Tores complexes : propriétés élémentaires et Espace de modules
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Tores complexes : propriétés élémentaires et Espace de modules
Tores complexes : propriétés élémentaires et Espace de modules Matthias Pigneur 9 juin 2010 Table des matières 1 Le tore et ses fonctions 4 2 Espace de modules 13 2 Introduction Un tore de dimension un est une variété qui peut se définir de multiples manières. On peut par exemple faire le quotient R2 /Z2 ou alors le voir comme un produit de cercles S 1 × S 1 . On peut également quotienter R2 par n’importe quel réseau de rang deux γ1 Z ⊕ γ2 Z et obtenir à nouveau un tore. Un point intéressant est que dans le cas réel, la structure de variété différentiable mise sur le tore ne dépend pas de ces différentes constructions, car il existe des isomorphismes C ∞ entre elles. Cette étude sera consacrée au cas complexe en utilisant l’identification R2 = C : Définition 0.1. On appelle tore complexe de dimension un le quotient du plan complexe C par réseau de rang deux. On demande alors aux changements de cartes de la structure de variété du tore d’être holomorphes et non plus seulement différentiables. L’analyse de cet objet en devient autrement plus riche. Les différentes constructions du tore ne sont alors plus équivalentes : elles engendrent différentes classes de structures complexes possibles. Le but ultime de ce TER sera de déterminer l’ensemble de ces classes, appelé l’espace de modules. Il s’agit de C comme le montre le théorème suivant : Théorème Il existe une structure complexe naturelle sur l’espace de modules, et un isomorphisme entre cette variété complexe et C. Nous nous intéresserons également aux propriétés du tore complexe en générale. La présentation suivra le livre « Complex Function », de Jones et Singerman. 3 Chapitre 1 Le tore et ses fonctions Pour commencer une étude du tore complexe, il est nécessaire de vérifier que cet objet dispose bien d’une structure de surface de Riemann. Pour y parvenir, on pourrait utiliser un résultat général sur les surfaces de Riemann : le tore est un quotient de la surface de Riemann C par un sous-groupe discret de C (et donc agissant librement et proprement sur C), en conséquence on peut le munir d’un atlas holomorphe. Mais une approche plus élémentaire -que nous choisissons ici- est également très instructive : Théorème 1.1. Si Γ est un réseau dans C, alors C/Γ est une surface de Riemann Démonstration. Nous allons mener cette démonstration en trois étapes : 1. Tout d’abord, montrons que C/Γ est séparé pour la topologie quotient. Soit s1 = [z1 ] et s2 = [z2 ] tel que s1 #= s2 . Comme Γ est discret, il existe un η tel que : η = inf |z2 − (z1 + γ)| > 0. γ∈Γ Soit V1 et V2 deux disques ouverts de rayon η/2 centrés respectivement en z1 et z2 . On a alors : ∀γ ∈ Γ : (γ + V1 ) ∩ V2 = ∅ (1.1) En effet sinon il existerait un γ0 ∈ Γ et un z ∈ V1 tel que (z + γ0 ) ∈ V2 . Et on aurait alors : |z2 − (z1 + γ)| = |z2 − (z1 + γ0 ) + (z + γ0 ) − (z + γ0 )| ≤ |z2 − (z1 + γ0 )| + |(z + γ0 ) − (z + γ0 )| < η/2 + η/2 = η, 4 ce qui est impossible par définition de η. De plus la projection ! canonique π est ouverte car : soit U un ouvert alors π −1 (π(U )) = γ∈Γ (γ + U ) est ouvert comme réunion de translatés d’ouverts. Il en résulte que π(V1 ) et π(V2 ) sont ouverts, ils sont également disjoints d’après (1). On a donc trouvé deux voisinages ouverts disjoints autour des points s1 et s2 , par conséquent C/Γ est séparé. 2. Construisons un atlas sur C/Γ. Soit δ = inf γ∈Γ∗ |γ| > 0 ; δ est bien défini car Γ est discret. Soit V l’ensemble des ouverts de C de diamètre au plus δ/2. Pour tout V ∈ V on a alors les propriétés suivantes : (i) ∀γ ∈ Γ∗ , V ∩ (V + γ) = ∅, (ii) Si V, V % ∈ V alors V ∩ (V % + γ) #= ∅ pour au plus un γ ∈ Γ. Clairement, (i) est vrai par définition de δ. Il nous faut vérifier (ii). Soit z1 ∈ V ∩ (V % + γ1 ) et z2 ∈ V ∩ (V % + γ2 ). On a alors z1 = z1% + γ1 et z2 = z2% + γ2 où z1% , z2% ∈ V % et ainsi : |γ1 − γ2 | = |(z1 − z2 ) − (z1% − z2% )| ≤ |(z1 − z2 )| + |(z1% − z2% )| < δ. Donc γ1 = γ2 et le (ii) est démontré. Le (i) implique que π|V est bijective et continue. L’application π|V est ouverte : soit A ⊂ V un ouvert relativement à V , alors A est ouvert dans C car V est ouvert et π|V (A) = π(A) est ouvert dans C/Γ (car π est ouverte). Donc π|V est un homéomorphisme de V sur son image π|V (V ) = UV . En posant −1 ΦV = π|V on obtient une carte locale (UV , ΦV ), on a donc construit un atlas A = {(UV , ΦV ) | V ∈ V} sur C/Γ. 3. Montrons que cet atlas A est holomorphe. Pour cela, on va montrer que les changements de cartes sont holomorphes. Soit (UV , ΦV ) et (UV " , ΦV " ) tel que UV ∩ UV " #= ∅. Montrons que ΦV " ◦ Φ−1 V : ΦV (UV ∩ UV " ) → ΦV " (UV ∩ UV " ) est holomorphe. Soit −1 % z ∈ ΦV (UV ∩ UV " ) et z % = ΦV " ◦ Φ−1 V (z), alors π|V " (z ) = ΦV (z) = % % π|V (z) d’où ρ(z ) = π(z). Donc z = z + γz pour un γz ∈ Γ. Comme V ∩(V % +γz ) #= ∅ alors γz est indépendant de z par (ii). Donc z % = z −γ et ΦV " ◦ Φ−1 V est holomorphe. 