Négociation et posture interculturelle dans la coopération

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Négociation et posture interculturelle dans la coopération
Négociation et po&ture interculturelle dlan& la
coopération internationale
Patrick DENOUX
Quand un diplomate dit "oui", cela signifie "peut-être",
quand il dit "peut-être", cela veut dire "non" et
quand il dit "non" ce n'est pas un diplomate.
H.L. Mencken, Dictionnary ofQuotations, 1946.
Il est communément admis que les négociations internationales, à un
premier niveau d'observation, présentent trois particularités (Dupont,
1994 ; Audebert-Lasrochas, 1999) : la distance et ses conséquences
logistiques, la complexité issue de la multiplicité des niveaux et des partenaires et la durée du processus; critères tout aussi applicables à certaines relations intranationales. Les auteurs s'accordent à penser
(Salacuse, 1988 ; Dupont, 1994) qu'à un niveau plus qualitatif trois
dimensions caractéristiques permettraient de qualifier les négociations
internationales: la différence culturelle, la différence des systèmes politico-administratifs et la différence des systèmes juridiques.
Bien souvent, la différence culturelle n'est envisagée que comme élément de contexte déterminant la négociation, au même titre que n'importe quel autre facteur (de personnalité, de cadre, d'enjeu ... ). Or, à la
lumière de nombreux échecs pour raison culturelle (Denoux, 1994 ;
Kimmel, 1994), il apparaît de plus en plus que la différence culturelle
dans la négociation ne doit pas seulement être considérée dans son rôle
annexe de variable antécédente, obstacle à la négociation, mais aussi
comme une variable conséquente, produit de la négociation et condition
de sa réussite. L'intégration de la position de l'autre (Posses, 1978)' , la
recherche réciproque de stabilité (Fayerweather & Kapoor, 1976), le
compromis entre des conceptions différentes du désirable et du non
désirable (Faure & Rubin, 1993) sont autant de questions ouvrant le passage d'une conception culturelle à une conception interculturelle de la
négociation internationale.
Mon propos va être ici de tenter d'apporter quelques éclairages nouveaux sur la spécificité que l'on peut concéder à la négociation interculturelle au sens le plus large (intra et international). Elle apparaît dans les
différentes aires d'application du commerce interinstitutionnel (collaboration entre des organisations représentatives), diplomatique (communications internationales), politique (relations transfrontalières), économique (échanges commerciaux). Cependant, nous n'envisagerons ici que
les négociations bligeant à un engagement structurel, pourvoyeur de
modifications réciproques et s'inscrivant dans le temps.
1/ LA CULTURE COMME COMPOSANTE ENDOGENE DE LA NEGOCIATION INTERNATIONALE
C'est à la fois l'expérience la plus immédiate et l'abord le plus pragmatique de l'impact culturel sur les situations de négociation. Quelle que
soit la culture, l'efficacité dans sa culture n'implique pas l'efficacité dans
l'autre culture. Quel professionnel ne s'est pas heurté une fois aux effets
néfastes de la méconnaissance du contexte culturel dans lequel évoluent
le ou les partenaires comme le notait Segall dans un article prudemment
intitulé "négociations internationales" (Berry, Poortinga, Segall &
Dasen, 1992). La variabilité des environnements institutionnels, tout
autant que celle du cadre légal, agissent déjà fortement sur le processus
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de négociation dans un contexte intraculturel. Lorsque par exemple des
organisations relevant de secteurs différents d'un même champ économique intranational et participant d'objectifs éloignés se voient pour des
raisons de nécessité contraintes de négocier. Ou bien encore lorsque des
entreprises s'appuyant sur des modèles organisationnels différents (OST,
Relations Humaines, Néorationalisme stratégique) sont mises en demeure par le marché de coopérer étroitement ou de fusionner. Cependant,
lorsque vient se surajouter à la différence de culture organisationnelle,
la différence culturelle nationale, trois caractéristiques nouvelles surgissent qui pourraient contribuer à qualifier la négociation d'interculturelle :
1.1 Culture et perception de l'environnement de l'entreprise
L'opacité globale de la culture nationale (en redoublant celle de la culture organisationnelle) invalide l'estimation de faisabilité pour chaque
partenaire. L'évaluation correcte de la proximité des buts, des convergences et divergences se trouve gênée voire empêchée à tous les
niveaux par les filtres culturels. Combien d'émissaires économiques zélés
ont peiné à identifier l'organisation partenaire, malgré des complémentarités jugées, a priori, "évidentes" . La capacité intrinsèque des partenaires à se situer réciproquement dépend fortement de l'éclaircissement
de contraintes culturelles.
