CFDT Cadres Made in monde, questions et réponses syndicales
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CFDT Cadres Made in monde, questions et réponses syndicales
MADE IN MONDE : QUESTIONS ET REPONSES SYNDICALES Stratégie face aux délocalisations La redistribution internationale des activités des entreprises en question Actes du colloque « Economie mondialisée et stratégie industrielle » en présence de Suzanne Berger et de Marcel Grignard Jeudi 13 mars 2008 La mondialisation de l’économie constitue pour l’organisation syndicale un défi où se croisent les enjeux mondiaux et locaux en termes d’emploi, de croissance économique et de développement. Dans le but de valoriser les travaux d'un groupe de travail sur le sujet, dans le cadre d'un projet européen "MOOS" et de faire le lien entre la réflexion générale et l’action syndicale, la CFDT a organisé un colloque abordant les stratégies de redistribution internationale des activités des entreprises, à partir d’une présentation de Suzanne Berger (auteure de l’ouvrage "Made in Monde, les nouvelles frontières de l'économie internationale") de ses travaux et de ceux du MIT. 1 Ces actes n’engagent pas les intervenants. Seul le prononcé fait foi 2 INTRODUCTION JEAN-PAUL BOUCHET, SECRETAIRE GENERAL ADJOINT DE LA CFDT CADRES Cette journée doit être un temps d’appropriation mais aussi un temps de débat. C’est un immense honneur pour nous d’accueillir Suzanne Berger. Suzanne est professeur au MIT. Il serait trop long de dire tout ce qu’elle a fait et tout ce qu’elle a publié mais nous avons été impressionnés par un ouvrage intitulé « Made in monde » qui nous apportait un éclairage extrêmement intéressant sur le fait qu’il n’y a pas aujourd’hui un modèle de la performance, un modèle pertinent mais sans doute plusieurs modèles et nous avions fait à cette occasion une note de lecture assez large. Nous remercions également Jean-Marie Gianno qui a permis cette mise en relation avec Suzanne Berger pour qu’elle puisse nous présenter ses travaux, c’est avec beaucoup de plaisir que nous vous donnons la parole. LES STRATEGIES INTERNATIONALES DES ACTIVITES DES ENTREPRISES SUZANNE BERGER, PROFESSEURE AU MASSACHUSSETS INSTITUTE OF TECHNOLOGY Auteure de «Made in Monde, les nouvelles frontières de l'économie internationale» (Seuil). Impacts de la redistribution internationale des activités des entreprises sur le travail, l’emploi. Je voudrais dire d’abord à quel point je suis honorée d’être votre invitée aujourd’hui et je voudrais tout de suite m’excuser pour mon français. La recherche que je vais vous présenter aujourd’hui est un travail qui a été fait dans le cadre du MIT par une équipe de chercheurs ingénieurs et de chercheurs en Sciences Sociales. Il y avait trois ingénieurs de « Electrical Ingenior and Computer Science » qui sont essentiellement des spécialistes, et nous étions trois chercheurs en sciences sociales. C’est la particularité de MIT de mettre ensemble des gens de disciplines très différentes. Nous avions également deux spécialistes qui n’étaient pas des spécialistes en sciences sociales mais des spécialistes de la Chine. Vous allez voir pourquoi la Chine a joué un rôle très important dans toutes nos réflexions. À MIT, on considère que la possibilité de faire de la recherche avec des collègues de disciplines différentes, est une spécificité qui est très précieuse pour expliquer les problèmes importants d’aujourd’hui. Notre motivation a été très bien exprimée dans cette bande dessinée qui est parue dans le New Yorker, il y a quelques années. Je vais la traduire très rapidement en français. On voit deux managers qui regardent une usine complètement vide et l’un dit à Charlot : « Et, bien Charlot, tu vois, on a tout délocalisé ». Il y un silence qui suit, et chaque américain peut remplir le silence avec la phrase non écrite, non dite, qui serait : « Et après ? Qu’est-ce que l’on va faire ? Qu’est-ce que nos enfants vont faire ? Qu’est-ce qu’on va faire ici aux Etats-Unis, une fois qu’on aura tout délocalisé ? ». Et, c’était également le point d’interrogation de notre équipe « Et, après ? Qu’est-ce que nous allons faire ? Que devenons-nous ? » Malgré l’importance de cette question, lorsqu’on regarde bien dans la littérature qui existe, on voit qu’il y a surtout des recherches faites autour d’un seul acteur. Par exemple, le livre de Thomas Friedman, « The World is flat », est entièrement fait autour de la visite qu’il a faite à des amis qui lui ont montré une entreprise florissante, puis une autre entreprise à Shangai, ect. Et, la question nous semblait tellement importante que nous avons pensé qu’une recherche plus systématique faite à partir d’interviews dans cinq cents entreprises partout dans le monde, serait peut-être plus consistante et pourrait nous donner des réponses plus systématiques sur ce qu’il se fait et ce qu’on peut faire dans cette situation. Or, c’est d’autant plus important, je crois d’avoir des moyens pour réfléchir sur cette question car c’est une question qui soulève, d’une manière très forte, l’opinion américaine. [Là, vous voyez un graphisme avec une ligne rouge qui montre le nombre d’articles parus sur le sujet de la délocalisation. On part de Janvier 2003 jusqu’à Janvier 2008, donc sur une 3 période de cinq ans et vous voyez qu’il y a beaucoup de variations sur le nombre d’articles dont le sujet est la délocalisation. On se demande quel est le rapport d’endettement dans le public par rapport à ce qui se passe dans l’économie réelle. L’économie réelle, ce sont les deux autres lignes, le vert, c’est le changement mensuel au niveau de la création d’emplois, et la ligne jaune, c’est les licenciements massifs, on appelle licenciement massif aux EtatsUnis, le licenciement de 50 personnes dans un mois dans une seule entreprise. Vous voyez, qu’il ne faut pas être expert en statistique pour voir qu’il n’y a pas de rapport entre les variations dans ces lignes.] Il n’y a pas de rapport entre ce qui se passe dans l’économie réelle et le niveau d’endettement qui se reflète dans notre service public au sujet de la délocalisation. De cela, je tire la conclusion que, en fait, les attitudes, les endettements, en ce qui concerne la délocalisation, ont aujourd’hui une vie autonome. Que l’économie aujourd’hui marche bien — comme dans la fin des années 90 ou que l’économie marche mal, comme aujourd’hui — en fait, les gens sont préoccupés par le sujet de la mondialisation et ce n’est pas la prospérité des années 90 qui allaient les faire changer d’avis. Mais, bien qu’il y ait cette vie autonome, on voit bien que le niveau de préoccupation augmente. Il y a un mois, un sondage fait par le Wall Street Journal, sur les électeurs républicains qui étaient les plus portés à soutenir le libre-échange, montrait qu’il y a aujourd’hui 58% d’électeurs républicains qui pensent que le libre-échange est mauvais pour les Etats-Unis. Or, cela faisait longtemps que les électeurs démocrates avaient cette opinion. Donc, c’est un phénomène tout à fait nouveau pour les électeurs républicains. On voit déjà sur l’horizon une vague d’opinions protectionnistes et si vous avez suivi un peu la campagne de Madame Clinton et de Barak Obama, vous avez pu voir que cela se reflète déjà dans leur campagne. Les opinions sont en train de bouger vers le protectionnisme et cela serait important de savoir quelles sont les réalités et ce que nous pouvons faire devant ces réalités. Pour donner une définition rapide de ce qu’est la mondialisation : ce sont les changements dans l’économie internationale et dans les économies nationales qui ont tendance à créer un marché international unique pour le capital des biens et services et du travail. Or, comment savoir s’il y a un marché unique, s’il y a, par exemple pour le capital, un taux unique, si les taux d’intérêts étaient les mêmes partout dans le monde, on saurait qu’il y aurait un marché unique pour le capital. Or, même pour les capitaux qui sont les facteurs de production les plus mobiles, même si on prend encore des risques, on voit bien qu’on n’a pas les mêmes taux d’intérêts partout dans le monde. Et, c’est d’autant plus vrai pour les biens et les services ainsi que le travail. On est donc très loin d’une situation de la mondialisation établie et donnée. Il n’y a pas de marché international unique. Ce que nous avons étudié, ce n’est pas l’existence de ce marché et son impact mais c’est l’impact des pressions qui vont dans cette direction et nous avons voulu surtout étudier les acteurs les plus vulnérables face à cette pression. C’est la raison pour laquelle nous avons étudié les entreprises dans les secteurs les plus concurrentiels. Aucun de mes collègues n’était spécialiste dans la gestion, nous ne sommes pas des consultants d’entreprise. La raison dans notre choix de ces entreprises, c’était de citer et d’étudier des acteurs extrêmement vulnérables à la mondialisation et de voir quelles étaient les stratégies de ces acteurs face à la mondialisation. Et, la question principale qu’on s’est posée, était de savoir qu’elle était l’image de ces acteurs extrêmement vulnérables à la compétition. Est-ce qu’il y a vraiment des meneurs ou bien sont-ils tous plus ou moins obligés de suivre le même chemin ? Est-ce qu’il y a une convergence dans leur pratique ou est-ce qu’ils sont tous obligés par leur compétition de suivre les mêmes stratégies ? C’était en fait l’hypothèse des ingénieurs de notre groupe de travail. Ou bien ont-ils un véritable choix stratégique ? On a bien vu qu’il existait un capitalisme allemand, un capitalisme japonais, un capitalisme français aussi bien qu’un capitalisme américain. Est-ce qu’on peut imaginer également — et c’était l’hypothèse des chercheurs en sciences sociales de notre groupe — une diversité de références face à la mondialisation ? Pendant les cinq ans qu’a duré notre étude, et sur les 700 visites en entreprises, parce qu’on a étudié 500 4 entreprises, on a eu beaucoup de discussions au sein de notre équipe. Sur ce qu’on sait déjà sur les délocalisations, je vais vous montrer des chiffres qui ne concernent que l’Europe. Si l’on regarde les pertes d’emploi constatées au sein de l’Union Européenne, on se rend compte que la part des délocalisations est véritablement très limitée. Ce sont les restructurations qui expliquent la majorité des pertes d’emploi. Aux Etats-Unis, également, les statistiques que nous avons, montrent qu’en 2004 il y avait très peu de pertes d’emplois dues à des transferts d’emploi en dehors des Etats-Unis. Les autorités obligent chaque patron qui licencie à remplir des questionnaires au-delà des 500 licenciements. Le patron n’est pas obligé d’avertir les employés avant le licenciement mais après coup, il est obligé de remplir un questionnaire dans lequel il donne les raisons de ces licenciements. En 2004, il n’y avait que 13 000 licenciements dus à des transferts d’emplois en dehors des Etats-Unis et vous pourriez dire, et cela serait tout à fait juste, que les patrons ont toujours raison de mentir sur les véritables raisons. Les chercheurs ont trouvé que ce chiffre de 13 000 de pertes d’emplois dues à des délocalisations était si peu vraisemblables, qu’ils ont refait leurs statistiques et sont arrivés à trouver 300 000 pertes d’emplois dues à des transferts d’emplois en dehors des Etats-Unis. Et, même ces 300 000 pertes d’emplois sur un marché du travail de 40 millions d’emplois. Il faut admettre cependant que ce n’est pas grand-chose. On voit bien que la perte d’emploi due à des délocalisations n’est pas très grande dans certains secteurs mais il y a bien sûr des secteurs dans lesquels les pertes d’emplois dues à des délocalisations sont très importantes comme le textile, le cuir, le service aux entreprises, etc. Donc, la vraie question n’est pas tellement la perte d’emplois existants, mais plutôt de chercher à savoir où vont être créés ces emplois. Aujourd’hui, ce qu’on voit aux Etats-Unis, ce n’est pas tellement la question de perdre des emplois, c’est de voir que des emplois vont être créés en Chine ou en Inde ou ailleurs et cela dès le début. Alors notre question est : Quels sont les emplois qu’on va créer chez nous ? Quels sont les emplois qui ne verront jamais le jour aux Etats-Unis ? C’est donc la question de création d’emplois beaucoup plus que la question de perte d’emplois qui nous a intéressés dans notre enquête. Nous avons surtout posé deux questions lors de nos interviews dans les entreprises. D’abord, en premier, une question sur l’externalisation des activités et, deuxièmement, une question sur la délocalisation. Aux Etats-Unis, la question de l’externalisation n’implique pas nécessairement une délocalisation. Il y a de forts mouvements d’externalisation mais qui sont des transferts d’activité à d’autres entreprises qui se trouvent à l’intérieur du territoire américain. On peut alors très bien imaginer des transferts d’activités de l’intérieur des entreprises, d’autres emplois qui seront transférés à d’autres entreprises américaines tandis que la question de délocalisation, c’est vraiment une question de ce qu’il faut garder chez soi, à l’intérieur du territoire américain et ce qu’il faut délocaliser. Et, ce sont ces deux questions que nous avons posées dans les 500 entreprises. Nous avons sélectionné certains secteurs parce qu’ils sont les plus vulnérables à une compétition. C’est une gamme d’activité qui va de ce qu’on a appelé « slow-tech », ce sont des activités dont les technologies sous-jacentes changent très lentement, voir jamais — par exemple, si l’on va dans une usine de confection, on voit que les machines à coudre ont très peu changé sur cinquante ans — à des activités où les technologies de base changent très rapidement, ce qui est le cas dans le secteur électronique et du software. Donc, on a une gamme d’activité qui va de « slow tech » à « fast tech » mais, on voit que tous ces secteurs sont extrêmement vulnérables à la mondialisation pour dire les choses rapidement. Nous avons fait énormément d’interviews dans les entreprises de Taiwan. Pourquoi ? Et, bien parce qu’en fait ce sont les taïwanais qui sont les grands propriétaires des entreprises en Chine. Plus de la moitié des exportations chinoises viennent des usines dont les propriétaires sont des étrangers, et en gros ce sont des taïwanais et des hongkongais. On a voulu faire des enquêtes dans des entreprises en Chine qui font des exportations mais ce sont essentiellement des usines qui sont financées par des capitaux étrangers. On a vu aussi des changements énormes des années 80 sur vingt ans, jusqu’à 2006, qui est la date de la fin de notre enquête. Le point principal de ce changement, en résumé, c’est 5 que dans les années 80, la production était encore faite en proximité avec les plus grands clients ainsi qu’avec les plus grands fournisseurs. La production était faite entre les quatre murs de l’entreprise et les meilleures entreprises — ce sont des exemples que nous avions trouvés — ces meilleures entreprises étaient japonaises et géraient des systèmes , à l’intérieur de leurs quatre murs, de façon extrêmement serrée en proximité avec leurs soustraitants, leurs clients les plus importants. Or, aujourd’hui, vingt ans plus tard, on voit une fragmentation massive du système de production et une grande redistribution des activités. Les meilleures entreprises, aujourd’hui, sont celles qui gèrent le mieux ces activités qui sont fragmentées. Quels sont les facteurs qui ont fait ces transformations ? Et bien, ce sont les facteurs connus par tout le monde. C’est la libéralisation des marchés financiers, du commerce, la volubilité des marchés, l’émergence de nouveaux espaces pour la production Tout cela c’est très connu, et notre équipe a surtout voulu étudier le dernier point qui est celui de l’impact des nouvelles technologies digitales de codification. Sur les dix dernières années, on a aujourd’hui la possibilité de gérer, de coordonner, de codifier les fonctions, les interfaces entre les fonctions de production qui autrefois demandaient la collaboration en proximité des personnes à l’intérieur des quatre murs de l’entreprise. L’exemple que je vais vous donner, vient d’un de nos collègues, un ingénieur, Charlie, qui travaillait chez Hewlett Packard, avant d’enseigner au MIT. Charlie nous a raconté que, dans les années 70-80 quand il travaillait chez Hewlett Packard, pour réaliser un masque dans la fabrication d’un conducteur, faire une découpe pour ensuite tracer des circuits qui vont être gravés sur de la silicone, il y avait à l’époque un ingénieur qui traçait le circuit et à côté de lui il y avait un technicien qui tenait un rasoir à la main. Les deux hommes travaillaient ensemble pour faire le masque. Comme les deux hommes avaient déjà travaillé ensemble auparavant, ils le faisaient plus rapidement et avec une plus grande qualité. Il n’était absolument pas question d’avoir un autre technicien dans une autre entreprise et l’ingénieur ailleurs. Or, aujourd’hui, à l’intérieur d’une même entreprise, l’ingénieur fait des circuits sur son ordinateur, il envoie un dossier avec des instructions complètes à une machine de découpe qui peut se trouver n’importe où dans le monde, à Taiwan ou ailleurs, qui a la possibilité d’avoir la même conformité, la même qualité qu’on avait dans le passé par la proximité du technicien et de l’ingénieur. Or, on a trouvé des phénomènes similaires dans tous les secteurs que nous avons étudiés, concernant cette transformation, cette possibilité de