Interview de Romain Dumas après sa victoire aux 24 Heures du

Transcription

Interview de Romain Dumas après sa victoire aux 24 Heures du
 24 Heures du Mans 2010
Une 10ème participation.
Une victoire. Un nouveau record.
Du début de la semaine jusqu’aux premières heures de course, il faut bien avouer que cette
épreuve ne se présentait pas dans les meilleures conditions pour Audi. La victoire vous a-t-elle
quand même paru être un objectif réaliste cette semaine ?
« C’était mal engagé en effet, mais j’ai toujours eu le sentiment qu’il allait se passer quelque chose. Je
ne dis pas que je pensais que nous allions gagner mais j’étais sûr que la course allait être animée. Je
pensais que Peugeot était dans la même position que nous étions aux 24 Heures du Nürburgring, il y a
quinze jours. Ils étaient tellement dominateurs que je me suis dit qu’ils allaient se prendre les pieds dans
le tapis entre eux. Pas mal de personnes, y compris chez Peugeot m’ont dit que leur rythme était très,
très élevé… Peut-être trop élevé justement ? Je trouvais ça bizarre que ce sentiment revienne sans cesse
dans l’esprit des gens. L’an dernier, ils étaient plus rapides que nous de 10 km/h en ligne droite et là, ils
avaient encore progressé de 7 km/h…alors qu’Audi avait travaillé tout l’hiver pour réduire justement
cette différence de vitesse de pointe… Je trouvais ça vraiment bizarre ! Du pesage jusqu’aux premiers
essais, je pensais qu’on avait une petite chance, mais après les premiers essais mercredi soir, là, j’avoue
que nous étions tous très dubitatifs. Les Peugeot étaient encore trop rapides en ligne droite par rapport
à nous. Le jeudi, la tendance s’est de nouveau inversée puisque nous avons beaucoup progressé (j’ai fait
3’22.4 avec de vieux pneus) en même temps que les Peugeot perdaient en rapidité… Là, je me suis
demandé si Peugeot n’avait pas fait un peu d’intox lors de la séance du mercredi. »
L’optimisme est précisément revenu à ce moment-là ?
« Optimisme, non. La confiance oui. J’avais un très bon feeling avec la voiture. Certes, elle n’était pas
aussi rapide que la Peugeot mais elle n’a pas de défaut majeur et en plus, elle est extrêmement facile à
piloter. Tout l’inverse de l’an dernier en fait ! J’étais bien conscient que la course allait partir très vite.
Peugeot avait beaucoup plus de chance de stresser les Audi que l’inverse et c’était bien là leur chance.
Je me suis dit que les Peugeot allaient se bagarrer entre elles. Dans le premier tour, nous étions aussi
rapides qu’elles, je n’ai pas trouvé ça très normal. Mais dès le deuxième tour, ils ont mis le turbo et ont
nous ont petit à petit distancés. A partir de là, les Peugeot ont commencé à se doubler, mais sans la
moindre gêne. Comme s’ils faisaient « joujou »
avec nous. A ce moment-là, je me suis
dit qu’on était vraiment dans la m….. ! »
Sauf que les choses se sont petit à petit
gâtées pour Peugeot… tandis que vous
tourniez comme des horloges…
« On ne pouvait pas aller bien plus vite que le
rythme auquel nous roulions. On ne gérait
aucunement. On utilisait juste ce que l’Audi
pouvait nous donner, mais elle nous donnait
simplement moins que la Peugeot. Peugeot
d’ailleurs pouvait même se permettre d’avoir
de petits problèmes car les 908 pouvaient quand même revenir. Notre seule chance était de faire zéro
erreur. Pas le moindre contact avec les autres voitures, ne pas toucher aux vibreurs très agressifs de ce
circuit… car nous savions que si nous devions changer un élément de carrosserie comme un splitter,
nous perdions définitivement toutes nos chances. »
Lorsque la première Peugeot (#3) a abandonné, cela a-t-il agi concrètement sur votre mental ?
