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Bibliothèque principale de Verviers
Séance du lundi 2 mai 2011
Babel de Alejandro Gonzalez IÑÁRRITU
IÑÁRRITU, Alejandro Gonzalez. Babel, 1 DVD, 135 min. France : Belga Home, 2006. Disponible à la
Médiathèque locale de Verviers, sous la cote VB0527
Dans une zone reculée du Maroc, deux enfants jouent avec le fusil que leur père vient d’acheter et touchent
malencontreusement une touriste américaine, accompagnée de son mari, dans un bus qui circule en contrebas sur la route.
Amélia, une gouvernante mexicaine qui a la garde de deux enfants à San Diégo, en l’absence de leurs parents, souhaite
pouvoir rentrer au Mexique, assister au mariage de son fils et les emmène avec elle. Au Japon, un cadre commercial tente
de gérer une relation avec son adolescente sourde-muette, mal à l’aise dans sa peau, après la mort de sa femme par
suicide…
A priori, rien ne relie ces personnes, si ce n’est un fil relativement ténu que le spectateur découvre au fur et à mesure de la
projection. Et pourtant, toutes souffrent à des degrés divers de difficultés de communication qui leur compliquent
singulièrement l’existence. C’est là le véritable sujet du film qui se propose d’en illustrer les différentes facettes — ainsi que
le laisse supposer son titre : l’incapacité du père d’Ahmed et Youssef à indiquer clairement les modalités d’utilisation du
fusil, considéré comme un jouet par les enfants ; Richard, le mari de Susan, d’autant plus paniqué par l’accident survenu à
sa femme, qu’il ne sait comment organiser l’évacuation de son épouse avec les moyens dont les Marocains disposent, alors
que leur couple ne sait plus dialoguer et s’effiloche à la suite de la mort d’un enfant ; Yasujiro, fragilisé par le suicide de sa
femme et déboussolé devant le mal-être de Chieko, sa fille adolescente, sourde et muette, avec qui il n’a plus aucun
échange valable. Lorsqu’elles sont prévenues du grave état de Susan, les autorités américaines imaginent tout de suite que
leur ressortissante a été victime d’un attentat terroriste : il est clair pour elles qu’il ne peut en être autrement dans un pays
comme le Maroc. Elles décident dès lors de prendre les choses en mains et d’imposer leur processus d’intervention aux
Arabes. Aussi arrêtent-elles d’autorité l’envoi de l’ambulance par ceux-ci pour venir chercher la victime avec un hélicoptère.
Le réalisateur donne à croire que, pour les Américains, les Marocains ne sont de toute manière pas capables d’imaginer une
solution. Cette façon systématique de mettre leur supériorité en avant est bien sûr tout à fait agaçante. Il est clair qu’avec
leurs moyens, ils ont de quoi faire beaucoup mieux et d’emmener la patiente vers un hôpital plus important. Or, en l’espèce,
reconnaissons tout de même que, si la façon de voir des Américains est irritante, la décision prise bénéficiera à la victime :
tant mieux pour elle, finalement. L’accident connaîtra une issue heureuse. Mais le réalisateur ne s’arrête pas en si bon
chemin. Lorsque Amélia revient du Mexique aux USA et se fait arrêter à la frontière, elle aura beau expliquer qu’elle y habite
depuis des années et a un travail rémunéré, rien n’y fera et elle sera refoulée par les Autorités américaines. Or, aucune
justification de fond n’est avancée : c’est le règne de l’arbitraire, en réalité inacceptable pour un spectateur critique, fût-il
européen, puisque ce type de situation n’est pas inconnu chez nous. Il apparaît donc clairement que si le réalisateur
développe le thème de l’incommunicabilité à travers une mosaïque de trois intrigues parallèles, il aborde également les
sujets connexes auxquels cette incapacité à communiquer donne naissance : la solitude, le pouvoir, la manipulation de
l’information, le racisme… Malgré quelques longueurs, comme le séjour forcé de la victime dans le village marocain par ex.,
Babel est un très beau film « choral », dans la mesure où il se développe comme un canon harmonieux, à l’image de la
communication idéale, que nous gâchons souvent par nos comportements à courte vue…
Sur le thème de :
« Le choc des cultures»...