numérisation et de codification. Tout cela a permis cette fragmentation de la production et l’émergence de nouvelles entreprises autonomes qui peuvent exister n’importe où. Aux Etats-Unis, les vraies stars des années 90, ce sont des entreprises qui ne travaillent que sur une seule fonction, par exemple le design, et qui envoient tout le reste en production ailleurs. Pour moi, qui suis dans le domaine des sciences sociales, j’envisage cela de la manière suivante, on peut comparer la production à la fin des années 80 aux jeux de construction pour les enfants. Quand on achetait un modèle à construire, la question primordiale était de savoir si toutes les pièces étaient bien dans la boite parce qu’il faut que l’entreprise fabrique toutes les pièces sinon s’il manque une pièce dans la boite, il n’est pas possible de trouver la pièce qui manque. Si tout n’est pas optimisé par la maison de jouets, et bien on ne peut pas monter l’avion. Premier constat. Deuxième constat, une fois qu’on a fait le modèle, on n’a pas la possibilité de le transformer en bateau ou en voiture, personne ne peut venir ajouter autre chose, c’est un avion et rien d’autre ; Tandis qu’aujourd’hui la production est beaucoup plus qu’un avion, c’est la production verticalement intégrée où tous les composants doivent être dans la même usine. Aujourd’hui tout le monde fabrique des modèles où l’on peut prendre des composants venant de n’importe où en sachant déjà que tout cela va aller ensemble et qu’on peut en faire un avion, un petit bateau. Pour moi, le produit iconique d’Apple, c’est un I-Pod. Le vrai génie d’Apple, c’est d’avoir vu qu’il existait déjà sur le marché des composants japonais qu’Apple pouvait prendre et assembler dans un format tout à fait nouveau avec un design intéressant. Apple a acheté des composants déjà existants. Ils ont attaché tout ça à un service, qui est I-Tunes et, ils ont fait l’assemblage d’un produit « lego » fait de services d’I-Tunes, de composants japonais électroniques avec un assemblage en Chine. En fait, si l’on prend un I-Pod — des chercheurs de l’Université de Californie auraient récemment étudié cela — sur un I-Pod qui 6 vaut 224 dollars, il y a 3 dollars d’assemblage en Chine, 3 dollars sur 224 dollars de valeur, et il y a à peu près 90 dollars de valeur de composants électroniques japonais et le reste c’est Apple, c’est la distribution, le marketing. On est en train de voir les transformations de la distribution qui va de la production verticale intégrée à de la production en chaîne de valeur, en « Lego » et, c’est cela que nous devions étudier. Alors dans ce monde de fragmentation, quelles sont les stratégies qui peuvent gagner ? La conclusion la plus forte de notre étude, c’est que, lorsqu’on prenait le même produit, le même secteur, quand on regardait dans le détail, on a vu que dans chaque secteur il y avait de multiples solutions, il n’y avait jamais un « seul best one, best way » qui était impérativement demandé. Si l’on prend par exemple un PC, on a bien une vraie stratégie. La stratégie DELL, c’est de tout acheter des fournisseurs. Les fournisseurs d’Asie arrivent avec leurs camions aux Etats-Unis et, au fur et à mesure que Dell en a besoin, les composants entrent dans l’usine mais les fournisseurs restent propriétaires des composants pendant trois ou quatre heures maximum, jusqu’au moment où ils entrent dans l’usine et, en quatre minutes et demi, Dell en a fait l’assemblage. Ça, c’est “Made in USA”. Quatre minutes et demie de fabrication et d’assemblage à l’intérieur de l’usine Dell et, ensuite ce sont les consommateurs qui deviennent propriétaires de ce produit. Donc, Dell ne fait rien, la vraie fonction de Dell c’est une entreprise de distribution, le vrai génie de Dell, c’est de gérer des réseaux de distribution. Dell n’est pas vraiment un fabricant. Quatre minutes et demie d’assemblage, ce n’est pas vraiment une fonction de fabrication. Tandis que si on prend l’exemple de Samsung, qui est tout aussi rentable sinon plus que Dell. Samsung fabrique encore la majorité des composants à l’intérieur des quatre murs de Samsung comme d’ailleurs Sony. On a le modèle Samsung, le modèle Dell, tous sur une période de cinq ans aussi rentables l’un comme l’autre. On ne voit pas ça seulement dans les secteurs électroniques, on voit cela également dans le secteur de l’habillement. Bien sûr des distributeurs comme Gap, comme Limited, H&M, fabriquent tout par délocalisation et externalisation. Si l’on prend le cas de Zara qui aujourd’hui est l’entreprise de distribution qui marche le mieux et qui croît le plus rapidement en Europe et aux USA, Zara fabrique presque encore la moitié de ses vêtements dans la région du nord de l’Espagne autour de ses quartiers généraux. Parce qu’il y a une stratégie de « self response » qui demande des usines de proximité et qui demande d’être propriétaire des usines de textiles. Dans tous les secteurs, on a trouvé des cas similaires. Ce qui veut dire, selon nous, qu’il n’y a pas de secteurs condamnés, il n’y a que des stratégies condamnées. Et, l’on a trouvé aussi des cas dans des secteurs qu’on aurait imaginé condamnés à jamais dans notre société à hauts salaires, on a trouvé de très beaux cas de réussite. Par exemple, Geox. Geox est une marque de chaussures qui a été créée, il y a dix ans par un Italien. Ce monsieur marchait un jour dans le désert, il avait très chaud aux pieds, il a pris son couteau de poche et a fait des trous dans la semelle de ses chaussures. L’idée avec Geox, c’est d’avoir imaginé une semelle de chaussure comme un fer à vapeur où la vapeur passe que dans un sens, mais où la pluie ne peut pas entrer dans la chaussure. C’est une nouvelle technologie et Geox est devenue aujourd’hui la quatrième entreprise dans le domaine de la chaussure au monde, et cela en dix ans. La personne qui a créé l’entreprise Geox a utilisé des ressources humaines dans le domaine de la chaussure dans l’Italie du Nord, région qui, par tradition, a toujours fabriqué du cuir et des chaussures. Dans une région qui était pourtant en crise, il a trouvé du personnel avec beaucoup d’expérience dans le design et dans le traitement du cuir et il a crée sa nouvelle entreprise. Il a fait des prototypes, fait un travail de design, de recherches sur les nouvelles technologies logistiques et la fabrication de ces chaussures ne se fait pas en Italie mais en Roumanie et en Chine. Pour moi, les chaussures Geox sont exactement comme un I-Pod, c’est un assemblage de composants qui sont faits partout dans le monde avec une partie de valeur très forte qui se fait avec de bons salaires. Geox comme I-Pod, c’est une stratégie qui sait tirer partie des atouts qu’on a, en rajoutant ces possibilités qui existent partout dans 7 le monde aujourd’hui, qui est de faire de l’assemblage ou d’acquérir d’autres capacités qui existent en dehors de ces quatre murs. Là, on arrive à un point de très forte interrogation sur l’avenir de l’innovation chez nous. Ce qu’on a fait chez Geox, chez Apple avec l’I-Pod, tout cela est une activité d’innovation et l’on se doit de poser la question de savoir si l’innovation peut exister, peut fleurir même en absence de capacité de production ? Si l’on fait des fragmentions du système de production, est-ce que l’innovation va bien se porter dans un tel environnement, avec qui va-t’on faire de l’innovation ? Et où ? C’est très beau d’imaginer qu’on va toujours faire de I-Pod où la moitié de la valeur des I-pod va être captée par des salariés américains ou des Geox où les hauts salariés vont être captés par les salariés italiens mais tout ça dépend de la possibilité de garder l’innovation chez nous et rien n’est moins sûr. Quand je suis arrivée en France au mois de décembre, j’ai acheté à l’aéroport un exemplaire du Monde et l’Express, les gros titres étaient : Les grands groupes chinois dans le Monde et dans l’Express : « La Chine va-t-elle craquer ? ». On voit apparaître toutes nos craintes sur l’avenir de notre propre société. Est-ce qu’on va voir les groupes chinois en Inde ? Est-ce qu’on risque de voir partir non seulement la production mais également l’innovation dans les pays émergents ? Et entre ces deux idées — est-ce que la Chine va craquer, la Chine est tellement fragile, qu’on n’a rien à craindre — et l’idée que la Chine voit plus grand, je crois que c’est extrêmement difficile de savoir où se mettre. C’est la raison pour laquelle on a commencé de nouvelles recherches dont je veux vous montrer, avant de terminer, quelques volets de ce nouveau projet de recherche. Je vais vous donner quelques chiffres rapides sur la Chine de l’innovation. La Chine a un taux de croissance extrêmement rapide, l’Etat chinois s’accroît de plus de 20% par an à partir de 2005. On voit aussi apparaître un nombre impressionnant de doctorats dans le domaine des Sciences et Technologies et l’on trouve aujourd’hui des universités qui figurent dans les meilleures universités du monde. C’est impressionnant mais en même temps, il faut se rendre compte qu’on n’a pas encore d’exemples de belles réussites d’entreprises réalisées sur le budget R&D de l’Etat chinois. Si l’on sait que 85% des produits de l’exportation hightech viennent d’entreprises étrangères et pas des entreprises domestiques chinoises. On voit que le budget R&D de l’Etat chinois, est un budget qui va entièrement à des entreprises domestiques, ce sont des dépenses qui n’ont pas encore donné signe d’efficacité. Concernant, les doctorats, le nombre d’ingénieurs diplômés qui sort des universités chinoises est très impressionnant sauf si l’on sait que, par exemple lors de nos interviews en Chine — quand on a demandé à des entreprises françaises installées en Chine, où ils recrutaient leurs ingénieurs en Chine, ils nous ont répondu qu’ils ne prenaient des diplômés que de quatre universités chinoises car il n’y avait que quatre universités capables de leur donner des ingénieurs suffisamment qualifiés pour travailler chez eux. En fait, les chiffres absolus ne veulent pas dire grand chose car les qualifications de beaucoup de ces diplômés sont en dessous des possibilités de recrutement par des entreprises. Donc, il faut relativiser les chiffres. On voit aussi que le chiffre des centres R&D de multinationales en Chine — 750 — semble très impressionnant —ces chiffres viennent d’après une étude faite par un Institut — Si on cherche ceux qui sont actifs en innovation, on ne trouve que 60 entreprises sur 750 qui font véritablement des recherches qui ressemblent à des recherches innovatrices. On a 99% des entreprises chinoises qui n’ont jamais demandé de brevet. Là, aussi il faut essayer de savoir avec beaucoup plus de détails qu’elle est concrètement la Chine de l’innovation. Et, c’est la raison pour laquelle nous avons initié un nouveau projet de recherche qui est assisté par l’Agence pour l’Economie en Essonne où nous avons fait une douzaine d’interviews d’entreprises multinationales en l’Ile-de-France. On a visité leurs laboratoires, leurs R&D en Ile de France et ensuite, on a visité les mêmes entreprises, les multinationales en Chine à Shanghai ainsi que nos meilleures entreprises, parce qu’on voulait faire la comparaison entre ce que faisait une entreprise en France et ce que faisait une même entreprise en Chine. Et, voici les premières conclusions. Premier constat : le monde n’est pas encore plat. La différence entre ce qu’on fait dans la même entreprise en France et en Chine est énorme. En fait, c’est extraordinaire de voir émerger des activités innovatrices en Chine mais c’est 8 encore très loin de ce qu’on fait ici. Deuxième constat, l’innovation en Chine ne se fait pas avec des brevets, les grands exploits ne sont pas dans le domaine des brevets mais dans le domaine de processus, dans le domaine de ce qui se fait à l’intérieur de l’usine, ce qu’ils ne vont pas protéger par un brevet. Et, si l’on essaye d’aller plus loin, de regarder au-delà des brevets, en fait on constate d’énormes changements dans l’organisation, des centres R&D, des multinationales en Chine depuis cinq ans. Il y a cinq ans encore en Chine, les centres de recherches que nous avons visités en 2004, était essentiellement des centres de R&D qui étaient là uniquement parce que l’Etat chinois demandait à des multinationales de transférer des technologies. Un transfert de technologies était la condition imposée par l’Etat pour n’importe quelle entreprise qui voulait vendre en Chine. Donc, si Alcatel, si France Télécom avait des centres de recherches en Chine, il y a cinq ou dix ans, c’était parce que l’Etat chinois les obligeait à mettre un centre de recherches avec une belle pancarte sur la porte mais, en fait, ce n’était fait que par obligation parce qu’il y avait très peu d’activités dans ces centres. En fait, il y a eu des changements dans ces 750 centres de recherches que depuis seulement cinq ans. On a vu apparaître, il y a cinq ans, un nouveau modèle, qu’on a appelé « extend the team ». Je ne sais pas comment on peut dire cela en français, mais « extend the team », c’est l’idée qu’on va envoyer des équipes françaises en Chine ou en Inde pour faire des activités un peu en bas de l’échelle, des activités que nos ingénieurs en France ou aux Etats-Unis ne veulent pas faire. Ils vont travailler en Chine ou en Inde sur ces activités, ça serait comme des extensions de nos équipes mais ce sont des activités sans trop d’intérêt. Or, ce modèle « Extend the team » ne marche pas pour des raisons très simples, d’abord parce que les salaires des ingénieurs en Chine ou en Inde commencent à monter. Par exemple, dans la région de Bangalore, les salaires ont augmenté de 20% par an et deuxièmement ce modèle est très peu motivant pour les ingénieurs indiens ou chinois. C’est très difficile de garder de bons ingénieurs avec ces activités « Extend the team ». Donc, on a vu émerger sur les trois dernières années de nouveaux modèles. Ce sont des modèles où les centres R&D en Chine et en Inde ont des projets propres, des missions propres, des modèles qui ne travaillent non plus en séquences avec des activités qui se font en France mais travaillent en parallèle sur des missions propres. Et, c’est ça, je crois, le changement essentiel, ce sont ces missions propres de ces centres R&D. Je crois que tout cela soulève plusieurs questions pour les entreprises multinationales, pour des entreprises françaises et américaines. D’abord, savoir si l’on peut vendre de la R&D sans être sur place ? Là, je prends l’exemple d’une entreprise qu’on a interviewée en Ile de France qui ne fait que du design — je ne peux pas donner trop de détails sur l’entreprise car on a promis de garder la confidentialité, ils font essentiellement du design de moteurs, c’est une entreprise qui travaille pour tous les assembleurs du monde – or, cette entreprise nous dit : « On a des problèmes avec les chinois, ils ne nous payent pas. Pourquoi ? Parce que les chinois disent que notre design ne vaut rien, ils essayent de les réaliser sur place mais ils n’y arrivent pas. Parce que les chinois ont du mal à intégrer nos propres sous-traitants, ils ont des difficultés à prendre nos designs à partager les tâches entre sous-traitants, du mal à trouver des matériaux sur place pour réaliser ces designs. Le résultat c’est que le design ne marche pas parce que, en fait, les chinois n’ont pas les capacités d’intégrer ces projets. L’entreprise en France se trouve aujourd’hui confrontée à deux choix : soit elle ne peut pas continuer à travailler en Chine soit l’entreprise doit installer des équipes permanentes et aller plus loin dans l’intégration des tâches avec les entreprises chinoises. C’est donc impossible de vendre seulement du design et l’entreprise française pour bien réussir cette activité doit être présente pour aider les entreprises chinoises à utiliser ces designs, à intégrer des usines de sous-traitance et d’assemblage en Chine. Mais, pour une entreprise moyenne, c’est extrêmement difficile de détacher des équipes d’ingénieurs en Chine et surtout pour une entreprise française. Si c’était une entreprise japonaise, elle serait épaulée par des « Trading Companies japonaises » alors que l’entreprise moyenne française se trouve bien seule en Chine, sans aucune possibilité de demander à d’autres entreprises de l’aider. Donc, grande question, si on est spécialiste en innovation, en design, est-ce qu’on peut vendre ces produits sans aller plus loin dans 9 l’activité d’intégration ? Je crois qu’on voit un assez faible rendement de l’innovation sans capacité d’intégration et, troisième constat, c’est un terrain extrêmement mouvant et instable. On a fait nos interviews en Chine au mois d’Août 2007, un mois après, l’une des entreprises françaises qu’on avait interviewée, avait déjà perdu le plus grand client chinois et une autre des entreprises françaises avait été rachetée par un Allemand. Donc, vous voyez que c’est un terrain très instable. Pour terminer, je voudrais souligner un des aspects de notre interview en France que nous avons trouvé inquiétant. On a posé la question à des directeurs de multinationales, à des directeurs de recherches : « Pourquoi votre centre de R&D se trouve t’il en Ile de France ? La réponse unanime a été : « Pour des raisons historiques ». Mes collègues américains m’ont demandé : « Historique ? Ça veut dire quoi ? ». En fait, ça veut dire par hasard. « On est ici, mais on pourrait être n’importe où ailleurs, aux Etats-Unis, en Allemagne, ect ». Et pour mes collègues c’est une réponse