Négociation et posture interculturelle dans la coopération
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Négociation et posture interculturelle dans la coopération
Négociation et po&ture interculturelle dlan& la coopération internationale Patrick DENOUX Quand un diplomate dit "oui", cela signifie "peut-être", quand il dit "peut-être", cela veut dire "non" et quand il dit "non" ce n'est pas un diplomate. H.L. Mencken, Dictionnary ofQuotations, 1946. Il est communément admis que les négociations internationales, à un premier niveau d'observation, présentent trois particularités (Dupont, 1994 ; Audebert-Lasrochas, 1999) : la distance et ses conséquences logistiques, la complexité issue de la multiplicité des niveaux et des partenaires et la durée du processus; critères tout aussi applicables à certaines relations intranationales. Les auteurs s'accordent à penser (Salacuse, 1988 ; Dupont, 1994) qu'à un niveau plus qualitatif trois dimensions caractéristiques permettraient de qualifier les négociations internationales: la différence culturelle, la différence des systèmes politico-administratifs et la différence des systèmes juridiques. Bien souvent, la différence culturelle n'est envisagée que comme élément de contexte déterminant la négociation, au même titre que n'importe quel autre facteur (de personnalité, de cadre, d'enjeu ... ). Or, à la lumière de nombreux échecs pour raison culturelle (Denoux, 1994 ; Kimmel, 1994), il apparaît de plus en plus que la différence culturelle dans la négociation ne doit pas seulement être considérée dans son rôle annexe de variable antécédente, obstacle à la négociation, mais aussi comme une variable conséquente, produit de la négociation et condition de sa réussite. L'intégration de la position de l'autre (Posses, 1978)' , la recherche réciproque de stabilité (Fayerweather & Kapoor, 1976), le compromis entre des conceptions différentes du désirable et du non désirable (Faure & Rubin, 1993) sont autant de questions ouvrant le passage d'une conception culturelle à une conception interculturelle de la négociation internationale. Mon propos va être ici de tenter d'apporter quelques éclairages nouveaux sur la spécificité que l'on peut concéder à la négociation interculturelle au sens le plus large (intra et international). Elle apparaît dans les différentes aires d'application du commerce interinstitutionnel (collaboration entre des organisations représentatives), diplomatique (communications internationales), politique (relations transfrontalières), économique (échanges commerciaux). Cependant, nous n'envisagerons ici que les négociations bligeant à un engagement structurel, pourvoyeur de modifications réciproques et s'inscrivant dans le temps. 1/ LA CULTURE COMME COMPOSANTE ENDOGENE DE LA NEGOCIATION INTERNATIONALE C'est à la fois l'expérience la plus immédiate et l'abord le plus pragmatique de l'impact culturel sur les situations de négociation. Quelle que soit la culture, l'efficacité dans sa culture n'implique pas l'efficacité dans l'autre culture. Quel professionnel ne s'est pas heurté une fois aux effets néfastes de la méconnaissance du contexte culturel dans lequel évoluent le ou les partenaires comme le notait Segall dans un article prudemment intitulé "négociations internationales" (Berry, Poortinga, Segall & Dasen, 1992). La variabilité des environnements institutionnels, tout autant que celle du cadre légal, agissent déjà fortement sur le processus > 10 - . ., r-.... de négociation dans un contexte intraculturel. Lorsque par exemple des organisations relevant de secteurs différents d'un même champ économique intranational et participant d'objectifs éloignés se voient pour des raisons de nécessité contraintes de négocier. Ou bien encore lorsque des entreprises s'appuyant sur des modèles organisationnels différents (OST, Relations Humaines, Néorationalisme stratégique) sont mises en demeure par le marché de coopérer étroitement ou de fusionner. Cependant, lorsque vient se surajouter à la différence de culture organisationnelle, la différence culturelle nationale, trois caractéristiques nouvelles surgissent qui pourraient contribuer à qualifier la négociation d'interculturelle : 1.1 Culture et perception de l'environnement de l'entreprise L'opacité globale de la culture nationale (en redoublant celle de la culture organisationnelle) invalide l'estimation de faisabilité pour chaque partenaire. L'évaluation correcte de la proximité des buts, des convergences et divergences se trouve gênée voire empêchée à tous les niveaux par les filtres culturels. Combien d'émissaires