Dans les négociations commerciales franco-espagnoles, nous avons
maintes fois observé que les négociateurs français partaient à la
recherche d'un interlocuteur alors que les négociateurs espagnols partaient à la recherche d'un réseau'. Alors que Hofsteede pointait de
faibles variations (Bollinger & Hofsteede, 1987) entre France et Espagne,
sur les quatre indices culturels (distance hiérarchique, contrôle de l'incertitude, individualisme et masculinité), des différences importantes
dans l'identification des partenaires nous sont apparues liées à des fonctionnements collectifs ou individuels culturellement marqués et engageant les phénomènes identitaires. Par exemple, la pratique qui consiste
à donner la carte de visite d'un tiers est difficilement concevable en
milieu français où elle reste d'une identité sociale individualisée.
Graphique 3 :
Les indices culturels de France et d'Espagne (Bollinger & Hofsteede,
1987)
Distance
Hiérarchique
Contrôle
Incertitude
Individualisme
Masculinité
68
86
86
71
51
43
42
France
Espagne
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Au cours des négociations Nord/Sud, la perception de l'environnement
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de l'entreprise et en conséquence l'anticipation des coopérations possibles sont fortement contraintes par les composantes culturelles,
notamment les dimensions suivantes: individualiste vs communautariste, mandat individuel vs délégation collective, personne vs réseau, face
à face vs médiation par le collectif.
1.2 Culture, cadre légal et infradroit
L'écart entre les législations, en voie de résolution dans le contexte européen, pesant différemment sur les champs (l'homogénéisation dans le
champ économique ayant une certaine avance, processus financiers,
normes techniques Iso, ... ) fait de la négociation internationale, par
défaut de cadre légal, un lieu potentiel de formalisation de l'infradroit.
Une négociation intraculturelle repose sur une reconnaissance partagée
de ce qui relève du droit et de ce qui lui échappe. Le recours au droit en
matière de différend' est éminemment marqué par la variabilité culturelle (Le Poole, 1991). Alors que dans une négociation interculturelle ce
qui ne relève pas du droit pour l'un peut très bien déjà prêter à législation pour l'autre et inversement ou bien encore n'avoir aucune existence. Il s'en suit que l'identification, par les partenaires, des pôles encadrant les compromis possibles (législation et infradroit communs), relève déjà d'une élaboration, véritable production interculturelle.
Nous évoquerons simplement un exemple de négociation franco-anglaise que m'a aimablement transmis le Pr Peter B. Smith' intitulé: "C'est
trop anglais, Monsieur'" . Au cours de cette négociation, un responsable
anglais avait la charge de vendre de l'ingénierie mécanique à un grand
groupe français dont une des politiques de commercialisation était de se
revendiquer du label "fabriqué en France". La proposition de contrat
comportait une clause classique dans le droit commercial anglais
concernant "l'attribution d'indemnités en cas d'événements imprévus" '.
Au prétexte de cette clause, l'ensemble du contrat fut remis en cause et
un grand nombre d'objections fut transmis ultérieurement par la partie
française au négociateur anglais interrompant ainsi toute négociation.
En réalité, une analyse approfondie de cet échec temporaire montra que
les quiproquo étaient multiples' et que les négociateurs devaient opérer
un ajustement entre une conception plutôt française d'un droit prescrivant les contraintes de la vie et une conception plutôt anglaise d'un
droit aidant l'individu à s'adapter à la vie. En Angleterre, on modifie faci lement le plan prévu (Perrotin, 1991), le droit étant plus un instrument
qu 'un repère.
Dans les relations Nord/sud, la prise en compte des aspects informels
des pratiques économiques, témoigne de la même nécessité de
recherche d'un compromis. Ainsi la culture intervient sur le cadre légal
de la négociation à deux niveaux: l'écart entre les législations réductible
par homogénéisation internationale et la variabilité des rapports
droitlinfradroit qui ne peut se résoudre que par la production d'une synthèse originale.