« En fait, à ce moment-là, je partais me reposer, je sortais d’un relais. J’ai croisé Philippe Séclier, le
rédacteur en Chef d’Auto Hebdo. Je me souviens de lui avoir dit, « tiens et si ce problème d’amortisseur
était contagieux sur les Peugeot ? ». Les Peugeot roulaient trop vite, trop agressivement… Je ne doutais
pas à ce moment-là que l’épidémie proviendrait en fait de problèmes moteur. »
Votre prestation avec Timo et Mike a été parfaite. Comment s’est-elle organisée par rapport à
celle des autres équipages Audi ?
« Nous étions un peu entre le marteau et l’enclume. Si nous allions trop doucement, les Peugeot s’en
allaient et la Peugeot #1 nous rattrapait. Et si au contraire nous roulions trop vite, nous prenions le
risque de commettre la faute ou de tout casser. Le matin, quand je suis parti. J’ai gardé sous contrôle
l’Audi #8 mais nous n’avions aucune marge. Il fallait quand même attaquer pour garder l’avance ! »
Au matin, lorsque Loterrer a heurté le mur lorsqu’il attaquait pour remonter sur votre voiture
tout en cherchant aussi à résister au retour de la Peugeot #1, on aurait pu s’attendre à voir
apparaître des consignes d’équipe chez Audi. Qu’en a-t-il été exactement ?
« Quand je suis monté dans la voiture, la consigne a été très claire : on ne devait pas perdre plus de
trois secondes au tour sur la Peugeot. Si la Peugeot #1 roulait en 3’22, nous allions devoir rouler en 3’25
et surtout pas moins. Quand j’ai vu qu’ils commençaient à rouler en 3’19, j’ai donc compris qu’il allait
falloir rouler en 3’22, soit notre temps de qualif… La situation devenait compliquée car nous prenions de
gros risques et ça devenait très tendu, mais nous n’avions pas le choix. La Peugeot a tenu à ce moment
là une moyenne au tour de 3’22 sur son relais ! C’est énorme. »
Ce rythme incroyable n’est-il finalement pas la cause de leur déroute ?
« Au Mans comme dans toute course d’endurance, forcer le rythme n’est jamais bon pour la mécanique.
Restait à savoir à partir de quel rythme la Peugeot se mettait en danger. On en a probablement eu la
réponse à moins qu’il se soit agi de défauts de fabrication dans certaines pièces chez Peugeot ! »
Fiabilité des Peugeot mise à part, on peut considérer que votre victoire a été construite sur un
parcours impeccable de vos équipiers et vous…
« Encore une fois, nous n’avons pas commis la moindre faute et fait attention à tout. La stratégie d’Audi
a été parfaite avec nos triples et parfois quadruples relais. Nous avons tenu le rythme à chaque fois le
plus adapté par rapport à la situation. Et puis nous nous sommes arrêtés 34 fois aux stands et il n’y a
jamais eu le moindre contre temps. L’équipe a fait un travail impeccable du début à la fin. »
Quel aura finalement été le moment le plus critique de cette course ?
« C’est sûr qu’au bout de la première heure, nous n’en menions pas large… d’autant que le Safety Car
venait de nous faire perdre un demi tour ! Il fallait tout faire pour résister aux Audi, mais c’était
impossible. Leur pression était trop élevée et tous les indicateurs laissaient à penser que la victoire ne
pouvait échapper à Peugeot. En plus ils avaient
quatre voitures contre trois pour nous. On
savait simplement que nous étions la première
des Audi derrière les Peugeot et que, par
conséquent, nous serions les premiers à
profiter des éventuels problèmes des
Peugeot. »
Quand l’opportunité de terminer sur le
podium a commencé à se profiler, votre
état d’esprit a-t-il changé ?
« Encore une fois, aussi étonnant que celui
puisse paraître, j’y ai toujours cru. Surtout quand nous nous sommes retrouvés pour la première fois
dans les trois premiers. C’était un peu comme à Sebring il y a deux ans : nous n’étions pas les favoris car
nous n’étions pas les plus rapides et nous avions peut être un peu moins de pression. »
Le sommeil n’a pas dû être facile à trouver…
« Curieusement, si. Quand vous roulez avec des pilotes professionnels comme Timo ou Mike, que vous
savez qu’ils agiront très sérieusement en piste, vous êtes serein et vous n’avez pas de mal à vous
endormir. En revanche, à partir de 11h00, quand je suis descendu de la voiture pour la dernière fois, là,
c’est devenu horrible. Car je ne tenais plus en place et il n’était plus question de dormir. Quand on est
au volant et que l’on maîtrise les choses, c’est vraiment différent que de regarder la course du bord de
la piste. On avait un tour et demi d’avance sur la Peugeot, une minute trente sur l’Audi #8… là, c’était
vraiment stressant. Mais Mike et Timo ont parfaitement géré les dernières heures. »
Une fois que la dernière Peugeot a disparu, le Dr Ullrich a-t-il décidé de geler les positions ?
