TD droit administratif - SP et principe d`égalité

Transcription

TD droit administratif - SP et principe d`égalité
FACULTE DE DROIT, D'ECONOMIE ET DES SCIENCES SOCIALES
DROIT ADMINISTRATIF
L.II Droit - Année universitaire 2012-2013
Cours de Mme Nathalie Albert – Professeur agrégé de Droit public
Chargés de travaux dirigés : Mélanie Cosso, Frédéric Dalibard, Franck Gagnaire, Philippine LohéacDerboulle, Pauline Parinet, Marion Travers
Séance n°8 : Service public et principe d’égalité
I°) Documents de travail :
Sur l’égalité des usagers face aux tarifs des services publics
Document n°1 : C.E., Ass., 10 mai 1974, Denoyez et Chorques, AJDA 1974, p.298, chr.
Franc-Boyon ; RDP 1975, p.467, note M. Waline.
Document n°2 : C.E., 2 décembre 1987, Comm. de Romainville, RFDA 1988, p.414, concl. J.
Massot.
Document n°3 : C.E., Sect., 29 décembre 1997, Comm. de Genevilliers, RFDA 1998, p.539,
concl. J.-H. Stahl; AJDA 1998, p.102, chr. Girardot-Raynaud.
Sur les liens entre égalité, neutralité et laïcité du service public
Document n°4 : C.E., Avis, 3 mai 2000, Delle Marteau, RFDA 2001, p.146, concl. R.
Schwartz ; AJDA 2000, p.602, chr. M. Guyomar et P. Collin.
Document n°5 : TA Montreuil, 22 novembre 2011, AJDA 2012 p.163, note S. HennetteVauchez.
Document n°6 : Loi n°2004-228 du 15 mars 2004 (JO 17 mars 2004 p.5190), art.1er. Pour les
commentaires, voir not. C. Durand-Prinborgne, « La loi sur la laïcité, une volonté politique au
centre de débats de société », AJDA 2004, p.704 ; RDP 2004, n°2, dossier.
Document n°7 : C.E., 5 décembre 2007, M. Singh, AJDA 2007, p.2343.
Document n° 8: Article de F. Dieu, « Le Conseil d’Etat et la laïcité négative », JCP Adm.,
2008, n°2070.
Document n°9 : C.E., Ass.,
19 juillet 2011, Communauté urbaine du Mans – Le Mans
Métropole, AJDA 2011, p.1667, chron. X. Domino et A. Bretonneau ; JCP Adm. 2011, n°39,
p.10, note JF Amédro ; D. 2011, n°34, p.2375, note M. Touzeil-Divina.
II°) Exercice :
Commentez CE, 5 décembre 2007, M. Singh.
Document n°1 : C.E., Ass., 10 mai 1974, Denoyez et Chorques, AJDA 1974, p.298, chr.
Franc-Boyon ; RDP 1975, p.467, note M. Waline.
REQUETE DU SIEUR DENOYEZ [HUBERT]
TENDANT A L'ANNULATION DU JUGEMENT DU 7
JUIN 1972 PAR LEQUEL LE TRIBUNAL
ADMINISTRATIF DE POITIERS A REJETE SA
DEMANDE DIRIGEE CONTRE LA DECISION DU 3
JUIN 1971 DU PREFET DE LA CHARENTEMARITIME REFUSANT D'UNE PART DE LE FAIRE
BENEFICIER
DU
TARIF
APPLIQUE
AUX
HABITANTS DE L'ILE DE RE PAR LA REGIE
DEPARTEMENTALE DES PASSAGES D'EAU,
D'AUTRE PART DE LUI RESTITUER UN TROPPERCU DU PRIX DEPUIS 1964 ET ENFIN
D'ABROGER
LE
TARIF
DES
CARTES
D'ABONNEMENT EN VIGUEUR DEPUIS JANVIER
1972
SUR
LA
LIAISON
LA
PALLICESABLANCEAUX, ENSEMBLE A L'ANNULATION DE
LADITE DECISION ET DU TARIF "ABONNEMENT"
DE 1972 ;
REQUETE DU SIEUR CHORQUES [EDOUARD]
TENDANT A L'ANNULATION DU JUGEMENT DU 7
JUIN 1972 PAR LEQUEL LEDIT TRIBUNAL A
REJETE SA DEMANDE DIRIGEE CONTRE LA
DECISION DU 27 OCTOBRE 1971 DU MEME
PREFET REFUSANT DE LUI ACCORDER LE
BENEFICE DU TARIF APPLIQUE AUX HABITANTS
DE
L'ILE
DE
RE
PAR
LA
REGIE
DEPARTEMENTALE DES PASSAGES D'EAU,
ENSEMBLE A L'ANNULATION DE LA DITE
DECISION ;
VU L'ORDONNANCE DU 31 JUILLET 1945 ET LE
DECRET DU 30 SEPTEMBRE 1953 ; LE CODE
GENERAL DES IMPOTS ;
CONSIDERANT QUE LES REQUETES SUSVISEES
DU SIEUR DENOYEZ ET DU SIEUR CHORQUES
PRESENTENT A JUGER LA MEME QUESTION ;
QU'IL Y A LIEU DE LES JOINDRE POUR Y ETRE
STATUE PAR UNE SEULE DECISION ;
SUR LES CONCLUSIONS DES REQUETES
TENDANT A L'ANNULATION DES DECISIONS DU
PREFET DE LA CHARENTE-MARITIME : CONS.
QUE LES SIEURS DENOYEZ ET CHORQUES,
TOUS DEUX PROPRIETAIRES DANS L'ILE DE RE
DE RESIDENCES DE VACANCES, ONT DEMANDE
AU PREFET DE LA CHARENTE-MARITIME DE
PRENDRE TOUTES DISPOSITIONS POUR QUE LA
REGIE
DEPARTEMENTALE
DES
PASSAGES
D'EAU, QUI EXPLOITE LE SERVICE DE BACS
RELIANT LA PALLICE A SABLANCEAUX [ILE DE
RE], LEUR APPLIQUE DORENAVANT NON PLUS
LE TARIF GENERAL MAIS SOIT LE TARIF REDUIT
RESERVE AUX HABITANTS DE L'ILE DE RE,
SOIT, A DEFAUT, LE TARIF CONSENTI AUX
HABITANTS DE LA CHARENTE-MARITIME ; QUE,
PAR DEUX DECISIONS, RESPECTIVEMENT EN
DATE DES 3 JUIN ET 27 OCTOBRE 1971, LE
PREFET A REFUSE DE DONNER SATISFACTION A
CES DEMANDES ; QUE, PAR LES JUGEMENTS
ATTAQUES, LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF DE
POITIERS
A
REJETE
LES
REQUETES
INTRODUITES CONTRE CES DECISIONS PAR
LES SIEURS DENOYEZ ET CHORQUES ;
CONS. QUE LE MERITE DES CONCLUSIONS DES
REQUETES EST SUBORDONNE A LA LEGALITE
DES TROIS TARIFS DISTINCTS INSTITUES, SUR
LA LIAISON ENTRE LA PALLICE ET L'ILE DE RE,
PAR LE CONSEIL GENERAL DE LA CHARENTEMARITIME ET MIS EN VIGUEUR PAR UN ARRETE
PREFECTORAL DU 22 MAI 1970 ;
CONS.
QUE
LA
FIXATION
DE
TARIFS
DIFFERENTS APPLICABLES, POUR UN MEME
SERVICE RENDU, A DIVERSES CATEGORIES
D'USAGERS D'UN SERVICE OU D'UN OUVRAGE
PUBLIC IMPLIQUE, A MOINS QU'ELLE NE SOIT
LA CONSEQUENCE NECESSAIRE D'UNE LOI,
SOIT QU'IL EXISTE ENTRE LES USAGERS DES
DIFFERENCES DE SITUATION APPRECIABLES,
SOIT QU'UNE NECESSITE D'INTERET GENERAL
EN
RAPPORT
AVEC
LES
CONDITIONS
D'EXPLOITATION
DU
SERVICE
OU
DE
L'OUVRAGE COMMANDE CETTE MESURE ;
CONS., D'UNE PART, QU'IL EXISTE, ENTRE LES
PERSONNES
RESIDANT
DE
MANIERE
PERMANENTE A L'ILE DE RE ET LES HABITANTS
DU CONTINENT DANS SON ENSEMBLE, UNE
DIFFERENCE DE SITUATION DE NATURE A
JUSTIFIER LES TARIFS DE PASSAGE REDUITS
APPLICABLES AUX HABITANTS DE L'ILE ; QU'EN
REVANCHE, LES PERSONNES QUI POSSEDENT
DANS L'ILE DE RE UNE SIMPLE RESIDENCE
D'AGREMENT NE SAURAIENT ETRE REGARDEES
COMME
REMPLISSANT
LES
CONDITIONS
JUSTIFIANT QUE LEUR SOIT APPLIQUE UN
REGIME PREFERENTIEL ; QUE, PAR SUITE, LES
REQUERANTS NE SONT PAS FONDES A
REVENDIQUER LE BENEFICE DE CE REGIME ;
CONS., D'AUTRE PART, QU'IL N'EXISTE AUCUNE
NECESSITE D'INTERET GENERAL, NI AUCUNE
DIFFERENCE DE SITUATION JUSTIFIANT QU'UN
TRAITEMENT PARTICULIER SOIT ACCORDE AUX
HABITANTS
DE
LA
CHARENTE-MARITIME
AUTRES QUE CEUX DE L'ILE DE RE ; QUE LES
CHARGES FINANCIERES SUPPORTEES PAR LE
DEPARTEMENT POUR L'AMENAGEMENT DE L'ILE
ET L'EQUIPEMENT DU SERVICE DES BACS NE
SAURAIENT, EN TOUT ETAT DE CAUSE,
DONNER UNE BASE LEGALE A L'APPLICATION
AUX HABITANTS DE LA CHARENTE-MARITIME
D'UN TARIF DE PASSAGE DIFFERENT DE CELUI
APPLICABLE AUX USAGERS QUI RESIDENT
HORS DE CE DEPARTEMENT ; QUE, PAR SUITE,
LE CONSEIL GENERAL NE POUVAIT PAS
LEGALEMENT EDICTER UN TARIF PARTICULIER
POUR LES HABITANTS DE LA CHARENTEMARITIME UTILISANT LE SERVICE DE BACS
POUR SE RENDRE A L'ILE DE RE ; QUE, PAR
VOIE DE CONSEQUENCE, LES SIEURS DENOYEZ
ET CHORQUES NE SAURAIENT UTILEMENT SE
PREVALOIR DES DISPOSITIONS ILLEGALES DU
TARIF DES PASSAGES POUR EN DEMANDER LE
BENEFICE ; QU'ILS NE SONT, DES LORS PAS,
SUR CE POINT, FONDES A SE PLAINDRE QUE,
PAR LES JUGEMENTS ATTAQUES, LE TRIBUNAL
ADMINISTRATIF DE POITIERS A REJETE LEURS
REQUETES
;
SUR LES AUTRES CONCLUSIONS DE LA
REQUETE DU SIEUR DENOYEZ : CONS., D'UNE
PART, QUE LES CONCLUSIONS EN INDEMNITE
ET
LES
CONCLUSIONS
TENDANT
AU
REMBOURSEMENT DU TROP-PERCU QUE LE
SIEUR DENOYEZ IMPUTE A L'APPLICATION QUI
LUI A ETE FAITE DES TARIFS EN VIGUEUR NE
SAURAIENT, EN CONSEQUENCE DE CE QUI A
ETE DIT CI-DESSUS, ETRE ACCUEILLIES ;
CONS., D'AUTRE PART, QUE LES CONCLUSIONS
TENDANT A L'ANNULATION DES TARIFS
D'ABONNEMENT ETABLIS POUR L'ANNEE 1972
ONT ETE PRESENTEES POUR LA PREMIERE FOIS
EN APPEL ; QU'ELLES SONT, PAR SUITE,
IRRECEVABLES ;... [REJET AVEC DEPENS].
Document n°2 : CE, 2 décembre 1987, Comm. de Romainville, RFDA 1988, p.414, concl.
J. Massot.
Vu la requête sommaire et le mémoire
complémentaire enregistrés les 1er août 1985
et 2 décembre 1985 au secrétariat du
Contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour
la
COMMUNE
DE ROMAINVILLE,
représentée par son maire en exercice, et
tendant à ce que le Conseil d'Etat :
°1 annule le jugement en date du 26 juin 1985
par lequel le tribunal administratif de Paris a
annulé la délibération en date du 2 octobre
1984 par laquelle le conseil municipal a fixé
les droits d'inscription à l'école nationale de
musique de Romainville pour l'année scolaire
1984-1985 ;
°2 rejette le déféré présenté par le préfet,
commissaire de la République du département
de Seine-Saint-Denis devant le tribunal
administratif de Paris,
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code des tribunaux administratifs ;
Vu le code des communes ;
Vu la loi °n 82-213 du 2 mars 1982 modifiée
par la loi °n 82-623 du 22 juillet 1982 ;
Vu l'ordonnance du 31 juillet 1945 et le décret
du 30 septembre 1953 ;
Vu la loi du 30 décembre 1977 ;
Après avoir entendu :
- le rapport de M. Lecat, Maître des requêtes,
- les observations de Me Ryziger, avocat de la
Commune de Romainville,
- les conclusions de M. Massot, Commissaire
du gouvernement ;
Considérant que le préfet, commissaire de la
République du département de Seine-Saint-
Denis, a déféré au tribunal administratif de
Paris la délibération en date du 2 octobre 1984
par laquelle le conseil municipal de
Romainville a fixé les droits d'inscription à
l'école nationale de musique de Romainville
pour l'année scolaire 1984-1985 ; que ces
droits comportent des montants différents pour
les "élèves extérieurs" et pour les élèves
domiciliés sur le territoire de la commune et,
en ce qui concerne les "élèves extérieurs" une
différence des droits applicables aux "anciens années scolaires 1982-83 et avant" et aux
"nouveaux" ;
Considérant que la fixation de tarifs différents
applicables, pour un même service rendu, à
diverses catégories d'usagers d'un service
public implique, à moins qu'elle ne soit la
conséquence nécessaire d'une loi, soit qu'il
existe entre les usagers des différences de
situation appréciables, soit qu'une nécessité
d'intérêt général en rapport avec les conditions
d'exploitation du service commande cette
mesure ;
Considérant que, s'il existe entre les usagers de
l'école nationale de musique de Romainville,
service public municipal non obligatoire,
domiciliés sur le territoire de cette commune,
et les usagers non domiciliés sur le territoire de
la commune, une différence de situation de
nature à justifier des tarifs différents dont il
n'est pas contesté que le plus élevé d'entre eux
n'excède pas le prix de revient du service
fourni, il n'y a pas, en l'espèce, entre la qualité
d'ancien ou de nouvel élève de cette école de
différence de situation de nature à justifier
l'application d'une discrimination de tarifs
entre les élèves extérieurs à la commune et les
élèves qui y sont domiciliés ; que la
COMMUNE DE ROMAINILLE n'est dès lors
pas fondée à soutenir que c'est à tort que par le
jugement attaqué en date du 26 juin 1985 le
tribunal administratif de Paris a annulé comme
entachée d'une discrimination illégale la
délibération du 2 octobre 1984 fixant les tarifs
de fréquentation de l'école nationale de
musique de Romainville pour l'année scolaire
1984-1985 ;
DECIDE :
Article 1er : La requête de la COMMUNE DE
ROMAINVILLE est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à
la COMMUNE DE ROMAINVILLE, au
préfet, commissaire de la République du
département de Seine-Saint-Denis et au
ministre de l'intérieur.
Document n°3 : CE, Sect., 29 décembre 1997, Comm. de Genevilliers, RFDA 1998, p.539,
concl. J.H. Stahl; AJDA 1998, p.102, chr. Girardot-Raynaud.
Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire enregistrés les 30 mars 1994 et 19 juillet 1994
au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la commune de Gennevilliers,
représentée par son maire en exercice ; la commune de Gennevilliers demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler le jugement du 17 décembre 1993 par lequel le tribunal administratif de Paris a annulé,
sur déféré du préfet des Hauts-de-Seine, la délibération du conseil municipal du 23 juin 1989 relative à
la fixation des droits d'inscription au conservatoire municipal de musique pour l'année scolaire 19891990 ;
2°) de rejeter le déféré du préfet des Hauts-de-Seine devant le tribunal administratif ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n°
87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Considérant que, par une délibération du 23
juin 1989, le conseil municipal de
Gennevilliers a fixé les droits d'inscription au
conservatoire municipal de musique en
différenciant leur montant en fonction des
ressources des familles des élèves et du
nombre de personnes vivant au foyer ;
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier
que le fonctionnement du conservatoire de
musique de Gennevilliers constitue un service
public municipal administratif à caractère
facultatif ; qu'eu égard à l'intérêt général qui
s'attache à ce que le conservatoire de musique
puisse être fréquenté par les élèves qui le
souhaitent, sans distinction selon leurs
possibilités financières, le conseil municipal de
Gennevilliers a pu, sans méconnaître le
principe d'égalité entre les usagers du service
public, fixer des droits d'inscription différents
selon les ressources des familles, dès lors
notamment que les droits les plus élevés
restent inférieurs au coût par élève du
fonctionnement de l'école ; que la commune de
Gennevilliers est, par suite, fondée à soutenir
que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le
tribunal administratif, retenant l'unique moyen
du déféré préfectoral tiré de la méconnaissance
du principe d'égalité, a annulé la délibération
litigieuse ;
Document n°4 : CE , Avis, 3 mai 2000, Delle Marteau, RFDA 2001, p.146, concl. R.
Schwartz ; AJDA 2000, p.602, chr. M. Guyomar et P. Collin.
Vu, enregistré le 2 février 2000 au secrétariat
du contentieux du Conseil d'Etat, le jugement
du 25 janvier 2000 par lequel le président du
tribunal
administratif
de
Châlons-enChampagne, avant de statuer sur la demande
de Mlle Julie MARTEAUX tendant à
l'annulation de l'arrêté du 24 février 1999 par
lequel le recteur de l'académie de Reims a mis
fin à ses fonctions de surveillante intérimaire à
temps complet, a décidé, par application des
dispositions de l'article 12 de la loi n° 87-1127
du 31 décembre 1987 portant réforme du
contentieux administratif, de transmettre le
dossier de cette demande au Conseil d'Etat, en
soumettant à son examen les questions
suivantes :
1°) les exigences tenant aux principes de la
laïcité de l'Etat et de la neutralité des services
publics qui fondent l'obligation de réserve
incombant à un agent public, doivent-elles être
appréciées en fonction de la nature des services
publics concernés ;
2°) dans le cas du service public de
l'enseignement, convient-il de distinguer
suivant que l'agent assure ou non des fonctions
éducatives et, dans cette éventualité, suivant
qu'il exerce ou non des fonctions
d'enseignement ;
3°) convient-il, dans certains cas, d'opérer une
distinction entre les signes religieux selon leur
nature ou le degré de leur caractère ostentatoire
;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la Constitution du 4 octobre 1958 ;
Vu la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
Vu la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 et
notamment son article 12 ;
Vu la loi n° 89-486 du 10 juillet 1989 ;
Vu les articles 57-11 à 57-13 ajoutés au décret
n° 63-766 du 30 juillet 1963 modifié par le
décret n° 88-905 du 2 septembre 1988 ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des
cours administratives d'appel ;
Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945
et le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 ;
Après avoir entendu en audience publique :
- le rapport de Mme Picard, Maître des
Requêtes,
- les conclusions de M. Schwartz, Commissaire
du gouvernement ;
1°) Il résulte des textes constitutionnels et
législatifs que le principe de liberté de
conscience ainsi que celui de la laïcité de l'Etat
et de neutralité des services publics
s'appliquent à l'ensemble de ceux-ci ;
2°) Si les agents du service de l'enseignement
public bénéficient comme tous les autres
agents publics de la liberté de conscience qui
interdit toute discrimination dans l'accès aux
fonctions comme dans le déroulement de la
carrière qui serait fondée sur leur religion, le
principe de laïcité fait obstacle à ce qu'ils
disposent, dans le cadre du service public, du
droit de manifester leurs croyances religieuses
;
Il n'y a pas lieu d'établir une distinction entre
les agents de ce service public selon qu'ils sont
ou non chargés de fonctions d'enseignement ;
3°) Il résulte de ce qui a été dit ci-dessus que le
fait pour un agent du service de l'enseignement
public de manifester dans l'exercice de ses
fonctions ses croyances religieuses, notamment
en portant un signe destiné à marquer son
appartenance à une religion, constitue un
manquement à ses obligations ;
Les suites à donner à ce manquement,
notamment sur le plan disciplinaire, doivent
être appréciées par l'administration sous le
contrôle du juge, compte tenu de la nature et
du degré de caractère ostentatoire de ce signe,
comme des autres circonstances dans
lesquelles le manquement est constaté ;
Le présent avis sera notifié au tribunal
administratif de Châlons-en-Champagne, à
Mlle Julie MARTEAUX, au ministre de la
fonction publique et de la réforme de l'Etat et
au ministre de l'éducation nationale ;
Il sera publié au Journal officiel de la
République française.
Document n°5 : TA Montreuil, 22
novembre 2011, AJDA 2012 p.163, note
S. Hennette-Vauchez
Vu la requête, enregistrée le 24
novembre 2010, présentée par Mme
O. ; Mme O. demande au tribunal
d'annuler la disposition du règlement
intérieur de l'école élémentaire Paul
Lafargue à Montreuil, selon laquelle «
les
parents
volontaires
pour
accompagner les sorties scolaires
doivent respecter dans leur tenue et
leurs propos la neutralité de l'école
laïque » ; (…)
Considérant, en premier lieu, que
Mme O. soutient que l'article du
règlement
intérieur
contesté
disposant que : « Les parents
volontaires pour accompagner les
sorties scolaires doivent respecter
dans leur tenue et leurs propos le
principe de neutralité de l'école
laïque » est dépourvu de base légale
;
Considérant
qu'aux
termes
de
l'article 10 de la Déclaration des
droits de l'homme et du citoyen du
26 août 1789 : « Nul ne doit être
inquiété pour ses opinions même
religieuses,
pourvu
que
leur
manifestation ne trouble pas l'ordre
public établi par la loi » ; qu'aux
termes
de
l'article
2
de
la
Constitution du 4 octobre 1958 : « La
France
est
une
République
indivisible, laïque, démocratique et
sociale. Elle assure l'égalité devant la
loi de tous les citoyens sans
distinction d'origine, de race ou de
religion. Elle respecte toutes les
croyances » ;
Considérant qu'il résulte des textes
constitutionnels et législatifs que le
principe de liberté de conscience
ainsi que celui de la laïcité de l'Etat
et de neutralité des services publics
s'appliquent à l'ensemble de ceux-ci
; que les parents d'élèves volontaires
pour
accompagner
les
sorties
scolaires participent, dans ce cadre,
au service public de l'éducation ; que
le
principe
de
la
laïcité
de
l'enseignement public, qui est l'un
des éléments de la laïcité de l'Etat et
de la neutralité de l'ensemble des
services
publics,
impose
que
l'enseignement soit dispensé, dans le
respect,
d'une
part,
de
cette
neutralité par les programmes, les
enseignants et les personnels qui
interviennent auprès des élèves et,
d'autre part, de la liberté de
conscience des élèves ; que si les
parents
d'élèves
participant
au
service public d'éducation bénéficient
de la liberté de conscience qui
interdit toute discrimination fondée
sur leur religion ou sur leurs
opinions, le principe de neutralité de
l'école laïque fait obstacle à ce qu'ils
manifestent, dans le cadre de
l'accompagnement
d'une
sortie
scolaire, par leur tenue ou par leurs
propos, leurs convictions religieuses,
politiques ou philosophiques ;
Considérant
que
la
disposition
contestée
constitue,
indépendamment du contexte local,
une
application
du
principe
constitutionnel de neutralité du
service public à l'accompagnement
des sorties scolaires par les parents
d'élèves, qui participent en tant
qu'accompagnateurs
au
service
public de l'école élémentaire ; que,
par suite, Mme O. n'est pas fondée à
soutenir que la disposition attaquée
ne repose sur aucun fondement légal
ou méconnaîtrait le domaine de la loi
défini
par
l'article
34
de
la
Constitution
;
que,
dans
ces
conditions, le moyen tiré de ce que
les règlements intérieurs des autres
écoles
de
la
commune
ne
prévoiraient pas une telle disposition
et que les mères portant un voile y
seraient admises pour accompagner
les sorties scolaires ne peut qu'être
écarté ;
enfants ;
Considérant, en deuxième lieu, que,
compte tenu de l'intérêt qui s'attache
aux principes de laïcité et de
neutralité du service public dans les
établissements scolaires publics, la
disposition attaquée ne porte pas
une atteinte excessive à la liberté de
pensée, de conscience et de religion
garantie par l'article 9 de la
Convention
européenne
de
sauvegarde des droits de l'homme et
des libertés fondamentales et par
l'article 18 du pacte international des
droits civils et politiques ; qu'en
outre, une telle disposition, qui est
prise sans distinction entre les
confessions des parents d'élèves, ne
méconnaît pas, comme il a été dit
précédemment, le principe de nondiscrimination
édicté
par
les
stipulations de l'article 14 de cette
Convention ; qu'ainsi, les moyens
tirés de la méconnaissance des
articles 9 et 14 de la Convention
européenne de sauvegarde des droits
de
l'homme
et
des
libertés
fondamentales et de celles de l'article
18 du pacte international des droits
civils et politiques doivent être
écartés ;
Considérant, en troisième lieu, que la
requérante
ne
peut
utilement
invoquer l'article 2 de la loi n° 2008496 du 27 mai 2008 portant diverses
dispositions d'adaptation au droit
communautaire dans le domaine de
la lutte contre les discriminations, qui
ne concerne que les activités
salariées ;
Considérant, en quatrième lieu, que
l'accompagnement
des
sorties
scolaires par les parents d'élèves ne
constitue pas un droit ; que, par
suite, Mme O. n'est pas fondée à
soutenir que la disposition attaquée
du
règlement
intérieur
aurait
méconnu le droit des parents
d'élèves à accompagner les sorties
scolaires auxquelles participent leurs
Considérant, en cinquième lieu,
qu'aux termes de l'article 3-1 de la
Convention internationale des droits
de l'enfant du 26 janvier 1990 : «
Dans toutes les décisions qui
concernent les enfants, qu'elles
soient le fait d'institutions publiques
ou privées de protection sociale, des
tribunaux,
des
autorités
administratives ou des organes
législatifs, l'intérêt supérieur de
l'enfant doit être une considération
primordiale » ;
Considérant
que
la
disposition
attaquée qui, ainsi qu'il a été dit,
tend à protéger la liberté de
conscience des élèves, ne porte pas
atteinte à l'intérêt supérieur de
l'enfant garanti par les stipulations
susvisées ;
Considérant, en sixième lieu, que la
recommandation n° 2007-117 du 14
mai 2007 de la Haute autorité de
lutte contre les discriminations et
pour l'égalité ne porte pas sur la
disposition du règlement intérieur de
l'école Paul Lafargue ; que Mme O.
n'est donc pas fondée, en tout état
de
cause,
à
en
demander
l'application au présent litige ;
Considérant, enfin, qu'il ne résulte
d'aucune disposition législative ou
réglementaire que le règlement
intérieur d'un établissement scolaire,
lequel en l'espèce a pour objet, par
la disposition contestée, de rappeler
le principe de neutralité de l'école
laïque, soit tenu de respecter ou de
contribuer à la cohésion sociale ;
Considérant qu'il résulte de tout ce
qui précède que Mme O. n'est pas
fondée à solliciter l'annulation de la
disposition du règlement intérieur de
l'école élémentaire Paul Lafargue à
Montreuil, selon laquelle « les
parents
volontaires
pour
accompagner les sorties scolaires
doivent respecter dans leur tenue et
leurs propos la neutralité de l'école
laïque » ;
Décide :
Article 1er : La requête de Mme O. est
rejetée.
Article 2 : Le présent jugement sera
notifié à Mme O. et au recteur de
l'académie de Créteil.
Copie en sera adressée au directeur
de l'école élémentaire Paul Lafargue.
Document n°6 : Loi n°2004-228 du 15 mars 2004 (JO 17 mars 2004 p.5190), art.1er.
Article 1er
Il est inséré, dans le code de l'éducation, après l'article L. 141-5, un article L. 141-5-1
ainsi rédigé :
« Art. L. 141-5-1. - Dans les écoles, les collèges et les lycées publics, le port de signes ou
tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse
est interdit.
« Le règlement intérieur rappelle que la mise en oeuvre d'une procédure disciplinaire est
précédée d'un dialogue avec l'élève. »
Document n°7 : CE, 5 décembre 2007, M. Singh et M. et Mme Ghazal
Vu la requête sommaire et le mémoire
complémentaire, enregistrés les 22 septembre
et 22 décembre 2005 au secrétariat du
contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour M.