complètement aberrante. Parce que si l’on demande à des gens qui travaillent dans le secteur de la biotechnologie autour de MIT pourquoi ils sont là, ils ont une réponse, ils vous répondront : « Je suis obligé d’être là parce qu’on a des laboratoires dans MIT et c’est dans ces laboratoires qu’on trouve nos produits. On est obligés d’être là, on déteste le Massachusetts, on a les impôts les plus forts, les salaires sont très élevés dans le Massachusetts, les loyers des bureaux sont très chers. On peut détester le Massachusetts mais, on est obligés d’être sur ce site parce que c’est là que l’innovation se fait, on doit être dans cet environnement si on veut être sur la frontière de l’innovation ». Donc, pour mes collègues, cette réponse, « raison historique », nous laisse perplexes face à vos activités d’innovation. Deuxième question, quand on a voulu savoir quel était votre intérêt de votre collaboration avec les universités et le laboratoire CNRS de la région ? Les entreprises nous ont répondu : « Nos collaborations ? De quelles collaborations vous voulez parler ? ». Troisième question : « Parmi vos ingénieurs et vos chercheurs, combien sont nés hors de France, hors de l’Union Européenne ? » On n’a pas trouvé d’exemple lors de nos interviews de chercheurs venant de l’étranger dans ces laboratoires alors qu’on connaît l’importance d’avoir des chercheurs aux Etats-Unis, des chercheurs venant de partout dans le monde. Presque la moitié des professeurs à MIT sont nés hors des Etats-Unis. Et, le fait que des entreprises françaises ne comptent pour ses cerveaux que sur la France et l’Union Européenne, est également un sujet de préoccupation. On avait une curiosité sur la question de la politique industrielle, sur le pôle de compétitivité, on a posé des questions sur l’impact du pôle sur votre entreprise, mais il est, je pense, peut-être encore un peu trop tôt pour tirer des conclusions, pour en connaître l’impact. Tout ce que nous avons vu en France — et là, je sors de mon rôle de chercheur — pour dire que ce que nous avons vu en France, je crois, qu’il y a quelques propositions modestes qu’on pourrait formuler pour la France. D’abord, on peut beaucoup vouloir inciter un investissement privé dans le secteur des R&D mais je crois que le rôle de l’investissement public est irremplaçable. Même à MIT, une université qui est privée et qui a le meilleur rapport avec l’industrie privée, 85% du budget de recherche de MIT vient de l’Etat fédéral et, je ne peux pas imaginer qu’en France une université puisse faire mieux que nous pour recueillir l’argent privé pour la Recherche. Je vous souhaite de faire autant que nous, mais ça veut dire que pour des activités de recherches fondamentales, nous serions tous essentiellement dépendants des fonds publics. Deuxième constat, je crois qu’il y a en France très peu d’entreprises qui participent à l’international et l’action des entreprises, et il y a un contrat très fort avec l’Allemagne sur ce sujet. L’exemple que je vous ai donné, sur cette entreprise moyenne qui fait du design et qui se trouve très seule en Chine, ça devrait être des sujets d’étude. Troisième point, je crois, qu’il y a un intérêt pour la France d’ouvrir la recherche des universités aux étrangers, car c’est un monde extrêmement fermé. Quand j’ai vu l’annonce des pôles de compétitivité dans les journaux français, j’ai noté à la fois Grenoble et Paris, mais en même temps qu’on lançait l’inauguration des écoles, il y avait aussi dans les journaux des articles sur les dangers de l’espionnage industriel. Je ne suis 10 pas naïve, je sais que ce danger existe mais le danger de l’isolation de la France, le danger de ne pas être au centre des réseaux de l’innovation, de communication est beaucoup plus dangereux, ne pas créer de centres est, à mon avis, beaucoup plus dangereux pour tout le monde que le danger de l’espionnage industriel. Je crois que c’est vraiment dans l’intérêt de dire que tous ces pôles de compétitivité existent pour la France et dire : « Venez chez nous, venez travailler, venez chinois, américains ! » C’est beaucoup plus important de construire en France des pôles où tout le monde se croit obligé d’être présent plutôt que de ne pas être dans les courants de l’innovation. Dernier point, je pense que pour nous, qui sommes des universitaires, notre mission est d’apprendre à nos jeunes et à nous tous, comment apprendre la Chine, comment faire, si l’on veut véritablement vendre en Chine, si l’on veut participer à ces réseaux, à ces nouveaux espaces de production et de consommation, comment le faire ? On a un bel exemple avec le Japon qui a passé vingt ans à apprendre comment vendre des voitures à des Américains. Avec les résultats que l’on voit aujourd’hui aux Etats-Unis avec Toyota par rapport à General Motors et Ford. Comment apprendre le goût des consommateurs, comment travailler avec des travailleurs américains ? Je crois que nous avons tous à faire des efforts similaires partout dans le monde. [Question de la salle sur le rôle et la place de l’Etat] S.B. Ce sont des questions que nous avons essayé d’explorer et d’autres que nous n’avons pas encore suffisamment regardées. Pour commencer avec la question du rôle de l’Etat. Dès le début de notre enquête, au sein de notre équipe, la question de ce que pouvait faire l’Etat était un vrai sujet de discussion entre nous. Il existait évidemment des différences entre nous, entre les ingénieurs et les chercheurs en sciences sociales, et cette question du rôle de l’Etat était une question très délicate au sein de l’équipe. Finalement, les membres de l’équipe étaient moins portés à l’idée que l’intervention de l’Etat était une bonne chose en soi mais ils étaient obligés d’admettre qu’il y avait des rôles indispensables pour l’Etat. Et, cela essentiellement pour une raison. Aux Etats-Unis, ce qui est essentiel c’est l’acceptation générale par la population de voir les activités économiques en recomposition, en transformation plus ou moins continuelle. Lors de la pause, nous avons discuté avec vos collègues de la disparition de Digital Equipment, qui était un fabricant d’ordinateurs qui du point de vue technologique était très en avance et malgré cela il a disparu. On dit aussi qu’en France, Bull a été gardé « sous perfusion » si on peut dire, pendant plusieurs années. Est-ce que la disparition de Digital était vraiment dommage, est-ce que l’Etat aurait dû faire quelque chose ? Les ingénieurs de notre équipe ont dit que l’explosion de Digital était très bien parce que ça a libéré des ressources, des talents qui ont été recomposés et ont donné lieu à la création d’autres entreprises telle que Micro System. En fait, des entreprises de la Silicone Valley qui ont fait la révolution dans le domaine de la technologie, de l’informatique depuis la fin des années 90 ont beaucoup utilisé des talents qui ont été libérés par la disparition de Digital. Donc, cette possibilité de recomposition, d’ouverture, d’acceptation générale de recomposition des ressources est plus ou moins bien acceptée aux USA avec tous les sacrifices que cela inclue. Mais l’on voit aujourd’hui que le rôle de l’Etat change si l’on veut garder, préserver cette option pour l’ouverture, pour la recomposition de l’économie, il faut que l’Etat assure tout de même le minimum social qui, aujourd’hui aux USA n’est absolument pas assuré. Dans le domaine de la santé, il y a un million d’américains qui n’ont même pas d’assurance médicale, les retraites sont inégalement protégées. C’est vrai qu’il existe très peu de chômage aux Etats-Unis mais en fait, c’est parce que les gens qui perdent leur emploi, en retrouvent rapidement un autre, mais une personne qui a travaillé dans une usine manufacturière et va travailler par la suite au Wall Mark va voir son salaire fortement diminuer, et ses retraites baisser. On commence à comprendre aux Etats-Unis que l’Etat a joué un rôle important dans le coût de la distribution dans la mondialisation. On peut imaginer une forte ouverture mais il faut en assurer les coûts, et il n’y a que l’Etat qui puisse faire la distribution nécessaire des ressources. Je crois qu’il y a des politiques 11 imaginables des salaires, on a aujourd’hui des propositions extrêmement intéressantes. Dans le domaine des assurances des salaires, l’idée de constituer un fonds de salaires, par exemple si le salarié qui retrouve un nouvel emploi — même si le salaire est à un taux différent — et la mise en place d’une sorte de fonds d’assurance qui pourrait assurer un certain équilibre par rapport au salaire qu’on a eu. Il y a des efforts à faire dans le domaine de l’Education, de l’enseignement, de la formation permanente. Aujourd’hui, aux Etats-Unis il y a beaucoup de rhétorique sur la formation mais ce n’est que de la rhétorique. L’échec de l’école primaire est tel, que l’on sait que quelqu’un qui sort de l’école à dix-huit ans, qui entre dans l’industrie et qui se retrouve au chômage à quarante ans, et bien les possibilités de re former cette personne de ce niveau d’éducation, est extrêmement faible. Il faut reconnaître cela chez nous. On n’est pas au Danemark aux Etats-Unis. Donc il faut trouver d’autres solutions, les efforts que nous devons apporter sur la formation, est essentiellement sur l’éducation de l’enseignement primaire et secondaire et, il ne faut pas trop attendre de la formation permanente pour les gens âgés de quarante ans qui sont malheureusement les perdants de notre société. J’ai donné une conférence devant la Confédération des syndicats au Danemark. Ils investissent beaucoup dans la formation de syndicalistes pour les négociations dans les entreprises qui proposent de faire des délocalisations. C’est un sujet extrêmement intéressant, ce que nous avons trouvé dans nos interviews, c’est que les entreprises envisagent la délocalisation qu’en comptabilisant les avantages qu’ils vont gagner en se délocalisant. Beaucoup d’entreprises qui veulent délocaliser se font une idée sur les salaires chinois. Les chinois gagnent vingt fois moins que nous, donc ils pensent qu’ils vont gagner en délocalisant leurs activités. Or, ce qui compte dans le monde, c’est le prix unitaire du travail, c’est de savoir combien cela coûte de produire une unité de produit, ce n’est pas le gain de salaire. En Roumanie, par exemple, j’ai été très étonnée lors d’une interview dans une usine de fabrication de pull où le propriétaire était italien et le manager était italien. Un moment donné, il m’a montré les manches d’un pull blanc, en maille très fine. Certaines étaient faites en Roumanie, les autres en Italie, il m’a demandé si je pouvais deviner lesquelles venaient d’Italie et lesquelles étaient fabriquées en Roumanie mais je ne voyais pas la différence. Donc, je me suis dit immédiatement que c’était fini pour cette usine en Italie parce que je savais que le salaire roumain était le dixième du salaire italien. Il était très heureux de voir que je ne pouvais pas faire la différence mais il m’a dit que le problème était que la fabrication de ces manches de pull coûtait plus de 50 % plus cher en Roumanie qu’en Italie. Je me suis dit comment est-ce possible ? Les salaires sont dix fois moins élevés en Roumanie. En fait, c’est la laine qui est très chère, donc chaque manche défectueuse revient très chère. L’ouvrier italien, lui, est capable de réparer la machine mais pas l’ouvrier, ici, en Roumanie, il faut faire venir un technicien qui va mettre deux jours à remettre la machine en route. L’ouvrier italien est capable de refaire le programme des machines pour fabriquer l’après-midi des manches pour un pull d’enfant tandis que l’ouvrier roumain ne le sait pas encore. Mais les Roumains n’étant pas moins intelligents que les Italiens vont bien évidemment apprendre dans deux, trois ou cinq ans. Aujourd’hui, il coûte encore moins cher de fabriquer ce produit en Italie tout compte fait ! Donc, il faut résonner par unité de production et non pas en salaire, ce n’est qu’un élément mineur dans l’équation des coûts. Et, si les syndicats savaient utiliser dans leurs négociations une comptabilité qui serait un peu plus proche des vrais coûts de production, ça serait un travail qui pourrait donner des résultats. Un autre élément qui va dans le même sens. Lors de nos interviews en Chine cet été, nous sommes allés dans une Join Venture française/chinoise, un fabricant de mobiles, le manager français nous a dit qu’il y avait 25 ingénieurs français sur le projet et 375 chinois. Les salaires des Français étaient aussi élevés que les 375 salaires chinois et les salaires français étaient comptés sur le budget de Paris, le patron qui est obligé de venir tous les mois pour surveiller ses projets, son salaire, ses frais d’avion sont également sur le budget de Paris. Donc, quand l’entreprise voit l’activité en Chine, il voit les salaires chinois, il ne voit pas le fait que ses « extend » sont absolument obligatoires aujourd’hui donc il faut essayer 12 de voir les vrais coûts de la délocalisation et de raisonner à partir de cela. Et, je pense que les travaux syndicaux sont nécessaires. RÉPONSES SYNDICALES, "MAKING OFFSHORE OUTSOURCING SUSTAINABLE" PRESENTATION DU PROJET EUROPEEN SYNDICAL "MOOS" FRANCOIS DAVID, CHARGE DE MISSION CFDT CADRES Depuis ce matin, on a parlé de stratégie d’entreprise et de bilans économiques des délocalisations, à savoir le prix réel du produit réalisé, fabriqué. En fait, nous, on est parti d’un constat, que Suzanne Berger a rappelé ce matin, c’est que, a priori, il n’existe pas de stratégie gagnante, ni de méthodologie systématique en ce qui concerne la délocalisation. À savoir que si on essaye de segmenter les affaires, si on essaye de savoir quelle serait la délocalisation optimale pour une PME, ou grande entreprise, dans une segmentation sectorielle, on trouvera toujours l’exemple et son contre-exemple. Ça c’est un enseignement qui est un peu contraire à l’intuition qu’on aurait pu avoir au départ, c’est qu’il n’y a pas de solution parfaite. En revanche, ça ne veut pas dire que tout projet de délocalisation doit être considéré comme naturel et à priori viable. Il arrive alors la question suivante, c’est s’il n’existe pas de stratégie optimale, si on nous présente un projet de délocalisation, à nous syndicaliste, que pouvons-nous faire et que devons-nous faire ? Donc voici en quelques mots le point d’entrée de notre étude. On a essayé de développer les outils, de développer un savoir qui permette aux équipes syndicales de parler sur le terrain économique, de parler sur le terrain stratégique et de poser des questions qui parfois dérangent les entreprises. On a vu ce matin, j’ai trouvé très cela intéressant, on a vu la courbe des textes de presse sur la délocalisation et la courbe réelles de ce qui se passe dans la délocalisation. Ça montre bien un point, en l’absence de stratégie optimale, il y a toujours une espèce de crainte sur les délocalisations, une crainte, je dirais, irrationnelle, qui je crois explique la différence qui existe entre ces courbes. Pour des raisons pratiques, nous avons concentré notre travail sur un secteur qui est celui de l’informatique et le système d’informations. Pourquoi ? Et bien, parce que beaucoup d’entre nous en étaient issus et deuxièmement, comme cela a été dit ce matin, c’est vrai que les technologies digitales ont permis et ont accéléré la mondialisation puisqu’elles permettent de segmenter et de découper la chaîne de la valeur, de découper la chaîne de production et de pouvoir fabriquer certains morceaux à différents endroits. Donc, on s’est dit puisque ces technologies digitales ont permis de le faire, regardons cette technologie en elle-même de ces secteurs. Sur les entreprises de ce secteur, on a deux catégories d’opération, on a les transferts d’activité, chez un sous-traitant, et puis il y a le transfert d’une même activité dans un autre pays, en général, avec une main d’œuvre à plus bas prix, on revient bien à dire, dans le milieu économique, qu’en fait, la délocalisation, c’est un salaire moins élevé dans un pays en voie de développement, qu’on qualifiera d’off-shore. Tout ça pour dire que le projet qui s’appelle MOOS, c’est un acronyme, comme toujours, qui veut dire « Making offshore and outsourcing sustainable », la tradition serait de faire en sorte que le processus offshore et outsourcing soient viables, viables dans tous les sens du terme, pour l’entreprise, pour les salariés, pour la vision économique de ce secteur. Ce projet européen MOOS a permis une collaboration entre différentes organisations syndicales notamment européennes, sept organisations se sont jointes à nous, ce qui est intéressant à voir, c’est que ce sont des syndicats de pays nordiques, donc sur des modèles syndicalistes un peu différents du nôtre, on a donc voulu avoir une vision la plus large possible sur la question, voir si des approches de leurs côtés avaient donné des résultats différents de nous. Donc, je vais essayer de faire court. On a deux productions majeures après ce travail qui a duré à peu près deux ans et demie. C’est un guide à usage syndical qui a été traduit en cinq langues et un site Web ; Ce guide, vous l’avez dans les documents qui vous ont été distribués ce matin et vous pouvez évidemment télécharger dans la langue de votre choix sur le site. Là, où la CFDT et la CFDT Cadres a été plus loin, c’est qu’on a voulu donner un 13 prolongement à ce projet et l’on a voulu le travailler avec des équipes syndicales, toujours du secteur de l’informatique