PDF 2,8M - Cahiers des Amériques latines

Transcription

PDF 2,8M - Cahiers des Amériques latines
Cahiers des Amériques latines
77 | 2014
L'Uruguay de José Mujica
La filière brésilienne des pierres gemmes « de
couleur »
Des origines à la nouvelle donne
Aurélien Reys
Éditeur
Institut des hautes études de l'Amérique
latine
Édition électronique
URL : http://cal.revues.org/3459
DOI : 10.4000/cal.3459
ISSN : 2268-4247
Édition imprimée
Date de publication : 20 octobre 2014
Pagination : 161-178
ISBN : 196 p. - EAN 3303332400775
ISSN : 1141-7161
Référence électronique
Aurélien Reys, « La filière brésilienne des pierres gemmes « de couleur » », Cahiers des Amériques
latines [En ligne], 77 | 2014, mis en ligne le 20 octobre 2014, consulté le 01 octobre 2016. URL : http://
cal.revues.org/3459 ; DOI : 10.4000/cal.3459
Ce document est un fac-similé de l'édition imprimée.
© Cahiers des Amériques latines
Aurélien Reys*
La filière brésilienne
des pierres gemmes
« de couleur »
Des origines à la nouvelle donne
Introduction1
Longtemps, au Brésil, l’exploitation gemmifère s’est principalement résumée
à une seule et unique ressource, le diamant. Mieux valorisé sur les marchés internationaux, ce dernier a de surcroît tenu un rôle particulièrement crucial dans le
développement économique et l’intégration territoriale du pays sud-américain2
[Bennassar, Marin, 2000]. L’importance de ces événements a parfois renforcé
* Université Paris-Diderot, Sorbonne Paris-Cité, laboratoire Cessma.
1. Au total, 57 entretiens semi-directifs ont été conduits auprès d’acteurs participant à la production.
Plusieurs responsables ou fonctionnaires travaillant pour différentes institutions, publiques et
privées, ont également été rencontrés. Il s’agit, à Teófilo Otoni, de la police environnementale,
du Secretaria de Indústria, Comércio e Turismo, de l’Unidade de Inovação Tecnológica, de
l’Universidade Federal dos Vales do Jequitinhonha e Mucuri, de la Gem Exporters Association,
de l’Associação dos Corretores do Comércio de Pedras Preciosas, du Sindicato Nacional dos
Garimpeiros, le Serviço Brasileiro de Apoio às Micro e Pequenas Empresas ; à Governador
Valadares, du Departamento Nacional de Produção Mineral, du Sistema Nacional de Emprego,
de l’Associação dos Joalheiros Empresários de Pedras Preciosas, Relógios e Bijuterias de Minas
Gerais, l’Instituto de Desenvovimento do Norte e Nordeste de Minas Geais, du Serviço Brasileiro
de Apoio às Micro e Pequenas Empresas ; à Belo Horizonte, de l’Associação dos Joalheiros
Empresários de Pedras Preciosas, Relógios e Bijuterias de Minas Gerais ; et en fin à Araçuaí, de
l’Instituto de Desenvovimento do Norte e Nordeste de Minas Geais.
2. Ce qui est initialement reconnu comme le « cycle de l’or » aurait permis le décollage de l’économie
brésilienne [Benassar & Marin, 2000].
Cahiers des Amériques latines, n° 77, 2014/3, p. 161-178
161
l’idée que la plus précieuse des pierres gemmes est et a toujours été une ressource
capitale pour le Brésil. Elle n’a néanmoins plus qu’une influence marginale
sur une économie gemmifère qui repose désormais essentiellement et depuis
plusieurs décennies sur l’exploitation des autres pierres estimées pour leur préciosité : les pierres de couleur. Il s’en exporte pour plus de cent millions de dollars
chaque année, soit des montants plus de vingt fois supérieurs à ceux du diamant3
et qui permettent au Brésil d’être considéré comme l’un des acteurs majeurs du
commerce international des pierres gemmes colorées [Reys, 2012].
Cependant, si de nombreux gisements gemmifères sont trouvés un peu partout
dans le pays, tous ne font pas l’objet d’une exploitation. Les pierres de couleur
exportées par le Brésil restent en premier lieu le résultat d’opérations minières
et de négoce conduites pour l’essentiel au sein de deux États, le Minas Gerais
et le Rio Grande do Sul [DNPM, 2013 ; MDIC, 2012]. Cette polarisation des
activités n’est toutefois pas l’unique conséquence de facteurs de nature géographique ou économique. Certes, la présence de gisements importe, ne serait-ce
qu’en rendant possible le développement d’activités d’excavation. De même, les
questions d’accessibilité des lieux, de transferts d’informations et d’économies
d’échelle tiennent des rôles prépondérants dans les mécanismes de concentration
d’activités telles que le commerce ou la transformation. Ce ne sont néanmoins pas
les seuls critères. Ces activités ayant émergé et s’étant développées en des temps
antérieurs, lorsque des environnements différents existaient, leur naissance et leur
évolution sont donc aussi le reflet de contextes passés. Leur bonne appréhension
doit en premier lieu être établie au travers du prisme de la temporalité.
L’objectif de cet article est d’offrir un panorama géo-historique de l’exploitation des pierres de couleur au Brésil à partir d’une revue bibliographique qui,
faute de s’avérer suffisante, a été élargie aux productions documentaires émanant
d’organisations locales publiques et privées. Elle a été complétée dans un second
temps par d’autres informations obtenues par le biais d’entretiens menés, entre
décembre 2011 et mars 2013 dans le nord-est du Minas Gerais, auprès d’acteurs
productifs et d’institutions locales liés à l’exploitation des pierres gemmes colorées.
– xviiie siècle : retour sur les prémices de l’aventure
gemmifère brésilienne
xvie
L’histoire du Brésil, et d’autant plus celle de l’état du Minas Gerais, est étroitement liée à l’extraction minière et à la richesse de son sous-sol. Alors que jusqu’au
xviiie siècle ces terres n’étaient ponctuellement parcourues que par des excursions
exploratrices – les bandeirantes – dont la principale mission était officiellement la
capture de populations indigènes, les découvertes « accidentelles » de gisements
3. Exactement 153 110 552 US$ en 2012 [UNComTrade, 2012].
162
Cahiers des Amériques latines, n° 77, 2014/3, p. 161-178
ÉTUDES
La filière brésilienne des pierres gemmes « de couleur »
aurifères, puis diamantifères, vont déclencher l’une des plus importantes ruées
migratoires qui s’avérera décisive dans la construction du Brésil. Pourtant, si l’histoire a retenu que ce sont les exploitations du plus précieux des métaux et de la plus
précieuse des pierres qui vont marquer les grands débuts de l’aventure minière dans
ces contrées, « póde-se dizer que a pesquiza das esmeraldas foi a primeira que se fez,
ou pelo menos a que primeiro incendeu o espirito dos colonos » [Rocha Pombo, 1919]4.
