Agir par devoir, est-ce agir contre son intérêt ?

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Agir par devoir, est-ce agir contre son intérêt ?
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Introduction
Dans le Criton de Platon, on assiste aux dernières heures de Socrate qui
vient de se faire injustement condamner à mort. Ses amis lui proposent de
s’enfuir de sa prison. Socrate refuse car sa conception de la justice lui
interdit de désobéir aux lois. Peut-on dire alors qu’agir par devoir, c’est agir
contre son intérêt ?
En un sens le devoir, qui énonce des principes sociaux, voire universels, me
dicte une action à faire qui peut être contraignante et s’opposer ainsi à mes
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intérêts, qui sont bien souvent en contradiction avec ceux d’autrui. Cependant, être vertueux peut permettre aussi de trouver une forme d’harmonie
avec les autres et avec soi-même. Faire son devoir, en ce sens, n’est-il pas
une condition du bonheur ?
Mais vouloir mesurer l’action morale par rapport à l’intérêt personnel n’estce pas oublier qu’agir « par devoir » c’est agir de manière « désintéressée »,
c’est-à-dire de manière indifférente à son bonheur ?
1. Pour répondre à son intérêt, il vaut mieux désobéir
à la morale
A. Les situations d’impunité révèlent où se trouve l’intérêt de l’homme
Dans le livre II de la République de Platon, Glaucon raconte l’histoire du
berger Gyges qui s’est toujours bien comporté moralement, mais qui un jour
découvre un anneau magique lui permettant de devenir invisible. Il se sert
alors de ce pouvoir pour séduire la reine puis tuer et prendre la place du roi.
Ce récit montre que si l’homme fait son devoir ce n’est pas par intérêt, mais
par peur des lois. Par contre, dès que c’est possible, dès que l’impunité est
assurée l’homme préfère désobéir à son devoir, qu’il soit dicté par les règles
sociales ou des principes moraux généraux comme ne pas tuer, ne pas
mentir, ne pas trahir.
B. Le devoir peut être un instrument de domination sociale
Or la morale peut elle-même devenir un instrument de domination. En effet,
les valeurs de bien et de mal sont, selon Nietzsche, inventées par la classe
sociale dominante afin d’opprimer la classe dominée. En particulier, l’autorité religieuse insuffle un sentiment de culpabilité en attribuant à l’homme un
libre arbitre. L’homme est alors responsable de ses actes, et à ce titre il est
l’auteur des maux qui l’oppriment. La responsabilisation de l’homme
permet, d’après Nietzsche dans le Crépuscule des idoles, de l’aliéner pour
le punir et d’exercer sur lui un pouvoir. C’est donc par une cause psychologique, l’instinct cruel de punir, que cet auteur explique l’origine de ces
valeurs. Elles seraient inventées pour appuyer la fausse légitimité de ceux
qui prétendent porter un jugement moral. Par exemple, même l’altruisme ne
serait motivé que par un sentiment de haine de soi propre à celui qui se
sent inférieur : le ressentiment.
Ainsi, que le devoir soit dicté par des principes universels comme le bien et
le mal, ou qu’il soit dicté par les lois de la société, il peut entrer en contradiction avec l’intérêt d’un individu, d’un groupe de personnes, voire d’une
classe sociale opprimée. Mais ne peut-on pas envisager une forme de
sagesse qui mettrait au service de l’homme la vertu ?
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2. Mais la pratique de la vertu peut aussi se concilier
avec son intérêt
A. Agir par devoir, obéir aux lois, est nécessaire à la paix sociale
À l’argument de Thrasymaque qui affirme dans la République de Platon qu’il
vaut mieux pour son intérêt pratiquer l’injustice quand c’est possible,
Socrate répond que la justice est nécessaire même au sein d’une organisation de malfaiteurs, pour assurer un minimum de paix sociale entre eux.
Sans cela leur groupe et leur action seraient voués à l’autodestruction. Agir
par devoir peut aller dans le sens d’un intérêt collectif, même si celui-ci vise
en dernière instance une action immorale. On peut penser en ce sens aux
règles de solidarité qui règnent au sein d’une mafia.
B. La vertu conduit à « l’ataraxie »
Si la morale est un ensemble de règles au service du meilleur comportement
à adopter, elle constitue alors une technique, ou un art (du grec teknè) du
bon comportement pour être heureux. Le bonheur durable (qui se distingue
en ce sens du plaisir éphémère) se fonde sur une vie vertueuse, elle-même
fondée sur la raison.