Voici x ouvrages commentés pour alimenter votre réflexion :
quatre documentaires pour situer le contexte du film, listés du général au spécifique
et deux fictions pour illustrer le thème retenu, signalées par ordre alphabétique.
N’hésitez pas à vous informer dans votre bibliothèque locale.
Bonne lecture à vous !
DJAVANN, Chahdortt. Que pense Allah de l'Europe ? Paris : Gallimard, 2004, 54 p.
Voici un court ouvrage d’une cinquantaine de pages qui constituent avant tout une réflexion
complémentaire de l’auteure relative au port du voile ─ elle a déjà abordé cette question dans un volume
précédent paru chez Gallimard en 2003, sous le titre Bas les voiles !─ , aux polémiques qu’il suscite et au
malaise qu’il induit dans plusieurs nations occidentales. L’exception soi-disant française n’en est donc pas
une pour elle. Mais elle cherche ici à élargir le débat, vraisemblablement à la suite de l’accueil mitigé
réservé à l’opus sorti peu de temps auparavant, par des lecteurs « compassionnels » qui ont voulu soutenir
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les jeunes filles voilées, au nom du droit à la différence, sans percevoir les intentions sur lesquelles cette
revendication s’arrime, parfois même sans que les intéressées en aient elles-mêmes conscience.
L’auteure précise donc qu’il ne s’agit pas d’un témoignage mais d’une analyse, destinée à éclairer et à
informer, non à faire pleurer (p. 12). Elle fait remarquer qu’au départ de la polémique, les femmes
concernées sont venues expliquer que le voile faisait partie de leur culture. A partir d’un certain moment,
ce raisonnement a évolué et l’on a vu ces femmes prétendre que le voile était le fruit d’une démarche
personnelle. Dans ce cas, pourquoi éprouvent-elles « le besoin de s’extérioriser en s’affichant par un
signe aussi ostentatoire que prosélyte » se demande l’auteur (p. 11). Pourquoi, par ailleurs, l’interdiction
du port du voile déclenche-t-il une telle levée de boucliers, ce qui n’est pas le cas de l’interdiction de la
polygamie, poursuit-elle ? (p. 19). Son raisonnement part ainsi de la question du port du voile, pour
montrer ensuite que l’Europe est un véritable laboratoire pour l’islamisme ─ à ne pas confondre avec
l’islam, dont il est l’une des évolutions ─ en raison du morcellement des nations qui fonctionnent avec
leur propre arsenal législatif (p. 24-25), pour insister sur le fait que l’islamisme cherche à substituer la
référence religieuse à la référence nationale, à soumettre la vie politique et sociale à la religion (p. 44).
Dommage toutefois que cette réflexion ne soit pas organisée concrètement d’une manière plus précise :
aucun sommaire, aucune table des matières qui en signalerait les étapes, les paragraphes se succèdent
sans découpage réel et sans sous-titrage, alors que le cheminement intellectuel aurait sans doute eu plus
de poids, si il avait été articulé d’une manière plus précise : l’auteure aurait pu ainsi vider la question de
la référence iranienne, pour généraliser ensuite son propos, alors qu’on la sent parfois gênée par la
mention de son pays d’origine. Ceci dit, elle sait de quoi elle parle, puisqu’elle a porté le voile pendant
une dizaine d’années et rappelle que là-bas, c’était « le voile ou la mort ». Aucun choix, donc, à l’inverse
de ce que les islamistes essaient de nous faire croire, depuis qu’ils ont exporté le voile en Europe. Or, en
France et en Belgique, en tout cas, le principe de la séparation entre l’Église et l’État est acquise et les
laïcs la réclament à corps et à cris, légitimement d’ailleurs, et renvoient la religion à la sphère privée.
