SOCIOLOGIE DES ORGANISATIONS finale

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SOCIOLOGIE DES ORGANISATIONS finale
SOCIOLOGIE DES ORGANISATIONS
Lusin BAGLA
FICHE DE LECTURE REALISEE PAR SABINE DUBOIS ET MIREILLE FLOCH
DESU Coaching 2011
Lusin Bagla, maître de conférences de sociologie à l’université d’Orléans, nous présente, en première
partie, l’évolution des stratégies managériales et des formes d’organisation suivant les activités. Elle
analyse le passage des organisations pré-tayloriennes au post-bureaucratiques.
Nous verrons comment ces formes d’organisation cherchent les moyens de contrôle et les techniques
de gestion des salariés, dans le but de réduire l’incertitude et d’améliorer l’efficacité.
La 2ème partie se centre sur les approches critiques des sociologues. Celles-ci mettent les hommes et
leur action au cœur de l’analyse organisationnelle pour faire ressortir les limites de la rationalité, de
l’efficacité, du contrôle et de la prévisibilité pour souligner la difficulté de borner l’organisation par des
frontières fixes.
I – Vers l’organisation moderne
La modernité débute au 18ème s et va impliquer de rationaliser la vie en société.
Cette rationalisation passe par :
 un Etat-nation qui tend à l’unité et à la généralisation, en réduisant la diversité et la pluralité ;
 une activité économique qui quitte le cadre domestique pour aller vers des organisations
spécialisées, la division du travail et la production de masse standardisée ;
 la primauté de la connaissance donnée à la science, au détriment des autres modes de
connaissance fondés sur l’intuition et l’expérience. La confiance se porte désormais sur les experts,
les systèmes ;
 la standardisation du temps et des mesures. La diversité des étalons de mesure va disparaître au
profit de principes de mesure abstraits et universels. L’horloge mécanique va scander les heures, à
la place du rythme des saisons, des données naturelles et des lieux géographiques. Plus personne
ne peut « voir midi à sa porte » et « avoir deux poids et deux mesures ».
En période de transition, du monde rural au monde urbain, les organisations vont chercher des
compromis.
1) Trouver et contrôler au mieux la main d’œuvre
Les industries débutantes se sont adaptées au contexte social en recherchant une main-d’œuvre plus
docile -femmes et enfants-, en s’implantant dans des zones où la main d’œuvre était stable et dans
celles où les corporations avaient moins d’influence. Elles se sont également appuyées sur les rapports
sociaux traditionnels, maîtres compagnons et chefs de famille.
En permettant parfois le cumul d’activité industrielle et agricole, les industriels n’ont pas rompu
l’attachement à la terre, au village, à la communauté, et ont ainsi amorti le choc des transitions.
La gestion paternaliste les place au cœur de la communauté par une emprise quasi exclusive sur
l’activité associative, culturelle, religieuse, éducative, commerciale et la santé. Bienfaiteurs de la
communauté, ils instaurent un réseau d’obligations réciproques et obtiennent, en retour, la paix sociale.
2) Contrôler les partenaires
Pour limiter les zones d’incertitude dans les comportements potentiels de partenaires qu’ils ne
connaissent pas personnellement, les entrepreneurs choisissent des groupes présentant des
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caractéristiques communes, ethniques, religieuses, géographiques et soudés par des liens de solidarité
et de confiance. Cela permet de rendre leurs comportements prévisibles.
3) Contrôler l’espace, le temps, la technologie
En regroupant les ouvriers en un seul lieu, l’usine permet de les surveiller et de les punir au besoin.
Pour maintenir la main d’œuvre au travail, l’entrepreneur va, s’il le faut, adapter son action pour tenir
compte des croyances des ouvriers (recours à un chaman par exemple).
Mais c’est surtout en se rendant maître du temps de travail et de loisir des ouvriers, que l’employeur
régule et discipline, et c’est là qu’il rencontrera les plus fortes résistances. La rétribution ne se fait plus à
la tâche (système artisanal) mais à l’heure, la journée, la semaine de travail. L’ouvrier vend son temps.