5 Maintenant que nous avons prouvé l’existence d’une structure de surface de Riemann pour le tore, nous pouvons nous demander quelles sont les fonctions «qui se comportent bien» sur cette surface. Afin d’éviter d’éventuelles confusions, nous allons introduire le mot morphisme de surface de Riemann, et reserver les mots holomorphe et méromorphe aux sens usuelles les concernant, c’est-à-dire pour les fonctions d’un ouvert de C dans C. Définition 1.2. Soit S1 et S2 deux surfaces de Riemann. Une application continue f : S1 → S2 est appelée un morphisme de surface de Riemann si quel que soit (U1 , Φ1 ) et (U2 , Φ2 ) deux cartes respectives de S1 et S2 tel que U1 ∩ f 1 (U2 ) #= ∅, la fonction : 1 Φ2 ◦ f ◦ Φ−1 1 : Φ1 (U1 ∩ f (U2 )) → C est analytique. Dans ce cas on dit que f est holomorphe lue dans les cartes locales de S1 et de S2 . Avec ce vocabulaire on voit facilement qu’une fonction méromorphe g : C → C induit un morphisme g̃ : C → Ĉ. La projection canonique ρ : C → C/Γ est également un morphisme. En effet ΦV ◦ ρ se restreint à la fonction identité sur chaque V ∈ V et par conséquent ρ est holomorphe lue dans des cartes. Notre problème revient donc à chercher les morphismes du tore dans la sphère de Riemann. De tels morphismes existent bien : ils sont induits par les fonctions elliptiques, dont nous allons démontrer quelques propriétés élémentaires dans les paragraphes suivants. Définition 1.3. Soit Γ un réseau dans C, une fonction f : C → C est dite Γ-périodique si pour tout γ ∈ Γ et pour tout z ∈ C on a f (z+γ) = f (z). Si de plus la fonction f est méromorphe, alors elle est dite elliptique relativement à Γ. Il est clair que si une telle fonction existe, elle passe au quotient C/Γ et induit une application f˜ : C/Γ → Ĉ. Cette application induite est alors méromorphe lue dans les cartes de C/Γ et de C. En effet, si (UV , ΦV ) est ˜ une carte comme définit ci-dessus, alors sur UV on a f˜ ◦ Φ−1 V = f ◦ρ = f qui est méromorphe (au sens usuel) par définition, et donc holomorphe lue dans les cartes de Ĉ. Par conséquent f˜ est un morphisme. Réciproquement si f˜ : C/Γ → Ĉ est un morphisme, alors f = f˜ ◦ ρ : z -→ f ([z]) est une fonction elliptique relativement à Γ. Cette invariance des fonctions elliptiques sous l’action d’un réseau Γ suggère d’introduire la notion de domaine fondamentale, qui nous sera utile dans toute la suite : Définition 1.4. Un domaine fondamental F pour un groupe G agissant sur un espace topologique X est un sous-ensemble fermé de X tel que : (i)F̊!= F (ii) g∈G g(F ) = X ; (iii) F̊ ∩ g(F̊ ) = ∅ pour tout g ∈ G-Id. 6 Par exemple un parallélogramme de côté 0, γ1 , γ2 , γ1 +γ2 est un domaine fondamental pour Γ(γ1 , γ2 ). Et il en est de même pour toutes ses images par l’action de Γ. Comme premier résultat nous pouvons immédiatement remarquer que les seules fonctions elliptiques analytiques (au sens usuel) sont les fonctions constantes : Lemme 1.5. Une fonction elliptique f est constante si et seulement si elle n’a pas de pôles. Démonstration. Si f est constante et méromorphe, elle n’a pas de pôles. Réciproquement, si f est elliptique sans pôles, alors elle est analytique sur C. Soit maintenant P un parallélogramme fondamental de Γ, comme P est compact et f est continue, alors f (P ) est borné. De plus, f (P ) = f (C) car f est elliptique. Ainsi f est borné sur C, étant analytique, le théorème de Liouville permet de conclure. En second lieu, il est très important de comprendre le lien entre le nombre de pôles d’une fonction elliptique et le nombre de fois qu’elle peut prendre une valeur : Définition 1.6. Une fonction elliptique est dite d’ordre N si elle possède N classes de congruences de pôles en comptant leurs multiplicités. Lemme 1.7. Si f est d’ordre N alors f prend chaque valeur c ∈ Σ exactement N fois dans un domaine fondamental. Démonstration. f −c a même ordre que f , on peut donc supposer que c = 0. " Remarquons que f /f est méromorphe et elliptique de même périodes que f , de plus ses pôles sont les pôles et les zéros de f . On choisit un parallélogramme fondamental P tel qu’il n’y ait aucun pôles de f sur le bord de P. Γ3 P Γ4 Γ1 7 Γ2 " On peut donc intégrer f /f sur le bord de ce parallélogramme (où l’on a noté les arêtes consécutivement Γ1 ,Γ2 ,Γ3 ,Γ4 ) : I= " 4 " ∂P # f (z) dz = f (z) j=1 " Γj " f (z) dz f (z) " Or un simple changement de variable et la périodicité de f /f montrent que : " Γ3 " f (z) dz = f (z) " " Γ1 +γ2 f (z + γ2 ) d(z + γ2 ) = − f (z + γ2 ) " Γ1 " f (z) dz f (z) Par conséquent I = 0. Et donc par le théorème des résidus, la somme des résidus de f % /f dans P est nulle. Il reste à montrer qui si f a un zéro de multiplicité k en a alors " f /f a un résidu k en a. En effet si f a un zéro de multiplicité k en a alors : f (z) = (z − a)k g(z) où g est une fonction holomorphe tel que g(a) #= 0, donc : f % (z) = k(z − a)k−1 g(z) + (z − a)k g% (z) et : f % (z) k g% (z) = + f (z) z−a g(z) Donc f % /f a un résidu k en a. On montre de la même manière que si " f a un pôle de multiplicité k en a alors f /f a un résidu −k en a. Comme la somme des résidus est zéro, le nombre de pôles de f dans P doit être égal aux nombres de zéros de f dans P en comptant les multiplicités. Donc l’équation f (z) = 0 a N solutions comme voulu. Nous