Les antibiotiques et leur histoire
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Les antibiotiques et leur histoire
Introduction L ES antibiotiques ont été la plus grosse avancée thérapeutique de la médecine dans la seconde moitié du XXe siècle ; ils ont permis de sauver d’innombrables vies menacées par des infections autrefois fatales. Pourtant, le IIIe millénaire s’ouvre sur une crainte majeure : les médicaments à la base de notre médecine moderne sont en train de perdre un combat que l’on croyait gagné d’avance. En effet, la résistance des bactéries aux antibiotiques progresse de façon inquiétante. En Thaïlande, les trois remèdes les plus actifs contre le paludisme n’ont plus aucun effet. En Asie, 10 % des souches de tuberculose résistent aux antibiotiques les plus puissants. À Paris, une otite sur deux ne réagit plus à la pénicilline. Un événement, que les médecins du monde entier redoutaient, s’est déroulé il y a peu de temps. Des souches de staphylocoque doré, résistantes à la vancomycine, ont été détectées dans plusieurs pays. Cette variété de bactérie, une des causes majeures des infections nosocomiales, était connue pour sa résistance à de nombreux antibiotiques mais, jusque-là, elle répondait correctement aux traitements à la vancomycine. Depuis cette découverte, le terrible staphylocoque doré se rapproche peu à peu du statut de « serial killer ». Trois bactéries, pouvant être à l’origine d’infections mortelles, font partie de ce groupe pour l’instant réduit : Enterococcus faecalis, Mycobacterium tuberculosis et Pseudomonas aeruginosa. À cause de l’apparition de ces souches résistantes, le taux de mortalité par la tuberculose, qui a diminué au cours des siècles dans les pays industrialisés, est en train de monter à nouveau. 8 ANTIBIOTIQUES L’OMS vient de lancer un cri d’alarme : d’ici 10 à 20 ans les antibiotiques actuels auront perdu l’essentiel de leur efficacité. Dans le même temps, la recherche médicale stagne pour en trouver de nouveaux, et les infections nosocomiales sont en progression constante. Dans ce contexte, la population est demandeuse d’une information claire sur les antibiotiques en général, et sur le problème de la résistance en particulier. Elle est également à l’affût d’alternatives permettant de combattre ce phénomène. Cet ouvrage a pour objectif de répondre à ces deux demandes. Il comporte quatre chapitres distincts : ➠ Les antibiotiques et leur histoire. ➠ La résistance des bactéries aux antibiotiques. ➠ Les alternatives au « tout antibiotique ». ➠ Quelques thérapies alternatives avec l’accent mis sur l’homéopathie (qui a une approche différente de la maladie), le colostrum, la propolis (ce produit de la ruche si particulier), les ferments lactiques et probiotiques (au sein desquels acidophilus est le plus connu), les principales plantes et les principaux compléments alimentaires qui ont des propriétés bactéricides ou immunostimulantes. CHAPITRE I Les antibiotiques et leur histoire 1. Histoire des antibiotiques a) La théorie des germes L’utilisation de plantes et autres produits naturels pour lutter contre les maladies remonte à l’aube des temps. Les propriétés antiseptiques de certaines plantes étaient utilisées de façon empirique dans les pharmacopées traditionnelles. Les Égyptiens distribuaient, par exemple, de l’ail aux ouvriers des pyramides pour les revigorer et les protéger. Les Chinois employaient une forme d’immunisation par laquelle ils inhalaient des poudres séchées provenant des croûtes de lésions causées par la variole, aux alentours de l’an 1000. Mais c’est seulement à la fin du XIXe siècle que le lien entre les maladies et les microbes a été établi, et que les notions d’immunisation, d’antitoxines et de bactériophages sont apparues. En 1875, Cohn publia une classification de bactéries dans laquelle il utilisait pour la première fois la classification Bascillus. En 1879, Neisser attribua la blennorragie à un microbe. En 1880, Louis Pasteur atténua l’effet de certains agents pathogènes virulents afin qu’ils servent à immuniser contre des maladies plutôt qu’à en causer. En 1886, Theobold Smith démontra qu’il n’était pas nécessaire que les micro-organismes soient viables pour 10 ANTIBIOTIQUES provoquer leur capacité de protection. En 1890, von Behring et Kitasato mirent en évidence que des antitoxines étaient présentes dans le sang d’individus qui se rétablissaient d’un épisode de diphtérie. En 1915, Twort découvrit les bactériophages. Ces découvertes successives posèrent les bases de la médecine moderne. L’acceptation de plus en plus générale de cette « théorie des germes » allait permettre quelques années plus tard la découverte des antibiotiques. b) Les premiers antibiotiques En 1889, l’Allemand Rudolf Emmerich fut le premier à effectuer des essais cliniques sur une substance