Enfin, l’employeur va recourir aux innovations technologiques pas seulement pour augmenter la
productivité mais aussi pour contrôler une main-d’œuvre trop revendicative et la remplacer par des
ouvriers moins qualifiés et moins solidaires. Ainsi, selon les pays et la plus ou moins grande importance
des traditions syndicales, la maîtrise des choix technologiques, de l’organisation et de la division du
travail appartiendra soit totalement, soit partiellement à l’employeur.
II - Taylorisme et bureaucratie : le « contrat social moderne »
Avec l’avènement des machines, une dimension matérielle et économique va s’ajouter à la dimension
morale et politique des Lumières. L’ingénieur va devenir une figure centrale d’une organisation tournée
vers la rationalisation et la norme, dont Taylor est le chantre. Ce modèle se retrouve dans la
bureaucratie.
1) La philosophie sociale du taylorisme et de la bureaucratie
Dans l’organisation moderne, l’autorité tire sa légitimité de techniques de contrôle représentées par un
corps d’expertise. L’obsession de l’amélioration de la production va s’appliquer à l’énergie humaine.
Taylor a tiré ses idées des expériences qu’il a conduites en 1880-1881 chez Midvale Steel Works pour
accélérer la coupe des métaux : il s’agissait de décomposer toutes les phases d’une opération de travail
en gestes simples, pour qu’un ouvrier, même non qualifié, puisse la réaliser. On augmentait ainsi la
productivité à un moindre coût.
La standardisation des machines et des pièces, ainsi que la formalisation des savoir-faire acquis et
développés par les ouvriers a permis également de contrôler le travail, en rendant possible la mesure de
la productivité et en réduisant l’intervention humaine.
Taylor propose un contrat social fondé sur l’abandon des luttes afin d’augmenter la part de chacun.
Quant au salaire différentiel « à la pièce », il y trouve une solution équitable et efficace. Adapté aux
Etats-Unis, où la main d’œuvre immigrée est abondante, peu qualifiée et peu chère, le taylorisme peine
d’abord à s’imposer en France, pays de petites entreprises familiales privilégiant le savoir-faire, mais finit
par se diffuser dans le monde entier.
Le taylorisme ne fait pas pour autant l’unanimité. De nombreuses voix s’élèvent contre l’aliénation du
travail ouvrier, appauvri et parcellisé. Certains soulignent que les managers ne sont pas des
représentants neutres de la science, mais ont un rôle idéologique et de surveillance.
Dans l’organisation bureaucratique, c’est également le système qui prévaut sur l’homme. Les relations
de travail sont réduites aux relations entre fonctions, ce qui réduit les tensions et assure la continuité de
l’activité organisationnelle.
Pour éviter tout favoritisme, le recrutement, la promotion, l’attribution des responsabilités, se font en
fonction de critères universels et objectifs (concours, diplômes, ancienneté).
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Inscrites dans une structure hiérarchique pyramidale, les obligations de chacun sont définies, de sorte
de réduire l’arbitraire, les incertitudes, et de rendre les comportements prévisibles.
Avec le développement de nouvelles technologies, l’expansion des marchés, les activités des
entreprises sont plus dispersées. Pour améliorer sa rentabilité et sa productivité, tout en contrôlant et
coordonnant mieux son activité, l’entreprise moderne va « intégrer » la plupart des fonctions qu’elle
confiait autrefois à des organisations autonomes. « Faire » coûte souvent moins cher que « faire faire ».
2) Les relations industrielles modernes
Le mode de travail salarié devient prépondérant et avec lui devient prégnante la question de la
répartition des richesses. Cela va se traduire par de l’absentéisme, un turnover élevé, un défaut
d’adhésion aux objectifs, voire des grèves.