et du système d’information et l’on a essayé de s’associer à des équipe de EDS, et … pour construire la production du document supplémentaire. À ce titre, on a créé une boîte à outils – qui est disponible sur le site – et qui est un essai pour permettre aux équipes syndicales de se saisir des problématiques économiques et stratégiques citées de ces délégations, traditionnellement les syndicats travaillent en aval des organisations sur les aspects sociaux et là, l’idée était de travailler en amont sur l’aspect économique pour éviter le plus possible d’avoir des conséquences sociales ennuyeuses. Plus concrètement, sur les productions, il y a un texte sur le renouvellement de la critique syndicale, avec un chapeau qui présente la démarche menée sur ce travail, sur ce thème. Il y a deux éléments forts, je dirai, qui sont une fiche de nature stratégique, qu’on va reprendre après et regarder rapidement, et une fiche économique et sociale en matière de coût, on s’est intéressés à la véritable construction des coûts d’un produit, de sa conception jusqu’à sa commercialisation. Une fiche sur le contexte de régularisation, c’est une fiche franco-française sur (bruits), on était obligés, pour une question juridique de partir du pays d’origine. Des cas d’entreprises et de monographie, mais on y reviendra après, avec des équipes syndicales qui ont participé à l’élaboration de ces outils et, puis enfin des articles de presse, des références. Mon propos est de vous présenter ces fiches stratégiques et économiques, vous verrez ce sont des fiches qui sont synthétiques et qui ont en même temps le mérite c’est d’être synthétiques, explicites mais aussi génériques. Donc, je crois qu’avec un tout petit peu de travail, on peut les transformer et les adapter à d’autres secteurs d’activité. Ces fiches ont été aussi faites avec cette idée de simplifier la vie des équipes syndicales qui voudraient se servir de ces fiches et qui ne seraient pas du secteur informatique et des technologies de l’information. Ce qu’il faut retenir c’est qu’on s’est posé les questions fondamentales, quand les syndicats doivent faire l’intervention, auprès de qui et comment, s’il y a quelque chose à retenir ce sont ces trois choses. Alors quand ? Et, bien le plus tôt possible, ce n’est pas toujours très facile car traditionnellement les directions ne font pas forcément confiance, donc c’est à nous équipe syndicale de voir si notre entreprise va être sujet à une délocalisation, d’essayer d’interroger nos réseaux, que l’on peut avoir de part et d’autre. Pour les grandes entreprises, ça peut être les comités européens, c’est aussi l’occasion de poser des questions, avec évidemment les cadres et les salariés des départements dans lesquels on travaille, des départements concurrents au sein de la même entreprise. Comment ? Cette fois-ci, c’est un peu une démarche un peu nouvelle pour les syndicats, c’est aussi se projeter sur le domaine économique des choix, l’entreprise nous fait une proposition et bien souvent, surtout sur les entreprises sur lesquelles on a travaillé, il n’y a pas de stratégie à long terme, donc on peut s’interroger quand une entreprise n’a pas de stratégie long terme, comment ont-elles abordé de façon intelligente une délocalisation et, quand on commence à aborder les différentes thèmes économiques, structurels, conjoncturels, relationnels, ils vont faire leur délocalisation soit par effet de mode, soit parce que le concurrent l’a fait soit parce qu’ils ont l’impression que s’ils ne la font pas ils vont perdre de l’argent. Et, dès qu’on commence à leur poser des questions un peu simples, on l’a vérifié avec l’équipe syndicale avec laquelle on a travaillé, ils disaient, « Tiens, c’est marrant, on a un des partenaires qui nous pose des questions, nous fait réfléchir, et ils se rendent compte que leur projet n’est pas viable, n’est pas parfait dans l’état où ils nous l’ont présenté. Après, il faut qu’ils l’intègrent dans leur entreprise et c’est quelque chose qu’ils ont souvent du mal à faire. On aborde ensuite le sujet du résultat attendu mais aussi du suivi du projet et ça c’est quelque chose que les entreprises n’ont pas l’habitude de faire, c’est, on présente un projet mais qu’est-ce qu’on attend vraiment de ce projet ? Ils ne sont pas capables de quantifier le résultat de ce projet. C’est déjà quelque chose d’intéressant et puis après comment, est-ce qu’on peut mettre en place un système de suivi, un système qui pourra corriger en temps réel les divergences de l’application de ce projet. C’est très important de poser ces questions de quid sur la délocalisation, avant même qu’elle n’ait commencé et comment on fera pour vérifier que le tableau de bord, les indicateurs 14 économiques sont vraiment pertinents, et comment faire éventuellement pour changer son fusil d’épaule si d’aventure la délocalisation est un échec. Ça peut être un processus de relocalisation partielle, on peut imaginer tout un tas de choses. Et puis, la dernière question, on l’a aussi déjà un peu abordée ce matin, c’est la question de la redistribution de la valeur ajoutée, qui ne se situe pas au niveau du pays mais au niveau de l’entreprise. C’est de dire, d’accord il y a un outil de production, d’accord il y a des salariés qui sont dans le « pays mère » qui veulent bien donner du travail à des salariés à d’autres pays mais la valeur ajoutée qui va être produite comment elle va être redistribuée pour que l’entreprise justement puisse rester viable et ce sont toutes ces questions qu’on a abordées dans cette fiche. Il y a une autre page, mais on va directement passer à la fiche suivante mais nous restons à votre disposition pour toutes questions et même pour la suite si vous avez des questions. Donc, la deuxième fiche, à caractère économique, le début est le même, les lieux d’échange sont un peu plus riches, c’est intéressant d’avoir des partenaires syndicaux dans le pays pour valider les informations que nous donnent les directions quand on leur présente un projet. Ça c’est le vrai plus, la vraie valeur ajoutée du syndicalisme sur l’aspect économique, on est capables d’aller voir au niveau le plus bas de l’entreprise du pays cible, si ce qui est raconté en haut est vrai, parce qu’il y a aussi ce phénomène, vous pouvez avoir dans un pays cible des dirigeants d’entreprise qui vous donnent une vision de leur entreprise qui n’est pas totalement conforme à la réalité, comme chez nous d’ailleurs et, je crois justement que l’acteur syndical est fondamental dans son entrée d’information. Cf. Annexe 1. Fiches pratiques MOOS « Intervenir syndicalement sur la stratégie de l’entreprise » et « Intervenir sur les questions économiques, sur les coûts » TEMOIGNAGE DES EQUIPES CFDT D’EQUANT ET D'EDS. QUESTIONS POSEES, REPONSES SYNDICALES. APPROCHE PAR LES COMPETENCES INDIVIDUELLES ET COLLECTIVES VALERIE PAU ET MARC BITZBERGER (EDS) V. P. Chez EDS (Electronique Data Système), quelle est la réalité aujourd’hui pour les équipes syndicales confrontées à ces questions ? Un plan d’ensemble, ça concerne la gestion de l’entreprise, les fournisseurs,… et les questions des ressources humaines, tout ce qui est contrats, prestations, toutes ces activités de l’entreprises sont sous-traitées à l’étranger, dans la structure d’EDS… il y a trois centres de salariés parce que ça ne marche pas si bien, il faut dire ce qui est, par exemple les producteurs ne sont pas payés, les déplacements ne sont pas remboursés, et ça c’est au quotidien et en plus les administratifs où les responsables ne peuvent pas donner d’explication à leurs équipes, ni de la maîtrise du processus. Côté commerce, ce n’est pas mieux, c’est 80% de salaires, la production de notre société, tous les accords locaux avec les clients sont mis à mal, puisque tout ce qui va autour d’un accord commercial, en amont ou en aval le mode de paiement, c’est fait à l’étranger, sans qu’on puisse le maîtriser alors évidemment ça crée des tensions. Donc, dans ce contexte d’instabilité contractuelle, la délocalisation de certaines activités inquiète surtout parce que le schéma d’ensemble, et en plus on demande aux gens de transférer leur savoir faire à des étrangers qui eux doivent faire leur travail pour moins cher, c’est ce que dit la société, on ne promet aucune augmentation. M. B. La difficulté, c’est de trouver des réponses. A aucun moment, on n’arrive à trouver des réponses à nos demandes, ce n’est même pas par mauvaise volonté, il y a une incapacité à 15 trouver un interlocuteur qui apporte des réponses, on cherche encore des réponses à la stratégie de manœuvre, aujourd’hui ça reste un peu vain, qu’il s’agisse des réclamations individuelles ou collectives, en CE ou même en CE Européen, la stratégie d’EDS reste un mystère. Malgré toutes les instances qui ont été demandées, nulle part, on a une mesure qui est faite à EDS des coûts effectifs et d’évaluation sur un retour à l’investissement pour savoir si finalement c’est vraiment rentable et l’on n’a aujourd’hui jamais eu de réponse làdessus, quelque soit le niveau, y compris au niveau du CE européen. Si l’on revient sur le terrain français, la négociation obligatoire, et aujourd’hui la GPEC qui est aussi obligatoire, ces deux exemples sont une négation même du concept de négociation par que depuis des années les revalorisations salariales, et bien on nous dit que c’est la direction qui décide, la négociation s’arrête-là et aujourd’hui le seul but de la GPEC c’est d’installer un PSE permanent pour pouvoir se débarrasser plus facilement du personnel. V. P. La déstructuration du travail du salarié, son éparpillement à droite et à gauche, on lui enlève des bouts de travail, de sa propre production, il va garder un morceau de programme informatique et l’on va lui en enlever d’autres mais il ne saura pas pourquoi parce qu’il n’a plus la maîtrise globale de son travail et par ailleurs il perd tout espoir de valorisation cohérente de son travail. Ils ne peuvent rien garantir à leurs équipes parce qu’ils n’ont pas la maîtrise. M. B. Donc, dans ce contexte, le défi de la CFDT dans une entreprise comme celle-là, est de créer un collectif qui montre la valorisation des savoir-faire, aujourd’hui, la CFDT est très démarquée et également contestée par les autres organisations syndicales qui font bloc quoi qu’on dise ou qu’on fasse et la CFDT doit se battre sans cesse contre une image d’accompagnement des décisions d’EDS tout en travaillant sur des dossiers concrets. Aujourd’hui on essaye de prendre à bras le corps les dossiers et d’avancer, là où les autres ne font rien et se contentent de dire que ce qui se passe n’est pas bien. On s’interroge sur l’angle d’attaque à trouver pour interpeller les salariés, pour leur faire comprendre les enjeux du rapport de force en question et comment porter ce rapport de force et pour finir sur une note plus optimiste, on peut espérer que l’accumulation des aberrations, des non-sens, des incohérences de l’entreprise et de sa stratégie ou plutôt de son absence de stratégie par une organisation qui met le doigt là où ça fait mal et qui finisse par trouver un écho auprès des salariés, des cadres de proximité voir de certains cadres à plus de responsabilité mais c’est tout de même un beau challenge face à des syndicats exclusivement contestataire à EDS car il est tellement plus facile de EDS de critiquer que de construire quelque chose sur le long terme. Cf. Annexe 2. « Questionnement EDS » J.-P. B. Merci à Valérie et à Marc. C’est un constat assez dur, on l’avait déjà entendu, ce qui se passe à EDS est dur et ça ne laisse pas beaucoup d’optimisme, c’est pour cela qu’on a voulu le tempérer avec un autre témoignage à partir d’un certain nombre de variations concrètes mais, il y a quelque chose de symptomatique, c’est lorsqu’on avait démarré ce projet, on avait la volonté de rencontrer un certains nombre de personnes, en disant voilà ce qu’est capable de faire le syndicalisme européen et international. On a eu un rendez-vous avec le DRH de Cap Gemini dans les quinze jours, lorsqu’on a posé la question avec Marc, on aimerait bien rencontrer un interlocuteur, en France, ce n’était pas possible mais ça serait peut-être possible à Londres alors on a essayé mais ça n’a pas été possible et l’on a abandonné, alors on s’est dit qu’on n’allait peut-être pas quand même aller à Dallas ! Mais, cette absence d’interlocuteurs couplée avec le flou, on n’ose même plus dire de stratégie, c’est vrai qu’on n’a pas la réponse mais c’est une vraie question qui est posée aux syndicalistes, sur lesquelles on va revenir certainement. On est sur une autre entreprise, Michèle va la présenter et surtout sur un retour d’expérience sur ce qui a été fait, c’est une 16 démarche qui est en cours, et qui est loin d’être terminée mais ça permettra d’éclairer notre questionnement aujourd’hui. MICHELE VIALE, SECRETAIRE DU COMITE D’ENTREPRISE D’EQUANT J’ai remis un rapport aux entreprises hier après-midi, nous avons travaillé trois mois ensemble et nous avons co-produit cette présentation et je voudrais vous présenter la conclusion. Elle tient en une phrase, pour préparer une négociation GPEC, j’ai interrogé soixante-seize personnes, la conclusion tient dans la phrase suivante : « la principale critique occasionnée part le phénomène de délocalisation n’est pas une critique de leurs biens fondées mais seule s’adresse les salariés à l’entreprise de ne pas bien utiliser les compétences individuelles et collective qu’ils sont prêts à mobiliser activement pour protéger leur emploi ici, c’est cette critique au nom de la compétence qui est relativement distincte même si elle s’articule avec la critique sociotechnique. C’est comment nous sommes arrivés à ces conclusions, comment on a entremêlés les questionnements du comité d’entreprise et les contributions avec le ministre du travail que nous allons vous présenter maintenant. Cf. Annexe 3. « Renouveler la critique syndicale et le mode d’expertise face aux délocalisations. L’exemple d’Equant » FRANCIS GINSBOURGER, DIRECTEUR DU DEVELOPPEMENT DU CABINET ATEFO, CHERCHEUR ASSOCIE A L’ECOLE DES MINES DE PARIS C’est un enjeu précis dans la demande de GPEC d’aider à élaborer des positions en vue d’une négociation d’un accord de gestion provisionnel des emplois et des compétences, c’est un exercice dans lequel on voit plus la question de la prévision d’emplois que la question de la gestion des compétences. C’est un exercice qui est souvent vécu d’après quelques expériences qu’on peut avoir ; un peu froid, technocratique où l’on a une direction des ressources humaines face à des syndicats, une direction opérationnelle qui a décidé de changements, une stratégie qui n’est pas forcément explicite et dans l’accord de GPEC, on va expliquer les impacts entres les métiers à moyen terme et l’on va discuter du traitement social, c’est ce que j’appel les accords de gestion sociale, les négociations de gestion sociale de l’emploi. L’objectif, le mode de l’exercice, c’est de travailler un peu autrement et de créer un constat qui permet une double confrontation à deux niveaux, d’une part une confrontation entre gestion des compétences et gestion par les compétences. La gestion des compétences, ça part d’en haut, une vision managériale, on a une vision internationale du travail, des activités qui sont ce qu’elles sont en France, des emplois qui sont découpés comme-ci, comme-ça et puis cela aura des impacts sociaux et là on va prévoir des dispositifs de formation, de mobilité. La gestion par les compétences, ça n’est pas pareil. Quand on parle de gestion par les compétences, c’est dire qu’on s’intéresse aux compétences individuelles et collectives, actives par les salariés et notamment à cette part des compétences qui constituent, Suzanne Berger, une expérience industrielle collective, qui fait partie de ce que vous appelez l’héritage dynamique des entreprises et souvent l’on constate, c’est tout à fait étonnant, que les salariés qui sont là depuis longtemps et les moins mobiles sont plus porteurs de cette connaissance de cet héritage dynamique de cette entreprises que les managers qui passent assez rapidement. Et, donc la gestion par les compétences c’est interroger la gestion des compétences à partir d’un regard sur le travail. Le deuxième niveau de confrontation est autour de deux modes de traitement des mutations. Le mode dominant qui est le mode de la rupture brutale, non anticipée, avec un traitement social consécutif que l’on connaît - Suzanne Berger, merci de 17 l’avoir dit pour les Etats-Unis – qui continue à comptabiliser un noyau dur de chômage ensuite pour les personnes les moins mobiles, les moins qualifiées, les plus âgées, et souvent les plus expérimentées mais dont l’expérience n’est pas reconnue y compris à leurs propres yeux. Donc, on sait ce qu’est le traitement social des restructurations, et il y a une autre façon qui est d’articuler l’économique et le social, c’est un peu dans ce sens qu’on va développer maintenant. Pour faire ça, et je vais être très rapide, on fait ce que j’appelle le diagnostic de la valeur des compétences, c’est-à-dire qu’on interroge la stratégie de délocalisation et de localisation ainsi que la manière de gérer la transition à partir du travail, ce qui est un enjeu récurrent, je ne reprendrai pas ce qui a été dit par Suzanne Berger, lorsqu’on a des entreprises qui sont relativement intégrées, c’est encore plus, à mon sens, le cas en France qu’aux Etats-Unis, intégrées verticalement et que se passe, et de ce point de