D’importants sites venant d’être mis au jour au même moment de l’autre côté du
continent5, les émeraudes sont alors particulièrement prisées et recherchées par
les premiers aventuriers convaincus que des gisements similaires devaient bien se
cacher quelque part dans les immenses étendues qui se présentaient à eux.
À la poursuite des émeraudes
La première de ces expéditions est conduite par Francisco Bruza Espinosa
et le jésuite Aspilcueta Navarro. Elle s’élance en 1554 depuis le sud de l’actuel
état de Bahia, à seulement quelques dizaines de kilomètres de l’endroit où Pedro
Álvares Cabral accosta pour la première fois un demi-siècle plus tôt. Ils utilisent
une caravelle pour remonter le rio Mucuri et poursuivent ensuite leur périple par
la terre jusqu’aux environs de la ville actuelle de Diamantina [Cornejo, Bartorelli,
2010, p. 447-448]. Aleixo Garcia et Martins Carvalho mènent à leur tour en
1567 une entrada – entrée dans les terres – dont on soupçonne un temps qu’elle
aurait ramené quelques minerais précieux, probablement à tort, comme tous les
autres voyages qui s’engagent alors dans les voies ouvertes par leurs prédécesseurs.
Sindulfo Santiago note néanmoins que si dans un premier temps aucune
découverte notoire n’est à relever, c’est aussi parce que les incursions s’approchaient dangereusement de la frontière paraphée par le traité de Tordesillas en
1494 entre les royaumes d’Espagne et du Portugal [Santiago, 1979, p. 19-20].
L’officialisation de ressources précieuses à l’ouest du méridien 46°38 aurait d’après
lui certainement avivé une importante discorde entre les deux voisins européens,
et il est donc évident qu’il était impossible, si découverte il y avait, qu’elle soit
révélée. Cependant, il semblerait que la plupart des premières auxquelles l’auteur
fait référence restaient en réalité encore très éloignées du méridien6. Il apparaît
donc peu probable que les intentions de conquêtes de ces nouveaux espaces aient
4. « Il peut être affirmé que la recherche d’émeraudes a été la première raison, ou du moins celle
qui a agité l’esprit des colons avant tout » [Rocha Pombo, 1919]. [NDLR. Toutes les traductions
présentes en note sont de l’auteur.]
5. Les mines colombiennes de Chivor et Muzo sont exploitées depuis le xvie siècle.
6. L’ouvrage de Sindulfo Santiago est parsemé d’approximations. Tout d’abord, bien qu’il mentionne
qu’il a procédé à de nombreuses recherches, il n’en précise jamais les sources [p. 21]. Il tire
également de nombreuses conclusions qui s’avèrent en réalité erronées : il place par exemple le
méridien de Tordesillas au « 25° », [p. 19] avance que les émeraudes sont des corindons [p. 21],
et localise les célèbres mines indiennes de Golconda en Afrique [p. 22]. Le livre a pourtant été
consulté à la bibliothèque de géographie de l’UFRJ.
Cahiers des Amériques latines, n° 77, 2014/3, p. 161-178
163
pu réellement être contrariées pour une telle raison, et encore moins qu’elles
aient influé de manière conséquente sur les parcours des expéditions bandeirantes.
Ainsi, tout semble indiquer que jusqu’en 1573, date qui marque la première
incursion bandeirante alors accomplie par Sebastião Fernandes Tourinho, aucune
pierre n’ait été encore décelée, ou du moins révélée. Elle pourrait alors avoir été la
première couronnée de succès :
« Correndo o anno de 1573, Sebastião Fernandes Tourinho, subindo pelo Rio Doce,
teve a intrepidez de se embrenhar pelo sertão da provincia de Minas Gerais e, depois
de descobrir jazidas de ouro et de esmeraldas, abrindo caminho por entre matas
virgens, seguiu o curso de varios rios, e, descendo pelo Jequitinhonha, se foi á Bahia,
a apresentar ao governador general do Brasil, Luiz de Brito e Almeida, as amostras
dos preciosos descobrimentos que fizera, e, contentando-se com a gloria de se ter
sahido bem daquelle empreza, deixou aberto aos demais o caminho para ultimal-a. »
[Milliet de Saint-Adolphe in Ferreira, 1885, p. 634]7.
L’utilisation du conditionnel est de mise car des divergences existent sur
la nature des pierres trouvées. Il est vrai que les béryls de couleur verte, mais
dépourvus de chrome pourtant indispensable pour qu’ils puissent se parer d’une
couleur émeraude et ainsi en prendre le nom, sont particulièrement courants
dans la région et sont même encore parfois appelés ainsi par les locaux. Et c’est
sûrement pour cette raison que Cristiane Castañeda, João Eduardo Adadd et
Antonio Liccardo qui datent cette trouvaille en 1571 et la localisent quelque part
entre les municipes actuels de Capelinha et de Tourmalina à proximité des berges
du fleuve Itamarandiba, préfèrent parler de découverte de gisements de béryls
plutôt que d’émeraudes [Castañeda, Adadd, Liccardo, 2001, p. 102]. L’explorateur
français Auguste de Saint-Hilaire pousse la confusion plus loin en affirmant
qu’il est très probable que les pierres qui avaient été rapportées et présentées par
Sebastião Fernandes Tourinho comme des émeraudes et des saphirs, « n’étaient
que cristaux colorés, des tourmalines ou des morceaux d’euclase » [Saint-Hilaire,
1833 b, p. 315-316]. Carlos Cornejo et Andrea Barorelli ne présentent pas non
plus ces pierres comme des émeraudes, mais des béryls et des tourmalines de
couleur verte [Cornejo, Bartorelli, 2010, p. 449], tout comme Keith Proctor
[1984, p. 82].
7. « En l’an 1573, Sebastião Fernandes Tourinho, remontant par le Rio Doce, a eu l’intrépidité de se
faufiler à travers le sertão de la province du Minas Gerais et, après avoir découvert des dépôts d’or et
d’émeraudes, ouvrant un chemin au milieu des forêts vierges, il suivit le cours de plusieurs fleuves,
descendant par le Jequitinhonha jusqu’à Bahia pour présenter au gouverneur du Brésil, Luiz de
Brito e Almeida, les échantillons de ses précieuses découvertes, se contentant de la gloire de s’être
bien sorti de cette entreprise, il laissa la voie ouverte à d’autres. » [Milliet de Saint-Adolphe in
Ferreira, 1885, p. 634].
164
Cahiers des Amériques latines, n° 77, 2014/3, p. 161-178
ÉTUDES
La filière brésilienne des pierres gemmes « de couleur »
Émeraudes ou tourmalines vertes ?