« Oui, le résultat qui se profilait était tellement incroyable qu’il n’était plus question de prendre le
moindre risque, mais j’avoue que je n’ai pas vraiment suivi ces dernières heures de course. Je suis
retourné dans ma chambre et me suis glissé sous ma couette non pas pour dormir mais m’isoler. Je ne
voulais pas être au bord de la piste de peur d’entendre le moindre bruit suspect sur la voiture ! »
A quel moment avez-vous commencé à croire à la victoire ?
« Lorsque j’ai rendu le volant justement. Je sortais d’un quadruple relais et j’étais très content de le
rendre. On n’avait pas perdu de terrain et on ne pouvait pas en gagner. Mais nous n’étions plus qu’à
quatre heures du damier ! »
L’Audi R15 Plus était-elle si différente que la voiture de l’an passé ?
« Totalement. Je ne rentrerai pas dans les détails mais c’était une autre voiture de mon point de vue. Elle
était fiable, performante et surtout infiniment plus confortable à piloter que l’an dernier. Rien à voir avec
l’an dernier pour résumer. Quand une voiture vous convient sur quatre relais d’affilée, c’est quand
même un très gros avantage ! Tout le travail d’Audi depuis les 24 Heures du Mans 2009 a permis d’en
arriver là. Ils ont construit une voiture pour gagner Le Mans, comme ils avaient su le faire avec la R8 et la
R10. »
Y’a-t-il quand même eu un moment critique tout au long de cette course ?
« Non, pas le moindre ! Si je devais en trouver un seul, ce serait au début du premier relais. J’ai mis des
chaussures neuves et je ne les avais jamais essayées. Je me suis immédiatement rendu compte qu’elles
étaient trop grandes d’une taille ! Du coup, je touchais la pédale d’accélérateur à chaque freinage
pendant tout mon relais, ce qui m’a causé quelques chaleurs ! Mais à part ça, ça a été parfaitement
limpide. »
La symbiose avec tes équipiers a elle aussi
été parfaite ?
« Parfaite, oui, c’est le terme. Pendant la
semaine, je devais passer les pneus qualifs
mais comme il a plu, c’est finalement Mike qui
les a passés. Je sais que dans certaines
équipes, cela aurait posé un problème entre
les pilotes, mais là, non. Nous avons tous les
trois travaillé dans le même sens et l’ambiance
est restée très décontractée et saine jusqu’à
l’arrivée. Pour l’anecdote, dès le pesage, nous
étions tous les trois persuadés qu’il allait se
passer quelque chose pendant la course. Aux vérifications techniques, on nous a posé un autocollant
vert sur le casque pour attester de sa conformité. Moi qui n’aime pas le vert, ça démarrait mal. Mais
Timo est venu me voir et m’a dit, tu vois, le vert t’as porté chance avec Pescarolo quand tu as fini sur le
podium avec eux, c’est un signe ! Il ne croyait pas si bien dire ! »
Et avec l’équipe Audi ?
« Toute l’équipe du Docteur Ullrich a gardé une grande confiance pendant la semaine. Le mercredi soir,
ça n’était pas la joie, mais personne n’a jamais baissé les bras. Tout le monde est resté totalement soudé
et a continué de faire son travail à la perfection. »
A 15h00, quand Timo a passé la ligne d’arrivée, qu’est-ce qui vous est passé par la tête ?
