mesures de politique budgétaire contre la crise

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mesures de politique budgétaire contre la crise
­ ESURES DE POLITIQUE
M
BUDGÉTAIRE
CONTRE LA CRISE
Potentiel, limites et risques
ALOIS BISCHOFBERGER / RUDOLF WALSER
BORIS ZÜRCHER
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Face à la crise globale qui frappe les marchés financiers, à
la destruction massive de valeur en bourse partout dans le
monde et à la diffusion rapide de la récession économique,
nombre d’économistes préconisent des programmes de relance mammouths d’inspiration keynésienne fondés sur des
mesures de relance budgétaire par l’investissement. Le potentiel classique de l’instrument des taux de la BNS est épuisé.
Dans ce contexte, la politique budgétaire pourrait apporter
une contribution complémentaire à la stabilisation de la
conjoncture. Une question particulièrement ouverte est de
savoir si l’Etat doit appliquer une telle politique budgétaire
discrétionnaire et active, ou s’il faut essentiellement s’en remettre à l’efficacité des stabilisateurs automatiques, et le cas
échéant, de les renforcer.
La recommandation d’Avenir Suisse va dans le sens d’une
stratégie qui se concentre sur l’utilisation et le renforcement
systématique des ressorts offerts par les stabilisateurs automatiques. Une politique budgétaire discrétionnaire et active
va coûter très cher et menace de compromettre l’objectif d’assainissement des finances publiques à moyen et long terme.
Mars 2009
© 2009 Avenir Suisse
www.avenir-suisse.ch
Tous droits réservés
Traduction : Renaud Moeschler
Rédaction : Xavier Comtesse
Graphisme: blackbox.ch
M E S U R E S D E P O L ITIQUE BUDGÉTAIRE CONTRE L A CRISE — Potentiel, limites et risques
1
Introduction
Face à la crise globale qui frappe les marchés financiers,
à la destruction massive de valeur en bourse partout
dans le monde et à la diffusion rapide de la récession
économique, nombre d’économistes préconisent des
programmes de relance mammouths d’inspiration
keynésienne fondés sur des mesures budgétaire. Dans
la bouche de Paul Krugman, prix Nobel d’économie
2008, le mot d’ordre est « Let’s get fiscal ».
Pourtant, un large consensus règne entre les économistes sur le fait que la politique monétaire doit primer
la politique budgétaire pour stabiliser la conjoncture.
Par le truchement de l’instrument des taux, la politique
monétaire peut réagir bien plus vite et plus efficacement que la politique budgétaire aux mouvements de
baisse et aux soubresauts des marchés. En outre, grâce
à son indépendance politique et son savoir-faire technique, la Banque nationale suisse (BNS) est mieux à
même d’arbitrer entre les différentes priorités.
Vu la menace d’effondrement du marché monétaire, la
BNS est intervenue de manière musclée dès l’automne
2008, abaissant le taux du Libor à trois mois de 250
points de base au total depuis octobre. Ces baisses de
taux n’ont pas manqué leur objectif : la situation s’est
stabilisée sur le marché interbancaire et la marge entre
le Libor et le taux de refinancement (« taux refi ») s’est
nettement réduite, même si elle n’a pas retrouvé le niveau qui était le sien avant l’éclatement de la crise financière. L’intervention massive de la BNS a néanmoins
son prix : depuis lors, le « taux refi » est proche de zéro.
Et vu que le taux nominal ne peut pas être négatif, le potentiel de l’instrumentaire classique des taux de la BNS
est épuisé. De fait, l’économie suisse se trouve dans une
trappe à liquidité. La BNS doit donc recourir à des instruments de politique monétaire moins conventionnels, dont la mise en œuvre n’est toutefois pas sans présenter des risques et dont l’efficacité est très incertaine,
surtout lorsqu’il s’agit de stabiliser la conjoncture. Abstraction faite d’interventions sur le marché des devises
en cas d’appréciation subite du franc, la politique mo1
I ntroduction
nétaire ne peut plus donner d’impulsion notable pour
stimuler directement l’économie réelle.
Dans ce contexte, la politique budgétaire doit apporter une contribution complémentaire à la stabilisation
de la conjoncture, d’autant plus que la récession économique actuelle s’annonce plus forte et plus longue
que prévu initialement. Les avis divergent cependant
quant au mode opératoire. Une question particulièrement contestée est de savoir si l’Etat doit appliquer une
politique budgétaire discrétionnaire et active, ou s’il
faut essentiellement s’en remettre à l’efficacité des stabilisateurs automatiques et, le cas échéant, les renforcer.
Des mesures relevant d’une politique budgétaire discrétionnaire présentent de sérieux inconvénients sur
les plans administratif, technique et politique, à commencer par la longue durée des cycles de mise en œuvre
et le risque de voir des intérêts particuliers guider les
mesures, qui se révèleraient en dernière analyse inefficaces pour stimuler la demande générale, voire contreproductives. Il est au demeurant contesté entre les
chercheurs que la politique budgétaire déploie un effet systématique sur la conjoncture (v. notamment Cochrane 2009). La raison réside en ceci que la politique
budgétaire ne respecte pas le principe de symétrie. Elle
tend à augmenter sans délai les dépenses publiques en
période de vaches maigres, puis oublie de tirer sur le
frein en période de vaches grasses. Or moins on respecte l’objectif de rééquilibrage des finances publiques
à moyen et long terme, plus la correction ultérieure devra être sévère, avec pour corollaire une situation dans
laquelle l’endettement de l’Etat et les impôts sont en
permanence plus élevés, et la croissance économique
moins forte. Il s’ensuit que, si l’on tient compte des
attentes des différents acteurs, la politique budgétaire
peut même avoir des effets contre-productifs à court
terme (effets dits non keynésiens) (Scheide 2008).
Notre recommandation va donc dans le sens d’une stratégie qui se concentre sur l’utilisation systématique des
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ressorts offerts par les stabilisateurs automatiques et sur
le renforcement de ces derniers. Comme la crise des
marchés financiers est encore loin d’être terminée, la
récession va très probablement encore peser plusieurs
trimestres sur l’économie réelle. Dans ce contexte, une
politique budgétaire discrétionnaire et active va coûter
très cher et menace de compromettre l’objectif d’assainissement des finances publiques à moyen et long
terme. Il y a donc un conflit d’intérêt patent entre la volonté de stimuler à court terme l’activité économique,
d’une part, et d’assurer à long terme l’équilibre des finances publiques, de l’autre. Ces réserves sont d’autant
plus sérieuses que, à la suite du redimensionnement
les activités financières internationales, la Suisse pourrait perdre certains avantages comparatifs, notamment
au niveau de sa place financière ; rappelons ici qu’elle
joue pour le pays un rôle dont l’importance doit être
soulignée, et qu’elle va pâtir de la dégradation de la
situation au niveau international. Ce mouvement s’accompagnera forcément d’un recul de l’emploi et, plus
encore, de la valeur ajoutée. Ce redimensionnement
relève davantage d’un changement structurel que d’un
mouvement cyclique. Il ne faut pas oublier par ailleurs
que les problèmes de financement des assurances sociales sont loin d’être résolus. La crise économique actuelle occasionne ainsi des coûts supplémentaires, qui
viennent s’ajouter à l’endettement explicite et implicite
cumulé.
Cela dit, force est de reconnaître que la crise actuelle se
révèle extraordinaire quant à sa gravité et à sa durée, ce
qui justifie, à des conditions très restrictives, le recours
à des mesures supplémentaires de politique budgétaire
discrétionnaire. Le présent « policy paper » propose un
catalogue de critères auxquels ces mesures devraient
satisfaire.
Il s’articule comme suit : il s’ouvre, dans le chapitre qui
suit, sur une brève synthèse des causes et des conséquences de la crise actuelle au niveau mondial. Le troisième chapitre propose le même exercice à l’échelle de
la Suisse : dans quels domaines est-elle particulièrement
frappée par la crise et quelles en sont les conséquences
pour le pays ? Le quatrième chapitre expose les efforts
entrepris à ce jour par la BNS, d’une part, et le Conseil
fédéral, de l’autre. Suit un bref exposé des options fondamentales qui se présentent en matière de politique
budgétaire, puis une analyse des options possibles pour
la Suisse sous cet angle. Le chapitre s’arrête ensuite sur
les expériences faites avec les programmes conjoncturels antérieurs. Le septième chapitre formule les critères
qu’un éventuel programme budgétaire discrétionnaire
devrait respecter, avant de passer en revue, à la lumière
de ces critères, les mesures proposées par le Conseil
fédéral, et de souligner l’importance cruciale des stabilisateurs automatiques. Enfin, le huitième et dernier
chapitre présente les conclusions tirées de l’analyse.