Si la plupart s’accordent pour affirmer que les pierres trouvées par Sebastião Fernandes
Tourinho étaient en réalité des tourmalines de couleur verte – une conclusion qui se pose
aujourd’hui comme l’hypothèse la plus défendue –, cette supposition semble avoir pour
principal fondement le fait qu’aucun gisement d’émeraudes n’ait jamais pu être localisé
jusqu’à présent au nord du Rio Suaçuí. D’après Carlos Cornejo et Andrea Bartorelli, qui
s’appuient sur les écrits de Gabriel Soares de Sousa [Soares de Sousa, 1587, éd. 1851],
c’est en effet à quelques lieues du fleuve et à une cinquantaine de lieues en amont de son
point de confluence avec le Rio Doce où ce qui était alors considéré comme les premières
émeraudes auraient été trouvées [Cornejo, Bartorelli, 2010, p. 449]. Un lieu qu’il est possible
de localiser à une vingtaine ou une trentaine de kilomètres à l’est du principal bourg actuel
du municipe de Santa Maria de Suaçuí. Cependant, comme le soulève avec énergie Sindulfo
Santiago [Santiago, 1979, p. 21], il est en effet surprenant qu’un tel imbroglio fut possible
tant il est difficile de confondre l’une et l’autre pierre pour quiconque est quelque peu habitué
à manipuler, même assez rarement, des pierres gemmes. Mais surtout, parce qu’une mine
d’émeraudes aurait bien été explorée illégalement dans les années 1980 et 1990 à l’endroit
indiqué, selon Carlos Cornejo et Andrea Bartorelli1, par Gabriel Soares de Sousa [enquête
de terrain]. En effet, deux courtiers de Teófilo Otoni, anciens employés de mines dont l’un
aurait travaillé un temps dans l’opération chargée d’exploiter le gisement en question, en
confirment l’existence, également corroborée par le propriétaire du service d’alors, un entrepreneur résidant à Governador Valadares rencontré dans un second moment. Les opérations d’excavation auraient été menées conjointement avec un investisseur étasunien mais
auraient dû être arrêtées quelques années plus tard car le filon aurait été perdu, ou à cause du
manque de capitaux pour financer la poursuite des opérations selon les personnes interrogées
à Teófilo Otoni. Le site, dont les premières pierres extraites l’ont été à seulement quelques
mètres de la surface, se localiserait dans le municipe d’Água Boa, au lieu-dit Sussuarana, à
quelques encablures seulement de São José da Safira et à environ 5 kilomètres plus au nord
de la célèbre mine de rubellite du Cruzeiro.
1. Il semblerait toutefois que Carlos Cornejo et Andrea Bartorelli auraient pu mal interpréter
certains passages du texte de Gabriel Soares de Sousa. Ils se réfèrent notamment au Rio Suaçuí
[Cornejo, Bartorelli, 2010, p. 449] alors qu’il est en réalité question du Rio Aceci [Soares de
Sousa, 1587, éd. 1851, p. 69-71].
La découverte des mines de Sabará
Les excursions se succèdent tout au long du xviiie siècle. Certaines reviennent même avec quelques pierres, présentées parfois comme des émeraudes
de qualité inférieure, à l’image de celles rapportées par Marcos de Azevedo
Coutinho en 1614 [Mauro, 1977, p. 151]. Mais ces expéditions empruntent
alors des routes très proches les unes des autres. Elles partent habituellement
Cahiers des Amériques latines, n° 77, 2014/3, p. 161-178
165
du sud de Bahia ou du nord d’Espírito Santo, et se dirigent vers les contrées
septentrionales de l’actuel Minas Gerais. Or, l’objectif de telles expéditions est
aussi l’exploration de ces larges horizons qui restent à conquérir. Les autorités
de l’époque essaient rapidement de convaincre les résidents des terres du sud de
se joindre au mouvement exploratoire, sans réel succès dans un premier temps
puisqu’il faut attendre 1662 pour assister aux premières réelles excursions
organisées depuis São Paulo. Celle d’Augusto Barbalho et de Fernão Dias Paes
rapporte même quelques pierres et quelques grammes d’or [Milliet de SaintAdolphe in Ferreira, 1885, p. 634].
Mandaté par le gouverneur du Brésil de l’époque, Affonso Furtado de
Mendonça, Fernão Dias Paes entreprend un nouveau voyage. Il part avec ses
hommes de São Paulo en 1674 pour un périple qui dure sept années et au cours
duquel il localise la célèbre et tant recherchée montagne aux émeraudes, la Serra
das Esmeraldas, d’où il rapporte un échantillon de 475 grammes [Milliet de
Saint-Adolphe in Ferreira, 1885, p. 634-635 ; Cornejo, Bartorelli, 2010, p. 451].
Fernão Dias Paes meurt toutefois d’une fièvre durant l’expédition et confie, avant
de décéder, les pierres découvertes ainsi que la direction de la suite de l’expédition à son gendre, Manoel Borba Gato. Ce dernier, en conflit contre l’autorité
royale suite à une rixe durant laquelle le superintendant des mines D. Rodrigo de
Castello Branco perd la vie en 1682, est alors contraint de prendre la fuite avec
ses alliés. Il se réfugie dans les environs du fleuve Rio Doce où il se cache pendant
plusieurs années. Il n’obtient la rédemption du gouverneur de Rio de Janeiro,
Arthur de Sa e Menezes, qu’en contrepartie de l’indication de la localisation des
gisements d’or de Sabará qu’il avait découverts peu de temps auparavant [Milliet
de Saint-Adolphe in Ferreira, 1885, p. 635].
La localisation des mines de Sabará met alors un terme aux recherches
d’émeraudes. Plusieurs autres gisements d’or sont découverts et suscitent une
ruée migratoire d’une telle importance qu’elle jouera un rôle considéré comme
décisif dans la trajectoire de la vaste formation politique qui se consolidera
dans cette partie sud du continent américain8 [Rocha Pombo, 1919 ; Barbosa,
1979, p. 50-51]. L’économie brésilienne s’en trouve transformée9 et les campements miniers originellement érigés donnent ensuite naissance à des hameaux
– les arraiais – [Enders, 2008, p. 70] qui forment la première trame urbaine sur
laquelle se consolide l’état du Minas Gerais. Ce dernier, à mi-chemin entre les
deux principaux foyers de population qui avaient initialement pris forme le long
8. « […] uma phase de tão importancia que póde ser considerada como decisiva para os destinos da
vasta formação politica que deste lado da Atlantico se ia fazendo » [Pombo, 1919].
9. « La poussée minière transforme profondément l’économie brésilienne. Elle lui donne un
caractère continental. Le ravitaillement de la population minière fait naître un nouveau système
de production et de circulation. L’ancien élevage, les anciennes productions commerciales en sont
transformés. » [Mauro, 1977, p. 151]
166
Cahiers des Amériques latines, n° 77, 2014/3, p. 161-178
ÉTUDES
La filière brésilienne des pierres gemmes « de couleur »
des littoraux du nord-est et du sud-est, jouera par son évident lien géographique
un rôle capital dans l’intégration territoriale de ces vastes contrées, d’autant que
le cycle de l’or est dans un second temps prolongé par la découverte et l’exploitation de gisements diamantifères dans les environs de ce qui deviendra par la suite
la ville de Diamantina10 [Mauro, 1977, p. 146 ; Barbosa, 1979 ; Barbosa, 1991,
p. 160]. La « production est rapidement telle que la valeur du diamant baisse de
75 % sur le marché international » [Mauro, 1977, p. 145], le Brésil bénéficiant à ce
moment-là d’un quasi-monopole, puisqu’alors seule l’Inde produisait de petites
quantités de diamants [Brunet, 2003, p. 39-37, p. 347].