avons déjà observé qu’il y a avait très peu de fonctions elliptiques sans pôles : il s’agit des fonctions constantes. Dans l’optique de chercher à construire une fonction elliptique la plus simple possible, on pourrait être tenté d’en construire ne possédant qu’un seul pôle. Mais cela n’est malheureusement pas possible, comme le montre un argument similaire à celui utilisé dans la démonstration du lemme 1.7. En effet, si f était une fonction elliptique d’ordre 1, elle posséderait un unique pôle dans un domaine fondamentale P , et la somme des résidus de f dans P serait différente de zéro, ce qui est impossible. Les fonctions elliptiques non constantes les plus »simplesf lqq doivent donc être d’ordre au moins deux. Il en existe bien à cet ordre, il s’agit de la fonction elliptique de Weierstrass : 8 Proposition 1.8. La série, P(z) = # 1 1 1 − ( − 2) 2 2 z (z − γ) γ ∗ γ∈Γ est convergente et définit une fonction elliptique paire d’ordre 2. On l’appelle la fonction de Weierstrass. Démonstration. Tout d’abord, nous allons montrer que cette fonction est méromorphe en utilisant un résultat général sur la convergence des séries de méromorphes. Si la série de fonctions méromorphes S(z) = $% fonctions 1 1 γ∈Γ ( (z−γ)2 − γ 2 ) converge sur tous les compacts de C ne rencontrant pas le réseau Γ alors sa somme est une fonction méromorphe sur C. Soit K un disque fermé de centre 0 et de rayon R. Comme K est borné il ne contient qu’un nombre fini d’éléments de Γ, disons les γ ∈ Φ ⊆ Γ. Par conséquent les 1 1 termes ( (z−γ) 2 − γ 2 ) sont analytiques pour γ ∈ Γ − Φ et z ∈ K. De plus en effectuant un développement limité on obtient : (z + γ)−2 = γ −2 (1 + z −2 1 2z 1 ) = 2 − 3 + O( 4 ) γ γ γ γ d’où : 1 1 − 2 ||K ≤ C(R)|λ|−3 2 (z + λ) λ $ Or comme la série $% |λ|−3 converge cela entraine la convergence normale 1 1 et donc l’analycité de %γ∈Γ−Φ ( (z−γ) 2 − γ 2 ) sur K. En rajoutant les termes associés aux γ ∈ Φ on obtient que S(z) est méromorphe sur K. Et par conséquent P est une fonction méromorphe sur C avec des pôles d’ordre 2 en chaque point du réseau Γ. Il reste à montrer que P est Γ-périodique. On le voit en utilisant un résultat usuel de dérivation terme à terme : # # 2 2 1 P % (z) = − 3 − = −2 3 z (z + γ) (z + γ)3 ∗ || γ∈Γ γ∈Γ Cette fonction est Γ-périodique et impaire. Il en résulte que P est paire, et que P % (z + γ) − P % (z) est identiquement nul. D’où P(z + γ) − P(z) est constant. En évaluant en z = −γ/2 on obtient : P(γ/2) − P(−γ/2) = 0 car P est paire. Cela achève de démontrer que P est une fonction elliptique paire d’ordre 2. Proposition 1.9. La fonction de Weierstrass associée à un réseau Γ vérifie l’équation différentielle (P % )2 = p(P) où p est un polynôme cubique de la forme : 9 p(z) = 4z 3 − g2 z − g3 , avec $ % g2 = g2 (Γ) = 60 γ∈Γ∗ γ −4 , $ g3 = g3 (Γ) = 140 γ∈Γ∗ γ −6 . Démonstration. Un calcul direct consistant à faire des développements limités montre que P % (z)2 − 4P(z)3 + g2 P(z) + g3 = f (z) au voisinage de 0 où f est une fonction analytique s’annulant en 0. De là, f s’annule en tous les points de Γ. Or par construction f ne peut avoir de pôle qu’en les points du réseau Γ, il en résulte que f n’a pas de pôles et est elliptique. Ainsi elle ne peut être que constante et donc identiquement nulle. Proposition 1.10. Le polynôme p a trois zéros mutuellement distincts. Démonstration. D’après la proposition précédente, le polynôme p possède des zéros aux points z = P(t) tel que P % (t) = 0, où P est la fonction de Weierstrass associée à un réseau Γ de base (γ1 , γ2 ). Il s’agit donc de calculer les zéros de P % relativement à ce réseau. Soit P un parallélogramme fondamental contenant 12 γ1 , 12 γ2 et 12 (γ1 + γ2 ) = 12 γ3 dans son intérieur, et soit γ ∈ Γ, comme 12 γ et − 12 γ sont égaux modulo Γ, on a : P % ( 12 γ) = P % (− 12 γ). L’imparité de P implique alors que P % ( 12 γi ) = 0 pour i = 1, 2, et 3. Ce sont les seuls zéros possibles dans P car P % est d’ordre 3. Et comme Z = [ 12 γ1 ] ∪ [1/2γ2 ] ∪ [1/2γ3 ] est l’ensemble de tous les zéros de P % , il en résulte que le triplet (e1 = P % ( 12 γ1 ), e2 = P % ( 12 γ2 ), e3 = P % ( 12 γ3 )) = P(Z) est indépendant du choix d’un base particulière de Γ. Il nous reste à prouver que les ei = P % ( 12 γi ) sont distincts. Pour cela on considère la fonction fj (z) = P(z) − ej pour j = 1, 2,ou 3. Comme les pôles de fj sont les mêmes que ceux de P, on peut affirmer que fj est une fonction elliptique d’ordre 2, et a donc deux classes de zéros, en comptant les multiplicités. Or, fj ( 12 γj ) = fj% ( 12 γj ) = 0, d’où fj a une classe de double zéros en [ 12 γj ] et pas d’autres zéros. Et en particulier, si k #= j on a fj ( 12 γk ) = P( 12 γk ) − ej = ek − ej #= 0. Ce qui termine la démonstration. Pour terminer cette présentation des fonctions elliptiques nous allons montrer qu’une telle fonction induit naturellement un revêtement ramifié de la sphère de Riemann par le tore. Il faut bien garder à l’esprit que le cas qui nous intéresse ici n’est qu’un cas particulier de propriétés plus générales concernant les surfaces de Riemann. En effet un morphisme non-constant entre deux surfaces de Riemann compactes