vue, c’est un cas générique, qu’on externalise et qu’on off-shore, on délocalise la fabrication, la production au milieu de la conception, de la R&D, quid de la distribution des réseaux commerciaux et ce que dit, souvent les salariés des entreprises dans lesquelles on a pu intervenir, que ce soit dans le textile ou dans l’électroménager, et je pense à d’autres cas, on va externaliser la fabrication mais qu’est-ce qui va rester en France ? La marque ? Les réseaux commerciaux ? Et la R&D ? et l’interface entre la R&D et la production ? Où est-ce qu’on industrialise les nouveaux produits ? Si on les industrialise en Chine, est-ce qu’on ne va pas se faire piquer très vite nos procédés de travail ? Et, est-ce qu’on saurait le faire ? Quels sont les segments forts ? Où est-ce qu’il y a l’essor industriel, où est-ce qu’il y a des compétences collectives, c’est ça interroger la stratégie de localisation et délocalisation à partir du travail et à partir des salariés qui disent, ça c’est une activité banalisée, tout le monde sait le faire. On a interrogé les salariés, et je vais mentionner un verbatim d’un salarié, il est ingénieur en développement informatique, il gère une base de données, ça lui prend à peu près un tiers de son temps, l’autre tiers est occupé à transférer une part de l’activité en délocalisation donc à décrire l’activité et le troisième tiers à répondre aux demandes des Indiens, à qui cette activité a été est transférée. Il a six mois devant lui pour transférer son activité et il nous a dit qu’il avait fait son CV en précisant qu’il n’était pas libérable, alors un mot sur libérable … M. V. Oui… Il y a une règle qui veut, de façon à ce que les gens ne soient pas retenus sur un poste lorsqu’ils ont passé plus de deux ou trois ans, s’ils ont de l’ancienneté, il faut pouvoir les laisser partir dans les trois mois qui viennent et, l’on s’aperçoit que la règle dans ces contextes-là fonctionne à l’envers, c’est-à-dire qu’on dit à la personne non, tu ne peux pas partir parce que tu n’as pas d’autres anciennetés. F. G. Cette personne dit : « Mon manager ne veut pas que je me lance dans des négociations avant que toutes les « fonctionnabilités « aient été transférées. Je corrige les erreurs qui servent à la facturation en l’occurrence, on me demande de fermer la porte et la lumière derrière moi mais moi, derrière, est-ce qu’ils s’intéressent à ce que je vais devenir ? Ce verbatim est important parce qu’il traduit le fait qu’on utilise les gens jusqu'à ce que l’activité soit transférée mais on ne se préoccupe pas en amont de ce qu’on va devenir, la description des activités de transfert ne va pas de pair avec une description des compétences, ou le transfert des compétences. Deuxième point qui me paraît important de préciser, on est dans les secteurs des technologies de l’information et comme l’a dit Michèle, les délocalisations internationalisation, le travail devenant mondialisé, il y a même des habitudes de coopérations entre le …, (toux), l’Inde, l’Egypte, ça fait assez longtemps qu’il y a des implantations en Egypte donc il y a aussi des compétences collectives non localisées, hors sol. En vérité, ce qui est caractéristique, ce n’est pas les délocalisations mais c’est la succession invraisemblable, la superposition de changements organisationnels, d’abord il y a eu des fusions, il y a une dizaine d’années, la référence à des cultures d’entreprises fonctionne comme le marqueur identitaire. La deuxième chose c’est que les délocalisations à faible fonction de valeur ajoutée vont de pair avec l’affichage, avec une logique orientée service 18 mais on n’en pas encore vu la traduction concrète de cet affichage dans l’activité et comme était lié un accord avec France Telecom et que les plus mobiles des salariés, notamment les cadres, les tops management qui sont en train de quitter le navire, toute cette nouvelle stratégie, etc. Tout ça est vécu comme France Telecom est en train de plier les sources de vie de l’entreprise, point barre. Un processus classique et je disais tout à l’heure, le processus le plus récurrent à propos des délocalisations, c’est l’anticipation que font les directions à travers le fait de bloquer les embauches, ça a des effets qui ne sont pas en tant que tels imputables à la délocalisation, qui sont des effets très simples, il y a des départs, il y a des postes qui sont créés en délocalisation, on ne remplace pas les départs, il n’y a plus de jeunes en insertion, il n’y a plus de transmission des compétences, les plus mobiles s’en vont, les équipes se rétrécissent, les espaces de mobilité et de progression professionnelle avec et l’activité finit pas s’intensifier pour ceux qui restent. J’appelle cela la chronique d’une mort annoncée et, en réalité de cette chronique d’une mort annoncée est liée non pas au développement en tant que tel mais à tout un tas de changements organisationnels qui n’ont pas été gérés du point de vue de l’activité des personnes. Évidemment, le problème c’est que tout cet ensemble de changements organisationnels non digérés, va provoquer beaucoup de postures fatalistes, défaitistes, passéistes, et protestataires. Deux critiques de délocalisations pour en terminer. Il y a une critique que j’appelle sociotechnique. Les décisions, la politique de délocalisation n’obéiraient pas à une rationalité évidente, une rationalité limitée comme on dit chez les spécialistes. On fait des calculs sur le papier mais en réalité l’on s’aperçoit que les produits sont mal faits, qu’il y a des retours. Il y a aussi cette critique qu’on entend beaucoup dans le secteur de I-Tech, le turn-over des indiens, parce qu’il y a la surchauffe à Bangalore donc les indiens mettent en concurrence les entreprises et, effectivement, il y a du turn-over donc, on entend pleins de trucs sur le travail avec les indiens, à distance, comme eux n’ont pas les mêmes horaires et qu’on est en décalage, pendant les contrôles, l’on entend plutôt les klaxons des taxis pris dans les embouteillages de New Delhi, et l’on perd du temps et ça sert à rien et cette coordination n’est bonne pour personne, etc.… Puis, il y a ceux qui vont dire, non ce n’est pas vrai, on est en train d’apprendre, on a déjà su le faire en Egypte, à Rio et dans un an, deux ou trois ans, on saura les apprentissages organisationnels. Deuxième critique, c’est la critique au nom de la compétence, au nom de la mise en œuvre des décisions à proprement parlé de leur gestion, on pourrait faire autrement, on pourrait former des salariés, transférer des activités et reconnaître les compétences apprendre les différences culturelles liées à ça, on pourrait anticiper en articulant la distribution des activités. Deuxième niveau de critique, c’est celle de Suzanne Berger lorsqu’elle dit qu’en aucun cas la compétitivité repose sur la délocalisation, il y a des risques à se laisser aller à la facilité vers des pays à bas salaires, ceci ne veut pas dire loin de là qu’il faille renoncer à toute délocalisation et mais faire de celui-ci un élément d’une stratégie. Donc là, on a vraiment la question d’afficher des éléments pertinents qui montrent qu’on a intérêt à délocaliser ce qui est banalisé et à conserver et développer. Troisième et dernière critique qui me paraît la plus importante, que j’ai appelée la critique au nom de la compétence. Là, il y a un « verbatim » qui s’impose et qui dit la chose suivante : « Je trouve scandaleux d’être payé pour ce qu’on me fait faire et tout aussi scandaleux d’être aussi mal payé pour me faire autant chier ! ». Je pense qu’il faut prendre très au sérieux cette critique-là. Voilà comment j’entends cette critique : je commence à m’inquiéter d’être aussi bien payé pour ce qu’on me fait faire, à moins qu’on ait décidé de me payer à hauteur de ce que je me fais chier, mais ça ce n’est pas présentable et cette critique est une critique du rapport au travail et de sa mise en valeur. Si nous sommes dans un pays riche, un pays cher avec le salaire qu’on a, alors il appartient à l’entreprise de faire en sorte de valoriser notre travail et, elle a alors des responsabilités, en reprenant un terme américain, il y a une responsabilité des managers et de l’entreprise à valoriser nos compétences et cette critique-là c’est une critique du salarié qui se tourne vers l’entreprise, vers la direction, vers le talk-management, vers le middle management, donnez-moi des ressources pour faire face, pour rester compétitif, faites en sorte que je sois plus performant que mon 19 collègue de Rio, de Bangalore. Ça n’est pas une protection de défensive, ça n’est pas donnez-moi un parachute en cas de. Ça va bien plus au delà de ça, c’est une protection active, proactive comme on dit aujourd’hui, le salarié dit donnez-moi les moyens de saisir les chances pour rester dans la compétition, ce n’est pas une critique sur les risques sociaux mais sur le fait que l’organisation ne permet pas de saisir les opportunités économiques. Donc, c’est une critique que nous entendons fortement et je me tourne vers Michèle, comment est-ce que syndicalement vous percevez cette critique ? M. V. Il n’y a pas de stratégie, ou bien nous ne comprenons pas la stratégie ou bien encore l’entreprise ne nous donne pas les outils pour. Et, lorsqu’son se retournait et qu’on regardait le matériel mis à notre disposition, on s’aperçoit que si il y a une stratégie, et je dirai même que si on la regarde de façon détachée, il y a une cohérence depuis plusieurs années et l’on revient souvent dessus, c’était dans la presse d’ailleurs, alors, oui on a des outils, on a pleins d’outils alors pourquoi les salariés se sentent complètement décalés par rapport à la stratégie, par rapport à.. et bien finalement on est arrivés à la conclusion qu’ils ont le sentiment de ne pas faire partie de cette stratégie. Finalement, la stratégie qui est mise en œuvre dans la stratégie de délocalisation n’embarque pas les salariés dans la mutation que l’entreprise est en train de faire. Jusqu’à présent l’entreprise faisait des mutations avec ses collaborateurs et l’on est arrivés un moment donné où l’entreprise fait une mutation sans ses collaborateurs, elle va en chercher ailleurs et elle n’intègre pas ses collaborateurs dans sa mutation, en fait dans l’I-technologie, on change de boulot chaque année, chaque année on avance, ça nous permet d’évoluer et là on est en train de nous demander de scier la branche et l’on ne voit pas la branche à laquelle on va pouvoir se rattacher. Alors, si l’entreprise veut que les salariés continuent à accompagner sa mutation, il vaut mieux qu’elle leur montre la branche sur laquelle ils vont se rattacher parce que sinon au lieu d’avoir des salariés moteurs de la mutation de l’entreprise, on va se retrouver avec des sacs de sable qui seront vraiment très lourds à tirer. Donc, finalement les deux points très importants qu’on a finis par sortir du travail qu’on était train de faire, c’est que premièrement, il faut arriver à convaincre l’entreprise de réassocier les salariés dans les pays industrialisés, à l’intérieur de son entreprise et deuxièmement, il faut absolument arrêter d’infantiliser les salariés. On est dans une société où il y a 92% de cadres, les salariés sont absolument capables de comprendre les mouvements d’une entreprise et les raisons qui font que cette entreprise mute, il faut arrêter de faire des coups en douce et de faire comme mes amis l’ont décrit tout à l’heure, de faire des petits bouts de mutations … il faut sans doute utiliser les outils qu’on a à notre disposition, la formation à la stratégie, voir les conditions … voir comment les mutations des entreprises vont modifier la géographie de l’emploi, qu’est-ce qu’on va mettre en œuvre pour accompagner cette modification et surtout les conditions économiques qui permettent ces outils dont je parlais tout à l’heure et qui souvent manquent, et à mon avis, que les équipes syndicales n’utilisent pas suffisamment. On est devant ces questions, et l’on cherche d’autres trouvailles. J.-P. B. Merci à Michèle et à Francis pour les précisions de cet exposé. On a commencé par un éclairage international et c’est intéressant de terminer cette matinée par un éclairage international de la part du syndicalisme, on aura aussi une expression d’un collègue syndical cet après-midi, donc on n’a jamais oublié la dimension internationale du syndicalisme. TEMOIGNAGE GERD ROHDE, UNION NETWORK INTERNATIONAL – IBITS, INDUSTRY, BUSINESS & INFORMATION TECHNOLOGY SERVICES Vous remarquerez tout de suite que le français n’est pas ma langue maternelle, je suis Allemand, je travaille en Suisse et au boulot on parle Anglais. Je vais essayer d’introduire brièvement un code que nous sommes en train de développer. Ce n’est pas nécessaire de reparler du projet MOOS car ça a déjà été fait par François David et vous pouvez retrouver 20 tout sur le site web. Aujourd’hui les entreprises ont plus d’expérience avec les délocalisations, de nombreux projets de délocalisation échouent avec des conséquences difficiles et mauvaises pour les salariés. Le processus est difficile et complexe, les différentes étapes de planification mise en œuvre, surveillance sont extrêmement compliqués et dans chaque étape, on peut faire des fautes qui ont des conséquences graves pour les salariés. C’est pour cela qu’avoir une réponse professionnelle, et nous avons besoin d’une sensibilisation aux aspects éthiques. C’est pour cela que nous avons commencé à développer un projet pour les managers qui sont responsables des projets de délocalisation. On commence par une vue d’ensemble des divers aspects des délocalisations et un code de conduite pour les cadres impliqués dans la délocalisation et les critères que les cadres devraient raisonnablement appliquer. La prise de ces décisions, la nécessité d’une approche systématique et aussi les implications. Quand vous voyez cette photo de gauche à droite, au milieu c’est moi-même, de l’autre côté c’est un collègue, il est membre d’un syndicat en Angleterre et en même temps il est manager dirigeant pour organiser les délocalisations des British Telecoms. L’entreprise que nous avons visité, c’est Infosys, une architecture impressionnante. Nous avons rendu visite à Infosys pour examiner les conditions de travail, les formations et les salaires. Infosys a des contrats avec BT et l’on fait beaucoup de travaux pour eux. C’est une entreprise d’assez haut niveau avec des standards sophistiqués. Il est absolument nécessaire d’appliquer l’information et la participation, communication et, il faut respecter les politiques du personnel du pays d’origine, ça veut dire protection des conditions du travail et éviter les licenciements abusifs avec un soutien individuel. Il est important aussi pour les managers de respecter les normes des pays de destinations, ça veut dire les conditions de travail et emplois et les normes fondamentales, les OIT et OCDE, il faut savoir que la coopération cultuelle est extrêmement difficile et il y a des coprojets qui échouent parce qu’on n’a pas respecter et l’on n’a pas reconnu les différences interculturelles. Aujourd’hui, nous avons un texte, nous avons lancé le débat parmi nos acteurs membres et nos prochaines étapes, nous continuons de discuter le texte en relation avec notre affilié pour faire des changements et des amendements nécessaires, nous avons une présentation dans deux semaines pour une conférence mondiale pour les cadres à Melbourne (NDLR : la troisième Conférence mondiale d’UNI Cadres s’est tenue en Australie en mars 2008 sur le thème «Des syndicats pour les cadres dans une économie mondiale») et après la présentation, on va lancer une campagne. J.