– mi-xxe siècle : la genèse d’une filière gemmifère
« de couleur » au Brésil
xixe
Néanmoins, peu de mineurs profitent réellement directement des retombées
économiques de l’extraction de ces minerais précieux. Leur manque d’organisation
les conduit rapidement à faire face à de sévères famines [Barbosa, 1979, p. 52-53 ;
Mauro, 1977, p. 151] et « beaucoup de gens ont très vite vu qu’ils pouvaient
s’enrichir au moins autant en ravitaillant les mineurs qu’en cherchant eux-mêmes
le métal précieux » [Mauro, 1977, p. 151]. Une économie du ravitaillement,
souvent bien plus lucrative que les activités extractives, se met même en place,
allant jusqu’à faire monter les prix des denrées et marchandises sur le marché de
São Paulo [Mauro, 1977, p. 151]. L’aventure prend alors fin dans les dernières
années du xviiie siècle, marquées par des heurts entretenus par le ralentissement
des activités et l’impossibilité pour les mineurs de s’acquitter des taxes royales
imposées, ces frondes constituant même l’amorce d’un mouvement indépendantiste national pour une souveraineté qui sera obtenue en 1822.
Le « cycle de l’or », quels héritages ?
À cette date, à l’exception de gisements de topazes impériales découverts aux
alentours d’Ouro Preto au milieu du xviiie siècle par de probables chercheurs d’or
[Machado, 2003, p. 8], aucun autre site de pierres gemmes colorées n’a encore
véritablement donné lieu à une exploitation à grande échelle. Les minerais aurifères
et diamantifères, bien plus abondants et s’exportant à des prix bien plus élevés, ont
en effet jusqu’au début du xixe siècle monopolisé l’essentiel des forces productives.
Dès lors, si ces premières expériences minières auront néanmoins été à l’origine
d’un mode d’organisation innovant [Saint-Hilaire, 1833 (a), p. 1-27] et d’un jargon
10.Le premier diamant aurait été découvert par Francisco Machado da Sylva qui exploitait une petite
mine d’or dans les environs de la ville actuelle de Diamantina, alors un hameau qui portait le nom
de Tijuco. Cette découverte aurait été réalisée en 1714.
Cahiers des Amériques latines, n° 77, 2014/3, p. 161-178
167
spécifique11 qui ont définitivement marqué de leur empreinte une culture brésilienne
de l’exploitation des minerais estimés pour leur préciosité, peu de liens peuvent être
tissés entre les épopées de l’or et du diamant, et celles des pierres de couleur. En
effet, non seulement les territoires concernés sont séparés par plusieurs dizaines
voire centaines de kilomètres, mais aucune information ne semble indiquer qu’une
quelconque exploitation n’est conduite dans ces lieux avant le milieu du xixe siècle.
Un écart de temps de quelques dizaines d’années suffisant pour disjoindre les deux
moments, bien qu’il ne soit évidemment pas exclu que quelques mineurs d’alors,
notamment de Diamantina, aient prospecté un peu plus bas dans les vallées du
Jequitinhonha ou en direction du fleuve Marambaia quelques gisements de pierres
de couleur probablement déjà connus des populations locales.
Le rôle de l’immigration allemande
Les premiers traits d’une exploitation quelque peu rationnelle et systématisée d’espaces gemmifères de type « pierres de couleur » à une échelle relativement large prennent d’abord racine dans l’extrême sud du pays, où d’immenses
gisements d’améthystes et d’agates sont localisés aux alentours des années 1820
ou 1830. Leur importance est telle qu’elle trouve écho en Europe et occasionne
l’arrivée massive d’immigrants allemands originaires d’Idar-Oberstein, un ancien
centre d’exploitation d’agates alors sur le déclin12 [DNPM, 1998, p. 17]. En plus
de l’apport d’équipements lapidaires et de savoir-faire [Cornejo, Bartorelli, 2010 ;
Nadur, 2009, p. 33, p. 38-41], leurs origines facilitent la mise en place de relations
commerciales privilégiées avec l’Allemagne [DNPM, 1998, p. 18], des échanges
préférentiels qui perdurent encore aujourd’hui [UNComTrade, 2012].
Néanmoins, si les premiers gisements de grande ampleur ont été exploités
dans le sud du pays, c’est en revanche le nord-est du Minas Gerais et la ville de
Teófilo Otoni, qui deviendra la plus grande de la région, qui jouent par la suite les
premiers rôles dans le commerce et l’exploitation des gemmes. Le développement
des affaires gemmifères a ici aussi vraisemblablement été initié par l’arrivée des
migrants en provenance d’Idar-Oberstein [Proctor, 1984, p. 82-83 ; Castañeda,
Adadd, Liccardo, 2001, p. 102]. D’autres sources semblent indiquer que le
développement de ce type d’activités a aussi pu être favorisé dans le nord-est
du Minas Gerais par le défrichement des forêts des alentours par les premiers
11.Ce serait par ailleurs à cette époque que le terme garimpeiro se serait formé par détournement du
mot grimpeiro, du verbe grimpar provenant du français « grimper » [Pimenta, 2002, p. 103]. Il était
utilisé alors pour définir ceux qui pourraient être assimilés à des contrebandiers de diamants et
qui se réfugiaient dans les hauteurs de montagnes escarpées lorsque ceux placés en sentinelles les
avertissaient de l’approche de soldats [Saint-Hilaire, 1833 a, p. 21].
12.Localisée à l’ouest de l’Allemagne, la petite ville demeure encore à présent un centre de négoce
gemmifère important eu Europe.
168
Cahiers des Amériques latines, n° 77, 2014/3, p. 161-178
ÉTUDES
La filière brésilienne des pierres gemmes « de couleur »
colons arrivés sous l’impulsion d’un entrepreneur13 désireux de tirer profit de lieux
qu’il jugeait stratégiques pour le développement du commerce. La présence de
chrysobéryl dans les vallées des rivières Americana et Santana à l’est du municipe
de Padre Paraíso semble en effet être connue depuis 1846 [Proctor, 1984] et
le minéralogiste français Claude Henry Gorceix fait également état, dès le
xixe siècle, de la présence de nombreux gisements entre les fleuves du Rio Doce
et du Rio Jequitinhonha, notamment ceux de tourmalines de couleur verte, dont
il note déjà qu’elles auraient pu être confondues par les premiers explorateurs avec
des émeraudes. Il localise aussi près du bourg d’Araçuaí des dépôts de béryls, de
grenats, d’améthystes et de nombreux autres quartz [Gorceix in Ferreira, 1885,
p. 631-634]. Ainsi, dès la fin du xixe siècle, Teófilo Otoni, mais aussi Araçuaí,
sont considérées comme les principaux centres de production de pierres fines du
pays [Rocha Pombo, 1919].