Chain A, représentant son fils mineur Ranjit A,
demeurant [...] ; M. A demande au Conseil
d'Etat d'annuler l'arrêt du 19 juillet 2005 par
lequel la cour administrative d'appel de Paris a
rejeté sa requête tendant à l'annulation du
jugement du 19 avril 2005 du tribunal
administratif de Melun rejetant sa demande
tendant à l'annulation de la décision du 10
décembre 2004 du recteur de l'académie de
Créteil confirmant la mesure d'exclusion
définitive de Ranjit A du lycée Louise Michel de
Bobigny prononcée le 5 novembre 2004 par le
conseil
de
discipline
du
lycée
;
(…)
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier
soumis au juge du fond que le conseil de
discipline du lycée Louise-Michel de Bobigny
(Seine-Saint-Denis), a, lors de sa séance du 5
novembre 2004, prononcé la sanction de
l'exclusion
définitive
sans
sursis
de
l'établissement de Ranjit A, élève de première,
pour ne pas avoir respecté la loi du 15 mars
2004 encadrant, en application du principe de
laïcité, le port de signes ou de tenues
manifestant une appartenance religieuse dans
les écoles, collèges et lycées publics ; que, par
une décision du 10 décembre 2004, prise après
avis de la commission académique d'appel, le
recteur de l'académie de Créteil a maintenu
cette sanction ; que M. Chain A, agissant en
qualité de représentant de son fils mineur
Ranjit, demande au Conseil d'Etat d'annuler
l'arrêt du 19 juillet 2005 par lequel la cour
administrative d'appel de Paris a rejeté sa
requête tendant à l'annulation du jugement du
19 avril 2005 par lequel le tribunal administratif
de Melun a rejeté sa demande d'annulation de
la
décision
du
10
décembre
2004
;
Considérant que le moyen tiré de ce que l'arrêt
attaqué n'aurait pas répondu au moyen tiré de
ce que le sous-turban porté au lycée par Ranjit
A n'est pas un vêtement religieux et n'est pas
un signe dont le port est interdit dans les lycées
publics par l'article L. 141-5-1 du code de
l'éducation, manque en fait ;
Considérant qu'aux termes de l'article L. 141-51 du code de l'éducation issu de la loi du 15
mars 2004 : Dans les écoles, les collèges et les
lycées publics, le port de signes ou tenues par
lesquels les élèves manifestent ostensiblement
une appartenance religieuse est interdit. / Le
règlement intérieur rappelle que la mise en
oeuvre d'une procédure disciplinaire est
précédée d'un dialogue avec l'élève ;
Considérant qu'il résulte de ces dispositions que,
si les élèves des écoles, collèges et lycées
publics peuvent porter des signes religieux
discrets, sont en revanche interdits, d'une part,
les signes ou tenues, tels notamment un voile
ou un foulard islamique, une kippa ou une
grande croix, dont le port, par lui-même,
manifeste ostensiblement une appartenance
religieuse, d'autre part, ceux dont le port ne
manifeste ostensiblement une appartenance
religieuse qu'en raison du comportement de
l'élève ;
Considérant qu'en estimant que le keshi sikh
(sous-turban), porté par Ranjit A dans l'enceinte
scolaire, bien qu'il soit d'une dimension plus
modeste que le turban traditionnel et de couleur
sombre, ne pouvait être qualifié de signe discret
et que l'intéressé, par le seul port de ce signe, a
manifesté ostensiblement son appartenance à la
religion sikhe, la cour administrative d'appel de
Paris n'a pas fait une inexacte application des
dispositions de l'article L. 141-5-1 du code de
l'éducation ;
Considérant qu'aux termes de l'article 9 de la
convention européenne de sauvegarde des
droits de l'homme et des libertés fondamentales
: 1. Toute personne a droit à la liberté de
pensée, de conscience et de religion ; ce droit
implique [...] la liberté de manifester sa religion
ou
sa
conviction
individuellement
ou
collectivement, en public ou en privé, par le
culte,
l'enseignement,
les
pratiques
et
l'accomplissement des rites. - 2. La liberté de
manifester sa religion ou ses convictions ne peut
faire l'objet d'autres restrictions que celles qui,
prévues par la loi, constituent des mesures
nécessaires, dans une société démocratique, à
la sécurité publique, à la protection de l'ordre,
de la santé ou de la morale publiques, ou à la
protection des droits et libertés d'autrui ; que
selon l'article 14 de la même convention : La
jouissance des droits et libertés reconnus dans
la présente Convention doit être assurée, sans
distinction aucune, fondée notamment sur le
sexe, la race, la couleur, la langue, la religion,
les opinions politiques ou toutes autres opinions,
l'origine nationale ou sociale, l'appartenance à
une minorité nationale, la fortune, la naissance
ou toute autre situation ; que, compte tenu de
l'intérêt qui s'attache au respect du principe de
laïcité dans les établissements scolaires publics,
la sanction de l'exclusion définitive prononcée à
l'égard d'un élève qui ne se conforme pas à
l'interdiction légale du port de signes extérieurs
d'appartenance religieuse n'entraîne pas une
atteinte excessive à la liberté de pensée, de
conscience et de religion garantie par l'article 9
cité ci-dessus ; que ladite sanction, qui vise à
assurer le respect du principe de laïcité dans les
établissements
scolaires
publics
sans
discrimination entre les confessions des élèves,
ne méconnaît pas non plus le principe de nondiscrimination édicté par les stipulations de
l'article 14 cité ci-dessus ; que dès lors, en
jugeant
que
la
décision
attaquée
ne
méconnaissait pas les articles 9 et 14 de la
convention européenne de sauvegarde des
droits
de
l'homme
et
des
libertés
fondamentales, la cour administrative d'appel de
Paris n'a commis aucune erreur de droit ;
Considérant que les moyens tirés de ce que la
décision attaquée serait constitutive d'une
discrimination à l'égard de la minorité nationale
que formerait la communauté sikhe de France,
contraire à l'article 14 de la convention
européenne de sauvegarde des droits de
l'homme et des libertés fondamentales et d'une
violation de l'article 8 de la même convention,
sont nouveaux en cassation et ne sont donc pas
recevables ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que
M. Chain A n'est pas fondé à demander
l'annulation de l'arrêt attaqué ;
Décide :
Article 1er : La requête formée par M. Chain A
représentant son fils mineur Ranjit A est
rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à
M. Chain A et au ministre de l'Education
nationale.
Copie en sera adressée pour information au
recteur de l'académie de Créteil.
Document n°8 :
Le Conseil d'État et la laïcité négative
Etude rédigée par : Frédéric Dieu
Commissaire du gouvernement près le tribunal administratif de Nice
JCP, Administrations et Collectivités territoriales, n° 13, 24 Mars 2008, n°2070
Se dirige-t-on, dans les établissements scolaires, vers une laïcité négative,
réprimant toute manifestation d'appartenance religieuse un tant soit peu
visible ? C'est ce que semblent indiquer les premières décisions du Conseil
d'État relatives à l'application de l'article L. 141-5-1 du Code de
l'éducation qui, non seulement, appliquent strictement l'interdiction issue
de la loi du 15 mars 2004 mais qui, en outre, en étendent considérablement
la portée.
Introduction
1. - Par quatre décisions en date du 5 décembre 2007Note 1, le Conseil d'État vient pour la
première fois de faire application des dispositions de l'article L. 141-5-1 du Code de l'éducation
issues de la loi du 15 mars 2004Note 2 en prohibant le port de signes manifestant ostensiblement
une appartenance religieuse. Ces décisions confirment, d'abord, l'interprétation stricte qui est
faite de ces dispositions par l'Administration et le juge administratif : aucun élève n'a pour
l'instant eu gain de cause en la matière et il est fort probable qu'il en sera ainsi à l'avenir. Le
Conseil d'État a ainsi été amené à revenir sur sa jurisprudence antérieure issue de l'avis du
27 novembre 1989 qui avait posé une autorisation de principe des signes religieux à l'école.
Désormais, l'interdiction est la règle tandis que l'autorisation est l'exception. Surtout, la Haute
assemblée a confirmé que l'interdiction valait quels que soient l'intention et le comportement de
l'élève en cause.
2. - Toutefois, de manière prétorienne et à la suite de la circulaire du 18 mai 2004 relative à
l'application de la loi du 15 mars 2004 dont il avait examiné et confirmé la légalité, le Conseil
d'État a créé une nouvelle catégorie de signes d'appartenance religieuse prohibés : celle des
signes dont le port manifeste ostensiblement une appartenance religieuse en raison du
comportement de l'élève. Ce faisant, le Conseil n'a fait ni plus ni moins qu'ajouter à la loi en
étendant le champ de l'interdiction qu'elle prévoit. Si donc, sur le plan du raisonnement, cet
ajout manifeste une certaine continuité avec la jurisprudence antérieure issue de l'avis du
27 novembre 1989, puisqu'il conduit le juge à s'intéresser, si ce n'est aux motivations
(prosélytisme ou non) et aux attitudes (absentéisme ou non, caractère revendicatif ou non) de
l'élève, du moins à son comportement, sur le plan des principes, il manifeste un total revirement
puisque, non seulement, le Conseil, sur l'injonction du législateur, interdit aujourd'hui ce qu'il
autorisait hier mais puisque, en outre, et surtout, de sa propre initiative, il étend
considérablement le champ d'application de cette interdiction, laissant en la matière à
l'Administration une grande marge d'appréciation dont la compatibilité avec les stipulations de
la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales
est loin d'être évidente.
3. - Les quatre décisions du 5 décembre 2007, à la suite de la loi du 15 mars 2004, affirment
ainsi le développement d'une laïcité négative à l'école, c'est-à-dire d'une laïcité qui refuse de
laisser à la religion et, bien plus, à tout ce qui peut faire penser à la religion, toute possibilité
d'expression.
1. Le Conseil d'État confirme le caractère en principe objectif de l'interdiction posée par
l'article L. 141-5-1 du Code de l'éducation
A. - La loi n° 2004-228 du 15 mars 2004 a substitué à l'analyse subjective et permissive
jusqu'alors effectuée par la jurisprudence relative aux signes religieux une approche
objective et répressive
1° Sur le fondement de l'avis du 27 novembre 1989, la jurisprudence administrative avait
autorisé le port de signes religieux sous certaines réserves
4. - Par l'avis qu'il a rendu le 27 novembre 1989 dans le cadre de ses attributions consultatives,
le Conseil d'État a pris position sur le droit des élèves de porter des signes d'appartenance
religieuseNote 3. Il a estimé que la liberté de conscience comportait pour les élèves « le droit
d'exprimer et de manifester leurs croyances religieuses à l'intérieur des établissements scolaires,
dans le respect du pluralisme et de la liberté d'autrui, et sans qu'il soit porté atteinte aux activités
d'enseignement, au contenu des programmes et à l'obligation d'assiduité ». Il en a déduit que le
port de signes d'appartenance religieuse ne saurait faire l'objet d'une interdiction générale et
absolue : le port par un élève, d'un signe visible manifestant son appartenance religieuse n'est
donc pas, en lui-même, c'est-à-dire en principe, contraire au principe de laïcité.
5. - Adoptant le même raisonnement, le Conseil d'État statuant au contentieux a annulé un
règlement intérieur qui interdisait le port de tout signe religieux à l'intérieur de
l'établissementNote 4. Dans ce même arrêt, le Conseil d'État a affirmé, au bénéfice des élèves, le
« droit d'exprimer et de manifester leurs croyances religieuses à l'intérieur des établissements
scolaires », droit dont l'exercice peut impliquer « le port par les élèves de signes par lesquels ils
entendent manifester leur appartenance religieuse », avant, en l'espèce, d'indiquer que le port
d'un « foulard qualifié de signe d'appartenance religieuse » par les élèves en cause n'avait pas le
« caractère d'un acte de pression, de provocation, de prosélytisme ou de propagande », ne
portait pas « atteinte à la dignité, à la liberté, à la santé ou à la sécurité des élèves » et ne
perturbait pas « l'ordre dans l'établissement ou le déroulement des activités d'enseignement ».
C'est ainsi que le Conseil a pu annuler la décision d'exclusion définitive qui avait été prise à
l'encontre des élèves qui n'avaient rien fait d'autre qu'arborer un foulard manifestant leur
appartenance religieuse.
6. - Plus généralement, l'autorisation de principe du port de signes religieux par les élèves des
établissements publics a conduit le Conseil d'État à annuler les décisions prononçant des
sanctions qui étaient fondées sur le seul port de ces signes religieuxNote 5. Dans trois arrêts du
27 novembre 1996Note 6, le Conseil d'État a ainsi très nettement distingué la situation dans
laquelle la sanction est fondée sur le seul port du foulard islamique et est donc illégaleNote 7 des
situations dans lesquelles cette sanction est fondée soit sur l'existence d'un trouble au bon
fonctionnement de l'établissementNote 8, soit sur un manquement à l'obligation d'assiduitéNote 9. Il
a, en revanche, considéré que l'Administration pouvait légalement interdire le port d'un foulard
par des jeunes filles de confession musulmane pendant les cours d'éducation physique, en raison
de l'incompatibilité entre cet élément vestimentaire et les nécessités de cet enseignement Note 10.
7. - La recherche d'une conciliation entre le droit de manifester et de pratiquer sa religion et les
devoirs pesant sur l'élèveNote 11 a ainsi conduit le Conseil d'État à écarter tout refus de principe
des autorisations d'absence demandées par certains élèves pour des motifs religieux Note 12.
Contrairement aux conclusions de son commissaire du gouvernement qui estimait qu'une
demande de dérogation portant sur un jour (le samedi matin) de chaque semaine était
incompatible, par nature, avec l'obligation d'assiduité, en ce qu'elle tendait à la définition d'une
règle particulière applicable, par dérogation, à la communauté et, ainsi, quasiment à l'octroi
pour l'élève en cause d'un statut personnel, le Conseil a donc rejeté la requête, non pas en se
fondant sur le caractère systématique de l'autorisation sollicitée, mais sur les exigences de la
scolarité que suivait l'élève. Cela signifiait donc que l'Administration, saisie d'une demande
d'autorisation d'absence pour un jour de chaque semaine, pouvait éventuellement y faire droit et
devait en tout cas examiner si la dispense sollicitée était en l'espèce compatible avec le
déroulement normal de la scolarité et le respect de l'ordre public dans l'établissement. Cette
solution constitue, selon nous, l'expression la plus forte de la volonté de promouvoir une laïcité
de reconnaissance et non doctrinaireNote 13 qui a animé le Conseil d'État durant les années 90.
Étaient ainsi affirmées la possibilité et la volonté de concilier le respect des obligations
scolaires avec le droit de manifester et pratiquer sa religion.
8. - Au total, ainsi que le soulignait le commissaire du gouvernement Kessler, commentant la
portée de l'avis du 27 novembre 1989 dans ses conclusions sous l'arrêt précité Kherouaa : « la
laïcité n'apparaît plus comme un principe qui justifie l'interdiction de toute manifestation
religieuse. L'enseignement est laïc non parce qu'il interdit l'expression des différentes fois mais
au contraire parce qu'il les tolère toutes [(...) il y a là] un renversement de perspective qui fait de
la liberté le principe et de l'interdiction l'exception ». Nous n'étions donc pas loin alors de la
« laïcité positive » qui reconnaît ou du moins tolère l'ensemble des religions et leur permet de
s'exprimer au sein de l'espace public. Cependant, la loi du 15 mars 2004 est venue et l'approche
des parlementaires, de la commission Stasi et du président de la République fut à cet égard
radicalement différente puisqu'elle aboutit à interdire certains signes en raison de leur caractère
« visible » ou « ostensible » et non en raison des conséquences qui résultent du port de ces
signes.
2° La loi du 15 mars 2004 a posé une interdiction de principe des signes ostensibles
d'appartenance religieuse
9. - Issu de l'article 1er de la loi du 15 mars 2004, l'article L. 141-5-1 du Code de l'éducation
dispose : « dans les écoles, les collèges et les lycées publics, le port de signes ou tenues par
lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse est interdit. Le
règlement intérieur rappelle que la mise en oeuvre d'une procédure disciplinaire est précédée
d'un dialogue avec l'élève ».
10. - Notons d'ores et déjà que si le Conseil constitutionnel avait été saisi de la loi, il n'est pas
sûr qu'il en aurait admis la conformité à la Constitution. En effet, si le juge constitutionnel a
interprété l'article 1er de la Constitution de 1958 comme interdisant « à quiconque de se
prévaloir de ses croyances religieuses pour s'affranchir des règles communes régissant les
relations entre collectivités publiques et particuliers »Note 14, cela ne nous semble pas pouvoir
être interprété comme la légitimation a posteriori de la loi sur les signes religieux à l'école au
regard de la Constitution. En effet, la loi du 15 mars 2004 édicte une interdiction du port des
signes manifestant une appartenance religieuse quel que soit le comportement des élèves, c'està-dire que l'interdiction est de rigueur même si ceux-ci ne se prévalent pas de leur religion pour
« s'affranchir des règles communes régissant les relations » entre eux-mêmes et l'établissement
scolaire, règles communes relatives notamment à l'obligation d'assiduité et à la neutralité de
l'enseignement. En fait, c'est seulement, il nous semble, lorsque l'élève se prévaut de sa religion
pour s'affranchir de l'obligation d'assiduité (par exemple en n'allant pas en cours le samedi s'il
est de confession juive ou le vendredi s'il est de confession musulmane) ou s'il perturbe le
fonctionnement des enseignements et plus généralement de l'établissement (en adoptant un
comportement prosélyte ou renvendicatif) qu'il enfreint les règles communes. Au total, la
décision du Conseil constitutionnel est donc plutôt un rappel de l'esprit de la jurisprudence
administrative issue de l'avis du 27 novembre 1989, qui n'interdisait le port de signes religieux
qu'en cas de comportement prosélyte ou de méconnaissance des obligations scolaires, qu'une
« validation » de l'interdiction posée par la loi du 15 mars 2004.
11. - Il résulte précisément des dispositions de cette loi, telles qu'éclairées et même, nous y
reviendrons, complétées par la circulaire « Fillon » du 18 mai 2004, que les signes concernés
sont « ceux dont le port conduit à se faire immédiatement reconnaître par son appartenance
religieuse »Note 15. Il s'agit notamment des signes caractéristiques des trois grandes religions
monothéistes existantes : le voile islamique, la kippa juive et la croix chrétienne de dimension
manifestement excessive. La circulaire indique même, à propos du voile, que l'interdiction vaut
« quel que soit le nom qu'on lui donne ». La circulaire confirme ensuite ce que l'exposé des
motifs du projet de loi indiquait déjà : « la loi ne remet pas en cause le droit des élèves de
porter des signes religieux discrets ». Lors de l'examen du recours formé contre cette circulaire,
le Conseil d'État a considéré que celle-ci s'était bornée à rappeler et à expliciter les termes de la
loiNote 16. C'est dire que le Conseil d'État a pleinement « validé » l'explicitation par cette
circulaire des dispositions de l'article 1er de la loi du 15 mars 2004.