La Suisse doit donc s’attacher dès aujourd’hui à se positionner de façon favorable pour affronter l’avenir.
Elle n’est pas démunie dans cette entreprise. Parmi ses
atouts, citons : un taux d’endettement relativement
faible des finances publiques, associé à des impôts et
des taux d’intérêt comparativement bas, une inflation
faible et une monnaie solide. Au-delà de la crise, il faut
maintenant œuvrer à préserver et à développer ces
avantages. Dans cette perspective, creuser plus encore
la dette publique n’est pas sans poser de problèmes.
1
I ntroduction
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Causes et conséquences de la crise
au niveau mondial
La situation actuelle présente bien entendu des parallèles avec des épisodes de repli antérieurs. Comme par
le passé, après une phase prolongée de politique monétaire expansive, la hausse des taux a renchéri les coûts
de financement des ménages et des entreprises. Une
phase de plusieurs années de croissance vigoureuse a
entraîné une pleine exploitation des capacités et, de
pair avec une forte montée des prix du pétrole et des
matières premières, a renforcé la pression sur les prix et
les coûts. Boom des bénéfices des entreprises, perspectives de profits prometteuses et pléthore de liquidités
ont amené les banques à assouplir les conditions d’octroi de crédit. Lorsque la conjoncture s’est contractée,
elles ont durci leurs critères. Des cours de change mal
alignés ont entraîné des distorsions des coûts et des prix
touchant le commerce international et la circulation
internationale des capitaux. Tout cela est de la musique connue. Ce qui est nouveau, en revanche, c’est la
conjonction de trois développements interdépendants.
Deuxièmement, les instituts financiers ont joué dans
la naissance et la diffusion de ce boom un rôle d’intermédiaire entre l’offre et la demande de capital dans des
proportions inconnues lors des cycles antérieurs. L’interaction entre taux bas, goût du risque, innovations
financières en nombre, produits financiers opaques,
confiance aveugle dans les modèles, réglementation
inadéquate, surveillance insuffisante, mauvaises incitations et comportement impropre d’importants acteurs a débouché sur des tensions extrêmes et, en fin de
compte, a fait que les instituts financiers ont manqué
à leur mission principale de pourvoyeurs de capital intégrant adéquatement le facteur risque. Les marchés
monétaires et des crédits internationaux ont gelé. Des
interventions massives, parfois peu orthodoxes, des
banques centrales et des gouvernements assouplissent
lentement le resserrement du crédit. Mais aucune détente durable n’est en vue plus d’une année et demie
après l’éclatement de la crise.
Premièrement, à la suite de la crise asiatique de la fin
des années 90, les déséquilibres économiques mondiaux ont pris des proportions intenables à long terme.
Des économies émergentes comme la Chine, la Russie,
l’Inde et les pays exportateurs de pétrole du MoyenOrient ont accumulé des excédents de la balance courante, tandis que les Etats-Unis, mais aussi un grand
nombre de pays européens, dont la Grande-Bretagne,
l’Espagne et des pays d’Europe de l’Est, ont vu se creuser leur déficit extérieur, avec l’afflux de capitaux étrangers que cela implique. Dans ces pays, les marchés immobiliers et les ménages enclins à s’endetter ont été
les principaux bénéficiaires de cet afflux de capital bon
marché. L’éclatement concomitant d’une bulle immobilière et de consommation dans la première économie
mondiale et d’autres pays de poids a entraîné des dommages dont la réparation coûtera cher et prendra du
temps, comme le montre l’expérience du Japon et des
pays nordiques.
Troisièmement, les tensions sur les marchés monétaires et du crédit, qui ont été initialement interprétées
comme un phénomène temporaire, ont pris au fil du
temps les contours d’une crise systémique touchant
le système financier mondial. Ce qui avait commencé comme une crise limitée à un segment du marché
hypothécaire américain s’est étendu à un rythme insoupçonné à d’autres instituts financiers, à d’autres
produits financiers et à d’autres pays. La crise a atteint
son paroxysme avec la faillite de Lehman Brothers et la
vague de mesures publiques (recapitalisations, reprises
d’actifs toxiques, octroi de garanties, nationalisations)
qui se sont succédées depuis l’automne 2008. Dans ces
semaines critiques, l’écart de rendement s’est fortement
creusé entre les papiers-valeurs de premier choix et les
titres beaucoup moins sûrs. Ils se sont resserrés depuis,
mais restent à un niveau qui dénote de profondes incertitudes et des tensions sur les marchés. La grande
volatilité et la très base cote des actions des banques et
des compagnies d’assurances confirment ces signaux.
Compte tenu de la nécessité de redimensionner les
0 2 U rsac h en und Konsequen z en aus globaler S icht
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instituts financiers et des inconnues concernant l’ampleur des pertes qui pourraient encore être mises au
jour, ainsi que des incertitudes quant à l’intervention
de l’Etat en dernier recours et à ses conséquences pour
l’industrie financière, rien ne laisse présager une fin rapide de cette phase d’incertitude.
Dans cette situation; la crise financière plombe sérieusement l’économie réelle, qui plus est dans une mesure
croissante. Pendant un certain temps, les indicateurs
sont restés en deçà des faits observés. Aujourd’hui, tous
les pays industriels ou presque font face à une baisse
de la production et un recul de l’emploi. La croissance
marque aussi nettement le pas dans les économies
émergentes. Il n’est aujourd’hui plus question du découplage des « marchés émergents », naguère souvent
évoqué. L’économie mondiale se trouve dans une récession générale en forme de cercle vicieux. La contraction
touche presque toutes les régions du monde, et se différencie en cela fondamentalement des cycles antérieurs.
L’arsenal des mesures potentielles contre la crise varie
d’un pays à l’autre. Dans les Etats qui, à l’image de l’Allemagne ou de la Suisse, présentent un excédent de la
balance courante et un faible déficit des finances publiques, la marge de manœuvre acceptable pour des
mesures de stabilisation est plus grande que dans les
pays qui présentent un déficit extérieur, lesquels doivent se plier à un douloureux processus de désendettement (FMI 2008), ce qui fait obstacle à une sortie rapide
de la récession. Comme de coutume dans les phases
conjoncturelles difficiles, la menace protectionniste est
aujourd’hui particulièrement aiguë, d’autant plus que
les inconvénients de la mondialisation sont davantage
mis en lumière. Enfin, il convient de ne pas sous-estimer les effets de rétroaction que le repli général de la
croissance peut avoir sur le système financier. Même
dans une récession où les marchés fonctionnement
parfaitement, les fournisseurs de services financiers
se trouvent sous pression. Une pression d’autant plus
forte que la période est marquée par de profondes dis0 2 U rsac h en und Konsequen zen aus globaler Sicht
torsions des marchés, à quoi s’ajoute le fait que les actifs
des assurances se dévalorisent à la suite du processus
mondial de désendettement et que de grandes entreprises rencontrent de plus en plus de difficultés pour
refinancer leurs crédits bancaires en cours.
Sur cette toile de fond, le FMI table, sur un recul du PIB
global de 0,5 % pour 2009, soit la récession la plus grave
depuis la Seconde Guerre mondiale. Le seuil d’une récession globale étant fixé à environ 3 % de croissance,
l’économie mondiale est en proie à une grave récession.
Le FMI estime en outre qu’aucune reprise durable ne
sera possible tant que les marchés financiers n’auront
pas recouvert leur capacité de fonctionnement et que
la situation ne se sera pas détendue sur les marchés du
crédit. Il attend une contraction de 2,8 % du commerce
mondial (biens et services), et le recul devrait être encore plus marqué dans les pays industrialisés. Pour 2010,
il table sur une reprise timide. De nombreux signes indiquent d’ailleurs que la crise des marchés financiers
s’est encore aggravée non seulement aux Etats-Unis,
mais encore en Europe, ce qui pourrait contribuer à
prolonger la récession qui touche l’économie réelle.
