Pourquoi les patients qui ont des difficultés sexuelles ne
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Pourquoi les patients qui ont des difficultés sexuelles ne
Sexologies (2009) 18, 32—37 ARTICLE ORIGINAL Pourquoi les patients qui ont des difficultés sexuelles ne consultent-ils pas plus souvent ? D’après une enquête française de l’ADIRS夽 A. Lemaire (MD) a,∗, M.-H. Colson (MD) b, B. Alexandre (MD) a, B. Bosio-leGoux (MD) c, P. Klein (MD) d a ADIRS, BP 63, 59003 Lille cedex, France 22, cours Puget, 13006 Marseille, France c Laboratoires Lilly, 13, rue Pages, 92158 Suresnes cedex, France d IPSOS Health Institute, 99, rue de l’Abbé-Groult 75009 Paris, France b Disponible sur Internet le 12 février 2009 MOTS CLÉS Dysfonction érectile ; Comportement ; Traitement ; Enquêtes Résumé Il existe un pourcentage élevé d’hommes présentant une dysfonction érectile (DE) et pourtant non traités. Cela est impressionnant dans un pays aussi médicalisé que la France et à une époque où les possibilités thérapeutiques sont nombreuses. Deux enquêtes furent menées par l’Association pour le développement de l’information et de la recherche sur la sexualité (ADIRS) auprès d’associations de patients porteurs de pathologie chronique : les diabétiques et les insuffisants respiratoires ; plus de 65 % des patients souhaitent une aide à ce niveau ; seuls 13 % estiment que la prise en charge par le corps médical est bonne. Deux autres enquêtes, l’une quantitative et l’autre qualitative, furent menées par les laboratoires Lilly ; elles ont permis de conclure que les raisons du refus d’un traitement se répartissaient dans cinq catégories : le refus de ce qui n’est pas naturel (43 %), la peur des effets secondaires (31 %), la peur d’en devenir dépendant (11,6 %), une certaine méfiance (8,7 %), le manque d’efficacité (8 %). De plus, elles ont permis d’identifier trois profils de patients : les patients résignés (moins d’un sur dix), les patients ignorants (environ trois sur dix), les patients hésitants (environ six sur dix). Un meilleur accès à l’information médicale et une communication plus importante sur le thème de la sexualité et de ses problèmes aident les patients à ne pas accepter avec fatalisme la survenue d’un problème sexuel. Des croyances erronées persistent encore, constituant un frein à la mise en route ou à la poursuite du traitement. © 2009 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. DOI de l’article original : 10.1016/j.sexol.2008.09.005. This issue also includes an English abridged version: Lemaire A, Colson MH, Alexandre B, Bosio-leGoux B, Klein P. Why is that patients with sexual difficulties do not consult a doctor more frequently ? The results of a French survey by the French association for the development of information and research in the field of sexology (ADIRS). ∗ Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (A. Lemaire). 夽 1158-1360/$ – see front matter © 2009 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.sexol.2008.09.006 Les freins à la consultation pour dysfonction érectile Introduction Dans la plupart des pays européens, un pourcentage élevé d’hommes après 40 ans présente une dysfonction érectile (DE) mais peu d’entre eux bénéficient d’un traitement adapté à leur trouble. Ces données ont été rapportées dans de nombreuses études, elles mêmes résumées dans un travail du Dr J. Buvat (Buvat et Hafidi, 2004) (Tableau 1). L’Association pour le développement de l’information et de la recherche sur la sexualité (ADIRS) est une association dont le rôle est d’informer le public sur la sexualité et ses problèmes. Outre son site web, elle possède une ligne d’écoute téléphonique. Le nombre d’appels reçus entre 2004 et 2007 sur la ligne téléphonique de l’ADIRS est de 10 775 : 92 % des appelants sont des hommes, dont 76 % appellent pour un problème de DE. Les critères recueillis sont présentés sur la Fig. 1. Parmi les hommes appelant l’ADIRS et présentant une DE, seulement 27 % déclarent avoir un traitement pour ce problème. Ce pourcentage élevé d’hommes présentant une DE et pourtant non traités est impressionnant dans un pays aussi médicalisé que la France et à une époque où les possibilités thérapeutiques sont nombreuses. Pour affiner ces chiffres, l’ADIRS a effectué différentes enquêtes auprès d’associations de patients porteurs de pathologie chronique : diabétiques et bronchopneumopathie chronique obstructive (BPCO). En partenariat avec ces associations, un questionnaire fut envoyé par l’ADIRS aux membres de ces associations : l’Association française des diabétiques (AFD — région nord de la France) et la Fédération française des associations et amicales de patients