1.3 Une composante endogène
Dans une négociation intranationale l'apparition d'une personne d'origine étrangère n'a qu'un impact relatif sur l'ensemble du système, et les
effets constatés peuvent très vite être ramenés à un facteur culturel exogène. Mais dans une négociation internationale tous les niveaux du système doivent être considérés comme relevant des cultures en présence.
Il y devient impossible de considérer la culture uniquement comme facteur de contexte.
L'impossibilité de transformer une négociation internationale en négociation interculturelle conduit la négociation à l'échec (Denoux, Bernabé
& Gabsi, 1994). A la suite de nombreux contacts entre leurs cadres, une
entreprise française et une entreprise espagnole décident de signer un
contrat concluant les nombreuses et longues tractations. Le responsable
français accepte l'invitation de son collègue espagnol à une grande ren-
contre à la suite de laquelle le contrat sera signé. Après une discussion
ultime, l'hôte invite le PDG français, sa femme et ses assistants à un restaurant en vogue qui s'avère être assez décontracté. Pendant le repas,
de façon non verbale, le négociateur français montre qu'il ne se sent pas
honoré par un environnement qui ne correspond pas à son statut. A la
fin du repas, le négociateur espagnol signale à la secrétaire du négociateur français qu'il ne souhaite pas poursuivre et qu'il annule la signature d'un contrat aux bénéfices réciproques incontestables.
La rupture de la relation peut être attribuée à une mécompréhension des
intentions de l'hôte. Cependant, pourquoi ne pas l'avoir discutée, si ce
n'était la présence autour de chacun des deux responsables, d'un auditoire (épouses, assistants, secrétaires ...) représentant les communautés
d'appartenance et conférant d'emblée davantage de rigidité aux positions, à la hiérarchie, au style de communication. Le négociateur français fut choqué par ce qu'il considérait comme un accueil "inesthétique", le négociateur espagnol ne le fut pas moins par ce qu'il estimait
être un refus à peine voilé de son hospitalité, sous le regard significatif
de l'entourage.
Les obstacles à la négociation ne sont pas ici assimilables à des problèmes techniques de malentendu dans la communication. Ils renvoient
directement à un être ensemble non accompli. La culture est une réalité
psychologique organisant les comportements des sujets au cours de la
négociation. Au-delà de l'étroitesse des marges de manœuvre et de
l'importance des enjeux qui caractérisent ce type de négociation, sont
requises des compétences interculturelles spécifiques notamment dans
la capacité des partenaires à modifier les systèmes de contraintes.
La négociation interculturelle présente ainsi une spécificité de contexte
parce qu'elle impose la culture comme détermination endogène, qu'elle
oblige à repenser la formalisation de l'infradroit et qu 'elle opacifie l'évaluation des convergences et divergences, présente ainsi une spécificité
de contexte.
2/ LA CULTURE COMME ENJEU DE LA NEGOCIATION INTERCULTURELLE
Du point de vue des enjeux quelles sont les caractéristiques de la négociation interculturelle ? Que l'objectif soit de décider, d'échanger où de
vendre, une des caractéristiques de la négociation interculturelle pourrait être de placer la culture comme enjeu supplémentaire dans la négociation .
2.1 L'interculturalité du cadre
Participant aux objectifs de toute négociation classique la nécessité
d'aboutir à un compromis se redouble de l'urgence d'élaborer des
valeurs temporaires communes de référence servant de support au produit, à la décision ou à l'échange. En liaison avec l'objet de la négociation se déroule de façon implicite une négociation sur les valeurs qui
vont le signifier et ceci même jusqu'aux aspects les plus processuels de
la négociation comme notamment le temps.
E.T. Hall (1984) a montré comment s'opposent le temps monochrone
(programme, linéaire, une seule chose à même temps) des européens de
l'Ouest et le temps polychrone (processus, point dans le temps, plusieurs
choses à même temps) par exemple du monde méditerranéen. Il serait
faux de considérer que l'élaboration de compromis porte sur un bricolage momentané de significations attribuées, elle porte aussi et principalement sur le dispositif de négociation, temps et places. La mise en compatibilité de ces deux temps vécus de la négociation oblige à une
construction interculturelle.
