Jean-Marc Fournier, L`autre Venezuela de Hugo Chávez, Boom

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Jean-Marc Fournier, L`autre Venezuela de Hugo Chávez, Boom
Cahiers des Amériques latines
70 | 2012
Varia
Jean-Marc Fournier, L’autre Venezuela de Hugo
Chávez, Boom pétrolier et révolution bolivarienne à
Maracaibo
Paris, Karthala, 2010
Thomas Posado
Éditeur
Institut des hautes études de l'Amérique
latine
Édition électronique
URL : http://cal.revues.org/2425
ISSN : 2268-4247
Édition imprimée
Date de publication : 31 juillet 2012
Pagination : 168-171
ISSN : 1141-7161
Référence électronique
Thomas Posado, « Jean-Marc Fournier, L’autre Venezuela de Hugo Chávez, Boom pétrolier et révolution
bolivarienne à Maracaibo », Cahiers des Amériques latines [En ligne], 70 | 2012, mis en ligne le 01 juin
2013, consulté le 14 décembre 2016. URL : http://cal.revues.org/2425
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Enfin, la dernière partie fournit
des éléments d’analyse des processus
de territorialisation. De nombreux cas
montrent en effet que le multiculturalisme s’étend à des populations hors
de leur territoire communautaire d’origine. Aux États-Unis, les migrants
indiens du Mexique peuvent bénéficier de programmes sociaux en tant
que Mexicains, Indiens ou migrants
(Françoise Lestage). En Colombie, les
Indiens installés en ville partagent des
situations d’exclusion et organisent
leur reconnaissance à partir d’éléments
culturels mobilisés dans des espaces
particuliers (Luisa Sanchez). À l’inverse,
dans la Sierra Nevada de Santa Maria,
l’État s’efforce de fixer des groupes
indigènes à la fois pour les protéger mais
également pour permettre un développement capitaliste et le tourisme
(Margarita Serje). Dans cette région, la
territorialisation se fait notamment en
fonction des programmes transnationaux liés au changement climatique. La
territorialisation se double donc d’une
déterritorialisation par un ancrage aux
normes et perspectives internationales
(Astrid Ulloa). Par ailleurs, dans les
régions amazoniennes, les populations
ont su appuyer leurs revendications
sur des exigences environnementales
conduisant à des tentatives d’appropriation des ressources ( Jean Foyer).
Mais avec l’augmentation des prix des
matières premières, ces avancées se
heurtent à l’extension des fronts miniers
qui grignotent de plus en plus les terres
protégées confrontant le multiculturalisme aux priorités économiques nationales ( Juan Luis Sariego).
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Ce livre présente donc un panorama
très complet de la question à partir de
cas concrets. Faisant suite aux travaux
reconnus de Christian Gros – comme
l’explique Yvon Le Bot en conclusion
– et complété par une bibliographie
fournie, il s’impose comme un texte
très utile pour le public intéressé par
l’Amérique latine et de premier ordre
pour les spécialistes, même non américanistes, du multiculturalisme.
Christophe Brochier
(Paris 8/GETI – EA 3056)
Jean-Marc Fournier, L’autre
Venezuela de Hugo Chávez, Boom
pétrolier et révolution bolivarienne
à Maracaibo, Paris, Karthala,
2010, 289 p.
Jean-Marc Fournier, professeur
de géographie à l’université de Caen,
a choisi une approche résolument
pluridisciplinaire pour son livre. Cet
ouvrage, qui représente l’aboutissement d’un projet ECOS-Nord
de coopération scientifique entre la
France et des pays septentrionaux de
l’Amérique hispanophone, est organisé
en trois parties.
La première consiste en un cadrage
général sur le Venezuela et insiste sur
les spécificités d’un pays rentier depuis
près d’un siècle. L’auteur choisit
ensuite de concentrer son attention
sur les villes. Après un chapitre sur la
capitale, Caracas, la deuxième partie
est consacrée à l’analyse de Maracaibo,
deuxième ville nationale avec près de
INFORMATION SCIENTIFIQUE
deux millions d’habitants. Excentrée
à l’ouest du pays, elle est la capitale
de l’État du Zulia, la première région
pétrolière tout au long du xxe siècle.
