Dossier pédagogique du spectacle “New York” Le pitch

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Dossier pédagogique du spectacle “New York” Le pitch
Dossier pédagogique du spectacle “New York”
écrit et mis en scène par Dominique Bréda.
Avec Alexandre Crépet, Emmanuel Dekoninck et Alexis Goslain.
Produit par “Les gens de bonne compagnie” asbl.
Contient :
Le Pitch
Portrait de Dominique Bréda
La comédie
La crise de la trentecinquaine
La transmission, le choix, le pardon
La place du père
La gare
Pour un théâtre contemporain, matérialiste et joyeux
Le pitch
Max a trente-cinq ans. L'âge qu'avait André, son père, lorsqu'il a décidé d'en finir avec la vie
en se jetant sous un train. Nous retrouvons Max sur le lieu même où s'est produit cet
événement : une gare aujourd'hui désaffectée. Il est tard, c'est la nuit. Il est seul avec un père
imaginaire qu'il a convoqué pour tenter de comprendre cet acte qui a conditionné toute sa vie.
Malheureusement, les fantômes du passé ne savent rien de plus, du moins en apparence, que
ceux qui les imaginent. C'est précisément ce que le défunt tente de lui expliquer en vain. Max
se repasse donc inlassablement le film du drame quand il fait la connaissance d'un curieux
chef de gare dont la présence incongrue dans ce lieu désolé vient perturber son délire. Au
début, Max le prendra pour un farfelu gentiment dérangé avant de comprendre que
l'inopportun a lui aussi été sollicité par son imaginaire, et qu'il n'est autre que le chef de gare
de son enfance, cette même gare où, accompagnant son père, il prenait fréquemment le train,
non pas pour New York, comme il se plaisait à l'imaginer dans son esprit d'enfant, mais
simplement pour la ville voisine où il se rendait à l'école et son père au travail.
André et le chef de gare, agissant en complices, vont entraîner Max dans une multitude de
situations, convoquant des personnages de son passé ou de son imaginaire comme sa maman,
Mickey Mouse,... ils convoquent également ceux qui ont un jour ou l'autre attendu le train
dans ce lieu (le public).
Portrait de Dominique Bréda par Camille Perotti dans la libre du 11 juin 2010
Dominique Bréda fait mouche à tous les coups.
L‟auteur et metteur en scène d‟“Emma” et “Purgatoire” n‟en finit pas de nous faire rire.
Rencontre avec Dominique Bréda, fin observateur.
Humble et sensible, Dominique Bréda s‟exprime avec douceur et générosité. C‟est un grand
gentil, cet auteur et metteur en scène qui aborde les névroses de la vie avec humour à l‟instar
de “Purgatoire”, à la Samaritaine (“LLB” du 4/06), “Hostiles” ou “le Groupe”. S‟il est tombé
dans la marmite du théâtre un peu par hasard, il avait auparavant touché à tous les arts, la
musique avec la génération grunge, puis le cinéma et la photographie. A l‟IAD, il suit la
filière réalisation et commence à écrire des scénarios. Après s‟être investi dans la
photographie, Julie Duroisin – sa belle-sœur – entre au conservatoire et il lui concocte alors
un texte court, qui deviendra plus tard “Emma” révélant le talent de la jeune comédienne (Prix
jeune espoir féminin 2008-2009). Prenant goût à l‟écriture, il propose des pièces à la jeune
équipe du café-théâtre de la Toison d‟Or dont certaines qu‟il met en scène. Aujourd‟hui, il
continue la photographie mais plutôt tournée vers le théâtre, réalisant des portraits de
comédiens ou des photos de plateau, “quant à la musique, j’en joue toujours pour le plaisir
même si j’ai parfois composé pour le théâtre”. Pour Dominique Bréda, il existe des
connexions entre tous les arts et il a toujours aimé “se frotter à la création”. Par rapport à
l‟écriture, cette “activité solitaire pas très amusante, car il faut tout le temps se battre contre
le vide qui arrive après”, travailler avec les comédiens est pour lui “jubilatoire”. “Le théâtre
est magique, car le spectacle vivant crée des moments uniques”, ajoute-t-il. Face au cinéma, il
préfère le théâtre, pour sa “simplicité”, “de l’écriture à la scène, tout peut aller très vite, sans
contraintes matérielles”.