-P. B. Merci Guerd. Ce qu’il n’a pas dit c’est qu’ il y a eu un accord signé avec Brithish Telecoms, ce qui est extrêmement intéressant, et cet accord formalise un certain nombre d’engagements et parmi ces engagements la question du respect des engagements par l’ensemble des acteurs a donné lieu à un contrôle sur place, les équipes syndicales britanniques sont allées sur place pour vérifier si les engagements étaient respectés en lien avec les équipes syndicales sur place. LES ENJEUX DES POLITIQUES INDUSTRIELLES ET L’EVOLUTION DES STRATEGIES DES ENTREPRISES HENRI CATZ, CHARGE DE MISSION SERVICE ECONOMIE ET SOCIETE Toutes ces questions nous poussent à réfléchir sur nos propres structurations, nous, en tant que confédération syndicale au vue des questions qui ont été posées. Nous allons maintenant faire parler nos trois autres orateurs. Je donne maintenant la parole à JeanRené Goidron en tant que chef d’entreprise, en tant qu’entrepreneur quels sont pour vous les enjeux des politiques industrielles ? Quel est, pour vous, l’enjeu de votre stratégie de votre entreprise ? Et j’ai envie d’ajouter aussi dès le début, quels sont les interstices ? Estce que vous avez une marge de liberté, est-ce que vous êtes guidés par l’environnement 21 international, par l’environnement concurrentiel ? Quelle est votre liberté de choix et quels sont les interstices, je répète le mot, sur les différentes stratégies possibles ? GILLES LEBLANC, ECONOMISTE, Directeur du Centre d'Economie Industrielle (Cerna), Ecole des mines de Paris. Maître de recherche en économie Domaines de recherche : économie industrielle, économie numérique, politique industrielle européenne. Analyse des dynamiques concurrentielles et réglementaires, avec applications dans les domaines des technologies de l’information, de la réglementation et de la politique de la concurrence, et les secteurs publics (défense, aérospatial, médias). Théories des structures de marchés et leur déclinaison empirique (par exemple aux problèmes d’entrée, de fusion, de R&D, de différenciation). [Intervention non enregistrée] JEAN-RENE BOIDRON, VICE-PRESIDENT DE CROISSANCEPLUS Je voudrais dire quelques mots sur Croissance Plus parce que, je pense, que ça va un peu éclairer le contexte de ma réponse, dans la mesure où Croissance Plus représente un certain type d’entreprises qui sont dans ce Village Global, mondialisé dans lequel nous sommes et qui ne le vit pas forcément de la même manière que d’autres entreprises ou d’autres secteurs d’entreprises. Donc, en quelques mots, Croissance Plus, c’est une association qui a été créée il y a dix ans, qui regroupe 400 entreprises en France, et qui réunit des PME de croissance, on a également utilisé le mot « gazelle ». Alors qu’est-ce que sont les PME de croissance ? Et bien, ce sont des PME qui ont la volonté de croître et qui généralement ont une moyenne de croissance de deux à quatre fois plus rapide que la moyenne de croissance des PME en France. Pourquoi ? Parce qu’on regroupe des entrepreneurs qui sont dans une logique entrepreneuriale de croissance avant d’être dans une logique patrimoniale. Donc, ceux qui rejoignent Croissance Plus répondent à deux critères. Le premier, c’est la volonté de croissance, c’est avoir une dynamique avant tout « entrepreneuriale » et le deuxième critère, c’est le partage de ces fruits de la croissance avec l’ensemble des acteurs qui composent l’entreprise et qui en font sa richesse. Donc ses salariés qui partagent le fruit de la croissance, c’est évidemment les salaires et c’est également — et c’est notre conviction —une partie des fruits gagnés à travers le capital. Si vous avez entendu parler de l’association Croissance Plus — il est probable que vous en ayez entendu parlée sur le combat des stocks options — on est très souvent à fonds renversés avec le patronat traditionnel sur le sujet, puisque nous, on défend les stocks options pour tous, pour les salariés. Et, évidemment, à chaque fois qu’on entend parler des stocks options dans les médias, c’est généralement les stocks options pour très peu de personnes et, c’est souvent dans des contextes très difficiles à défendre, que nous ne défendons évidemment pas. Tout cela ce n’est pas pour faire la publicité pour Croissance Plus mais parce que c’est important de voir à peu près quel type de mentalité anime les entrepreneurs qui rejoignent l’association Croissance Plus. Alors, j’ai envie de dire spontanément quand on parle de mondialisation, de globalisation, ça fait partie des gènes des entrepreneurs que moi je côtoie à Croissance Plus. Ils ne sont pas tombés dedans quand ils étaient petits mais beaucoup on créé leur entreprise il y a dix ou quinze ans, d’autres, seulement quatre ou cinq ans et, ils ne vivent pas la mondialisation de la même manière que des industries, des secteurs d’entreprises présentes depuis des décennies qui ont acquis des réflexes naturels après des décennies de fonctionnement dans un certain contexte. Depuis quinze ans, même si la globalisation n’existe certainement pas depuis 22 seulement quinze ans — on va dire que les choses se sont fortement accélérées depuis les années 80 — ces entreprises vivent la mondialisation comme quelque chose de complètement nouveau et qui remet complètement en cause leur stratégie. On peut distinguer parmi ces entreprises trois types de cas. D’abord, il y a les premières pour qui la mondialisation, la globalisation est une opportunité et en aucun cas, quelque chose sur laquelle elles doivent s’adapter. Parce qu’il y a des entreprises qui se créent et qui tiennent compte justement des nouvelles possibilités d’utilisation des compétences et des ressources sur maintenant ce qu’est la planète entière, des entreprises qui utilisent cet élément comme un élément compétitif et fort qui vient concurrencer les entreprises qui ont démarré dans un contexte traditionnel sur leur marché traditionnel. Donc, on a un certain un nombre d’entreprises à Croissance Plus qui sont ce type d’entreprises. Pour elles, la globalité, la mondialisation, est une opportunité. Quand vous démarrez de zéro, vous n’avez pas les contraintes de l’existence et vous tirez profit et partie de l’ensemble de ces opportunités. Ensuite, vous avez les entreprises existantes, celles qui ont été créées, comme la mienne en 1998, et qui ont tout d’un coup un nouvel élément qui apparaît devant elles et dont elles doivent tenir compte dans leur stratégie, qui sont justement les opportunités ou les contraintes liées à la mondialisation, à la globalisation. Alors là, il y a deux types de réaction. Il y a la réaction offensive qui consiste à s’adapter rapidement et, il y a la deuxième qui est la réaction défensive qui est celle de maintenir ses activités. J’ai envie de dire que ce qui différencie les premières entreprises des deuxièmes, ce n’est pas que le premier entrepreneur soit dans une dynamique ouverte, offensive, visionnaire, lucide et intelligente et que le deuxième serait recroquevillé dans ses petits schémas intellectuels ne sachant pas bouger. Monsieur disait tout à l’heure qu’il n’y a qu’un seul type de secteur, et un seul type de réaction possible, ma réaction en tant qu’entrepreneur, c’est que vous n’avez pas des situations qui sont comparables d’une entreprise à une autre. Il y a des entreprises pour lesquelles une stratégie — vous l’avez appelée stratégie de qualité ¬— moi, j’ai appelé cela stratégie d’innovation, est possible. C’est-à-dire que la manière de s’adapter à la mondialisation, à la globalisation, c’est très clairement via une stratégie d’innovation technique ou bien une stratégie marketing et, quand vous avez les moyens, c’est-à-dire les interstices dont vous parliez, quand vous avez une marge de manœuvre pour vous différencier — que cela soit d’un point de vue commercial, marketing ou technique — vous pouvez vous en sortir et vous vous en sortez. Je vais prendre mon propre cas, moi, j’ai créé mon entreprise en 98 au moment de la bulle Internet et j’avais positionné mon entreprise dans ce qu’on avait appelé les agences web, c’est-à-dire des sites pour des entreprises. J’ai recruté beaucoup d’ingénieurs pour développer l’ensemble de ces sites et, il y avait une très forte demande. Certes, la bulle a explosé en 2001 mais ce n’est pas vraiment ça qui nous a attaqué. Ce qui nous a attaqué, c’est que les nouveaux moyens de communication sur lesquels nous étions nous-mêmes, ont créé de nouvelles opportunités, des possibilités de développement dans des pays tiers très forts, comme l’Afrique du Nord, si l’on veut rester dans les mêmes fuseaux horaires et avoir la même langue, ou dans les pays de l’Est, la Roumanie qui est très francophile et encore un peu plus loin l’Inde et aujourd’hui la Chine. Alors qu’est-ce que j’ai fait ? Et bien, je suis parti dans une stratégie de qualité pour employer le terme qui a été utilisé tout à l’heure. C’est-à-dire que d’une entreprise de services, j’ai opéré une mutation vers une entreprise de conseils. Ce qui fait que sept ans plus tard, là où hier les facteurs-clés de succès s’appelaient le prix, le réservoir de compétence et la taille de l’entreprise, je suis aujourd'hui sur un marché sur lequel les facteurs-clés de succès sont la forte proximité avec le client, la valeur ajoutée, l’expertise profonde, la compétence. J’ai réussi à m’adapter à cette nouvelle donne parce que je suis allé dans une stratégie de qualité, d’innovation qui fait, qu’aujourd’hui, le sujet de la mondialisation et de la globalisation est un long sujet d’adaptation pour le métier que je fais aujourd’hui. Je me suis adapté de manière offensive à la mondialisation. Cela a été possible dans mon cas, parce que je suis dans ce domaine mais c’est vrai que j’ai un certain nombre d’alter égo qui n’avaient pas la taille suffisante pour résister, qui ne sont pas partis dans 23 cette stratégie, et qui ont disparu. Vous avez à l’autre bout de l’échelle les très gros acteurs du monde du service informatique, qui eux, s’adaptent parce que ce sont les acteurs globalisés, ils ont aussi une stratégie de qualité sur leur marché domestique et ils se développent également aujourd'hui dans d’autres pays. Alors, ensuite vous avez les entreprises qui sont dans la logique défensive — il est difficile de juger, je suis toujours très frappé lorsque je lis dans la presse les procès d’intention qui sont faits aux dirigeants même aux conseils d’administration d’entreprises qui souffrent des délocalisations et qui pour s’adapter n’ont pas d’autres moyens que de parler d’ajustement salariaux — dont vous parliez tout à l’heure. Je ne suis pas du tout un spécialiste du textile mais en tant que chef d’entreprise, je sais à quoi je suis confronté, et quand je suis en face d’une contrainte je regarde les solutions qui sont à ma disposition et quand j’ai une stratégie de solutions, d’adaptation et bien je m’adapte mais on peut être dans des schémas où l’on ne peut pas s’adapter. À Croissance Plus, on n’a pas ou peu ce type d’entreprises mais, pour l’avoir lu dans la presse, comme vous, je suis toujours frappé de voir qu’il y a des secteurs où malgré des innovations marketing très intelligentes, vous avez la réalité devant vous, qui fait que vous ne pouvez pas être compétitifs parce qu’aujourd’hui on est dans un village global et face à d’autres acteurs qui, eux, vont utiliser les moyens qui sont offerts sur la planète. Je vais prendre un exemple pour terminer. À Croissance Plus, on a ce type de secteurs d’entreprises dans lesquels on va retrouver des d’entreprises comme je vous le disais tout à l’heure, des entreprises qui ont vu la globalisation comme une opportunité, d’autres qui ont su s’adapter et d’autres qui n’ont pas du tout réussi à s’adapter. Ce secteur est un secteur qui est très vilipendé, très dur, extrêmement compétitif, qui est celui qu’on appelle avec des mots très nobles « d’acteurs de la relation clients », ce sont en réalité des centres relation clients, ces fameux « Call Center ». À Croissance Plus, on a eu un certain nombre d’acteurs qui sont dans ce secteur et, c’est intéressant de voir que selon les acteurs, il y a en qui ont vu la globalisation comme une opportunité. Comme par exemple, cette entreprise qui s’appelle « Web Help » qui a des Call Center en France mais qui, étant née en 2001-2002, s’est diversifiée sur plusieurs pays, avec une stratégie globale. Vous avez des acteurs qui ont eu une stratégie offensive et qui à l’instar de ce que moi j’ai pu faire en partant du service aux conseils aller vers la valeur ajoutée dans ce métier. Puisque nous parlons de globalisation, on pense toujours en dehors des frontières, on se demande quelle est la concurrence en dehors de la France, mais il faut voir qu’à l’intérieur même de la France, il existe un phénomène global aussi, les moyens de communication ont changé beaucoup de choses. Dans le secteur dont je parle, il y a des délocalisations en Province pour des acteurs qui étaient uniquement parisiens. Donc, il y en a qui adoptent la stratégie de qualité et puis il y en a d’autres qui n’y arrivent pas, je ne vais citer son nom car malheureusement cette entreprise n’est plus là aujourd’hui car elle n’a pas su s’adapter et a été acculée au dépôt de bilan. C’est pour dire, qu’avec mon regard d’entrepreneur, la globalisation est une opportunité sur laquelle il faut s’adapter. C’est naturel pour nous, mais bien que nous représentions des secteurs qu’on peut appeler novateurs, qui ne sont pas des secteurs industriels classiques et l’on voit bien que nos entreprises sont également confrontées à cette réalité. H. C. La présentation nous montre aussi qu’il est impossible d’avoir une réponse unique et que les réponses qu’on a pu apporter face à ce problème sont très dépendantes du secteur. Une question m’est venue lorsque vous avez dit : « Une entreprise qui n’a pas pu ou su s’adapter… », J’aimerais que vous apportiez un commentaire sur cette phrase. Qu’est-ce qu’il relève de « n’avoir pas pu » et qu’est-ce qu’il relève « de n’avoir pas su » ? J.-R. B. C’est une bonne question. Cela revient à ce que je disais tout à l’heure. Je suis toujours très humble concernant cette question et je déteste juger les gens lorsqu’il y a un échec. Quand on a juste le regard extérieur, on dit « y avait qu’à », « fallait qu’à ». Dans ce cas présent, je le connais un petit peu, il n’a pas pu parce que c’était trop tard. Il y a un moment où vous faites face à une réalité et c’est une chose à laquelle tout le monde ici dans la salle a été confronté à un moment donné, c’est-à-dire quand vous commencez à voir une 24 réalité devant vous dans une entreprise, vous vous demandez s’il y a encore une marge de manœuvre pour bouger, est-ce qu’une autre politique est possible ? Est-ce qu’on continue ou bien est-ce qu’il va falloir s’adapter d’une certaine manière avec des mesures difficiles et se réadapter en tenant compte de ces éléments de globalisation. Dans le cas présent, ce n’est pas qu’il n’a pas pu mais qu’il n’a pas su suffisamment tôt et, quand cette personne a voulu s’adapter, et bien, il était trop tard et ses finances étaient dans un état trop difficile. Après vous avez des personnalités dans les entrepreneurs qui jouent d’une manière certaine mais vous avez aussi une vision d’un marché qui n’est pas facile à voir. Il faut bien reconnaître quand vous voyez les cours qui s’inversent, vous vous dites est-ce que c’est conjoncturel ? Structurel ? Vous prenez bien évidemment l’avis d’autres personnes et dans ce cas précis malheureusement il n’a pas su prendre les bonnes décisions mais quand je dis cela, ce n’est pas un jugement qui est porté sur la personne parce que chaque cas est critique. Si je prends mon propre cas, j’ai frisé la correctionnelle en 2002, j’ai vécu les moments les plus difficiles de ma vie et de ma vie d’entrepreneur, en me disant est-ce que j’ai pris les bonnes décisions ? Il est tellement facile de juger après pour dire ce qu’il fallait faire mais cela malheureusement tout le monde sait mais on oublie de préciser qu’on juge à posteriori les actions des uns et des autres et d’un certain nombre d’entrepreneurs. H. C. Je voudrais demander maintenant à Véronique Descaq qui est dans un secteur qui va de l’agence bancaire de proximité jusqu’à la plus haute finance, — dont l’actualité nous a parlé récemment ¬— Quelle est son analyse, sa compréhension personnelle du phénomène de mondialisation ? VERONIQUE DESCACQ, SECRETAIRE GENERALE FEDERATION DES BANQUES Parmi les enjeux présents qui se présentent à nous en tant que syndicalistes, dans la globalisation et la complexité d’une situation, il y a probablement un enjeu qui est mieux communiqué. Quand tu m’as appelé, je t’ai dit que la Banque n’était pas concernée par la mondialisation, en fait, j’ai voulu dire qu’on était peut-être un des secteurs les moins concernés que d’autres dans les délocalisations. Mais, évidemment la banque, ce sont aussi des entreprises mondialisées puisqu’il n’y a pas de frontière dans la finance. Je voudrais vous dresser un tableau rapide de ce qu’on croit comprendre de ce qu’est la banque aujourd’hui à la CFDT. D’abord, ce qu’on a découvert lorsqu’on a commencé à s’intéresser à ces problèmes, c’est que la Banque a beaucoup changé ces dix - quinze dernières années et que la vision traditionnelle que vous avez probablement et que beaucoup de militants de fédérations ont de la banque qui est en fait un réseau d’agences avec les directeurs des services clientèle, qui font des prêts a énormément évolué ces dix dernières années sous le fait ce qu’on a appelé la « déformatisation bancaire qui a fait qu’on a dit beaucoup de bêtises sur la banque. La « déformatisation » bancaire en gros, pour faire dans le très schématique, c’est le fait que les entreprises en l’occurrence, les pouvoirs, sont financés par l’intermédiaire des marchés directement sans forcément s’adresser aux banquiers. Il y a quinze ans, on a pensé que les banques étaient des entreprises, une industrie qui allait décliner. Or il s’est passé exactement l’inverse. Cette informatisation a donné l’opportunité aux banques de se placer comme intermédiaire sur les marchés et du coup, elles ont développé énormément d’activités, dont vous avez entendu parlé ces derniers mois à propos de la crise financière. Donc, beaucoup d’activités autour de ce qu’on appelle la banque de financement et d’investissement et notamment autour des produits de marché, ce qu’on appelle des produits dérivés, vous en avez sûrement entendu parler avec « l’affaire Kerviel ». Je dis cela de façon très rapide pour qu’on comprenne bien que l’environnement dans lequel on travaille depuis une quinzaine d’années dans la Banque est extrêmement différent de celui qu’on voit et de celui qu’il était. La majorité de nos adhérents ont encore pour beaucoup l’image traditionnelle de ce qu’était la banque. Ce que l’on voit d’une façon évidente, c’est que les problématiques qu’on rencontre dans les industries 25 bancaires sont à peu près les mêmes que celles qu’on rencontre dans l’industrie tout court. Une concurrence internationale très forte, un passage d’une logique de banque administrée — Il y a quinze ans, il y avait les employés, les gradés et les cadres, une administration limite militaire. Depuis 2000, dans la nouvelle convention collective, il n’y a plus que deux catégories, les techniciens et les