Quand et comment polariser ou dépolariser sa
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Quand et comment polariser ou dépolariser sa
LP50p70-73_Technique-Sharp:LP3 AR pas si simple 21/10/11 12:52 Page70 TECHNIQUE PAR SHARP COACH SUR POKER-ACADEMIE.COM L’EMPLOI DES PÔLES Quand et comment polariser ou dépolariser sa range La théorie moderne du poker se base sur les ranges de mains, un concept définitivement essentiel. Tout aussi cruciales, les notions de polarisation et de dépolarisation desdites ranges. Sharp associe la théorie à l’exemple. P our en avoir parlé maintes et maintes fois dans cette rubrique, mais aussi dans LivePoker, vous savez tous ce qu’est une range, ce mot anglais qui signifie “éventail”. Rappelons malgré tout qu’au poker, ce terme définit l’ensemble des combinaisons de cartes que peut détenir un joueur à un moment donné selon son profil et la tournure des enchères. Une range est dite polarisée si elle se partage en deux : le pôle valeur, à savoir les combinaisons que le joueur mise afin de tirer de la valeur contre la range adverse ; et le pôle bluff, à savoir les combinaisons que le joueur sait battues et qu’il mise dans l’espoir de faire coucher l’autre. En d’autres termes, cet éventail exclut les mains moyennes. Ainsi, on dit qu’un joueur polarise sa range lorsqu’il mise uniquement pour valeur ou en bluff. À l’inverse, il dépolarise s’il attaque avec une range compacte. Polariser sa range n’est pas l’apanage des champions. C’est un réflexe spontané et inconscient, présent chez tous les joueurs, y compris les débutants. En effet, au poker, on se retrouve constamment dans l’une de ces trois situations : 70 LivePoker • Avec le jeu max ou une main assez forte pour vouloir mettre le maximum d’argent au pot. Par exemple, une paire de Rois avant le flop, ou A♣2♣ sur 2♦2♠J♥. • Sans savoir si on est devant ou derrière. Comme une paire de Huit pré-flop ou JJ sur un flop A♣9♠2♦. On va jouer ces mains de façon plus prudente et passive essayant d’arriver au showdown sans gonfler le pot. • Avec une combinaison sans aucun espoir de l’emporter à l’abattage. La plupart du temps, on couchera les mains de cet ensemble. Mais elles font aussi d’excellentes candidates pour bluffer. Nous considérerons la polarisation uniquement du coté de l’agresseur pour les actions de mise ou de relance. THÉORÈME DE POLARISATION Alors quand est-il correct, d’un point de vue théorique, de polariser sa main ? Et quand, à l’inverse, est-il plus profitable de garder une range compacte ? Il suffit d’appliquer la règle suivante : Polarisez votre range lorsque l’adversaire est davantage susceptible de répondre par une relance que de payer. Dépolarisez votre range si votre adver- saire va plus fréquemment suivre votre mise que la relancer. Attention, cette règle ne vaut pas pour les mises all in ou celles qui engagent le tapis. Prenons l’exemple suivant pour illustrer plus clairement nos propos. Nous sommes à une table de Pot Limit Omaha ; les blindes sont à 5€/10€, et le tapis effectif de 3000 €. Nous ouvrons à 35 € avec K♣ K♠ 7♣ 5♠ . Le bouton et la grosse blinde entrent dans le coup. Flop : J♣6♣2♦. Nous misons 80 dans un pot de 110. Le bouton est le seul à suivre. Turn : Q♣. Nous misons 220 dans 270. Le bouton suit River : 3♣. Nous misons 400 dans 710, mais le bouton relance à hauteur du pot. Avec une main faite solide, comme une quinte ou une couleur, le bouton se contentera de payer afin de débusquer nos bluffs. En choisissant de rouvrir les enchères, notre adversaire polarise : ou il relance pour valeur avec la couleur max, ou alors il relance en bluff, le plus souvent avec l’As de trèfle “sec” (c’est-à-dire sans autre trèfle en main) en bloqueur. LP50p70-73_Technique-Sharp:LP3 AR pas si simple 21/10/11 12:52 Page71 TECHNIQUE LES NUTS OU UN PUR BLUFF AVEC L’AS EN BLOQUEUR ? Vilain (Bouton) (3000 €) Hero (UTG) (3500 €) Blindes 5€/10€ D Pré-flop Flop Turn River Hero raise 35 € / Bouton call / BB call (Pot = 110 €) Hero bet 80 € / Bouton call (Pot = 270 €) Hero bet 220 € / Bouton call (Pot = 710 €) Hero bet 400 € / Bouton raise 1910 € / Hero ? (Pot = 3020 €) Flop Il faut savoir toutefois que certaines actions excluent une range polarisée : • Coucher le haut et le bas de sa range pour continuer avec les mains moyennes est une