L’extraction et l’industrie gemmifère brésilienne n’en sont alors toutefois qu’à
leurs balbutiements. On dénote encore peu d’informations faisant état d’activités
lapidaires à grande échelle en dehors d’une industrie de taille diamantaire relativement ténue se localisant dans l’état de Bahia et à Diamantina [Barbosa, 1991,
p. 127]. Les activités gemmifères vont connaître une première période d’extension avec la multiplication des découvertes dispersées dans le pays. Parmi elles, et
officiellement pour la première fois, apparaissent les émeraudes tant recherchées
par les bandeirantes quelques siècles plus tôt. On les découvre dans l’état de Bahia
tout d’abord, où des occurrences d’émeraude de qualité gemmes sont vérifiées en
1912 à 16 km à l’ouest de la ville de Bom Jesus das Meiras – désormais appelée
Brumado – [Delaney, 1996, p. 26], puis à Anagé en 1939 [Delaney, 1996, p. 28].
On en trouve aussi dans le Minas Gerais, à Sant’Ana dos Ferros – désormais
Ferros, depuis son émancipation du municipe d’Itabira – en 1919 [Delaney, 1996,
p. 28-29] et ensuite dans l’état de Goiás, à Itaberaí en 1920 [Delaney, 1996, p. 29].
Mais le développement de l’industrie gemmifère brésilienne ne repose pas
uniquement sur l’exploitation des émeraudes et d’autres gemmes trouvent un
écho d’une importance similaire. Comme en 1910, lorsqu’une exceptionnelle
aigue-marine de 110,5 kg dénommée Papamel est trouvée dans la vallée du fleuve
Marambaia [Castañeda, Adadd, Liccardo, 2001, p. 102]. Dès 1929, des gisements
font l’objet d’une exploitation un peu partout dans le nord-est du Minas Gerais14.
Des dépôts d’opales sont également localisés à la fin des années 1930 ou au début
des années 1940 dans l’état du Piauí dans le Nord du pays à proximité de la
13.Nommé Teófilo Otoni, dont le municipe prendra le nom, et fondateur de la Companhia de
Commercio e Navegação do Mucury [Bento, 2006].
14.Une production cartographique d’Affonso Ribeiro datant de 1929 présentant les gisements
minéraux du Brésil fait état de gisements de pierres de couleur autour de la ville d’Araçuaí ainsi
qu’à proximité des villes de Teófilo Otoni, d’Ouro Preto et de Sant’Antonio dos ferros [Ribeiro,
1929].
Cahiers des Amériques latines, n° 77, 2014/3, p. 161-178
169
ville de Dom Pedro II [Milanez, Puppim, 2009, p. 542]. Mais la configuration
actuelle de la filière découle avant tout des événements qui suivront, à commencer
par une structuration autour des nouveaux gisements généralement découverts à
proximité des filons déjà exploités. Le nord du Minas Gerais est déjà en bonne
place des espaces sur lesquels reposent ces embryons de filières gemmifères.
Carte n° 1. Les principaux gisements gemmifères découverts depuis le xviiie siècle
Sources. Se référer à la bibliographie en fin d’article.
Le virage de la Seconde Guerre mondiale
Si des gisements sont déjà exploités depuis plusieurs dizaines d’années,
notamment dans les alentours de Teófilo Otoni, tout porte à croire qu’ils étaient
en revanche quasiment inexistants à l’orée de la Seconde Guerre mondiale dans
les environs de Governador Valadares. La ville n’existe encore que sous la forme
d’un village et elle ne s’émancipe de son municipe d’attache, Peçanha, qu’en 1938
170
Cahiers des Amériques latines, n° 77, 2014/3, p. 161-178
ÉTUDES
La filière brésilienne des pierres gemmes « de couleur »
[IBGE]. Elle compte à cette époque tout au plus quelques milliers d’habitants
contre plusieurs dizaines de milliers déjà pour Teófilo Otoni [IBGE]. Mais la
forte croissance de la demande mondiale en béryls industriels – employés pour des
alliages de matériaux utilisés par l’industrie aéronautique, notamment militaire
– offre ensuite un environnement propice au développement de l’extraction
minière. C’est alors que les opérations d’extraction s’intensifient dans la région,
menant le nord du Minas Gerais à alimenter jusqu’à 75 % des besoins des pays
alliés [Castañeda, Adadd, Liccardo, 2001, p. 102]. Les besoins en mica – exploité
pour ses qualités isolantes – soutiennent aussi par la suite les activités minières
locales pour la satisfaction des besoins industriels.
À partir des années 1950, l’apparition de nouvelles matières synthétiques
moins coûteuses change progressivement la donne locale. De nombreuses exploitations minières sont abandonnées et plusieurs centaines, voire plusieurs milliers
de personnes, perdent leur emploi. Les difficultés économiques poussent alors
nombre de locaux à se laisser tenter par l’aventure gemmifère15 [Soares, 2002 ;
enquêtes de terrain]. Les tourmalines, aigues-marines et quartz étant trouvés
en nombre dans les mêmes filons que les premiers minerais exploités, certaines
mines sont alors converties en sites d’extraction de pierres gemmes [Proctor, 1984,
p. 83 ; Delaney, 1996, p. 72 ; Castañeda, Adadd, Liccardo, 2001, p. 102 ; enquêtes
de terrain]. De nombreuses pierres d’une beauté exceptionnelle sont ainsi successivement mises au jour et participent à édifier un peu plus la renommée internationale des contrées septentrionales du Minas Gerais dans le paysage gemmifère
mondial. L’une des plus célèbres, une aigue-marine de 34 kg présentant 60 % de
clarté et baptisée Martha Rocha en référence aux yeux bleu clair de la miss Brésil
de l’époque, est extraite en 1955 au nord de Teófilo Otoni [Castañeda, Adadd,
Liccardo, 2001, p. 102].
Mi-xxe – début xxie siècle : de l’apogée au déclin ?
Cette extension de l’exploitation minière offre un environnement favorable au
développement d’autres activités liées à la mise en valeur de ressources gemmifères, comme la taille et le commerce. Leur essor est aussi le résultat indirect de
la mise en place progressive d’une industrie bijoutière nationale dont les deux
fleurons, H. Stern et Amsterdam Sauer, jouissent désormais d’une renommée qui
s’étend bien au-delà des frontières brésiliennes [Nadur, 2009, p. 41-46]. Fondées
au sortir de la Seconde Guerre mondiale par l’Allemand Hans Stern et l’Alsacien
Jules Roger Sauer, tous deux de confession juive et qui ont fui l’Europe à l’orée du
conflit, les deux sociétés joaillières ne seraient assurément pas devenues ce qu’elles
15.Selon Weber Soares, seules les activités en lien avec l’industrie et le commerce des gemmes ont
connu à ce moment-là une dynamique positive.
Cahiers des Amériques latines, n° 77, 2014/3, p. 161-178
171
sont aujourd’hui sans les abondantes ressources gemmifères dont bénéficie le pays
[enquête de terrain]. Il demeure néanmoins que c’est en premier lieu sur l’extraction de gemmes que repose alors le développement de l’industrie gemmifère du
Brésil qui s’impose, en cette seconde partie de xxe siècle, comme l’un des principaux fournisseurs de pierres gemmes dans le monde [Reys, 2012].