Avec “City” de Baricco pour livre de chevet, l‟artiste ne fréquente pas beaucoup les théâtres,
il s‟intéresse plutôt à la philosophie et aux sciences humaines. L‟air de rien, Dominique
Bréda, en fin observateur, épingle les absurdités et les névroses quotidiennes avec tendresse et
ironie, “ce sont toujours des sujets qui ne sont pas drôles a priori, mais je trouve qu’il y a
quelque chose de salutaire dans le fait de rire des choses les plus sombres, même de la mort.
Il n’y a rien de morbide chez moi, c’est plutôt par goût de la vie”.
S‟inspirant de ceux qui l‟entourent et des aventures de sa propre vie, Dominique Bréda fait de
“toutes ces petites choses qui nous embêtent” un formidable “terrain de jeux”. “Le bonheur”,
dit-il, “est fait pour être vécu, pas pour être écrit”. Et s‟il choisit le registre de la comédie,
c‟est pour la grande liberté qu‟offre ce registre. “Dans la comédie, on peut écrire tout ce
qu’on veut, d’ailleurs, les histoires sont souvent terribles. Pourtant, grâce à l’humour, c’est
moins agressif pour les spectateurs et on peut aller très loin sans violence. Le fait d’alléger
les choses pour aller vers la gravité fait partie de moi, je ne parviendrais pas à écrire
autrement.”
En évoquant ces côtés sombres, l‟auteur et metteur en scène talentueux saupoudre souvent le
tout d‟un peu d‟absurde. “C’est un procédé intéressant. L’absurdité de la vie dépasse de loin
celle de la fiction. Il y a beaucoup de moments qui nous semblent tout à fait en décalage avec
l’idée de la normalité que l’on se fait. Et puis, c’est un ressort comique. J’aime beaucoup les
Monty Pythons par exemple pour les anachronismes et Pierre Desproges aussi. Cela
m’influence.”
Des petites choses de la vie quotidienne, une dose d‟absurde, beaucoup d‟humour, et bien sûr,
du rythme ! Les pièces de Dominique Bréda ont toutes des structures fragmentées soit il
raconte de multiples histoires, soit plusieurs “épisodes” d‟une même vie. “Cette dernière
structure est très intéressante, car elle permet de mettre en perspective des éléments de la vie
et de porter un éclairage différent.”
La comédie (Dominique Bréda)
Pourquoi une comédie?
La comédie répond à un besoin humain de prendre de la distance par rapport à la souffrance
existentielle. Le rire est la seule liberté, la seule maîtrise qui nous reste lorsque nous ne
sommes plus libres et que nous ne maîtrisons plus rien. De Molière à Patrick Sébastien (si
si...), en passant par Chaplin, Beckett et les Monty Python, sa fonction première consiste à
nous faire oublier que nous allons bientôt mourir.
Or, nous allons bientôt mourir.
J'ai côtoyé la mort de près. Pas la mienne. Celle de ceux qui m'étaient proches. En toute
honnêteté, je n'ai pas adoré la rencontre. Je peux même affirmer aujourd'hui que je suis contre
la mort. Tout comme je suis contre la souffrance. Celle des autres autant que la mienne. Je ne
crois pas plus en la vertu salvatrice de la douleur qu'au pouvoir amincissant de la fondue
savoyarde. Tout ce qui ne nous détruit pas ne nous rend, hélas, pas plus fort. Tout ce qui ne
nous détruit pas ne nous détruit pas, certes, mais ferait mieux de s'abstenir. Les douleurs au
feu et la mort au milieu.
Bien sûr, s'opposer fermement à la mort requiert un certain sens de l'humour et un bon esprit
sportif. C'est ce même humour qui m'a permis de rester debout lors de mes entrevues avec les
ennemis précités. J'ai regardé toute ma vie à travers ce prisme déformant pour mieux
supporter la réalité. C'est donc assez naturellement qu'aujourd'hui, lorsque me vient l'envie de
raconter une histoire, ce point de vue s'impose à moi. Car il ne s'agit de rien d'autre qu'un
point de vue à partir duquel on peut raconter toutes histoire et traiter tous les sujets. La
comédie déforme les images, mais n'en dissimule pas l'essence. Elle peut, au contraire, nous
permettre de mieux regarder le réel bien en face, comme un manteau nous permet d'affronter
la tempête.
La crise de la trentecinquaine (par Dominique Bréda)
“A mi-chemin de notre vie, déja, je me trouvai en une forêt obscure, parce que le droit chemin était perdu.