et connexes peut toujours être vu comme un revêtement ramifié. Néanmoins, il peut être intéressant de construire ce revêtement « à la main » dans un cas particulier comme celui ci : 10 Théorème 1.11. Soit f : C → Ĉ une fonction elliptique d’ordre N relativement à un réseau Γ, alors la fonction f& : C/Γ → Ĉ définit par f&([z]) = f (z) pour tout [z] ∈ C/Γ est un revêtement ramifié holomorphe de la sphère de Riemann par le tore. Démonstration. Nous allons faire cette démonstration en trois étapes : 1. Montrons que f& est ouverte et localement k-sur-un : Soit a ∈ C, supposons que f (a) = c ∈ Ĉ avec la multiplicité k. On choisit un voisinage U de a tel qu’aucun point de U ne soit congru à un autre point de U . La projection canonique ρ restreinte à U est un & (un tel U existe car homéomorphisme de U sur son image ρ|U (U ) = U Γ est discret). De plus comme f est elliptique, elle est en particulier méromorphe et donc ouverte et localement k-sur-un en a par les théo& rèmes classiques d’analyse complexe. Par conséquent f ◦ ρ−1 U = f est ouverte et localement k-sur-un. 2. Montrons que f& est un morphisme de surface de Riemann : & un ouvert de C/Γ, il existe alors une carte ΦU = ρ−1 tel que Soit U U &) = U. ΦU (U &−1 (Vi )) → C est & Il faut vérifier que l’application φi ◦ f& ◦ Φ−1 U (U ∩ f holomorphe (où les (Φi , Vi ) sont les cartes usuelles de la sphère de Riemann). En effet, φi ◦ f& ◦ Φ−1 U = φi ◦ f est holomorphe car f est méromorphe et donc holomorphe lue dans les cartes Φi . 3. Montrons que f& est un revêtement sur C/Γ − P où P est l’ensemble des points de multiplicité k>1 et des pôles de f : Remarquons tout d’abord que P est fini : P est discret car l’ensemble des zéros de f&% est discret, et comme C/Γ est compact, P est fini. Comme f est elliptique d’ordre N alors d’après le lemme 1.7 l’équation f&([z]) = c admet N solutions distinctes dans C/Γ − P , disons [z1 ], ..., [zN ]. D’après le 1. f& est ouverte et localement un-sur-un sur C/Γ − P . On peut donc choisir des voisinages ouverts Wj des [zj ] tel qu’ils soient disjoints et homéomorphes à Vj = f&(Wj ). Ainsi c a un voisinage V = V1 ∩ ... ∩ VN tel que f&−1 (V ) soit égal à N ouverts dis'j = Wj ∩ f&−1 (V ), tous homéomorphes à V . On a donc exhibé joints W un ouvert trivialisant V pour c, et par conséquent f& est un revêtement à N feuillets en dehors de P . 11 En incluant les points de P , on obtient que f& est un revêtement ramifié de la sphère de Riemann par le tore. 12 Chapitre 2 Espace de modules Définition 2.1. Un isomorphisme de surface de Riemann est un morphisme bijectif dont la réciproque est également un morphisme. Deux surfaces de Riemann sont dites conformément équivalentes, ou isomorphes, s’il existe un isomorphisme de surface de Riemann entre elles. Nous allons chercher à déterminer les classes d’isomorphismes du tore complexe. Pour cela, nous allons répondre à la question suivante : en se donnant deux tores C/Γ et C/Γ% quand peut-on affirmer qu’ils sont isomorphes ? La réponse est donnée par le théorème suivant : Théorème 2.2. Soit deux tores T = C/Γ et T % = C/Γ% . Les fonctions holomorphes f : C/Γ → C/Γ% sont de la forme : fa,b : [z] -→ [az + b]% , où a, b ∈ C et aΓ ⊆ Γ% . De plus fa,b est un isomophisme de surface de Riemann si et seulement si aΓ = Γ% . Démonstration. Soit π : C → C/Γ et π % : C → C/Γ% les deux projections cannoniques respectives des tores T et T % . Comme C est simplement connexe et que π (resp. π % ) est un revêtement, c’est le revêtement universel du tore. La théorie générale des revêtements nous dit que l’application composée f ◦π admet un unique relèvement f˜ : C → C tel que f ◦ π = π % ◦ f˜ (voire le diagramme ci-dessous). Il nous faut vérifier que ce relèvement est holomorphe. Au voisinage d’un point z0 ∈ C, on a alors que f˜ = s% ◦ f ◦ π où s% est une section locale du revêtement π % . Au sens des surfaces de Riemann, cette application est clairement holomorphe. Nous pouvons maintenant raisonner sur f˜. C f˜ "C π ! C/Γ f 13 ! π" " C/Γ Partant de f ◦π(z) = π % ◦ f˜(z) pour tout z ∈ C, il vient : f˜(z +γ) = f˜+γz% pour un certain γ ∈ Γ fixé. Où l’on remarquera que γz% dépend peut-être de z. Mais la fonction holomorphe : z -→ γz% = f˜(z + γ) − f˜(z) envoie l’espace connexe C sur l’espace discret Γ, par conséquent elle est constante et γz% ne dépend que de γ. On a donc : f˜(z + γ) = f˜(z) + γ % En différenciant par rapport à z, on obtient : f˜% (z) = f˜% (z + γ). Il en résulte que f˜% est une fonction holomorphe et elliptique relativement à Γ, elle est donc constante. On en déduit que f˜ est de la forme : f˜(z) = az + b où a, b ∈ C. Ce qui est équivalent à : f ◦ π(z) = π % (az + b) Nous avons ainsi montré que f est nécessairement de la forme fa,b . De plus pour tout γ ∈ Γ, f ◦ π(z + γ) = f ◦ π(z), et donc π % (a(z + γ) + b) = π % (az + b). On en conclut que aγ ∈ Γ% et donc aΓ ⊆ Γ% . Réciproquement, si aΓ ⊆ Γ% alors la fonction fa,b est holomorphe. Supposons que f = fa,b est un isomorphisme de surface de Riemann, alors fa,b possède un inverse holomorphe de la forme π % (z) -→ π((z − b)/a) où a−1 Γ% ⊆ Γ. Cela entraine l’inclusion : Γ% ⊆ aΓ. Réciproquement, si