12. - Sur le plan juridique, cette expression irréductible de la liberté de religion des élèves est la
condition sine qua non de la constitutionnalité (articles 10 et 11 de la Déclaration des droits de
l'homme et du citoyen) comme de la conventionnalité (art. 9 Conv. EDH) des dispositions de
l'article 1er de la loi du 15 mars 2004. La protection ainsi accordée à cette liberté fondamentale
empêche le législateur d'instaurer une interdiction générale et absolue du port de tous signes
religieux à l'école et c'est pourquoi la loi parle du port de « signes manifestant ostensiblement
une appartenance religieuse » et non, comme le proposait la mission d'information de
l'Assemblée nationale dans son rapport du 4 décembre 2003, de « signes visibles ». La seconde
expression aurait, en effet, impliqué une interdiction générale de tous les signes religieux à
l'école puisque tous les signes visibles, même discrets, auraient été alors prohibés. L'esprit de la
jurisprudence administrative perdure sur ce point : un règlement intérieur qui interdirait aux
élèves de porter tout signe religieux serait illégalNote 17. Sur le plan pratique, la circulaire ne
fournit, en revanche, aucun exemple de ces signes religieux discrets. En se fondant sur les
rapports parlementairesNote 18, on peut estimer qu'une petite croix, une médaille de dimension
modeste, une étoile de David ou une main de Fatima figurent au nombre de ces signes discrets.
13. - Des signes discrets tels qu'une médaille ne peuvent donc être regardés comme manifestant
ostensiblement une appartenance religieuse au sens de l'article L. 141-5-1 du Code de
l'éducation. Cette interprétation de l'article L. 141-5-1 marque ainsi une certaine continuité avec
les solutions jurisprudentielles antérieures à l'adoption de la loi du 15 mars 2004 et selon
lesquelles, nous l'avons vu, le port par les élèves de signes par lesquels ils entendent manifester
leur appartenance à une religion n'est pas, par lui-même, incompatible avec le principe de
laïcité.
14. - Soulignons donc que la loi du 15 mars 2004 n'a pas pour but de prohiber le port de signes
ou tenues religieuses mais d'interdire le port de tels signes ou tenues lorsqu'il manifeste
ostensiblement une appartenance religieuse. La différence est essentielle dans la mesure où
cette interdiction est beaucoup plus large que la prohibition évoquée : peu importe, en effet, que
le signe ou la tenue en cause n'aient pas, en eux-mêmes, et pour ceux qui les portent, une
signification et une valeur religieuses puisque seul compte le sens qui leur est donné par autrui,
c'est-à-dire par l'opinion publique, et, en l'espèce, par les autres élèves fréquentant le même
établissement. Précisons à cet égard que c'est en premier lieu au chef d'établissement
qu'incombe la tâche de déterminer si le signe ou la tenue en cause peut être perçu par les autres
élèves comme une manifestation ostensible d'appartenance religieuse. De manière remarquable,
la Cour de cassation a d'ailleurs également retenu la notion de manifestation ostensible des
convictions religieuses pour considérer que la prohibition du port du voile par le règlement
intérieur d'un collège catholique n'affectait pas ces convictions mais « un simple mode
d'expression ostensible de celles-ci » et que cette prohibition ne méconnaissait donc pas le droit
de manifester sa religion garanti par les stipulations de l'article 9 de la Convention européenne
des droits de l'homme et des libertés fondamentalesNote 19. L'on voit donc que l'esprit de la loi du
15 mars 2004, bien que ce texte ne soit pas applicable aux établissements scolaires privés, plane
également sur eux et que le juge judiciaire a également retenu une interprétation objective,
détachée de tout examen du comportement de l'élève, de la notion de signes d'appartenance
religieuse alors même qu'il n'en avait pas l'obligation.
15. - Il y a là, en tout état de cause, une objectivation de la notion de signe religieux par rapport
à la jurisprudence issue de l'avis du 27 novembre 1989, laquelle se fondait essentiellement sur
le comportement (absentéisme ou non par exemple) et les intentions (visée religieuse ou non,
prosélytisme ou non par exemple) des élèves arborant un tel signe et donc sur leur subjectivité
pour déterminer si la sanction prononcée par le chef d'établissement était ou non justifiée. Dans
le cadre de la jurisprudence définie par le Conseil d'État, l'appréciation de l'Administration ne
portait donc pas sur le caractère religieux ou non du signe incriminé puisque le port de signes
religieux à l'école n'était pas, en lui-même, incompatible avec le principe de laïcité et était donc
en principe autorisé. Dans le régime juridique issu de la loi du 15 mars 2004, la logique
d'appréciation est renversée : c'est à l'Administration de qualifier une tenue ou un signe litigieux
de signe religieux en se fondant sur ce que l'administrateur, en l'espèce le chef d'établissement,
connaît des religions existantes. L'on voit donc que pour refouler toute expression religieuse
ostensible dans les établissements scolaires, l'Administration doit se faire experte en religions.
Pour terminer et plus concrètement, force est de constater que la sévérité de l'interdiction posée
par la loi du 15 mars 2004 conduit à un rejet quasisystématique des recours en annulation des
sanctions qui sont prononcées sur son fondement. Ainsi que l'indique une réponse ministérielle :
« si, au cours de l'année scolaire 2003-2004, environ 1 500 élèves manifestaient ostensiblement
une appartenance religieuse, seuls 639 cas ont été recensés à la rentrée 2004. Plus de 550 cas
ont trouvé une solution par le dialogue (...). Sur l'ensemble des élèves qui s'étaient présentés
avec un signe religieux ostensible à la rentrée [2004], l'immense majorité (90 %) d'entre eux a
fait le choix de se conformer à la loi à l'issue du dialogue ». Néanmoins, 47 élèves, ayant refusé
l'application de la loi, ont fait l'objet, après décision du conseil de discipline, d'une exclusion
définitive de l'établissement où ils étaient scolarisés. « Vingt-huit recours contentieux ont été
formés, vingt-huit décisions de rejet ont été rendues dont treize ont fait l'objet d'un appel.
Actuellement, sept décisions d'appel ont confirmé les décisions de rejet et deux les ont annulées
non pas sur l'interprétation faite de la loi du 15 mars 2004 mais en raison de la violation des
dispositions concernant le règlement intérieur de l'établissement scolaire (...). Dans toutes ces
affaires, il s'avère que les juges confirment l'interprétation faite par l'Administration de la notion
de signe manifestement ostensible »Note 20. Ainsi que le rappelle cette réponse ministérielle, la
loi du 15 mars 2004 a imposé, préalablement à toute sanction disciplinaire, une procédure de
dialogue entre les autorités scolaires et l'élève. En conséquence, aucune sanction ne peut être
prononcée à l'encontre de l'élève tant que dure le dialogue préalable entre celui-ci et le chef
d'établissement, dialogue imposé par l'article L. 141-5-1 lui-mêmeNote 21.
16. - Dès lors cependant que ce dialogue n'a pas été « fructueux », en ce sens que l'élève a
persisté dans sa volonté d'arborer un signe manifestant ostensiblement son appartenance
religieuse, le chef d'établissement peut prononcer une mesure d'exclusion définitive de
l'établissement, ce même si cette sanction n'a pas été prévue par le règlement intérieur de
l'établissement. En effet, dans la mesure où cette sanction figure à l'article 3 du décret du
30 août 1985 relatif aux établissements publics locaux d'enseignement, son absence de mention
dans le règlement intérieur ne fait nullement obstacle à son applicationNote 22. Autrement dit,
seule l'application de sanctions autres que l'avertissement, le blâme et l'exclusion temporaire ou
définitive est subordonnée à la mention de ces sanctions dans le règlement intérieur. Dans les
arrêts annulés, la cour administrative d'appel de Nancy avait également jugé que lorsque le
règlement intérieur subordonnait la sanction de l'exclusion définitive au cas où l'élève était en
situation de récidive en ce qui concernait port de signes religieux ostensibles, l'autorité scolaire
ne pouvait exclure l'élève qui n'avait pas, dans le passé, commis des faits de même nature ayant
donné lieu au prononcé d'une sanction disciplinaire. Si ce motif n'a pas été explicitement écarté
par le Conseil d'État le 16 janvier 2008, il l'a été par son commissaire du gouvernement
(R. Keller) dans ses conclusions, celui-ci relevant à juste titre que « dès lors que l'élève, malgré
le dialogue préalable, a persisté dans son refus de se conformer à la loi, il faut considérer que la
condition de récidive est remplie ; toute autre interprétation serait contraire à l'intention du
législateur ». En effet, si, dans sa rédaction initiale, l'amendement relatif à l'exigence du
dialogue préalable prévoyait que « sauf dans les cas de récidive, la sanction ne pourra intervenir
qu'après une phase de dialogue », la réserve du cas de récidive a été supprimée dans la rédaction
définitive, les parlementaires considérant qu'elle était redondante avec l'exigence d'un dialogue
préalable à la sanction. En bref, le règlement intérieur de l'établissement scolaire ne peut en
aucun cas subordonner l'exclusion définitive de l'élève à une condition de récidive.
17. - L'on voit cependant que la rédaction particulièrement restrictive de la loi du 15 mars 2004
remplit son office puisqu'elle permet à l'Administration et au juge d'interdire tout ce qui
manifeste ostensiblement une appartenance religieuse, quels que soient finalement le support ou
le moyen de cette manifestation. Toutefois, cela ne fait pas pour autant de l'école un
« sanctuaire »Note 23 laïc. En effet, la loi du 15 mars 2004 « ne modifie pas les règles applicables
(...) aux parents d'élèves » ainsi que l'indique le point 2.3 de la circulaire du 18 mai 2004, ce qui
signifie que ces derniers disposent du droit d'arborer des signes religieux lorsqu'ils participent à
des sorties scolaires ou à des activités au sein de l'établissement. Le règlement intérieur des
écoles, collèges et lycées ne peut donc interdire le port du voile islamique aux mères d'élèves
participant à des sorties scolaires ou à des activités au sein de l'établissement sous peine de
prononcer une discrimination illégale au regard des stipulations de l'article 9 Convention
européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales et des dispositions de la
directive n° 2000/78/CE : cela a été récemment affirmé par une délibération de la Haute autorité
de lutte contre les discriminations et pour l'égalité (HALDE) dans une délibération du 14 mai
2007Note 24. Dans un tel cas, en effet, les parents d'élèves doivent être regardés comme des
usagers du service public qui « ont le droit d'exprimer leurs convictions religieuses dans les
limites du respect de la neutralité du service public, de son bon fonctionnement et des
impératifs d'ordre, de sécurité, de santé et d'hygiène »Note 25. Les signes religieux peuvent donc
bien, lorsqu'ils sont portés par des parents d'élèves, entrer dans l'enceinte des établissements
scolaires. En revanche, dans la délibération précitée, la HALDE a estimé qu'il était cependant
possible d'interdire les agissements des parents d'élèves qui présenteraient le caractère d'actes
de prosélytisme, revenant ainsi à la logique de l'avis du 27 novembre 1989. La solution retenue
par la HALDE est, en tout état de cause, constructive puisque les parents d'élèves
accompagnant une sortie scolaire ou participant plus généralement à des activités scolaires sont
en général assimilés, en matière de contentieux indemnitaire, à des collaborateurs occasionnels
du service public et non à des usagers du service publicNote 26. Il est vrai que ces solutions valent
lorsqu'il s'agit de permettre la réparation des dommages subis par les parents d'élèves ainsi
requis ou sollicités par les autorités scolaires. La HALDE voit ainsi, dans la notion de
collaborateur occasionnel bénévole, une notion « de nature fonctionnelle » dont la vocation
« consiste à couvrir les dommages subis par une personne qui, sans être un agent public,
participe à une mission de service public », une telle notion ne pouvant donc emporter « la
reconnaissance du statut d'agent public, avec l'ensemble des droits et des devoirs qui y sont
attachés »Note 27. Il n'empêche, la solution retenue par la HALDE, qui estime illégaux les
règlements intérieurs scolaires qui prohibent le port, par les parents d'élèves participant à des
sorties scolaires ou à des activités au sein de l'établissement, de signes manifestant
ostensiblement une appartenance religieuse vient quelque peu heurter l'intention du législateur
de bannir ces signes de l'enceinte des établissements scolaires et plus généralement de la vie
scolaire.
18. - Rien ne permet ainsi d'affirmer que le juge administratif, saisi d'une contestation de la
légalité de ces règlements, adoptera la même position. Gageons qu'il veillera en tout cas à
rappeler l'interdiction de tout comportement prosélyte de la part des parents d'élèves participant
à des sorties scolaires ou à des activités au sein de l'établissement.
B. - Dans trois arrêts en date du 5 décembre 2007, le Conseil d'État a considéré que le seul
port par des élèves de religion sikhe d'un sous-turban manifestait ostensiblement leur
appartenance à cette religion et justifiait ainsi leur exclusion
1° La confirmation de la distinction entre signes manifestant une appartenance religieuse
et signes religieux
19. - Dans les trois décisions relatives à l'exclusion des élèves de confession sikhe, le Conseil
d'État a confirmé le raisonnement de la cour administrative d'appel de Paris qui avait estimé que
ceux-ci, en arborant un sous-turban (« keshi »), avaient manifesté ostensiblement leur
appartenance à cette religion. Peu importe donc que ce sous-turban ne soit pas en lui-même un
signe religieux mais serve tout simplement, comme le turban lui-même, à cacher et protéger les
cheveux qui ont une valeur sacrée aux yeux des Sikhs.
20. - Le sikhisme a été fondé au Pendjab par le gourou Nanak, qui est né en 1469 et est mort en
1539. Bien qu'empruntant certains éléments à l'islam et à l'hindouisme, cette religion
monothéiste a développé une spiritualité originale. Son principal lieu saint est le Temple d'or
d'Amritsar où est révéré le livre sacré des Sikhs appelé Gourou Granth. Environ vingt-trois
millions de ses adeptes vivent en Inde. Les Sikhs sont aisément identifiables au moins à deux
titres : d'une part, du fait de leur identité puisqu'ils accolent toujours à leur patronyme le nom
« Singh » qui signifie « lion » en Pendjabi ; d'autre part, à raison de leur apparence physique
caractéristique. En effet, ils s'abstiennent pour des motifs religieux de se raser la barbe et de se
couper les cheveux et l'abondante pilosité qui en résulte est enserrée dans un turban arboré en
permanence. C'est donc essentiellement ce turban qui manifeste leur appartenance à la religion
sikhe et il faut d'ailleurs souligner que le port des cet accessoire n'a été introduit dans cette
religion qu'au XVIIème siècle, soit deux siècles après sa créationNote 28. Si donc le turban sikh
peut à la rigueur être considéré comme un signe religieux, il est difficile d'adopter le même
raisonnement pour le sous-turban qui permet tout simplement aux personnes de religion sikhe
de cacher leurs cheveux et c'est ici également que se manifeste le caractère extensif de la
prohibition issue de la loi du 15 mars 2004 qui inclut tous les signes manifestant ostensiblement
une appartenance religieuse et non seulement les signes religieux.
21. - La rédaction adoptée par cette loi manifeste ainsi non seulement une objectivation mais
aussi une extension de la prohibition des manifestations religieuses à l'école. En effet, elle
permet d'exclure des élèves qui n'ont fait preuve d'aucun prosélytisme, sur la seule constatation
que les signes qu'ils portent peuvent être objectivement interprétés et reconnus comme
manifestant leur appartenance religieuse et ne s'embarrasse nullement de la notion de signe
religieux, beaucoup plus restrictive et délicate puisqu'elle se limite à quelques éléments et
nécessite, en outre, une connaissance précise de chaque religion pour déterminer si le signe en
cause est bien un signe de la religion de l'élève.
22. - Par ailleurs, les décisions du 5 décembre 2007 confirment le caractère limité de la notion
de signe discret et l'interprétation restrictive qui en est faite par le juge. Sans aller jusqu'à faire
du signe discret un signe caché ou non visible, elles indiquent clairement que cette catégorie ne
saurait comprendre des signes qui sont visibles par tous et, si l'on peut dire, de loin. L'on peut,
en effet, estimer que le signe discret est celui que l'on ne peut remarquer qu'avec une
particulière attention, ce qui exige une attitude active de la part des autres élèves, alors que le
signe manifestant une appartenance religieuse est le signe qui s'impose au regard et que l'on voit
de manière passive, que l'on subit même, bref un signe que l'on ne peut pas ne pas voir. D'une
certaine manière, ce sont là l'intention et l'objet essentiels de la loi du 15 mars 2004 : empêcher
les élèves d'imposer aux autres la vision de leur appartenance religieuse et des signes concrets
qui la manifestent.
