Comment l`employeur doit réagir lorsqu`un salarié se plaint

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Comment l`employeur doit réagir lorsqu`un salarié se plaint
GRP : feuillet⊕rapide JOB : fiscal⊕social DIV : mp⊕S01⊕regroupe1 p. 1 folio : 2 --- 8/1/015 --- 18H48
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Comment l’employeur doit réagir
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lorsqu’un salarié se plaint de harcèlement
Par Florence Dupont-Fargeaud, et Camilla Spira, De Pardieu Brocas Maffei
En 2010, d’après l’enquête Sumer (Surveillance médicale des
expositions aux risques professionnels), 22 % des salariés
déclaraient être confrontés à des comportements hostiles dans
le cadre de leur travail.
Les risques psychosociaux, et particulièrement le harcèlement
moral, sont aujourd’hui au cœur de nombre de contentieux
devant les conseils de prud’hommes. Le harcèlement moral ou
sexuel devient également un enjeu sur le terrain pénal. Ce sujet
doit donc être pris au sérieux par les employeurs.
L’obligation générale de sécurité de résultat nécessite ainsi
de prendre en amont les mesures nécessaires afin d’éviter de
lourdes condamnations, mais également un préjudice en terme
d’image et d’organisation au sein de l’entreprise elle-même.
Dans un tel contexte, la gestion pratique d’un cas de harcèlement
auquel peut être confronté un employeur au sein de son
entreprise revêt une importance particulière.
A quel moment l’employeur doit-il agir ?
L’employeur est soumis à une obligation de prévention du
harcèlement et de sécurité de résultat à l’égard du salarié,
conformément aux articles L 4121-1 et suivants du Code du
travail. Sa responsabilité pourrait être mise en jeu s’il ne réagit
pas ou agit tardivement.
En conséquence, une réactivité immédiate est importante pour
éviter toute aggravation de la situation, tant à l’égard du salarié
se plaignant de harcèlement, qu’à l’égard de ses collègues.
Réactivité signifie notamment communication. Il est courant de
voir une situation se détériorer rapidement en raison de l’absence
de mise en place d’une communication appropriée au sein de
l’équipe dans laquelle le salarié travaille.
Ainsi, il est important de rappeler aux salariés, dans une situation
de crise, les ressources et les moyens dont ils disposent au sein
de l’entreprise.
Quels sont les acteurs à impliquer ?
Plusieurs acteurs, tant internes qu’externes à l’entreprise, doivent
être mobilisés.
La direction ou le service des ressources humaines constitue
la clef de voûte du dispositif.
Il lui appartient de mettre en place toute mesure urgente et
conservatoire propre à remédier à la situation. Les RH doivent
impliquer dans ce cadre :
– le comité de direction, afin de démontrer leur volonté d’agir
efficacement contre le harcèlement,
– les représentants du personnel concernés par la santé et
la sécurité des salariés, à savoir les délégués du personnel et les
membres du CHSCT, s’ils sont présents au sein de l’entreprise.
Enfin, les RH doivent anticiper l’intervention possible de
l’inspection du travail.
Certaines entreprises ont mis en place des procédures spécifiques dans le cadre d’une Charte de référence ou d’éthique ou
au sein de leur règlement intérieur. Dans ce cas, il est possible
qu’un médiateur ou un « garant » de cette charte soit impliqué.
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Editions Francis Lefebvre
Florence Dupont-Fargeaud est
associée du département social de
De Pardieu Brocas Maffei depuis
mars 2009, membre du syndicat
des avocats en droit social (Avosial)
et de l’European Employment
Lawyers Association (EELA).
Camilla Spira est collaboratrice du
département social de De Pardieu
Brocas Maffei depuis novembre 2013
et a coécrit plusieurs articles avec
Florence Dupont-Fargeaud depuis
cette date.
En cas de plainte pour harcèlement dans un contexte de
souffrance au travail ou de situation de crise aiguë, il peut être
nécessaire de recourir à un accompagnement par des cabinets
spécialisés en matière de risques psychosociaux.
De plus, il apparaît opportun de prendre contact avec le
médecin du travail afin de déterminer, conjointement avec
lui, si des mesures transitoires adaptées à la situation individuelle du salarié doivent être prises de manière urgente (par
exemple, avis d’inaptitude temporaire, aménagement de
fonctions...). Il est à noter que le médecin peut d’ores et déjà
être au courant de cette plainte dans la mesure où la
dénonciation de faits de harcèlement est très régulièrement
accompagnée d’un arrêt de travail et/ou d’une déclaration
d’inaptitude temporaire.
Comment enquêter sur les faits de harcèlement ?
Il est nécessaire de procéder à une enquête afin de déterminer
les circonstances de faits dans lesquelles la plainte pour
harcèlement est intervenue et afin de vérifier si la situation
implique un cas de harcèlement.