cadres, le vocabulaire a pris de l’importance dans l’évolution de cette structure — donc, nous sommes passés de cette culture d’administrés à une logique d’actionnaires. Les actionnaires des banques attendent que les banques aient une rentabilité suffisante. La plupart d’entre elles, parce qu’on a une spécificité en France, c’est qu’on a un fort secteur mutualiste et en même temps, les logiques de rentabilité sont les mêmes dans les banques mutualistes que dans les grandes banques que vous connaissez, BNP ou Société Générale. Même, si juridiquement, elles sont arrivées de façon différente, les logiques à l’œuvre sont à peu près les mêmes. On a des problématiques qui sont les mêmes que dans l’industrie, c’est-à-dire des stratégies de croissance externes par l’international, par fusion, des OPA, vous avez sûrement suivi cela dans la presse. Des problématiques aussi de fidélisation des activités, c’est-à-dire se recentrer sur son corps de métier, fidéliser des activités qu’on estime plus rentables de faire par les filiales et aussi des politiques de diversification des activités, dans l’assurance, dans l’immobilier, ect , avec des problématiques de mise en commun des moyens. On parle même dans la banque de « constitution d’usines bancaires », c’est-à-dire qu’il y a des usines qui font de la conservation de titres et on appelle cela des « usines bancaires ». C’est dire qu’on est dans des stratégies et des logiques qui ont extrêmement évolué. Pour les salariés, ces évolutions ont un impact sur les effectifs, à la fois aussi parce qu’on avait une culture de fonction publique et aussi parce que la pyramide des âges le permettait, la gestion des emplois, l’adaptation des emplois s’est faite sans grande violence et sans plans sociaux comme on peut en voir parfois dans l’industrie. En revanche, l’évolution sur le contenu des métiers est évidemment assez significative. Les métiers d’employés, on va dire, sont en forte diminution, par contre les métiers à forte rentabilité, les traders, l’accompagnement des entreprises dans leur évolution, ceux-là sont des métiers en fort développement. Les métiers de contacts avec la clientèle, les métiers commerciaux aussi et, du coup cela a créé deux catégories de salariés. Les salariés dont les métiers sont peu recherchés, où il y a des problématiques d’adaptation, s’ils veulent garder leur emploi, on va leur demander de se reconvertir et au contraire, des métiers un peu nobles, ceux principalement de la finance et certains commerciaux, où là d’ailleurs, on commence à constater une certaine pénurie sur le marché du travail, ou du moins, on anticipe une certaine pénurie sur le marché du travail, et tout ce qu’on a vu se combine avec une pression forte sur la rentabilité des entreprises bancaires et aussi une pression forte sur les conditions de travail qui sont des logiques que vous connaissez bien dans l’industrie. Pour reprendre un peu la qualification que Suzanne Berger fait dans son livre des trois modèles d’entreprises, celles qui sont fragmentées, qui délocalisent un peu leur production, la fragmentent, la filialisent de la façon qui leur semble le plus efficace et puis, les entreprises qui restent organisées sur un modèle vertical et les entreprises qui fonctionnent sous forme de « cluster », c’est-à-dire qu’on se retrouve tous dans un endroit car il y a des logiques qui font que c’est plus efficace comme ça. Et bien, ces trois logiques existent dans les banques de la même manière, le modèle d’entreprises fragmentées qui se délocalisent c’est plutôt les banques à culture britannique, le modèle vertical c’est la BNP par exemple, la BNP délocalise peu et elle ne filialise pas. Et, enfin le modèle qui fonctionne par « cluster », c’est un peu la City à Londres, vous avez bien compris que si les banques délocalisent leurs salles de marché à Londres c’est parce qu’elles ont besoin de ces réseaux serrés, d’entreprises, comme disait Suzanne Berger, qui vont à la fois échanger assez rapidement des informations, des compétences qui fonctionnent toutes avec la même langue. Et puis Londres, c’est aussi pour des raisons historiques, Londres était l’endroit où ça devait se faire comme les nouvelles technologies se font à la Silicone Valley. 26 Il y a donc ces trois systèmes industriels dont rend compte Suzanne Berger que l’on rencontre dans la profession. Tout ça pour dire que pour les syndicalistes qui sont confrontés à ça, et bien il faut essayer de comprendre comment tout cela fonctionne et essayer de regarder comment on peut apporter des réponses aux problématiques des salariés. Quand on est arrivés à la fédération de la banque, il y avait une nouvelle équipe depuis deux ans et demi, et l’on a toute de suite pensé qu’il fallait un peu rompre avec certaines habitudes qu’avait parfois le syndicalisme qui était d’être dans la réactivité, et aussi un peu dans la contestation, parce que lorsqu’on ne comprend pas le monde dans lequel on vit, c’est plus facile de dire que c’est pas bien. Donc, on s’est dit qu’on allait entamer un travail qu’on a appelé d’un nom un peu pompeux « prospective stratégique » pour essayer trois choses. Premièrement, comprendre le monde dans lequel on est, comprendre ce qu’il s’est passé ces dix ou quinze dernières années, comprendre la situation aujourd’hui. Deuxièmement, anticiper sur ce qui va pouvoir nous arriver et troisièmement, agir. Faire des propositions CFDT pour accompagner les salariés dans tout ce processus. Je pense qu’il y a trois gros enjeux pour nous, et la compréhension de l’environnement était essentielle, un environnement qui change vite, avec des métiers qui sont nouveaux, qui se renouvellent en permanence, difficile à comprendre pour des militants qui n’ont pas, comme je vous le disais tout à l’heure, cette culture-là. Dans ce chantier, on a essayé de voir, dans tous les événements, l’actualité, les dossiers à gérer, s’il y avait une cohérence, et comment on peut comprendre à travers tout ça les stratégies patronales et les stratégies mondiales à l’œuvre. Pour vous donner un exemple assez concret, la crise de la Société Générale, du moins l’affaire de la Société Générale. Un certain nombre de militants peut avoir la réaction de dire que ce qu’il s’est passé sur les marchés des produits dérivés, en fait ça a plombé l’entreprise, ça a mis en danger l’emploi des 58 000 salariés en France et si la Société Générale arrêtait de perdre du temps, de l’argent et des moyens sur le marché des produits dérivés et bien on s’en porterait mieux parce qu’après tout la banque de réseaux c’est plus tranquille, c’est plus rentable et l’on devrait continuer comme ça. Sauf que dire cela, ce n’est pas comprendre que, si aujourd’hui la Société Générale à 130 000 salariés dans le monde, c’est parce qu’elle a justement su développer un modèle de banques universelles, développées en France où l’on fait à la fois de la banque de réseaux, à la fois de la banque d’investissement. Et, la spécificité de la Société Générale, c’est d’être reconnue comme un acteur particulièrement brillant sur les métiers de produits dérivés. Et ça serait trop facile de jeter le bébé avec l’eau du bain, ça serait accepter implicitement, sans le savoir, que la Société Générale avec ses 130 000 salariés, et bien ça n’existe plus, mais qu’en gros on va transformer la Société Générale en Crédit Mutuel avec 40 000 salariés sur le territoire français. Donc, ce sont des choses qu’il faut comprendre avant de dire « On va jeter le bébé avec l’eau du bain », et ce n’est pas toujours évident. On a eu ce débat dans l’organisation pour essayer de décrypter ce qu’il s’était passé. Le modèle qui a été développé est pertinent, en revanche les propositions que fait la CFDT, ce n’est pas pour rejeter la banque de financement, mais pour sauvegarder nos emplois, il faut proposer une régulation pour sécuriser nos entreprises, sécuriser nos emplois. Je ne reviens pas sur le fait que c’est important de comprendre les stratégies des employeurs et, c’est aussi ce qui nous permet de faire de la gestion provisionnelle de l’emploi et les conséquences intelligentes. Mais, il y avait un autre point sur lequel je voulais insister, c’est l’idée qu’il faut qu’on soit indépendant dans notre analyse des stratégies. Je veux dire par-là qu’on a des experts auxquels on peut avoir recours, et dans les comités d’entreprise on a compris cela, mais moi, je crois que cela ne suffit pas, c’est nécessaire mais insuffisant, on ne peut pas s’en remettre complètement aux experts qu’on a dans les comités d’entreprise pour avoir une compréhension de l’environnement dans lequel on vit. On n’a pas assez de compétences économiques dans la fédération de la Banque, il faut se donner les moyens d’acquérir cette compétence et l’on a décidé de faire des formations d’économie avec des professeurs d’économie et non pas avec nos experts, et aussi avec des professeurs d’université et l’on a fait des cursus de 6 jours par an sur les questions économiques. Cette année, il y a dix-huit militants qui les suivent et autant l’année prochaine. C’est à la fois pour comprendre et acquérir de l’autonomie. Comprendre c’est aussi rester en alerte sur ce que ça devient. 27 Aujourd’hui, les choses changent d’un jour à l’autre, surtout dans la banque et dans la période de crise qu’on traverse. Un jour, on nous dit que la crise va retarder la logique des stratégies des banques et trois jours plus tard, on nous dit qu’au contraire, ça les accélère. Donc, il faut tout le temps comprendre ce qu’il se passe. On a mis en place une cellule de veille stratégique avec des militants qui a pour vocation de mettre à jour toutes les fiches faites cette année, de prospective, et on les met à jour régulièrement, avec les lectures, les informations suivant l’actualité, selon l’évolution de la situation. Se méfier des représentations erronées et faire évoluer nos représentations. Dans le mot « comprendre », il y avait aussi pour nos militants, la volonté de leur faire comprendre que la notion de banques françaises n’avait pas beaucoup de sens, et ce n’est pas évident pour les salariés. Par exemple pour les salariés de BNP Paris, la BNP c’est leur maman, ils y ont travaillé toute leur vie, c’est une banque française, c’est un peu leur joyau, leur patrimoine. Donc, expliquer aux militants que la BNP, elle est française mais on ne sait pas trop pourquoi parce qu’au fond plus de la moitié de son activité, plus de la moitié des résultats se font à l’étranger, et que plus de la moitié des salariés ne sont pas français, mais sont à l’étranger. Et, c’est vrai aussi pour la Société Générale et cela induit des changements importants dans la fonction syndicale, des changements sur les questions d’emplois car les discours sur les délocalisations ne peuvent pas être binaires. Deux exemples sur ce sujet, Dexia a pour projet aujourd’hui d’installer une plate-forme informatique au Maroc, la première réaction des syndicalistes français est de dire que ce n’est pas bien parce qu’on pourrait créer des emplois en France ou bien que ça va en supprimer. Dexia est un groupe belge, les collègues Belges disent Dexia développe de nouvelles activités, ce qui veut dire que Dexia doit développer de nouvelles applications informatiques, ça ne retire pas d’emplois en Europe, donc on ne voit pas où est le problème à créer des activités nouvelles au Maroc. Le fait de ne pas être totalement français, nous force à ouvrir notre esprit sur la façon que les autres citoyens du monde et les autres salariés du monde voit le monde et, ils ne le voient pas forcément comme nous. Autre exemple, on dit d’une entreprise qu’elle résonne par fragments de son activité. Voici l’exemple d’une banque qui filialise et délocalise tout ce qu’elle peut délocaliser. Ses dirigeants ont délocalisé leur comptabilité en Inde, ils ont une plate-forme téléphonique en Tunisie, et ils pensent filialiser leur DRH à Belfort. Et, puis ils ont décidé de ramener leur comptabilité d’Inde en Tunisie — c’est intéressant, car ça nous ramène sur le débat sur les critères, sur le fait qu’il faille délocaliser à un endroit ou ne pas délocaliser — pour trois raisons. Premièrement, il y avait un problème de formation des gens, ils se sont aperçus qu’il y avait beaucoup d’erreurs dans la comptabilité et que le niveau de formation sur ces métiers-là, la comptabilité, n’était pas adéquat en Inde alors ils ont pensé qu’il y avait de meilleures écoles en Tunisie. La deuxième chose, c’est le problème de la langue, ils se sont aperçus qu’ils avaient beaucoup de mal à communiquer avec les indiens et le troisième élément qui fait qu’ils délocalisent en Tunisie c’est le fuseau horaire. Trois éléments qui n’ont rien à voir avec les coûts salariaux mais qui ont fait qu’il a été décidé de délocaliser là plutôt qu’ailleurs. Et puis, sur la question des rémunérations, ça nous oblige à changer notre façon de voir les choses. Par exemple, à la BNP Paribas, les revendications des organisations syndicales, quand on parlait intéressement, c’était pour dire qu’évidemment, il fallait calculer l’intéressement sur le résultat du groupe parce que c’est plus intéressant pour les salariés sauf qu’aujourd’hui en termes de justice sociale, est-ce que c’est cohérent de dire qu’on va prendre en compte toute la valeur ajoutée apportée par le travail de tous les salariés de la BNP dans le monde et puis on va le partager à nous, Français ? Donc ça interroge. Le dernier enjeu est un enjeu autour de la sécurisation des parcours professionnels. Là, ce qui nous interroge, c’est que quelque soit la forme, la taille, l’endroit où les salariés exercent leur activité il faut négocier des accords équitables qui prennent en compte la situation des salariés et pas seulement ceux qui sont dans la maison mère mais ceux qui sont dans tout le réseau, de filiales, de sous-traitants en France et à l’étranger. Négocier des passerelles entre les métiers, on a vu qu’il y avait un clivage assez fort entre les métiers à valeurs 28 ajoutées et les autres, alors comment fait-on pour négocier les passerelles ? Il y a aussi les questions de langue qui se pose. Il y a un gisement d’emplois formidables dans le backoffice sur les salles de marchés qui ne demandent pas de qualifications élevées, comme les mathématiques pour les traders, mais qui demandent simplement que les gens maîtrisent bien l’anglais. Il y a un enjeu formidable pour nous qui est de revendiquer à tous nos salariés de base bancaire qu’il faut apprendre l’Anglais pour travailler dans une banque et cela va ouvrir des passerelles professionnelles. En termes de culture pour les militants, ce n’est pas gagné ! À la dernière assemblée, on s’est fait quand même engueuler par une militante qui défendait la langue française. Concernant la reconversion, on ne doit plus l’envisager seulement dans l’entreprise, car dans la Banque, ça veut dire gérer les effectifs par les âges, c’est-à-dire mettre les plus vieux dehors comme on a fait jusqu’à présent, on doit gérer la reconversion sur l’offre d’emploi et d’autres métiers. Voilà. Je m’arrête-là. MARCEL GRIGNARD SECRETAIRE NATIONAL CFDT Nous sommes dans des situations complexes, des mutations profondes, qui interpellent, avec des contraintes, des opportunités, avec des difficultés à décrypter le réel, à piéger les difficultés futures dans des représentations qui ne nous aident pas. Je pense que ce n’est pas très facile d’être syndicaliste et d’avoir la volonté de s’attaquer aux problèmes réels dans une économie de marché en reconnaissant le fait qu’on est dans ce monde-là, dans un pays qui, globalement, très largement, est très rétif à l’économie de marché. Sur ces questions globales dont on parle aujourd’hui, se trimbalent des quantités de représentations fausses et, la CFDT s’évertue à tenter de les démasquer. J’en cite deux qui sont très fréquentes, les délocalisations qui font le pain béni de tout candidat à une élection politique quel que soit le niveau de sa candidature sont synonymes de pertes massives d’emplois alors que les délocalisations depuis toujours sont une part marginale, Suzanne Berger le montrait ce matin. Nous, on peut s’interroger, car le niveau des suppressions d’emplois liées aux délocalisations en France représentent la moitié de ce que sont les suppressions d’emplois liées aux délocalisations en Europe et en même temps, on est un des pays d’Europe où ce pourcentage est le plus élevé. Ça mérite qu’on s’interroge un peu. Et, puis l’autre élément qu’on a mis en évidence dans le cadre des négociations dans le marché du travail, quand on parle de l’emploi, quand on parle de l’évolution de l’économie, on parle des licenciements et des plans sociaux médiatisés, surmédiatisés. Alors qu’on sait que les plans sociaux sont une toute petite partie des problèmes que vivent les salariés et que 90% de la fin des CDI ne sont pas consécutifs à des licenciements économiques et, que dans les licenciements économiques les plans sociaux ne font que quelques petits pour cent du package. Donc, c’est à tout ça qu’il faut tenter de s’attaquer et les économistes que nous sommes, sont confrontés de tenter l’impossible, c’est-à-dire d’avoir ce langage de vérité, ce regard lucide sur l’avenir, de faire en sorte que nous posions des actes qui prennent vraiment en compte l’intérêt global des salariés donc leur avenir, tout en devant gérer au quotidien les problèmes auxquels on est confrontés, lorsqu’il y a une restructuration dans une entreprise. C’est cette question que l’on soumet à