Etienne de la Boétie, Discours de la servitude volontaire

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Etienne de la Boétie, Discours de la servitude volontaire
Etienne de la Boétie, Discours de la servitude volontaire
Écrit par J.B
Vendredi, 24 Octobre 2008 11:04 - Mis à jour Mercredi, 19 Novembre 2008 15:13
Fiche de lecture (Julien Bernard)
Discours de la servitude volontaire
(≈1555-1560)
Etienne de la Boétie
Introduction
Il s’agit d’un texte assez court qui n’a pas été publié ni du vivant de l’auteur (comme
toutes ses œuvres d’ailleurs) ni même par Montaigne qui a pourtant fait publié de nombreux
textes de son ami La Boétie en 1570, 7 ans après sa mort prématurée. Sans doute cet écrit
était il, d’une façon trop libérale et trop directe, une critique des forts pouvoirs monarchiques
autoritaires qui commençaient à se mettre en place en Europe à la sortie du Moyen Age.
Cet écrit a une forte unité argumentative. Il répond à une question simple : comment se
fait-il que des peuples entiers puissent se soumettre à quelques tyrans ? Les arguments se
suivent et le texte va crescendo en direction de ce qui semble à l’auteur la raison principale de
cette soumission. Il se termine par une description des tourments qu’endurent de leur vivant les
tyrans et leurs plus proches alliés, et sur les tourments dans l’au-delà que Dieu doit
certainement leur réserver. Le texte a de fortes qualités littéraires. Tous les arguments sont
étayés par des exemples historiques que la Boétie rapporte dans un langage voué à émouvoir
le lecteur par une mise en scène dramatique et une exagération des mœurs rapportées. Le
style pourrait donc être décrit comme une dissertation philosophique aux forts accents
rhétoriques et poétiques.
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Cet écrit a rencontré rapidement un vif succès, bien qu’il n’ait pas été édité, des copies
ayant circulé peu de temps après la mort de la Boétie. Le texte était souvent repris par les
minorités opprimés (au XVIème siècle il s’agissait surtout des minorités religieuses comme les
huguenots) comme un appel à la liberté en général (alors que le texte concerne plus
directement la liberté du peuple à l’égard du tyran, et non pas celle des minorités à l’égard de la
masse bien pensante) Le texte aura à nouveau un vif succès pendant la révolution française et
réapparaitra dans tous les moments de sédition de l’histoire de France.
Structure générale de l’œuvre : la question de la tyrannie
L’écrit de La Boétie nait d’un constat étonnant : on voit de nombreux peuples se soumettre à
quelques individus isolés, des tyrans, qui en viennent à détenir tous les biens matériels du
royaume et même le droit de vie et de mort sur ces sujets. Comment une telle chose est-elle
concevable ? La question primitive de La Boétie est donc la simple explication d’un fait. La
Boétie ne juge d’abord ni le tyran ni le peuple qui se soumet mais se propose simplement
d’expliquer ce fait de prime abord inintelligible selon lequel un individu dont la force est
négligeable par rapport à un peuple entier arrive tout de même à en devenir le maitre et pour
ainsi dire le possesseur. Expliquer ce fait c’est aller chercher dans la nature humaine et dans la
nature des relations qui s’établissent entre les hommes, les mécanismes et les motifs qui
aboutissent à un tel servage.
Derrière la simple analyse des causes de la tyrannie, le lecteur perçoit bien que le Discours de
la servitude volontaire
est un appel aux peuples opprimés à sortir de leur état de servitude. Cela n’est pas seulement
une froide analyse d’un fait humain. Si la tyrannie est analysée finement par ses causes, c’est
pour pouvoir penser comment les peuples opprimés peuvent s’en délivrer. Ce motif de l’écrit de
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la Boétie est déjà évident simplement par la considération de la figure que prend le tyran dans
cet écrit. Le terme « tyran », contrairement à ce qu’il signifiait dans l’antiquité grecque
[1]
, y désigne un être sans scrupule qui dispose d’un pouvoir sans limite et qui s’en sert
principalement à ses seules fins personnelles. Les figures de tyrans les plus extrêmes décrites
dans le
Discours
en font un monstre sans considération pour son peuple ni même pour son entourage proche. La
figure de Néron est (par exemple) emblématique de ce tyran‑monstre auquel La Boétie
souhaite une éternité de châtiments dans l’au-delà.
Construction de la problématique :
Impuissance du tyran isolé, et valeur de la liberté :
Comment expliquer la soumissionvolontaire des peuples
?
La première partie de l’écrit est vouée à exposer le problème auquel le reste de l’ouvrage va
donner une solution. Il s’agit de comprendre les motifs et mécanismes humains qui soutiennent
l’apparition et le maintien de la tyrannie. Pourquoi ce phénomène politique de la tyrannie est-il si
étonnant et demande-t-il une explication ? L’étonnement que La Boétie veut susciter chez le
lecteur se construit en deux temps.
D’abord La Boétie nous fait remarquer a quel point le tyran, considéré de manière isolée, est
impuissant. Il est un individu humain seul face à des centaines de milliers, voire des millions. On
ne peut penser une relation de force entre le tyran et son peuple. La disproportion est telle que
la force du tyran est comme nulle. Pour cette même raison, la soumission du peuple ne peut
être pensée comme une lâcheté, une peur d’entrer en lutte contre le tyran. Ainsi le pouvoir dont
le tyran fait usage provient du peuple lui même. Les bras avec lesquels le tyran frappent, il les
emprunte au peuple. La tyrannie ne peut donc se maintenir que tant que le peuple tyrannisé
prête son secours au tyran. A l’échelle des rapports entre un peuple et un tyran, la servitude ne
peut être que volontaire.