23. - Le déséquilibre est donc grand entre ce qui est permis et ce qui est interdit. En effet, ce qui
est permis, ce sont, d'après la circulaire du 18 mai 2004, « les signes religieux discrets », et non
les signes manifestant « discrètement » une appartenance religieuse, alors que ce qui est interdit
ce sont les signes manifestant ostensiblement une appartenance religieuse. Les deux notions ne
se situent donc pas sur le même plan puisque alors que l'autorisation porte sur des signes
religieux, l'interdiction porte sur des signes qui ne le sont pas forcément en eux-mêmes.
L'autorisation nécessite ainsi, comme sous l'empire de la jurisprudence issue de l'avis du
27 novembre 1989, de connaître et de reconnaître les signes religieux, lesquels sont en nombre
plus limité (la circulaire cite ainsi une petite croix, une médaille de dimension modeste, une
étoile de David ou une main de Fatima) que les signes manifestant ostensiblement une
appartenance religieuse. Surtout, la distinction faite entre signes discrets autorisés et signes
manifestant ostensiblement une appartenance religieuse prohibés ne nous paraît guère cohérente
au regard de la définition de ces derniers signes qu'a donnée la circulaire du 18 mai 2004. En
effet, si ces signes sont « ceux dont le port conduit à se faire immédiatement reconnaître par son
appartenance religieuse », la même définition peut dans certains cas s'appliquer aux signes
discrets : un élève qui porte une chaîne soutenant une croix, une étoile de David ou une main de
Fatima n'est-il pas immédiatement reconnu par les autres élèves, en raison de ce signe, comme
chrétien, juif ou musulman ? L'on voit ici que l'adverbe immédiatement n'est guère opérant pour
distinguer les signes discrets des signes manifestant ostensiblement une appartenance
religieuse. En effet, si le signe est discret, c'est qu'il est visible, même si c'est seulement de
près ; or, la seule vision d'une croix ou d'une étoile de David permet aux autres élèves de
constater l'appartenance de l'élève qui la porte à la religion chrétienne ou juive, étant souligné
que les élèves ont une connaissance des signes manifestant l'appartenance à ces religions
beaucoup plus sûre que celle des signes manifestant l'appartenance à la religion sikhe. Le signe
discret conduit donc souvent à se faire « immédiatement reconnaître par son appartenance
religieuse », même si, en raison de sa petite taille, c'est seulement par un petit nombre d'élèves.
L'on voit donc à nouveau que la loi du 15 mars 2004, dans sa volonté de bannir des
établissements scolaires toute manifestation religieuse un tant soit peu visible, et que la
circulaire du 18 mai 2004, dans sa volonté de donner une interprétation encore plus extensive
au champ d'application de la loi, permettent en fait d'interdire tout signe ayant une valeur et une
signification religieuses, qu'il s'agisse de signes religieux en eux-mêmes ou de signes
conduisant à reconnaître une appartenance religieuse. Pour le dire brutalement, nous ne voyons
pas ce qui, en droit, pourrait faire obstacle à l'interdiction du port d'une étoile de David ou d'une
croix chrétienne autour du cou (dans le cas bien sûr où ces signes seraient apparents et ne
seraient pas cachés sous des vêtements) au motif que ces signes conduisent à identifier
immédiatement l'élève chrétien et l'élève juif. Faut-il alors estimer que la loi du 15 mars 2004 a
plutôt entendu distinguer les signes qui permettent de déterminer immédiatement une
appartenance religieuse, même de loin et donc aux yeux de tous, et les signes qui permettent de
déterminer immédiatement une appartenance religieuse mais seulement de près et donc aux
yeux de quelques-uns (c'est-à-dire les signes discrets) ? Seules de nouvelles décisions du
Conseil d'État permettront de le savoir mais l'on voit en tout cas que l'application de l'article L.
141-5-1 du Code de l'éducation obligera probablement la Haute juridiction à poursuivre son
interprétation constructive de ces dispositions et qu'il y a donc ici matière à contentieux.
24. - L'on peut ainsi imaginer qu'un élève portant un vêtementNote 29 sur lequel sont inscrits des
paroles, signes ou dessins à caractère religieux qui comporte lui-même une référence religieuse
non équivoque manifeste ainsi ostensiblement son appartenance religieuse et peut donc faire
l'objet d'une mesure de sanction pouvant aller jusqu'à l'exclusion définitive. Songeons, par
exemple, à des vêtements sur lesquels seraient inscrits des versets du Coran ou de la Bible ou
sur lesquels seraient dessinés un croissant, une grande croix ou une étoile de David, songeons
également à des vêtements sur lesquels seraient inscrits des paroles d'interpellation du type
« Jesus loves you » ou des paroles du type « Allah Akhbar ». Comment enfin ne pas assimiler à
un signe manifestant ostensiblement une appartenance religieuse un vêtement sur lequel
figurerait la photographie d'un dignitaire religieux connu de tousNote 30. C'est ainsi qu'une
imagination moyennement fertile démontre aisément le caractère très extensif de la prohibition
instaurée par la loi du 15 mars 2004 et que c'est au fond toute référence religieuse que bannit
cette loi.
2° La confirmation du caractère en principe objectif de l'interdiction posée par la loi du
15 mars 2004
25. - Dans les trois décisions du 5 décembre 2007 relatives aux élèves de religion sikhe, le
Conseil d'État indique que ceux-ci, « par le seul port de ce signe » (le sous-turban), ont
manifesté ostensiblement leur appartenance à cette religion. Peu importe donc l'intention
(prosélyte ou non) ou le comportement (absentéisme ou au contraire assiduité, attitude
revendicative ou non) de ces élèves, l'Administration étant ainsi exonérée de la nécessité
d'entrer dans leur subjectivité. Le travail des chefs d'établissement est donc bien facilité. Dans
ses conclusions sous l'un des arrêts de la cour administrative d'appel de Paris qui a été confirmé
par le Conseil d'État le 5 décembre 2007, le commissaire du gouvernement Bruno Bachini
estimait que les élèves concernés, « en se présentant à l'école coiffés de sous-turbans sikhs,
immédiatement identifiables et dont la connotation religieuse est connue de tous, [avaient] fait
clairement apparaître leur appartenance confessionnelle à tous les autres élèves ainsi qu'au
personnel du lycée ». L'on voit donc que le signe manifestant ostensiblement une appartenance
religieuse est celui qui s'impose au regard et à la raison puisque sa signification religieuse ne
doit pas être équivoque.
26. - Les trois décisions du 5 décembre 2007 relatives aux élèves de religion sikhe sont
importantes en ce qu'elles démontrent la visée générale de la prohibition instaurée par la loi du
15 mars 2004 qui sera désormais moins suspectéeNote 31 d'être essentiellement dirigée contre le
port du foulard par les élèves de religion musulmane. Il s'agit en effet des premières décisions
du Conseil d'État relatives aux élèves de religion sikhe.
L'on peut cependant émettre des réserves sur le caractère extensif accordée par la jurisprudence
administrative à la loi du 15 mars 2004. Il nous semble, en effet, excessif de considérer que tous
les élèves et tous les personnels des écoles, collèges et lycées concernés reconnaissent un élève
de religion sikhe au seul port par celui-ci d'un sous-turban. Il est très vraisemblable que de
nombreux élèves et personnels sont tout à fait incapables d'identifier un Sikh (car il s'agit bien
de cela) à ce seul signe et l'on (le juge) prête donc à l'élève et à l'agent de l'Éducation nationale
moyens une culture religieuse bien vaste. Soulignons à cet égard que les décisions du Conseil
d'État indiquent bien qu'à chaque fois l'élève exclu a manifesté « son » appartenance religieuse
et non « une » appartenance religieuse, ce qui signifie selon nous que l'Administration doit, tout
de même, connaître ou déterminer la religion de l'élève avant de décider si le signe qu'il porte
manifeste son appartenance à sa religion. En d'autres termes, l'Administration ne saurait
reprocher à un élève chrétien de porter un sous-turban puisque ce faisant cet élève ne manifeste
pas « son » appartenance religieuse. L'Administration est ici (et c'est encore une hypothèse
d'école) sur un terrain difficile car comment, autrement que par la couleur de la peau,
déterminer si l'élève en cause appartient ou non à la communauté et à la religion sikhes avant de
décider, si tel est le cas, que le port par celui-ci d'un sous-turban manifeste ostensiblement son
appartenance à cette religion ?
27. - Cette remarque oblige donc à relativiser le caractère objectif de l'interdiction posée par la
loi de 2004. En effet, ce caractère n'empêche pas l'Administration d'avoir à porter son
appréciation subjective, non seulement, sur la réalité de l'appartenance religieuse de tel ou tel
élève, mais encore, sur la manière dont les signes qu'ils arborent sont reçus, vus et compris par
les autres élèves et les personnels. En d'autres termes, pour décider si un signe manifeste
ostensiblement, c'est-à-dire aux yeux de ces derniers, une appartenance religieuse,
l'Administration doit projeter sur eux ce qu'elle connaît et comprend de ces signes et donc sa
propre perception de ceux-ci. Pour le dire brutalement, le signe qui manifeste ostensiblement
une appartenance religieuse est en fait le signe que l'Administration perçoit comme tel.
Paradoxalement, le caractère objectif de l'interdiction posée par la loi du 15 mars 2004 permet
ainsi de renforcer le caractère subjectif de l'appréciation portée par l'Administration scolaire.
2. Tout en y ajoutant un élément subjectif caractérisé par le comportement de l'élève
A. - La circulaire du 18 mai 2004 a ajouté à la loi du 15 mars 2004 en créant la catégorie
des signes qui manifestent subjectivement (et ostensiblement) une appartenance religieuse
1° Un ajout contestable...
28. - La circulaire du 18 mai 2004 a ajouté à la loi du 15 mars 2004, qu'elle devait pourtant se
borner à commenter, en indiquant que cette loi « interdit à un élève de se prévaloir du caractère
religieux qu'il y attacherait, par exemple, pour refuser de se conformer aux règles applicables à
la tenue des élèves dans l'établissement » (pt. 2-1 in fine). Il faut ainsi distinguer deux
catégories de signes religieux ostensibles qui sont, l'une comme l'autre, prohibées à l'école. La
première est constituée des signes qui manifestement objectivement (et ostensiblement) une
appartenance religieuse : dans un article commentant la circulaire du 18 mai 2004Note 32, Olivier
Dord parle de « signes ostensibles par nature » mais cette expression synthétique masque le fait
que la loi du 15 mars 2004 prohibe, non pas le port des signes religieux, mais le port de signes
manifestant une appartenance religieuse, cette seconde catégorie nous semblant plus large que
la première. Les signes qui manifestent objectivement (et ostensiblement) une appartenance
religieuse sont les tenues ou simples accessoires qui sont portés pour souligner de façon
objective l'appartenance d'un élève à une confession particulière. Le foulard islamique, la kippa
ou une croix de taille respectable représentent ainsi, par nature, l'expression d'une conviction
religieuse. La circulaire du 18 mai 2004 ajoute à cette première catégorie une seconde catégorie
bien plus subtile : il s'agit des signes qui manifestent subjectivement (et ostensiblement) une
appartenance religieuse, que Olivier Dord appelle les « signes ostensibles par destination ». Ces
signes ne sont pas, par nature, des signes confessionnels. Ils le deviennent néanmoins lorsque
l'élève les arbore en leur conférant, de façon subjective, une signification religieuse et en faisant
la marque substitutive de son appartenance confessionnelle. L'ajout effectué par la circulaire est
en fait destiné à répondre aux tentatives de contournement de la loi et, notamment, à celle qui
consiste à substituer à un voile islamique un bandana qui devient alors, en raison de la
signification et de l'importance que l'élève y attache, un signe religieux manifestant
subjectivement (et ostensiblement) une appartenance religieuse, dont le port est prohibé par la
loi du 15 mars 2004. Cette extension du champ de la catégorie des signes manifestant
ostensiblement une appartenance religieuse conduit en fait l'Administration à opérer, de façon
très subjective, son travail de qualification juridique des faits dans une matière où le principe de
laïcité lui interdit habituellement d'intervenir.
29. - Il lui revient ainsi d'opérer cette qualification à partir de ce qu'elle croit reconnaître comme
intention dans le port par un élève d'un signe vestimentaire anodin auquel celui-ci (ou celle-ci)
attacherait une valeur religieuse. Ce subjectivisme est doublement choquant. En effet, et tout
d'abord, il n'appartient pas, selon nous, à une Administration soumise au principe de neutralité
du service public de déterminer si telle tenue ou tel accessoire constitue ou non un signe
religieux ostensible. Dans la pratique, ensuite, se pose la question des critères utilisés pour
opérer la qualification juridique. Comment le chef d'établissement pourra-t-il déterminer si le
port d'un signe, a priori non marqué religieusement, constitue en réalité une manifestation
subjective (et ostensible) d'appartenance religieuse sinon en se fondant notamment sur des
indices aussi contestables que le faciès ou la couleur de la peau ? Entre une élève blonde portant
un bandana dans les cheveux et une élève d'origine maghrébine coiffée du même bandana, l'on
voit aisément laquelle des deux retiendra immédiatement l'attention de l'Administration.
2° ... pourtant validé par les décisions du 5 décembre 2007
30. - Dans les quatre décisions du 5 décembre 2007, le Conseil d'État, dans le considérant de
principe, a indiqué qu'étaient interdits non seulement les signes « dont le port, par lui-même,
manifeste ostensiblement une appartenance religieuse »Note 33 mais encore les signes « dont le
port ne manifeste une appartenance religieuse qu'en raison du comportement de l'élève ». Cette
seconde catégorie est illustrée par le bandana porté par une élève musulmane qui fait l'objet de
la décision n° 295671. En effet, dans cette décision, le Conseil d'État relève que l'élève en cause
et sa famille ont « persisté avec intransigeance dans leur refus » de renoncer au port permanent
du bandana. Nous sommes donc ici à nouveau (et cela rejoint la jurisprudence issue de l'avis du
27 novembre 1989) dans l'appréciation de l'intention et du comportement de l'élève dont l'on
sanctionne alors le prosélytisme ou du moins l'attitude revendicative et délibérément antilaïque. Le Conseil d'État confirme, en effet, l'arrêt de la cour administrative d'appel de Nancy
du 24 mai 2006 qui avait également insisté sur cette volonté de la part de l'élève et de sa famille
de revendiquer, par le port du bandana, l'appartenance à la religieuse musulmane. Dans cet arrêt
en effet, la cour avait relevé que l'élève, qui s'était d'abord présentée dans l'enceinte de
l'établissement « avec un large foulard lui recouvrant entièrement la tête et les épaules » qui
« revêtait par lui-même une connotation religieuse », avait substitué à ce foulard « un carré de
tissu de type bandana » et avait « constamment réaffirmé son intention de ne pas se départir de
son foulard ou de l'accessoire en tenant lieu ». C'est dire que la catégorie des signes religieux
manifestant subjectivement (et ostensiblement) une appartenance religieuse concerne tout
particulièrement les hypothèses dans lesquels le signe qui est arboré apparaît clairement comme
le substitut d'un signe manifestant objectivement (et ostensiblement) une appartenance
religieuse et c'est en fait l'appréciation du comportement de l'élève qui permet de déterminer si
l'on est confronté à un tel signe de substitution. Cela signifie donc que l'on ne saurait reprocher
à une élève qui n'est pas de confession musulmane et qui n'a donc jamais porté de voile ou de
foulard islamique le port d'un bandana.
Dans un jugement du 7 juin 2005Note 34, le tribunal administratif de Caen avait d'ailleurs déjà
validé l'exclusion d'une élève musulmane qui avait substitué à son voile noir un « bonnet noir
brodé » puis un « bonnet noir en laine » en considérant que le port permanent de ce bonnet avait
fait de cet objet « la marque substitutive et la manifestation ostensible de son appartenance à la
religion musulmane ».