Les employeurs vont alors rechercher un compromis et c’est Ford qui, par l’instauration d’un salaire
permettant aux salariés d’acquérir la Ford T, va inspirer le courant régulationniste. Ce courant pose que
les facteurs économiques, sociaux, politiques et idéologiques sont interconnectés et que leur évolution
produit un changement des procédures de régulation et des rapports sociaux. Le cadre législatif et
institutionnel joue dès lors un rôle important au travers de l’instauration du droit du travail et des droits
sociaux : c’est l’Etat providence.
Le contrat social moderne repose sur un système de rémunération qui fait référence à des critères
universels et contrôlables tels la formation, le temps de travail, la classification des postes. Une évolution
des carrières est dès lors garantie, ce qui favorise l’adhésion des salariés.
Par ailleurs, les entreprises vont trouver dans la comptabilité, qui permet de standardiser les calculs de
performance et de coûts, un moyen de justifier « scientifiquement » leurs stratégies managériales.
Or, les systèmes comptables ne sont pas neutres. Ils peuvent servir à mettre en évidence les sources
d’inefficacité. Ils sont aussi étroitement corrélées au mode d’intervention de l’Etat et des systèmes
bancaires auprès des entreprises.
L’organisation scientifique et bureaucratique a multiplié les moyens et outils de contrôle :
 En utilisant l’espace-temps : l’imposition d’un rythme collectif dans un espace contrôlé et
anonyme prive de pouvoir et de statut. L’organisation spatiale favorise certains types de
relations et en interdit d’autres ;
 La formalisation du savoir et la normalisation par la mesure de l’efficacité conduisent à
exclure de la rémunération les connaissances tacites qui ne sont pas mesurables : capacités
relationnelles, aptitudes à résoudre certains problèmes. Les experts sont seuls à définir les
critères de mesure, leur mode de validation, leur interprétation ;
 L’intervention de la psychologie industrielle : elle a d’abord tendu à expliquer la démotivation
des ouvriers par des facteurs essentiellement liés à l’environnement physique de travail
(chaleur, éclairage, humidité, temps de pause…). Avec Elton Mayo, est pointée l’importance
des relations humaines au sein de l’entreprise et du groupe d’appartenance. Néanmoins,
l’évaluation des performances et les techniques prônées pour susciter l’émulation des
salariés ont ajouté, au contrôle des gestes techniques, le contrôle de la psyché ;
 Le choix de la main d’œuvre et des sites : en s’appuyant sur des caractéristiques de telle ou
telle catégorie de salariés, on aboutit à une division sexuelle du travail qui fait coexister un
marché du travail qualifié et bien payé et un marché peu qualifié et peu rémunéré (femmes,
jeunes, immigrés…). De même, en délocalisant les entreprises dans des zones rurales à
l’économie fragile, où les solidarités familiales sont fortes, et le niveau d’instruction faible,
l’employeur peut stabiliser la main d’œuvre et réduire les risques de conflit.
III - Tentatives de dépassement de l’organisation bureaucratique taylorienne
La rigidité de ce type d’organisation est apparue dans les années 70/80.
1) Nouvelles donnes, nouvelles stratégies organisationnelles
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Le remplacement de la mécanique par l’informatique conduit à une nouvelle organisation du travail.
Dans les pays industrialisés, la compétitivité repose non plus sur les économies d’échelles mais sur la
qualité et la différenciation des produits. Pour répondre aux attentes de consommateurs plus exigeants
les entreprises ont recours à la segmentation des marchés, les innovations technologiques, la flexibilité
des produits. Les nouvelles stratégies organisationnelles conduisent à réduire la taille des firmes, à
externaliser, à se recentrer sur leur cœur de métier. La flexibilité des effectifs est également recherchée
pour s’adapter rapidement à la demande.
Les salariés vont, quant à eux, développer de nouvelles compétences et avoir de nouvelles aspirations.
On parle désormais de ressources humaines. Les salariés sont invités à sortir des tâches prédéfinies
pour résoudre les problèmes nouveaux, aller vers des fonctions intégrées, s’abstraire des canaux
officiels de communication jugés trop lourds, fixer leurs objectifs.