antibiotique, la pyocyanase. Découvert par hasard un an auparavant, cet actif avait la capacité de détruire de nombreuses bactéries pathogènes, dont celles de la fièvre typhoïde, du charbon, de la diphtérie, de la peste et des abcès cutanés. Mais l’intérêt soulevé par cette découverte retomba rapidement, le médicament se révélant instable et toxique. Il fut cantonné à des utilisations externes sous forme de pommade pour les dermatoses. Quelques années plus tard, Paul Ehrlich obtint de bons résultats sur la syphilis avec un colorant associé à de l’arsenic, le salvarsan. Mais la toxicité de la substance et ses effets secondaires importants relativisèrent cette efficacité. Le milieu médical fourmillait alors de découvertes ponctuelles, d’essais cliniques, de pistes explorées puis abandonnées. La chimiothérapie semblait devoir émerger comme une révolution dans l’art de traiter les maladies, mais il restait encore aux médecins à trouver le médicament « miracle », à la fois efficace et sans effets négatifs, car l’enthousiasme du public risquait de disparaître. c) Fleming et la pénicilline De nombreuses personnes doivent leur survie à la pénicilline, soit directement, soit parce que cette substance « miracle » a sauvé la vie de leurs parents ou grands-parents. LES ANTIBIOTIQUES ET LEUR HISTOIRE 11 En 1887, le Français Ernest Duchesne fut le premier à remarquer le pouvoir antibactérien des moisissures du genre Penicillium et à envisager des possibilités thérapeutiques. Mais son travail, encore trop précurseur, n’eut pas de suite. En 1928, à l’hôpital Sainte-Marie de Londres, le docteur Alexander Fleming redécouvrit ce phénomène. Alors qu’il effectuait des recherches sur les staphylocoques, il remarqua dans l’une de ses boîtes de Petri – ces petites boîtes rondes utilisées pour tester la toxicité d’un produit sur une souche de bactéries – que les colonies de staphylocoques proches de la moisissure Penicillium étaient mortes. Il fut le premier à publier un article sur les effets antibactériens de la pénicilline. Quelques années plus tard, Howard Florey, Ernst Chain et Norman Heatley étendirent les travaux de Fleming ; ils réussirent à faire produire et à purifier la pénicilline, prouvant ainsi son intérêt en tant que médicament. Alors que leurs recherches commençaient à être couronnées de succès, la Seconde Guerre mondiale fut déclarée. Le projet fut déplacé aux États-Unis pour le préserver des bombardements allemands, et les travaux s’orientèrent vers la fabrication en grandes quantités de la moisissure produisant la pénicilline. L’objectif était de pouvoir fournir un médicament pouvant traiter les nombreux blessés dus à la guerre. Le monde entier parla alors de la pénicilline et de ses effets miraculeux. Dans l’inconscient collectif, les antibiotiques commencèrent à devenir le remède aux maladies infectieuses. d) La streptomycine La fin de la Seconde Guerre mondiale vit l’apparition d’un autre antibiotique célèbre, la streptomycine. Produite par un micro-organisme vivant dans le sol, Streptomyces griseus, cette substance fut découverte par Waksman en 1943. Elle se révéla efficace contre les bactéries de certaines infections courantes, de la méningite et, surtout, de la tuberculose. La streptomycine fut le premier véritable médicament capable de lutter efficacement contre cette maladie chronique, souvent fatale à l’époque. 12 ANTIBIOTIQUES C’est avec la streptomycine que les premiers phénomènes de résistance furent découverts. Certaines bactéries devenaient résistantes au cours même du traitement, ce qui ne s’était encore jamais remarqué. Comme, par ailleurs, la streptomycine avait des effets secondaires importants à hautes doses, les chercheurs essayèrent de trouver des substances chimiquement proches, ce qui conduisit à la découverte de la néomycine. À partir de là, les chercheurs du monde entier n’eurent de cesse de trouver de nouveaux antibiotiques et de créer des variétés de semi-synthèse à partir des souches existantes, dans le but d’une plus grande efficacité. En parallèle, les bases de la médecine moderne, avec son cortège de consommation excessive d’antibiotiques, étaient posées. Sous les pressions croisées du public, des laboratoires pharmaceutiques et des pratiques médicales, la surconsommation d’antibiotiques prenait son essor. 