Quand bien même les faits sembleraient injustifiés à l’employeur,
il est recommandé de procéder à cette enquête. En cas de doute,
il est même souhaitable que l’analyse des événements soit
effectuée avec l’aide d’un expert dans ce domaine.
Si aucune procédure particulière n’est d’ores et déjà
applicable au sein de l’entreprise, une commission d’enquête
peut être mise en place.
Cette commission peut procéder à l’audition de la présumée
victime et du ou des présumé(s) auteur(s) de harcèlement, mais
également à l’audition de salariés, éventuels témoins de ces faits.
Cette enquête doit préserver la confidentialité des témoignages,
les personnes auditionnées étant protégées.
Il est important de s’assurer que cette enquête ne soit pas à charge
et n’aboutisse pas à un quasi-interrogatoire du salarié.
De plus, l’enquête doit être faite avec un représentant du CHSCT
ou des délégués du personnel, le cas échéant, qui par ailleurs
devront être informés et consultés.
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A la fin de cette enquête, la commission d’enquête établit un
compte rendu. Elle peut rendre un avis et, éventuellement,
effectuer des recommandations sur les mesures à prendre
vis-à-vis de la victime et du ou des auteurs du harcèlement, ainsi
que sur les mesures de prévention à mettre en œuvre.
Caractéristiques du harcèlement
Si la notion de harcèlement sexuel est clairement définie dans
les textes, celle de harcèlement moral est plus difficile à
appréhender et laisse ainsi une large marge d’appréciation.
La frontière entre un management autoritaire, le stress
inhérent aux fonctions et le harcèlement moral fait l’objet de
débats judiciaires réguliers.
Ainsi, la Cour de cassation admet que des méthodes de
management peuvent constituer des faits de harcèlement
moral, sous réserve que la méthode de gestion incriminée se
manifeste pour un salarié déterminé par des agissements
répétés ayant pour objet d’entraîner une dégradation des
conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits
et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de
compromettre son avenir professionnel (Cass. soc. 10-112009 no 07-45.321 : RJS 1/10 no 8). Par ailleurs, sur le plan
civil, le harcèlement moral est constitué indépendamment de
l’intention malveillante de l’auteur des faits (Cass. soc.
10-11-2009 no 08-41.497 : RJS 1/10 no 7).
En outre, le harcèlement n’est pas exclusivement le fait d’un
supérieur hiérarchique. En effet, il est également reconnu de
façon horizontale (envers un collègue) et de façon ascendante (un salarié envers sa hiérarchie : Cass. crim. 6-12-2011
no 10-82.266 : RJS 3/12 no 216).
Quelles mesures conservatoires peuvent être prises
au cours de l’enquête ?
Les circonstances peuvent exiger la mise en œuvre de mesures
conservatoires avant la fin de l’enquête.
L’employeur peut être amené à prononcer à l’encontre du ou des
présumé(s) auteur(s) du harcèlement une mise à pied
conservatoire, une affectation provisoire dans une autre équipe
ou une mutation provisoire. De telles mesures nécessitent de
suivre les règles applicables en matière de
procédure disciplinaire et de respecter les
droits de la défense.
Il est néanmoins conseillé d’être prudent et de
ne prononcer l’une de ces mesures que si le
comportement du présumé auteur du harcèlement est de nature à aggraver la santé mentale
ou physique du salarié plaignant ou à entraîner
une telle lésion.
En effet, si à l’issue de l’enquête, il est constaté
que l’auteur présumé a été sanctionné à tort,
ce dernier pourra se retourner contre l’employeur et lui réclamer, non seulement le salaire
dont il aura été privé en cas de mise à pied, mais également des
dommages et intérêts en réparation du préjudice subi (en particulier si la mesure conservatoire a été prononcée de façon vexatoire).
discriminatoire et entraîner un risque financier supplémentaire
en cas de litige.
Quelles mesures prendre à l’issue de l’enquête ?
Si les faits ne sont pas avérés, il est nécessaire d’adresser une
lettre au salarié qui s’était déclaré victime pour lui faire part des
résultats de l’enquête et lui proposer, le cas échéant, de refaire
un point lors d’un entretien.
S’il est établi que les faits de harcèlement sont avérés,
l’employeur a l’obligation de prendre toutes les dispositions
nécessaires en vue de le faire cesser et de protéger la victime.
Selon le Code du travail, tout salarié ayant procédé à des
agissements de harcèlement moral ou sexuel est passible d’une
sanction disciplinaire pouvant se traduire par une mutation
(attention, toute modification du contrat de travail nécessite
l’accord du salarié, même dans le cadre d’une sanction) ou, le
plus souvent, par un licenciement, le cas échéant, pour faute
grave (Cass. soc. 7-6-2011 no 09-43.113).
