dr. Fisc. 1993, n° 16, comm. 829 ; v. également, 2 février 1999, n°
95-1167, M. Assénat : Dr. Fisc. 2000, n° 3, comm. 43)18.
17
Dans un arrêt du 30 décembre 1997 (n° 96-181, Mme Lartigues : Dr. Fisc. 1998, n° 37, comm. 782), la Cour Administrative d’appel de
Bordeaux avait également jugé que la délivrance d’avis à tiers détenteur sans fondement ouvre droit à réparation du préjudice moral subi par le
contribuable. Ces décisions d’espèces ne sauraient toutefois faire oublier que les dérives de l’action administrative, sanctionnées à juste titre par le
juge, sont heureusement, très peu fréquentes.
18
La solution se justifie par le fait que la solidarité entre époux prévue par l’article 1685 du CGI ne concerne que le paiement de l’impôt sur le
revenu et la taxe d’habitation. S’agissant, en revanche, d’une créance d’impôt sur le revenu, le juge de l’exécution de Versailles fonde sur la
9
17. - Enfin, le comptable ne peut se fonder sur la seule existence d’un lien de solidarité pour le recouvrement de la
créance publique, pour s’exonérer de la condition tenant à la notification d’un titre exécutoire visant nominativement
la personne qu’il entend poursuivre ; l’obligation de notification du titre au redevable peut alors constituer un
obstacle au recouvrement de l’impôt.
L’hypothèse fréquemment rencontrée est celle dans laquelle le Trésor détient une créance à l’encontre d’une société
dont les associés sont indéfiniment et solidairement responsables des dettes sociales, mais ne parvient pas à la
recouvrer à l’encontre de la personne morale. Trouvent alors à s’appliquer les dispositions de l’article 1858 du code
civil et de l’article 10 de la loi n° 66-537 du 24 juillet 1966 en vertu desquelles les créanciers d’une société civile ne
peuvent poursuivre le paiement des dettes sociales contre un associé qu’après avoir préalablement et vainement
poursuivi la personne morale, celles de l’article 1857 du même code prévoyant qu’à l’égard des tiers, les associés
répondent indéfiniment des dettes sociales à proportion de leur part dans le capital social à la date de l’exigibilité ou
au jour de la cessation des paiements, voire celles de l’article 2 de la loi n° 71-579 du 16 juin 1971, repris à l’article
L. 211-2 du Code de la construction et de l’habitation, indiquant que les associés sont tenus du passif social sur tous
leurs biens, à proportion de leurs droits sociaux, et ajoutant que les créanciers de la société ne peuvent poursuivre le
paiement des dettes sociales qu’après mise en demeure à la société restée infructueuse.
Il résulte de l’application de ces textes, qu’en vertu du principe de subsidiarité, un créancier qui dispose d’un titre
exécutoire contre une société civile est en droit de poursuivre les associés de cette société, dès lors que la mise en
demeure adressée à ladite société est restée infructueuse (Cass. Civ., 8 mars 1995, n° 529 P, Tomasi : RJDA 5/95, n°
592). Le Conseil d'État estime, quant à lui, qu’est « régulièrement constitué débiteur » des dettes fiscales d’une SCI,
l’associé à qui l’Administration adresse une mise en demeure valant commandement de payer de la somme que reste
devoir la société (CE, 9 décembre 1985, n° 54.469, Szumeray : Dr. Fisc. 1986, n° 41, comm. 1728, concl. M. De
Guillenchmidt).
Pour autant, seul le juge judiciaire tire les conséquences qui découlent naturellement de son raisonnement ; pour lui,
l’existence du droit de poursuivre prévue par le texte qui fonde le lien de solidarité doit être distinguée de ses
conditions d’exercice : le droit que détient le créancier ne peut lui permettre de s’abstraire des règles relatives aux
procédures civiles d’exécution et de poursuivre un redevable solidaire sur le fondement du seul titre qu’il détient à
l’encontre de la société.
La jurisprudence des juges du fond (TGI Lyon, 15 février 1994 : Dalloz 1995, p. 47, note J. Prévault ; CA Douai, 19
mai 1994 : Gaz. Pal. 1994, 2, somm. p. 811 ; CA Grenoble, 6 mars 1995 : Rev. Huissiers 1995, p. 1271 ; CA Paris,
12 décembre 1995 : RTD. Civ. 1995, p. 194, obs. R. Perrot) a été récemment relayée par la Cour de Cassation qui,
dans un attendu de principe abondamment commenté, a précisé que toute exécution forcée implique que le
créancier soit muni d’un titre exécutoire à l’égard de la personne même qui doit exécuter, et que le titre
délivré à l’encontre d’une société n’emporte pas le droit de saisir les biens des associés, fussent-ils tenus
indéfiniment et solidairement des dettes sociales, à défaut de titre pris contre eux (Cass. Civ., 19 mai 1998,
SDBO c/ époux Tapie et autres : Recueil Dalloz 1998, p. 405, concl. Tatu ; Procédures, 1998, comm. 168, obs.