Qu’elle est difficile à décrire cette forêt sauvage, impénétrable et drue... C’est à peine si la mort me semble plus
amère.” Extrait de l’enfer de Dante
Le point de départ de cette exploration de mon identité, vient du fait que je peine à me faire
une place, à me définir dans l‟age adulte. La concurence de mon adolescence interminable est
trop forte. C‟est vrai, merde. Cet age a tout pour me plaire. L‟adolescent de 1992 n‟est pas, il
devient. Il campe dans le provisoire, dans l‟impermanence, dans l‟inachevé. Il a raison et il ne
le sait même pas encore. Il n‟est pas heureux certe, mais il est mélancolique, et “La
mélancolie c‟est le bonheur d‟être triste”. Il me regarde, il me juge, il me fait honte parfois. Il
est immature, exigeant, naïf et désepéré. Il est jeune et il nous emmerde tous autant que nous
sommes. Il m‟énerve, il m‟encombre, il m‟empêche de jeter mes T-Shirt. Mais de quoi j‟ai
l‟air ?
Une fois entré dans la vie “responsable” il faut faire carrière, élever les enfants, être
performant dans tout les domaines, y compris dans les loisirs, et surtout, être heureux, ou du
moins, le paraître. Si arrivé à cet âge, je ne pense pas avoir atteint ou en passe d‟atteindre mes
projet de vies, je déprime parceque j‟ai échoué. Et si je les atteints, je déprime parceque je
n‟ai plus rien à espérer. Je découvre qu‟être parent et conjoint n‟est ni aisé ni durable. Je
comprend que gagner ma vie ne suffit pas à la combler. L‟age adulte, loin d‟être un
accomplissement a pour moi l‟image d‟une crise : celle du vide intérieur.
J‟ai besoin d‟inventer un nouveau modèle. Mais pour cela je doit découvrir qui je suis, quel
sont mes besoins, tuer fantôme et idoles et retrouver cette puissance d‟exister, sans espoir
certe, mais pleine de vie et de jouissance.
La transmission, Le choix, le pardon
Nous avons un destin tout tracé. Celui que nos parents nous ont creusés. Il suffit de
suivre les sillons et de se laisser glisser sur le temps qui nous mène tranquillement
jusqu'à la mort. Pas besoin de choisir, pas besoin d'être fort, pas besoin de se battre. On
suit le modèle. On pourra espérer au mieux atteindre le niveau de bonheur et
d'épanouissement de nos parents. Mais que faire cependant quand le modèle ne mène
pas à une existence épanouie ? Quand la figure de référence ne mène à aucune
espérance de plaisir et de joie ? On peut soit, par facilitée, renoncer à une existence
heureuse, soit s'affranchir de nos modèles et mobiliser notre énergie pour nous
construire. "Connait toi, toi-même" et "devient ce que tu es".
Montaigne place la différence entre l'homme et l'animal sur la liberté qu'a le premier de ne pas
suivre son instinct. "On a toujours le choix". Certes ce n'est pas facile de se débarrasser de ses
fantômes, de les pardonner, d'accepter des modèles inacceptables. Les fantômes sont
envahissants et l'énergie manque parfois. Mais les regrets et les remords sont inutiles "Le
passé est instable, Max, peut être même plus que l'avenir. Vous devriez essayer le présent
pour voir". Cependant, Max ne fait pas ce choix. Max n'a pas la force. Il finit par pardonner à
son père en suivant son chemin. Après lui avoir reproché d'être égoïste et irresponsable il
choisit d'être aussi égoïste et irresponsable que lui. Il enterre sa morale par épuisement. Max a
fait les mauvais choix. Du coup il a tout perdu. La pulsion de mort triomphe sur la pulsion de
vie.
La place du père (un regard psychologique)
La place paternelle au sein de la société et de sa famille occupe un niveau grandissant. Le père
désire et prend une place active dans l‟éducation de ses enfants. Il devient donc important de
connaître la définition de son image, de sa fonction ainsi que de son rôle, tant au niveau de la
société que de la perception de l‟enfant vis-à-vis son père. Il est source de connaissance et de
conscience du monde qui l „entoure et entre dans le processus d‟identification. Il est
indispensable dans le développement de l‟enfant.