Γ% = aΓ, cela définit un inverse holomorphe, et donc f est un isomorphisme de surface de Riemann. Ce qui achève la preuve. Nous pouvons désormais définir les automorphismes du tore qui préservent sa structure complexe : Proposition 2.3. Les automorphismes du tore complexe en tant que surface de Riemann sont les applications de la forme : f : [z] -→ [az + b] où a, b ∈ C et aΓ = Γ. Démonstration. Il suffit de poser Γ% = Γ et d’utiliser le théorème précédent. Il parait alors naturel de déterminer dans quelle mesure un réseau Γ de rang 2 de C possède un nombre complexe a tel que aΓ = Γ. En conséquence nous allons classifier les automorphismes de cette forme : Lemme 2.4. Soit φ : γ -→ λγ un automorphisme d’un réseau Γ, alors λ = ±1; ±i; ±ρ = e2iπ/3 ou ±(ρ + 1) 14 Démonstration. En premier lieu, montrons que le module de λ ne peut être que 1. Comme Γ est un sous-groupe discret de C pour la topologie usuelle, il existe un élément γ0 de module minimal. On en déduit les deux inégalités : |φ(γ0 )| = |λγ0 | ≥ |γ0 | et |φ−1 (γ0 )| = | λ1 γ0 | ≥ |γ0 |, d’où |λ| = 1. On peut ainsi voir φ comme une rotation d’angle θ. Dans une base orthonormale directe, une telle application possède une matrice de la forme : ( ) cos(θ) − sin(θ) sin(θ) cos(θ) Mais dans une base du réseau la matrice de φ se doit d’être à coefficients entiers. Or comme la trace de la matrice d’une application linéaire ne change pas selon la base choisie, on a : 2 cos(θ) = k ∈ Z. Les seuls valeurs possibles de ce cosinus sont donc : ±1,± 12 ou 0. Ce qui termine la démonstration. Les ordres possibles pour un automorphisme de réseau sont donc 2,3,4 ou 6. A partir de là on peut énumérer la classification suivante : – Tout réseau possède un automorphisme d’ordre 2 donné par z -→ −z. – Les réseaux possédants des automorphismes d’ordre 4 sont les réseaux dont au moins deux éléments de même module minimal forment un angle de π/2. Ils sont donnés par z -→ ±iz . – Les réseaux possédants des automorphismes d’ordre 3 ou 6 sont les réseaux dont au moins deux éléments de même module minimal forment un angle de π/3. Ils sont donnés par z -→ ±ρ et z -→ ±(ρ + 1). Nous avons déjà vu que si Γ et Γ% sont deux réseaux de rang deux dans C alors les tores C/Γ et C/Γ% sont conformément équivalents si et seulement si Γ% et Γ sont similaires, c’est-à-dire si Γ = λΓ% pour un certain λ ∈ C − 0. Afin de pouvoir en dire plus, nous introduisons la définition suivante : Définition 2.5. Soit γ1 , γ2 une base d’un réseau Γ de C. On définit le nombre complexe τ = γi /γj (où i, j = 1, 2 sont choisis afin que 1(τ ) > 0) comme étant le module de la base γ1 , γ2 . On remarque immédiatement que chaque réseau Γ détermine un ensemble de modules : les modules de ses différentes bases, et comme λγi /λγj = γi /γj , des réseaux similaires ont le même ensemble de modules. En fait, nous avons également le théorème suivant : Théorème 2.6. : Si Γ = Γ(γ1 , γ2 ) et Γ% = Γ% (γ1% , γ2% ) sont des réseaux de C, en notant τ et τ % les modules de leurs bases respectives, les assertions suivantes sont équivalentes : (i) Les tores C/Γ et C/Γ% sont conformément équivalents ; 15 (ii) Les réseaux Γ et Γ% sont similaires ; (iii) τ % = T (τ ) pour un certain T ∈ P SL(2, Z) Démonstration. L’équivalence entre (i) et (ii) a déjà été montrée précédemment. Montrons donc l’équivalence entre (ii) et (iii). Comme Γ et Γ% sont similaires on a : γ1% = λ(aγ2 + bγ1 ), γ2% = λ(cγ2 + dγ1 ), où a, b, c, d ∈ Z et ad − bc = +1 ou −1 ; et ceci est équivalent à : τ% = aτ + b . cτ + d Et comme τ et τ % appartiennent à H = {z ∈ C | 1(z) ≥ 0} par définition, on a nécessairement ad − bc = 1. Réciproquement si ad − bc = 1 alors γ1% , γ2% est bien une base d’un réseau similaire à Γ. On a donc montré l’équivalence entre (ii) et (iii). Le point intéressant de ce théorème est qu’il nous fait apparaı̂tre un lien entre les classes d’isomorphisme du tore et l’action de P SL(2, Z) sur H. On est ainsi tenté de voir l’espace quotient H/P SL(2, Z) comme l’ensemble des différentes classes de structures complexes du tore. Autrement dit, l’espace de modules des tores complexes de dimension un. Cet ensemble dispose bien d’une structure complexe : c’est le quotient de la surface de Riemann mathcalH par un groupe agissant proprement discontinument sur cette surface (pour une démonstration détaillée, on pourra consulter [JON], p.248)šbb. En conséquence, nous allons maintenant chercher à déterminer précisément cet espace en montrant qu’il est isomorphe à C. Pour cela, il nous faut d’abord pousser un peu plus l’étude de l’action de P SL(2, Z) sur H, et notamment déterminer un domaine fondamental de cette action : Proposition 2.7. F = {z ∈ H| |z| ≥ 1 et |2(Z)| ≤ 1/2} est un domaine fondamental pour le groupe P SL(2, Z) 16 F ρ i ρ+1 1 2 − 12 Démonstration. Montrons dans un premier temps la relation (i) de la définition du domaine fondamental, autrement dit que le domaine F contient un représentant de chaque orbite de l’action de P SL(2, Z) sur H. Soit y ∈ H, alors en utilisant des translations bien choisis de P SL(2, Z) on peut supposer que −1/2 ≤ 2(y) ≤ 1/2. Soit maintenant T ∈ P SL(2, Z) tel que 1(T (y)) soit maximal. Nous pouvons affirmer qu’une telle application T existe grâce à la relation 1(T (z)) = 1(z)/|cz + d|2 (où T est de la forme T (z) = (az + b)/(cz + d)) ; en effet le groupe zZ + Z étant discret, l’ensemble des nombres complexes de la forme cz + d admet un élément de module minimal différent de 0. Il s’en suit que |T (y)| ≥ 1, sinon en utilisant l’in(y)) version s(z) = −1/z on aurait 1(s ◦ T (y)) = &(T > 1(T (y)), ce qui |T (y)|2 est une contradiction car 1(T (y)) est maximal. Ainsi on peut trouver une application de P SL(2, Z) qui envoie y dans F , et comme y a été choisi arbitrairement, on a bien que F contient au moins un représentant de chaque orbite. Pour terminer la démonstration, il nous faut encore prouver que F̊ ∩ T (F̊ ) = ∅ pour tout T ∈ P SL(2, Z) − Id. Soit z1 et z2 deux éléments de F qui vérifient z2 = R(z1 ) où R est une application de P SL(2, Z). On peut supposer sans perte de généralité que 1(z2 ) ≥ 1(z1 ), et ainsi : 1(z1 )/|cz1 +d|2 ≥ 1(z1 ) d’où, |cz1 +d| ≤ 1. En regardant la partie imaginaire : 1(cz1 +d) = c1(z1 ) ≥ √ 3 c 2 , on obtient trois cas selon que c = −1, 0 ou 1. Si c = 0 alors R est ou bien 17 une translation, ou bien l’identité. Si c = 1, alors d #= 0 car sinon R serait l’application identité. De là, l’inégalité |z1 + d| ≤ 1 implique que z1 = ρ, i ou ρ + 1. Il en est de même pour c=-1. Ainsi z1 et z1 se trouvent nécessairement sur le bord de F , ce qui termine la preuve. Pour montrer l’existence d’un isomorphisme entre H/P SL(2, Z) et C il paraı̂t naturel de construire une fonction analytique sur H et qui est constante sur chaque classe d’équivalence. Pour cela nous allons introduire la fonction modulaire qui possède ces deux propriétés : Définition 2.8. Soit J : H → C tel que : J(τ ) = g2 (τ )3 , g2 (τ )3 − 27g3 (τ )2 avec : g2 (τ ) = 60 # (m + nτ )−4 , m,n g3 (τ ) = 140 # (m + nτ )−6 . m,n Proposition 2.9. La fonction J : H → C est analytique sur H. Démonstration. Dans un premier temps, nous allons montrer que les séries g2 et g3 convergent sur tout compact de mathcalH. Pour cela, donnons nous un τ0 ∈ H, un δ = 12 1(τ0 ) et soit K = B(τ0 , δ) un disque compact. Il nous faut prouver la convergence normale de g2 et g3 sur K. Elle découle des inégalités suivantes : | m + τ0 | ≥ 1(τ0 ) = 2δ n Et donc ∀m, n ∈ Z et ∀ on a : |(m + nτ ) − (m + nτ0 | = |n||τ − τ0 | ≤ |n|δ ≤ 1/2|m + nτ0 | Par inégalité triangulaire, il vient : |(m + nτ )| ≤ |m + nτ0 | − |(m + nτ ) − (m + nτ0 )| ≤ Ainsi pour tout r > 0 et pour tout τ ∈ K on a : |m + nτ |−2r ≤ 22r |m + nτ0 |−2r 18 1/2|m + nτ0 |. $ Ce qui nous montre que la série (m+nτ )−2r converge normalement sur K pour r > 1. On en déduit alors que J est méromorphe sur H. L’analycité découle alors du fait que g2 (τ )3 − 27g3 (τ )2 ne s’annule pas. Nous le verrons au cours de la démonstration de la proposition suivante. Ainsi on a construit une fonction J qui est holomorphe sur le demi-plan supérieur. Il reste à montrer qu’elle est invariante sous l’action du groupe P SL(2, Z) : Proposition 2.10. J(T (τ )) = J(τ ) pour tout τ ∈ H et T ∈ P SL(2, Z) Démonstration. Il faut ici se rappeler que la fonction de Weierstrass associée à un réseau Γ vérifie l’équation différentielle P %2 = p(P) où p est un polynôme cubique de la forme : p(z) = 4z 3 − g2 z − g3 , avec g2 = g2 (Γ) = 60 # γ −4 , γ∈Γ∗ g3 = g3 (Γ) = 140 # γ −6 . γ∈Γ∗ Le discriminant d’un polynôme cubique p ayant pour racine e1 , e2 et e3 est définit par la formule : ∆p = 16(e1 − e2 )2 (e2 − e3 )2 (e3 − e1 )2 . Clairement, ses racines sont distinctes si et seulement si ∆p #= 0. Or un calcul montre que dans notre cas ∆(Γ) = g2 (Γ)3 − 27g3 (Γ)2 (pour un calcul détaillé, se référer à [JON], p.274). De plus nous avons vu auparavant que p est à racines distinctes, ce qui force son discriminant à être non nul, on peut ainsi définir la fonction : g2 (Γ)3 J˜(Γ) = 3 g2 (Γ) − 27g3 (Γ)2 ˜ On remarque immédiatement que J˜(λΓ) = J(Γ) pour tout λ ∈ Γ. Autre˜ ment dit, J prend la même valeur sur des réseaux similaires. Soit maintenant τ un module du réseau Γ, d’après le théorème énoncé en début de chapitre, les réseaux Γ et Γ% (1, τ ) sont similaires (ils ont le même module). Ainsi on peut considérer J˜ comme une fonction J de τ , en définissant g2 et g3 comme en 2.8. La fonction J possède alors la propriété énoncée : si τ % = T (τ ) pour un certain T ∈ P SL(2, Z), alors les réseaux Γ(1, τ ) et Γ% (1, τ % ) sont similaires ˜ % ) = J(Γ) ˜ et on a bien J(τ % ) = J(Γ = J(τ ). Nous possédons dès lors tous les outils pour montrer que H/P SL(2, Z) et C sont isomorphes (au sens des surfaces de Riemann) : 19 Théorème 2.11. La fonction modulaire J induit un isomorphisme de surface de Riemann entre H/P SL(2, Z) et C. Démonstration. Dans un premier temps nous allons montrer que J induit une bijection de H/P SL(2, Z) sur C. C’est-à-dire que pour chaque c ∈ C il existe exactement une orbite de P SL(2, Z) dans H sur laquelle J prend la valeur c. On a déjà vu que chaque orbite rencontre le domaine fondamental F ou bien en un point unique à l’intérieur de F ou bien en un ou deux points équivalents sur le bord de F . Commençons par regarder où la fonction J