Les nouvelles formes de management prolifèrent (participatif, culturel, par objectifs…) et les
organisations prennent des dénominations diverses (adhocratique, matricielle, apprenante etc…).
Pour mieux gérer l’incertitude et la dépendance à l’égard des ressources, les organisations (entreprises,
universités, centres de recherche…) développent entre elles des réseaux, consolident des alliances
(culture de « clan ») et adoptent, pour faciliter les innovations successives, la standardisation des
éléments communs (procédures de certification qualité).
 Le déplacement des frontières
Le fonctionnement en mode projet, dit matriciel, favorise la souplesse et rend plus floues les lignes
hiérarchiques. Les équipes sont responsabilisées dans la résolution de problèmes et les échanges sont
plus informels.
Les besoins en espace se réduisent avec l’avènement du bureau « juste à temps » ou « virtuel » et la
production à flux tendus.
Les banques de données, le courrier électronique, rendent moins nécessaires les fonctions de
coordination et facilitent une communication moins verticale.
 La redéfinition de la division du travail
La division sexuelle, organisationnelle, sociale et internationale du travail est critiquée. Sont revendiqués
des rapports plus équitables et une plus grande participation des salariés. Les spécialistes du
management proposent des modes d’implication et de coopération des salariés au sein d’équipes
polyvalentes, capables de prendre des initiatives.
A partir du concept de gouvernance d’entreprise, se poursuit le débat sur des relations plus équitables
au-travers du poids des actionnaires. Sont soumis à débat le contrôle des décisions des dirigeants, le
recours à la régulation et à la transparence pour rassurer les investisseurs internationaux et protéger les
petits actionnaires. Les maîtres mots sont participation et partenariat.
2) Les relations industrielles dans un paysage éclaté : un « management culturel et participatif »
Dans les années 70, on cherche à adapter le travail à l’homme par la participation et la démocratisation
du lieu de travail. Au lieu de penser l’homme comme naturellement enclin à en faire le moins possible, il
s’agit désormais de concevoir le travail comme un lieu d’épanouissement potentiel. Ainsi, en
responsabilisant le salarié, en lui octroyant davantage d’autonomie et de contrôle sur son travail, il y
trouvera un enrichissement. On parle d’empowerment.
L’entreprise y trouve également son compte en terme d’amélioration de la planification du travail, de
communication, de réduction des coûts de supervision et de contrôle.
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Dans un contexte de changements accélérés et de perte de repères, les entreprises vont chercher à
marquer leur identité et à donner au client comme au salarié un sentiment d’appartenance, par le
recours de plus en plus grand au langage des signes et des symboles.
Au designer, il revient de proposer un sens et de le communiquer au consommateur. Au « manager du
sens », il appartient de fournir à des salariés de plus en plus dispersés, éloignés des centres de
décision, et de statuts divers, une grille de lecture des processus en cours, une intelligibilité des objectifs
et stratégies et une direction à suivre. De là naît la culture d’entreprise, faite de mythes communs, de
rituels d’initiation, de schéma de référence, de héros fondateurs.
C’est également un moyen de rendre les comportements des salariés plus prévisibles en assurant
cohésion et efficacité. Par l’intériorisation de croyances et normes collectives, le contrôle se fait, ici,
diffus et quasi invisible. Le salarié va s’identifier non à un métier ou à un poste, mais à l’entreprise.
On attend du nouveau manager qu’il soit charismatique et qu’il emporte l’adhésion autour d’un projet,
par sa force de conviction, sa capacité à collaborer, son écoute. Le leadership interactif est mis à
l’honneur et, avec lui, la valorisation de l’intuition et l’expression des sentiments.
En retour, le salarié est appelé à évoluer en permanence et à se montrer polyvalent : les compétences
prennent le pas sur les qualifications. Sa capacité à communiquer est mise en exergue, tant dans son
fonctionnement au sein d’équipes « multi-métiers» que dans la négociation de ses compétences à titre
individuel.