N’est-il pas alors curieux de voir certains laïcs, comme Nadia Geerts sur son blog, notamment, http://
nadiageerts.over-blog.com/article-10893778.html ou Radouane Bouhlal, le président du Mrax, s’insurger
contre l’interdiction faite au port du voile dans les écoles notamment. Ne sort-on pas là de la sphère
purement privée ? N’est-il pas également étonnant de voir une personnalité comme Edouard Delruelle,
philosophe et directeur francophone du Centre pour l’égalité des chances, soutenir dans cet article http://
www.ensemblepourlenseignement.be/debat/ne-plus-poser-la-question-pour-ou-contre-le-voile-100034
que le principe de la liberté individuelle doit prévaloir ? Comme si vivre dans le milieu scolaire
ressemblait, au fond, davantage à l’organisation de la sphère privée qu’à l’organisation de la vie sociale,
alors qu’en tant que parents, il semble logique d’attendre que l’école aide les enfants à élaborer des
repères personnels dans un espace relativement protégé et serein et les prépare à la vie en société et à
ses règles... Cette confusion dans les esprits sur la manière dont doit s’appliquer le principe de laïcité
démontre, semble-t-il, à suffisance que la décision est encore trop souvent laissée à l’appréciation
subjective, sous influence…
NASREEN, Taslima et FOUREST, Caroline. Libres de le dire : conversations mécréantes.
Paris : Flammarion, 2010, 304 p.
Cet ouvrage est issu de la rencontre de ces deux athées, farouchement attachées à la liberté d’expression
qui, pour elles, est la seule arme valable contre le danger totalitaire représenté par l’islamisme. Taslima
Nasreen est d’origine indienne mais a dû fuir son pays en raison du danger qu’elle y courait et que le
fanatisme menace d’ailleurs aussi en Occident. Caroline Fourest, Française, enseigne à Science-Po. Elles
échangent ici leurs points de vue de la manière la plus libre possible sur des sujets qui fâchent en
général — le complément du titre de l’ouvrage ne laisse planer aucune ambiguïté. Taslima a vécu
l’intégrisme tandis que Caroline l’a disséqué. Chacune des deux apporte ainsi au débat une coloration
personnelle qui nuance le regard porté sur la religion. Des préoccupations semblables les occupent : la
progression des extrémistes religieux, la vague islamiste qui déferle sur l’Europe, l’indulgence coupable
des politiciens qui y assistent, sans trop réagir, tant ils sont pourris par leur clientélisme et soucieux de
faire des voix. Le lecteur se trouve ainsi en présence d’une espèce de conversation en bâtons rompus.
L’on voit aisément Taslima Nasreen, qui a été en butte à de nombreuses difficultés, rester farouchement
opposée à la religion, alors que Caroline Fourest, plus théoricienne, en la matière, afficher un avis moins
tranché. Aucune haine pourtant dans leurs échanges : elles se bornent à épingler des faits et à décoder
les dangers qu’offrent certaines des situations qu’elles constatent. Toutefois, comme la réflexion ne suit
pas de plan très précis, elle n’analyse pas les situations en profondeur. Malheureusement, cette façon de
survoler certaines questions les amènent à pratiquer des amalgames, qui dérapent en généralisation
hâtive : en p. 39, 40, 47 par ex., elles évoquent notamment la Bible comme une référence monolithique,
alors que l’ouvrage est composé d’apports hétérogènes dont la rédaction s’est échelonnée sur plusieurs
siècles. Elles en donnent dès lors une image extrêmement réductrice, conforme à certains des écrits,
marqués par l’époque de leur production. Sans doute ces raccourcis les poussent-elles alors à se laisser
aller à une forme de dérision à l’égard de l’acte de croire (p. 27, 30, 32, 48,…) ? N’auraient-elles pas été
plus crédibles en pourchassant les faits, sans chercher à les interpréter à l’aide de références dont elles
ne maîtrisent pas parfaitement le contenu et sans se laisser aller à des blagues d’un goût douteux,
comme le font des potaches en mal de passe-temps (p. 50) ? Leur crédibilité en sort pour le moins
entamée, nous semble-t-il. Nous voilà bien loin de la tolérance raisonnée dont Caroline Fourest faisait
preuve lors de la conférence qu’elle a donnée à Liège en février 2011 ! Aurait-elle à ce point évolué
depuis la parution de l’ouvrage ou devons-nous imaginer qu’en présence d’un public, elle adopte une
attitude en conformité avec les attentes qu’elle perçoit chez les organisateurs, sans plus tenir compte
d’une quelconque éthique ? Dommage, car si le dialogue, particulièrement ouvert entre les deux femmes
rend l’ouvrage facile à lire et sans doute plus abordable que beaucoup d’autres sur le même sujet, il ne
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paraît pas présenter un intérêt qui justifie de le recommander, en raison même des positions gratuites et
peu respectueuses des lecteurs potentiels, adoptées par les deux auteurs et vraisemblablement inspirées
par une envie de règlement de compte à l’égard de leur passé.