L’analyse commence par un rapide
historique qui prend pour point de
départ l’époque coloniale et l’auteur
porte une attention particulière au
centre-ville comme lieu emblématique des rapports de pouvoirs. Détruit
et partiellement réaménagé dans les
années 1970, ce centre est aujourd’hui
l’objet de convoitises, notamment avec l’arrivée d’un métro. La
troisième partie concerne le Venezuela
populaire, c’est-à-dire celui des barrios,
ces quartiers dits auto-construits
souvent illégaux où vivent une
majorité de Vénézuéliens longtemps
ignorés. Jean-Marc Fournier décrit les
mécanismes inhérents aux invasions
massives de terres urbaines et aux
politiques de logement depuis une
cinquantaine d’années, mettant en
évidence des phases de paternalisme
politique, de répression, de laisserfaire ou encore de tolérance. L’auteur
présente les étapes de consolidation
des barrios et dresse un état des lieux
des actions du pouvoir politique.
La partie la plus pertinente et
la plus novatrice de l’ouvrage est
sans aucun doute celle qui propose
une analyse urbaine de la ville de
Maracaibo. On y découvre tout à la
fois une ville latino-américaine, une
ville pétrolière et une ville caraïbe,
mais aussi une ville nord-américaine,
une ville mondialisée et une villefrontière étant donné sa grande proximité avec la Colombie. La proportion
d’indigènes y est la plus importante
de tout le pays. Maracaibo, lieu par
excellence du métissage vénézuélien,
est aussi un fief de l’opposition à
l’actuel président. L’ancien maire de
Maracaibo durant deux mandats et
ancien gouverneur de l’État du Zulia,
Manuel Rosales, a été le leader de
l’opposition nationale et le challenger
d’Hugo Chávez aux élections présidentielles de 2006. Jean-Marc Fournier
utilise ainsi Maracaibo comme prisme
pour mieux comprendre le Venezuela
contemporain, le principal atout de
cet angle d’attaque résidant dans le
fait qu’il permet de brasser l’ensemble
des milieux sociaux. En effet, l’auteur a
enquêté dans les nouveaux quartiers et
centres commerciaux privés et fermés,
berceaux de la grande bourgeoisie,
mais aussi dans les barrios de la ville
représentant un tiers de la population urbaine en 1978 et les deux tiers
aujourd’hui. Il inscrit cette analyse dans
l’histoire de Maracaibo, espace profondément marqué par une « dynamique
historique de table rase et de reconstruction » (p. 131). Les revenus pétroliers ont en effet autorisé pendant
les périodes fastes des « miracles » de
l’urbanisme : des coups de baguette
magique transformant du jour au
lendemain des zones entières pour en
faire des quartiers entièrement neufs
et clinquants. Aujourd’hui encore, des
chantiers plus ou moins électoralistes
et plus ou moins teintés de corruption
continuent à être mis en œuvre – tant
par les soutiens du président Chávez
que par ses détracteurs. Les classes
populaires apparaissent, dans ce cadre,
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comme la variable d’ajustement de
ces politiques. À trois reprises, elles
ont été écartées du centre-ville. En
1830, quelques années après l’Indépendance, le conseil municipal exclut
les catégories pauvres qui n’ont pas les
moyens de bâtir un logement en dur ;
dans les années 1970, la destruction
du quartier El Saladillo vise à éloigner
les secteurs populaires trop proches
des lieux stratégiques du pouvoir ; en
2005 enfin, le réaménagement de la
grande promenade centrale contribue
à écarter des commerçants ambulants
et des marginaux. Un chapitre analyse
les écarts entre les objectifs de la planification urbaine et les manœuvres
clientélistes sur le terrain, illustrés par
la gestion de l’eau potable prouvant
l’endémique incapacité vénézuélienne
à endiguer le gaspillage. La troisième
partie concernant le Venezuela
populaire, évoque plus succinctement
la situation maracucha. Toutefois,
nous y lisons les différentes étapes de
formation des barrios et une analyse
des politiques publiques en la matière,
avec une attention particulière au rôle
des femmes dans la démocratie participative ou encore aux mutations du
système éducatif vénézuélien.
Comme souvent avec les travaux
concernant le Venezuela contemporain et bien que les enquêtes de
terrain permettent de dépasser la
polarisation politique propre à ce
pays depuis la fin des années 1990 en
s’intéressant à la vie quotidienne des
populations, la contextualisation et la
théorisation n’échappent cependant
pas complètement à certains préjugés.