envoie le bord de F. Soit τ ∈ ∂F tel que 22(τ ) = ±1, alors τ est fixé par la réflexion T : τ -→ ±1 − τ̄ , et un calcul montre que J(τ ) = J(T (τ )) = J(τ ) et J(τ ) ∈ R. Et si |τ | = 1, τ est fixé par T : τ -→ 1/τ̄ , on en déduit pareillement que J(τ ) ∈ R. Par conséquent J(∂F ) ⊆ R. On peut alors séparer deux cas selon que c ∈ C − R ou c ∈ R. Soit c ∈ C − R, il nous faut montrer que l’équation J(τ ) = c a une unique solution dans l’intérieur de F . Comme J est analytique et non identiquement égale à c, on peut affirmer que la fonction : G(τ ) = J % (τ ) J(τ ) − c est méromorphe sur H. On va utiliser le même argument que celui avancé dans la démonstration du lemme 1.7 : τ ∈ H est une solution de multiplicité k de l’équation J(τ ) = c si et seulement si G a un pôle de résidu k en τ . Mais pour pouvoir déterminer la somme des résidus de la fonction G, il nous faut d’abord étudier le comportement de G quand 1(τ ) tend vers l’infini. Pour cela, faisons le changement de variable q = exp(2πiτ ), on obtient alors que (pour un calcul détaillé, on pourra de référer à [JON], p.282) : J(τ ) = 1 1 ( + 744 + 196884q + ...) 1728 q Et donc que G est analytique pour |q| assez petit, c’est-à-dire pour 1(τ ) assez grand, disons 1(τ ) ≥ K. Ainsi tous les pôles de G dans F sont en fait dans l’intérieur de l’ensemble E = {τ ∈ F |1(τ ) ≤ K} . Par conséquent la somme des résidus de G dans F est égale à : " 1 G(τ )dτ, 2πi ∂E où l’on intégrera dans le sens trigonométrique. Or comme J(τ + 1) = J(τ ), la fonction J, et donc la fonction G prend les mêmes valeurs sur les côtés 2(τ ) = −1/2 et 2(τ ) = 1/2 de E, ce qui nous donne : " " " G(τ )dτ = G(τ + 1)dτ = − G(τ )dτ [−1/2+iK,ρ] [−1/2+iK,ρ] [ρ+1,1/2+iK] 20 De même, en utilisant le fait que G(τ ) = G(−1/τ ) on en déduit que : " " G(τ )dτ = − G(τ )dτ [ρ,i] [i,ρ+1] Et finalement on obtient : " " G(τ )dτ = ∂E G(τ )dτ [1/2+iK,−1/2+iK] De là, remarquons qu’en dehors des pôles de G, n’importe quelle détermination continue du logarithme complexe satisfait à la relation : (log(J(τ ) − c))% = et donc : " [1/2+iK,−1/2+iK] J % (τ ) = G(τ ) J(τ ) − c G(τ )dτ = [log(J(τ ) − c)]γ où [log(J(τ )− c)]γ est le changement de valeur de log(J(τ )− c) provenant du prolongement analytique le long du segment γ = [1/2+iK, −1/2+iK]. Pour calculer cette valeur on reprend le changement de variable q = exp(2iπτ ), Q et on remarque que la fonction q → q(J(τ ) − c) est alors analytique et non nulle pour 0 ≤ |q| ≤ exp(−2iπK). De plus, quand τ parcours le segment γ, alors q fait une fois le tour du le cercle de centre 0 et de rayon exp(−2πK) en commençant et finissant à exp(−2πK), la fonction Q est donc analytique le long d’un lacet dans un domaine simplement connexe, et par conséquent : [log(q(J(τ ) − c))]γ = 0 d’où : [log((J(τ ) − c))]γ = [log((qJ(τ ) − c)) − log(q)]γ = [−log(q)]γ = 2iπ Ce qui nous montre que la somme des résidus de G est dans F est 1. Ainsi l’équation J(τ ) = c possède une unique solution dans F pour c ∈ C − R. Supposons maintenant que c ∈ R. En premier lieu, montrons que l’équation J(τ ) = c possède au moins une solution dans F. Pour cela notons : L1 = {τ ∈ H | |τ | ≥ 1, 2(τ ) = −1/2} L2 = {τ ∈ H | |τ | = 1, −1/2 ≤ 2(τ ) ≤ 0} L3 = {τ ∈ H | |τ | ≥ 1, 2(τ ) = 0} L = L1 ∪ L2 ∪ L3 21 L1 L3 i ρ L2 −1 − 12 0 Si τ ∈ L3 alors τ = iy avec y ≥ 1. De plus le changement de variable q = exp(2iπτ ) = exp(−2πy) nous montre que lorsque y tend vers l’infini 1 (i.e q tend vers 0) alors J(τ ) = 1728 ( 1q + 744 + 196884q + ...) tend vers +∞. De même on montre que sur L1 , J(τ ) tend vers −∞. Et comme J(L) ⊆ R, alors J est une fonction à valeurs réelles. De plus, J(L) est connexe car L est connexe et J est analytique (et donc continue). Donc J(L) est un sous ensemble connexe de R sans borne supérieure ni inférieure, d’où J(L) = R. Il y a donc au moins une orbite de P SL(2, Z) sur laquelle J prend la valeur c ∈ R. Il reste à prouver que cette orbite est unique. Pour cela on va utiliser le lemme topologique suivant : Lemme 2.12. Soit f une application ouverte d’un espace topologique séparé X dans un espace topologique Y , et soit Y % une partie dense de Y telle que la restriction de f à f −1 (Y % ) soit injective. Alors f est injective. La fonction J˜ : H/P SL(2, Z) → C induite par passage au quotient est injective restreinte à J˜−1 (C − R) d’après la première partie de la démonstration. Or comme l’application J est ouverte, il en est de même pour J˜ car la projection canonique H → H/P SL(2, Z) est ouverte. De plus le quotient H/P SL(2, Z) est bien séparé. Le lemme et la densité de C − R dans C per˜ mettent alors de conclure sur l’injectivité de J. 22 En résumé, la fonction J : H → C est holomorphe et l’équation J(τ ) = c admet une unique solution modulo P SL(2, Z). En passant au quotient, on voit donc que J induit un biholomorphisme entre H/P SL(2, Z) et C. Ce qu’il fallait démontrer. Nous avons ainsi démontré le théorème énoncé lors de l’introduction : Théorème 2.13. Il existe une structure complexe naturelle sur l’espace de modules, et un isomorphisme entre cette variété complexe et C. Nous allons terminer ce TER en étudiant le comportement géométrique de