Les yeux sont le miroir de l`âme J`étais tout petit quand j`ai rencontré

Transcription

Les yeux sont le miroir de l`âme J`étais tout petit quand j`ai rencontré
Les yeux sont le miroir de l’âme
J’étais tout petit quand j’ai rencontré Ethan pour la première fois. Je serais incapable de dire
quand. Et où. Je me rappelle juste que nous étions chacun dans les bras de nos mamans, et
qu’elles se sont tournées d’un commun mouvement l’une vers l’autre.
Nos regards se sont croisés.
Il n’y a rien avant ce moment là. Cette rencontre a réveillé ma mémoire. C’était comme si je
n’existais pas et que soudain, je naissais. Comme si j’ouvrais les yeux sur le monde, et que la
première chose que je voyais, c’était ses yeux à lui. Dans lesquels je me suis perdu.
Dans lesquels j’ai compris pourquoi je vivais.
Nos deux mamans ont souri, riant de cette rencontre qui nous laissait surpris. A notre tour,
alors, nos paupières se sont plissées, notre bouche encore trop grande pour accueillir des mots
s’est ouverte, de toutes petites rides se sont creusées.
Je comprendrais plus tard que ces rides sont les seules marques éternelles du bonheur. Je
comprendrais plus tard que c’est le temps qui se charge de les graver.
Ce que je ne
comprendrais jamais en revanche, c’est pourquoi les Hommes veulent les effacer. On
reconnaît une vie heureuse aux rides qui fendent le visage d’une personne âgée. Le bonheur
est-il donc de ces biens qu’on garde jalousement ?
Le souvenir de cette rencontre est ce que je chéris le plus parmi le peu que j’ai. Cela ne veut
pas dire pour autant que je le garde enfermé en moi, que je ne le partage pas. Bien au
contraire. Dans les regards que je pose, la plupart du temps sur Ethan, dans ma douceur, dans
mes sourires il y a cette rencontre. Dans chaque instant que je vis, et dans tous ceux qui
suivront, il y a cette rencontre. Elle m’obsède et me fascine et ça n’est que quelques années
plus tard je ne connaîtrais un moment aussi puissant…
Après cela, en effet, je n’ai vu Ethan qu’occasionnellement. Nous nous croisions parfois
lorsque nos mamans se rencontraient, en magasin au travers d’une vitrine, à la crèche pour
jouer ensemble, à l’école, au collège.
L’un avec l’autre, oui, nous avons grandi. Nous étions chacun comme un point d’accroche
pour l’autre. Une attache, qui permettait de ne pas sombrer quand ça n’allait pas. Nous
parlions peu d’ailleurs. Les sourires, les larmes, le contact d’une main suffisaient.
Un soir, j’ai oublié quand –les jours importent peu– nous nous sommes mis l’un en face de
l’autre. Nous avons planté nos regards l’un dans l’autre comme nous ne l’avions jamais fait
depuis des années. Depuis notre rencontre à vrai dire. Nous étions mis à nus sous ce regard
qui allaient au plus profond de nos êtres. Qui nous fouillait. Qui nous remuait. Qui parlait
pour nous. Nous sommes allés jusqu’au bout d’ailleurs. Au bout de ce moment fusionnel.
Lentement, tout en se regardant, et avec douceur, nous nous sommes déshabillés. Nous avons
enlevés nos T-Shirts, regardant avec curiosité, avec désir peut-être, l’autre. Nous avons fait
glisser nos pantalons au sol, nos doigts caressant avec électricité nos jambes. Puis, le cœur
battant, chacun sous le regard de l’autre a fini de se déshabiller complètement. Nous nous
sommes alors arrêtés. Nous nous sommes contemplés l’un l’autre. Les courbes de nos corps,
la fermeté de notre jeunesse, les marques du bonheur. Les larmes.
Jamais je ne connus plus de pureté qu’à cet instant qui sembla durer éternellement.
Après ce jour qui est sans doute le plus lumineux, et d’une certaine manière le plus sombre de
mon existence, j’ai eu l’impression de sombrer doucement.
Sombrer vers la vérité.
Quand je ne voyais pas Ethan, c’est comme si je n’existais pas. Littéralement. Comme si le
monde s’arrêtait de tourner, les étoiles de briller. Comme si le néant s’emparait de moi. Et
quand je le croisais à nouveau, ne serait-ce qu’au détour d’un regard, le néant mourait dans la
lumière. Quand je ne le voyais pas, peu importait mon corps, mes pensées, mes interrogations,
mon âme. Il ne restait que lui en moi.
Le jour où je l’ai vu avec Lena, sa Lena, sa lune, sa raison d’être, j’avais moi-même une
Lena. J’avais moi-même une copine. Mais alors que je voyais dans les yeux d’Ethan, quand il
la regardait, un amour inconditionnel, je voyais dans les miens, lorsque je l’imitais pour ne
pas laisser paraître mon trouble… non un quelconque désespoir, une quelconque colère ou
jalousie, ce qui aurait en soi été peut-être mieux, non un sentiment comme ceux-ci, mais le
vide. Rien. Le néant.
Je n’aimais pas ma Lena.
Puisque moi je ne voyais que Lui. Mais lui ne semblait plus lire en moi.
Je l’ai vu petit à petit se détacher de moi. Je l’ai vu petit à petit me remplacer par l’Amour. Je
l’ai vu petit à petit oublier les instants fusionnels que nous avions vécus. J’étais comme … un
élément du décor. J’étais un peu comme son ombre. Mais en couleurs, en relief.
Tout s’est effondré un soir de printemps. Un soir de douceur, de sucre et de couleurs.
Un soir où tournoyaient tous ces moments de plénitude qui nous avaient liés. Un soir où
tournoyaient toutes les questions que je me posais. Un soir où tournoyaient mes sentiments.
Au coin d’un stand de tir, en achetant les tickets pour les montagnes russes, un regard sur un
manège… nous étions là, tout près, le même soir, à la même fête foraine. Ces flashs où nous
nous rencontrions étaient des coups d’une violence inouïe.
L’uppercut final fut plus que violent.
Il fut fatal.
En moins d’une seconde, Ethan me vola tout ce que j’avais.
En moins d’une seconde, Ethan me vola mon corps. Mon âme.
En moins d’une seconde, Ethan me vola toute identité. Il me vola toute une vie.
Il ne resta que de l’amour.
A moins qu’il ne soit lui-même qu’une illusion.
En moins d’une seconde, lorsqu’Ethan passa l’entrée d’un grand chapiteau blanc, je découvris
la condition de toute mon existence.
Au centre du chapiteau il y eut Ethan.
Tout autour de lui, des dizaines d’Ethan. De pâles copies de sa perfection.
De simples reflets dans une infinité effarante de miroirs.
J’étais l’un d’eux.

Documents pareils