insuffisants respiratoires (FFAAIR). L’enquête chez les diabétiques fut menée en octobre et novembre 2002 dans la région nord — Picardie : 1000 questionnaires furent envoyés et 300 ont été retournés par les patients : taux de réponse 30 %. L’enquête chez les patients atteints de pathologie respiratoire a été menée en octobre et novembre 2003 au niveau national ; 15 000 questionnaires ont été envoyés et 1000 furent retournés. Tableau 1 33 Les questions posées étaient identiques dans les deux enquêtes (Fig. 2) : 66 % des diabétiques et 61,4 % des patients avec pathologie respiratoire déclaraient avoir un problème sexuel : • depuis en moyenne six ans (± 2,5) ; • se traduisant par une difficulté d’érection pour 60 % des diabétiques et 80 % des patients avec pathologie respiratoire (path.respi.). Dans les deux groupes de patients, 59 % estiment qu’il y a une relation entre la pathologie chronique qu’ils présentent et leur problème sexuel : • 65 % des patients déclarent que le problème sexuel a détérioré leur qualité de vie (diabétique : 70,1 % ; path.respi. : 64,5 %) ; • plus de 65 % des patients souhaitent une aide à ce niveau (diabétiques : 78,2 % ; path.respi. : 65 %) ; • un tiers des patients souhaitent avoir une information simple, un tiers un traitement spécifique, un tiers un traitement spécifique associé à des conseils d’ordre sexothérapique ; • seuls 13 % estiment que la prise en charge par le corps médical est bonne, 87 % ne se prononcent pas ou la jugent insuffisante. Suite à ces enquêtes menées auprès de populations spécifiques, deux enquêtes sponsorisées par les laboratoires Lilly ont été conduites par l’institut Ipsos Santé dans la population générale afin d’essayer de définir la ou les raisons de cette situation. Méthodologie Première enquête nationale (quantitative) Mille deux sujets (483 hommes et 519 femmes) de cinq secteurs géographiques : sud, nord, est, ouest et Île-de-France (IDF), âgés de plus de 35 ans, ont été choisis pour constituer un groupe représentatif de la population française (Colson et Lemaire, 2007). Évaluation de la demande d’aide de la part des hommes avec dysfonction érectile (DE). Auteur/année Nombre d’hommes/pays Prévalence/problèmes d’érection Ent ont parlé au médecin Intéressés à en parler/à être ttés Souhaitent initiative du médecin Sandoica 1997 102 Espagne 789 UK 82 USA 500 USA 7689 France 56 % Diabétiques 34 % érect + EP 60 % Diabétiques 44 % — 65 % diab/HTA 30 % — 54 % — 52 % 90 % 85 % — 86 % 72 % 68 % — Dunn 1998 Zweiffer 1998 Baldwin 2000 Leriche 2001 10 % 58 % 22 % 27 % — 66 % 82 % 66 % érect + EP : troubles de l’érection associés à un réflexe d’éjaculation précoce ; diab : diabétiques ; HTA : hypertension artérielle. 34 A. Lemaire et al. Figure 1 Fiche de recueil d’informations. Ce choix a été fait par randomisation selon la méthode de quotas dans chaque secteur (sexe, âge, métier du chef de la famille, catégorie de croissance) selon les données publiées à partir du recensement du national 1999. Les données ont été collectées par téléphone à l’aide d’un questionnaire spécifique du 4 novembre au 15 novembre 2003. Deuxième enquête (qualitative) auprès de patients Afin de mieux préciser le profil des patients refusant un traitement, une seconde enquête a été menée par Ipsos Santé auprès de couples dont le partenaire présentait un problème d’érection. Dans cette seconde enquête, ce sont les mots utilisés par les patients ou « verbatim » qui ont été recueillis. Méthode Quarante-cinq hommes et femmes ont été interviewés en face-à-face pendant 1 h 30 selon la répartition suivante : • • • • 20 hommes non traités ; huit partenaires d’hommes non traités ; dix hommes traités ; sept partenaires d’hommes traités. Deux critères étaient utilisés pour définir les sousgroupes : • A : connaissance ou ignorance du problème d’érection ; • B : connaissance ou ignorance des traitements spécifiques de ces problèmes d’érection (notamment le nom des traitements et leurs effets). L’enquête s’est déroulée au printemps 2005. Les freins à la consultation pour dysfonction érectile Figure 2 35 Questionnaire soumis aux membres des associations. Résultats Première enquête Parmi les personnes interrogées, 39 % décrivaient des difficultés sexuelles et 202 hommes sur 483, soit 41 %, rapportaient avoir connu un problème d’érection en réponse à la question : « Vous est-il déjà arrivé d’avoir des pannes d’érection ? » Les hommes présentant une DE étaient interviewés ; leur attitude face aux possibilités de traitement était recueillie et comparée à la population générale. Parmi eux, seuls 7 % avaient déjà pris un traitement contre les troubles de l’érection et 74,6 % en avaient été