Concernant la victime, lorsqu’elle se trouve dans une situation
de détresse psychologique (dépression, tentative de suicide) en
raison du harcèlement subi, il est important de déterminer avec
le médecin du travail et, éventuellement, l’assistance sociale, les
mesures d’accompagnement à mettre en place à plus long terme.
Ainsi, des actions de suivi de soutien pourront être proposées au
salarié pendant une période adaptée.
Quel risque pour l’entreprise ?
La question des risques encourus par l’employeur ne doit en
aucun cas être sous-estimée.
La responsabilité civile de l’employeur peut être mise en cause
si la victime prouve un simple manquement à l’obligation de
sécurité de l’employeur et ce, même en l’absence d’accident du
travail ou de maladie professionnelle. En effet, la seule constatation
de l’existence d’une lésion altérant la santé mentale du salarié suffit
à engager la responsabilité civile de l’employeur. Dans un pareil
cas, l’employeur peut être condamné au paiement de dommagesintérêts, sans pouvoir se dédouaner au motif qu’il aurait pris des
mesures en vue de faire cesser les agissements litigieux (Cass. soc.
3-2-2010 no 08-44.019 : RJS 4/10 no 348).
Par ailleurs, l’employeur ou son délégataire peut engager sa responsabilité
pénale si la victime arrive à prouver sa
faute personnelle.
« L’employeur doit
sensibiliser ses
salariés aux risques
de harcèlement au
travail »
Par ailleurs, l’employeur peut également prononcer une mesure
conservatoire à l’égard de la victime présumée, telle qu’une prise
en charge psychologique immédiate. Un changement temporaire
d’affectation de la victime peut être souhaitable en concertation
avec elle. Toutefois, une telle mesure peut être perçue comme
Enfin, la reconnaissance d’un harcèlement peut entraîner pour l’employeur
un risque d’augmentation du taux
de cotisations relatif aux accidents du
travail et maladies professionnelles et
un risque potentiel de perte de productivité et d’atteinte à l’image et à la
réputation de l’entreprise.
Comment prévenir le harcèlement ?
L’employeur a une obligation de prévention du harcèlement et
une obligation de sécurité de résultat à l’égard du salarié.
Tout employeur est tenu d’identifier les dangers pour la santé
et la sécurité des travailleurs dans le cadre du document unique
d’évaluation des risques et, le cas échéant, de mettre en œuvre
un plan de prévention.
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L’employeur doit sensibiliser ses salariés aux risques de harcèlement au travail de plusieurs façons. Dans ce contexte, la diffusion de l’information est un outil essentiel pour lutter contre
l’émergence et le développement du harcèlement au travail. Ainsi,
l’employeur peut privilégier les actions de prévention collective,
qui permettent d’agir sur les causes de la souffrance au travail,
plutôt que sur ses symptômes. Il peut notamment :
– affecter des moyens ou ressources supplémentaires s’il existe
une surcharge de travail,
– former le personnel d’encadrement à la gestion des conflits et
à des méthodes de management et de communication visant à
prendre en compte l’humain et son bien-être pour être efficace,
– être attentif (notamment dans le cadre de la communication
au sein de l’entreprise et au cours des entretiens annuels
d’évaluation) aux objectifs donnés,
– prévoir des acteurs identifiés (CHSCT, médecin du travail,
ressources humaines, etc.) pour accueillir les collaborateurs en
demande.
La démarche de prévention s’attache à éviter l’apparition
de formes de harcèlement, de stress et de violence en agissant
sur l’organisation du travail, le management, les modes
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relationnels, la répartition des tâches et la clarification des
rôles de chacun. Le défaut de mise en place de ces mesures
de prévention pourrait être un élément à charge en cas de
mise en jeu de la responsabilité civile et pénale de l’employeur.
Ainsi, après une situation de crise, l’entreprise doit tirer les
enseignements des faits dénoncés par le salarié. Le rôle de
l’employeur ne peut s’arrêter au seul traitement de la situation
individuelle et il doit :
– suivre la situation avec les acteurs internes et externes,
– identifier les éventuels nouveaux facteurs de risque, par
exemple : organisation et répartition du travail, clarification des
rôles, management et modes relationnels,
– mettre à jour, le cas échéant, le document unique d’évaluation
des risques et le plan de prévention des risques,
– former à nouveau, le cas échéant, l’encadrement et/ou l’équipe
au sein de laquelle la victime travaille,
– revoir le cadre des futurs entretiens annuels d’évaluation et les
objectifs en fonction des circonstances,
– prévoir une consultation du CHSCT sur les nouvelles mesures
de prévention mises en place.