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Incidences sur l’économie suisse
L’économie suisse est frappée à double titre par les
turbulences mondiales : de manière directe à travers le
secteur financier, et de manière indirecte à travers le
commerce extérieur.
Elle a grandement profité de l’essor de l’économie
mondiale au cours de la dernière décennie (Avenir
Suisse 2007). Dans le même temps, elle a participé de
manière intensive au cycle financier favorable qui a accompagné cet essor. Il faut donc s’attendre à ce que la
Suisse soit frappée d’autant plus fort par la récession
mondiale.
Grâce à sa spécialisation dans le domaine de l’intermédiation financière, la Suisse a participé de manière très
soutenue à l’accroissement de la création de valeur des
instituts de crédit, assurances et sociétés opérant dans
le secteur immobilier, gestion de fortune et négoce de
matières premières (seco 2006b). Les contributions des
branches du crédit et des assurances à la croissance du
produit intérieur brut (PIB) ont été particulièrement
grandes, notamment au cours de la décennie écoulée.
Ainsi, la part du secteur financier à la création de valeur
1
réelle est passée de 16 à 22 % du PIB entre 1980 et 2007 .
Il vaut la peine de présenter ici quelques conclusions tirées d’un rapport publié par le Secrétariat d’Etat à l’économie en 2006 (seco 2006b), qui mettent en lumière
l’extraordinaire importance du secteur du crédit et des
assurances pour la Suisse :
—par rapport à un échantillon restreint de pays, la part
du secteur financier au PIB est deux à trois fois plus
élevée en Suisse que dans les autres pays européens
1 En 1980 la valeur ajoutée réelle du secteur A5 « Financial Intermediation » se chiffrait à 48 997 millions de CHF pour un PIB de 304 733
millions de CHF. En 2007, la valeur correspondante se montait à
106 005 millions pour un PIB de 480 478 millions de CHF (source :
SECO 2009). Le secteur A5 de la comptabilité nationale comprend
aussi bien les intermédiaires financiers (banques, instituts de crédit,
etc.) que les assurances, la location, la R&D et les services liés aux
entreprises.
3
I ncidences sur l’ économie suisse
et au Japon (13-14 % contre 4-5 % en moyenne pour
les pays européens, 6 % pour le Japon et 19 % pour le
Luxembourg) ;
—la proportion des personnes employées dans le secteur financier est aussi environ deux à trois fois plus
élevée en Suisse qu’en moyenne européenne ;
—la Suisse est le seul pays où la contribution trimestrielle du secteur financier au PIB peut faire basculer la croissance économique générale dans la zone
rouge ou les chiffres noirs. La contribution du secteur financier au PIB de la Suisse à hauteur de 13
à 14 % ne doit pas faire perdre de vue que plus de
50 % de la croissance trimestrielle du PIB de la Suisse
peut provenir de ce secteur. Si, au Luxembourg, le
secteur financier pèse environ 20 % du PIB, son influence sur le taux de croissance du PIB semble être
moindre. Cette situation tient au fait que le « reste de
l’économie » a aussi connu un développement très
dynamique, ce qui n’a pas été le cas en Suisse.
Dans le sillage de la crise des marchés financiers, il faut
maintenant s’attendre à ce que le redimensionnement
du secteur financier à l’échelle mondiale touche aussi
la Suisse. Selon toute probabilité, cet élagage n’aura
pas un effet uniquement cyclique : la part du secteur
au PIB et la croissance de la valeur ajoutée s’en trouveront durablement diminués. Une baisse de la valeur
ajoutée du secteur financier au sens étroit de l’ordre de
10 à 15 % – hypothèse tout à fait plausible – entraînerait
un recul de 2 à 3 % de la valeur ajoutée générale (PIB).
Dans ce contexte, la Suisse doit répondre sans tarder
à cette question : comment compenser cette baisse de
la valeur ajoutée et de l’emploi, étant entendu que des
mesures budégtaires et fiscales axées sur le court terme
ne seront pas à même de compenser un tel recul ?
Au cours des cinq dernières années, la deuxième grosse
contribution à la croissance de l’économie suisse est
venue du commerce extérieur, notamment en 2006 et
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2007, années durant lesquelles il a généré plus de deux
tiers de la croissance économique générale. Le moteur
principal derrière ces bons résultats de l’économie d’exportation est l’évolution favorable du cours du francs
suisse ces dernières années (seco 2006a). Contrairement à ce que l’on observe dans le secteur financier,
on peut estimer que la baisse du commerce extérieur
présente un caractère purement cyclique, sans que l’on
puisse toutefois attendre une reprise rapide, une phase
de stagnation prolongée étant plutôt à l’ordre du jour.
En tout état de cause, il apparaît que la Suisse, du fait
de sa stratégie économique fortement axée sur l’exportation, sera durement frappée par une contraction du
2
commerce mondial .
La récession frappe ainsi les deux piliers du dynamisme
de la croissance économique de la Suisse : le secteur financier côté production, et le commerce extérieur côté
revenu. Certes, la Suisse dispose d’une structure économique très diversifiée, ce qui la rend plus résistante à la
récession que des pays qui présentent un haut degré de
monoculture économique. Et son commerce extérieur
est lui aussi très diversifié. Néanmoins, à la suite des difficultés rencontrées par le géant bancaire UBS, elle prend
pour la première fois vraiment conscience que sa place
financière représente un risque agrégé considérable.
Un aspect positif est que la crise a frappé une économie suisse présentant une solide santé. Contrairement
à l’Irlande ou l’Espagne, par exemple, elle ne connaît
pas de problèmes sur le marché immobilier, même
si certaines régions ne devraient pas échapper à une
correction. De plus, la Suisse n’est plus dans la même
situation qu’au début des années 90, qui étaient marquées par de gros déséquilibres et distorsions d’ordre
structurel sur le marché intérieur, à commencer par les
conséquences de la correction du boom immobilier,
des taux d’intérêt records, d’une monnaie surévaluée et
de structures sur-réglementées et sclérosées.
Pour ce qui est des perspectives, il ressort d’indicateurs
durs comme de constats anecdotiques que ce sont
surtout les entreprises tournées vers l’exportation qui
rencontrent de gros problèmes dans le nouvel environnement du marché. Les chiffres les plus récents du
commerce extérieur signalent une nette tendance à la
baisse (AFD 2009). Pour l’heure, la marche des affaires
sur la place financière présente encore un tableau hétérogène. D’une part, les deux grandes banques, qui
ont subit des pertes considérables sur leurs activités
globales, sont durement frappées. Côté assurances, les
problèmes qui commencent à se dessiner vont s’accentuer du fait du processus de deleveraging et de déflation
des actifs à l’échelle mondiale. En revanche, les nombreuses petites banques et autres banques régionales,
qui ont vraisemblablement profité de l’afflux de fonds
retirés des deux grandes banques, tirent mieux leur
épingle du jeu.
De nouveaux indicateurs confirment que la récession
a maintenant gagné la Suisse. Grâce à des carnets de
commandes records, mais aussi à la forte immigration
et à de bons accords salariaux, notre économie a résisté
plus longtemps que d’autres à la contraction mondiale.
Mais la page se tourne. Sur le marché du travail, qui est
en règle générale un indicateur décalé, on observe déjà
une hausse sensible du chômage.
Ainsi, la consommation privée va perdre en dynamique,
en dépit des bons accords salariaux de l’automne passé
et de la baisse de l’inflation, d’autant plus que l’immigration, autre pilier important de la conjoncture, va
aussi freiner. Il faut aussi s’attendre à la poursuite du
repli des investissements, l’investissement en biens
d’équipements étant plus exposé que la construction.
Dans l’ensemble, les perspectives conjoncturelles se
présentent plutôt mal.
2 A l’image de la Chine ou de l’Allemagne, la Suisse compte parmi les
principaux pays excédentaires du monde.
