achatpublic.info - Yves-René Guillou loue la remise interlots

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Yves-René Guillou loue la remise interlots
A propos de l’auteur
M. Jean-Marc Binot
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L’article 32 de l’ordonnance marchés publics, publiée au JO le 24 juillet, comprend une
nouveauté : la possibilité pour une entreprise de fixer son prix en fonction du nombre de lots
gagnés. Patron du cabinet Earth avocats, Yves-René Guillou travaille déjà sur la mise en œuvre
concrète de cet outil, qu’il juge efficace et rationnel dans le contexte actuel de réduction
drastique des dépenses.
achatpublic.info : Les personnes publiques pourront, lorsque l’ordonnance entrera en vigueur, autoriser les
opérateurs économiques à présenter des offres variables selon le nombre de lots susceptibles d’être
obtenus. Que pensez-vous de ce nouveau dispositif ?
Yves-René Guillou : « C’est un outil économique intéressant, qui montre la volonté du gouvernement et d’Emmanuel
Macron d’avoir une approche dynamique des marchés publics. »
achatpublic.info : Que pouvait faire l’acheteur jusqu’ici ?
Yves-René Guillou : « Il existe différents mécanismes que certaines centrales d’achat utilisent déjà. Par exemple la remise de fin d’année en fonction du
volume de commandes, ainsi que la « marge arrière », ce qui s’apparente à ce que font les centrales d’achat du privé. On fait face à des problématiques
juridiques qui peuvent être complexes. Est-ce que l’ensemble des dispositifs législatifs de protection des industriels et des producteurs qui s’appliquent
dans le secteur du droit privé s’appliquent à des institutions publiques qui ne sont pas visées étroitement par la loi ? J’ajoute que les remises de fin
d’année se pratiquent dans un cadre légal peu défini puisque se pose le problème dans ces cas-là de l’agrégation d’un dispositif de type incertain dans un
prix certain. Je prends un exemple : l’entreprise A me propose un téléphone avec un prix de 100 qui est le prix d’attribution. En réalité, le prix qui sera
pratiqué n’est pas celui-ci puisque l’entreprise a promis une remise de 1 % en fin d’année. Par ailleurs,
l’entreprise B, qui proposait un prix de 101, est classée 2e, avec une remise de 3% en fin d’année. In fine, le
meilleur prix, c’était celui de l’entreprise B, sauf qu’on ne sait pas quelles seront les quantités qui vont être
réellement achetées. Autre outil, la clause de progrès. Prenons le cas de l’acquisition de cent automobiles à
un prix déterminé. J’ai bien un marché défini à un prix défini. En revanche, l’attributaire va m’aider réduire ma
On a une ingénierie
contractuelle qui a connu une
évolution considérable sur
les cinq dernières années
consommation avec la mise en place d’un service d’auto-partage. Mon objectif dans quatre ans, c’est qu’il
m’ait appris à n’utiliser que 80 véhicules. La facture sera donc différente puisque je restituerai vingt véhicules. C’est génial évidemment, car on voit bien
que l’achat public se professionnalise, se mutualise, se dynamise. On a une ingénierie contractuelle qui a connu une évolution considérable sur les cinq
dernières années.»
achatpublic.info : Comment utiliser concrètement ce nouvel instrument ? Il va falloir sortir la calculette si une entreprise propose une remise
de 7% sur dix lots et une autre une remise de 8% sur neuf lots qui ne sont pas forcément les mêmes…
Yves-René Guillou : « Il faut en revenir aux bases des marchés publics : transparence, concurrence et égalité de traitement. La première condition, c’est
la clarté des règles. Et c’est au pouvoir adjudicateur de les déterminer. Il ne faut pas donner la main aux entreprises sinon on débouche sur une
incomparabilité des offres. Mon équipe est en train de travailler sur le sujet. Les premières expérimentations que l’on va faire seront relativement
simplistes. Le pouvoir adjudicateur indiquera les lots qui peuvent faire l’objet d’une remise. L’entreprise saura
donc si elle peut proposer une remise soit sur l’ensemble des lots, soit pour certains lots, sous réserve d’une
logique cohérente dans ce dernier cas. La méthodologie doit évidemment être annoncée, dans laquelle la
La première condition,
c’est la clarté des règles.
collectivité indique les conditions dans lesquelles elle va mettre en œuvre son dispositif de comparaison. On
va commencer comme ça et on verra ensuite.»
achatpublic.info : Comment seront classées les offres ?
Yves-René Guillou : « La bonne méthode aujourd’hui, c’est de déterminer que le prix de remise est le prix final. J’ai un prix facial par lot. J’ai un candidat
qui n’a pas fait de remise, c’est son prix final. J’en ai un autre qui a clairement indiqué une remise de 2% concernant les lots x et y, pour lesquels j’effectue
la soustraction. Ensuite je fais la comparaison. La lisibilité et la comparabilité sont essentielles, comme le maintien d’une concurrence saine et loyale, sinon
personne ne va y recourir.»
achatpublic.info : Si l’on comprend bien, une entreprise pourra donc être première sur un lot, mais ne sera pas retenue parce qu’une autre
entreprise classée troisième aura fait une remise interlots ?
