Un front pionnier au Brésil (texte format PDF)
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Un front pionnier au Brésil (texte format PDF)
UN FRONT PIONNIER AU BRESIL « Les fazendeiros règnent sur des centaines de milliers d’hectares où paissent d’immenses troupeaux de zébus et de vaches. Les terres ont été gagnées sur la forêt amazonienne, à la sueur d’homme. Paulo en sait quelque chose, lui qui fut recruté dans son Nordeste pour venir défricher [...]. Paulo, à peine quarante ans, Ricardo et Jaime, la trentaine, quittèrent un jour leur famille, sur la folle promesse d’un lointain eldorado : le sud de l’état du Parà où il fallait des bras pour défricher afin de créer des pâtures. Le gato ( le « chat » en jargon brésilien, désigne le sergent recruteur ) arrivé du Parà en autocar tenait table ouverte. Il offrait un salaire de 50 reals ( environ 45 dollars ) par alqueire ( 5 hectares ) défriché: « Il te faudra une semaine pour le faire », précisait-il. Pour ces sans-emploi et ces sans-terre, l’offre parut alléchante. « Entre hommes d’honneur, on accepta de se passer de contrat écrit. ». Le gato proposa spontanément de faire une avance, pour que chacun puisse « remplir sa maison » de victuailles avant le départ, afin que la famille puisse survivre. Puis on prit la route, en camion. Le voyage fut pénible... « [Lorsque] nous arrivâmes à destination, loin de tout village, encerclés par les jaguars, les cobras et les moustiques, le gato nous intima l’ordre de construire notre campement. On fit des abris sur pilotis avec des branchages, on suspendit des hamacs, on creusa des trous pour le four, et on alla se désaltérer dans le rio qui stagnait dans le voisinage. Puis on prit nos machettes et on se mit à défricher, de 4 heures du matin à 10 heures le soir. Des pistoleiros armés encadraient notre campement. » Il fallut se rendre à l’évidence. Ce n’était pas une semaine, mais le triple, qu’il fallait pour défricher un seul alqueire. De plus, le tarif de 50 reals fut d’emblée ramené à 20. Pour manger, on ne pouvait que se fournir à la cantina, tenue par le gato, à des prix dix fois plus élevés qu’en ville. « Quand il faisait les comptes, on se retrouvait débiteur, toujours plus débiteur. Pas un de nous ne touchait quoi que ce soit. Le gato nous rappelait l’avance perdue, les frais de transports, de logement et de nourriture, le prix de nos outils. Le tout au taux d’intérêt de 20% par mois, qui se pratique facilement dans nos campagnes » précise Ricardo. Lui et quelques compagnons refusèrent de travailler dans ces conditions. « Les pistoleiros nous encerclèrent et Fernando Carioca, le fazendeiro, se mit lui-même à nous bourrer de coups ». Alors il fallut bien courber l’échine. « Comment fuir ? Nous étions à des kilomètres de toute présence humaine, dans une région que nous ne connaissions pas, environnés d’une nature hostile. » Extrait de Maîtres et esclaves sur les terres du Brésil par Danielle Rouart, article du journal Le Monde du 25 avril 1998 dans la rubrique Horizons .