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En effet, Jean-Marie Fournier ne
masque pas ses réticences vis-à-vis
du pouvoir en place depuis 1999 : le
chavisme est ainsi défini comme une
classe sociale (p. 24) ; le blocage de
l’économie en 2002-2003 est qualifié
de « grève » sans autre forme d’analyse
(p. 44) alors que le mot lock-out semble
plus approprié pour définir cet épisode ;
le non-renouvellement de la concession de la chaîne de télévision RCTV
est présentée comme une « atteinte à
la liberté d’expression » (p. 55), conformément au point de vue de l’opposition ; et la conclusion évoque un « lent
glissement vers un pouvoir totalitaire »
(p. 264) lorsque le discours présidentiel n’est pas simplement qualifié de
« baroque » (p. 265). De ce fait, certains
éléments de contextualisation souffrent
de lacunes préjudiciables à l’ouvrage :
la privatisation latente de l’entreprise
pétrolière nationale PDVSA avant
l’accession au pouvoir d’Hugo Chávez,
sous le mot d’ordre de l’autonomie, n’est
par exemple pas évoquée ; plus généralement, le rapport de domination qui lie
les États-Unis au Venezuela depuis le
début de l’exploitation de l’« excrément
du diable » est négligé. En fondant
son cadrage général sur des références
institutionnelles plutôt que sur les
enquêtes de chercheurs de terrain, le
propos de Jean-Marc Fournier s’arrête
aux rhétoriques socialisantes d’Hugo
Chávez sans comprendre les pratiques
plus pragmatiques dans le maintien
des structures de l’économie ou dans
la création d’entreprises mixtes avec les
principales multinationales du secteur
pétrolier.
INFORMATION SCIENTIFIQUE
En dépit d’une enquête de terrain
stimulante, l’ouvrage s’achève donc
sur une conclusion décevante. Après
plusieurs centaines de pages, l’« autre
Venezuela d’Hugo Chávez » est
finalement défini comme marqué
par des « bouleversements caractéristiques d’une société révolutionnaire et
de profondes résistances, signes d’une
société somme toute conservatrice »
(p. 258), ou encore comme une société
« complexe et multiple » qui « échappe
aux catégories d’analyse simples »
(p. 264). L’auteur aborde brièvement
la définition d’un « pétrosocialisme »
(p. 262) sans toutefois réellement
développer et multiplie des questionnements ingénus : « comment de telles
inégalités et de telles juxtapositions
dans la ville sont-elles admises ? »
(p. 249) ; « comment expliquer qu’un
pays si riche par son pétrole comme
le Venezuela ait tant d’habitants si
pauvres ? » (p. 262) ; « peut-on faire
la révolution sans la complicité des
élites et seulement avec les groupes
populaires en grande partie illettrés et analphabètes ? » (p. 263). En
dernière analyse, il aurait sans doute
été préférable que l’auteur se consacre
à la seule étude de Maracaibo pour
laquelle il émet l’hypothèse qu’elle
« relève finalement plus d’un campement pétrolier que d’une véritable
ville » (p. 264).
Thomas Posado
(Université Paris-8/Cresppa-CSU)
Emmanuelle Kadya Tall,
Le candomblé de Bahia.
Miroir baroque des mélancolies
postcoloniales, Paris, Le Cerf,
2012, 176 p.
La fresque aux multiples reflets
qu’offre Emmanuelle Kadya Tall dans
cet ouvrage éclaire d’un jour nouveau les
études sur le candomblé. Mêlant avec
ingéniosité et rigueur des matériaux
ethnographiques et historiques, l’auteur
bat en brèche les idées reçues du « théologiquement correct » et du prêt-à-penser
socio-historique en ancrant son analyse
dans une connaissance solide du passé
colonial de l’Atlantique Sud et en en
démontrant l’influence profonde sur
le processus de formation de la religiosité afro-brésilienne contemporaine.
Emmanuelle Kadya Tall défend en
effet de manière convaincante l’idée
selon laquelle le candomblé n’échappe
pas à l’ethos baroque insufflé par la
Contre-Réforme de l’Église catholique
dès le xvie siècle et qui marqua profondément l’esprit de tous les segments des
sociétés coloniales du Nouveau Monde.
L’ouvrage est articulé en trois grandes
parties : les deux premières répondent à
un même principe analytique puisque, à
partir d’un cas ethnographique, l’auteur
donne à voir leur réflexivité historique –
à savoir les mille reflets du passé colonial
dont ils sont issus ; la troisième partie
consiste en une réflexion plus théorique
sur la notion d’ethos baroque qui caractériserait ces « nostalgies réfractées ».
Cet ouvrage s’ouvre avec l’analyse du parcours de vie d’un chef de
culte bahianais, de l’espace de son
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