0 3 A N A LY S E
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4 Mesures de politique économique prises à ce jour
4.1 Mesures de la Banque nationale suisse
(BNS)
Jusqu’ici, les initiatives de la BNS se sont concentrées
avant tout sur la stabilisation du marché financier,
ainsi que la préservation de l’intégrité et de la stabilité
du système financier. Comme mentionné plus haut, la
BNS propose actuellement des liquidités à court terme
sur le marché monétaire à un taux zéro ou presque.
Elle a par ailleurs mené le mouvement pour créer le
fonds de stabilisation en faveur d’UBS et elle apporte
une contribution importante aux efforts internationaux de stabilisation des marchés financiers. Enfin,
elle a coordonné ses actions en étroite collaboration
avec les banques centrales américaine, européenne et
britannique.
Reste toutefois que les mesures de la BNS ont été
jusqu’ici peu axées sur l’économie réelle. Et, vu la politique de fait de taux zéro, on peut douter que la BNS
puisse encore exercer une grande influence sur l’économie réelle. Dans l’hypothèse d’une appréciation inattendue du franc suisse, la BNS a commencé à intervenir
sur le marché des devises. Les mesures qu’elle prend ont
en outre un caractère préventif en ce sens que, considérées à l’aune du taux directeur, les conditions de financement sont favorables pour les entreprises. Or le problème n’est pas là aujourd’hui, mais dans le fait que les
primes de risque sont toujours élevées et qu’elles rendent les conditions effectives de financement des entreprises très restrictives. Selon ses propres déclarations,
la BNS n’exclut pas non plus d’intervenir directement
dans ce domaine si les conditions de financement des
entreprises subissent un nouveau tour de vis.
La BNS estime que la lutte contre le resserrement du
crédit est une priorité importante. Selon la loi sur la
banque nationale, elle serait en principe aussi habilitée à d’autres interventions, qui pourraient inclure
des mesures « non conventionnelles », dont le quanti4
M esures de politique économique prises à ce j our
tative easing déjà mentionné et d’autres instruments
rattachés à une politique de taux zéro (zero interest
rate policy, ZIRP). Elle pourrait par exemple influer,
et elle a exprimé sa volonté de le faire, sur le prix et
le rendement d’emprunts privés à long terme par des
opérations de rachat. Si la BNS se pose en acheteuse,
le prix de ces obligations de débiteurs privés devrait
monter et les rendements baisser en proportion, ce qui
rendrait les investissements de nouveau profitables, et
tendrait donc à stimuler l’activité économique. Cela
présuppose toutefois que la politique des taux zéro
s’étende sur plusieurs trimestres, avec le risque d’un
accroissement du potentiel inflationniste, qui menacerait la stabilité des prix à moyen terme.
A court terme, on ne peut pas exclure quelques trimestres de recul général des prix, ce qui pourrait faire
monter les taux réels. Cela dit, un scénario de déflation
générale ne devrait pas être envisagé avant une période
prolongée de déflation mondiale des actifs. A moyen
terme, après la libération massive de liquidités par la
BNS, le scénario d’un accroissement de l’inflation est
plus probable.
Dans le contexte actuel, les mesures de la BNS semblent appropriées. Toutefois, elle a abaissé très vite le
taux directeur dans la zone zéro, et s’est privée de ce
fait rapidement de l’instrumentaire conventionnel de
la politique des taux. Elle n’est sur ce point pas en ligne
avec la politique de la BCE, qui a conservé une plus
grande marge de manœuvre.
Comme la situation sur les marchés financiers est loin
d’un retour au calme effectif, il est prématuré de vouloir procéder aujourd’hui déjà à une appréciation globale de la politique monétaire. On peut néanmoins
déjà lui reconnaître la vertu d’avoir produit dans une
large mesure les effets attendus grâce aux mesures à
court terme prises à ce jour.
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4.2 Mesures du Conseil fédéral
Dès le mois de novembre, alors que les indicateurs économiques suisses étaient pour la plupart encore bons
mais que les perspectives se détérioraient rapidement,
le Conseil fédéral a lancé un premier train de mesures,
en utilisant une part du volant budgétaire autorisé par
le frein à l’endettement pour 2009 : il a proposé au Parlement d’accroître de manière ciblée les dépenses propres
à soutenir directement la demande. Exception faite de la
libération des réserves de crise, il s’agit exclusivement de
dépenses anticipées pour 2009. Ces mesures sont présentées dans le tableau 1. A la mi-février, le Conseil fédéral
a en outre soumis au Parlement un message concernant
la deuxième phase des mesures de stabilisation conjonc-
turelle. Ces mesures sont présentées dans les tableaux
2 et 3.
Le Conseil fédéral réagit ainsi à la détérioration de la
conjoncture en appliquant une démarche par étapes.
Sur le fond, il faut noter que les mesures arrêtées à ce
jour sont conformes au frein à l’endettement. Un troisième train de mesures (phase 3), annoncé par le Conseil
fédéral pour l’été 2009 au cas où la situation économique
continuerait de se détériorer, exigerait par contre un assouplissement des contraintes du frein à l’endettement.
Il convient par ailleurs de mentionner que plusieurs
cantons ont déjà pris ou annoncé des mesures conjoncturelles. Mais aucune vue d’ensemble systématique n’est
disponible à ce jour.
Tableau 1 : Mesures de stabilisation du Conseil fédéral, phase 1, au 12.11.2008
Montant
Levée du blocage des crédits
Le blocage des crédits de plusieurs départements a été levé.
Blocage des crédits : les plafonds de dépenses, les crédits d’engagement et les crédits budgétaires
accordés ont fait jusqu’ici l’objet d’un blocage partiel. Le blocage partiel de crédits est utilisé dans
le cadre de la gestion des finances
+205 Mio.
Augmentation des moyens alloués à la protection contre les crues
Exemplaire : correction de la Linth, assainissement du canal d’Escher, glacier de Grindelwald,
galerie d’évacuation du lac de Thoune, etc.
+66 Mio.
Investissements dans l’aide au logement
Exemplaire : assainissement énergétique complet de plus de 1000 logements sans grosses augmentations de loyer.
Le Parlement a augmenté de 14 à 100 millions la contribution fédérale inscrite au budget 2009
pour ce programme.
+45 Mio.
Travaux d’entretien de constructions civiles de la Confédération
Lancement de la rénovation de constructions à Berne et à la frontière
+20 Mio.
Promotion des exportations
Augmentation des moyens alloués à l’Osec
+10 Mio.
Source: seco, 2008
Libération des réserves de crise
Total
4
M esures de politique économique prises à ce jour
+550 Mio.
+900 Mio.
Page 10
M E S U R E S D E P O L ITIQUE BUDGÉTAIRE CONTRE L A CRISE — Potentiel, limites et risques
Tableau 2 : Mesures de stabilisation du Conseil fédéral, phase 2, au 11.2.2009
Betrag
Infrastructure routière, infrastructure des CFF et des chemins de fer privés
Exemplaire route : protection contre le bruit (semi-couverture) à Lenzburg, élimination des goulets d’étranglement du réseau des routes nationales (élargissement à 6 voies Härkingen/Wiggertal,
élargissement à 6 voies Blegi/Rütihof), etc.
Exemplaire rail : travaux d’entretien pour améliorer la stabilité des horaires (assainissement des
lignes de contact, rénovation des superstructures), augmentation de la disponibilité du réseau
(gares de triage), amélioration de la sécurité (assainissement des passages à niveau dangereux), etc.
+ 143 Mio.
Projets relevant de la nouvelle politique régionale
Plus de 9000 projets d’infrastructure ont été soutenus entre 1975 et 2007. S’agissant de la rénovation
de ces installations, il y a encore du chemin à faire. Une campagne de promotion limitée dans le
temps peut être lancée rapidement.
+100 Mio.
Recherche appliquée et recherche fondamentale
Pôles de recherche nationaux, supplément à l’encouragement du transfert de savoir et de technologie, mesures de formation dans le domaine du calcul à haute performance, destinées aux universités
(high performance computing, HPC)
CTI : augmentation du crédit affecté aux technologies d’avenir, application plus souple des critères
de promotion, chèques-innovation
+50 Mio.