Dès lors, dans un contexte d’affaiblissement des métiers et de l’engagement syndical, l’évaluation du
salarié perd sa dimension collective (grille des emplois) pour devenir un exercice individuel au-travers de
l’entretien professionnel, et se mesure à l’aune d’une carrière de plus en plus courte. Après avoir voulu
fidéliser les salariés par le recours au recrutement intérieur, l’entreprise ne donne plus le primat à
l’ancienneté et se tourne vers des recrutements externes.
Dans le paysage contemporain se côtoient désormais éléments de gestion bureaucratiques et modes de
gestion nouveaux, lesquels génèrent d’autres contradictions et de nouveaux conflits. C’est pourquoi les
spécialistes des sciences sociales s’essayent à renouveler leurs analyses de l’organisation.
IV - Critique de l’utopie moderniste de la rationalité et de la prévisibilité
Depuis les années 80, les analyses émanant des milieux managériaux accusent l’organisation
taylorienne et bureautique de « rigidité » pour encourager des formes de gestions plus souples. En
même temps des études avaient montré que dans certains secteurs d’activité, il était impossible de
définir des tâches et responsabilités à travers des règles et procédures destinées à guider des
comportements humains.
Ces secteurs n’avaient pas attendu les années 80 pour élaborer des formes d’organisation ou la
coopération, la communication, la capacité de résoudre des problèmes imprévus étaient valorisés.
Donc, on en avait conclu que les critères d’efficacité doivent être définis en tenant compte de la
spécificité de la nature de l’activité considérée.
Les règles laissent aussi une marge de liberté aux actions à ceux qui les appliquent.
Elles n’empêchent pas les salariés de définir des stratégies.
1/ Quelques nuances apportées
Les sociologues s’interrogent sur la pertinence de l’adjectif « rationnel » appliqué à l’analyse des
objectifs et des décisions.
On se rend compte que si l’activité est soumise à des variations imprévues et des changements
fréquents, les comportements humains atténuent spontanément les effets de l’instabilité.
Alvin Gouldner en 1954 met en évidence l’impossibilité d’adopter une gestion bureaucratique et
taylorienne dans les mines. Le danger, omniprésent, empêche la centralisation des décisions et oblige
les mineurs à développer des méthodes efficaces d’apprentissage, de coopération.
La polyvalence est vitale car en cas de problème, chacun doit adopter une attitude adaptée. Une
définition claire des règles n’est pas envisageable.
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Donc, en matière d’efficacité, le système social d’une organisation est aussi important que le choix des
techniques de pointe destinée à moderniser la production.
Ici, un modèle d’organisation avec davantage d’autonomie, de solidarité, de participation, de
responsabilisation était plus judicieux.
Ainsi, l’organisation taylorienne et bureaucratique qui comptaient sur des règles et une division du travail
détaillés ne saurait constituer un modèle universel d’efficacité.
Il faut les deux modèles d’organisation.
2/ De la structure à l’action : l’incertitude est la règle
Dans l’organisation bureaucratique et taylorienne, on espère que les règles contribueront à l’efficacité
grâce à leur clarté et à leur capacité à réduire l’incertitude.
On suppose que les objectifs sont évidents, que les décisions prises pour les atteindre sont prévisibles
et que tous les efforts humains répondent à la quête de rationalité.
Mais la réalité est plus complexe.
On remarque la difficulté du contrôle par les règles.
Selon nombre de sociologues, les règles ne représentent qu’un point de départ.
Elles sont contournées, car il y a une différence entre organisation formelle (officielle) et organisation
informelle (développée à partir de pratiques imprévues). Il y a une interaction entre les deux (M.
Crozier).
Les sociologues ont remarqué que dans la majorité des cas où les employés jonglent avec les règles, le
principal bénéficiaire de ce détournement reste l’organisation. Les règles informelles ne font pas toujours
obstacles au fonctionnement de l’organisation, elles l’améliorent quelquefois.
 Les règles sont interprétées et mises en scène
L’application des règles n’est jamais mécanique, les acteurs les comprennent en les mettant en pratique.