Une filière au sommet
De nombreux nouveaux sites sont alors localisés puis mis en production.
Parmi eux, des gisements d’émeraudes, pierres toujours particulièrement appréciées sur les marchés internationaux. Ces découvertes prennent place dans un
premier temps dans l’état de Bahia et, plus précisément, dans la région de la Serra
de Carnaíba : à Carnaíba de Baixo, en 1963, un hameau qui passe de 200 habitants
à 15 000 âmes en une seule année [Delaney, 1996, p. 29], puis à Socotó, en 1983
[Delaney, 1996, p. 33]. Des sites d’extraction de premier ordre sont également
localisés dans les états de Goiás – à Porangatu, Pirenópolis et Santa Terezina de
Goiás, en 1969, 1977 et 1981 [Delaney, 1996, p. 37-40] – et du Minas Gerais – à
Itabira en 1977 [Delaney, 1996, p. 35] et à Nova Era en 1988 [Epstein, 1989,
p. 151 ; Delaney, 1996, p. 37]. Dans les années 1980, d’autres gisements acquerront également une renommée mondiale, comme ceux d’améthystes dans l’état
du Pará, d’alexandrites dans le Minas Gerais, ou encore d’une tourmaline colorée
d’un bleu électrique jusqu’alors inconnue et qui prendra le nom de son état d’origine, la tourmaline de Paraíba [Cornejo, Bartorelli, 2010].
Toutes ces découvertes sont invariablement à l’origine, si ce n’est de ruées,
au moins de nouvelles vocations, qui par la suite ouvrent de nouveaux fronts.
Les personnes ayant connu un relatif succès au cours d’une première expérience
continuent souvent dans le négoce, parfois dans d’autres lieux [enquête de
terrain]. C’est ainsi qu’à la fin des années 1980, l’industrie gemmifère brésilienne
atteint l’apogée de son activité [enquête de terrain]. Les extractions sont réalisées avec intensité et les visiteurs étrangers sont nombreux à se rendre dans les
principaux centres de négoce du pays pour y faire affaire. Une ville comme Teófilo
Otoni compte, à ce moment-là, plus de deux mille centres de taille [enquête
de terrain – associations locales] et la principale place de la ville est quotidiennement fréquentée par plusieurs centaines de vendeurs et acheteurs de pierres
gemmes. Néanmoins, si les entreprises formelles existent, c’est surtout l’informel
qui prédomine dans le négoce. Et le retour de la démocratie réellement noué à
la fin des années 1980 est aussi l’occasion de restructurer certaines règles. Des
coopératives et des associations représentatives de corps de métiers sont créées et
des projets menés afin de réorganiser de façon plus concertée la production locale
[enquête de terrain].
172
Cahiers des Amériques latines, n° 77, 2014/3, p. 161-178
ÉTUDES
La filière brésilienne des pierres gemmes « de couleur »
Le déclin ou la métamorphose ?
La filière va alors initier un processus de transformation qui sera vécu par
beaucoup d’acteurs du négoce comme un réel déclin. Un taux de 80 % de réduction des activités minières et de commerce est d’ailleurs régulièrement évoqué par
l’ensemble des acteurs interrogés. De même, on ne compterait désormais plus que
360 lapidaires à présent à Teófilo Otoni contre près de dix fois plus deux décades
plus tôt [GEA/IEL, 2005 ; et associations locales], et les inscriptions auprès des
différentes associations sont effectivement de cinq à dix fois moindres qu’il y a
une vingtaine d’années [enquête de terrain]. Si les chiffres officiels ne laissent
pourtant aucunement transparaître de telles évolutions [UNComTrade, 2012 ;
MDIC, 2012], c’est principalement pour deux raisons. La première est que les
exportations de quartz – exploité de façon plus industrielle et plus avare en maind’œuvre – ont compensé la diminution des exportations des autres pierres fines16
[enquête de terrain]. La seconde cause est que cette dépréciation semble avoir
surtout impacté des activités informelles prédominantes, si ce n’est en termes de
production, au moins en nombre d’emplois [enquête de terrain]. Alors que le rôle
des institutions publiques de protection de l’environnement est souvent mis en
cause pour expliquer le phénomène, et s’il est vrai que leur lutte contre les mines
illégales a pu s’accroître au cours de la décennie, plusieurs autres raisons doivent
être prises en compte pour mieux comprendre la présente situation.
Il est tout d’abord important d’évoquer les changements qui affectent, à partir
des années 1990, l’organisation des chaînes de production à l’échelle mondiale,
ne serait-ce qu’à commencer par l’émergence de nombreux fronts producteurs
en Afrique de l’est et où les pierres extraites sont souvent cédées à des prix
moins élevés [Reys, 2012]. Parallèlement, l’émergence d’une industrie lapidaire
chinoise de premier ordre a profondément bouleversé les précédents équilibres
et s’est imposée, dans le même temps, comme un nouveau rival de taille pour
une industrie brésilienne où prédominent encore des pratiques relevant plus de
l’artisanat que de la modernité. De plus, le large usage de nouvelles technologies
comme Internet ou les appareils photos numériques ont également modifié en
profondeur un commerce qui se passe de plus en plus des intermédiaires locaux.
Mais ces bouleversements sont, également et surtout, imputables à des facteurs
internes. L’intensité des activités extractives gemmifères connaît une corrélation
inversée avec le dynamisme économique des territoires. Les progrès du Brésil
dans ce domaine au cours de ces dix dernières années se traduisent non seulement
par une réduction du nombre de candidats à ce type d’activités particulièrement
dangereuses et physiquement usantes, mais offre de plus de nouvelles opportunités d’investissement jugées moins aléatoires que celle de l’exploitation gemmifère [enquête de terrain ; Canavésio, 2011].
16.Avec des exportations dorénavant dominées par la Chine [Reys, 2012].
Cahiers des Amériques latines, n° 77, 2014/3, p. 161-178
173
De nouvelles problématiques
Doit-on y voir le préambule de l’effondrement de l’extraction et du négoce
gemmifère au Brésil ? Une telle interrogation doit évidemment être mesurée.
Certes, le ralentissement des activités est réel, notamment dans le nord-est du
Minas Gerais où le grand nombre des acteurs ayant quitté le négoce au cours de
ces dernières années est souligné par tous. Néanmoins, le Brésil demeure l’un des
espaces les plus riches en ressources gemmifères et, de plus, la demande mondiale
est en pleine croissance. D’ailleurs les chiffres officiels laissent transparaître que
les affaires gemmifères brésiliennes ne se sont jamais aussi bien portées. Mais ces
bonnes performances sont aussi le reflet de la régulation rampante des activités
minières, un processus de légalisation souvent accusé par les acteurs locaux d’être à
l’origine du déclin de la filière nationale. De tels résultats masquent de surcroît de
très grandes disparités entre les différents types de pierres gemmes. La croissance
des exportations est surtout le résultat d’une hausse significative des extractions
de quartz, soutenue par l’envolée de la demande chinoise et dont les processus
d’excavation principalement réalisés sous une forme industrielle ne profitent pas
ou peu aux acteurs isolés et informels. Enfin, si la majorité des acteurs, en particulier les moins puissants, prétendent souffrir de ces évolutions et que nombre
d’entre eux se sont retirés définitivement des affaires gemmifères, les plus grands
entrepreneurs ne semblent à l’inverse pas être affectés par cette métamorphose du
négoce. Certains affirment même en tirer parti.