« J’avais surtout le sentiment d’avoir bien fait mon travail, d’avoir respecté ce que l’on m’avait demandé
de faire et aussi d’avoir saisi l’énorme chance qui s’offrait à nous. C’est aussi une fierté d’offrir cette
victoire à tous ceux qui ont cru en moi depuis ma première course en karting et qui m’ont aidé. »
Le fait de courir pour une autre marque que celle qui vous fait confiance depuis 2003 vous
procure-t-il un sentiment particulier ?
« Oui, forcément car depuis sept ans que je porte les couleurs de Porsche, je suis vraiment attaché à
cette marque. Mais en définitive, il y a du Porsche dans cette victoire…et pas seulement sur ma
combinaison ! On sait que les deux marques sont liées. Il faut aussi rappeler que c’est ma première
participation en 2001 sur une Porsche qui m’a révélé auprès de ce constructeur. Je tiens à remercier
Porsche de m’avoir permis de conduire une Audi ces deux dernières années. »
Dix ans après votre première participation
au Mans, votre carrière prend une nouvelle
dimension…
« C’est sûr que Le Mans et moi, c’est un
rapport très spécial. J’ai démarré ma carrière
ici en remportant le volant ACO. Puis lorsque
j’ai disputé mes premières 24 Heures en 2001,
ça a déclenché plein de choses ensuite… dont
une formidable carrière chez Porsche, avec
notamment deux titres en ALMS, une victoire
aux 12 Heures de Sebring, trois victoires aux
24 Heures du Nürburgring, une victoire au
général aux 24 Heures de Spa-Francorchamps… Tout cela est lié au Mans en fait ! Là, on touche
l’apothéose. Avec la Formule 1 et Indianapolis, c’est ce qu’il y a de mieux en matière de course
automobile. C’est un sentiment très fort, surtout quand je me souviens comment certaines années ont
été difficiles au début de ma carrière. »
Comment avez-vous célébré ça après l’arrivée ?
« Les sollicitations n’ont pas manqué je dois dire. J’ai eu la chance d’avoir mes parents avec moi lorsque
le damier a été baissé. C’était un instant unique. Ensuite, nous avons bien sûr fait la fête avec toute
l’équipe de 17h00 jusqu’à 11h00 du soir. Et puis le téléphone n’a pas arrêté de crépiter. Des centaines
de textos et d’e-mails… Les messages de félicitations n’ont pas manqué. Hartmut Kristen, Roger
Penske… Manu Collard m’a même envoyé des textos pendant la course pour me dire qu’il allumerait
des cierges pour moi d’ici l’arrivée ! Dimanche soir, j’étais quand même très fatigué et j’ai eu beaucoup
de mal à réaliser ce qui venait de m’arriver. »
Considérez-vous cette victoire comme la plus belle ?
« La plus belle, je ne sais pas. La plus grande certainement. Dans mon esprit, la plus forte a été celle
obtenue aux 12 Heures de Sebring en 2008. Nous étions en LM P2 avec la Porsche RS Spyder tandis que
nous avions face à nous en LM P1 Acura, Peugeot, Audi… Et puis j’avais le genou cassé et je ne devais
même pas faire cette course ! Au final c’est moi qui ait roulé le plus ! La course a été si difficile là-bas…
Quelque part, il y a ce point commun avec la victoire du Mans où il y a au départ une micro-chance de
l’emporter qui vous incite à vous battre jusqu’au bout. »
Vous avez également fixé un nouveau record, celui de la distance parcourue avec plus de 5
4410
km parcourus, à la moyenne vertigineuse de 225,2 km/h. Le précédent record datait de 1971 !
Vous n’étiez même pas né. Avez-vous conscience que vous venez de tourner une grande page de
l’histoire des 24 Heures du Mans ?
« C’est un extraordinaire bonus à notre victoire. A aucun moment nous nous sommes focalisés sur cette
statistique je l’avoue, mais savoir que nous venons de briser un record qui datait de 40 ans, ce n’est tout
de même pas rien. C’est un magnifique hommage à la performance de l’Audi R15 Plus : cela signifie tout
simplement que sa rapidité et son incroyable fiabilité font d’elle la voiture de référence dans l’histoire
de l’épreuve à ce jour. Les records sont faits pour être battus mais j’espère que nous en resterons
propriétaires aussi longtemps quenos prédécesseurs ! »
© Photos : Audi Sport 

Documents pareils