Résumé - Institut EDS

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Résumé - Institut EDS
Résumé de la conférence de Dominique Bourg, Institut de géographie et de durabilité (IGD), Faculté des géosciences et de l'environnement, Université de Lausanne, Suisse « Fragmentation du paysage scientifique et démocratie scientifique » Peut‐on encore légitimement parler de la science au singulier ? Curieusement d’ailleurs, c’est en général quand on cherche à contester quelque énoncé scientifique que l’on revendique l’autorité de science, comme le font par exemple les climato‐sceptiques. Quelles peuvent être les incidences de la pluralité du paysage scientifique en matière de démocratisation ? En réalité très peu de domaines scientifiques peuvent légitimement répondre au critère classique de la scientificité, celui de la falsifiabilité selon Popper (on peut englober l’idée de science normale propre à Kuhn) : falsification d’une théorie grâce à une expérience clé. En réalité, la plupart des mathématisations du réel, des modélisations, (même si modèles prédictifs : une seule trajectoire ne saurait les falsifier) ne sont pas falsifiables : souvent des modèles concurrents (économie, climat, etc.), perfectibles à l’infini comme pouvait l’être le modèle de Ptolémée…. L'exemple générique le plus simple est celui de la modélisation du flux d'un fleuve pour la prévision des crues. Il existe des familles de modèles qui ne prédisent pas les mêmes probabilités de franchissement de seuil. Chaque modèle ou famille est indéfiniment perfectible (voir pour ce développement Nicolas Bouleau). A cette pluralité s’en ajoute une seconde au moins, celle qui sépare les sciences du diagnostic des sciences productrices d’objets. Au face‐à‐face entre des scientifiques récusant les problèmes et une société civile dénonçant risques et manipulations, décrit par Beck il y a 25 ans, s’est substitué non pas une simple inversion des rôles mais un paysage résolument éclaté, rendant la décision publique plus incertaine encore. Tout se passe un peu comme si le néolibéralisme avait eu raison de la dernière grande autorité, celle de la science (Oreskes & Conway, 2010). Il n’y a plus grand sens par ailleurs à parler de la science au singulier, tant le fossé semble grand, par exemple, entre les promoteurs de la biologie de synthèse ou de la géoingénierie d’un côté, et les communautés scientifiques des sciences du climat ou de la biodiversité de l’autre. Les uns sont portés par des intérêts économiques puissants alors que les autres s’y opposent en un sens, tout du moins les questionnent. Et ce sont aussi des motifs économiques qui semblent pour l’essentiel prédisposer les publics à accepter ou à récuser la thèse scientifique de la responsabilité anthropique en matière de changement climatique (Lewandowsky et al.). A la suite de ce double constat, je m’interrogerai sur la signification de ce pluralisme épistémologique tout en le mettant en relation avec les modalités irréductiblement plurielles du jugement en général, avec la pluralité des sphères de valeur. J’illustrerai de temps à autre mon propos d’exemple relevant des débats scientifiques à « la française ». Je chercherai à tirer les conséquences de cet état de choses en termes de démocratie scientifique et technique, et de durabilité. D. Bourg