2. Les bactéries a) Que sont les bactéries ? Les bactéries sont des micro-organismes dont la cellule unique ne comporte pas de noyau (on parle de cellule procaryote). On en trouve dans tous les milieux sous des formes très variées. Elles sont autonomes. Leur taille varie de 1 à 5 microns. Très abondantes, elles jouent un rôle essentiel dans le recyclage de la matière organique. Elles vivent la plupart du temps en symbiose avec le milieu qui les abrite; elles sont par exemple indispensables à la fabrication du fromage et du vin. Certaines espèces sont parasites et peuvent provoquer des maladies chez l’homme, les animaux et les plantes. On parle alors communément de microbe. Les principales bactéries dangereuses pour l’homme peuvent être groupées en une dizaine de familles, responsables de diverses maladies, certaines mortelles (voir tableau ci-contre). LES ANTIBIOTIQUES ET LEUR HISTOIRE 13 PRINCIPALES BACTÉRIES RESPONSABLES DE DIVERSES MALADIES Entérobactéries : Haemophilus : Pseudomonas : Campylobacter : Neisseria : Staphylocoques : Entérocoques : Streptocoques : Mycobacterium : pneumonies, infections urinaires… pneumonies infantiles, sinusites, otites… pneumonies, infections urinaires… diarrhées… blennorragies, méningites… pneumonies, infections urinaires, méningites… méningites, endocardites, infections néonatales… pneumonies, méningites, otites… tuberculoses… b) Constitution et classification des bactéries Les bactéries sont constituées d’un cytoplasme, qui est leur partie interne, composée d’eau et de protéines. À la différence des cellules eucaryotes, qui ont un noyau, le matériel génétique des bactéries (ADN) est directement présent dans le cytoplasme. C’est dans le cytoplasme que l’on trouve les autres éléments constituant la cellule, comme les ribosomes. La membrane plasmique entoure le cytoplasme et contrôle les échanges de celui-ci avec l’extérieur. C’est à ce niveau que la cellule est capable d’ingérer des particules et d’excréter ses déchets. C’est également là qu’ont lieu les phénomènes de reconnaissance cellulaire et immunologique. La paroi bactérienne entoure la membrane plasmique. C’est un composant caractéristique des bactéries et des cellules végétales. Elle est rigide et c’est elle qui donne sa forme à la bactérie. Son rôle est de protéger celle-ci des agressions extérieures. L’intégrité de cette paroi est donc fondamentale pour la survie du micro-organisme. C’est pour cela que la destruction de la paroi bactérienne est un des modes d’action des antibiotiques. Cette paroi bactérienne peut être de deux types : Gram (+) ou Gram (–). Dans chaque cas, l’épaisseur et la structure chimique sont différentes. Cette classification vient d’une technique de différenciation des bactéries par coloration. On retrouve dans les deux cas un élément protéique essentiel, le peptidoglycane, qui forme une armature rigide constituée de feuillets reliés entre 14 ANTIBIOTIQUES eux. Il joue un rôle majeur dans la résistance des bactéries aux agressions extérieures. Les bactéries sont également entourées de fibres polysaccharidiques formant ce qu’on appelle le glycocalyx. Ces fibres sont responsables de l’attachement des bactéries aux cellules (cellules buccales, respiratoires, plaque dentaire). c) Multiplication des bactéries Les cellules procaryotes en général, et les bactéries en particulier, se multiplient de la même façon que toutes les cellules vivantes : par croissance puis par division cellulaire. Ce processus continue tant que les conditions sont favorables, puis se stabilise. La division cellulaire commence d’abord par une phase de croissance, pendant laquelle la cellule va grossir en même temps que l’ADN cellulaire est répliqué. Quand la taille suffisante est atteinte, la cellule se divise en deux cellules filles, les composants du cytoplasme étant partagés à égalité entre les deux. L’ADN, ou acide désoxyribonucléique, est une molécule complexe, qui porte le matériel génétique de tout être vivant. Sa structure est caractéristique : deux brins enroulés en double hélice, composés de nucléotides – adénine, cytosine, guanine et thymine. Lors de la réplication de l’ADN, les deux brins se séparent avant leur duplication pour constituer le capital génétique des deux cellules filles. Cette division est basée sur une propriété fondamentale de la molécule d’ADN : chaque nucléotide est toujours lié à un nucléotide complémentaire (adénine avec thymine et guanine avec cytosine). Les deux molécules d’ADN dupliquées seront donc constituées chacune d’un brin en provenance de la molécule initiale et d’un brin complémentaire synthétisé. Ce phénomène est contrôlé par une protéine appelée ADN réplicase, qui se charge à la fois de la séparation des brins et de la synthèse des brins complémentaires. Un autre mécanisme de reproduction que l’on trouve chez certaines bactéries est la conjugaison, véritable forme de sexualité primitive. On trouve au sein des bactéries des fragments LES ANTIBIOTIQUES ET LEUR HISTOIRE 15 d’ADN, séparés et indépendants du fragment principal, ou chromosome. Ces fragments se nomment les plasmides. Certaines bactéries possèdent un plasmide particulier, le plasmide F. Ce plasmide a la propriété de pouvoir se dupliquer. La copie est alors transmise à une cellule de la même espèce qui ne possède pas ce plasmide. La