Forêts, protection de la nature et du paysage
Exemplaire : projets de régénération dans les zones de frai des amphibiens, les marais et les prairies
sèches, mesures ciblées pour promouvoir des espèces (plantation d’arbres à haute tige, p. ex.) et
pour lutter contre les espèces envahissantes posant des problèmes (verge d’or, berce du Caucase, p.
ex.), revitalisations des eaux
+20 Mio.
Energie
Exemplaire : promotion de projets de chauffage à distance ; remplacement de chauffages électriques
par des pompes à chaleur, des chauffages à bois et des chauffages solaires ; investissements dans des
installations photovoltaïques
+50 Mio.
Assainissement et entretien de bâtiments des EPF et d’armasuisse
Exemplaire EPF : augmentation de l’efficacité énergétique des toits plats de l’EPFL ; domaine du
calcul à haute performance : aménagement de l’infrastructure des bâtiments, acquisition d’un nouveau système de calcul
Exemplaire armasuisse : assainissement de toits et de sites contaminés (places de tir, dispositif de
sécurité pour le remplissage des réservoirs afin d’éviter des atteintes à l’environnement), mesures
permettant de réduire la consommation d’énergie
+40 Mio.
Marketing touristique
Une nouvelle campagne de marketing sera lancée sur les principaux marchés (Suisse, Allemagne,
France, Italie) pour atténuer le recul prévisible de la demande touristique.
Chiffre d’affaires supplémentaire escompté : 100-150 millions
+12 Mio.
4
M esures de politique économique prises à ce jour
+700 Mio.
Page 11
Source: seco, 2009
Total supplément
+ 252 Mio
M E S U R E S D E P O L ITIQUE BUDGÉTAIRE CONTRE L A CRISE — Potentiel, limites et risques
Tableau 3 : Mesures de stabilisation arrêtées par le Conseil fédéral le 11.2.2009 qui
nécessitent l’adaptation d’une loi ou d’une ordonnance
Loi fédérale sur l’extension provisoire des prestations de l’Assurance suisse contre les risques à lexportation (ASRE)
Mesures provisoires visant à soutenir l‘industrie d‘exportation :
–
extension de l‘assurance des garanties contractuelles par une garantie des cautions
–
introduction d‘une garantie de refinancement
–
assurance du crédit de fabrication
Ordonnance sur l’assurance-chômage obligatoire et l’indemnité en cas d’insolvabilité (ordonnance sur
l’assurance-chômage, OACI)
Réduction de l’horaire de travail :
–
prolongation de 12 à 18 mois de la durée maximale de l’indemnité en cas de réduction de l’horaire de
travail (chômage partiel)
–
réduction du délai de carence de 2 ou 3 jours à 1 jour (délai de carence = nombre de jours à la charge de
l‘employeur)
–
pendant la durée de la réduction de l‘horaire de travail, les entreprises peuvent mettre en œuvre, à leurs
frais, des mesures de perfectionnement destinées à leurs collaborateurs
Source: seco, 2009
Loi fédérale encourageant la construction et l’accession à la propriété de logements (LCAP)
La modification de loi proposée prévoit que les avances au titre de l’abaissement de base dues soient remises en
partie ou en totalité si les propriétaires de vieux objets LCAP devant être rénovés investissent de manière substantielle dans des travaux d’assainissement énergétique.
4
M esures de politique économique prises à ce jour
Page 12
M E S U R E S D E P O L ITIQUE BUDGÉTAIRE CONTRE L A CRISE — Potentiel, limites et risques
5
Mécanismes et effets de la politique budgétaire
Un stimulus budgétaire peut contribuer à court terme
à une stabilisation de la demande générale et induire
ainsi une réduction de la sous-exploitation des facteurs
de production. Aux Etats-Unis, les critères dits TTT
sont avancés comme facteurs de succès (Elmendorf et
Furman 2008). Un stimulus budgétaire doit toujours
faire effet en temps utile (timely), de manière temporaire (temporary) et ciblée (targeted). Par en temps
utile, on entend que l’effet doit se faire sentir au bon
moment, soit quand les capacités sont encore sous-exploitées. Les mesures budgétaires peuvent tout à fait
être efficaces à brève échéance. La condition pour ce
faire est d’avoir des projets prêts à mettre mis en oeuvre
pour ce qui est des programmes d’investissement, et
une mise en oeuvre rapide lorsqu’il s’agit d’allégements
fiscaux. Si la mesure agit trop tard, l’effet perd son efficacité et comporte même un risque inflationniste. Un
programme devrait être temporaire afin d’éviter les
effets inflationnistes et ne pas mettre en péril l’équilibre à long terme des finances publiques. Enfin, un
programme devrait être ciblé en ceci qu’il s’attaque aux
causes de la faiblesse de la conjoncture.
Un stimulus budgétaire peut augmenter directement
la demande lorsque l’Etat se porte acquéreur de biens
et de services sur le marché. Il peut aussi avoir un effet
indirect en favorisant la demande de consommation
ou l’activité d’investissement des entreprises. La demande de consommation des ménages augmentera
si le revenu après impôts ou le revenu (disponible)
3
permanent s’accroît . L’activité d’investissement des
entreprises s’intensifiera en proportion si le revenu
du capital après impôt s’accroît, permettant à des investissements supplémentaires de dépasser le seuil de
rentabilité. Enfin, toute mesure qui entraîne une augmentation de l’activité économique générera aussi une
poussée de l’activité d’investissement.
Sur cette base, deux options se présentent du point de
vue de l’Etat. Il peut accroître les dépenses ou réduire
les recettes. Un accroissement des dépenses passe par
l’achat accru de biens et de services. De leur côté, les réductions fiscales induisent un recul des recettes. Il s’ensuit que la discussion autour des mesures budgétaires
discrétionnaires porte toujours sur une augmentation
temporaire des dépenses publiques ou des réductions
fiscales temporaires.
Dans ce contexte, l’ampleur du stimulus permettant de
parer à une récession ou de l’atténuer est une question
d’importance. Quelle doit être l’intensité d’une stimulation pour qu’elle induise une stabilisation de la demande ou un renforcement de l’activité économique ?
La question de l’ampleur des mesures dépend de l’efficacité du stimulus, ce qui nous amène aux effets multiplicateurs des réductions d’impôts ou des dépenses
publiques sur la demande générale. L’influence de
l’Etat sur la conjoncture est d’autant plus marquée que
le multiplicateur est grand. Un multiplicateur égal à 1
signifierait qu’un accroissement des dépenses de l’Etat
d’un milliard de francs entraînerait une progression
d’un milliard de francs du PIB, et qu’un multiplicateur
supérieur à 1 induirait une augmentation proportionnelle du PIB.
Il convient de faire ici une différenciation qui va audelà de la sémantique : un programme de stimulation
ne saurait raisonnablement viser une compensation
intégrale du recul conjoncturel, l’idée étant en fait de
stabiliser la situation et d’étaler dans le temps le repli de l’activité économique. La priorité va donc à un
amortissement de la récession, et non à une neutralisation complète.
3 Selon l’hypothèse du revenu permanent, seul un accroissement
temporaire du revenu induit une augmentation de l’épargne.
5
M écanismes et e ffets de la politique budgétaire
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M E S U R E S D E P O L ITIQUE BUDGÉTAIRE CONTRE L A CRISE — Potentiel, limites et risques
6 Limites d’une politique budgétaire
discrétionnaire en Suisse
Contrairement aux pays européens notamment, les
Etats-Unis ne connaissent guère de stabilisateurs automatiques. Par exemple, seul un petit nombre des personnes actives y sont assurées contre le chômage. La
Suisse dispose au contraire de puissants stabilisateurs
automatiques.
Une autre différence importante réside dans la taille
du marché intérieur. Aux Etats-Unis, la demande d’importations et les prestations intermédiaires achetées à
l’étranger représentent moins de 20 % du PIB. En Suisse,
le chiffre avoisine 40 %, étant précisé qu’il existe des différences parfois notables selon les secteurs ou branches
économiques. La part des prestations intermédiaires
importées est par exemple plutôt faible dans l’enseignement ou l’administration publique au sens étroit, tandis
qu’elle est nettement supérieure à 60 % dans d’autres domaines, ce qui entraîne une réduction des effets multiplicateurs. Le centre de recherches conjoncturelles de
l’Ecole polytechnique fédérale de Zurich (KOF), qui a
évalué le programme d’investissement 1997, est arrivé
à la conclusion qu’environ 75 % de la demande supplémentaire générée déployait des effets à l’étranger. Vu
la taille très réduite du marché intérieur, le « coulage »
(leakage effect) semble donc considérable en Suisse. Les
analyses du KOF ont conclu à un effet multiplicateur
des dépenses publiques compris entre 0,3 et 1,0.