satisfaits. Parmi les hommes avec DE non satisfaits du traitement en cours ou qui ne pensaient pas avoir recours un jour à un traitement, la raison de ce refus a été : • le refus de ce qui n’est pas naturel (43 %) ; • la peur des effets secondaires (31 %) ; • la peur d’en devenir dépendant (11,6 %) ; • la méfiance (8,7 %) ; • le manque d’efficacité (8 %). Parmi les patients ayant ou ayant eu un problème d’érection, 58,7 % étaient d’accord avec l’opinion « aujourd’hui il existe des médicaments très efficaces pour les troubles de l’érection » (vs 58,1 % dans la population générale : NS) : • 66 % sont d’accord avec l’opinion : « de nos jours, les hommes osent vraiment consulter un médecin quand ils souffrent d’un trouble de l’érection » (vs 68,2 % dans la population générale : NS) ; • 81,5 % estiment que la décision d’avoir recours à ce type de traitement dépend du couple, 14,5 % estiment que cela dépend de l’homme seul et 3,9 % ne se prononcent pas (vs 82,7 %, 13,9 %, 3,4 % dans la population générale : différence non significative). 36 Deuxième enquête Selon le critère A « connaissance ou ignorance du problème d’érection » : • les patients traités ont connaissance du problème d’érection ; • les patients non traités ne font pas systématiquement le lien entre leurs difficultés sexuelles et les problèmes d’érection ; pour eux, un trouble de l’érection signifie absence totale d’érection et par voie de conséquence impossibilité de toute relation sexuelle. Cette notion est exprimée de la façon suivante : « tout va bien, j’ai moins d’envie qu’avant » ou encore « j’ai entendu dire que des hommes n’avaient plus aucune érection, cela doit être dur à vivre ». De plus, avoir moins de rapport sexuel correspond à une évolution naturelle de la sexualité avec l’âge, une baisse de la libido, un tournant dans la relation du couple. Selon le critère B « connaissance ou ignorance des traitements spécifiques de ces problèmes d’érection (notamment le nom des traitements et leurs effets) », seul le Viagra est spontanément cité de part son antériorité et sa notoriété encore actuelle auprès du public ; les autres produits passent au deuxième plan. Quand ils sont cités, ils sont immédiatement assimilés au Viagra et aucune différence n’est faite en ce qui concerne les avantages et inconvénients de chacun. Il en résulte que la première conséquence de ce manque d’information est l’entretien de la crainte des effets secondaires qui ont été largement colportés par les médias lors de la sortie du Viagra. Cette crainte était évaluée à 31 % dans la précédente enquête conduite par Ipsos. De plus en raison du manque de connaissance du mode d’action des différents traitements, il persiste dans l’esprit du public des idées erronées telles que : • l’érection apparaît dans les minutes suivant la prise du comprimé ; • l’érection peut durer plusieurs heures ; • le fait d’avoir recours à ce traitement signifie que l’on a une activité sexuelle importante ; • on perd le contrôle de l’érection ; • les rapports sexuels facilités par la prise du comprimé apportent moins de plaisir. Ces idées erronées sont régulièrement citées comme cause de refus de prendre les traitements médicaux des troubles de l’érection. Discussion De ces interviews réalisées avec des patients et leurs partenaires, trois catégories de patients non traités ont pu être identifiées : • les patients résignés : moins d’un sur dix. Ils admettent qu’il existe un problème d’érection et un traitement spécifique mais refusent tout traitement. Ils ne veulent pas associer leur sexualité à un traitement et craignent les effets secondaires ; A. Lemaire et al. • les patients ignorants : environ trois sur dix. Ils ne se considèrent pas comme ayant des problèmes d’érection et ne sont pas au courant des traitements disponibles. Ils considèrent que l’évolution de leur sexualité est une évolution normale mais une fois informés ne refusent pas l’aide éventuel d’un médicament ; • les patients hésitants : environ six sur dix. Ils sont tout à fait conscients de leurs difficultés sexuelles sans toutefois en parler et ils connaissent les traitements appropriés ; ils attendent toutefois que la situation s’aggrave et que leur partenaire s’implique davantage. Ainsi peut-on voir à ce jour que les patients résignés sont peu nombreux mais qu’il est très difficile sinon impossible de les faire changer d’avis. Les hésitants demandent à être rassurés et il faut leur faciliter l’accès au traitement. Il est nécessaire de faire passer l’information pour les groupes de patients ignorants ou hésitants ; ce n’est qu’à cette condition qu’ils pourront envisager de changer leur comportement. Face à ces différents