cellule portant le plasmide et sa copie se rapprochent d’une cellule ne le portant pas. Un pont cytoplasmique s’établit entre les deux cellules. La copie du plasmide F passe alors dans l’autre cellule, qui peut à son tour le transmettre. Pendant cette conjugaison, il arrive que le chromosome cellulaire se lie au plasmide et soit transmis à la cellule receveuse. Celle-ci peut alors effectuer des recombinaisons avec son propre chromosome. Un chromosome hybride est alors créé. Le matériel génétique de la cellule receveuse est donc modifié par cette opération, d’où l’analogie avec la reproduction des cellules sexuées. d) Dynamique des populations bactériennes Placées dans un nouveau milieu (in vitro, dans un tube à essais de laboratoire, ou in vivo, dans l’organisme infecté), les bactéries doivent d’abord synthétiser un certain nombre d’éléments et éventuellement modifier le milieu ambiant avant de commencer à se reproduire. Cela se traduit par une phase de latence de leur croissance, pouvant parfois atteindre plusieurs heures. Ensuite, la croissance du nombre des bactéries est exponentielle, c’est-à-dire qu’elle a une accélération constante. Suivent enfin une phase de ralentissement, puis une phase stationnaire. Ces phases sont montrées dans la figure page suivante. La phase de croissance peut être courte. Dans l’organisme elle est ralentie car les bactéries doivent lutter pour leur approvisionnement en nutriments, en fer, en vitamines et également contre les produits antibactériens présents dans le corps mais aussi contre les globules blancs chargés de les phagocyter (macrophages, polynucléaires). Sous l’action des antibiotiques, la crois- 16 ANTIBIOTIQUES Stationnaire Nombre Mortalité Croissance Latence Temps Phases de croissance d’une bactérie sance peut être ralentie encore davantage. On parle alors de bactériostase. e) La synthèse des protéines Pour grossir et se développer, les bactéries doivent synthétiser les protéines nécessaires à leur croissance. Une protéine est composée d’une chaîne d’acides aminés qui sont assemblés selon un ordre codé dans la molécule d’ADN de la cellule. À partir des quatre bases nucléiques de celle-ci, ce sont vingt acides aminés qui peuvent être créés puis assemblés. Cela se fait en deux phases : la transcription puis la traduction. ☛ La transcription Pendant la phase de transcription, de véritables « copies de travail » de la molécule d’ADN vont être créées. Cette molécule est en effet unique et fondamentale ; il serait dangereux de l’utiliser directement dans un processus métabolique, car il y aurait alors un risque de l’endommager. Une nouvelle molécule est créée, l’ARN (acide ribonucléique), copie à un seul brin de l’ADN comportant quelques modifications mineures : remplacement du désoxyribose par du ribose (d’où le nom) et de la thymine par de l’uracile. LES ANTIBIOTIQUES ET LEUR HISTOIRE 17 L’ARN, qui servira de matrice, est appelé ARN messager, car il porte le message sur la structure de la protéine. Celui qui est synthétisé dans les cellules procaryotes est différent de celui des cellules eucaryotes (en particulier, chez les procaryotes le gène est en un seul morceau et ne peut coder qu’une seule protéine). Deux autres types d’ARN sont créés pendant la transcription : l’ARN ribosomal, qui intervient pendant la synthèse protéique, et l’ARN de transfert, qui sert à reconnaître les acides aminés. Une enzyme complexe intervient pendant la synthèse de l’ARN : la RNA synthétase. La première étape de la transcription est la reconnaissance du gène à transcrire. La RNA synthétase se fixe alors à la molécule d’ADN, au niveau du gène, puis déroule la molécule en séparant les brins et en utilisant l’un des brins pour synthétiser l’ARN. Derrière, les deux brins se rassemblent et l’ADN se réenroule. Quand la RNA synthétase rencontre la fin du gène, elle se sépare de l’ADN et l’ARN est libéré dans le cytoplasme. ☛ La traduction Une fois l’ARN synthétisé, la phase de traduction peut commencer. À partir de la description de la protéine contenue dans l’ARN messager, la protéine va être créée. On parle de traduction car il faut passer de 4 bases à 20 acides aminés, selon un code basé sur des triplets de bases nucléiques, ou codons. Le codon adénine, uracile, guanine correspond ainsi à la méthionine. Il faut noter que ce code génétique est le même pour tous les êtres vivants. La traduction commence par la reconnaissance des acides aminés, qui fait intervenir l’ARN de transfert et des protéines de liaison liant cet ARN à l’acide aminé. La synthèse de la chaîne protéique se fait au niveau d’un organite spécial du cytoplasme, le ribosome, qui contient l’ARN ribosomal. Le complexe acide aminé/ARN de transfert se fixe sur un site particulier du ribosome. Celui-ci sépare alors le complexe et fixe l’acide