poly-hamlet-1 - Bonnescauses.be

Transcription

poly-hamlet-1 - Bonnescauses.be
Depuis de nombreuses années, Frédéric Ruymen et
Emmanuelle Bonheure travaillent pour le CEC Artifices
aussi bien sur des projets rassemblant des personnes
connaissant un handicap mental que des personnes
socialement ou culturellement défavorisées. Pour
ce projet particulier, ils ont été rejoints par : Naïma
Ostrowsky, comédienne professionnelle, Caroline
Voglaire, cinéaste et Vincenzo Chiavetta, photographe.
Pour partager leur passion avec des personnes exclues,
les artistes-animateurs se sont nourris de leur expertise
professionnelle dans le secteur des arts de la scène et
de l’image. Formés au Kiryuho (art de mouvement et
art martial contemporain japonais) ainsi qu’au « Use
of Cross-cultural Music in Healing (Openear Center) »,
ils inscrivent leur démarche dans le droit fil d’une
tradition théâtrale dont l’objet est de faire danser la
scène. Envisager le théâtre en reliance avec l’Univers,
tel est leur credo. Leur pratique est vivante. Leur
intervention porte sur l’énergie du son et du geste.
L’objectif poursuivi est d’éveiller la sensibilité des
acteurs et de les mettre en contact avec leur être au
travers des vibrations que dégage chaque personnage.
C’est pourquoi, le CEC Artifices choisit des textes
d’auteur, réputés parfois difficiles à aborder, mais
dont l’universalité du propos et la qualité de l’écriture
transcendent les comédiens. Traversés, contaminés, ils
vivent un bouleversement positif. Ainsi Chantale qui
interprétait Gertrude évalue son expérience en ces
termes : « Hier soir, Gertrude est morte, une nouvelle
Chantale est née. »
Le théâtre est un art de la médiation qui permet aux
hommes et femmes de grandir en se glissant dans la
peau de personnages fictifs. L’élévation de l’âme, tel
est le défi à relever.
Hamlet
au resto du Cœur
Polyptyques de la créativité / 17
Polyptyques de la créativité
Une publication du Service de l’Education
permanente et de la Créativité Secteur des
Centres d’Expression et de Créativité (CEC)
Direction générale de la Culture
Ministère de la Communauté
française de Belgique
Chaque vendredi matin, ils
et elles se retrouvent dans le
chauffoir du Resto du Cœur de
Charleroi. Tous vivent des situations personnelles difficiles.
L’équipe du CEC Artifices leur
propose d’investir un classique,
Hamlet de William Shakespeare.
La pièce leur parle immédiatement à travers les drames qui
s’y jouent, les sentiments qui
s’y expriment et les fragilités
qui s’y révèlent. Un processus
de recherche collective s’amorce
autour du texte et du corps des
participants. Au bout d’une traversée pleine d’émotions et de
rebondissements, l’objectif initial
est atteint par la représentation
publique de la pièce au Centre
Culturel de Charleroi ( l’Eden).
Pari tenu après un an et demi de
gestation.
Contacts 
P.Gérimont + 32 (0)2 413.25.27
[email protected]
C. Beguin + 32 (0)2 413.24.20
[email protected]
F.Peeters + 32 (0)2 413.25.21
[email protected]
Editeur responsable :
France Lebon, Bd Léopold II, 44 1080 Bruxelles
Artifices est un CEC louviérois qui fonctionne
depuis 1989. Créé à l’initiative de Karin
Salentiny, ce Centre d’expression et de créativité s’adresse à des personnes mentalement,
culturellement et socialement marginalisées.
Artifices propose des activités hebdomadaires
de pratiques artistiques en insistant davantage sur l’être que le faire. Les projets ont pour
objectifs de susciter la création, mais également de favoriser l’autonomie des personnes
dans leur vie quotidienne. Depuis 1991, de
nombreux spectacles ont été produits : « Jeux
de Clowns », « Et s’il ne vient pas ? » (d’après
Beckett), « Shakespeare, je meurs et je vous
aime », « Piqures, pilules et bistouris » (à partir du Malade Imaginaire), « À Deux ! ».
Catherine Ruelle / [email protected]
Le sens du projet
Conception et production Artifices, 11 rue Henry
Aubry 7100 Haine-Saint-Paul, +32 (0)64.21.73.55, asbl.