types de patients, le comportement des équipes soignantes s’est progressivement modifié. En 2004, Low et al. (Low et al., 2004a,b) décrivent les difficultés de communication sur le sujet inhérentes aux médecins ; parfois le jeune âge du médecin, le sexe du médecin, le temps de consultation assez compté, le manque d’expérience sont cités comme des barrières à la prise en charge ; mais les réflexions face au traitement émises par les premiers patients traités et l’inexactitude du diagnostic étiologique de la DE sont également des barrières citées. Des obstacles psychologiques et économiques à la prise en charge sont également repérés dans d’autres enquêtes (Desvaux et al., 2004), notamment en 2004. Par ailleurs, la DE a longtemps été considérée comme une pathologie bénigne (von Keitz, 2001) par le corps médical. Depuis 2003, ce symptôme a été identifié comme un possible marqueur prédictif, révélateur d’une pathologie sous-jacente, parfois débutante (Sadovsky et Mulhall, 2003). En 2005, Mikhail (Mikhail, 2005) décrit l’implication plus importante du rôle du médecin généraliste dans la prise en charge de la DE, assimilant le symptôme de la DE comme un marqueur et permettant le dépistage précoce d’autres maladies ; le même constat est effectué par Rosenberg en 2007 (Rosenberg, 2007). La DE apparaît ainsi comme un marqueur qu’il ne faut pas négliger ; associer une question se rapportant à la sexualité à la recherche d’une pathologie organique sous-jacente paraît faciliter la communication à ce niveau. Conclusion Un meilleur accès à l’information médicale et une communication plus importante sur le thème de la sexualité et de ses problèmes aident les patients à ne pas accepter avec fatalisme la survenue d’un problème sexuel. Des croyances erronées persistent encore, constituant un frein à la mise en route ou à la poursuite du traitement en dépit d’une évolution certaine depuis la mise à disposition de traitements simples et efficaces (Fisher et al., 2004). Les freins à la consultation pour dysfonction érectile Le comportement du corps médical a également évolué au cours des années considérant la survenue d’un problème sexuel comme marqueur potentiel d’une pathologie sousjacente ; cela a été à la fois pour certains médecins un facilitateur et a permis une prise en charge plus concrète des DE. Le travail de communication auprès du public est un travail à long terme qui nécessite la répétition régulière de l’information. Actuellement émerge au cours des consultations une demande plus large de prise en charge permettant d’associer les traitements spécifiques à une prise en charge type sexothérapie, au sein du couple. En effet, lorsqu’un problème sexuel s’installe pendant plusieurs années, le comportement des deux partenaires se modifie ; il existe le plus souvent un évitement de tout contact physique et un investissement plus important à l’extérieur du couple afin d’éviter toute gêne provoquée par la frustration sexuelle. C’est à ce niveau là que de nombreux couples se trouvent en difficulté même après la mise en place d’un traitement de la DE ; ils sont à la recherche de conseils simples qui les aideront à recréer une intimité, leur permettant de vivre leur sexualité. Références Buvat J., Hafidi A. Atelier dysfonction érectile du diabétique. 28e Congrès de la SMEDIAN, Casablanca, 16—19 septembre 2004. 37 Colson MH, Lemaire A. Les points cardinaux de la sexualité, enquête sur la sexualité des français en 2004. Médecine sexuelle 2007;1:22—5. Desvaux P, Corman A, Hamidi K, Pinton P. Management of erectile dysfunction in daily practice — PISTES study. Prog Urol 2004;14:512—20. Fisher WA, Rosen RC, Eardley I, Niederberger C, Nadel A, Kaufman J, Sand M. The multinational men’s attitudes to life events and sexuality (MALES) study phase II: understanding PDE5 inhibitor treatment seeking patterns, among men with erectile dysfunction. J Sex Med 2004;1: 150—60. Low WY, Ng CJ, Tan NC, Choo WY, Tan HM. Management of erectile dysfunction: barriers faced by general practitioners. Asian J Androl 2004a;6:99—104. Low WY, Tan NC, Choo WY. The role of general practitioners in the management of erectile dysfunction — a qualitative study. Int J Impot Res 2004b;16:60—3. Mikhail N. Management of erectile dysfunction by the primary care physician. Cleve Clin J Med 2005;72:293— 4. Rosenberg MT. Diagnosis and management of erectile dysfunction in the primary care setting. Int J Clin Pract 2007;61: 1198—208. Sadovsky R, Mulhall JP. The potential value of erectile dysfunction inquiry and management. Int J Clin Pract 2003;57: 601—8. von Keitz A. The management of erectile dysfunction in the community. Int J Impot Res 2001:S45—51.