Le salarié construit son sens à partir de la vision de l’organisation qu’il a à partir de la fonction qu’il
occupe. C’est sa réalité. La diversité des schémas de référence conduit à la construction d’une multitude
de sens.
Autrement dit, les acteurs sociaux créent des règles et des régulations qu’il faut toujours reconstruire
avec de nouveaux compromis. Produit de l’activité humaine, une règle constitue en même temps, en
tant que principe organisateur, un guide pour l’action.
Tout « ordre » reste provisoire car les agents peuvent les négocier, les influencer.
Les règles n’ont pas une influence unique sur les acteurs car elles n’existent qu’à travers la dynamique
de leurs interactions.
C’est pourquoi tout maintien, changement ou suppression de règles, est moteur de conflit (Reynaud
1997).
 Poursuite des « objectifs organisationnels » ou quête de pouvoir
Ainsi, de l’idée d’objectifs fixés suite à une décision rationnelle de la direction et qui seront atteints grâce
au choix des méthodes efficaces, on passe à celle d’objectifs définis dans la confrontation d’acteurs en
quête d’autonomie ou d’influence, avec toute l’incertitude qui en résulte.
Chacun voit son intérêt et certaines fois, il est différent de celui de l’organisation.
Il y a un enjeu de pouvoir et il est difficile de prévoir la manière dont un objectif va évoluer, dont une
décision sera appliquée et dont une innovation projetée verra le jour.
V - L’organisation comme rencontre de mondes sociaux différents.
L’idée d’un « système rationnel fermé » que les premiers modèles organisationnels véhiculaient a été
abandonnée au profit d’une vision de l’organisation ouverte, en interaction avec son environnement.
1/ Les logiques d’acteurs débordent les contours d’une organisation
On ne considère plus l’organisation en termes de forme ou de structure (statique) mais elle est analysée
en tant que processus (dynamique). C’est pourquoi Crozier et Friedberg
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s’intéressent dans leur analyse stratégique plutôt à l’action organisée qu’à l’organisation. Cette action
définit un système d’action concret où il y a interaction entre acteurs.
Le chercheur, dans ce contexte, doit trouver les stratégies des acteurs, un minimum d’ordre (derrière le
désordre apparent).
Il y a interdépendance des comportements et stratégies ( comme des joueurs engagés sur un terrain de
foot).
Il y a conciliation de la liberté et de la contrainte.
Plusieurs jeux se déroulent simultanément et régulent l’ensemble.
2/ Confrontations entre « réseaux d’acteurs mobiles »
Les études de l’organisation sociale de l’activité scientifique et les analyses des facteurs sociaux dans
les innovations prolifèrent depuis la fin des années 70 et s’intéressent aux processus de mobilisation des
acteurs dont les relations se stabilisent autour d’une solution particulière qui clôt les controverses. La
connaissance personnelle et la confiance, ainsi que l’utilisation de techniques et d’instruments communs
peuvent contribuer au rapprochement de ces mondes et de leurs acteurs, et faciliter leur collaboration.
En sociologie de l’innovation, on relève l’importance pour un acteur de constituer des réseaux larges et
solides. Il doit enrôler des alliés qui appartiennent à des milieux différents et dont il réinterprétera les
intérêts de manière à ce qu’ils soient en harmonie avec ses propres objectifs, pour qu’une solution
unique puisse émerger.
En ce qui concerne l’étude du processus d’organisation, ces approches invitent soit à quitter les limites
de l’organisation pour s’interroger sur la dynamique des intérêts, soit à renoncer à s’intéresser à une
organisation pour se pencher sur ses interactions avec les autres, via les jeux d’acteurs.
Ainsi, l’organisation devient un réseau d’associations mobiles. Organiser revient à déplacer et
transformer les frontières : c’est le rôle vital des réseaux.
VI - Les limites du management culturel et participatif
Au sein des stratégies managériales, la gestion des ressources humaines occupe une place de plus en
plus importante et les milieux managériaux ont essayé d’améliorer l’efficacité des ressources humaines.