aberration. • On peut construire des exemples où un joueur va égaliser, suivre ou faire parole avec une range polarisée dans l’intention de piéger ou de bluffer. Ces cas sont rares et supposent une mise ou une relance plus tard. 3-BET OU PAS 3-BET ? POLARISER OU PAS ? Que faire si le joueur au hi-jack ouvre à 3,5 BB et que nous recevons une paire de Six, en grosse blinde, et disposons d’un tapis de 20 blindes ? Avec un si petit tapis, l’investissement est trop lourd pour voir un flop, et toute relance nous engage. La stratégie optimale est de relancer les combinaisons qui résistent le mieux si nous sommes payés ; 66 est de celles-là. En effet, en cumulant les chances de gagner le pot de 5 blindes pré-flop et l’équité de 66 contre la range adverse pour 20 blindes, il est profitable de faire all in. L’adversaire ne pourra jamais relancer et devra cependant favoriser une range compacte dépolarisée. Turn River Passons à la pratique au travers de quelques exemples de 3-bet en position. Dans tous les cas, nous sommes au bouton et le tapis effectif est de 100 BB. KK en full ring vs open raiseur UTG. En table pleine de dix joueurs, un régulier ouvre en premier de parole. Il est plus fréquent de voir un régulier relancer que de défendre passivement hors de position contre un 3-bet. Nous ouvrons une paire de Rois en milieu de parole. Le théorème nous dit de polariser. Or, il est hors de question de relancer KK en bluff. Est-ce une main assez forte pour faire partie du pôle valeur ? Traditionnellement, en table pleine, notre adversaire va 4-better quelques mains en bluff et ne 4-bet pour valeur qu’avec AA et KK. Or, une paire de Rois n’a que 22% contre cette range et n’est donc pas assez forte pour une relance (3-bet) pour valeur. Mieux vaut ne pas se dévoiler trop tôt, se contenter de payer et voir un flop. Si notre adversaire défend plus de combinaisons qu’il n’en relance, par exemple toutes les paires dans l’espoir d’un brelan, nous gagnerons en revanche à 3-better. KK en full ring vs open raiseur cut-off. Avec la même main contre le même adver- saire, qui ouvrirait cette fois depuis le cutoff, les choses sont différentes. En effet, le joueur ouvre une range beaucoup plus large depuis ce poste. Sous peine d’être constamment bluffé en 3-bet, il va devoir élargir sa range de 4-bet. S’il déclenche un 4-bet avec {AA, KK, QQ et AK} mais aussi avec un pôle bluff, la paire de Rois passe à 57% et nous opterons donc pour le 3-bet. AJ en short handed face à un open raiseur solide. Avec six joueurs à table, UTG+1 ouvre les enchères. L’open raiseur est un bon joueur qui va répondre en 4-bet et rarement payer. Avec AJ, nous devons donc polariser. Sachant que cette main ne sera jamais en avance face au pôle de valeur de la range de 4-bet adverse, et sauf dynamique particulièrement agressive contre un joueur qui 4-bet très fréquemment en bluff, mieux vaut se contenter de payer la relance. Du reste, ne pas 3-better avant le flop ne signifie pas jouer nos cartes pour leur pure valeur faciale. Utiliser la position est souvent décisif. Ainsi, face à un adversaire qui c-bet trop systématiquement, vous pouvez choisir de le relancer sur un flop du type 7♠6♥2♦ : la texture s’y prête bien et, hors de position, même une paire supérieure aura du mal à soutenir l’agression. AJ en short handed face à un open raiseur gambleur. Toujours avec six joueurs à table, et une relance initiale qui vient du même poste, que faire avec AJ si l’open raiseur est cette fois un joueur récréatif au style assez large? Ce dernier 4-bet très rarement et défend passivement avec une majeure partie de sa range d’ouverture : le théorème nous invite maintenant à dépolariser nos 3-bets. Ainsi, il est plus profitable de le relancer que de payer avec AJ. En trouvant top paire, on pourra tirer valeur des mains de sa range dominées: JT, QJ, KJ, et les As moins bien accompagnés. Nous bâtissons un pot aux perspectives très profitables avec l’initiative et la position. En prime, nous isolons un joueur susceptible de faire des erreurs post-flop. LivePoker 71 LP50p70-73_Technique-Sharp:LP3 AR pas si simple 21/10/11 12:52 Page72 TECHNIQUE DÉPOLARISER POUR EXTRAIRE DE LA VALUE Vilain (Bouton) (2300 €) Hero (UTG+2) (2000 €) Blindes 5€/10€ D Pré-flop Flop Turn River Hero raise 50 € / Bouton