économiques zélés ont peiné à identifier l'organisation partenaire, malgré des complémentarités jugées, a priori, "évidentes" . La capacité intrinsèque des partenaires à se situer réciproquement dépend fortement de l'éclaircissement de contraintes culturelles. Dans les négociations commerciales franco-espagnoles, nous avons maintes fois observé que les négociateurs français partaient à la recherche d'un interlocuteur alors que les négociateurs espagnols partaient à la recherche d'un réseau'. Alors que Hofsteede pointait de faibles variations (Bollinger & Hofsteede, 1987) entre France et Espagne, sur les quatre indices culturels (distance hiérarchique, contrôle de l'incertitude, individualisme et masculinité), des différences importantes dans l'identification des partenaires nous sont apparues liées à des fonctionnements collectifs ou individuels culturellement marqués et engageant les phénomènes identitaires. Par exemple, la pratique qui consiste à donner la carte de visite d'un tiers est difficilement concevable en milieu français où elle reste d'une identité sociale individualisée. Graphique 3 : Les indices culturels de France et d'Espagne (Bollinger & Hofsteede, 1987) Distance Hiérarchique Contrôle Incertitude Individualisme Masculinité 68 86 86 71 51 43 42 France Espagne 57 Au cours des négociations Nord/Sud, la perception de l'environnement " .' . " • •••• , - • • de l'entreprise et en conséquence l'anticipation des coopérations possibles sont fortement contraintes par les composantes culturelles, notamment les dimensions suivantes: individualiste vs communautariste, mandat individuel vs délégation collective, personne vs réseau, face à face vs médiation par le collectif. 1.2 Culture, cadre légal et infradroit L'écart entre les législations, en voie de résolution dans le contexte européen, pesant différemment sur les champs (l'homogénéisation dans le champ économique ayant une certaine avance, processus financiers, normes techniques Iso, ... ) fait de la négociation internationale, par défaut de cadre légal, un lieu potentiel de formalisation de l'infradroit. Une négociation intraculturelle repose sur une reconnaissance partagée de ce qui relève du droit et de ce qui lui échappe. Le recours au droit en matière de différend' est éminemment marqué par la variabilité culturelle (Le Poole, 1991). Alors que dans une négociation interculturelle ce qui ne relève pas du droit pour l'un peut très bien déjà prêter à législation pour l'autre et inversement ou bien encore n'avoir aucune existence. Il s'en suit que l'identification, par les partenaires, des pôles encadrant les compromis possibles (législation et infradroit communs), relève déjà d'une élaboration, véritable production interculturelle. Nous évoquerons simplement un exemple de négociation franco-anglaise que m'a aimablement transmis le Pr Peter B. Smith' intitulé: "C'est trop anglais, Monsieur'" . Au cours de cette négociation, un responsable anglais avait la charge de vendre de l'ingénierie mécanique à un grand groupe français dont une des politiques de commercialisation était de se revendiquer du label "fabriqué en France". La proposition de contrat comportait une clause classique dans le droit commercial anglais concernant "l'attribution d'indemnités en cas d'événements imprévus" '. Au prétexte de cette clause, l'ensemble du contrat fut remis en cause et un grand nombre d'objections fut transmis ultérieurement par la partie française au négociateur anglais interrompant ainsi toute négociation. En réalité, une analyse approfondie de cet échec temporaire montra que les quiproquo étaient multiples' et que les négociateurs devaient opérer un ajustement entre une conception plutôt française d'un droit prescrivant les contraintes de la vie et une conception plutôt anglaise d'un droit aidant l'individu à s'adapter à la vie. En Angleterre, on modifie faci lement le plan prévu (Perrotin, 1991), le droit étant plus un instrument qu 'un repère. Dans les relations Nord/sud, la prise en compte des aspects informels des pratiques économiques, témoigne de la même nécessité de recherche d'un compromis. Ainsi la culture intervient sur le cadre légal de la négociation à deux niveaux: l'écart entre les législations réductible par homogénéisation internationale et la variabilité des rapports droitlinfradroit qui ne peut se résoudre que par la production d'une synthèse originale. 