aminé à la chaîne protéique en cours de formation. L’ARN de transfert quitte ensuite le site de fixation pour être réutilisé. Le ribosome glisse alors d’un codon le long de l’ARN messager. Une fois la protéine créée, elle doit passer par une phase de maturation, contrôlée par des protéines spécialisées. Elle peut alors être le siège de plusieurs transformations : coupures en plusieurs protéines, formation de protéines complexes, fixation de molécules supplémentaires… 18 ANTIBIOTIQUES f) Principes du pouvoir pathogène des bactéries Le pouvoir pathogène des bactéries a trois causes principales : ➠ L’envahissement. ➠ La production de toxines. ➠ La présence d’une endotoxine dans les bactéries Gram (–). ☛ L’envahissement L’envahissement fait suite à l’adhésion des bactéries sous l’action du glycocalyx (voir « Constitution et classification des bactéries », p. 13). Les cellules une fois fixées se multiplient et forment une colonie, raison pour laquelle on parle aussi de colonisation. Ces colonies forment un film à la surface de l’organe colonisé. Au sein de ce film protecteur, la croissance des bactéries se ralentit, et elles deviennent plus résistantes aux agents antibactériens (antiseptiques, antibiotiques, agents physiques). Ainsi protégées, elles sont en effet plus difficiles à atteindre et mieux défendues, en particulier contre les antibiotiques. Une fois fixées de cette façon, certaines bactéries peuvent alors envahir les cellules, s’y multiplier ou diffuser dans les liquides de l’organisme. Leur comportement et leur sensibilité aux agents antibactériens se modifient alors. ☛ La production de toxines La deuxième cause du pouvoir pathogène des bactéries est la production de toxines, ou toxinogenèse. On parle d’exotoxines. De nombreuses bactéries ont cette particularité : le staphylocoque doré, certains streptocoques, le bacille du tétanos, celui du botulisme, celui du choléra, ou d’autres comme Escherichia coli… Il faut noter que les antibiotiques peuvent avoir un effet sur la production de toxine, en la limitant ou en la supprimant. En revanche, ils ne peuvent rien contre les toxines déjà produites. Ils n’ont pas d’effet sur la maladie elle-même. ☛ La présence d’une endotoxine dans les bactéries Gram (–) Enfin, les bactéries peuvent être pathogènes à cause de leur propre structure. Les bactéries de type Gram (–) possèdent en effet au sein de leur paroi une endotoxine qui peut provoquer des troubles sanguins ou cardiaques, un état de choc, des diarrhées ou des LES ANTIBIOTIQUES ET LEUR HISTOIRE 19 hémorragies intestinales. Cette endotoxine est libérée au cours de la croissance, mais elle l’est surtout lors de la destruction de la bactérie, ou lyse. C’est pour cela que certains antibiotiques peuvent être paradoxalement à l’origine de l’apparition des symptômes de la maladie, quand ils détruisent les bactéries pathogènes. 3. Classification des antibiotiques Il existe de nombreuses classifications des antibiotiques, selon leur formule chimique, leur origine et leur mode d’administration. La plus utilisée est celle basée sur leurs analogies de structure chimique. C’est en particulier cette classification qui est utilisée dans le milieu médical (1). a) Les pénicillines La pénicilline G, découverte par Fleming, est encore utilisée aujourd’hui, même si elle présente plusieurs inconvénients. Elle n’est pas active sur tous les types de bactéries, de nombreuses bactéries lui sont devenues résistantes, et elle est détruite par l’acidité de l’estomac, ce qui rend son utilisation peu pratique, puisque limitée aux injections intraveineuses et intramusculaires. Des substances voisines présentant moins d’inconvénients ont été trouvées ou synthétisées par la suite, comme l’oxacilline qui fait partie des méticillines, ou les pénicillines à large spectre. Il existe maintenant de nombreux types de pénicillines, classés selon leur résistance à l’acidité du milieu gastrique (acidorésistance), leur résistance aux pénicillinases (enzymes produites par certaines bactéries, qui détruisent les pénicillines), et la largeur de leur spectre. b) Les céphalosporines La céphalosporine C est un antibiotique naturel extrait du cephalosporidium, un champignon. Elle fut le premier membre de 1. Éberlin, T. : Les Antibiotiques : classification, mode d’action, utilisation thérapeutique (p. 9-23, Nathan ; 1994). 