MAALOUF, Amin. Le dérèglement du monde : quand nos civilisations s'épuisent. Paris :
B. Grasset, 2009, 314 p.
L’auteur constate qu’à l’entrée de ce nouveau siècle, des événements graves se sont produits qui donnent à
penser que le monde connaît un dérèglement majeur dans plusieurs domaines-clés. Et cet adepte des
Lumières avoue son inquiétude, parce qu’il a l’impression d’assister à une régression. Aussi nous propose-til de faire l’état de ses craintes, d’essayer de comprendre comment le monde en est arrivé là, non parce
qu’il boude le moment présent, mais parce qu’il souhaite lancer un cri d’alarme pour amener ses
contemporains à réagir et assurer aux générations futures de pouvoir savourer les fruits de la modernité en
toute quiétude et retrouver cet humanisme qui lui est si cher. Et il recourt alors à la très belle image du
veilleur de nuit chargé de prendre soin du domaine où il réside, pour mieux encore préciser sa position… Sa
réflexion se développe en trois parties : il s’attache d’abord à épingler une série de faits et il montre
comment ils sont ressentis selon l’univers culturel auquel on appartient, lui qui est en mesure de se
réclamer tant de l’occidental, que de l’arabe, dont il dit d’ailleurs qu’il lui fait honte (p. 33). Mais il insiste
aussi sur le fait que si l’Occident a gagné, s’il a pu imposer son modèle, sa victoire même est trompeuse. Il
y consacre toute la première partie pour évoquer ensuite les légitimités égarées — il donne d’ailleurs du
terme une définition très accessible (p. 107) qui ne manquera pas d’être utile à de nombreux formateurs —
pour débusquer le fondement de certains choix (le développement des nationalismes turc et arabe, à partir
de la p. 119, semble perçu avec beaucoup de pertinence). Dans une troisième partie, il s’intéresse aux
certitudes imaginaires et explique qu’il n’y a pas pour lui, dans la crise morale que nous traversons, une
perte des repères, mais bien une obligation d’inventer de nouveaux repères, mieux adaptés au
développement de notre civilisation devenue planétaire, qui vient de connaître pas mal de dérives
contradictoires, en sortant de la difficulté par le haut et d’adopter une échelle de valeurs basée sur le salut
par la culture… L’ouvrage est écrit dans le même esprit que Les identités meurtrières, paru en 1999, et
dont une critique a été présentée sur le site de la Bibliothèque principale, dans le cadre du projet relatif à la
Déclaration des droits de l’homme, à la page 23. Il propose d’ailleurs — ce qui n’est pas son moindre
avantage — une très belle explication géopolitique de la réorganisation intervenue au Proche-Orient, ce qui
l’amène à nous faire toucher du doigt les raisons pour lesquelles le monde occidental et le monde arabe ont
tellement de mal à s’ajuster. Mais l’on sent ici un plus grand pessimisme, sans doute lié aux craintes
importantes que l’écrivain éprouve en face des turbulences que nous connaissons. Résolument positif
toutefois, il espère que nous arriverons à surmonter nos préjugés et nos détestations pour arriver à vivre
ensemble, ce qui procède d’une longue bataille sur nous-mêmes, qu’il convient de toujours remettre en
chantier dès que l’exige le respect de l’Autre et la défense de valeurs universelles, à l’heure où beaucoup
font dire un peu n’importe quoi à la Déclaration des droits de l’homme pour faire triompher leur point de
vue propre. Et il est le premier à éviter tout dogmatisme, il se borne à nous inviter. A nous de saisir cette
opportunité, si lumineusement présentée. L’ouvrage nécessite une lecture attentive pour pouvoir en tirer
parti, c’est sûr, mais la réflexion en vaut la peine, une fois de plus, car l’auteur reste tout à fait accessible
et l’enjeu en vaut la chandelle…
DUITS, Emmanuel Juste. Mode d'emploi de la civilisation planétaire : devenir acteur des
changements ici et maintenant. Lyon : Chronique sociale, 2010. (Comprendre la société
l'essentiel), 127 p.