L‟enfant se fera à la fois une image positive et une image négative de son père, laquelle
diminuera en relation avec la participation de celui-ci aux soins de son enfant. L‟enfant fait
face à un triangle incluant le père, la mère et lui-même. Le père aide à faire évoluer et
résoudre le complexe d‟œdipe. Pour le garçon, il représente à la fois la puissance mais aussi
un rival et un interdicteur. La jeune fille s‟identifie à lui par l‟intermédiaire de la mère en tant
qu‟épouse ou conjointe, dont elle voudrait bien prendre la place. Cela se fait donc de façon
indirecte. Vers six ans, l‟enfant, peut importe le sexe, a une fascination pour son père. Puis, à
la latence, il s‟en détache et s‟ouvre vers l‟extérieure. Il sait que son père n‟est pas parfait, et
en prend conscience.
Selon les travaux de Muldworf et de Widlöcher, psychologues, il existe deux fonctions
paternelles soit; indirecte et directe. La première est en lien avec le développement
psychoaffectif de l‟enfant, mais aussi avec les rapports qu‟entretient la mère envers le père.
Comme le père doit soutenir son épouse dans l‟accomplissement de ses tâches, il représente la
sécurité et l‟équilibre du couple. Ceux-ci sont nécessaires au bon développement
psychoaffectif de l‟enfant. L‟enfant se fait sa propre image de son père mais il s‟en construit
aussi une au travers de l‟image que la mère se fait du père.
La fonction directe défini le père spécifiquement comme tiers séparateur dans la relation
mère-enfant. Cela implique qu‟il doit maintenir une certaine distance entre eux pour
contribuer à l‟autonomie de son enfant. Le père est aussi détenteur de l‟autorité et porteur
d‟interdit. C'est dans la problématique œdipienne que cette notion s‟installe en interdisant la
possession exclusive de la mère. L‟enfant se fera donc l‟image d‟un père auquel il attribue les
interdits, les obligations, les ordres… L‟autorité doit donc se manifester de façon positive.
Plus la relation de couple sera stable, plus l‟autorité paternelle sera forte.
Il demeure donc évident que la fonction paternelle demeure essentielle au bon développement
de la personnalité de l‟enfant et a une grande incidence sur celui-ci. Le père contribue au
développement affectif équilibré en permettant une certaine confiance en soi, de l‟autonomie
et de l‟indépendance. L‟enfant, par la fonction paternelle, établira la constitution d‟un surmoi
stable.
La gare
« Faut-il réagir contre la paresse des voies ferrées entre deux passages de trains ? »
Marcel Duchamp
J‟ai choisi de situer l‟action dans une gare désaffectée pour la puissance symbolique et
poétique que ce lieu véhicule. La métaphore de la gare convient parfaitement à cet espace du
questionnement identitaire au plus profond de notre cerveau. La symbolique de la gare, lieu
d‟arrivée et de départ, s‟inscrit dans celle du voyage. C'est le lieu du changement de notre
trajectoire pour une période de vie donnée. Pour Jung, le train est le symbole du changement.
Le quai est souvent celui des au revoir, des valises et des mouchoirs imbibés de larmes. Le
démarrage du train est difficile comme s'il avait du mal à se détacher des derniers regards.
Mais il finit par s'élancer et lorsqu'il traverse les campagnes, plus rien n'arrête sa formidable
marche en avant. Les pleurs disparaissent pour laisser place à la joie de la découverte; dans
l'esprit du voyageur, la destination remplace progressivement le point de départ. Comme le
suggère Jung, la symbolique du voyage en train est celle de la rupture du cordon ombilical,
même si Freud préfère y voir la représentation d'un phallus pénétrant les tunnels obscurs
(Mais on connait les obsessions de Freud...). Les trains partent et arrivent à l'heure (en
principe), et leurs arrêts sont déterminés à l'avance. Ainsi, à la différence des déplacements à
bicyclette ou en voiture, lorsque nous voyageons par ce mode de transport collectif nous
parcourons un trajet de vie dont la conduite nous échappe en partie. Très fréquents, les rêves
de trains manqués figurent des occasions ratées.
Pour un théâtre contemporain, matérialiste et joyeux.
(Par Emmanuel Dekoninck)
“New York” tout comme “L‟écume des jours” avant lui, s‟inscrit dans la ligne théâtrale de la
compagnie “Les gens de bonne compagnie”. Le spectacle se définit comme du théâtre
contemporain naratif. Ces quelques pages qui suivent propose notre regard sur le théâtre
contemporain.