Une raison pour laquelle les effets multiplicateurs sont
probablement plus faibles dans les faits que dans la
théorie tient à ce que, en Suisse, le secteur des services
représente aujourd’hui plus de 70 % de l’emploi total. Et
comme les programmes d’investissement sont en règle
générale essentiellement axés sur la promotion des investissements dans la construction, ils ne profitent que
très indirectement au secteur des services.
Il convient en outre de noter qu’environ un quart de
la population touche actuellement une rente de l’Etat
en Suisse, que ce soit via la prévoyance vieillesse, l’assurance invalidité, l’assurance chômage ou l’aide sociale.
0 6 G ren z en disk retion ä rer Fis kalpoliti k in der Schweiz
Ces rentes contribuent naturellement à stabiliser la demande en permanence et réagissent très peu aux fluctuations conjoncturelles. Il faut par ailleurs rappeler
que la quote-part sociale est aujourd’hui supérieure à
la part des investissements bruts, ce qui relativise l’effet
d’une impulsion budgétaire qui passe par l’investissement. A cela s’ajoute le fait que l’emploi dans les administrations publiques et les entreprises proches de l’Etat
est déjà très élevé en Suisse : à eux seuls, les domaines
de la santé, du social et de l’enseignement représentent
quelque 30 % de l’activité du secteur tertiaire et plus
d’un cinquième de l’emploi total en Suisse. Dans ces
domaines où les conditions d’emploi sont souvent régies par le droit public, la sécurité de l’emploi est très
élevée et la marge de manœuvre pour des réductions
salariales est faible. Il faut enfin citer le secteur agricole, qui est en principe peu touché par les fluctuations
conjoncturelles et qui compte pour environ 3 ou 4 % de
l’activité totale.
Tous les facteurs mentionnés font que les programmes
d’investissement classiques ne déploient pas de grands
effets en Suisse et que, en dernière analyse, les multiplicateurs keynésiens restent probablement bien en deçà
des valeurs théoriques.
6.1 Les leçons des programmes
de stabilisation précédents
En réaction à des phases de basse conjoncture, la Suisse
a lancé des programmes de stabilisation au printemps
1993 et au printemps 1997 (Saurer 1996 et seco 2001).
Le bonus à l’investissement 1993-1995
Le bonus à l’investissement 1993-1995 était une aide financière de la Confédération, qui a cofinancé durant
ces années dans les domaines de la construction et de
l’énergie des projets qu’elle n’aurait en principe pas
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M E S U R E S D E P O L ITIQUE BUDGÉTAIRE CONTRE L A CRISE — Potentiel, limites et risques
soutenu dans le cadre de son activité ordinaire. Les
bénéficiaires de ce bonus à l’investissement étaient les
cantons, les communes et des associations assumant
des tâches publiques. Ils pouvaient soumettre une demande à la Confédération, qui participait financièrement aux projets reçus à hauteur de 15 % pour les projets
de construction ordinaires et de 20 % pour les projets
de construction dans le domaine de l’énergie. Afin
d’éviter que les contributions ne financent des projets
qui auraient de toute façon été réalisés, il devait s’agir
de projets d’investissement supplémentaire ou anticipé. Les 200 millions disponibles ont généré un volume d’investissement direct de 1,437 milliard de CHF
(contre-valeur des coûts d’investissement comptabilisés par les responsables de projet dans le cadre du bonus à l’investissement). On peut estimer que le volume
de commandes déclenché par le bonus dans le secteur
de la construction a dépassé ce montant, mais l’ordre
de grandeur n’a pas été calculé par après. Concernant
l’effet du bonus à l’investissement sur la conjoncture, le
rapport final constate que le bonus à l’investissement a
répondu aux attentes qu’on pouvait raisonnablement
exiger de lui (Saurer 1996), mais qu’il n’a pas été suffisamment grand pour sortir l’économie suisse de la stagnation et contenir durablement la baisse de l’emploi.
L’auteur estime que les effets d’aubaine ont été faibles,
autrement dit, seule une très petite part des moyens
a profité à des projets qui auraient été réalisés sans le
bonus à l’investissement. Il précise par contre que la
politique restrictive adoptée en matière monétaire et
sur le front des dépenses publiques a, tout au moins
partiellement, contrecarré les effets du bonus à l’investissement.
6.2 Le programme d’investissement 1997
La somme des moyens débloqués dans le cadre du programme d’investissement 1997 se monte à 481 millions
de CHF, répartis à raison de 154 millions de CHF dans
0 6 G renz en dis k retion ä rer Fis kalpoliti k in der Schweiz
le maintien de la qualité du réseau des routes nationales, 20 millions de CHF dans le maintien de la qualité des constructions fédérales, 200 millions de CHF
dans le maintien de la qualité des infrastructures publiques et 64 millions de CHF dans la promotion des
investissements privés dans le domaine de l’énergie, à
quoi il convient d’ajouter 43 millions de CHF au titre
de la levée du blocage des crédits pour les dépenses
d’investissement. Le programme d’investissement a été
accompagné de réformes structurelles déployant des
effets à moyen terme. Cette stratégie, qui visait à la fois
l’ouverture vers l’extérieur et la réforme à l’intérieur,
comprenait notamment l’adoption de la loi sur le marché intérieur et de la loi sur les entraves techniques au
commerce, la révision de la loi sur les cartels, la réforme
de l’imposition des entreprises et d’autres mesures dans
le domaine des infrastructures et de l’agriculture, mais
aussi la poursuite des efforts d’assainissement des finances publiques. Le stimulus conjoncturel avait en
outre bénéficié d’une politique monétaire de la BNS
clairement expansive.
Le programme d’investissement a été évalué par le
KOF, qui a conclu que l’effet cumulé du programme
sur la demande globale a atteint 3,5 milliards de CHF,
mais que cette demande a été satisfaite à plus de 70 %
(soit environ 2,55 milliards de CHF) par des importations (SECO 2001). Selon le KOF, l’incidence nette sur
la croissance du PIB a donc été plus faible que l’effet sur
l’ensemble de la demande.
6.3 Expériences tirées des deux
programmes d’investissement
Le rapport du SECO concernant le programme d’investissement 1997 et le rapport final concernant le bonus à
l’investissement 1993-1995 contiennent des recommandations dans l’éventualité de nouveaux programmes
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M E S U R E S D E P O L ITIQUE BUDGÉTAIRE CONTRE L A CRISE — Potentiel, limites et risques
d’investissement à venir. Ces recommandations sont
brièvement présentées ci-après.
—Il faudrait réduire le nombre des critères d’attribution, car un grand nombre de critères freine le
traitement administratif des dossiers et entraîne de
grands retards dans la réalisation des projets.
Les deux programmes d’investissement font l’objet
d’une évaluation positive quant à leur principe. En
même temps, les évaluations mettent en avant qu’ils
présentent quelques sérieuses carences, qui sont toutefois dans la nature des choses. L’efficacité des programmes est jugée plutôt insatisfaisante.
—La politique des dépenses des pouvoirs publics doit
être mieux coordonnée. Trop souvent, la politique
expansive de la Confédération a été neutralisée par
une politique restrictive des cantons, ce qui a donné
lieu en fin de compte à une politique budgétaire très
procyclique.
—Face à un creux conjoncturel, les cantons et les communes risquent d’anticiper un programme d’investissement et d’adapter leurs dépenses en conséquence, de sorte que les effets d’aubaine pourraient
s’accroître. De plus, des programmes d’investissement à répétition pourraient amener les cantons
à conduire une politique budgétaire incohérente,
laissant les dépenses d’investissement prendre un
tour excessivement procyclique.
—Les programmes d’investissement comportent le
danger d’effets structurels non désirés. Les deux
programmes mentionnés ont surtout profité à la
construction. Un programme d’investissement
traditionnel peut, dans le pire des cas, favoriser le
maintien de structures qui exigent une réforme.