20 ANTIBIOTIQUES cette famille. Celle-ci s’étoffa peu à peu sous l’impulsion des chercheurs, qui ont synthétisé des molécules de plus en plus efficaces et de moins en moins sensibles aux défenses des bactéries. On parle de céphalosporines de 1re, 2e, 3e et 4e génération. Ces dernières ont la particularité d’être efficaces sur des zones de l’organisme qui ne pouvaient être traitées jusque-là, comme le liquide céphalo-rachidien. On peut citer les plus avancées : céfépime et cefpirome. c) Les autres bêta-lactamines Les pénicillines et les céphalosporines font partie d’un groupe plus large, les bêta-lactamines, parmi lesquelles on retrouve les céphamycines et les thiénamycines. On peut citer l’imipénème qui a une grande efficacité contre tous les types de bactéries, ou l’aztréonam qui est surtout efficace contre les bactéries Gram (–). Dans les deux cas, on se trouve en présence de molécules à efficacité rapide, ce qui explique leur emploi en milieu médical dans les cas d’urgence ou pour lutter contre les germes résistants aux antibiotiques classiques. d) Les aminosides Ce groupe, dont fait partie la streptomycine, contient les antibiotiques dont la vitesse d’action est la plus rapide. Comme ils sont par ailleurs souvent toxiques, leur usage se limite au milieu hospitalier. Ils ont été découverts à partir de souches de streptomyces et d’actinomyces, puis ont servi de base à la fabrication de molécules semi-synthétiques. e) Les phénicols On retrouve dans ce groupe le chloramphénicol, facile à synthétiser. Ce sont des antibiotiques à large spectre, capables de traiter de nombreuses zones de l’organisme, dont le système nerveux central, mais à toxicité élevée. On les utilise par exemple dans le traitement des méningites. LES ANTIBIOTIQUES ET LEUR HISTOIRE 21 f) Les tétracyclines Les antibiotiques de cette famille ont la particularité de pouvoir agir à l’intérieur des cellules eucaryotes (cellules de l’organisme possédant un noyau). Les tétracyclines peuvent donc atteindre des bactéries qui se développent au sein même de la cellule, comme Chlamydia. Néanmoins, elles ont plusieurs inconvénients, par exemple celui de se contenter de bloquer la reproduction des bactéries, ce qui facilite le redémarrage de la maladie à la fin du traitement. De plus, de nombreuses souches de bactéries ont développé des résistances aux tétracyclines. g) Les macrolides Si le premier macrolide a été isolé en 1950, des dérivés plus efficaces ont été créés par la suite. Les antibiotiques de ce groupe ont la particularité de très bien se diffuser au niveau du foie, de la rate et des poumons. Ils sont donc souvent utilisés dans les infections pulmonaires, même dans certaines infections contagieuses graves comme la légionellose. h) Les sulfamides Les sulfamides ont surtout pour effet de bloquer le développement des bactéries. Ils sont utilisés dans certaines infections simples : infections urinaires, dysenteries. Pour les infections les plus graves, ils ont été remplacés par des antibiotiques plus efficaces. Plus d’une centaine de molécules ont été créées dans cette famille, avec des variations quant à leur efficacité, leur toxicité, leur mode d’action… i) Les quinolones Autrefois utilisées dans certaines infections urinaires, les molécules de ce groupe se sont enrichies de composés de synthèse récents, comme les fluoroquinolones. Ces dernières présentent de nombreux avantages : large spectre d’action, grande efficacité, 22 ANTIBIOTIQUES rapidité, longue durée de vie. Elles sont souvent utilisées dans les infections chroniques. j) Autres antibiotiques Certains antibiotiques sont difficiles à classer, car ils possèdent une formule chimique propre ou parce que leur utilisation est très limitée. On peut citer : ➠ Les polypeptides (bacitracine). ➠ Les glycopeptides parmi lesquels la vancomycine (efficaces contre les staphylocoques résistants aux méticillines et contre les entérocoques). ➠ La fosfomycine (souvent utilisée en association). ➠ L’acide fusidique (son usage se limite à la lutte contre les staphylocoques multirésistants en association). ➠ Les lincosamides (comme la lincomycine, efficace contre les bactéries anaérobies). ➠ Les nitrofuranes (leur action se limite aux reins et à l’appareil urinaire). 4. Mode d’action des antibiotiques a) Propriétés recherchées Les propriétés cliniques recherchées lors de la découverte d’un antibiotique naturel ou lors de la création d’un produit de synthèse sont les suivantes : ➠ Le spectre de l’antibiotique doit être le plus large possible (le spectre indique les cibles privilégiées du produit). S’il est efficace contre toutes les bactéries, il est dit à large spectre ; s’il est efficace seulement contre les bactéries Gram (+) ou Gram (–), il est dit à spectre étroit. Il est dit spécifique s’il ne concerne qu’une famille de bactéries. ➠ L’antibiotique doit avoir une faible toxicité pour l’organisme. ➠ Il ne doit pas entraîner d’allergies. ➠ Il ne doit pas éliminer la flore microbienne normale de l’organisme, en particulier au niveau intestinal. LES ANTIBIOTIQUES ET LEUR HISTOIRE 23 ➠ Il doit être capable d’atteindre la zone de l’infection. ➠ Il doit être bon marché et facile à produire. ➠ Il doit être chimiquement stable. ➠ Peu de microbes doivent lui présenter une résistance. Parmi