1.3 Une composante endogène Dans une négociation intranationale l'apparition d'une personne d'origine étrangère n'a qu'un impact relatif sur l'ensemble du système, et les effets constatés peuvent très vite être ramenés à un facteur culturel exogène. Mais dans une négociation internationale tous les niveaux du système doivent être considérés comme relevant des cultures en présence. Il y devient impossible de considérer la culture uniquement comme facteur de contexte. L'impossibilité de transformer une négociation internationale en négociation interculturelle conduit la négociation à l'échec (Denoux, Bernabé & Gabsi, 1994). A la suite de nombreux contacts entre leurs cadres, une entreprise française et une entreprise espagnole décident de signer un contrat concluant les nombreuses et longues tractations. Le responsable français accepte l'invitation de son collègue espagnol à une grande ren- contre à la suite de laquelle le contrat sera signé. Après une discussion ultime, l'hôte invite le PDG français, sa femme et ses assistants à un restaurant en vogue qui s'avère être assez décontracté. Pendant le repas, de façon non verbale, le négociateur français montre qu'il ne se sent pas honoré par un environnement qui ne correspond pas à son statut. A la fin du repas, le négociateur espagnol signale à la secrétaire du négociateur français qu'il ne souhaite pas poursuivre et qu'il annule la signature d'un contrat aux bénéfices réciproques incontestables. La rupture de la relation peut être attribuée à une mécompréhension des intentions de l'hôte. Cependant, pourquoi ne pas l'avoir discutée, si ce n'était la présence autour de chacun des deux responsables, d'un auditoire (épouses, assistants, secrétaires ...) représentant les communautés d'appartenance et conférant d'emblée davantage de rigidité aux positions, à la hiérarchie, au style de communication. Le négociateur français fut choqué par ce qu'il considérait comme un accueil "inesthétique", le négociateur espagnol ne le fut pas moins par ce qu'il estimait être un refus à peine voilé de son hospitalité, sous le regard significatif de l'entourage. Les obstacles à la négociation ne sont pas ici assimilables à des problèmes techniques de malentendu dans la communication. Ils renvoient directement à un être ensemble non accompli. La culture est une réalité psychologique organisant les comportements des sujets au cours de la négociation. Au-delà de l'étroitesse des marges de manœuvre et de l'importance des enjeux qui caractérisent ce type de négociation, sont requises des compétences interculturelles spécifiques notamment dans la capacité des partenaires à modifier les systèmes de contraintes. La négociation interculturelle présente ainsi une spécificité de contexte parce qu'elle impose la culture comme détermination endogène, qu'elle oblige à repenser la formalisation de l'infradroit et qu 'elle opacifie l'évaluation des convergences et divergences, présente ainsi une spécificité de contexte. 2/ LA CULTURE COMME ENJEU DE LA NEGOCIATION INTERCULTURELLE Du point de vue des enjeux quelles sont les caractéristiques de la négociation interculturelle ? Que l'objectif soit de décider, d'échanger où de vendre, une des caractéristiques de la négociation interculturelle pourrait être de placer la culture comme enjeu supplémentaire dans la négociation . 2.1 L'interculturalité du cadre Participant aux objectifs de toute négociation classique la nécessité d'aboutir à un compromis se redouble de l'urgence d'élaborer des valeurs temporaires communes de référence servant de support au produit, à la décision ou à l'échange. En liaison avec l'objet de la négociation se déroule de façon implicite une négociation sur les valeurs qui vont le signifier et ceci même jusqu'aux aspects les plus processuels de la négociation comme notamment le temps. E.T. Hall (1984) a montré comment s'opposent le temps monochrone (programme, linéaire, une seule chose à même temps) des européens de l'Ouest et le temps polychrone (processus, point dans le temps, plusieurs choses à même temps) par exemple du monde méditerranéen. Il serait faux de considérer que l'élaboration de compromis porte sur un bricolage momentané de significations attribuées, elle porte aussi et principalement sur le dispositif de négociation, temps et places. La mise en compatibilité de ces deux temps vécus de la négociation oblige à une construction interculturelle. 