Le fond et la forme
Sortons du nihilisme ambiant, du moins sur le terrain esthétique. Rematérialisons le réel. Seul
le réel existe et lui seul compte. Ils n‟existe pas d‟arrière mondes, la réalité se réduit à la
matérialité. L‟homme est la mesure de toute chose. Ce ne sont pas les idées intelligibles qui
fournissent le modèle c‟est la nature sensible. L‟ironie, la subvertion, la provocation,
l‟humour activent la meilleure des méthodes. Le corps païen, sans Dieu ni Maître, reste le seul
bien dont nous disposions. Ce qu‟en une formule on peut aussi ainsi saisir : La vie est une fête
et vive l‟ici bas. La fiction idéale n‟est pas une vérité. Et le fantasque univers conceptuel dans
le lequel certain se réfugient n‟est que néant.
L‟artefact n‟est pas une fin en soi, il dit autre chose de plus que lui. Il fait sens, quand, en
amont, l‟initiation a eu lieu, que les codes ont été donnés et les moyens de comprendre offerts
à celui qui se propose un parcours esthétique. Le grand public affirmant souvent devant un
signe de l‟art contemporain : “anecdote, futilité, non-sens, sottise”... Ils ignorent la lune et
regardent le doigt. Mais comment la regarder si personne n‟a dit que c‟était le sujet.
La forme porte, soutient, révèle le fond... S‟il existe. Sans fond la forme est informe. C‟est la
forme qui offre l‟occasion du fond. La valeur reconquise du sens suppose les deux instances
réunifiées : Une configuration, un configuré.
Le formalisme conceptuel compte pour beaucoup dans la responsabilité de ce désamour du
public pour l‟art contemporain. La religion de la pure combinatoire a généré des dévots, un
clergé, une caste, une secte, au détriment du plus grand nombre. Le nihilisme jouit dans cette
vénération de la carcasse.
La valeur d‟une oeuvre se mesure à la somme des échanges intellectuels, éthiques, politiques,
philosophiques, métaphisiques et esthétiques bien sûr, générés. Repolitiser l‟art (non pas avec
un art poltique au sens militant du terme) suppose l‟injection d‟un contenu à même de générer
une rencontre.
Bien souvent quand on invoque l‟indicible, l‟ineffable et l‟intransmissible, c‟est qu‟il n‟y a
rien à transmettre.
Pour une rematérialisation du réel.
Le mouvement vers le néant ne me convient pas, celui qui nous en éloigne en réactivant les
vieilles valeurs non plus. Quoi Alors ? Le goût du réel et de la matière du monde, l‟envie
immanente d‟ici-bas, la carnation de la substance. Ni l‟ange, ni la bête. L‟homme, l‟individu,
l‟indivisible identité sans double. Après les grand discours, après la fin des grand discours,
l‟au-delà de la fin des grands discours. La victoire de la pulsion de vie sur la pulsion de mort.
2 en 1 ou la chose et sa représentation
« Ceci n‟est pas une pipe » mais une toile de tissu avec un peu de peinture dessus. « Ceci
n‟est pas une pipe » mais l‟assemblage des lettres formant le mot “pipe”, une feuille de papier
avec un peu d‟encre dessus, comme ces quelques feuilles que vous tenez en main.
Au théâtre : « Ceci est une pipe ». Au théâtre la chose est à la fois l‟objet, bien réel, et sa
représentation. Cette notion est fondamentale. Le théâtre est le lieu où le réel et l‟imaginaire
ne font qu‟un. Où ils s‟unissent en un objet pour faire sens. Où un homme en chair et en os
fusionne avec l‟idée de l‟homme, le symbole de l‟homme en une unité indissociable. Hamlet
n‟existe que s‟il est incarné. Hamlet n‟est rien d‟autre que la chair et le cœur de l‟acteur qui le
joue. L‟acteur ne doit pas avoir peur d‟Hamlet puisque Hamlet c‟est lui. Une fois cette
question résolue il n‟est plus question alors que de vie.
L‟imagination Vraie.
« Une oeuvre d'art n'est supérieure que si elle est, en même temps, un symbole et l'expression exacte d'une
réalité.» Guy de Maupassant
“Prove true, imagination, O prove tru” (Viola dans la Nuit des rois de Shakespeare)
Soit vraie, mon imagination. Fais que mon rêve ne soit pas un mensonge. Je n‟ai que faire des
mondes parallèles. Seule compte l‟imaginaire palpable que, faute de mieux, on appelle réalité.
Là où la raison recherche des causes, l‟imaginaire recherche des équivalents.
L‟imagination offre des mots aux couleurs et du sens aux parfums.