Parti du constat de ce que nous baignons dans une confusion générale où les grandes grilles univoques de
lecture ont disparu sous le rouleau compresseur de la mondialisation, l’auteur souligne le caractère
inhumain de cette globalisation qui se pratique sous l’influence de grands consortiums, uniquement pétris
de leurs propres intérêts. Il n’est pas sûr du tout, dit-il, que nous assistions au métissage harmonieux des
civilisations et des cultures. L’auteur constate, en effet, que souvent l’angoisse domine dans l’esprit du
citoyen lambda, soumis à une espèce de ramollissement intérieur où tout est devenu relatif. Celui-ci
devient alors soit un consommateur passif, convaincu qu’il ne peut rien faire de décisif, soit se raccroche
tant bien que mal à une identité plus ou moins mythifiée. L’auteur entreprend alors de cerner les enjeux de
la civilisation planétaire : l’autre est chez moi, plus besoin d’aller chez lui. Il expose qu’une crise est née du
décalage entre nos mentalités et nos outils conceptuels qui ont évolué d’une manière ultra-rapide.
Incertitude et imprévisibilité sont devenues notre lot. Duits nous réserve un paragraphe très intéressant
sur le choc des cultures (p. 16-19) qui n’est pas une préoccupation de nature uniquement philosophique,
mais qui explique très facilement la majeure partie des heurts qui surviennent entre l’autochtone et
l’étranger, ne serait-ce qu’à travers la structuration très différente que chaque culture réalise du temps et
de l’espace. Chacun en arrive ainsi à construire sa carte du monde et sa représentation du réel en fonction
des données qu’il possède : le monde commun se délite. Il convient de décloisonner pour créer des
connexions nécessaires. C’est pourquoi, il nous incite à construire la réalité plutôt qu’à l’accepter (p. 27), à
passer du stade de consommateur à celui d’utilisateur conscient. Prenons l’exemple de l’information.
L’auteur nous expose que les grands médias, auxquels nous croyons dur comme fer, sont ce qu’ils sont et
tentent de rendre compte avec plus ou moins de rigueur de l’état du monde. Ce sont en effet les données
explosives qui font l’objet de filtres. Pourtant le citoyen peut très facilement, dit-il, contourner ce blocage à
peu de frais par le net ou les revues dissidentes pour arriver à des informations alternatives. Mais qui y
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recourt ? A nouveau, il nous invite à adopter une attitude active. Dans un dernier cadre de synthèse
(p. 119), il nous propose d’oublier tout relativisme (la paix à bon compte, sans succès) et tout
militantisme (volonté de convaincre inutilement) au profit de ce qu’il appelle la tolérance active qui met
les valeurs en dialogue, au profit de la recherche d’une vérité qui dépasse les clivages pour réhabiliter un
espace de vie commun d’où il sera possible de chercher ensemble des solutions aux grands problèmes
posés à l’humanité. Ce petit ouvrage, bien structuré, viendra aider le lecteur en mal de repères devant le
phénomène déconcertant de la mondialisation, qui souhaite se réapproprier l’espace dans lequel il vit.
L’auteur nous y propose une réflexion claire, intelligente et intelligible ─ le texte est d’une simplicité
confondante ─ qui doit nous aider à élargir notre humanité, seule manière pour l’auteur d’éviter des
conflits qui naîtront inévitablement du choc des cultures...
KWAHULÉ, Koffi. Monsieur Ki : rhapsodie parisienne à sourire pour caresser le temps :
roman. Paris : Gallimard, impr. 2010. (Continents noirs), 145 p.