call / SB, BB call (Pot = 200 €) SB, BB check / Hero bet 150 € / Bouton call / SB, BB fold (Pot = 500 €) Hero bet 300 €/ Bouton call (Pot = 1100 €) Hero bet 800 € / Bouton call (Pot = 2700 €) Flop POST-FLOP, ÇA MARCHE AUSSI Le théorème de polarisation s’applique aussi post-flop. Prenons quelques exemples rapides pour chaque street. Au flop. Nous ouvrons A♥ 9♥ en milieu de parole, seule la grosse blinde défend. Y a-t-il de la valeur à miser en continuation sur le flop T♠9♠3♣ ? • Si l’adversaire est passif et checke/raise rarement, nous dépolarisons et misons notre deuxième paire pour valeur. On sera suivi par des mains qui nous battent mais également par beaucoup de combinaisons dominées. En moyenne, la mise est profitable. • Si le défenseur checke/raise fréquemment, on évite de se retrouver dans une situation difficile et devons checker. Au turn. Nous ouvrons au bouton à 3 BB avec T♠J♠ et sommes suivis par la petite blinde. Nous misons en continuation 4 blindes sur le flop T♥4♥3♦, et sommes suivis. Que faire sur le K♥ au turn ? Contre la plupart des adversaires, il faut dépolariser et miser TJ pour valeur. Le check/raise au turn est beaucoup plus rare qu’au flop. Nous n’avons plus top paire mais 72 LivePoker Turn River il n’y a pas beaucoup de Rois dans la range adverse. On sera souvent payé par : des Dix moins bien accompagnés ; les paires intermédiaires entre le Quatre et le Dix ; l’As de cœur sec ou doublé d’un tirage ventral (AJ, AQ, A2, A5). À la river. Nous sommes en table pleine dans un casino, les blindes sont à 5€/10€, et le tapis effectif de 200 BB (2000 €). En milieu de parole, nous ouvrons les enchères à 50 € avec K♣K♠ ; le bouton et les blindes suivent. Flop : J♦6♥5♥. Seul le bouton suit notre mise de continuation de 150 dans un pot de 200 . Turn : 7♦. Notre adversaire paye encore une mise de 300 dans un pot de 500. River : 3♥. Outre les multiples possibilités de doubles paires, cette carte donne la quinte à tout joueur ayant un Quatre, et complète la couleur. Il y a 1100 € au pot et il reste 1500 € de tapis effectif à chaque joueur. Laquelle des lignes suivantes adopteriez-vous : miser et payer une relance ; miser et jeter sur une relance ; checker et payer ; ou checker et abandonner le coup sur une mise ? • Miser et payer une relance est la pire des options. Nous avons montré énormément de force : il serait suicidaire de la part de l’adversaire de nous revenir dessus avec une main plus faible. • Checker et caller est la ligne la plus répandue. L’idée est de contrôler la taille du pot avec une main somme toute marginale. On donne aussi la possibilité au bouton de bluffer un tirage raté. Pourtant, cette option n’arrive qu’en troisième place dans mon classement. • Je préfère, en deuxième choix, checker et abandonner le coup sur une mise. En effet, le bouton ne va jamais enchérir une main plus faible pour valeur, et sa fréquence de bluff ne sera pas suffisante pour rendre un call profitable. Il s’attend, en effet, à être payé par toutes les paires supérieures au Valet. • La ligne optimale est de miser et jeter sur un contre. La fréquence de relance adverse est très basse. Le bouton va relancer pour valeur avec couleur, mais ce n’est qu’une petite partie de sa range. À moins qu’il ne sache lire notre mise pour de la faiblesse, à ce stade, une relance en bluff serait illogique de sa part. En appliquant le théorème, nous dépolarisons et misons finement pour valeur. Au final, j’ai misé 800, je fus payé et j’ai remporté le pot. Je ne connais pas la main, mais elle contient très probablement un Valet. De peur d’être battus, la plupart des joueurs vont checker. Miser ici affiche donc une range extrêmement polarisée : couleur ou bluff. Or, rien de plus tentant de vouloir débusquer un bluff avec une paire… SE DÉFENDRE CONTRE LA POLARISATION Partant du théorème de polarisation, on en déduit facilement son corollaire de défense contre la polarisation : Contre une range polarisée, relancez rarement et contentez-vous de suivre. LP50p70-73_Technique-Sharp:LP3 AR pas si simple 21/10/11 12:52 Page73 TECHNIQUE UNE RANGE QUI SE POLARISE DAVANTAGE À CHAQUE STREET Hero (Big Blind) (123.000 $) Vilain (Bouton) (100.000 $) D Pré-flop Flop Turn River Blindes 500$/1000$ Bouton raise 3000 $ / Hero call (Pot = 6000 $) Hero check / Bouton