Perrot ; Dr. et Patrimoine, 1999, n° 67 p. 95, note P. Théry). Cette solution a été renouvelée dans un arrêt du 26
octobre 1999, la Cour précisant à nouveau que les titres délivrés à l’encontre d’une société en nom collectif (en
l’espèce des ordonnances de référé exécutoires par provision) n’emportent pas le droit de saisir les associés de la
société à défaut de titre exécutoire pris contre eux (Cass. Com., 26 octobre 1999 : n° 97-17.823 et 97-17.824, n°
1731 D, Sté Sofebail c/ Herbaut ès qualités).
Comme l’écrit le Professeur Perrot (RTD Civ. 1998, p. 750), la position de la Cour de Cassation est parfaitement
justifiée : la formule exécutoire est un ordre qui ne peut viser que les seules personnes contre lesquelles le titre a été
délivré, car c’est uniquement à leur égard que l’existence et le montant de la créance ont été établis de façon
indiscutable ; de sorte que la formule exécutoire est fatalement inopposable aux tiers que le titre ne mentionne pas.
18. - Cette solution de principe, dégagée s’agissant des litiges non fiscaux, a progressivement été transposée à la
matière fiscale, la jurisprudence des juridictions inférieures imposant dorénavant aux comptables publics de notifier
un titre exécutoire non seulement à l’encontre de la société initialement redevable de dettes fiscales, mais également
aux associés solidairement tenus au paiement desdites dettes, avant toute poursuite à leur encontre19.
solidarité fiscale de l’article 1685, la possibilité, pour le comptable chargé du recouvrement, de poursuivre les biens indivis entre deux époux
mariés sous le régime de participation aux acquêts, alors même que le titre exécutoire avait été émis à l’encontre du seul mari (26 janvier 1995,
Rev. Huissiers 1996, p. 476, obs. G. Dahan).
19
On relèvera un arrêt du 20 février 1996 (n° 351 P, Ravanel et Chamel : RJF 7/96, n° 945) dans lequel la Cour de Cassation a jugé que si
l’action en paiement de dettes fiscales dirigée contre un associé d’une SCI constituée en vue de la vente d’immeubles n’est subordonnée, ni à la
10
Ainsi, dans un jugement du 2 avril 1998 (n° 98-3, SCI Le Chalet : Dr. Fisc. 1999, n° 26, comm. 536), devenu
définitif, le Tribunal de Grande Instance de Bonneville a jugé que si les dispositions de l’article L. 211-2 du Code de
la construction permettent d’engager une action en paiement contre l’associé d’une SCI de construction-vente après
mise en demeure infructueuse faite à la SCI, elles n’autorisent pas, pour autant, l’exercice de voies d’exécution sans
titre, de sorte que la mise en demeure délivrée par le comptable supposait, préalablement à son émission, l’obtention
d’un titre exécutoire contre l’associé.
De même, le Tribunal de Grande Instance de Toulouse a considéré que le titre exécutoire de nature à justifier des
poursuites et à permettre une saisie-vente ou un avis à tiers détenteur doit nécessairement être exécutoire à l’encontre
d’une personne dont l’identité résulte du titre lui-même, et pour une dette clairement individualisée par ce titre à
l’encontre de cette même personne, de sorte qu’un titre exécutoire délivré par le comptable public à l’encontre d’une
SCI n’emporte pas de plein droit le droit de saisir les biens des associés tenus des dettes sociales à défaut de titre
exécutoire pris contre eux (TGI Toulouse, JEX, 28 septembre 1999, n° 99/01948, M. Brosed).
Cette solution a été confirmée par la Cour d’Appel dans un arrêt du 8 février 2000 (n° 19, Receveur Principal des
Impôts de Toulouse Est c/ M. Brosed), le juge déboutant l’Administration au motif que si elle dispose d’un droit
contre l’associé, elle ne dispose pour autant pas d’un titre exécutoire le visant nominativement. Après avoir relevé
qu’aucun texte fiscal ne déroge au droit commun des voies d’exécution, le juge adoptait ainsi un raisonnement qui
transcende la distinction fondée sur la qualité du créancier saisissant (créancier de droit commun ou créancier fiscal),
et se rattache, plus généralement, aux conditions dans lesquelles une voie d’exécution, quel que soit celui y recourt,
peut être mise en œuvre.