2.2 Un rapport de forces culturel
Toute négociation interculturelle rejoue les rapports de domination
entre aires culturelles, si bien que la culture, là encore, ne peut être
exclusivement conçue comme contenant, mais
doit aussi être envisagée comme expression
d'un rapport entre majorité et minorité culturelles D'où, de façon plus générale, l'utilisation
fréquente de l'ethnicisation comme argument
explicite dans la négociation. De là, aussi le
travail implicite des rapports de forces majorité /minorité dans le processus même de la
négociation. L'aboutissement d'une négociation interculturelle dépend fortement de la
signification que revêtira ce rapport. Les
exemples foisonnent de la manipulation des
stéréotypes à des fins de négociation (France /
Allemagne: l'organisation, France / Espagne:
Napoléon, etc ... ) mais aussi de malentendus
dérivant de cette ethnicisation manipulatrice.
Un directeur commercial français doit rencontrer un homme d'affaire espagnol qui a l'intention d'ouvrir un réseau de distribution en
Espagne pour des produits français. Au
moment de la rencontre, c'est le fils de la personne attendue qui se présente pour excuser
l'absence de son père et pour annoncer qu'il va
le remplacer. Il est juriste. Sa façon de parler au
négociateur français d'emblée apparaît extrêmement formelle, il souligne systématiquement tous les aspects légaux de ce contrat, ce
qui n'est pas pour déplaire à notre négociateur
français qui découvre, à l'inverse de ses
craintes, un négociateur espagnol organisé
légaliste et scrupuleux. Cependant, il réalisa
avec notre aide que ce sentiment non seulement lui était propre mais était délibérément
induit de façon tactique. Il abandonna volontairement, après quelques rencontres, ce fonctionnement pour des discussions cette fois
avec le responsable lui-même, moins précises,
plus informelles qui auraient augmenté son
anxiété si elles avaient inauguré la relation. Au
terme, ils développèrent une relation de proximité qui aboutit à un accord tout à fait satisfaisant et dans tous les cas beaucoup plus
équilibré que le projet initial. L'analyse de
l'ethnicisation du rapport de négociation a permis aux partenaires de passer d'un modèle
d'exploitation caractérisé par l'univocité des
concessions' à un modèle de réciprocité
(Richardson, 1960) caractérisé par la symétrie
des stratégies', tout en soulignant que la négociation est un rapport de forces culturel.
gnation réciproque sous-jacent à la négociation est lui aussi... négocié (formalisme vs
spontanéité, organisation vs improvisation ... )
et conduit à une enculturation réciproque.
Dès lors, la spécificité de la négociation interculturelle est de placer la culture comme enjeu
supplémentaire au niveau des valeurs de référence pour un compromis, d'ouvrir par l'ethnicisation un registre supplémentaire pour la
signification du rapport de forces et enfin
d'obliger chacun sous la contrainte de l'hétérodéfinition à rejouer pour partie son identité culturelle.
3/ LA CULTURE COMME HABITUS ISSU DE
LA NEGOCIATION INTERCULTURELLE
La culture ne fait pas que conditionner elle est
aussi produite par l'habitus de négociation.
Tout espace culturel développe des pratiques
qui correspondent à des logiques culturelles
d'échange tout autant qu'à des habitudes stratégiques locales cependant lorsque des
espaces culturels hétérogènes sont en contact
qu'advient-il 7 De ce point de vue la négociation interculturelle présente trois particularités.
3.1 La culture en aval de la négociation
Les règles implicites qui culturellement opèrent
en silence dans une négociation intraculturelle
apparaissent au grand jour dans une négociation interculturelle (triangulation par le tiers
hiérarchique pour les japonais, ou passage
obligé par la relation pour les africains).
L'insuffisance de ces règles oblige à créer un
habitus spécifique de type interculturel. c'est à
dire non directement référable à l'une ou
l'autre des cultures.
Par exemple, nous avons observé que le négociateur français trouve une satisfaction à ses
besoins formalistes dans une proposition énoncée de manière rationnelle et programmable,
alors que son interlocuteur espagnol donne
généralement priorité aux signes affectifs qui
se manifestent dans la relation. Que fait le
négociateur français des questions qui lui sont
adressées sur ses enfants 7 Que fait-il des
signes de fatalisme qu'il croit percevoir chez
son collègue 7 Comment comprendre les exigences financières qui semblent trop élevées à
l'intérieur d'une relation chaleureuse?