2.2 Un rapport de forces culturel Toute négociation interculturelle rejoue les rapports de domination entre aires culturelles, si bien que la culture, là encore, ne peut être exclusivement conçue comme contenant, mais doit aussi être envisagée comme expression d'un rapport entre majorité et minorité culturelles D'où, de façon plus générale, l'utilisation fréquente de l'ethnicisation comme argument explicite dans la négociation. De là, aussi le travail implicite des rapports de forces majorité /minorité dans le processus même de la négociation. L'aboutissement d'une négociation interculturelle dépend fortement de la signification que revêtira ce rapport. Les exemples foisonnent de la manipulation des stéréotypes à des fins de négociation (France / Allemagne: l'organisation, France / Espagne: Napoléon, etc ... ) mais aussi de malentendus dérivant de cette ethnicisation manipulatrice. Un directeur commercial français doit rencontrer un homme d'affaire espagnol qui a l'intention d'ouvrir un réseau de distribution en Espagne pour des produits français. Au moment de la rencontre, c'est le fils de la personne attendue qui se présente pour excuser l'absence de son père et pour annoncer qu'il va le remplacer. Il est juriste. Sa façon de parler au négociateur français d'emblée apparaît extrêmement formelle, il souligne systématiquement tous les aspects légaux de ce contrat, ce qui n'est pas pour déplaire à notre négociateur français qui découvre, à l'inverse de ses craintes, un négociateur espagnol organisé légaliste et scrupuleux. Cependant, il réalisa avec notre aide que ce sentiment non seulement lui était propre mais était délibérément induit de façon tactique. Il abandonna volontairement, après quelques rencontres, ce fonctionnement pour des discussions cette fois avec le responsable lui-même, moins précises, plus informelles qui auraient augmenté son anxiété si elles avaient inauguré la relation. Au terme, ils développèrent une relation de proximité qui aboutit à un accord tout à fait satisfaisant et dans tous les cas beaucoup plus équilibré que le projet initial. L'analyse de l'ethnicisation du rapport de négociation a permis aux partenaires de passer d'un modèle d'exploitation caractérisé par l'univocité des concessions' à un modèle de réciprocité (Richardson, 1960) caractérisé par la symétrie des stratégies', tout en soulignant que la négociation est un rapport de forces culturel. gnation réciproque sous-jacent à la négociation est lui aussi... négocié (formalisme vs spontanéité, organisation vs improvisation ... ) et conduit à une enculturation réciproque. Dès lors, la spécificité de la négociation interculturelle est de placer la culture comme enjeu supplémentaire au niveau des valeurs de référence pour un compromis, d'ouvrir par l'ethnicisation un registre supplémentaire pour la signification du rapport de forces et enfin d'obliger chacun sous la contrainte de l'hétérodéfinition à rejouer pour partie son identité culturelle. 3/ LA CULTURE COMME HABITUS ISSU DE LA NEGOCIATION INTERCULTURELLE La culture ne fait pas que conditionner elle est aussi produite par l'habitus de négociation. Tout espace culturel développe des pratiques qui correspondent à des logiques culturelles d'échange tout autant qu'à des habitudes stratégiques locales cependant lorsque des espaces culturels hétérogènes sont en contact qu'advient-il 7 De ce point de vue la négociation interculturelle présente trois particularités. 3.1 La culture en aval de la négociation Les règles implicites qui culturellement opèrent en silence dans une négociation intraculturelle apparaissent au grand jour dans une négociation interculturelle (triangulation par le tiers hiérarchique pour les japonais, ou passage obligé par la relation pour les africains). L'insuffisance de ces règles oblige à créer un habitus spécifique de type interculturel. c'est à dire non directement référable à l'une ou l'autre des cultures. Par exemple, nous avons observé que le négociateur français trouve une satisfaction à ses besoins formalistes dans une proposition énoncée de manière rationnelle et programmable, alors que son interlocuteur espagnol donne généralement priorité aux signes affectifs qui se manifestent dans la relation. Que fait le négociateur français des questions qui lui sont adressées sur ses enfants 7 Que fait-il des signes de fatalisme qu'il croit percevoir chez son collègue 7 Comment comprendre les exigences financières qui semblent trop élevées à l'intérieur d'une relation chaleureuse? Contre les illusions du mimétisme culturel (Harry Hui & Chung Leung Luk, 1997, Weiss, 1994) les risques de l'ethnocentrisme, les dangers de la soumission culturelle, l'émergence d'un fonctionnement interculturel original est le meilleur antidote. 