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Mais cette liberté que le peuple accepte volontairement de perdre est pourtant un de ses biens
les plus précieux. On constate que les animaux eux même y accordent un grand prix et savent
se battre pour la défendre. Quant aux hommes, on voit les nations libres capables de faire
preuves du plus grand courage et de réaliser les plus grandes choses ; la liberté étant garante
du prix de tous les autres biens.
On voit ainsi en quoi le phénomène de la soumission à la tyrannie est problématique, le peuple
choisissant volontairement de perdre un de ses biens les plus précieux.
Les arguments pour expliquer l’avènement du tyran :
L’habitude de l’asservissement, l’assoupissement du
peuple
et la hiérarchie des tyranneaux
Les arguments avancés par La Boétie pour expliquer la soumission à la tyrannie sont multiples.
On peut en dégager principalement trois :
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1) Le premier avancé par La Boétie est l’habitude qui dénature l’homme en lui faisant prendre
sa situation de naissance pour une chose naturelle. La condition de l’homme comme des autres
animaux est d’aspirer à la liberté. Mais l’habitude dénature en quelque sorte l’homme (comme
les animaux domestiqués) et rend sa servitude supportable. La servitude devient pour celui qui
est né sous le joug comme une seconde nature. Mais le besoin naturel de liberté n’est
qu’assoupi, et certains hommes naissant dans un état asservis, plus sensibles que les autres
au poids du joug, peuvent s’élever contre le tyran et cette détestable habitude. En justifiant cet
argument de l’habitude par une analogie entre l’homme et l’animal, La Boétie place sa première
réflexion dans le cadre d’une réflexion d’ordre éthologique et anthropologique, cherchant à
expliquer le comportement humain en politique par une étude de la nature humaine et des
motifs généraux qui guident l’action humaine. Cette anthropologie doit trouver sa place dans
une réflexion plus large sur le comportement animal et cette attitude peut être sans doute
rapprochée de celle qu’auront les théoriciens du droit naturel, plus d’un siècle après (Hobbes,
Rousseau…)
2) Le second argument a trait a la façon dont le tyran endort le peuple en mettant des
obstacles à la pensée et en satisfaisant les autres besoins du peuple que la liberté pour faciliter
son habituation au joug. Le tyran donne au peuple des distractions qui lui procure des plaisirs
tout en l’éloignant de tout désir de rébellion. Ainsi, La Boétie rapporte-t-il l’anecdote du tyran de
Lydie qui sut tellement faire preuve d’imagination pour endormir son peuple sous un grand
nombre de distractions que le nom latin pour jeu, « ludos », est directement dérivé du nom de
ce pays.
3) La Boétie termine par l’argument qui est selon lui le plus important. Ce qui permet au tyran
de s’imposer sur le peuple c’est qu’il n’est pas seul. Il transmet une partie de ces pouvoirs (et en
même temps il reçoit une partie de sa force de) à quelques hommes (5 ou 6 dit la Boétie) qui
vont tirer profit à leur compte du pouvoir du tyran. Si on s’arrête à ce stade, le rapport de force
entre le tyran et le peuple n’a pas fondamentalement changé. Ces quelques personnes en plus
ne change pas la donne. Mais il se trouve que ces quelques personnes ont à leur tour chacune
quelques individus qui les soutiennent afin de profiter d’une part de leur pouvoir. C’est ainsi
toute une hiérarchie de
« tyranneaux » qui se déploie en dessous de la figure unique du
tyran. Si bien que les personnes qui profitent de cette manière de la tyrannie se trouvent en
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nombre suffisant pour qu’un véritable rapport de force advienne.
La Boétie décrit cependant à quel point ces personnes croyant profiter au mieux du système
tyrannique sont a contrario les plus malheureuses. Au lieu de seulement servir comme les
personnes en bas de la hiérarchie, au plus une personne est proche du tyran et au plus elle doit
souffrir pour lui plaire : anticiper ses désirs, faire attention au moindre de ces faits et gestes. Le
pouvoir accordé à ces proches du tyran est toujours précaire, le tyran étant susceptible à tout
moment de le leur ôter ainsi que la vie. Car le tyran, habitué à obéir à tous ses propres caprices
est un être odieux, un véritable monstre qui n’épargne pas ses proches dont il a une méfiance
bien fondée. Néron est le portrait type du tyran sans cœur capable de tuer sa mère et de faire
subir les atrocités les plus inhumaines par habitude de céder à ses désirs les plus bas. Le tyran
lui-même n’est pas épargné par cette précarité, souvent renversé par ses proches. Il est lui
même un être malheureux et auxquels les dieux réservent sans doute les pires châtiments.
[1] Le terme « tyran » désignait au départ un maître absolu, au-dessus des lois, mais sans
aucune connotation péjorative ; le tyran pouvant gouverner pour le bien de son peuple. Le mot
en vint rapidement à désigner spécifiquement les gouvernants étant arrivé au pouvoir par la
force, par opposition au monarque (mais toujours sans connotation négative sur la façon de
gouverner). Mais ce n’est qu’à l’ère chrétienne que le mot en vint à signifier un despote, i.e. un
souverain absolu qui gouverne de façon arbitraire et cruelle pour servir ses propres plaisirs.
(d’après le
Robert, dictionnaire historique de la langue française)
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