[email protected];www.artifices.be
Financement Communauté française (Direction générale
de la Culture, Service de l’Education permanente et de la
Créativité : secteur CEC
Photographies Vincenzo Chiavetta
Texte Michèle Minne (Service de l’Education permanente)
Conception graphique Catherine Ruelle
Hamlet en quelques mots
Loin d’être poussiéreuse, cette tragédie de Shakespeare conserve intacte sa verdeur pour exprimer les vicissitudes de l’existence humaine.
Chaque vers porte en lui une énergie et une justesse de ton, toutes
contemporaines.
À la mort du père d’Hamlet, Claudius son frère aîné, monte sur
le trône du Danemark. Le spectre du souverain défunt apparaît à
Hamlet, révélant à son fils qu’il a été empoisonné et l’incitant à se
venger. Pour démasquer son oncle Claudius, Hamlet feint la folie,
mais sa ruse échoue puisque son délire est compris comme le signe de
sa passion pour Ophélie, la fille du conseiller Polonius. Hamlet invite
alors une troupe théâtrale à interpréter son songe, mais Claudius
interrompt la représentation. Il décide ensuite de révéler la félonie de
Claudius à Gertrude, sa mère. Pensant être espionné par l’usurpateur,
Hamlet tue Polonius par erreur et est contraint à l’exil en Angleterre
tandis qu’Ophélie se suicide. Laërte, le fils de Polonius jure de venger
les siens. Attaqué par des pirates, le navire d’Hamlet doit rebrousser
chemin. Claudius espère un duel entre Laërte et Hamlet. Pour s’assurer de l’élimination de son neveu et rival, il enduit de poison la lame
du fils de Polonius. Il en verse également dans la coupe de vin destinée à Hamlet. C’est Gertrude qui boit le breuvage et meurt tandis que
Laërte se blesse mortellement avec sa propre épée. Hamlet, également
touché, parvient à tuer son oncle avant de succomber.
La pièce de Shakespeare est un véritable condensé des passions
humaines où la vie est dépeinte sans concession. Il y est question
d’échecs successifs, de meurtres, de désirs, de vengeances, de complots… Ce texte touche, particulièrement, ces personnes fragilisées.
.
Les participants
Le bien-être, un préalable
Chacun a son parcours de vie parsemé d’embûches. L’un ne maîtrise pas bien la lecture, l’autre
est séparé de sa compagne et ses enfants sont
placés, le troisième n’a plus d’emploi depuis très
longtemps déjà, un quatrième souffre de surdité,
s’exprime difficilement oralement, mais connaît
la langue des signes…
D’emblée, Frédéric Ruymen et Emmanuelle Bonheure comprennent l’importance de créer des liens
forts avec ces personnes pour leur permettre d’installer un peu de calme à l’intérieur d’eux-mêmes,
d’échapper un moment à leurs soucis prosaïques
et d’investir d’autres dimensions de l’expérience
humaine. La préoccupation des animateurs est
d’accompagner les acteurs, de les soutenir, d’adapter la démarche au potentiel de chacun. Gérer les
moments de crise, les absences et les doutes est
une tâche délicate qui requiert temps, éthique et
humanité.
Certains tentent l’expérience puis ne persévèrent
pas, happés par la vie ou n’ayant pas trouvé
un intérêt suffisant à l’expression artistique.
Quelques uns participent aux séances mais ne
souhaitent pas jouer en public. D’autres tiennent
bon jusqu’aux dernières répétitions, puis s’esquivent juste avant la représentation. D’autres
encore poursuivent jusqu’au bout. Ils se prennent
au jeu et reviennent, de semaine en semaine,
pour répondre aux propositions théâtrales du
CEC Artifices.
Le souci de favoriser un climat de détente sous-tend
le travail artistique pour mieux stimuler la créativité.
Il s’agit de créer des conditions autorisant chaque
participant à entrer de plain- pied dans le projet.
Chacune des phases est évaluée en équipe pour
réorienter les choix et les ajuster à la situation du
moment.
Pas à pas
Chaque séance est structurée selon un rituel précis. Les animatrices, comédiennes professionnelles, y prennent part en tant que participantes.
Il n’y a pas de maîtres et d’élèves. Tout le monde est sur pied d’égalité.