2.3 Une enculturation réciproque La négociation interculturelle dans son déroulement même suppose un ajustement de la signification des positions des partenaires. Il y a donc un compromis interculturel sur ce que chacun accepte de voir désigné par l'autre, comme sa culture. Que suis-je prêt à voir désigner comme ma francité par un tunisien 7 Qu'est-il prêt à voir désigner comme sa tunisianité 7 Jusqu'où 7 En effet, le rapport de dési- > 1Z • ' 3.2 Le compromis interculturel Ces nouvelles pratiques de négociation, tout en développant des logiques organisationnelles pas toujours compatibles, doivent har- . .• \ moniser des habitus culturellement différenciés et développent ainsi des pratiques originales par exemple l'opposition programmatique/processuel. Les compromis interculturels s'imposent dans la gestion du temps (monochronique/polychronique), l'organisation de l'espace (proxémie), la définition des partenaires 10 (individualisme/communautarisme). Dans les négociations commerciales franco-espagnoles, l'absence de compromis sur le rapport produitclient conduit régulièrement le négociateur français à ajuster le client au produit (démarche ressentie comme un forçage) et le négociateur espagnol à ajuster le produit au client (démarche ressentie comme une manipulation). 3.3 Un savoir spécifique La négociation interculturelle tend à susciter un savoir spécifique concernant le déploiement de pratiques (Businesschools, Écoles diplomatiques ... ). Néanmoins, le savoir qu'elles produisent notamment en matière de négociation internationale est bien souvent entaché d'une incapacité à rendre compte de l'interculturalité des situations au profit d'une réduction à leur culturalité. Par exemple la discussion sur le poids relatif des facteurs culturels dans les négociations internationales sera partiellement résolue si nous posons la question en terme d'engagement de la différence culturelle, d'émergence spécifique et non de présence de facteurs culturels comme nous le ferons plus bas. Ce nouvel habitus semble s'appliquer à plusieurs niveaux concernant le chercheur en psychologie que je suis. Ils sont autant de pistes de recherche : représentation de la négociation, niveau métacommunicationnel de la négociation, identification réciproque des interlocuteurs, préjugé et confiance, compromis comme processus ou programme, le temps (avenir, incertitude, défi, durée ... ) et l'espace (proxémie), les valeurs liées à l'autorité, les dimensions collective et individuelle" , le rapport homme/tâche, l'impact d'un contexte faiblement ou fortement structuré". La négociation interculturelle présente une spécificité en tant qu'elle est une pratique productrice d'une interculturalité émergente c'est à dire de culture aux niveaux des règles implicites, de la dynamique interne et de l' élaboration d'un savoir. 4/ DE LA CONNOTATION A LA CONFRONTATION CULTURELLE Notre propos reste de déplacer les conceptions de la négociation internationale d'une synoptique de la connotation culturelle (inhérente à la description de la majorité des phénomènes) à une analytique de la confrontation culturelle. Alors que de nombreux auteurs s'accordent ., • • v v maintenant à penser que la négociation internationale doit être considérée comme produisant de l'interculturalité (Faure, Mermet, Touzard, Dupont, 2000), elle nous semble devoir être analysée comme un lieu privilégié d'interculturation. Elle se définit comme l'ensemble des processus par lesquels, dans les interactions qu'ils développent, les individus et les groupes appartenant à deux ou plusieurs ensembles culturels, se réclamant de cultures différentes ou pouvant y être référés, engagent implicitement ou explicitement la différence culturelle qu'ils tendent à métaboliser (Denoux 1990). La négociation interculturelle, est une négociation où la culture est une composante endogène (imposée non seulement comme contexte mais comme détermination interne, obligeant à repenser la formalisation de l'infradroit, l'évaluation des convergences et divergences), elle y devient un enjeu supplémentaire (au niveau des valeurs de référence pour un compromis, de la signification du rapport de forces et de l'hétérodéfinition) et un produit (la négociation interculturelle est une pratique productrice de culture aux niveau des règles implicites, de la dynamique interne et d'élaboration d'un savoir) . Nous rejoignons ici les théories de la "third culture" développées parallèlement par les théoriciens de la communication interculturelie (Gudykunst & Asante, 1994 ; Samovar & Porter, 1997, Dodd, 1998) et celles de l'interculturalité avancée par la psychologie interculturelie depuis une vingtaine d'années (Denoux, 1998, 2001 ; Guerraoui, 2000 ; Marandon, 2000 ; Gabsi, 1999). Les pratiques de négociation interculturelle sont des pratiques de négociation