ces propriétés, la plus importante est sa toxicité sélective. L’agent microbien doit inhiber ou tuer les bactéries pathogènes, mais il doit avoir le moins d’effets nocifs sur l’organisme du malade. Pour cela, on cherche à cibler les caractéristiques biologiques spécifiques des bactéries. Différentes cibles potentielles sont identifiées, qui correspondent à autant de modes d’actions : paroi bactérienne, ribosomes, mécanismes de synthèse… b) Action sur la paroi des bactéries La paroi bactérienne est une des caractéristiques essentielles des bactéries. Cette structure, indispensable à la vie de celles-ci, n’existe en effet pratiquement pas chez les cellules humaines. Un agent antibactérien efficace contre cette paroi aura donc une toxicité limitée chez l’homme. L’objectif de ces agents est de créer des déformations dans cette paroi, rendant plus difficile la division de la cellule (effet bactériostatique) ou diminuant sa protection contre le milieu, entraînant sa destruction (effet bactéricide). L’action sur la paroi bactérienne se fait principalement au niveau de la synthèse du peptidoglycane (voir « Constitution et classification des bactéries », p. 13). Cette synthèse est, en effet, un processus biochimique complexe qui fait intervenir de nombreuses enzymes. Les agents antibactériens peuvent ainsi agir à différents moments de cette synthèse. Les bêta-lactamines, par exemple, se fixent sur des protéines de la membrane de la cellule, appelées PLP (Protéines de liaison aux pénicillines). Certaines de ces protéines interviennent dans les liaisons entre les chaînes de peptidoglycane de la paroi, ou assurent le remaniement de ces chaînes. D’autres ont des rôles particuliers, comme chez Escherichia coli. En se fixant à elles, les bêta-lactamines bloquent l’action de ces PLP, entraînant la destruction directe ou indirecte de la bactérie. Table des matières Introduction ................................................................... 7 Chap. I : Les antibiotiques et leur histoire ................. 1. Histoire des antibiotiques ...................................... a) La théorie des germes ...................................... b) Les premiers antibiotiques ................................ c) Fleming et la pénicilline ..................................... d) La streptomycine ............................................... 2. Les bactéries ......................................................... a) Que sont les bactéries ? .................................... b) Constitution et classification des bactéries ....... c) Multiplication des bactéries ............................... d) Dynamique des populations bactériennes ........ e) La synthèse des protéines ................................ f) Principes du pouvoir pathogène des bactéries .. 3. Classification des antibiotiques ............................. a) Les pénicillines .................................................. b) Les céphalosporines .......................................... c) Les autres bêta-lactamines ............................... d) Les aminosides ................................................. e) Les phénicols .................................................... f) Les tétracyclines ................................................ g) Les macrolides .................................................. h) Les sulfamides .................................................. i) Les quinolones ................................................... j) Autres antibiotiques ............................................ 4. Mode d’action des antibiotiques ........................... a) Propriétés recherchées ...................................... b) Action sur la paroi des bactéries ....................... 9 9 9 10 10 11 12 12 13 14 15 16 18 19 19 19 20 20 20 21 21 21 21 22 22 22 23 132 ANTIBIOTIQUES c) Action sur la synthèse des protéines ................ d) Action sur l’ADN ................................................ 5. Évaluation de l’activité des antibiotiques .............. a) Bactériostase, CMI ............................................ b) Effet bactéricide ................................................ c) Aspects dynamiques de l’activité des antibiotiques ............................ d) L’antibiogramme ................................................ 6. Utilisation thérapeutique des antibiotiques ........... a) Comment le médecin choisit un antibiotique ? .. b) Médecine de ville et médecine hospitalière ....................................... c) Les infections nosocomiales ............................. 7. Toxicité des antibiotiques ....................................... a) Toxicité directe ................................................... b) Toxicité indirecte ................................................ c) Les effets sur le système immunitaire .............. d) Les contre-indications ....................................... 8. Production d’antibiotiques .................................... a) Comment sont produits les antibiotiques ? ....... b) La recherche de nouvelles molécules ............... c) Équation économique et effets pervers ............ Chap. II : La résistance bactérienne ............................ 1. Mécanismes de résistance aux antibiotiques ....... a) Origines des résistances ................................... b) Mécanismes de résistance biochimique ........... c) Mécanismes de résistance génétique .............. d) La montée des résistances multiples ............... 2. Historique et causes de la résistance ................... a) Les premières résistances ................................ b) Utilisation impropre et surconsommation d’antibiotiques ..................... c) Les antibiotiques dans l’agroalimentaire ........... d) Les antibiotiques dans l’agriculture ................... e) Les antibiotiques en apiculture .......................... f) La dépendance psychologique ........................... 3. La surveillance épidémiologique ........................... a) En France : l’ONERBA et les CLIN .................... b) Dans les autres pays ......................................... c) Vers une surveillance globale ............................ 24 25 25 26 26 27 28 29 30 31 33 34 34 35 36 37 38 38 39 39 41 41 41 41 42 43 44 44 44 45 48 49 50 51 51 52 53 TABLE DES MATIÈRES 4. État des lieux, projections ..................................... a) L’ère postantibiotique ........................................ b) Le développement des couches SARM au Canada ......................... c) Aspects économiques ....................................... d) Pas de retour en arrière possible ....................... e) Les nouvelles pistes de la recherche ................. f) Le futur de la lutte contre les antibiotiques ........ 5. Les moyens de prévention .................................... a) Les règles d’hygiène ......................................... b) Les initiatives individuelles ................................ Chap. III : Les alternatives aux antibiotiques ............. 1. Les différentes alternatives ................................... a) Pourquoi chercher des alternatives ? ................. b) Thérapie conventionnelle, thérapies alternatives ........................................ c) Antibiotiques et équilibre écologique ................ d) La nature : une énorme complexité .................. 2. Conclusion ............................................................ Chap. IV : Quelques thérapies alternatives ................ 1. L’approche homéopathique .................................... 2. L’amélioration des défenses immunitaires : le colostrum .......................................................... a) L’importance de l’immunité ............................... b) Les grands principes de l’immunité .................. c) Les organes de l’immunité ................................ d) Les cellules du système immunitaire ................ e) Les cellules tueuses naturelles ......................... f) Le colostrum ...................................................... 3. La propolis ............................................................. a) L’exceptionnelle résistance des abeilles ............ b) Origine de la propolis ........................................ c) La propolis dans l’histoire .................................. d) Composition ...................................................... e) Activité antibactérienne et immunitaire ............ f) Utilisation ........................................................... 4. Ferments lactiques, probiotiques et prébiotiques . 5. Plantes et substances antibiotiques naturelles ..... Ail – Argile – Aunée – Basilic – Bornéol – Bouleau – Busserole – Camomille – Cannelle – Carotte – Citron – Curcuma – Damiana – Dunaliella salina – Échinacée 133 54 54 55 55 56 57 59 60 60 61 65 65 65 65 67 68 70 71 72 75 75 75 76 77 78 79 80 80 81 81 82 83 85 87 88 134 ANTIBIOTIQUES – Eucalyptus – Fenugrec – Fucus – Gelée royale – Genévrier – Géranium – Germe de blé – Gingembre – Ginkgo biloba – Ginseng – Girofle – Griffe de chat – Jasmin – Kava kava – Laminaires – Lapacho – Lavande – Levure de bière – Marjolaine – Mélisse – Menthe – Miel – Millepertuis – Niaouli – Oignon – Ortie – Peuplier noir – Pin sylvestre – Plantain – Prêle – Reishi – Romarin – Santal – Sarriette – Sauge – Thym – Xylitol. Bibliographie .................................................................. Sites Internet ................................................................. Index .............................................................................. Table des matières ......................................................... 121 123 125 131