LIEN ENTRE SANTE DES ELEVES ET SANTE DES PERSONNELS

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LIEN ENTRE SANTE DES ELEVES ET SANTE DES PERSONNELS
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LIEN ENTRE SANTE DES ELEVES ET SANTE DES PERSONNELS
Dr claire Patard, médecin de prévention
En tant que médecin des personnels à l’Education Nationale nous recevons essentiellement les
agents dont l’état de santé a une influence sur la situation professionnelle, que ce soit cause ou
conséquence. Sans jamais omettre l’intérêt des élèves notre action se situe toujours dans l’intérêt
des personnels.
Les nombreuses histoires recueillies nous permettent d’illustrer un lien entre la santé des adultes et
celles des enfants à l’école.
J’ai choisi 3 exemples qui me paraissent explicites mais qui ne sauraient réduire le sujet à ces seules
situations.
2 concernent l’intégration des élèves en situation de handicap et leurs besoins spécifiques :
Premier exemple :
Mme A est professeur des écoles très impliquée dans son métier, convaincue, et disposant d’une
grande expérience professionnelle. A la rentrée de septembre elle doit intégrer dans sa classe de
moyenne section de maternelle 3 enfants avec des troubles du comportement et 3 AVS (+ l’ATSEM).
Elle se retrouve sans anticipation avec 4 autres adultes dans sa classe et les troubles du
comportement des élèves se révèlent vite difficiles à supporter, pour elle, pour eux et pour les autres
enfants de la classe qui se mettent à pleurer quand l’un des autres crie ou s’agite. A la Toussaint c’est
une enseignante en dépression qui sollicite ma consultation : démunie, culpabilisée et de son échec
et d’avoir conduit les enfants à une situation maltraitante, elle finira l’année en congés.
Second exemple :
Mme B est une jeune enseignante de lettres en collège ordinaire. Elle est volontaire pour assurer la
mission de professeur principal de la classe de sixième qui lui est confiée. Après quelques semaines
l’un des élèves se met à débiter des insanités…Prise au dépourvu Mme B. a des difficultés à réagir de
façon appropriée. Elle apprend de cet élève qu’il s’agit d’un syndrome de Gilles de la Tourette, que
ses parents avaient voulu qu’il intègre le collège sans se signaler alors qu’il disposait d’un
accompagnement en classe élémentaire. Mme B. sollicite la direction du collège ainsi que
l’infirmière. Elle ne sait pas quoi dire aux autres élèves et elle vit très mal une situation qui ne sera
pas prise en compte avant plusieurs mois. Or ce qui ne pouvait être prévu c’est que l’histoire
personnelle de cette enseignante ne lui permet justement pas d’assumer cette mise en situation
extrêmement pathogène pour elle. Il a été nécessaire de changer le professeur de Lettres de cette
classe.
Le troisième exemple est un peu différent :
Une très jeune enseignante de lycée professionnel, ancienne élève brillante ayant une scolarité
exclusive dans des lycées français à l’étranger, fille d’enseignants, consulte « parce que ses élèves
sont folles ».
Colloque ASCOMED 28 mai 2105 – Intervention du Dr Claire PATARD
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En effet, ses élèves l’ont coincée à la sortie d’un cours pour lui dire qu’elle devait changer d’attitude à
leur égard. Et Mme C. me prend à témoin de ce scandale. La façon dont elle parle de ses élèves
apporte très vite la certitude du mépris qu’elle a envers elles et qui devait transpirer dans ses
aptitudes relationnelles en situation de classe. Elle en prend conscience et choisit de se reconvertir.
Dans cet exemple ce sont les élèves qui ont soulevé la question de la bienveillance.
Or le bien être au travail dépend aussi des lieux de travail, de leur architecture, du climat scolaire,
c’est à dire du vivre ensemble des adultes et des enfants. Des adultes consultent pour dire leur peur
de certains environnements ou des dégradations impressionnantes de leur établissement. D’autres
décrivent leur malaise dans des établissements « semblables à des prisons » avec des clôtures de
plusieurs mètres de haut et des tourniquets pour sélectionner les entrées. Sont ce des lieux propices
aux apprentissages ? Ce que les adultes vivent mal serait il bien vécu par les élèves ?
Il faut bien entendu évoquer la question des maladies mentales qui font aussi partie du paysage
professionnel. Quel impact aura la névrose grave d’un enseignant qui n’est capable de faire cours
que face au tableau sur un élève fragile ? Comment faire avec les troubles du jugement que peut
avoir un professeur psychotique, même correctement traité ? Et je vais éviter d’évoquer le cas
particulier des pervers, adultes ou élèves d’ailleurs.
Il y a aussi de très fréquentes maladies chroniques qui justifient des aménagements du poste de
travail parfois exigeants pour les élèves. Comment concilier un emploi du temps uniquement en
matinées pour un enseignant souffrant de troubles neurologiques et la disponibilité de l’adolescent
qui aurait besoin de dormir le martin ? Et si les besoins particuliers d’un professeur venaient en
contradiction avec ceux de l’un de ses élèves ? Comment gérer des absences légitimes mais
répétées ?
Nous notons aussi des troubles sensoriels en augmentation qui ont un impact majeur sur les
exigences relationnelles essentielles au métier. Il faut un charisme certain pour compenser un déficit
auditif ou visuel tel que l’élève parvienne à s’adapter aux exigences de son professeur. C’était le cas
avec un professeur d’arts plastiques qui expliquait sa surdité (sévère) aux élèves dès la sixième mais
vivait des difficultés importantes avec les nouveaux intégrés dans les années supérieures.
Enfin nous savons l’impact du contexte social sur le comportement scolaire des élèves. Il en est de
même pour les enseignants : isolement, difficultés de logement, temps de trajet, précarité affective,
déficit du collectif de travail etc…viennent perturber la disponibilité de l’enseignant dans sa mission
auprès des élèves.
Sans oublier les risques professionnels qui sont tous partagés :
Le bruit, les TMS, les CMR, le risque Biologique, les Machines, les RPS…
Colloque ASCOMED 28 mai 2105 – Intervention du Dr Claire PATARD
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Pour achever mon propos je me permets 3 phrases d’Hannah Arendt extraites de la crise de
l’éducation, 1958, qui me semblent particulièrement adaptées :
« Le monde des enfants n’est pas distinct du monde des adultes » (sauf à abandonner les enfants à la
dictature du groupe)
« Qui réfléchit sur les principes de l’éducation doit tenir compte de l’aliénation au Monde »
« On ne peut pas éduquer sans en même temps enseigner (…) mais on peut très facilement enseigner
sans éduquer »
Colloque ASCOMED 28 mai 2105 – Intervention du Dr Claire PATARD