Philosophes et sociologues relèvent également les limites des nouvelles stratégies GRH. Ils opposent la
cohérence des relations industrielles du modèle tayloriste et fordiste, caractérisée par une gestion
bureaucratique, aux contradictions du management culturel et participatif. De leur côté, les salariés
hésitent à troquer la protection relative dont ils bénéficiaient contre plus d’autonomie.
1/ Les critiques de la culture d’entreprise
Il y en a deux :
L’une refuse de voir dans la « culture », un mécanisme de régulation des interactions humaines capable
d’obtenir la cohésion : l’organisation n’a jamais été et ne sera jamais homogène.
La « culture » d’entreprise est soupçonnée d’être un obstacle au changement en perpétuant les
manières de résoudre les problèmes et les méthodes en vigueur. Il n’y a pas d’auto-régulation car la
direction induit les solutions et les méthodes pour le faire.
La deuxième est que la « culture forte » implique une telle adhésion des salariés que c’est un obstacle à
l’autonomie. L’individu s’approprie la vision et la façon de penser de l’entreprise.
Ainsi, depuis les années 1980, dans les milieux managériaux où l’on croit au management culturel et
participatif, on privilégie simultanément l’initiative et la capacité à proposer des innovations, et l’exigence
de rendre les comportements prévisibles.
Les organisations attachées à la culture d’entreprise arriveront-elles à concilier le besoin de compter sur
la conformité de leurs salariés, et en même temps sur leur créativité ?
De plus, de nos jours, le rapport au temps et à l’espace n’est plus le même : il affaiblit la culture
d’entreprise car on peut travailler seul, de chez soi, donc différemment qu’autrefois.
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La maturité de l’équipe n’est pas toujours évidente car on observe en entreprise plus de conflits que de
consensus et chaque individu a un rapport différent au travail. Pour l’un, le travail est un moyen, pour
l’autre une fin en soi.
2/ Limites et contradictions de la Gestion des Ressources Humaines
La détaylorisation et la débureaucratisation supposent une remise en question totale de la stratégie
GRH. Or, les pratiques et les discours des managers n’ont pas forcément changé. De plus, l’évaluation
individuelle met en concurrence l’équipe et favorise le manque de confiance.
Normalement, c’est le couple : « Loyauté du salarié » et « protection de l’organisation » qui faisait en
sorte que l’organisation bureaucratique perdurait. Si la protection n’est plus assurée, du fait de
l’instabilité de la conjoncture économique et de la diversité des statuts, que peut-on attendre de
l’implication d’un salarié en « insécurité » ? ouvert à la concurrence ?
Comme l’affirme Robert Castel(1995), cela produit de l’exclusion, d’où les appels à une nouvelle
articulation de l’économie et du social et à un nouveau contrat social ( engagement et des compromis de
part et d’autre, pour aboutir à une relation gagnant-gagnant ».
Des idées telles que la pluriactivité continuent de circuler. D’autres chercheurs parlent de « crise des
fonctions » qu’assurait l’Etat-Providence.
Les pratiques organisationnelles deviennent illisibles entre le diagnostic du « post-taylorisme » où il
serait dépassé et le « néo-taylorisme » où il serait renforcé, entre l’urgence d’enterrer la bureaucratie et
la nostalgie de la protection qu’elle assurait.
D’où le malaise face aux mutations de l’organisation et de l’emploi.
Tous les ingrédients sont là pour un renouveau.
De l’obsession de la réglementation à l’acceptation de l’incertitude, les managers doivent faire face à de
nouvelles contraintes pour gérer l’organisation et leurs ressources humaines.
La sociologie garde sa fonction critique car l’essentiel pour elle est de voir les processus en action et
d’analyser les phénomènes organisationnels.
Il est important de donner un sens aux nouvelles situations.
Même si ces dernières peuvent mettre l’organisation en crise, elles laissent la place à l’évolution, au
changement.
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