bet 4500 $ / Hero call (Pot = 15.000 $) Hero check / Bouton bet 12.500 $ / Hero call (Pot = 40.000 $) Hero check / Bouton bet 35.000 $ / Hero call (Pot = 110.000 $) Flop Face à une range dépolarisée, relancez fréquemment et payez rarement. Une première application donne des clés pour lutter contre les 3-bets. Étudions le cas de figure suivant. Nous sommes en NL400, blindes 2€/4€, et cinq joueurs autour de la table. Le tapis effectif est de 460 €. Avec A♥ Q♥ , nous ouvrons depuis le bouton à 12 €, et le joueur en petite blinde renchérit par un 3bet à 48 €. Quelle est la meilleure stratégie ? • Si notre adversaire a une range dépolarisée. En effet, nous l’avons vu précédemment, 3-better et aller à l’abattage avec AJ ou 99. Alors le corollaire nous donne le 4-bet en ligne de jeu optimale : ainsi, nous mettons le bas de la range ennemie en porte-à-faux. Car ses combinaisons n’ont pas l’équité suffisante pour s’engager à tapis. En les jetant, l’adversaire prive de flop une partie de sa range ayant une grosse équité… sans compter qu’il perd de surcroît le montant de son 3-bet. • Si notre adversaire a une range polarisée. Il n’a pas surenchéri avec des mains moyennes ou 3-bet en bluff A♣5♠ ou K♥3♥. Ici aussi, il faut s’en tenir au corollaire : un 4bet facilite la tâche adverse. Il va pousser les Turn River combinaisons de son pôle de valeur à tapis et abandonner ses bluffs au moindre coût. Or, A♥Q♥ n’a que 39% face à un pôle de valeur aussi large que {AA-99, AQ, AK}. Il y a donc moins de danger à laisser le pôle de bluff adversaire voir un flop. La meilleure stratégie est au final de se contenter de payer le 3-bet. Le corollaire s’applique également post-flop, comme le montre cette décision à la rivière. J’ai volontairement emprunté l’exemple suivant à Phil Galfond, qui l’a bâti afin d’illustrer un tout autre concept dans une de ses vidéos. Il s’agit d’un tête-à-tête aux blindes 500$/1000$, avec un tapis effectif de 100.000 $. Cette main fictive nous oppose à un régulier au style solide et standard, mais pas très créatif, peu (voire pas) enclin à balancer de gros bluffs ou à miser pour valeur dans des situations tendues. Le régulier ouvre depuis le bouton à 3000 et nous défendons avec 6♣5♣. Flop : 8♦5♠4♥. Il mise en continuation 4500 $ dans 6000. Le call est facile : contre la range adverse, deuxième paire et une ventrale constituent une main assez solide pour voir le turn, mais trop faible pour relancer. Turn : J♠. Le bouton envoie 12.500 $ dans 15.000 $. Là, la range adverse commence à se polariser. En effet, il misera pour valeur avec quinte, brelan, deux paires, une paire supérieure au Huit ou une de paire de Huit bien accompagnée {A8, K8, Q8}. Il checkera en espérant une amélioration ou pour aller à l’abattage sans plus de frais s’il a une paire inférieure au Huit, une hauteur As ou Roi, ainsi que pour abandonner les mains sans espoir. Enfin, il misera en bluff ses tirages couleur et quinte, incluant les ventrales. Avec la texture du tableau, cela représente beaucoup de combinaisons : n’importe quelle main avec deux piques, un Six ou un Sept, 9T, QT, A2, A3 et 32 – s’il relance cette dernière pré-flop. Nous payons donc encore. River : K♣. Il y a 40.000 $ au pot et le bouton tire une troisième salve à 35.000 $. La taille de la mise polarise à l’extrême la range adverse. S’il a par exemple TJ, il ne peut pas espérer être payé et tirer valeur d’une main inférieure en misant aussi cher. Son pôle de mise pour valeur se limite donc à top paire ou mieux : un Roi en main, une paire d’As, deux paires, brelan ou quinte. Sans toutes les détailler et les comptabiliser, cela ne représente pas un si grand nombre de combinaisons. En revanche, il y a dans sa range énormément de combinaisons légitimes pour miser le turn en semi-bluff. Comptant sur le Roi pour nous effrayer, le bouton aura à cœur de bluffer, particulièrement avec celles de ses mains n’ayant aucune chance de gagner à l’abattage. Il nous coûte 35.000 $ pour en gagner 75.000. Un rapide calcul de cotes nous invite à suivre si l’on gagne dans plus de 35/75 = 7/15, soit environ 47%. Il suffit donc que le pôle bluff pèse 47% du total des combinaisons pour que notre call soit profitable ; et c’est largement le cas. Nous payons et remportons le pot contre 7♦T♦. ■ LivePoker 73