Le second roman de l’auteur s’ouvre sur une page cocasse, à peine compréhensible, qui ne manque pas
d’intriguer le lecteur. Il s’agit des mots d’une bande magnétique où une voix pâteuse raconte à un certain
Ki, des histoires qui se sont déroulées dans le village de Djimi, connu du narrateur qui a trouvé la bande,
abandonnée sur une table, lors de son arrivée dans la chambre louée. Celui-ci apprend, par la concierge,
que son compatriote s’est suicidé. Le narrateur reprend alors la bande et la réécoute pour essayer de
comprendre la situation, en dépit d’un récit haché, un peu fou. Le complément de titre est d’ailleurs
particulièrement approprié puisqu’il parle de rhapsodie : le narrateur tend, en effet, tant bien que mal à
donner un sens à tous ces morceaux épars qu’il commente au passage. Ses monologues succèdent ainsi
aux extraits qu’il découvre, entre lesquels s’intercalent les interventions d’une concierge qui se plaît à
exposer au narrateur les difficultés que lui vaut son voisin en Ardèche. Qui est Monsieur Ki ? Nous ne le
saurons pas. C’est l’Absent. Peut-être est-il inventé, peut-être même est-ce la dénomination hypothétique
que le premier locataire asthmatique a choisi pour le second, celui dont il imaginait bien qu’il écouterait la
bande avec ses confessions éclatées. Peut-être enfin est-ce le lecteur à qui l’auteur demande de
l’écouter ? Pourquoi pas ? L’écriture n’est cependant pas affectée par cette incertitude et reste claire,
même si la ponctuation quelque peu capricieuse a décidé de s’adapter ici et là à des contextes
particuliers, comme la logorrhée de la concierge, par ex. Ce roman a manifestement un côté farfelu qui
n’est pas sans faire penser à ceux de Alain Mabankou ou de Abdourahman Waberi, mais qui permet au
lecteur occidental de se faire une idée des tours et détours par lesquels un auteur africain peut décider de
mener une intrigue, ce qui lui en apprendra plus qu’il ne peut l’imaginer sur une société bien différente de
la sienne....
TUIL, Karine. Douce France : roman. Paris : B. Grasset, 2007, 174 p.
Arrêtée par erreur dans une rafle-surprise à la sortie d’une grande surface dédiée au bricolage, avec une
trentaine d’ouvriers étrangers clandestins à la recherche d’un travail, une jeune Française qui a perdu ses
papiers dans l’opération, est embarquée dans un centre de rétention, où, finalement intriguée par les
événements, elle s’arrange pour rester… L’héroïne, Claire Funaro, semble plus vraie que nature. Elle a été
embarquée dans une rafle de clandestins à proximité desquels elle se trouvait. Or, comme elle avait perdu
ses papiers dans l’opération de police, elle n’a pu établir sa nationalité française et a été envoyée dans un
centre de détention provisoire avec d’autres immigrés. Son échange avec Yuri Statkevitch, Biélorusse, le
magnétisme que l’homme exerce sur elle, la conscience qu’elle a de vivre une situation exceptionnelle
(p. 18) l’amènent à usurper l’identité d’Ana Vasilescu, la jeune Roumaine qui gardait son grand-père, pour
partager le vécu de ces clandestins, tant elle éprouve la conviction que cette rencontre la mènera à
l’écriture, en raison sans doute de l’écho que cette expérience réserve à sa propre histoire (p. 20). C’est là
que l’ambiguïté entre l’héroïne et l’auteure devient tangible. La page de titre de l’ouvrage porte la
précision « roman ». Or l’auteure y relate l’expérience vécue à la première personne. Mais lorsqu’elle
justifie ce récit « En un sens, il s’agit de mon histoire », où le possessif figure en italiques, s’agit-il juste
de l’expérience vécue par Claire Funaro, ou aussi, au moins partiellement, de celle de l’auteure, résonance
qui expliquerait alors la minutie dans le rendu du ressenti des situations et son épaisseur non négligeable
(p. 21) ? Le lecteur n’est-il pas légitimement en droit de se poser la question ? Karine Tuil recourt ici à
ce qui ressemble à s’y méprendre au procédé de l’immersion. Elle se projette ouvertement dans le récit
pour en augmenter la crédibilité sans doute, mais aussi pour pouvoir y intervenir plus aisément.