La transposition à la matière fiscale de la jurisprudence de la Cour de Cassation paraît alors devoir emporter des
conséquences très importantes s’agissant du recouvrement de l’impôt : jusqu’à présent, le recouvrement des dettes
fiscales auprès de redevables solidaires s’effectuait généralement par notification à leur encontre d’un acte de
poursuites sur lequel était seulement indiqué, de façon manuscrite, que les poursuites étaient exercées sur le
fondement de la solidarité prévue par tel ou tel texte ; s’agissant de sociétés dans lesquelles les associés sont
indéfiniment et solidairement responsables du passif, l’acte de poursuites était en outre annoté de la précision selon
laquelle le montant de la dette était calculé en fonction du nombre de parts détenues par l’associé dans la société.
On peut penser que cette manière de procéder est appelée à changer, et qu’en exigeant dorénavant de
l’Administration qu’elle notifie un titre exécutoire à l’encontre des associés qu’elle entend poursuivre pour le
recouvrement de dettes fiscales établies à l’encontre de telles sociétés, le juge judiciaire impose aux services chargés
du recouvrement une profonde modification de leurs habitudes : en effet, pour pouvoir notifier un titre à l’associé le
visant nominativement, encore faut-il que l’Administration en possède un à l’encontre de cet associé même, et pas
seulement à l’encontre de la société. Or, bien souvent, l’Administration n’aura pas pris la précaution d’émettre un
titre à l’encontre de l’associé, une fois constaté le non-paiement, par la société, de ses dettes fiscales.
Certes le rôle régulièrement mis en recouvrement est-il exécutoire, non seulement contre le contribuable qui y est
inscrit, mais également contre ses représentants ou ayants cause (CGI, art. 1682). Mais, d’une part ce texte ne
concerne que le recouvrement des impôts directs, aucune disposition similaire n’existant pour les créances qui ne
sont pas recouvrées par voie de rôle, et, d’autre part, cette notion de représentant ne saurait, selon nous être étendue
aux associés non gérants de telles sociétés.
Le problème devient alors épineux, dans la mesure où il ressort bien de la jurisprudence précitée qu’en exigeant que
le titre vise nominativement l’associé, le juge judiciaire exclut, ipso facto, que la condition tenant à la notification
d’un titre à l’associé puisse être remplie par la simple notification, à son encontre, du titre précédemment notifié à la
société ; la jurisprudence paraît au contraire exiger de l’Administration qui ne disposerait que d’un titre exécutoire à
l’encontre de la société, qu’elle en émette un à l’encontre de l’associé pris individuellement. Mais encore faut-il alors
que l’Administration soit dans les délais pour le faire.
En vertu de l’article L. 275 du LPF, la notification d’un avis de mise en recouvrement interrompt la prescription
courant contre l’Administration et y substitue la prescription quadriennale de l’action en recouvrement. Or, lorsque
mise en demeure préalable de la société en règlement judiciaire, ni à la preuve de l’admission de la créance au passif, le créancier ne peut
poursuivre le paiement d’une dette calculée en proportion des droits sociaux respectivement détenus par eux dans ladite société, qu’après avoir
produit au passif de la société débitrice l’intégralité de la créance. Néanmoins, dans cette affaire, et suite au prononcé du règlement judiciaire et de
la liquidation des biens, le comptable public avait, préalablement à la délivrance de mises en demeure à l’encontre des associés, délivré des avis de
mise en recouvrement aux représentants légaux de cette société, de sorte que la question de la notification préalable d’un titre exécutoire à leur
encontre ne se posait pas.
11
l’action en recouvrement contre le débiteur principal n’est pas prescrite, elle ne l’est pas davantage contre le débiteur
solidaire (CE, 29 septembre 1982, n° 29.839, Sieur X… : Dr. Fisc. 1983, n° 23, comm. 1254, concl. Bissara). Le plus
souvent d’ailleurs, la question de la prescription de l’action en recouvrement ne se posera même pas.
Cela étant, l’émission d’un titre exécutoire ne fait intervenir que les règles gouvernant la prescription de l’assiette de
l’impôt. Or, l’on sait que les impositions supplémentaires établies suite à contrôle fiscal doivent être mises en
recouvrement avant l’expiration du délai de reprise dont dispose l’Administration, et que la mise en recouvrement
des créances fiscales obéit à des règles de prescriptions courtes, nonobstant la prescription décennale de principe
prévue par l’article L. 186 du LPF : le délai de reprise expire, en principe, et s’agissant de l’impôt sur le revenu, de
l’impôt sur les sociétés et taxes assimilées, à la fin de la troisième année qui suit celle au cours de laquelle
l’imposition est due (LPF, art. L. 169 A), et, s’agissant des taxes sur le chiffre d’affaires, à la fin de la troisième
année suivant celle au cours de laquelle la taxe est devenue exigible conformément aux dispositions du 2 de l’article
269 du CGI (LPF, art. L. 176)20.