31. - On voit donc ici, que le juge administratif est amené à nouveau à entrer dans la
subjectivité de l'élève afin de déterminer si celui-ci, en arborant un signe n'ayant a priori rien de
religieux, ne cherche pas à contourner l'interdiction posée par la loi du 15 mars 2004.
Soulignons toutefois, que si le Conseil d'État a ainsi effectué un retour à l'analyse subjective
prônée par l'avis de 1989 et a donc validé l'ajout effectué par la circulaire du 18 mai 2004Note 35,
cela a pour conséquence non pas de limiter l'interdiction des signes religieux aux seuls élèves
dont l'intention ou le comportement contreviennent à la laïcité, mais d'étendre considérablement
la latitude d'action de l'Administration scolaire et donc le champ d'application de cette
interdiction. En effet, à la catégorie des signes dont la connotation religieuse est comprise ou
perçue par autrui (les autres élèves) s'ajoute désormais la catégorie des signes dont la
connotation religieuse n'est pas connue d'autrui mais est seulement affirmée et manifestée par
ceux qui les portent. Précisons, toutefois, qu'il ne s'agit pas pour l'Administration de demander à
l'élève, pour le sanctionner ou non, s'il attribue une valeur et un sens religieux à tel ou tel signe
mais de le déterminer à partir du comportement de cet élève. C'est dire que le signe qui
manifeste ostensiblement une appartenance religieuse en raison du comportement de l'élève a
pour particularité d'être un signe religieux subjectif ou personnel, et non objectif ou anonyme,
dont le caractère subjectif et personnel est décidé par l'Administration et in fine le juge
administratif.
Dans ses conclusions sous les décisions du 5 décembre 2007, le commissaire du gouvernement
Rémi Keller a tenté de fonder l'adoption de cette nouvelle catégorie de signes prohibés sur les
travaux préparatoires de la loi du 15 mars 2004. Rémi Keller relève ainsi que « la question du
bandana, en effet, a été abordée à plusieurs reprises par les parlementaires » avant de souligner
que dans son rapport fait devant l'Assemblée nationale, Pascal Clément estimait que les chefs
d'établissement devraient déterminer « si les jeunes filles (...) portent [le bandana] pour des
motifs religieux », l'interdiction se justifiant en cas de réponse affirmative. Selon Rémi Keller
donc, « le législateur a entendu interdire non seulement les signes religieux par eux-mêmes – à
l'exception des signes discrets – mais également ceux dont le caractère religieux se déduira du
comportement de l'élève ».
32. - Cette position ne nous convainc pas. Relevons d'abord que les décisions du 5 décembre
2007 n'ont nullement fait mention des travaux préparatoires de la loi du 15 mars 2004 alors que
le Conseil d'État n'hésite pas à le faire lorsque c'est nécessaire. Dans son considérant de
principe, le Conseil d'État se réfère simplement à « ces dispositions », à savoir les dispositions
de l'article L. 141-5-1 du Code de l'éducation issu de la loi du 15 mars 2004, et non à « ces
dispositions, telles qu'éclairées par les travaux préparatoires de la loi du 15 mars 2004 ».
Surtout, il nous semble pour le moins « constructif » d'estimer, au vu de ses travaux
préparatoires, que la loi du 15 mars 2004 a entendu prohiber deux types de signes religieux
alors que sa rédaction définitive n'en évoque qu'un seul. Soulignons à cet égard qu'en général le
recours aux travaux préparatoires est destiné à éclairer un point obscur de la loi dans sa
rédaction définitive, c'est-à-dire quelque chose qui figure déjà dans la loi même si c'est sous une
forme peu claire, et non à faire entrer dans le champ d'application de cette loi une prescription
(et en l'espèce une prohibition) qui n'y figure en aucune manière. Si donc les travaux
préparatoires de la loi du 15 mars 2004 peuvent être convoqués pour éclairer la notion de signes
manifestant ostensiblement une appartenance religieuse, qui est la seule notion retenue par le
législateur, ils ne sauraient servir d'alibi pour ajouter à cette notion une notion nouvelle.
Soulignons enfin que l'on ne peut souscrire à l'affirmation selon laquelle « le législateur a
entendu interdire (...) les signes religieux par eux-mêmes – à l'exception des signes discrets –
(...) » dans la mesure où, nous l'avons vu, la loi ne prohibe pas les signes religieux mais les
signes manifestant une appartenance religieuse, catégorie plus large et plus indéterminée aussi,
ce qui a permis en l'espèce au Conseil d'État de ne pas s'attarder sur le caractère religieux ou
non du sous-turban sikh puisqu'il fallait seulement déterminer si le port de ce sous-turban
conduisait à les faire reconnaître immédiatement par les autres élèves comme des personnes de
religion sikhe, ce à quoi le Conseil a répondu par l'affirmative (dans ses conclusions,
Rémi Keller relève d'ailleurs opportunément que les requérants ont eux-mêmes indiqué que « le
port d'un sous-turban par un jeune garçon ou un homme conduit immédiatement à le faire
reconnaître comme ayant la qualité de sikh »). Il n'y a donc pas, parmi les signes prohibés, d'un
côté les signes religieux et de l'autre les signes non-religieux qui le deviennent par la valeur
religieuse que leur accordent ceux qui les arborent mais il y a les signes manifestant
ostensiblement une appartenance religieuse en eux-mêmes et les signes manifestant
ostensiblement une appartenance religieuse en raison de la valeur que leur confèrent les élèves.
33. - Au total, le Conseil d'État nous semble donc bien avoir ajouté à la loi du 15 mars 2004
(comme l'avait déjà fait la circulaire d'interprétation de cette loi) en créant une seconde
catégorie de signes prohibés à côté de la seule catégorie qu'avait retenue, pour l'interdire, le
législateur. Le paravent des travaux préparatoires de la loi ne doit donc pas masquer ou justifier
cet ajout.
B. - Une extension considérable de la marge d'appréciation de l'Administration qui pose
problème
1° Une extension considérable de la marge d'appréciation de l'Administration
34. - En pratique, la marge d'appréciation de l'Administration trouvera à s'exercer dans deux
domaines en particulier. Il lui faudra, tout d'abord, distinguer les signes ou tenues manifestant
ostensiblement une appartenance religieuse de ceux qui n'en expriment aucune : à cet égard,
l'ajout par la jurisprudence, dans la catégorie des signes prohibés, des signes manifestant
subjectivement (et ostensiblement) une appartenance religieuse contraindra l'Administration à
exercer un contrôle beaucoup plus étroit sur les traditions et confessions des élèves Note 36 ainsi
que sur leurs attitudes.
35. - A cet égard, il n'est pas exclu que l'Administration scolaire doive prochainement se
pencher non plus seulement sur la signification religieuse des signes matériels (c'est-à-dire sur
des objets) mais aussi sur la signification religieuse des signes physiques. En effet, l'on pourrait
envisager que le port de la barbe puisse dans certains cas manifester ostensiblement une
appartenance religieuse (essentiellement à la religion musulmane) puisqu'un tel signe ne saurait
être assimilé à un signe discret autorisé par l'article L. 145-5-1.
36. - Plus généralement, la notion de signes dont le port manifeste ostensiblement une
appartenance religieuse en raison du comportement de l'élève conduira à une extension de la
notion de signes d'appartenance religieuse dont le port est prohibé et à une extension du
contrôle de l'Administration sur les attitudes et les motivations des élèves. Ainsi, l'on peut
estimer que l'Administration pourra de cette manière interdire aux élèves d'arborer des tenues
dont la signification est culturelle avant d'être religieuse : que l'on songe par exemple à l'abaya
(longue robe noire) portée par les femmes musulmanes ou encore aux tenues traditionnelles
portées par les Sikhs. La solution retenue par le Conseil d'État est donc extrême dans la mesure
où elle offre à l'Administration la possibilité d'interdire le port de vêtements traditionnels dès
lors que l'élève leur accorde une signification religieuse. À cet égard, l'Administration sera, en
outre, contrainte d'entrer dans la subjectivité de l'élève afin de déterminer si, pour lui et selon
son comportement, le port de tel ou tel signe ou tel ou tel vêtement manifeste ostensiblement
une appartenance religieuse. L'on ne peut ainsi imaginer qu'une élève non musulmane mais
chrétienne (ou du moins de tradition chrétienne) portant un bandana puisse faire l'objet d'une
sanction pour avoir ostensiblement manifesté son appartenance religieuse. Cela signifie donc
que, dans le raisonnement qu'elle doit tenir, l'Administration doit d'abord déterminer quelle est
la religion (ou la tradition religieuse) à laquelle se rattache l'élève avant de décider si son
appartenance religieuse est ostensiblement manifestée par le port du bandana.
37. - Il y a là, selon nous, un certain reniement de la neutralité du service public afin,
paradoxalement, d'assurer un meilleur respect de la laïcité. S'agissant à nouveau des signes
manifestant subjectivement (et ostensiblement) une appartenance religieuse, la circulaire du
18 mai 2004, en créant cette catégorie, et les décisions du Conseil d'État du 5 décembre 2007,
en validant cet ajout, contraignent l'Administration à entrer dans l'appréciation subjective des
convictions religieuses des élèves et de leurs intentions en matière vestimentaire. Il s'agit bien
d'une atteinte à la neutralité confessionnelle du service public de l'enseignement et de ces
agents. Plus largement, la nouvelle législation implique que l'Administration s'engage dans la
délicate question consistant à déterminer ce qu'est un signe religieux ou plus précisément ce
qu'est un signe d'appartenance religieuse. Dans la pratique, en effet, le chef d'établissement
devra d'abord s'interroger sur le point de savoir si un signe manifeste une appartenance
religieuse avant de se demander si le port par un élève de ce signe manifeste son appartenance
religieuse puis de décider, si c'est le cas, s'il est assez discret pour être autorisé. On peut douter
qu'il appartienne à une Administration laïque d'entrer dans ce type de considération alors que la
loi de 1905 sur la séparation des églises et de l'État indique que la République « ne reconnaît
(...) aucun culte ». L'on arrive ainsi à une situation dans laquelle la République, pour continuer
d'ignorer les appartenances religieuses du moins dans les établissements scolaires, doit les
identifier toutes à seule fin de les interdire.
2° Une interprétation extensive de la prohibition instaurée par la loi du 15 mars 2004 dont
la conformité à la Convention européenne des droits de l'homme n'est guère évidente
38. - L'extension de la marge d'appréciation de l'Administration posera, d'abord, problème à
l'Administration elle-même puisqu'elle va la contraindre à entrer de plain-pied dans
l'interprétation des signes arborés par les élèves et dans la qualification, religieuse ou non, qu'il
faut leur accorder.
En outre et surtout, la compatibilité des décisions rendues par le Conseil d'État avec les
stipulations de l'article 9 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et
des libertés fondamentales telles qu'interprétées par la jurisprudence de la Cour européenne des
droits de l'homme est loin d'être évidente. En effet, même si la Cour européenne des droits de
l'homme a, dans l'affaire « Leyla Sahin c/ Turquie »Note 37, confirmé que les États disposent
d'une marge de manoeuvre pour appliquer ces stipulations et qu'en l'espèce le caractère laïc de
l'État turc comme les menaces islamistes auxquelles il devait faire face légitimaient
l'interdiction du port du foulard islamique à l'université, cette décision est essentiellement
fondée sur le contexte national turc. Or, si la laïcité est un principe traditionnel de la République
française, le caractère extensif de l'interdiction posée par l'article L. 141-5-1Note 38 semble
disproportionné eu égard à la valeur de ce principe et à la teneur des menaces qui pèseraient sur
la société française s'il n'était pas appliqué aussi strictement. En effet, alors qu'en Turquie est
interdit le port d'un signe religieux en raison des menaces que font peser sur la société laïque les
tenants d'une interprétation rigoriste de l'islam, ce sont tous les signes d'appartenance religieuse
et, non seulement, comme en Turquie, les signes revendiqués par les « ennemis de la laïcité »,
qui sont interdits. En outre, la notion de signes ostensibles, ou plus exactement de signes
manifestant ostensiblement une appartenance religieuse, conduit quasiment à prohiber le port de
tous les signes visibles par les autres élèves, la catégorie des signes discrets étant très limitée.
39. - Commentant la décision du Conseil d'État rejetant le recours pour excès de pouvoir formé
contre la circulaire du 18 mai 2004, décision sur laquelle s'est explicitement appuyé le
commissaire du gouvernement dans ses conclusions sous les décisions du 5 décembre 2007
pour écarter le moyen tiré de la violation de l'article 9 Convention européenne des droits de
l'homme et des libertés fondamentales, Frédéric Rolin relevait ainsi à juste titre que le Conseil
avait écarté tous les éléments de contexte sur lesquels s'était fondée la Cour européenne des
droits de l'homme pour adopter une motivation purement abstraiteNote 39 qui ne faisait aucune
place aux éléments de fait. Selon lui, une telle « extrapolation de l'arrêt de la Cour (...) apparaît
extrêmement contestable, tant est dénaturée la portée de la solution rendue par l'instance
européenne et qui, on doit le souligner nettement, ne peut valoir que pour la Turquie » et
d'ajouter que « la seule solution acceptable, pour parvenir, éventuellement, à la même solution,
aurait consisté pour le Conseil d'État à démontrer en quoi, dans le contexte particulier français,
il existait une ou plusieurs justifications à cette restriction : comment et dans quelle mesure le
port de signes religieux menaçait par principe la laïcité « à la française », quels risques
l'acceptation de tels signes faisait courir à nos droits constitutionnellement garantis »Note 40.
L'absence de justification à cette défense acharnée du principe de laïcité dans sa version
négative (interdiction de toute manifestation ostensible d'appartenance religieuse) souligne en
fait l'absence de consensus politique et social qui règne aujourd'hui en la matière (la loi en
cause ayant été adoptée sous la précédente présidence) et le malaise du juge administratif
contraint, pour appliquer la loi du 15 mars 2004, de renoncer à la position équilibrée et libérale
(pour les religions) qu'il avait adoptée dans les années 90.
40. - De manière générale, l'on voit mal ce qui peut légitimer la prohibition instaurée par la loi
du 15 mars 2004 au regard des stipulations de l'article 9 de la Convention européenne des droits
de l'homme et des libertés fondamentales qui garantissent l'exercice de la liberté religieuse.
Rappelons en effet qu'aux termes de cet article : « 1. Toute personne a droit à la liberté de
pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique (...) la liberté de manifester sa religion
ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte,
l'enseignement, les pratiques et l'accomplissement des rites / 2. La liberté de manifester sa
religion ou ses convictions ne peut faire l'objet d'autres restrictions que celles qui, prévues par
la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité
publique, à la protection de l'ordre, de la santé ou de la morale publiques, ou à la protection
des droits et libertés d'autrui ». Selon l'article 9 de la Convention, la liberté religieuse ne
confère donc pas aux fidèles d'un culte des droits absolus et illimités car la jouissance de ces
droits peut faire l'objet de restrictions lorsqu'elles constituent des mesures nécessaires dans une
société démocratique à la sécurité publique ou à la protection de l'ordre public. Cet article a
donné lieu à plusieurs arrêts de la Cour concernant le port du voile dans les universités en
Turquie, dont l'arrêt de grande chambre du 10 novembre 2005, Leyla Sahin c/ Turquie, qui a
d'ailleurs retenu une solution fort contestableNote 41.