Effectivement le lecteur un peu curieux peut établir au moins deux rapprochements significatifs, entre
l’héroïne et l’auteure : elles sont toutes deux juristes et, par ailleurs, l’héroïne parle beaucoup de son
origine juive, problématique pour elle, alors que l’auteure a écrit antérieurement Interdit, un roman relatif
à la crise identitaire d’un vieux Juif. Le roman se poursuit, tout en maintenant l’ambiguïté jusqu’à sa
dernière ligne. En effet, intriguée par la situation des sans-papiers, elle a décidé de rester parmi eux — ce
qui peut faire penser à l’expérience menée par le journaliste allemand Günter Wallraf, relatée sous forme
de récit dans son ouvrage, Tête de turc, brièvement commenté dans le cadre du projet de la Bibliothèque
principale sur les Droits de l’homme en 2008, p. 27, mais la technique est donc fort différente. L’héroïne
aura même tellement « joué avec le feu », qu’elle ne saura plus comment sortir de l’impasse dans laquelle
elle s’est engagée (p. 141)… L’auteure précisera néanmoins son approche dans la postface et dans les
remerciements qui suivent. Mais le recours au procédé créatif offre à Karine Tuil, la possibilité d’évoquer
la problématique de l’immigration clandestine et du choc des cultures qui en découle bien souvent, d’une
manière plus empathique que celle de Günter Wallraf (p. 63-64). Son envie de comprendre l’y
ouvre (p. 24), mais elle évite adroitement le piège du sensationnel. Même la romance de l’héroïne avec
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Yuri est moins gratuite qu’il n’y paraît : elle permettra de donner du relief aux mécanismes de
manipulation — l’auteure n’hésite d’ailleurs pas à utiliser le terme pour qualifier la relation qui s’établit
entre l’avocat de Yuri et le juge (p. 174). Son héroïne en fera les frais, une manière sans doute de
montrer que la situation des clandestins est beaucoup plus nuancée qu’il n’y paraît au premier abord.
Même si l’auteure livre au lecteur un roman, son propos qui rapporte des choix subjectifs, n’en reste pas
moins servi par un sens de l’observation et de l’analyse précieux à cet égard : elle fait certes droit à son
ressenti, mais n’hésite pas à pointer une série d’« anomalies », les contenus de ces questionnements que
nous entendons souvent autour de nous lorsque nous entendons parler d’immigration (p. 74-75). Le
processus romanesque lui permet d’évoquer la question dans une perspective décalée, et qui, de ce fait,
nous interpelle différemment. La tournure parfois ironique des phrases, qui sert l’analyse (p. 19 à propos
de la DDH, p. 68, à propos de la démocratie…), accentue les paradoxes, parfois non sans une certaine
poésie (p. 93), au sens premier du terme. C’est là ce qui contribue à rendre cette œuvre attachante, que
l’on partage ou non l’intérêt de l’auteure pour les situations décrites. Mais il n’en demeure pas moins que,
curieusement, ce choix de Karine Tuil de s’écarter du récit de type journalistique pour lui préférer la
structure romanesque affaiblit sa réflexion qui manque de profondeur : elle reste à la surface des
phénomènes, là où elle devrait poser certaines questions… qui n’arrivent pas, notamment sur les
conditions d’acceptation des immigrés. En effet, le sort réservé aux clandestins n’est guère enviable, mais
les pays européens ne devraient-ils pas d’abord se décider à lutter contre la difficulté à sa source, plutôt
que d’essayer d’en contenir les conséquences avec les difficultés que l’auteure met en évidence ? Ne
conviendrait-il pas de cesser de s’émouvoir pour telle ou telle situation particulière, pour prendre la
question dans son ensemble et définir un cadre précis au sein duquel il est possible pour nos pays
d’accueillir des étrangers, plutôt que d’invoquer les Droits de l’homme, à tout propos et de manière
absolue, quitta à occulter, d’une façon très hypocrite, les conséquences du recours arbitraire à semblable
norme ? Les bons sentiments, les intentions louables n’ont jamais suffi pour construire une société
fondamentalement démocratique. Nos politiques en prennent-ils suffisamment conscience ? Dommage
que Karine Tuil ne nous aide pas à aller jusque là…
Anne-Louise BOUTE
Chef de bureau-Bibliothécaire
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