Yves-René Guillou : « Oui, tout à fait. Car le prix pratiqué est bien le prix remisé : la remise de x% n’est pas éventuelle, elle est contractualisée. C’est la
différence importante avec les remises de fin d’année qui sont liées à une quantité commandée. Ici, il n’y a pas d’incertitude. Dès lors qu’elle obtient x lots,
l’entreprise effectue une remise de x %. Ma conviction, c’est que nous irons ensuite vers des choses plus complexes de fixation des prix dans des
conditions dynamiques. »
achatpublic.info : Le risque de ce système, c’est qu’il attire des grandes entreprises qui ne répondaient pas jusqu’ici au marché alloti, au
détriment des PME.
Yves-René Guillou : « La réponse est la même que pour les PPP. La PME peut très bien se regrouper. C’est vrai que c’est plus simple à dire qu’à faire…
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Ceci étant, il ne faut pas donner non plus trop d’importance à cette réforme et exagérer ses effets. Ce n’est pas parce que l’entreprise X fait une remise
d’1,5% qu’elle sera la meilleure et qu’on lui attribuera le marché. En revanche, on a une certitude. Les collectivités doivent aller vers la performance des
achats, parce qu’un denier est un denier. Je comprends la crainte que cet outil peut susciter, moi, j’y vois un
certain nombre d’avantages, notamment le fait d’exacerber la concurrence. La meilleure façon de faire du
local, et pas forcément d’être dans la performance économique, c’est d’émietter un marché. Sur un marché
alimentaire de 200 lots, si j’ai le persil, et pas le reste, et qu’on me commande une botte de persil tous les
jours, au niveau environnemental, c’est dément, au niveau économique, je perds ma chemise, je vais supplier
Les collectivités doivent
aller vers la performance des
achats, parce qu’un denier
est un denier
pour qu’on ne me commande pas de persil ! Conséquence, l’entreprise ne candidate pas. Le système
interlots permet de favoriser une certaine cohérence dans la masse et dans l’organisation logistique. Je vais favoriser la performance de mon offre liée à
la multiplication des lots que je suis susceptible d’avoir puisque mon prix est de plus en plus concurrentiel au prorata du nombre de lots que j’acquiers.
C’est un mécanisme relativement vertueux également sur le plan organisationnel. Je passe maintenant une commande à un seul fournisseur pour vingt-cinq
produits. En terme de performance prix, on peut déboucher sur 3, 4, 5% de remise simplement en raison de cette amélioration logistique. Je n’ai qu’un
camion, qu’une personne qui livre, etc…»
achatpublic.info : Il est quand même paradoxal que le gouvernement introduise cette mesure dans l’ordonnance alors que le discours martelé
depuis des années, c’est de favoriser l’accès des PME aux marchés publics…
Yves-René Guillou : « Les marchés publics sont traversés par deux logiques difficilement réconciliables. Il existe une tradition en France selon laquelle ils
ont vocation à favoriser le développement économique, et pendant très longtemps les marchés ont été considérés, en particulier par l’Etat, les maires et
les élus locaux, beaucoup plus d’ailleurs que par les directeurs d’hôpital, comme permettant l’éclosion ou le maintien d’activités, de filières industrielles.
C’est une tradition tout à fait louable. On peut d’ailleurs se demander quelle en est l’efficacité ? Mais les collectivités publiques, Etat compris, n’ont plus les
moyens de mettre en œuvre cette politique publique. Pour un certain nombre de pouvoirs adjudicateurs, l’âge d’or des marchés publics comme instigateur
d’un tissu industriel est probablement derrière nous. Aujourd’hui, les collectivités, en tout cas une partie, sont
dans la performance, mais aussi par le fait de cette massification liée aux centrales d’achat. Le patron d’une
centrale d’achat qui regroupe 500 communes, qui est un haut fonctionnaire ou ancien d’HEC, a un objectif :
acheter moins cher et acheter mieux. Il y a une professionnalisation de l’achat et à mon avis une
objectivisation du prix qui font que les marchés publics, en partie, vont moins être un outil de politique
publique, et plus un outil de performance économique.»
Pour un certain nombre
de pouvoirs adjudicateurs,
l’âge d’or des marchés
publics comme instigateur
d’un tissu industriel est
probablement derrière nous
achatpublic.info : Faciliter la concentration de plusieurs lots aux mains d’une seule entreprise, c’est
également augmenter les risques de rupture d’approvisionnement…
Yves-René Guillou « Ce n’est pas forcément lié à l’interlots, mais plutôt à la massification. Le risque va porter par exemple sur un médicament dont les
conditions de conservation sont compliquées. Le jour où le fournisseur est référencé par une centrale qui représente 60 hôpitaux, il devient dominant sur le
marché pendant une période. Et dans ce cas, on peut avoir un risque de rupture de stock. Ensuite, on peut mettre en œuvre des mécanismes de
sauvegarde dans le contrat dans lesquelles l’entreprise s’engage à privilégier l’opérateur en cas de baisse de la production. Il est aussi possible de
substituer les produits, soit en demandant à l’entreprise classée deuxième du marché de stocker - cela vaut surtout pour des produits de première
nécessité – soit par un remplacement, aux frais du titulaire, du produit par un autre dès lors qu’il a les mêmes caractéristiques. Le vrai problème, c’est
surtout celui d’une désorganisation passagère. Je commande à la même entreprise 250 produits alors que cela n’était pas le cas auparavant, et le titulaire
aura peut-être besoin de six mois pour s’y habituer.»
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