Contre les illusions du mimétisme culturel
(Harry Hui & Chung Leung Luk, 1997, Weiss,
1994) les risques de l'ethnocentrisme, les dangers de la soumission culturelle, l'émergence
d'un fonctionnement interculturel original est
le meilleur antidote.
2.3 Une enculturation réciproque
La négociation interculturelle dans son déroulement même suppose un ajustement de la
signification des positions des partenaires. Il y
a donc un compromis interculturel sur ce que
chacun accepte de voir désigné par l'autre,
comme sa culture. Que suis-je prêt à voir désigner comme ma francité par un tunisien 7
Qu'est-il prêt à voir désigner comme sa tunisianité 7 Jusqu'où 7 En effet, le rapport de dési-
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•
'
3.2 Le compromis interculturel
Ces nouvelles pratiques de négociation, tout
en développant des logiques organisationnelles pas toujours compatibles, doivent har-
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moniser des habitus culturellement différenciés
et développent ainsi des pratiques originales
par exemple l'opposition programmatique/processuel. Les compromis interculturels s'imposent dans la gestion du temps (monochronique/polychronique), l'organisation de l'espace (proxémie), la définition des partenaires 10
(individualisme/communautarisme). Dans les
négociations commerciales franco-espagnoles,
l'absence de compromis sur le rapport produitclient conduit régulièrement le négociateur français à ajuster le client au produit (démarche ressentie comme un forçage) et le négociateur
espagnol à ajuster le produit au client
(démarche ressentie comme une manipulation).
3.3 Un savoir spécifique
La négociation interculturelle tend à susciter
un savoir spécifique concernant le déploiement
de pratiques (Businesschools, Écoles diplomatiques ... ). Néanmoins, le savoir qu'elles produisent notamment en matière de négociation
internationale est bien souvent entaché d'une
incapacité à rendre compte de l'interculturalité
des situations au profit d'une réduction à leur
culturalité. Par exemple la discussion sur le
poids relatif des facteurs culturels dans les
négociations internationales sera partiellement
résolue si nous posons la question en terme
d'engagement de la différence culturelle,
d'émergence spécifique et non de présence de
facteurs culturels comme nous le ferons plus
bas.
Ce nouvel habitus semble s'appliquer à plusieurs niveaux concernant le chercheur en psychologie que je suis. Ils sont autant de pistes
de recherche : représentation de la négociation, niveau métacommunicationnel de la
négociation, identification réciproque des
interlocuteurs, préjugé et confiance, compromis comme processus ou programme, le temps
(avenir, incertitude, défi, durée ... ) et l'espace
(proxémie), les valeurs liées à l'autorité, les
dimensions collective et individuelle" , le rapport homme/tâche, l'impact d'un contexte faiblement ou fortement structuré".
La négociation interculturelle présente une
spécificité en tant qu'elle est une pratique productrice d'une interculturalité émergente c'est
à dire de culture aux niveaux des règles implicites, de la dynamique interne et de l' élaboration d'un savoir.
4/ DE LA CONNOTATION A LA CONFRONTATION CULTURELLE
Notre propos reste de déplacer les conceptions
de la négociation internationale d'une synoptique de la connotation culturelle (inhérente à
la description de la majorité des phénomènes)
à une analytique de la confrontation culturelle.
Alors que de nombreux auteurs s'accordent
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maintenant à penser que la négociation internationale doit être considérée comme produisant de l'interculturalité (Faure, Mermet,
Touzard, Dupont, 2000), elle nous semble
devoir être analysée comme un lieu privilégié
d'interculturation. Elle se définit comme l'ensemble des processus par lesquels, dans les
interactions qu'ils développent, les individus et
les groupes appartenant à deux ou plusieurs
ensembles culturels, se réclamant de cultures
différentes ou pouvant y être référés, engagent
implicitement ou explicitement la différence
culturelle qu'ils tendent à métaboliser (Denoux
1990).