dans lesquelles la culture apparaît comme détermination endogène, enjeu et produit. Elles sont bien des lieux culturels (détermination) engageant la différence culturelle (enjeu) pour la métaboliser (produit). Ace titre, les négociations interculturelles apparaissent comme des situations privilégiées où peuvent se développer des processus d'interculturation. Pour toute entreprise s'ouvrant à l'environnement international, l'intégration de la dimension interculturelle de toute négociation internationale, tant dans ses orientations économiques que dans ses politiques de formation, devient actuellement un facteur non négligeable de développement. Patrick DENOUX MaÎtre de Conférences URPI (Unité de Recherche de Psychologie Interculturelle) Université de Toulouse-Le Mirail :::0 ,....., "n RÉFÉRENCES Audebert-Lasrochas, P. (1999) . La négociation. Paris: Editions d'Organisation. Bollinger, D. & Hofsteede, G. (1987). Les différences culturelles dans le management. Paris: Les Editions d'Organisation. Denoux, P., Bernabé, J., Gabsi, A. (1994). La négociation interculturelle fi-arlco-espagnole, Rapport de Recherche à L'Union Européenne. Denoux, P. (1998). Les champs d'application de la recherche en Psychologie Interculturelle. Bassin Méditerranéen, Revue de l'Unité de Recherche sur le Bassin Méditerranéen,l, 17-38. Denoux, P. (2001). Le contact culturel, problématiques de psychologie interculturelle. In J-W Wallet (Ed.), An 2000, les jeunes et le monde, rencontres et dialogues interculturels. La Licorne-L'Harmattan. Denoux, P. (1994). Pour une nouvelle définition de l'interculturation. In J. Blomart & B. Krewer (Eds). Perspectives de l'interculturel.. Paris : École Norm. Sup. de St Cloud/L'Harmattan. Dupont, C. (1994). La négociation. Paris: Dalloz. Faure, G., O., Mermet, L., Touzard, H. & Dupont, C. (2000). La négociation, situations, problématique, applications. Paris; Dunod. Gabsi, A. (1999). Transformations et incidences comportementales liées au développement d'une activité tertiaire. Bulletin de l'ARIC, 32, pp.28-45. Guerraoui, Z. (2000). Socialisation et culture. In N. Roussiau (Ed.), Psychologie sociale. Paris; ln Press Editions. Hall, E., T. (1984). La danse de la vie, temps culturel, temps vécu. Paris; Seuil. Marandon, G. (2000). Éléments de communication interculturelle. In N. Roussiau (Ed.), Psychologie sociale. Paris: ln Press Editions. , Sa réflexion a été qualifiée d'''impressionniste'' pour ne pas avoir livré d'indication sur les données de référence (Berry. Poortinga, Segall & Dasen, 1992). , En voici une illustration: à ce jour, en l'état actuel de nos informations, l'attribution du marché espagnol des TGV échappe au constructeur français qui escomptait un partage avec le constructeur espagnol. En fait, le constructeur allemand l'emporte. Parallèlement se négociait l'autorisation allemande d'exporter aux Etats-Unis un char fabriqué en Espagne sous licence allemande. Convaincus de la supériorité technique de leur proposition, les représentants du constructeur français protestaient en affirmant qu'il s'agissait d'une décision "politique". En fait, pour les uns la négociation est un face à face segmentaire, pour les autres les parallèles se rejoignent dans une conception globale de la négociation 3 A contrecoeur chez les Japonais, assez courant chez les américains, canalisé par les clauses d'arbitrage dans les pays de l'Est, dernier recours chez les français ... 4 Pr Peter B. Smith dirige à l'Université du Sussex School of Social Sciences, le CRICCOM (Center for Research into Cross-Cultural Organisation and Management. S C'est trop anglais, Monsieur, a case study of an Anglo-French misunderstanding, John E. T. Harper et Sylvette Cormeraie ' ''Indemnity clauses allowed for unforeseen events". 7 "As may be agreed from time to time" formule perçue côté anglais, réputé pour sa minutie, comme une précision et côté français, réputé pour son imprécision comme d'un vague insupportable. S Rapprochement tengeantiel des demandes d'un partenaire vers la demande constante de l'autre, dit "modèle de BushMosteller". 9 Rapprochement tengeantiel des demandes des deux partenaires 00 De nombreux auteurs ont montré le lien entre les formes prises par la négociation et les scores aux échelles d'individualisme/communautarisme (Parat, 1970 ; Harnett & Cummings, 1980) " La Psychologie transculturelle comparative (Cross Cultural Psychology) a été très prodigue en ce domaine (Triandis, 1981). " Ting-Toomey (1985) montre que dans une culture à contexte fortement vs faiblement structuré le consensus repose sur la situation vs le message.