41. - Quoiqu'il en soit, dans l'arrêt « Leyla Sahin c/ Turquie », la Cour a estimé qu'existait un
rapport raisonnable de proportionnalité entre la mesure prise (interdiction du voile à
l'université : interdiction à laquelle l'État turc vient d'ailleurs de mettre fin) et le but visé
(respect de la laïcité). De manière générale, la Cour juge que l'article 9 ne protège pas tout acte
motivé par la religionNote 42. En ce qui concerne plus précisément les Sikhs, deux arrêts de la
Cour européenne des droits de l'homme ont jugé que certaines mesures conduisant à restreindre
la possibilité de porter un turban ne portaient pas une atteinte excessive aux droits que les
intéressés tirent de la Convention de 1950. Par un arrêt du 12 juillet 1978Note 43, X. c/ RoyaumeUni, la Cour a estimé que l'obligation de porter un casque de moto, justifiée par la protection de
la santé, pouvait être imposée à un Sikh. Par un arrêt du 11 janvier 2005Note 44, Suku Phull c/
France, la Cour a à l'unanimité rejeté comme irrecevable car manifestement infondée la plainte
d'un Sikh contre la décision des services de sécurité d'un aéroport de l'obliger à se défaire de
son turban lors d'un contrôle avant de monter en avion. On voit donc que ces solutions étaient
motivées par la nécessité de protéger la sécurité publique et elles rejoignent d'ailleurs en cela
l'esprit de la jurisprudence administrative française qui considère que le pouvoir réglementaire a
légalement la faculté d'assortir de certaines limitations l'exercice du droit de manifester des
convictions religieuses, dans le but de préserver l'ordre public, celui-ci incluant la protection de
la santéNote 45. De même, le juge administratif, comme la Cour européenne des droits de
l'homme, a estimé que l'impératif d'intérêt général lié à la lutte contre la falsification des
documents d'identité légitimait que fût imposée la production de photos tête nue pour la
délivrance des cartes d'identitéNote 46 ou d'un passeportNote 47. Encore plus récemment, le Conseil
d'État a ainsi rejeté la requête d'une personne de religion sikhe demandant l'annulation de la
circulaire (à caractère impératif) du 6 décembre 2005 qui imposait la production de photos tête
nue pour la délivrance de permis de conduire. Dans cette affaire, le Conseil d'État a considéré
que les dispositions contestées, qui visaient à « limiter les risques de fraude ou de falsification
des permis de conduire, en permettant une identification par le document en cause aussi
certaine que possible de la personne qu'il représente », n'étaient « ni inadaptées ni
disproportionnées » par rapport à l'objectif de protection de la sécurité publique et de l'ordre
public, qui, selon les stipulations de l'article 9 de la Convention européenne des droits de
l'homme et des libertés fondamentales, légitime la limitation de l'exercice de la liberté
religieuseNote 48. Dans ses conclusions, Terry Olson relevait notamment qu'en l'espèce, il ne
s'agissait pas « d'imposer aux personnes attachées au port d'un turban d'y renoncer de manière
définitive ni même répétitive, ni d'ailleurs de les priver de la possibilité d'arborer cet attribut en
public » mais simplement « d'y renoncer le temps très court qui est nécessaire à la prise d'une
photographie ». Toutefois, outre que ce temps très court ne l'est pas tant que cela puisque la
photographie en cause fixe pour de nombreuses années la physionomie de l'intéressé et qu'il
s'agit précisément d'une photographie d'identité qui méconnaît son identité religieuse, la
solution retenue par le Conseil d'État se situe tout à fait dans le cadre des restrictions à
l'exercice de la liberté religieuse autorisées par l'article 9 de la Convention européenne des
droits de l'homme et des libertés fondamentales.
42. - Rien de tel selon nous en ce qui concerne l'article L. 141-5-1 du Code de l'éducation issu
de l'article 1er de la loi du 15 mars 2004 puisque l'interdiction du port de signes manifestant
ostensiblement une appartenance religieuse peut difficilement être légitimée par la protection de
la sécurité publique, de l'ordre, de la santé ou de la morale publiques ou par la protection des
droits et libertés d'autrui : difficile en effet de considérer que le simple port d'un sous-turban
sikh (ou d'un voile islamique) peut porter atteinte à ces différents intérêts. C'est, d'ailleurs, tout
l'objet de cette loi d'édicter une prohibition de principe qui a vocation à s'appliquer même dans
le cas où l'ordre public n'est pas troublé par le port de signes d'appartenance religieuse. En fait,
seule la prohibition des comportements et attitudes prosélytes ou encore des attitudes
revendicativesNote 49 pourrait être considérée comme protectrice de l'ordre (de l'établissement) et
des droits et libertés d'autrui (les autres élèves et les personnels). L'on revient donc à la solution
qu'avait retenue le Conseil d'État dans son avis du 27 novembre 1989.
43. - Il nous semble ainsi que la seule volonté de défendre le principe de laïcité ne suffit pas à
elle seule à légitimer la méconnaissance du droit à l'exercice de la liberté religieuse et donc à
assurer la conventionnalité de l'article L. 141-5-1 du Code de l'éducation. Àcet égard, l'arrêt
rendu par la Cour européenne des droits de l'homme le 10 novembre 2005 dans l'affaire Leyla
Sahin c/ Turquie, s'il a considéré que la défense de ce principe permettait de garantir l'ordre
public et de protéger les droits et libertés d'autrui à l'université, s'est cependant largement fondé
sur le contexte propre à la Turquie, pays dont la grande majorité de la population est
musulmane et dans lequel la laïcité est bien plus qu'en France menacée par des groupes et partis
islamistes. Soulignons, d'ailleurs, que la prohibition édictée par le règlement de l'université Note 50
ne visait que « les étudiantes ayant la “ tête couverte ” (portant le foulard islamique) et les
étudiants portant la barbe (y compris les étudiants étrangers) », c'est-à-dire uniquement les
élèves de religion musulmane, ce qui était tout à fait cohérent avec la volonté de lutter contre
les tentatives d'islamisation de la vie universitaire. La jurisprudence de la Cour européenne des
droits de l'homme est ainsi particulièrement vigilante ou sévère en ce qui concerne la religion
musulmane, la Cour ayant déjà estimé qu'il existait une « incompatibilité de la Charia avec les
principes fondamentaux de la démocratie, tels qu'ils résultent de la Convention »Note 51. C'est
dire que, là encore, la défense du principe de laïcité ne justifie des restrictions à l'exercice de la
liberté religieuse que lorsqu'il s'agit de lutter contre les prescriptions coraniques qui,
précisément, selon la Cour, ignorent la distinction entre le pouvoir temporel et le pouvoir
spirituel et sont ainsi directement anti-laïques.
Dans le célèbre arrêt Kokkinakis c/ GrèceNote 52, la Cour européenne des droits de l'homme a en
revanche indiqué que si la liberté religieuse relevait d'abord du for intérieur, elle impliquait de
surcroît, notamment, celle de « manifester sa religion », y compris le droit d'essayer de
convaincre son prochain, par exemple au moyen d'un « enseignement ». L'article 9 ne s'efface
donc que lorsque l'on se trouve en présence d'un prosélytisme de mauvais aloi, tel qu'une
activité offrant des avantages matériels ou sociaux ou l'exercice d'une pression abusive en vue
d'obtenir des adhésions à une EgliseNote 53.
Au total, la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme est donc assez proche
de l'ancienne jurisprudence du Conseil d'État issue de l'avis du 27 novembre 1989 : les
restrictions à la liberté religieuse ne sont en effet justifiées que lorsqu'il s'agit de protéger l'ordre
public (en général) et de lutter contre des comportements excessivement prosélytes. Par ailleurs,
la solution rendue par la Cour dans l'affaire Leyla Sahin c/ Turquie, propre à la Turquie et à la
religion musulmane, paraît difficilement transposable à un pays tel que la France qui, bien qu'il
attache une grande importance au principe de laïcité, ne peut guère justifier de l'existence d'une
véritable menace contre ce principe. En ce qu'il vise toutes les religions et en ce qu'il n'est
nullement motivé par une quelconque menace qui proviendrait d'une interprétation
fondamentaliste de l'islam ou d'une autre religion, l'article L. 141-5-1 du Code de l'éducation ne
nous semble pas conforme à l'article 9 de la Convention européenne des droits de l'homme et
des libertés fondamentales.
3. Conclusion
44. - Les décisions rendues par le Conseil d'État le 5 décembre 2007, qui constituent les
premières décisions rendues par la Haute assemblée depuis l'entrée en vigueur de la loi du
15 mars 2004, permettent d'abord opportunément d'enlever à cette loi le caractère de loi antiislam que certains avaient tenté de lui prêter lorsqu'elle fut adoptée. En effet, ces décisions
visent également des élèves de religion sikhe et l'on relèvera que sera publiée au Recueil, outre
la décision relative à l'élève musulmane, l'une des trois décisionsNote 54 relatives aux élèves de
religion sikhe.
45. - Les décisions rendues par le Conseil d'État le 5 décembre 2007 signalent en revanche la
particularité et, disons-le, l'isolement de la France parmi les autres pays européens puisque
l'interdiction du port des signes manifestant ostensiblement une appartenance religieuse n'a pas
d'équivalent parmi les autres États membres de l'Union européenne : un rapport du Sénat relatif
au port du foulard islamique indiquait ainsi en novembre 2003 que ni la Belgique, les Pays-Bas,
l'Allemagne, la Grande-Bretagne, le Danemark et l'Espagne n'avaient adopté une législation
prohibant le port de ce vêtement par les élèves des établissements d'enseignement primaire et
secondaire (cf. http://www.senat.fr/lc/lc128/lc128_mono.html). Le droit allemand garantit ainsi
aux élèves le droit de porter des signes religieux (les Länder pouvant cependant interdire aux
agents publics le port de tels signes). La plupart des États membres de l'Union européenne
concentrent en fait leur attention sur la nécessité de préserver la neutralité de l'enseignement en
veillant (parfois) à ce que les enseignants n'arborent pas de signes religieux.
Or, non seulement la loi du 15 mars 2004 est particulièrement restrictive en ce qui concerne
l'exercice par les élèves de leur liberté religieuse mais en outre la jurisprudence ajoute à cette
sévérité originelle une interprétation particulièrement extensive, et particulièrement
constructive, de la prohibition posée par la loi puisque le caractère en principe objectif de cette
prohibition est désormais complété par la possibilité pour les chefs d'établissements de traquer
les tentatives de contournement, par substitution de signes, de la loi.
46. - Ce faisant, les décisions du 5 décembre 2007 démontrent que pour appliquer l'interdiction
du port des signes d'appartenance religieuse, l'Administration scolaire est conduite à entrer de
manière toujours plus profonde dans la connaissance et l'analyse des religions et plus
précisément dans l'interprétation des signes, comportements et attitudes religieuses adoptés par
les élèves. C'est ainsi que le caractère objectif et général de cette interdiction impose à
l'Administration, beaucoup plus qu'auparavant, de penser et de connaître les religions des
élèves.
Le religieux n'a donc été « extrait » des élèves que pour être réintroduit dans l'Administration
qui sera amenée à adopter des raisonnements de plus en plus subtils et, il faut bien le dire, de
plus en plus contestables : que l'on songe, par exemple, au bandana qui, porté par une élève de
confession musulmane, sera interdit tandis qu'il sera autorisé pour les autres élèves. Si donc la
religion est chassée de l'école, c'est au prix d'un « investissement religieux » de plus en plus
important de la part de l'Administration scolaire. En bref, si l'espace public scolaire est laïcisé,
l'Administration scolaire est de moins en moins laïque. C'est qu'en effet la loi du 15 mars 2004
marque bien la naissance d'une laïcité négative bien différente de la laïcité-abstention
d'autrefois selon laquelle la République devait ignorer les religions et ne pouvait donc ni les
favoriser ni les désavantager : la laïcité négative au contraire a pour but de refouler l'expression
et les points de vue religieux de l'espace public, il s'agit donc d'une attitude beaucoup plus
combattive et beaucoup plus vindicative envers les religions quelles qu'elles soient, attitude que
justifie la volonté de reconquérir et de relaïciser l'espace public scolaire après que la
jurisprudence libérale des années 90 l'eut ouvert à la liberté religieuse. C'est ainsi que
l'Administration scolaire, sur le fondement de la loi du 15 mars 2004, est aujourd'hui amenée à
traquer les appartenances religieuses des élèves, ce au double sens de ce verbe puisqu'elle
recherche d'abord ces appartenances (ce qui suppose une certaine connaissance des religions et
des manières de les exprimer) pour ensuite les chasser hors de l'enceinte scolaire.
De manière plus générale, l'Administration sera probablement confrontée à la difficulté de
tracer la frontière, pour les élèves issus de régions non sécularisées où la culture et la
civilisation sont empreintes de religion, entre les signes qui manifestent une appartenance
culturelle et les signes qui manifestent une appartenance religieuse.
47. - En tout état de cause, la loi du 15 mars 2004 pourra, grâce aux décisions rendues le
5 décembre 2007, continuer de remplir son office qui est de traquer et de bannir toute
expression religieuse dans les établissements scolaires. Il n'est pas sûr, cependant, que la
menace pesant sur le principe de laïcité soit telle qu'elle justifie une position aussi rigide du
législateur, de l'Administration et du juge. Nous sommes loin en tout cas de la « laïcité
positive » qui semble avoir les faveurs de l'actuelle présidence et tout aussi loin de la
jurisprudence libérale et équilibrée des années 90 qui avait permis au Conseil d'État de
promouvoir une approche ouverte de la laïcité et de pacifier durablement les rapports entre
l'Administration laïque et les différentes confessions.
Note 1 CE, 5 déc. 2007, n° 295671, Ghazal : JurisData n° 2007-072808. – CE, 5 déc. 2007,
n° 285394, Singh : JurisData n° 2007-072807. – CE, 5 déc. 2007, n° 285395, Singh : JurisData
n° 2007-072904. – CE, 5 déc. 2007, n° 285396, Singh.Note 2 L. n° 2004-228 : Journal Officiel
17 Mars 2004.Note 3 AJDA 1990 p. 39 note J.-P. C. ; RFD adm. 1990 p. 1 note Rivero ;
GACE, Dalloz, 2ème édition, n° 22.Note 4 CE, 2 nov.1992, n° 130394, M. Kherouaa et Mme
Kachour, M. Balo et Mme Kizic : JurisData n° 1992-047090 ; Rec. CE 1992, p. 389 ; RFD
adm. 1993, p. 112, concl. D. Kessler ; AJDA 1992, p. 790, chron. C. Maugüé et
R. Schwartz.Note 5 Ainsi, à propos du foulard islamique : CE, 20 mai 1996, n° 170342, Min.
Éduc. nat. c/ Ali : JurisData n° 1996-050313 ; Rec. CE 1996, p. 187, concl. Schwartz ; JCP G
1996, IV, 2196, obs. M.-C. Rouault ; AJDA 1996, p. 709, obs. G. Koubi ; RFD adm. 1997,
p. 151, chron. C. Durand-Prinborgne.Note 6 V. CE, 27 nov. 1996, 3 arrêts : JurisData n° 1996050909 : JCP G 1997, II, 22808, note B. Seiller. Note 7 CE, 27 nov. 1996, n° 172686, M. et
Mme Jeouit : JurisData n° 1996-050999.Note 8 CE, 27 nov. 1996, n° 172207, Ligue islamique
du Nord et ép. Chabou et a. : JurisData n° 1996-850620 : ce trouble, en l'espèce caractérisé par
des mouvements de protestation organisés dans l'enceinte de l'établissement, peut également
résulter d'un comportement prosélyte de la part du porteur du signe religieux.Note 9 CE,
27 nov. 1996, n° 170209, Wissaadane : JurisData n° 1996-050998.Note 10 CE, 10 mars 1995,
n° 159981, Ép. Aoukili : JurisData n° 1995-040796 ; AJDA 1995, p. 332.Note 11 Notamment
l'obligation d'assiduité posée par l'article L. 511-1 du Code de l'éducation.Note 12 CE, ass.,
14 avril 1995, n° 157653, Koen : JurisData n° 1995-043358 ; Rec. CE 1995, p. 168 ; AJDA
1995, p. 501, chron. J.-H. Stahl et D. Chauvaux.Note 13 C'est-à-dire moins fondée sur des
principes applicables à tous que sur un examen des circonstances de chaque espèce, ces
circonstances tenant au type d'établissement et de scolarité et à la nature des demandes
« religieuses » de l'élève.Note 14 Cons. const., 19 nov. 2004, n° 2004-505 DC, § 18 : Journal
Officiel 24 Novembre 2004..Note 15 Circ. min. Éduc., 18 mai 2004, relative à la mise en
oeuvre de la loi n° 2004-228 du 15 mars 2004 encadrant, en application du principe de laïcité,
le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges
et lycées publics, pt. 2–1 : Journal Officiel 22 Mai 2004..Note 16 CE, 8 oct. 2004, n° 269077,
Union française pour la cohésion nationale : JurisData n° 2004-067281 ; Rec. CE 2004, p. 367,
concl. R. Keller ; RFD adm. 2004, p. 977, concl. R. Keller ; AJDA 2005, p. 43, note F. Rolin ;
JCP A 2004, 1849, note E. Tawil.Note 17 CE, 2 nov. 1992, préc.Note 18 V. rapp. AN n° 1381,
2004, relatif à l'application du principe de laïcité dans les écoles, collèges et lycées publics,
p. 19 et 21.Note 19 Cass. 1re civ., 21 juin 2005, n° 02-19.831 : JurisData n° 2005-029043, Bull.
civ. 2005, I, n° 271, p. 226.Note 20 Rép. min. n° 99109 : JOAN Q, 12 déc. 2006, p. 12993 ;
JCP A 2006, act. 1138.Note 21 TA Cergy-Pontoise, 21 oct. 2004, n° 407980, Singh : JurisData
n° 2004-047754 ; Procédures 2005, comm. 79, note S. Deygas : pour une exclusion de l'élève
durant la phase de dialogue et donc avant l'engagement d'une procédure disciplinaire, le juge du
référé liberté enjoignant au chef d'établissement de saisir le conseil de discipline. – TA
Grenoble, 25 mai 2005, Mlle Essakkaki : AJDA 2005, p. 1745, concl. Morel : l'organisation
d'un mode de scolarisation particulier de l'élève durant cette phase de dialogue est une mesure
conservatoire qui n'a pas le caractère d'une sanction mais qui peut faire l'objet d'un recours pour
excès de pouvoir.Note 22 CE, 10 mars 1995, n° 125274, Conféd. nat. des groupes autonomes
de l'enseignement public : JurisData n° 1995-041219 ; Rec CE 1995, p. 813. – CE, 16 janv.