la fonction modulaire J. Pour commencer, regardons quels sont les images adjacentes de F par l’action de P SL(2, Z). Pour cela on définit les trois applications suivantes de P SL(2, Z) : X : z -→ −1/z, Y : z -→ −1/(z + 1), Z : z -→ z + 1. Les applications X et Y possèdent respectivement i et ρ comme point fixe. En appliquant successivement à F des composées bien choisies de ces applications, on obtient neuf régions adjacentes à F , où i appartient à deux régions simultanément (F et X(F )) et ρ appartient à six régions (Z −1 (F ), Y 2 (F ), XY (F ), Y (F ), X(F ) et F). Z −1 (F ) Z(F ) F i ρ Y 2 (F ) X(F ) Y X(F ) Y (F ) − 12 ZX(F ) ZY X(F ) ZY (F ) 0 1 2 Nous pouvons maintenant voir que J se comporte comme un revêtement ramifié : Théorème 2.14. L’application J : H → C est un revêtement ramifié possédant une infinité de feuillets. Ses points de ramification sont d’ordre respec2iπ tivement 1 et 2 sur les orbites J −1 (1) et J −1 (0), en particulier, i et ρ = e 3 sont des points de ramification. 23 Démonstration. Par définition, un point a de H est un point de ramification d’ordre k − 1 si et seulement si J est localement k-sur-un dans un voisinage de a. Soit P = {z ∈ H|J % (z) = 0}, un tel ensemble est discret d’après le théorème des zéros isolés. Or, par théorème d’inversion local pour les fonctions holomorphes, J est localement un biholomorphisme au voisinage des points z tel que J % (z) #= 0, c’est-à-dire en dehors des points de P . Il nous faut vérifier que J est bien un revêtement (non-ramifié) en dehors de ces points. Pour cela donnons un point x ∈ C − J(P ), et remarquons que J −1 (x) est un orbite de P SL(2, Z). Comme le groupe P SL(2, Z) agit proprement discontinument sur C, on peut donc trouver un voisinage Ux de x assez petit pour que J −1 (Ux ) consiste en une réunion d’ouverts disjoints de H tel que J soit bijective restreinte à chacun de ces ouverts. On a ainsi construit un ouvert trivialisant pour J en dehors des points de P , ce qui prouve que J : H − J −1 (J(P )) :→ C − J(P ) est un revêtement holomorphe. Le nombre de feuillets est infini car pour tout c ∈ H, J −1 (c) est un orbite de P SL(2, Z). Il reste à déterminer les points de ramification de ce revêtement. Soit a ∈ H, quitte à appliquer un élément de P SL(2, Z) on peut supposer que a ∈ F . Si a ∈ F̊ , alors d’après la démonstration du théorème 2.11 il existe un voisinage V ⊆ F̊ de a tel que J restreinte à V soit bijective. Il n’y a donc pas de points de ramification à l’intérieur de F . Supposons maintenant que a ∈ ∂F − {i, ρ, ρ + 1}. Traitons en premier lieu le cas où 2(a) = 1/2 et |a| > 1. Soit D = D(a, min(|a| − 1, 12 )), alors D est contenu dans l’intérieur de F ∪Z(F ) où Z est la translation z -→ z +1. Il en résulte que J est bijective restreinte à D. En effet, sinon il existerait deux éléments congrus modulo P SL(2, Z) dans D, disons τ et τ % , qui seraient nécessairement de la forme τ % = τ + 1. Cette situation est impossible car V est de diamètre plus petit que 1. On raisonne d’une façon similaire pour le côté 2(a) = −1/2 et |a| > 1 en utilisant la transformation z -→ z − 1. Pour le côté |a| = 1 et a #= ρ, ρ+ 1, i on utilise la transformation z -→ −1/z (qui est la réflexion d’axe imaginaire si |z| = 1) et un disque de rayon suffisamment petit. Les seuls points de ramifications possibles dans F sont donc les points ρ, ρ + 1 et i. Mais ρ et ρ + 1 étant dans le même orbite du groupe modulaire, il n’y a que deux cas à traiter. Soit (an )n∈N une suite de points de F qui tend vers i, comme i est un point fixe pour la transformation X : z -→ −1/z, on a que (X(an ))n∈N est une suite de points de X(F ) qui tend vers i. Il en résulte que l’on peut choisir un voisinage V de i arbitrairement petit tel que pour chaque τ ∈ V − i il existe un unique τ % = X(τ ) ∈ V − i. Ainsi J est au moins localement deux-sur-un en i. Elle peut pas être plus de deux-sur-un car i est adjacent à exactement deux domaines du pavage de P SL(2, Z) : F et son image par X. Ainsi, si deux points sont congrus modulo P SL(2, Z) dans un voisinage de i, ils le sont via l’application X et seulement celle-ci. Cela fait de i un point de ramification d’ordre 1. Il en est 24 de même pour tous les points congrus à i modulo P SL(2, Z). Reste le point ρ. Il y a six images de F par l’action de P SL(2, Z) adjacentes à ρ, il s’agit de : F, X(F ), Y (F ), Y X(F ), Y 2 (F ) et Z −1 (F ). Comme le montre le raisonnement mené pour le point i, J est au maximum six-sur-un en ρ, et le seul moyen pour des points d’un voisinage de ρ d’être congrus ente eux est de l’être via les applications citées précédemment. Mais ρ n’est un point fixe que pour les applications Y et Y 2 . Ainsi on obtient que J est localement troissur-un au point ρ. En effet, les suites (Y (bn ))n∈N et (Y 2 (bn ))n∈N tendent vers ρ, tandis que (Z −1 (bn ))n∈N , (X(bn ))n∈N et (Y X(bn ))n∈N tendent respectivement vers ρ− 1, ρ+ 1 et −1/(ρ+ 2). On en conclut que tous les points de l’orbite de ρ sont ramifiés d’ordre 2. 25 Bibliographie [JON] Gareth A. Jones, David Singerman Complex functions, An algebraic and geometric viewpoint, Cambridge University Press, 1987 26