C‟est par l‟imagination que la nature imite l‟art, que le futur imite la science fiction, que les
pianos élaborent des cocktails et qu‟une petite souris prend, soudain, le visage d‟une allégorie.
L‟imagination ne trahit la représentation que pour en dévoiler la saveur. L‟imagination n‟a
pas pour fonction de photocopier le monde, mais de l‟exprimer. Elle est fidèle sans être
identique, elle remplace les vérités cachées par les réalités révélées. Sans l‟imagination la
campagne en été ne serait pas “noire de soleil” (Camus). Une fiction raconte mieux le monde
que la juste et pâle retranscription des faits. “Les réalistes de l‟avenir devront de plus en plus
mentir pour dire vrai” Aragon.
La grâce de la rencontre.
Je suis athée et mon église est le théâtre. La communion existe je l‟ai expérimentée. La grâce
qui en émerge ne vient pas de monde parallèles ni d‟un Dieu quelconque. Elle est immanente
à cette rencontre entre humains. Au théâtre, le réel devient imaginaire pour mieux comprendre
le réel. L‟événement, n‟est pas tant la représentation scénique que la vie qui émerge de la
rencontre humaine durant le temps de cette représentation. Une communion à l‟intérieure de
laquelle la parole prend toute sa dimension dans la réalité de l‟instant. Dans cette perspective
le spectateur n‟est pas un voyeur, mais un acteur à part entière.
La puissance du théâtre et sa grandeur tiennent dans le fait que le sens de la parole défendue a
bien plus d‟impact au sein de la rencontre humaine que dans le sens formel de cette parole
même.
« Raconter un histoire » la seule structure nécessaire :
Depuis que le théâtre existe il raconte des histoires. Partant des grecs en passant par
Shakespeare, Tchekhov, Brecht, Barker, Marceau, Pina Bausch, la narration a toujours porté
la parole de ses auteurs. Pourquoi ? Parce que la maîtrise de l‟art de la construction
scénaristique est une condition sine qua non pour emmener le spectateur, l‟émouvoir, le
rencontrer et partager une parole avec lui. La théorie de la narration est pour un auteur ou un
metteur en scène le meilleur outil pour partager sa parole. Le travail sur la forme pure est
intéressant en laboratoire, il permet de découvrir, d‟explorer. Mais cette forme ne peut se
contenter d‟elle même. Dans un théâtre défini par la rencontre, la forme pure n‟a sa place
qu‟en salle de répétition. Un certain théâtre qui se revendique « contemporain » rejette ce
principe de narration qui selon lui l‟enferme dans une forme classique et une construction
facile. Le hic c‟est que ce rejet (ou devrais-je dire cette ignorance) a pour unique conséquence
que ce théâtre « pointu » ne rencontre pas son public. La parole (si elle existe) n‟est donc pas
partagée. Ce théâtre devient alors un théâtre dit « élitiste », l‟élite étant ici des spectateurs qui
soit aiment à s‟ennuyer, soit se contentent de la forme. L‟idée même d‟un théâtre élitiste est
une insulte à l‟intelligence de tout un chacun. De plus, l‟art de raconter des histoires, loin
d‟une facilité d‟apparence, est complexe. Il peut revêtir une multitude de forme. Il n‟y a pas
une seule et unique structure dramatique. La créativité est sans limites et les combinaisons
innombrables. La connaissance de la théorie dramaturgique est une compétence aussi
nécessaire au dramaturge que l‟est la maîtrise de la technique du maniement du ciseau à bois
pour un ébéniste. Il ne suffit pas de savoir parler pour être capable d‟écrire correctement des
histoires. La narration est une technique de base à l‟intérieur de laquelle toute parole peut
s‟exprimer sans limite. J‟entend par « parole » : le propos, l‟émotion, le fond, la « chose » à
partager. Les moyens pour partager cette parole ne se résument pas à des mots, loin s‟en faut.
L‟image, la musique, la chorégraphie ont une place équivalente dans la construction du
scénario. Pas besoin de texte pour raconter une histoire avec un héros, un protagoniste, un
objectif et des embuches. On peut raconter tant de choses dans une mélodie ou dans un
mouvement. Je me revendique du théâtre contemporain. Le théâtre que je défends parle du
monde dans lequel je vis, ses références esthétiques sont contemporaines, sa parole est
politique et ancrée dans la vie, il utilise tous les médias vivants, le mouvement, la
chorégraphiques, la musique. Et grâce à la narration, cerise sur le gâteau, il est lisible et la
rencontre et la grâce peuvent en émerger.

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