2008, n° 295023 et n° 295026, Min. Éduc. nat. c/ Karakoc et Bourhayel : JurisData n° 2008073045, ces dernières décisions annulant deux arrêts de la CAA Nancy, 24 mai 2006,
n° 05NC01274 et n° 05NC01275, qui avaient jugé que la sanction de l'exclusion définitive
devait être mentionnée dans le règlement intérieur pour pouvoir être appliquée.Note 23 Si tant
est que l'on puisse ici faire usage, à contre-emploi, d'un terme à connotation fortement
religieuse.Note 24 Délib. HALDE, n° 2007-117 : JCP A 2007, 2171, note E. Tawil.Note 25
Circ. Premier ministre, n° 5209/SG, 13 avr. 2007, relative à la charte de la laïcité des services
publics : JCP A 2007, act. 108 et 434.Note 26 CE, ass., 22 nov. 1946, n° 74725 et n° 74726,
Cne Saint-Priest-la-Plaine : Rec. CE 1946, p. 279. – CE, sect., 13 janv.1993, n° 63044 et 66929,
Galtié : JurisData n° 1993-040195 ; Rec. CE 1993, p. 11 : au sujet de l'accident subi par une
personne sollicitée par le proviseur d'un lycée pour encadrer une sortie scolaire.Note 27 L'avis
contentieux du 3 mai 2000, Marteaux, a posé le principe selon lequel « si les agents du service
de l'enseignement public bénéficient comme tous les autres agents publics de la liberté de
conscience qui interdit toute discrimination dans l'accès aux fonctions comme dans le
déroulement de la carrière qui serait fondée sur leur religion, le principe de laïcité fait obstacle à
ce qu'ils disposent, dans le cadre du service public, du droit de manifester leurs croyances
religieuses » : CE, avis, 3 mai 2000, n° 217017, Marteaux : RFD adm. 2001, p. 146, concl.
R. Schwarz.Note 28 C'est, en effet, au XVIIe siècle que le dixième gourou sikh, nommé
Gobind, a fondé une fraternité paramilitaire en vue de résister aux persécutions musulmanes et
hindoues et a instauré la règle du khalsa, c'est-à-dire des « purs », qui impose notamment de ne
jamais se couper les cheveux ni la barbe et qui justifie donc, du moins pour les Sikhs
appartenant au khalsa, de recourir au port d'un turban qui fut d'abord un objet traditionnel et
identitaire avant de devenir véritablement un signe religieux.Note 29 T-shirt ou pull-over par
exemple.Note 30 Par exemple, et même s'il s'agit d'une hypothèse d'école dans tous les sens du
terme, une photographie du pape Benoît XVI ou un portrait de l'imam Khomeyni.Note 31
Comme ce fut le cas dans les mois qui ont suivi son adoption.Note 32 O. Dord, Laïcité à
l'école : l'obscure clarté de la circulaire « Fillon » du 18 mai 2004 : AJDA 2004, p. 1523.Note
33 Comme le sous-turban sikh puisque les décisions n° 285394, 285395 et 285396 précisent
que les élèves ont, « par le seul port de ce signe » manifesté leur appartenance à cette religion.
Note 34 TA Caen, 7 juin 2005, n° 500301, Kervanci.Note 35 Puisque encore une fois l'article
L. 141-5-1 du Code de l'éducation issu de la loi du 15 mars 2004 ne prévoit nullement
l'existence d'une catégorie de signes dont le port manifeste ostensiblement une appartenance
religieuse en raison du comportement de l'élève.Note 36 Puisque, selon nous, si l'on peut
reprocher à une élève de confession musulmane le port d'un bandana, on ne saurait le reprocher
à une élève de confession ou du moins de tradition chrétienne.Note 37 CEDH, 10 nov. 2005,
n° 44774/98, Leyla Sahin c/ Turquie : AJDA 2005, p. 2149 ; S. Plana, Les préventions de la
Cour européenne à l'encontre de certaines prescriptions religieuses : Droit de la famille 2006,
étude n° 19.Note 38 Qui vise donc désormais les signes d'appartenance religieuse par euxmêmes et les signes d'appartenance religieuse liés au comportement de l'élève.Note 39
L'objectif d'intérêt général qui s'attache au principe de laïcité dans les établissements
scolaires.Note 40 AJDA 2005, p. 44.Note 41 Arrêt préc. : la Cour admet, en effet, la limitation
d'une liberté appartenant à la requérante en raison des craintes que font naître les agissements
d'autrui, à savoir les fondamentalistes musulmans ; c'est ainsi pour éviter les débordements
auxquels pourrait mener l'action de ces derniers que la Cour limite la liberté de la première ; or,
seuls des faits qui ne peuvent être contestés et des raisons dont la légitimité ne fait aucun doute
peuvent répondre à l'exigence d'un « besoin social impérieux » et justifier une limitation à la
liberté religieuse ; au contraire, dans l'arrêt en cause, la Cour européenne des droits de l'homme
sanctionne une personne pour prévenir les conséquences des éventuelles actions d'autres
personnes.Note 42 CEDH, 1er juill. 1997, n° 20704/92, Kalaç c/ Turquie : Rec. CEDH, 1997,
IV, p. 1209.Note 43 CEDH, 12 juill. 1978, n° 7992/77, X. c/ Royaume-Uni.Note 44 CEDH,
11 janv. 2005, n° 35753/03, Suku Phull c/ France.Note 45 Cf. pour l'interdiction de certains
modes de sépulture (en l'espèce, la congélation !) : CE, 6 janv. 2006, n° 260307, Martinot et a. :
JurisData n° 2006-069429 ; AJDA 2006, p. 757, note L. Burgorgue-Larsen ; D. 2006, p. 1875,
note I. Corpart et inf.rap. p. 1200, obs. J.-C. Galloux et H. Gaumont-Prat.Note 46 CE, 27 juill.
2001, n° 289946, Fonds de défense des musulmans en justice : JurisData n° 2001-062867 ; Rec.
CE 2001, p. 400 ; D. 2001, inf.rap. p. 2639.Note 47 CE, 2 juin 2003, n° 245321,
Aboutaher .Note 48 CE, 15 déc. 2006, n° 289946, Association United Sikhs et Mann Singh :
JurisData n° 2006-071181 ; Rec. CE 2006, p. 565 ; AJDA 2007, p. 313, concl. T. Olson.Note
49 Absentéisme dans certaines matières : sport, sciences naturelles...Note 50 Il s'agissait d'une
circulaire du recteur de l'université d'Istanbul.Note 51 CEDH, 13 févr. 2003, n° 413401/98,
413402/98, 413403/98 et413404/98, Rehfa Partisi c/ Turquie, § 122.Note 52 CEDH, 25 mai
1993, n° 14307/88, Kokkinakis c/ Grèce : § 30.1Note 53 CEDH, Kokkinakis, préc., § 48. – cf.
aussi, CEDH, 24 févr.1998, n° 23372/94, 26377/94 et 26378/94, Larissis c/ Grèce : Rec CEDH,
1998, I, § 45.Note 54 CE, 5 déc. 2007, n° 285394, Singh, préc..
Conseil d'État , Ass.,
19 juillet 2011,
COMMUNAUTE URBAINE DU MANS
- LE MANS METROPOLE
Vu le pourvoi sommaire et les mémoires
complémentaires, enregistrés les 6
septembre 2007, 7 décembre 2007 et 25
février 2008 au secrétariat du contentieux
du Conseil d'Etat, présentés pour la
COMMUNAUTE URBAINE DU MANS LE MANS METROPOLE, dont le siège
est Hôtel Communautaire Condorcet, 16
avenue François Mitterrand à Le Mans
Cedex 09 (72039), représentée par son
président ; la COMMUNAUTE URBAINE
DU MANS - LE MANS METROPOLE
demande au Conseil d'Etat : 1°)
d'annuler l'arrêt n° 06NT01080 du 5 juin
2007 par lequel la cour administrative
d'appel de Nantes a rejeté l'appel qu'elle a
formé contre le jugement n° 03-4569 du 31
mars 2006 par lequel le tribunal
administratif de Nantes a annulé, à la
demande de M. A, la délibération du 21
octobre
2003 de son conseil communautaire
décidant le financement des travaux
d'aménagement d'un abattoir pour ovins
d'un montant de 380 000 euros ; 2°)
réglant l'affaire au fond, de faire droit à son
appel ; 3°) de mettre à la charge de M.
A une somme de 5 500 euros au titre de
l'article L. 761-1 du code de justice
administrative ; Considérant qu'il ressort des pièces du
dossier soumis aux juges du fond que, par
une délibération du 21 octobre 2003, le
conseil
communautaire
de
la
COMMUNAUTE URBAINE DU MANS LE MANS METROPOLE a décidé
l'aménagement de locaux désaffectés en
vue d'obtenir l'agrément sanitaire pour un
abattoir local temporaire destiné à
fonctionner essentiellement pendant les
trois jours de la fête de l'Aïd-el-Kébir ;
qu'il a autorisé le président de la
communauté à engager la passation des
marchés publics nécessaires ; que, par une
délibération du 21 octobre 2003, le conseil
communautaire a arrêté à 380 000 euros
l'enveloppe budgétaire destinée au
financement de ces travaux ; qu'à la
demande de M. A, le tribunal administratif
de Nantes a annulé cette dernière
délibération, au motif qu'elle avait été prise
en méconnaissance de la loi du 9 décembre
1905 concernant la séparation des Eglises
et de l'Etat ; que, par un arrêt du 5 juin
2007, contre lequel la COMMUNAUTE
URBAINE DU MANS - LE MANS
METROPOLE se pourvoit en cassation, la
cour administrative d'appel de Nantes a
confirmé ce jugement ; Sans qu'il soit
besoin d'examiner les autres moyens du
pourvoi ; Considérant qu'aux termes
de l'article 1er de la loi du 9 décembre
1905 concernant la séparation des Eglises
et de l'Etat : La République assure la
liberté de conscience. Elle garantit le libre
exercice des cultes sous les seules
restrictions édictées ci-après dans l'intérêt
de l'ordre public ; qu'aux termes de l'article
2 de cette loi : La République ne reconnaît,
ne salarie ni ne subventionne aucun culte.
En conséquence, à partir du 1er janvier qui
suivra la promulgation de la présente loi,
seront supprimées des budgets de l'Etat,
des départements et des communes, toutes
dépenses relatives à l'exercice des cultes
(...). ; qu'aux termes de l'article 13 de la
même loi : Les édifices servant à l'exercice
public du culte, ainsi que les objets
mobiliers les garnissant, seront laissés
gratuitement à la disposition des
établissements publics du culte, puis des
associations appelées à les remplacer
auxquelles les biens de ces établissements
auront été attribués par application des
dispositions du titre II. La cessation de
cette jouissance et, s'il y a lieu, son
transfert seront prononcés par décret (...).
L'Etat, les départements, les communes et
les établissements publics de coopération
intercommunale pourront engager les
dépenses nécessaires pour l'entretien et la
conservation des édifices du culte dont la
propriété leur est reconnue par la présente
loi. ; qu'enfin, aux termes du dernier alinéa
de l'article 19 de cette loi, les associations
formées pour subvenir aux frais, à
l'entretien et à l'exercice d'un culte ne
pourront, sous quelque forme que ce soit,
recevoir des subventions de l'Etat, des
départements et des communes. Ne sont
pas considérées comme subventions les
sommes allouées pour réparations aux
édifices affectés au culte public, qu'ils
soient ou non classés monuments
historiques. ; Considérant qu'il résulte
des dispositions précitées de la loi du 9
décembre 1905 que les collectivités
publiques peuvent seulement financer les
dépenses d'entretien et de conservation des
édifices servant à l'exercice public d'un
culte dont elles sont demeurées ou
devenues propriétaires lors de la séparation
des Eglises et de l'Etat ou accorder des
concours aux associations cultuelles pour
des travaux de réparation d'édifices
cultuels et qu'il leur est interdit d'apporter
une aide à l'exercice d'un culte
; Considérant, toutefois, que ces
dispositions ne font pas obstacle à ce
qu'une collectivité territoriale ou un
groupement de collectivités territoriales,
dans le cadre des compétences qui lui sont
dévolues par la loi ou qui sont prévues par
ses statuts, construise ou acquière un
équipement ou autorise l'utilisation d'un
équipement existant, afin de permettre
l'exercice de pratiques à caractère rituel
relevant du libre exercice des cultes, à
condition qu'un intérêt public local, tenant
notamment à la nécessité que les cultes
soient exercés dans des conditions
conformes aux impératifs de l'ordre public,
en particulier de la salubrité publique et de
la santé publique, justifie une telle
intervention et qu'en outre le droit d'utiliser
l'équipement soit concédé dans des
conditions, notamment tarifaires, qui
respectent le principe de neutralité à l'égard
des cultes et le principe d'égalité et qui
excluent toute libéralité et, par suite, toute
aide à un culte ; Considérant qu'il
résulte de ce qui précède qu'en se bornant à
relever que l'abattage d'ovins lors de la fête
de l'Aïd-el-Kébir présente un caractère
rituel, pour en déduire que la décision
d'aménager un abattoir temporaire
méconnaissait les dispositions de la loi du
9 décembre 1905, sans examiner si
l'intervention de la communauté urbaine
était justifiée par un intérêt public local
tenant à la nécessité que les cultes soient
exercés dans des conditions conformes aux
impératifs de l'ordre public, en particulier
de la salubrité publique et de la santé
publique, du fait, notamment, de
l'éloignement de tout abattoir dans lequel
l'abattage rituel pût être pratiqué dans des
conditions conformes à la réglementation,
la cour a commis une erreur de droit ; que
son arrêt doit, par suite, être annulé
; Considérant que les dispositions de
l'article L. 761-1 du code de justice
administrative font obstacle à ce que soit
mis à la charge de la COMMUNAUTE
URBAINE DU MANS - LE MANS
METROPOLE, qui n'est pas, dans la
présente instance, la partie perdante, le
versement à M. A d'une somme au titre des
frais exposés par lui et non compris dans
les dépens ; qu'il n'y a pas lieu, dans les
circonstances de l'espèce, de mettre à la
charge de M. A la somme que demande la
COMMUNAUTE URBAINE DU MANS LE MANS METROPOLE au même titre
; (…). 

Documents pareils