0 6 G ren z en disk retion ä rer Fis kalpoliti k in der Schweiz
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M E S U R E S D E P O L ITIQUE BUDGÉTAIRE CONTRE L A CRISE — Potentiel, limites et risques
7
Optimiser la gestion de crise à travers
la politique budgétaire
Une bonne gestion de crise par la politique budgétaire pose deux exigences : d’une part, il faut soupeser
précisément quels effets un programme conjoncturel
public est à même de produire ; d’autre part, un tel
programme doit se fonder sur des principes clairs si
l’on veut éviter que les effets keynésiens potentiels ne
soient annulés par de possibles effets ricardiens (perte
de confiance). La démarche devrait s’articuler autour
des axes suivants :
1) Il faut mettre l’accent sur les investissements d’infrastructure déjà planifiés, car c’est la mesure qui
produit les effets les plus marqués sur la croissance
et sur l’emploi. L’investissement permet de stimuler
l’activité économique à court terme, notamment en
raison des mécanismes de la théorie des cycles économiques. Cela dit, pour la mise en œuvre concrète,
il faut disposer de projets adéquats, qui doivent notamment pouvoir être réalisés immédiatement. Les
coûts consécutifs et les effets d’aubaine doivent être
évités autant que faire se peut, ce qui plaide pour
une interprétation relativement restrictive de la notion d’investissements publics, calquée sur la comptabilité nationale. Il faut donc éviter d’intégrer des
investissements privés, comme ce fut le cas dans le
domaine énergétique pour le dernier programme
d’investissement en 1997. Pour la Suisse, il serait important que les cantons apportent aussi une contribution. Enfin, il faut tenir compte des capacités disponibles réduites du secteur de la construction si
l’on veut éviter des poussées de prix inflationnistes.
2) Il faut rejeter les mesures budgétaires qui revêtent le
caractère de subventions – que ce soit au bénéfice de
certaines branches ou des subventions écologiques.
Ces interventions de l’Etat recèlent non seulement
le risque d’influer sur le comportement des agents
économiques qui pourraient se mettre à compter
sur l’aide de l’Etat à l’avenir, mais encore, en règle générale, le risque de distorsions de la concurrence et
ainsi de la sclérose des structures. Il faut aussi éviter
7
les rabais fiscaux, option retenue par les Etats-Unis
au printemps 2008. L’expérience a montré qu’une
grande part du stimulus n’a pas eu d’effet expansif,
mais a accru le taux d’épargne des ménages privés.
On sait qu’en Suisse la consommation réagit de manière relativement inélastique aux changements de
prix et que l’élasticité des revenus est aussi faible. De
plus, vu le haut degré d’extraversion de l’économie
suisse, ce genre de mesure verrait une grande partie de ses effets partir dans les importations. Il s’ensuit que ni la répartition des excédents de recettes
des comptes ordinaires de la Confédération ni une
baisse temporaire de la TVA ne sont judicieuses. En
revanche, la compensation plus rapide de la progression à froid est une bonne mesure, même si elle ne
vise pas au premier chef des objectifs conjoncturels.
Par ailleurs, la situation actuelle invite à la réflexion
sur la façon dont les stabilisateurs automatiques
pourraient être rendus encore plus efficaces, sans
toutefois entraîner une augmentation permanente
de la quote-part de l’Etat. L’assouplissement des
conditions d’indemnité en cas de réduction de l’horaire de travail s’inscrit dans cette ligne.
3) Avec un programme d’investissement de ce type,
axé sur la stabilisation conjoncturelle à court terme,
il serait possible non seulement d’atténuer quelque
peu la récession, mais encore d’émettre un signal
psychologique fort qui influerait positivement sur
les attentes des ménages et des entreprises. Car l’Etat
ferait ainsi savoir qu’il prend les choses en main et
qu’il exploite le volant budgétaire à sa disposition,
tout en tenant compte des principes économiques
et de l’expérience accumulée. Certes, cela ne suffirait pas à rétablir immédiatement la confiance, mais
ce serait un premier pas important dans cette direction, car la politique conjoncturelle est toujours liée
à des aspects psychologiques.
4) Au-delà du court terme, il serait cependant important d’influer positivement sur les attentes à moyen
O ptimiser la gestion de crise à travers la politique budgétaire
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terme des agents économiques concernant le revenu. La meilleure façon d’y parvenir passe à la fois
par l’investissement dans l’innovation et par des
baisses d’impôt durables. L’expérience montre que
l’activité d’innovation est procyclique (autrement
dit, elle souffre de la pression sur les coûts et tend
à diminuer en phase de basse conjoncture), ce qui
plaide pour le renforcement la capacité d’innovation de l’économie. Or il serait important que les
entreprises continuent d’investir dans de nouveaux
produits, procédés et compétences même en phase
de récession si elles veulent pouvoir profiter sans
délai de la reprise le moment venu. Pour cela, il
faut une large promotion fiscale de la R&D, qui
soit ouverte aux technologies, que ce soit par le
biais d’un allégement de l’assiette fiscale, d’un taux
réduit ou d’un rabais fiscal. On peut aussi imaginer
un programme de réforme fiscale qui abaisserait les
taux d’imposition marginaux et relèverait le montant en franchise d’impôt pour les familles. Cela
produirait des incitations positives pour les agents
économiques, tout en limitant probablement les
hausses de salaires. La mesure aurait pour effet
secondaire de freiner l’augmentation des coûts
du travail, allégeant ainsi la charge sur les entreprises, ce qui renforcerait l’emploi. Des arguments
convaincants sous l’angle de la croissance, de la fiscalité et du rôle de l’Etat viennent à l’appui de ces
deux approches.
7.1 Les mesures de stabilisation (phases 1
et 2) à la lumière de ces critères
L’analyse des deux programmes du Conseil fédéral à
la lumière des critères ci-dessus et des « critères TTT »
(mesures temporaires, ciblées et déployant des effets
rapidement) laisse un sentiment mitigé, surtout en ce
qui concerne les mesures de la phase 2.
7
—Le programme du Conseil fédéral met clairement
l’accent sur le secteur de la construction, qui n’a
jusqu’ici été touché que marginalement par la crise
et dont les perspectives ne pointent pas dramatiquement vers le bas, grâce notamment aux conditions de financement favorables dont bénéficie la
construction de logements.
—Le rapport entre les différentes mesures et la stabilisation conjoncturelle proprement dite est ténu,
voire inexistant. C’est notamment le cas des mesures dans le domaine de la politique régionale, du
Fonds national de la recherche scientifique et de la
CTI, ainsi que de la promotion touristique. Cela
montre qu’on intègre régulièrement des mesures
non conjoncturelles dans les programmes de stabilisation.
—Les mesures dans le domaine de l’assainissement
énergétique des bâtiments, notamment, présentent le caractère d’une subvention et posent ainsi
un problème de principe quant au rôle dévolu à
l’Etat. L’expérience ambivalente faite avec les mesures énergétiques du programme d’investissement
de 1997 sont simplement ignorées.
—En revanche, les mesures visant à étendre l’éventail
des prestations de l’assurance contre les risques à
l’exportation apparaissent adéquates, même si leur
efficacité risque d’être limitée, vu que des volets importants de l’économie suisse d’exportation recourent peu à cet instrument, voire n’y recourent pas du
tout.
Au final, ces aspects mettent en lumière la dimension
politico-économique des mesures conjoncturelles.
Nombre de projets réalisés sous couvert de politique
conjoncturelle n’auraient souvent guère réussi à réunir
une majorité dans le processus législatif ordinaire. Il est
d’ailleurs symptomatique à cet égard que des moyens
considérables ont été consacrés à l’agriculture dans le
O ptimiser la gestion de crise à travers la politique budgétaire
Page 18
M E S U R E S D E P O L ITIQUE BUDGÉTAIRE CONTRE L A CRISE — Potentiel, limites et risques
premier comme dans le deuxième programme d’investissement. Dans le cadre du bonus à l’investissement
1993-1995, 300 millions de CHF au total sont allés dans
le bâtiment et le génie civil, et une enveloppe de 100
millions de CHF a été consacrée à l’agriculture.