Certes la prescription d’assiette est-elle interrompue par la notification d’une proposition de redressement, par la
déclaration ou la notification d’un procès-verbal, par tout acte comportant reconnaissance de la part des
contribuables et par tous autres actes interruptifs de droit commun (LPF, art. L. 189). Mais il n’en demeure pas
moins que, lorsque l’associé est recherché en paiement des dettes fiscales mises à la charge d’une telle société suite à
contrôle fiscal, les délais d’émission d’un titre exécutoire à son encontre seront très probablement expirés,
notamment, par exemple lorsque la dette mise à la charge de la société aura été contestée devant la Commission
Départementale des Impôts, puis par réclamation, et enfin devant le Tribunal.
Pour l’heure, l’Administration semble quelque peu désemparée par cette jurisprudence et ne semble pas en avoir
perçu toute la portée : par exemple, dans une instruction du 7 mai 1999 relative au cautionnement (BOI 12 C-2-99 du
20 mai 1999 : Dr. Fisc. 1999, n° 24, 12 225), elle précise ainsi que, conformément au droit commun des obligations,
le créancier ne peut procéder à l’exécution forcée de la caution qu’à la condition de disposer d’un titre exécutoire
contre elle, mais ajoute aussitôt que, la dette de la caution étant identique à celle mise à la charge du débiteur
principal, et en l’absence de novation de la créance fiscale, l’obligation accessoire de la caution trouve sa source dans
l’avis de mise en recouvrement délivré au redevable. De sorte qu’en vertu des dispositions de l’article R.* 257-2 du
LPF, la mise en cause de la caution résulte donc de la notification d’une seule mise en demeure. Le comptable chargé
du recouvrement est dès lors habilité à réclamer le montant des impositions cautionnées par voie de mise en
demeure, celle-ci procédant tant de l’avis de mise en recouvrement délivré au redevable, qui constitue le titre
exécutoire, que l’engagement souscrit par la caution21…
Conclusion.
La jurisprudence, tant judiciaire qu’administrative, n’a probablement pas encore tiré toutes les conséquences qui
s’imposent s’agissant de la notification du titre au redevable de l’impôt ; gageons cependant que, de son côté,
l’Administration trouvera rapidement la possibilité de contourner les conséquences rigoureuses qu’emportent pour
elle le principe de la notification du titre exécutoire au redevable de l’impôt. Quoiqu’il en soit, l’affirmation de tels
principes fondamentaux offre aux redevables des perspectives de contestation nouvelles qu’ils auraient tort de
négliger dans le cadre d’un contentieux du recouvrement. A cet égard, l’avenir sera riche d’enseignements.
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20
L’alinéa second de l’article L. 176 dispose néanmoins que le droit de reprise s’exerce jusqu’à la fin de la sixième année qui suit celle au titre de
laquelle la taxe est devenue exigible, lorsque le contribuable n’a pas déposé dans le délai légal les déclarations qu’il était tenu de souscrire et n’a
pas fait connaître son activité à un centre de formalité des entreprises ou au greffe du tribunal de commerce.
21
Dans un arrêt du 23 novembre 1993 (n° 1843 P, Mme Maier : RJF 2/94, n° 206), la Cour de Cassation affirmait que les services chargés du
recouvrement de l’impôt ne peuvent adresser de commandement de payer et diligenter de procédure de saisie-exécution à l’encontre d’un
liquidateur, sans qu’un titre exécutoire ait été délivré contre lui à titre personnel, faute de quoi la procédure suivie par l’Administration serait
« manifestement illicite ». En l’espèce, la poursuite du liquidateur se fondait sur les dispositions de l’article L. 265 du LPF. La Cour
Administrative d’Appel de Paris (20 juin 1989, n° 8-133, Mme Israël : Dr. Fisc. 1990, n° 8, comm. 389) considère néanmoins que le comptable du
Trésor est en droit de mettre en recouvrement à la charge du liquidateur d’une société les impôts directs dus par celle-ci lorsque ledit liquidateur
s’est dessaisi des fonds qu’il détenait avant la clôture des opérations de liquidation sans avoir préalablement assuré le paiement de ces impôts.