Pratiques de relaxation, échauffement, exercices vocaux et corporels,
le parcours repose sur une expérience collective. Emmanuelle Bonheure, formée à l’utilisation de la musique dans le domaine du soin,
accompagne et favorise le processus de mise en disponibilité par un
travail d’écoute musicale, de chant collectif. Des ondes positives circulent, la poésie et l’imaginaire libèrent l’esprit du quotidien, permettent
aux personnes de retrouver un axe vertical. Le CEC propose un voyage
dans une dimension qui transcende le réel. Chanter, taper des rythmes,
se bouger, se déplacer dans l’espace, le travail d’acteur se met progressivement en place.
Au plaisir de trouver son corps et de découvrir sa voix se superposent
l’exploration de soi et l’écoute des autres. A travers une série de propositions ludiques, ces personnes blessées par leurs conditions d’existence se révèlent peu à peu. Elles sont davantage présentes à la vie.
Elles deviennent conscientes de leur savoir-être. Elles osent improviser.
Le travail s’amorce, l’énergie se canalise.
Les lieux
Le rendez-vous est fixe. Le chauffoir facilite le contact avec
tous les usagers du Resto du Cœur. Chacun arrive avec ses
blessures et ses secrets, espérant y trouver un peu de chaleur.
Chaque vendredi, ils y rencontrent l’équipe d’Artifices, désireuse de construire un projet artistique avec eux.
La participation à l’atelier théâtre est libre. Cette règle est
d’application, même si elle complique la gestion du projet.
Un incessant va-et-vient s’instaure entre ceux qui s’y impliquent et ceux qui y passent simplement pour se chauffer.
Le local n’est pas adapté : il est bruyant, sale et surchauffé.
Pour les dernières répétitions, un changement de lieu s’impose. Le CEC loue une salle dans un théâtre pour mettre les
acteurs devant les réalités de la scène, mais aussi pour améliorer le contexte de travail.
La représentation finale est programmée au théâtre de
l’Eden, devant un parterre de spectateurs. C’est l’apothéose
de ce projet artistique.
Le texte
Les participants réguliers prennent de plus en plus d’assurance. Ils sont prêts à « descendre » sur scène. Ils reçoivent
le texte, une version adaptée d’Hamlet. Les dialogues leur
plaisent et aiguisent leur curiosité. Ce récit tragique les
interpelle sur la vie, celle des personnages mais aussi la leur.
Les mots de Shakespeare les traversent, les portent au-delà
d’eux-mêmes.
La démarche s’affine. Tout le monde est susceptible de
jouer n’importe quel rôle. Les acteurs adhèrent au projet,
se passionnent. Au fil des mois, ils se retrouvent, sans les
animateurs, dans un parc ou dans un bistrot pour répéter
entre eux.
Le casting se précise. Des doublures sont prévues. Les rôles
sont interchangeables. Une couturière façonne des costumes en vue de la représentation publique.
L’image-film et l’image-photo
Caroline Voglaire accompagne la conduite de l’atelier,
caméra au poing. La réalisation d’un documentaire conserve la mémoire de la démarche et en enregistre les différentes étapes.
L’idée d’intégrer des séquences cinématographiques à la
représentation théâtrale prend forme. Ce document d’archives permet aux absents d’assurer leur présence sur le
plateau. Il accentue aussi l’universalité des personnages
puisque chacun d’entre eux peut être joué par différents
comédiens.
La projection du film intervient dans la dynamique du
spectacle, apportant une dimension supplémentaire à la
scénographie. L’image-mouvement permet des flash-back
et des dédoublements entre l’acteur de chair et d’os sur
scène et celui qui apparaît à l’écran. Le film en constitue
le décor immatériel. Il interfère dans le parti pris esthétique et renforce la perception de la contemporanéité de
Shakespeare.
En complément, un reportage photographique de
Vincenzo Chiavetta restitue aussi le fil du projet. C’est également un matériel promotionnel de qualité, fournissant
des informations sur son déroulement. Il constitue une
œuvre artistique en soi.
Le baby blues
Si le spectacle est le point culminant de l’aventure, l’intervention du CEC ne s’arrête pas là pour autant. Il ne
s’agit pas de dénouer brutalement les liens qui se sont
construits, la confiance qui s’est établie, il faut accompagner la dépression que traversent tous les artistes, au
lendemain de la concrétisation d’un projet artistique
exigeant. Une poursuite de l’atelier est décidée et des
propositions de travail personnel sont faites à chacun.