Maîtrise de l`usage automobile : entre régulations et

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Maîtrise de l`usage automobile : entre régulations et
Mi-parcours du Predit 4 : le Carrefour de la recherche et de l'innovation dans les transports terrestres
Maîtrise de l’usage automobile : entre régulations et
évolutions spontanées
Yves Crozet, Université et IEP Lyon, Laboratoire d'Economie des Transports, GO6 Predit 4
Elise Boucq, Stratec et Ifsttar
Charles Raux, Laboratoire d’Économie des Transports – LET
Introduction
Yves Crozet accueille les participants à cet atelier dont l’objet sera de porter un regard sur
l’évolution des usages de l’automobile, avant de considérer plusieurs exemples de la
façon dont les politiques publiques peuvent les infléchir.
La dynamique des inégalités dans l’usage de l’automobile
Présentation – Elise Boucq
La diffusion de l’automobile semble atteindre progressivement un niveau de saturation en
France. Depuis les années 80, l’évolution des usages a de surcroît été marquée par un
essor de la seconde voiture. Afin d’éclairer ces tendances et les inégalités qu’elles portent,
mais également en vue de disposer d’un outil de projection à long terme pour mesurer la
diffusion sociale de l’automobile, deux approches méthodologiques ont été combinées par
l’INRETS : une approche descriptive des inégalités et de leur évolution ; une approche
économétrique des saturations.
Parmi les sources utilisées par les chercheurs figurent : l’enquête ECAM de l’Insee
(conduite de 1974 à 1994), ainsi que le panel « Parc-Auto » de la SOFRES (suivi depuis
1984). Des efforts d’homogénéisation ont permis d’aboutir à une cohérence entre les deux
sources. Il s’est agi notamment de caler des quartiles de niveau de vie, permettant de
suivre des variables telles que le nombre moyen de voitures par adulte et le kilométrage
annuel des ménages.
L’analyse a permis d’illustrer une diminution des inégalités de revenus entre 1975 et 1985,
une stabilisation jusqu’en 2000, puis un nouvel accroissement à partir de 2000 (en lien
avec l’augmentation des revenus du quartile le plus riche). En Ile-de-France, la réduction a
été plus significative en début de période mais s’est ensuite stabilisée sur une période plus
courte.
Dans ce contexte, le nombre moyen de voitures par adulte est allé en augmentant pour
tous les quartiles jusqu’en 2000. Entre 2000 et 2006, cette variable a ensuite décru pour
tous les quartiles à l’exception du plus pauvre, marquant ainsi une relative saturation.
Le ratio entre le quartile le plus riche et le quartile le plus pauvre n’a cessé globalement de
décroître, avec toutefois une stabilisation entre 1982 et 1993. En Ile-de-France, le même
ratio a connu la même évolution, avant d’augmenter de nouveau à partir de 2000. Dans le
cadre d’une réduction globale des inégalités (avec toutefois une inversion de la tendance
en Ile-de-France à compter de 2000), l’essor de la seconde voiture semble ainsi n’avoir
qu’interrompu la diffusion sociale de l’automobile dans les années 80.
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Le kilométrage moyen des ménages a augmenté pour l’ensemble des quartiles jusqu’en
2000, avant de diminuer pour l’ensemble des quartiles à l’exception du plus pauvre (ayant
généralement moins d’alternatives à la voiture). En dépit d’un fléchissement des
kilométrages à compter de 2000, dans un contexte de renchérissement des carburants,
les inégalités d’usage semblent donc s’être réduites.
Afin d’estimer des niveaux de saturation, un modèle économétrique a été développé. En
matière de motorisation et d’usage, les seuils de saturation estimés sont les plus élevés
pour le second quartile. Le quartile le plus pauvre est apparu conserver des seuils moins
importants, mais leurs estimations sont plus imprécises. Une diminution des seuils a été
observée depuis le second quartile jusqu’au quartile le plus riche – les ménages les plus
riches habitant généralement des zones plus denses et mieux desservies par les
transports.
Pour aller plus loin, il conviendrait désormais de tenir compte de l’impact du prix des
carburants sur les usages, ainsi que de l’influence des facteurs géographiques (lieux de
résidence, densité des bassins, etc.). Une approche des inégalités à moyen et long terme,
le cas échéant à travers des cohortes, pourrait mettre en évidence d’éventuels effets
générationnels.