Ainsi, selon certaines sagesses antiques il s’agit de régler ses désirs sur la
nature. Pour Épicure par exemple, le bonheur consiste en la satisfaction des
désirs nécessaires ; pour le stoïcisme, il faut pour être heureux accepter
l’ordre du monde en renonçant aux désirs vains qui ne dépendent pas de
nous. Dans les deux cas, le bonheur atteint (et donc son propre intérêt) est
celui d’une absence de troubles liés aux « mauvais désirs », une forme de
tranquillité de l’âme : l’ataraxie.
Ainsi, agir par devoir peut tout aussi bien conduire à la paix sociale qu’à la
paix intérieure, et donc rejoindre aussi bien son propre intérêt que l’intérêt
collectif. Étant établi précédemment qu’agir par devoir peut également
s’opposer à son intérêt, faut-il en conclure que le devoir se situe au-delà de
tout intérêt, dans une forme de neutralité ?
3. Agir par devoir est agir indépendamment de l’intérêt
A. L’action morale est désintéressée
Une action n’est morale pour Kant que si elle est désintéressée. En effet,
une même action peut être qualifiée de morale ou d’immorale. Par exemple,
le marchand qui rend la monnaie en restituant un trop-perçu le fera par honnêteté s’il estime que c’est son devoir moral, mais il pourra également le
faire par intérêt vis-à-vis de sa clientèle qu’il ne veut pas perdre. Il agit donc
selon Kant, dans le premier cas « par » devoir, et seulement en « conformité » avec le devoir dans le second. Dans les deux cas, l’action du
marchand est la même, mais ce qui rend l’action morale réside dans l’intenwww.annabac.com
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tion désintéressée du marchand. Le Bien n’est alors pas ce qui est visé,
c’est-à-dire son intérêt, mais ce qui le commande, c’est-à-dire son devoir.
La morale est alors une théorie de l’obligation, qui s’énonce sous forme
d’impératif catégorique dont la rationalité fonde la légitimité. L’action n’est
morale que dans la mesure où elle est issue d’une volonté absolument
bonne. Il s’agit d’une volonté qui n’est qu’obéissance aux lois que la raison
lui dicte, sans qu’aucune inclination sensible et intéressée n’y soit mêlée :
elle est celle d’une volonté absolument autonome.
B. Le devoir ne conduit pas au bonheur mais permet de
s’en rendre digne
Ce qui fonde la légitimité de la loi morale est justement son origine
rationnelle : elle ne peut que répondre à des exigences d’universalité. La loi
morale s’énonce alors sous forme d’impératif catégorique : il faut se conduire
« de telle sorte que je puisse vouloir que ma maxime devienne une loi
universelle ». Universalisée, mon action ne risque pas de répondre à des
motifs subjectifs d’intérêt ou de satisfaction. Son objectivité est ainsi garantie.
La morale ne se présente plus comme la garantie du bonheur, mais ce qui
en rend digne. Kant sort ainsi du problème d’une non-coïncidence entre la
vertu et le bonheur, en montrant que le Bien n’est pas ce que vise l’action
morale, mais au contraire ce qui la commande. L’idée d’une justice divine
par exemple, peut prendre la forme non pas d’une réalité, mais d’un idéal
régulateur de l’action morale.
Ainsi la morale, en tant que théorie de l’obligation, et le devoir qui n’est
pas une simple contrainte (une nécessité extérieure), mais une obligation
commandée par ma propre volonté, n’est pas l’art de trouver le bonheur,
mais ce qui en rend digne. Le souci n’est plus d’y trouver ou non son
intérêt.
Conclusion
À la question de savoir si agir par devoir c’est agir contre son intérêt, nous
pouvons répondre que le devoir, qu’il soit commandé par la morale ou par
la société, peut aller aussi bien dans le sens que contre un intérêt individuel
ou collectif.
Mais si agir par devoir se définit comme une stricte théorie de l’obligation
morale, alors la définition même du devoir implique son désintéressement.
Contrairement au fait d’agir simplement en « conformité avec le devoir »,
agir « par » devoir ne recherche aucun type d’intérêt.
Agir par devoir, ce n’est donc pas vouloir agir contre son intérêt ni même
dans son sens, c’est agir au-delà des effets produits pour son intérêt.
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