La négociation interculturelle, est une négociation où la culture est une composante endogène (imposée non seulement comme contexte
mais comme détermination interne, obligeant
à repenser la formalisation de l'infradroit,
l'évaluation des convergences et divergences),
elle y devient un enjeu supplémentaire (au
niveau des valeurs de référence pour un compromis, de la signification du rapport de forces
et de l'hétérodéfinition) et un produit (la négociation interculturelle est une pratique productrice de culture aux niveau des règles implicites,
de la dynamique interne et d'élaboration d'un
savoir) . Nous rejoignons ici les théories de la
"third culture" développées parallèlement par
les théoriciens de la communication interculturelie (Gudykunst & Asante, 1994 ; Samovar &
Porter, 1997, Dodd, 1998) et celles de l'interculturalité avancée par la psychologie interculturelie depuis une vingtaine d'années (Denoux,
1998, 2001 ; Guerraoui, 2000 ; Marandon, 2000 ;
Gabsi, 1999).
Les pratiques de négociation interculturelle
sont des pratiques de négociation dans lesquelles la culture apparaît comme détermination endogène, enjeu et produit. Elles sont bien
des lieux culturels (détermination) engageant
la différence culturelle (enjeu) pour la métaboliser (produit). Ace titre, les négociations interculturelles apparaissent comme des situations
privilégiées où peuvent se développer des processus d'interculturation. Pour toute entreprise
s'ouvrant à l'environnement international, l'intégration de la dimension interculturelle de
toute négociation internationale, tant dans ses
orientations économiques que dans ses politiques de formation, devient actuellement un
facteur non négligeable de développement.
Patrick DENOUX
MaÎtre de Conférences URPI (Unité de
Recherche de Psychologie Interculturelle)
Université de Toulouse-Le Mirail
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RÉFÉRENCES
Audebert-Lasrochas, P. (1999) . La négociation. Paris: Editions d'Organisation.
Bollinger, D. & Hofsteede, G. (1987). Les différences culturelles dans le management. Paris: Les Editions
d'Organisation.
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Marandon, G. (2000). Éléments de communication interculturelle. In N. Roussiau (Ed.), Psychologie sociale.
Paris: ln Press Editions.
, Sa réflexion a été qualifiée d'''impressionniste'' pour ne pas avoir livré d'indication sur les données de référence (Berry.
Poortinga, Segall & Dasen, 1992).
, En voici une illustration: à ce jour, en l'état actuel de nos informations, l'attribution du marché espagnol des TGV échappe au
constructeur français qui escomptait un partage avec le constructeur espagnol. En fait, le constructeur allemand l'emporte.
Parallèlement se négociait l'autorisation allemande d'exporter aux Etats-Unis un char fabriqué en Espagne sous licence allemande. Convaincus de la supériorité technique de leur proposition, les représentants du constructeur français protestaient en
affirmant qu'il s'agissait d'une décision "politique". En fait, pour les uns la négociation est un face à face segmentaire, pour
les autres les parallèles se rejoignent dans une conception globale de la négociation
3 A contrecoeur chez les Japonais, assez courant chez les américains, canalisé par les clauses d'arbitrage dans les pays de l'Est,
dernier recours chez les français ...
4 Pr Peter B. Smith dirige à l'Université du Sussex School of Social Sciences, le CRICCOM (Center for Research into Cross-Cultural
Organisation and Management.
S C'est trop anglais, Monsieur, a case study of an Anglo-French misunderstanding, John E. T. Harper et Sylvette Cormeraie
' ''Indemnity clauses allowed for unforeseen events".
7 "As may be agreed from time to time" formule perçue côté anglais, réputé pour sa minutie, comme une précision et côté français, réputé pour son imprécision comme d'un vague insupportable.
S Rapprochement tengeantiel des demandes d'un partenaire vers la demande constante de l'autre, dit "modèle de BushMosteller".
9 Rapprochement tengeantiel des demandes des deux partenaires
00 De nombreux auteurs ont montré le lien entre les formes prises par la négociation et les scores aux échelles d'individualisme/communautarisme (Parat, 1970 ; Harnett & Cummings, 1980)
" La Psychologie transculturelle comparative (Cross Cultural Psychology) a été très prodigue en ce domaine (Triandis, 1981).
" Ting-Toomey (1985) montre que dans une culture à contexte fortement vs faiblement structuré le consensus repose sur la
situation vs le message.

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