Débat
Les inégalités en matière de motorisation et d’usage semblent se réduire. Néanmoins,
l’automobile apparaît de plus en plus comme un bien inférieur pour les populations les
plus riches – sa consommation diminuant à mesure que le revenu augmente. A contrario,
l’automobile demeure un bien supérieur pour les populations les plus pauvres – sa
consommation augmentant alors avec le revenu. En dépit de la diffusion sociale de
l’automobile, une certaine différenciation subsiste ainsi.
Du reste, différents phénomènes nécessiteraient d’être pris en compte, parmi lesquels : la
tendance des ménages les plus aisés à privilégier le scooter, la perte de statut de
l’automobile polyvalente, le développement des nouveaux véhicules, des mobilités
plurielles et de l’auto-partage, le statut captif des ménages modestes résidant en
périphérie, etc. Une analyse en fonction de la valeur vénale des véhicules pourrait par
ailleurs apporter un éclairage sur les inégalités. S’agissant du kilométrage, une distinction
mériterait d’être opérée entre l’urbain et l’interurbain. De même, une analyse en fonction
de la longueur des trajets pourrait être menée. La part du kilométrage en deux-roues
nécessiterait d’être prise en compte.
Carbon Auto : La régulation par le rationnement (prix et permis
négociables)
Présentation – Charles Raux
Le débat sur les modes de régulation des usages a mis en évidence un enjeu
d’acceptabilité des outils de type taxe (régulation par les prix) ou permis négociable
(régulation par les quantités). Des questions se posent également quant à la sensibilité
des usages dans ces deux types de dispositifs.
Parallèlement à l’idée d’une taxe carbone, une voie pourrait être d’allouer des droits
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individuels à consommer du carburant, le cas échéant en fonction du contenu carbone du
carburant utilisé. Les droits inutilisés pourraient ensuite être revendus. L’émulation
inciterait alors les ménages à réduire leur consommation. L’allocation serait diminuée
d’année en année pour accompagner le changement des usages.
Ces deux approches ont été testées à travers une enquête, articulée autour d’une
vingtaine d’entretiens approfondis et d’un recensement des préférences déclarées sur une
base plus large. L’enjeu était de faire dire aux ménages comment ils se comporteraient
dans des situations de plus en plus contraintes, s’agissant de leurs habitudes de mobilité.
Si des changements de modes de transport ou des suppressions de petits déplacements
ont pu être envisagés par les interrogés, une plus grande résistance à modifier les
déplacements à longue distance est apparue. Les enquêtés ont également pointé la
nécessité d’inclure les trajets en avion dans les dispositifs, d’étendre une éventuelle
allocation à l’ensemble de la population (de sorte que les non-automobilistes soient
revendeurs) et de prendre en compte la taille des ménages ainsi les lieux de résidence
dans le calcul des niveaux d’allocation ou de taxe.
Quatre profils de ménages ont pu être déterminés :
• les réfractaires (hostiles aux quotas et préférant payer un droit ou une taxe plutôt
que de faire évoluer leurs habitudes) ;
• les flexibles (préférant évoluer pour éviter de payer un droit ou une taxe) ;
• les contraints (maintenant leurs habitudes jusqu’à ne plus pouvoir payer le droit ou
la taxe) ;
• les dépendants (ne pouvant ni faire évoluer leurs habitudes ni payer le droit ou la
taxe).
La disposition des ménages à payer un droit ou une taxe est apparue plus importante sur
les courtes distances (davantage que pour les très courtes distances). Une résistance plus
grande est ensuite enregistrée à moyenne et longue distances. La disposition à payer
réaugmente toutefois avec la distance. S’agissant de comparer les deux modes de
régulation (taxe ou droit individuel), l’étude a mis en évidence une résistance au
changement plus faible avec un dispositif de quotas. Ces résultats demandent néanmoins
à être vérifiés. Une étude complémentaire devrait être menée en laboratoire pour tester
l’association des quotas à une norme sociale. Le poids de la norme et la notion de
sanction économique pourraient ainsi interférer dans l’appréhension des instruments de
régulation.
Débat
La forte disposition à payer pour maintenir les déplacements à très longue distance
tendrait à confirmer le statut de bien supérieur du transport aérien. En revanche, la
disposition à payer apparaît plus faible pour les très courtes distances – l’automobile y
étant plus facilement substituable.