Dès lors, et malgré ces bouleversements, le Brésil doit continuer à être
considéré comme l’un des acteurs majeurs du commerce international. Il y joue
toujours en premier lieu le rôle d’un espace extracteur, et ce au même titre que les
principaux autres territoires producteurs de pierres gemmes, comme le Myanmar,
la Colombie, le Sri Lanka ou Madagascar. Au total, ce sont plus de 150 millions
de dollars US de pierres de couleurs extraites de son territoire qui sont exportées chaque année à destination de l’hémisphère nord : l’Europe de l’ouest et
les États-Unis, mais aussi et de plus en plus l’Asie et la Chine [UNComTrade,
2012 ; Reys, 2012]. Des pierres ont toujours pour principale origine, et ce depuis
près d’un siècle et demi, les états du Minas Gerais et du Rio Grande do Sul.
Premiers espaces à avoir tiré profit des innombrables ressources gemmifères dont
est pourvu le Brésil, les deux états concentreraient aujourd’hui les deux tiers des
exploitations extractives gemmifères17 et seraient à l’origine de quatre-vingtdix pour cent des exportations du pays18 [DNPM, 2013 ; MDIC, 2012]. Les
modestes villes de Teófilo Otoni et Governador Valadares – Minas Gerais – et
17.Au 1er février 2013, parmi les 2 294 occurrences de gemmes colorées qui étaient consignées dans
les registres du cadastro mineiro du Departamento National de Produção Mineral, 49 % étaient
décomptées dans le Minas Gerais et, 19 % dans le Rio Grande do Sul [DNPM, 2013].
18.54,6 % des exportations brésiliennes pour le Minas Gerais, et 38,9 % pour le Rio Grande do Sul
[MDIC, 2012].
174
Cahiers des Amériques latines, n° 77, 2014/3, p. 161-178
ÉTUDES
La filière brésilienne des pierres gemmes « de couleur »
de Soledade19 – Rio Grande do Sul – joueraient même des rôles d’importance
similaire, voire supérieure, aux trois principales agglomérations du pays que sont
São Paulo, Rio de Janeiro et Belo Horizonte, également engagées dans le négoce
des gemmes [Pormin, 2008 ; MDIC, 2012]. Une position qui est évidemment
d’abord la conséquence des très nombreux gisements qui y sont exploités à proximité20, mais pas uniquement. Ce ne sont en effet pas les seules contrées à bénéficier de telles ressources au Brésil, et leur rang est aussi et surtout le reflet de leur
engagement précoce dans les affaires gemmifères.
Carte n° 2. La filière « pierres de couleur » au Brésil au début du xxie siècle
Sources. DNPM [2013] et MDIC [2012].
19.Qui comptent respectivement 250 000, 120 000 et 50 000 habitants [IBGE, 2012].
20.Principalement béryls (émeraudes, aigues-marines, morganites), tourmalines, topazes et
chrysobéryls dans le Minas Gerais, et quartz (améthystes et agates) dans le Rio Grande do Sul.
Cahiers des Amériques latines, n° 77, 2014/3, p. 161-178
175
Conclusion et perspectives
Fort de ses richesses et d’une demande en constante croissance [UNComTrade,
2012], il est possible que le Brésil continue de jouer, pour un certain temps, un
rôle important dans l’approvisionnement du commerce international en pierres
gemmes. Les ressources sont abondantes et nombre des investissements entrepris
ont été réalisés dans l’objectif d’une production estimée durer au moins plusieurs
années ou décennies. Cependant, il est aussi fort probable que l’« âge d’or » de
la filière, une époque où tout paraissait possible, soit d’ores et déjà terminé. En
effet, l’organisation des affaires minières et celle de négoce tendent de plus en
plus vers la rationalité et, parallèlement, de moins en moins d’acteurs sont désormais impliqués dans des activités que les jeunes générations délaissent au profit
d’emplois moins éreintants ou soumis de façon moins vive aux lois du marché que
ceux du secteur gemmifère. Un des principaux reflets de ce mouvement est probablement le très faible pourcentage d’acteurs du secteur âgés de moins de quarante
ans, notamment ceux engagés dans le secteur informel, alors que quasiment tous
pourtant sont entrés dans le négoce avant leur majorité [enquête de terrain]. Une
telle tendance n’est toutefois pas irréversible et les éléments pouvant remettre en
cause de tels présages sont forcément nombreux, ne serait-ce qu’à commencer
par d’extraordinaires découvertes qui peuvent à tout moment remettre en cause
une situation donnée. Au Brésil, ces nouveaux fronts d’exploitation pourraient
prendre place dans les larges espaces du nord mais aussi et surtout dans l’ouest du
pays, encore recouverts par la vaste forêt amazonienne. Mais le contexte sectoriel
et l’environnement socio-économique auront certainement continué d’évoluer
d’ici là.
Bibliographie
• Barbosa Octávio, Diamante no Brasil,
Brasília, CPRM, 1991, 136 p.
• Barbosa Waldemar, História de Minas,
Belo Horizonte, Editora Comunicação,
1979, 252 p.
• Bennassar Bartolomé, Marin Richard,
Histoire du Brésil 1500-2000, Paris,
Fayard, 2000, 629 p.
• Bento Bruno, As matrizes e a fundação:
a Companhia de Commercio e Navegação
do Mucury e a Estrada de Ferro Bahia e
Minas. Um breve estudo da formação do
Vale do Mucuri, Mémoire de Bacharel –
Universidade Federal de Minas Gerais,
2006, 139 p.
• Brunet Roger, Le diamant : un monde en
révolution, Paris, Belin, 2003, 416 p.
176
• Canavésio Rémy, « Croissance
économique des pays émergents et
géographie mondiale des pierres
précieuses », ÉchoGéo [En ligne], n° 17,
URL : http://echogeo.revues.org/12523,
2011.
• Castañeda Cristiane, Addad João Eduardo,
Liccardo Antonio, Gemas de Minas Gerais,
Belo Horizonte, Sociedade Brasileira de
Geologia – Núcleo Minas Gerais, 2001,
286 p.
• Cornejo Carlos, Bartorelli Andrea,
Minerais e pedras preciosas do Brasil, São
Paulo, Solaris Edições Culturais, 2010,
704 p.
• Delaney Patrick, Gemstones of Brazil.
Geology and Occurences, Ouro Preto,
REM, 1996, 125 p.