Si le choix du Conseil fédéral de procéder par phases
apparaît sage et raisonnable, le risque existe néanmoins
de perdre la vue d’ensemble sur les coûts. En clair, on
peut présenter des coûts acceptables dans chacune des
phases, qui, cumulés, risquent de mettre en péril l’objectif d’équilibre des finances publiques fixé à moyen et
long terme. Cette « tactique du salami » pourrait masquer le coût effectif des programmes de stabilisation,
ce qui n’est pas sans poser de problèmes.
7.2 Confiance dans les stabilisateurs
automatiques
Au niveau fédéral, un premier stabilisateur automatique est intégré au frein à l’endettement. Le mécanisme mis en place prévoit que le plafond de dépenses
peut être supérieur aux recettes inscrites au budget en
phase de récession, lorsque les recettes de l’impôt sur
les sociétés et de l’impôt direct sur le revenu sont nettement moins abondantes. Du fait du barème progressif,
les recettes de l’impôt sur le revenu réagissent en règle
générale de manière plus que proportionnelle à un ralentissement conjoncturel. On peut donc prévoir que
les finances fédérales enregistreront un excédent de dépenses en 2009, ainsi qu’en 2010. En tout état de cause,
le Conseil fédéral (2009) projette une baisse notable
des recettes dans son message relatif à la deuxième
phase des mesures de stabilisation. Dans la situation
actuelle, ces excédents de dépenses peuvent être tolérés
tant qu’ils sont conformes au frein à l’endettement et
ne devraient pas donner lieu à des programmes d’économies ad hoc pour les compenser.
7
Les principes s’appliquent aux cantons, qui doivent
aussi faire face à une baisse des recettes. Dans le passé,
l’erreur récurrente a été commise de réduire drastiquement les dépenses et de conduire ainsi une politique
des dépenses très procyclique en raison de la baisse des
recettes accompagnant les phases de repli conjoncturel (Jordan 1994). Afin d’éviter cet écueil, la politique
budgétaire de la Confédération doit être coordonnée
avec celles des cantons, de manière à éviter qu’une politique fédérale expansive en matière de dépenses ne
soit neutralisée par des politiques restrictives au niveau
cantonal.
Un deuxième stabilisateur automatique important
est l’assurance-chômage (AC). Selon les estimations,
10 000 chômeurs inscrits à l’AC génèrent en moyenne
annuelle des dépenses comprises entre 300 et 400 millions de CHF. Pour 2009, on peut tabler sur un effectif
de 150 000 à 170 000 chômeurs, soit 60 000 de plus qu’en
2008 dans la pire des hypothèses. Cette situation induira à elle seule des dépenses supplémentaires de l’ordre
de 1,8 à 2,4 milliards de CHF, qui seront consacrées
essentiellement à la consommation. Ces chiffres n’intègrent pas la prolongation de la durée d’indemnisation
de 12 à 18 mois en cas de chômage partiel, arrêtée par le
Conseil fédéral le 11 février, qui devrait renforcer l’effet
de stabilisation de l’AC et entraîner aussi des dépenses
supplémentaires considérables.
Globalement, l’impulsion générée par les stabilisateurs automatiques en 2009 au niveau fédéral peut être
chiffrée grossièrement à un montant de l’ordre de 3 à
4,5 milliards de CHF. Si l’on ajoute à cela les cantons
et les autres collectivités publiques qui ont des compétences en matière de dépenses, on attend un stimulus
des stabilisateurs automatiques que l’on peut globalement estimer à 1 à 2 % du PIB selon une appréciation
prudente.
O ptimiser la gestion de crise à travers la politique budgétaire
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7.3 Perspective à long terme :
ne pas oublier la composante de
l’endettement
Dans une analyse parue récemment, Reinhart et Rogoff
(2008) soulignent que l’une des expériences majeures
de la crise des marchés financiers et du secteur bancaire
réside dans le gonflement démesuré de l’endettement
de l’Etat. Dans les crises analysées par les auteurs, la
dette publique s’est creusée pour atteindre en moyenne
85 % du PIB dans les trois ans qui ont suivi l’éclatement
de la crise. A noter que cette situation tenait moins au
coût des opérations de sauvetage des instituts financiers qu’à la chute des recettes fiscales due à une phase
de stagnation prolongée.
Même si l’on ne doit pas forcément s’attendre à un
gonflement aussi massif de la dette pour la Suisse, il
faut néanmoins tenir compte du fait que le monde
politique n’a pas pris les mesures qui auraient permis
d’équilibrer les finances de l’AC et de l’AI pendant les
années de haute conjoncture. L’AC aborde le récession
avec une dette d’environ 4 milliards de CHF. L’AI, dont
l’assainissement financier a été repoussé, continue d’enregistrer des déficits annuels de l’ordre de 1,5 milliard
de CHF, qui viennent gonfler une dette culminante
aujourd’hui à 11 milliards de CHF. Par souci d’équité
vis-à-vis des jeunes et des générations à venir, mais aussi
dans l’intérêt de la pérennité de ces assurances sociales,
il faudrait s’attaquer résolument à la résorption de ces
déficits.
que la crise financière actuelle est en grande partie due
à une culture de l’endettement excessif.
Enfin, des mesures supplémentaires de stabilisation
conjoncturelle devraient impérativement être liées à
certaines concessions dans le domaine des réformes
structurelles, qui pourraient englober par exemple une
acception d’un accord de libre échange avec l’UE dans
le secteur agricole, l’introduction du principe « Cassis
de Dijon », la révision de la TVA et l’assainissement des
assurances sociales. Ces mesures structurelles seraient
propres à renforcer le pouvoir d’achat de la population
à court comme à long terme et à éviter que les jeunes et
les générations à venir ne soient ponctionnés au point
de voir leur niveau de vie baisser. De cette manière,
le monde politique démontrerait que, au cœur d’une
crise qui exige une action résolue, il est capable de ne
pas perdre de vue la prospérité de notre pays à long
terme.
Si le fait de renoncer dans l’immédiat à assainir les finances de l’AC et de l’AI semble raisonnable du point
de vue conjoncturel, il conviendrait par contre de faire
preuve de retenue au moment d’arrêter des mesures
de stimulation supplémentaires chères et peu efficaces.
Car, d’une façon ou d’une autre, ces coûts devront être
compensés un jour. Par ailleurs, il faut souligner ici
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Conclusions
Un grand nombre de raisons plaident contre une politique budgétaire active et discrétionnaire en Suisse, à
commencer par la taille limitée du marché intérieur et,
en fin de compte, la grande influence qu’exercent déjà
les pouvoirs publics dans notre économie de marché.
On est fondé à penser que les programmes de stabilisation conventionnels ne produisent qu’un petit effet et
que le rapport coût/utilité de ce type de mesures n’est
pas optimal.
La Suisse doit s’attacher dès aujourd’hui à se positionner favorablement pour l’avenir. Elle possède des
atouts pour ce faire : endettement relativement faible
des pouvoirs publics, associé à des impôts et des taux
d’intérêt comparativement bas, inflation faible et monnaie solide. Au-delà de la crise, il faut maintenant œuvrer à préserver et à développer ces avantages. Dans
cette perspective, un gonflement de la dette publique
n’est pas sans poser de sérieux problèmes.
Les mesures arrêtées à ce jour par le Conseil fédéral
satisfont aux exigences du frein à l’endettement. Des
mesures supplémentaires exigeraient toutefois un assouplissement de la discipline propre à ce mécanisme
et entraîneraient un gonflement de l’endettement
structurel des finances publiques. Ces montants viendraient s’ajouter à l’endettement explicite et implicite
cumulé des budgets publics et des assurances sociales.
Une conséquence importante du gonflement de la
dette réside dans une hausse prévisible des impôts par
la suite. Il y a donc un conflit d’intérêt patent entre la
stimulation de l’économie à court terme et l’équilibre
à long terme des finances publiques.
Dans ce contexte, il importe de souligner encore une
fois que la crise actuelle des marchés financiers est aussi
une crise d’endettement. Il serait dès lors regrettable
qu’à la déconfiture presque totale des marchés financiers succède maintenant celle des finances publiques.
8
C onclusions
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Avenir Suisse (Mission Statement)
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