En tout état de cause, la pertinence des dispositifs nécessiterait d’être évaluée en fonction
du prix des carburants, bien que les fluctuations du marché ne puissent être envisagées
comme seul instrument de régulation des usages.
Un dispositif de quotas pourrait être découplé de l’évolution du prix des carburants. Une
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cohabitation entre une taxe carbone et un système de quotas cessibles (ou de péages
urbains) pourrait alors produire des incitations dans la durée. Les déséquilibres entre
essence et diesel ou entre urbain et périurbain seraient ainsi pris en compte.
Les analyses nécessiteraient par ailleurs de prendre en compte différents facteurs tels que
la localisation des ménages, le type de véhicule utilisé, les distances parcourues (en lien
avec la ségrégation sociale), le nombre d’enfants, etc. Il s’agirait ainsi d’intégrer un objectif
d’équité, au-delà de l’objectif d’efficacité (économique et environnementale) poussant à
considérer qu’un kilomètre en vaut un autre.
Les travaux récents sur le péage urbain et l’Era-Net SURPRICE
Présentation – Charles Raux
En France, la loi Grenelle II a opéré une rupture avec l’impossibilité de contrôler
totalement l’accès à une zone par le biais d’un péage. A travers le monde, des
expérimentations ont déjà été menées (en Norvège, à Singapour, à Londres, à Stockholm,
etc.). Toutefois, certains dispositifs ayant pu être rejetés par les populations, une question
d’acceptabilité se pose.
Une recherche a été menée, avec pour objet d’étudier la perception des principes de
régulation, dont le péage. 400 personnes ont ainsi été interrogées à Lyon. Les scénarios
de péage ou de restrictions présentés n’ont semblé « justes » que pour 22 % à 37 % des
personnes. En revanche, une majorité des enquêtés (plus de 70 % en moyenne) a semblé
approuver l’introduction de principes de compensation (tarifs réduits pour les résidents, les
professionnels, les bas revenus, les handicapés, etc.). Le rationnement par les prix
(péage) ou la quantité (places réservées) est ainsi apparu globalement injuste. Seul le
péage lié à la pollution serait mieux accepté. Des réactions différentes ont du reste été
enregistrées en fonction des usages, de la catégorie socioprofessionnelle, du niveau
d’étude, etc. Une dimension morale a été associée au principe de compensation pour
certaines populations.
Un autre projet de recherche a été lancé dans le cadre du programme Era-Net
SURPRICE, en France, en Suède et en Finlande. Ce projet repose sur deux enquêtes :
l’une portant sur les facteurs explicatifs de l’acceptabilité des péages par les populations ;
l’autre portant sur les facteurs politiques et les types de coordination pouvant être mis en
place localement.
Débat
Le principe d’une régulation par péage soulève un certain nombre de problématiques dont
certaines sont similaires à celles posées par la tarification des transports collectifs.
Comment prendre en compte l’appartenance à des communautés territoriales distinctes ?
Combiner vitesse et péage ?
Comment compenser les déséquilibres sociaux entre le centre et la périphérie des
grandes agglomérations ? Comment combiner une régulation par la vitesse et une
régulation par les quantités ? Comment hiérarchiser les utilisateurs, en distinguant
notamment les usages professionnels et non-professionnels ? Comment faire valoir que
les usagers payent déjà un péage sur le stationnement, avec une compensation pour les
résidents ? Comment argumenter autour du caractère exhaustif du péage de circulation ?
Etudier la possibilité de raisonner à ponction fiscale constante, avec une distribution en
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fonction des usages ? Comment évaluer l’impact d’une telle mesure en termes de
réduction du nombre de déplacements ? A quel niveau maintenir ou développer des
alternatives (vélo, train, covoiturage, multimodal, etc.) ? Comment éviter le développement
de certaines mobilités au détriment d’autres ? Comment cibler des zones bien desservies
par les transports collectifs pour dégager des recettes qui permettront ensuite de
développer d’autres réseaux ? Comment prendre en compte la diversité des besoins en
matière de transport, y compris d’un jour sur l’autre ? Comment rompre avec une vision
homogénéisatrice des usages ? Comment prendre en compte les contraintes supportées
par les populations, en vue de les faire adhérer aux projets ?
Par ailleurs, la dimension politique du sujet apparaît clairement, avec des enjeux pour les
collectivités locales, au-delà des recettes potentielles et des perspectives de
développement des modes de transport doux.
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