Cahiers des Amériques latines, n° 77, 2014/3, p. 161-178
ÉTUDES
La filière brésilienne des pierres gemmes « de couleur »
• DNPM – Departamento Nacional de
Produção Mineral, Ametista do Alto
Uruguai : aproveitamento e perspectivas
de desenvolvimento, Brasília, Série
Difusão Tecnológica, n° 6, 1998, 260 p.
• Enders Armelle, Nouvelle histoire du
Brésil, Paris, Chandeigne, 2008, 286 p.
• Epstein David, « The Capoeirana emerald
deposit near Nova Era », Minas Gerais,
Brazil, Gems & Gemology, vol. 25, n° 3,
1989, p. 150-158.
• Ferreira Francisco Ignacio, Diccionario
geographico das minas do Brazil, Rio de
Janeiro, Imprensa Nacional, 1885, 755 p.
• GEA – Gem Export Association/IEL –
Instituto Euvaldo Lodi, Diagnóstico
setorial de lapidações, Teófilo Otoni,
2005, 66 p.
• Machado Gilberto, Topázio Imperial
de Região de Ouro Preto (MG) e seu
Tratamento pela Técnica de Impregnação,
mémoire de master en géologie,
Universidade Federal de Ouro Preto,
2003, 97 p.
• Mauro Frédéric, Le Brésil du xve à la fin
du xviiie siècle, Paris, Société d’édition
d’enseignement supérieur, 1977, 253 p.
• Milanez Bruno, Puppim José Antonio,
« Ambiente, pessoas e labor : APLs
além do desenvolvimento econômico
na mineração de opalas em Pedro II, no
Piauí », Cadernos EBAPE.BR, vol. 7, n° 4,
2009, p. 528-546
• Nadur Angela, A lapidação de gemas
no Panorama brasileiro, mémoire de
master, Instituto de Geociências,
Universidade de São Paulo, 2009, 159 p.
• Pimenta Reinaldo, A casa da mãe Joana:
curiosidades nas origens das palavras,
frases e marcas, Rio de Janeiro, Editora
Campus, 2002, 262 p.
• Rocha Pombo José Francisco da, História
do Brasil, vol. VI, São Paulo, Weiszflog
Irmãos, 1919, 752 p.
• PORMIN – portal de apoio ao pequeno
produtor mineral / ministério de minas e
energia, Lapidação de gemas e diamantes,
Brasilia, 2008, 77 p.
• Proctor Keith, « Gems pegmatites
of Minas Gerais, Brazil: exploration,
occurrence and aquamarine deposits »,
Gems & Gemology, 1984, p. 78-100.
• Reys Aurélien, « Les difficultés de la
filière brésilienne face à la nouvelle
organisation mondiale du négoce des
pierres de couleur », Confins [en ligne]
n° 16, URL : http://confins.revues.
org/7892, 2012.
• Saint-Hilaire Auguste de, Voyage dans le
district des diamants et sur le littoral du
Brésil. Tome Premier, Paris, Librairie –
Gide, 1833 a, 406 p.
• Saint-Hilaire Auguste de, Voyage dans le
district des diamants et sur le littoral du
Brésil. Tome Second, Paris, Librairie –
Gide, 1833 b, 459 p.
• Santiago Sindulfo, Esmeraldas e
diamantes: historias romanticas, epicas
e fantasticas, Rio de Janeiro, Livraria
Editora Cátedra, 1979, 100 p.
• Soares Weber, Da metáfora à substância:
redes sociais, redes migratórias e
migração nacional e internacional em
Valadares e Ipatinga, thèse de doctorat,
UFMG/Cedeplar, Belo Horizonte, 2002,
360 p.
• Soares de Sousa Gabriel, Tratado
Descritivo do Brasil em 1587,
publication de l’œuvre originale avec la
collaboration de Francisco Adolpho de
Varnhagem, Rio de Janeiro, Typographia
Universal de Laemmert, 1851. 519 p.
Données utilisées
• DNPM – Departamento Nacional de
Produção Mineral, Cadastro Mineiro
consulté le 1er février 2013.
• IBGE – Instituto Brasileiro de Geografia e
Estatística, Archives.
• MDIC – Ministério do Desenvolvimento,
Indústria e Comércio exterior, Bases de
données AliceWeb au 31 décembre 2012.
• UNComTrade – Nations unies international
trade statistics database au 31
décembre 2012.
Cahiers des Amériques latines, n° 77, 2014/3, p. 161-178
177
Résumé/Resum0/Abstract
Au Brésil, et ce malgré leur relative
dispersion à travers tout le pays,
l’exploitation des gisements de pierres
gemmes de couleur reste l’apanage de
deux états : ceux du Minas Gerais et du
Rio Grande do Sul. D’autres activités,
telles que la taille des gemmes ou leur
commerce, y ont même pris place en
nombre et ont transformé ces deux
espaces en véritables plateformes de
l’industrie gemmifère nationale. Cette
polarisation de la production n’est
toutefois pas l’unique conséquence
de facteurs de nature géographique
ou économique. Ces activités ayant
émergé et s’étant développées en
des temps antérieurs, lorsque des
environnements différents existaient,
leur naissance et leur évolution sont
aussi le reflet de contextes passés.
Leur bonne appréhension doit donc
en premier lieu être établie au prisme
de la temporalité. En développement
continu depuis le xixe siècle, l’industrie
gemmifère brésilienne serait néanmoins
en proie désormais à de profonds
bouleversements.
No Brasil, as jazidas de pedras de cor
estão relativamente dispersas em todo
o território, porém são exploradas
principalmente em dois estados: Minas
Gerais e Rio Grande do Sul. As outras
atividades diretamente relacionadas
178
ao setor de gemas, como a lapidação e
o comércio, fixaram-se em tais regiões
transformando-as em referências
da indústria de gemas nacional.
Esta polarização de atividades não é
explicada unicamente pela proximidade
de inúmeras jazidas e pela inércia das
leis econômicas, mas também por uma
consequência da sucessão de antigos
contextos onde este tipo de atividade
emergiu e evoluiu. A compreensão
deste processo deve, portanto, ser
abordada primeiramente sob o prisma
da temporalidade. Em desenvolvimento
contínuo desde o século xviii, a indústria
de gemas brasileira estaria atualmente
passando por grandes mudanças.
Despite the widespread dispersion
of coloured gemstone exploitation in
Brazil, two states remain by far the most
important: Minas Gerais and Rio Grande
do Sul. Other activities than mining,
such as the cutting and trading, have
transformed these areas into the main
production centers of the national gem
industry. Polarization of activities is not
due entirely to natural geographic or
economic factors. They evolved in the past
while there were different environments
and therefore their development
reflects these past contexts. Developing
constantly since the xixth century, the
gem exploitation industry in Brazil may
recently experience some profound
changes.
Mots clÉs
Palavras chaves
Keywords
• pierres gemmes
• émeraude
• extraction minière
• géohistoire
• Brésil
• pedras
• gemas
• esmeraldas
• extração mineral
• geohistória
• Brasil
• gemstones
• emerald
• mining extraction
• geohistory
• Brazil
Cahiers des Amériques latines, n° 77, 2014/3, p. 161-178

Documents pareils