la table ronde de la fin de la journée avec — et je vais les présenter dans l’ordre de leur intervention — Dominique Gillier, qui est le secrétaire Général de la FGMM (Fédération Générale des Mines de la Métallurgie), Alain Gatti, qui est le secrétaire général de l’URI de Lorraine, François Laurent qui est responsable de la Fédération Chimie de la CSC (Confédération Syndicale Chrétienne) de Belgique et puis, Patrick Pierron, qui est son homologue en France, qui est lorrain. Il nous a semblé que les problèmes, auxquels on était confrontés, avaient bien au minimum trois dimensions pour eux. Il y a une dimension fédérale, sectorielle avec les débats qu’on a eus tout à l’heure avec Gilles Leblanc, et une dimension territoriale évidente, les emplois, les activités sont inscrites dans des territoires. Cela fait un certain temps que la CFDT considère que notre horizon n’est pas l’hexagone mais qu’au contraire, il n’y avait pas de 29 vraies solutions sur les sujets qu’on évoquait si on ne les mettait pas dans une perspective européenne. DOMINIQUE GILLIER SECRETAIRE GENERAL FGMM Sur cette question de la mondialisation, je dirais d’abord que par la force des choses notre entrée est celle des restructurations, il y a longtemps qu’on y est confrontés dans notre secteur donc, on en a une longue expérience. Quand je parle des restructurations, ce n’est pas seulement les délocalisations qui en sont que de multiples formes. Les délocalisations ont eu un avantage, c’est qu’étant associées dans la représentation, dans l’opinion, à la mondialisation, qui plus est, avec un vrai succès médiatique, cela a finalement eu un effet positif pour nous car ça nous a aidé à accélérer notre réflexion sur cette question. Dès 2004, on avait d’ailleurs lancé une étude avec le Cabinet Syndex qui nous a permis de relativiser le phénomène comme nous disait tout à l’heure Marcel, parce que d’abord ça n’est qu’une des formes et en plus ce n’est pas la forme qui a les conséquences les plus lourdes en termes de pertes d’emplois. Si l’on considérait tous les phénomènes d’externalisation qu’on a vécus dans les entreprises industrielles au cours des vingt dernières années en termes de volume, d’emplois transférés ou perdus, c’est beaucoup plus important. La deuxième chose qui a découlé de cette étude, au-delà de cette première analyse, c’est de nous conduire à une analyse de fond sur cette question de la mondialisation à partir de ce que sont ses effets. Je ne développerai pas ce point car vous avez sur le site une plaquette qui avait été réalisée et qui s’intitule « Mondialisation, Capitalisme, et l’Entreprise » qui abordait objectivement cette question en considérant à la fois les contraintes et les opportunités qu’amène la mondialisation. À partir de cette analyse, et c’est surtout de ça dont je voudrais parler, on a développé une stratégie fédérale qui comporte bien sûr un volet social – que je ne développerai pas car ce n’est pas trop l’objet de cette table ronde – un volet social qui nous amène quand même directement à la notion de sécurisation des parcours que l’on connaît. Car, quand on a les licenciements économiques et sociaux, ce n’est qu’un petit bout du traitement social et l’on a besoin d’une approche beaucoup plus large. Je voudrais développer plus le volet économique et, d’abord le premier acte de notre stratégie fédérale, dans la mesure où l’on est souvent, je dirais même quotidiennement, dans des situations d’urgence face aux restructurations, on a mis au point une batterie d’outils pour essayer d’orienter les pratiques syndicales à partir de notre expérience pour faire face aux restructurations. Je serai bref car cela rejoint ce qu’il nous a été présenté ce matin avec le MOOS. Nous, on a débouché sur trois types d’outillages de situation. D’abord — et c’est ce qu’on voudrait privilégier — c’est comment anticiper les situations de restructurations. Ensuite, et malheureusement, on n’a pas cette possibilité parce qu’on na pas suffisamment, ni assez tôt accès aux informations, donc il nous faut réagir à chaud et ça fait partie de notre mission, c’est indispensable, et c’est une deuxième situation à laquelle on essaye de faire face. Et, puis troisième schéma, c’est d’essayer d’évaluer, de faire une évaluation critique de ce qu’il se passe une fois que des restructurations ont été conduites. Que cela soit des délocalisations ou d’autres formes de restructurations, pour en faire un point d’appui, pour essayer de démontrer qu’il y a un point qui est indispensable quand on est dans une entreprise qui doit assurer la compétitivité et qui sait qu’elle n’échappera pas à des restructurations. On est au stade de la diffusion des outils et, il faut bien reconnaître que ce n’est pas une mise en œuvre facile, construire des outils, c’est déjà un point fort mais les mettre en œuvre c’est encore beaucoup plus difficile. Ça touche à différents leviers qu’on peut utiliser. Le premier, c’est d’utiliser de manière optimum, le droit des institutions, représentatif du personnel. En termes d’informations/consultations, c’est l’utilisation d’expertises, qu’on essaye d’intégrer dans les stratégies syndicales comme un élément essentiel mais l’on voit bien que cette expertise est réservée dans la dimension économique et puis, dans le domaine de la dimension économique, il faut la faire de manière prévisionnelle et ça, on a peu d’équipes pour le faire 30 aujourd’hui. L’on voit bien aussi que l’expertise devrait s’élargir à d’autres domaines et en particulier à la gestion prévisionnelle de l’emploi et des compétences. Dans la période de la multiplication des négociations, on le voit encore mieux. Certains intervenants l’ont bien démontré ce matin. Troisième levier, pour diffuser ces outils c’est la formation économique des militants et là, on a complètement reconstruit les formations économiques de la Fédération. Deuxième acte de notre stratégie fédérale, c’est d’apporter des propositions pour l’avenir de notre industrie, on est dans un secteur industriel et cela, on le fait en consolidant nos analyses sectorielles et d’entreprises, qu’on peut faire à partir de nos expertises. Ça nous permet de déboucher sur un certain nombre d’orientations dont on va chercher à promouvoir des actions en faveur des industries en s’appuyant sur les nouveaux besoins et sur les nouvelles exigences du développement durable. Sur ce plan, on en est au stade de la formalisation d’un mémorandum sur la politique industrielle tournée vers le développement durable — qui s’appellera pas comme cela à la fin — mais, c’est un groupe qui avance des orientations dans des domaines classiques, la recherche, la formation, la fiscalité, tout un tas d’actions favorables au développement d’une industrie tournée vers le développement durable. Mais cela dit, en même temps on a aussi remarqué des développements sectoriels et, en particulier dans trois secteurs, l’automobile, les équipements télécommunications et les fonderies, où l’on a pu bénéficier d’une écoute favorable des pouvoirs publics. Mais, il faut bien dire qu’ils se soucient à nouveau des politiques industrielles et dans ces trois secteurs, de manière différente, on a pu constituer des groupes de travail, de réflexions sectorielles et tripartites avec les employeurs, les pouvoirs publics et les organisations syndicales. Cette approche des politiques industrielles a aussi une dimension territoriale, — non pas seulement sectorielle — et, l’on utilise deux types de situation. D’abord, quand on est confrontés à des sites qui sont restructurés, dans la mesure où c’est souvent médiatisé, ça nous sert de levier pour interpeller des acteurs locaux. Et, puis il y a d’autres types de situation qu’on essaye d’utiliser, c’est la création des pôles de compétitivité. Là, on est déjà au stade du développement sur plusieurs régions, plutôt autour de filières et, en particulier, la filière automobile mais aussi la filière ferroviaire, par exemple. Il y a un grand intérêt à cette approche, c’est un bon moyen pour nous à l’intérieur de la fédération de croiser des compétences syndicales que l’on a à l’intérieur de nos grandes entreprises avec l’approche de nos territoires fédéraux mais aussi avec l’inter professionnel régional. Il y a une autre approche dans cette dimension de la politique industrielle, c’est l’approche internationale, en particulier européenne où l’on voit maintenant se concrétiser une action syndicale européenne sur le terrain des restructurations. Et, plus largement, sur la politique industrielle autour des comités du dialogue social sectoriel, dans l’acier, dans la navale, dans les fonderies, autour des comités d’entreprises européens qui sont bien sûr encore au stade embryonnaire mais, qui ont le grand avantage de mettre en contact des syndicalistes des différents pays européens sous l’égide d’une fédération européenne, La Fem (Fédération européenne de la métallurgie), qui sait bien faire les choses. Troisième vecteur intéressant, quand des grands groupes sont confrontés à des restructurations, on a pris comme pratique, au niveau européen, d’instaurer des coordinations syndicales pour essayer de donner une cohérence aux réponses syndicales. L’autre élément qu’on essaye d’utiliser dans notre stratégie, c’est plutôt un levier qui est celui de la responsabilité sociale des entreprises, qui a l’avantage de mettre les entreprises — les multinationales surtout — en interrogation de l’opinion publique, mondiale. C’est un point intéressant et en même temps ça nous permet de répondre au problème qui était soulevé à la table ronde précédente, de l’éloignement et de l’anonymat des organes de direction. Donc, on essaye d’utiliser des outils qui sont propres à la responsabilité sociale des entreprises. Dans le domaine de la connaissance, de la transparence des entreprises, ce sont des rapports sociétaux et environnementaux, c’est plutôt dans l’axe de vérifier ce que font les entreprises. Il y a aussi les accords avec les cadres internationaux qui commencent à se développer et là on passe à un autre stade qui est celui de l’engagement de l’entreprise. Ce sont des accords en bonne et due forme même s’ils n’ont pas encore un 31 cadre juR&Dique mondial. Le troisième outil important, c’est celui de la notation financière, notation sociale qui nous conduit à un stade d’évaluation, de comparaison. Sur ce plan-là, nous en sommes encore au stade expérimental avec trois équipes de grosses entreprises. Dans cette lignée de la responsabilité sociale, on a également, et je conclurai sur cela, engager un travail sur la gouvernance des entreprises, nous sommes qu’au stade des orientations autour de la théorie des parties prenantes. Nous cherchons à montrer quel est le rôle, quelle est la place des actionnaires, du manager mais aussi des salariés et des autres parties prenantes de l’entreprise. On va essayer de présenter d’ici à la fin de l’année ces orientations dans le cadre d’un colloque. ALAIN GATTI SECRETAIRE GENERAL URI LORRAINE Ce dont je voudrais vous faire part aujourd’hui, ce sont surtout des questionnements, des interrogations et de certaines contradictions. Sur ces dossiers — comme Suzanne Berger l’a dit ce matin — on n’est jamais confrontés à deux cas semblables, et donc on est obligés en permanence d’adapter la stratégie et les réponses, en se posant comme première question, celle de « Qui sommes-nous ?, et « D’où l’on parle ? ». En l’occurrence, ici, d’une union régionale. Ça peut vous sembler être une évidence, se demander quelles sont nos fonctions essentielles. La première est avant tout le lien avec le professionnel parce que c’est le professionnel qui négocie dans l’entreprise avec les limites qui ont été décrites, donc je ne vais pas y revenir. Mais l’interprofessionnel a un rôle aussi en tant que facilitateur vis-à-vis des pouvoirs publics. Il a un rôle aussi de facilitateur en termes de médiatisation et, l’on sait à quel point la médiatisation, qu’on le veuille ou non, qu’on le souhaite ou non, est un élément du rapport de force sur des dossiers lourds. Mais, surtout l’interprofessionnel est porteur d’une vision territoriale. C’està-dire que cela nous impose de mettre en cohérence les différentes actions, la vision qu’on a de l’environnement sur lequel on est. Avec les fédérations professionnelles concernées, c’est aussi aider le professionnel à s’inscrire dans une problématique plus large à partir des réalités d’un territoire, c’est bien aider à comprendre le changement, les évolutions qui sont à l’œuvre à l’échelle d’un territoire. Ça fait partie de la conception qu’on a d’autonomie des structures que d’être en capacité d’avoir les outils pour s’approprier les terrains sur lesquels elles agissent. On a un certain nombre d’éléments d’analyse sur la situation lorraine. Je vais passer très rapidement sur l’essentiel, l’image classique de la Lorraine autour de la démographie, l’analyse autour de l’attractivité du Luxembourg, un certain nombre de choses de ce type-là. Et, je centrerai sur deux choses qui me semblent essentielles, c’est à la fois la crise lourde de l’emploi industriel, de laquelle nous ne sommes pas sortis en Lorraine, en sept ans, nous avons perdu 25 000 emplois, 12% d’emplois perdus dans le pays l’ont été en Lorraine, ce qui ne représente que 3 % de l’ensemble de l’emploi. Autre tendance lourde sur laquelle on doit s’interroger, et interroger nos équipes, c’est l’absence de compensation par les emplois de service, qui est inférieur à d’autres régions. Et puis, c’est une dynamique d’emplois qualifiés qui reste très faible. Mais on a une conviction, c’est qu’on ne fera pas table rase du socle industriel lorrain pour construire sur des ruines ou des friches parce qu’on le sait, l’emploi industriel, joue bien un rôle de création de richesses, bien sûr, mais joue aussi un rôle dans la création d’emplois de services. Et, l’on sait aussi que les politiques industrielles structurent le tissu économique mais aussi le tissu social. L’autre élément fort de cette analyse du territoire, c’est tout ce qui tourne autour de la recherche/développement, l’université qui est insuffisamment développée, insuffisamment appuyée sur l’entreprise. Ce sont sur ces enjeux-là qu’on se doit d’éclairer les équipes. Il y a une chose dont on ne se satisfait pas dans la place que nous avons en tant qu’acteur syndical, c’est d’agir souvent quand c’est trop tard, de ne pas avoir l’espace pour agir en amont, de ne pas pouvoir inscrire notre espace dans la durée. Et, je crois qu’il faut qu’on 32 parte à partir de là d’une analyse de la réalité, de la faiblesse du dialogue social au niveau du territoire. Non pas pour démontrer compte tenu de cette faiblesse qu’il n’y a rien de possible à faire, à construire mais bien de l’analyser pour essayer de la dépasser, dépasser aussi la difficulté du dialogue avec l’Etat, la région. On essaye de construire des choses en Lorraine mais c’est très compliqué parce que cette culture partenariale n’existe pas, en dehors d’Observatoire régional et économique, fonds d’accompagnement de mutations, etc. On a beaucoup de mal, malgré le caractère difficile de l’emploi industriel en Lorraine, à le faire vivre, on a beaucoup de mal à faire reconnaître notre légitimité, à porter un discours, des questions de cette nature. On a du mal à trouver ces lieux où l’on pose des constats, des visions partagées, où l’on pose des réponses stratégiques, une vision de la politique industrielle qui est celle guidée par un certain nombre de contraintes économiques. Mais notre responsabilité est de faire le lien entre de l’économique avec emploi, avec le développement durable, Dominique en a parlé, avec la responsabilité sociale des entreprises. Notre plus-value d’acteurs de la société civile est là aussi. L’autre difficulté, c’est la place de l’Etat. Je crois qu’il faut ramener l’Etat a sa responsabilité, nous considérons que l’Etat a un certain nombre de responsabilités dans la mise en œuvre d’éléments prospectifs, dans la mise en œuvre de leviers incitatifs, en disant ça, ce n’est pas avoir une vision étatique mais c’est bien reposer la place de la démocratie sociale par rapport à la démocratie des politiques. La place de chacun des acteurs, chacun doit jouer son rôle et, l’on mesure au quotidien la pollution de l’engagement du président de République dans le « dossier Gandrange » et à quel point ça plombe la possibilité du dialogue social. On a à gérer aussi des contradictions, les tensions entre notre corps de métiers. Les salariés, dans une entreprise confrontée à un plan social, ont des attentes légitimes auxquelles on doit répondre. C’est évidemment en termes de demande, qui est celle du maintien de l’outil. C’est aussi des exigences légitimes des visibilités par rapport à leur propre avenir et l’on doit construire des réponses dans l’immédiateté parce que c’est notre fonction première. Mais on doit aussi apporter des réponses sur le long terme. Pour tout cela on a un certain nombre d’outils, des outils pour construire des solutions économiques alternatives, c’est le pro/inter pro, le contre projet et l’outil accord de méthode nous permet d’ouvrir cette fenêtre de tir-là. On a aussi la possibilité de construire des réponses sociales pour que ces différents plans, ces mesures ne laissent pas des gens au bord du chemin, en termes de sécurisation des parcours, et puis on va avoir de nouveaux outils autour de la modernisation du marché du travail avec la difficulté de savoir comment on décline localement le contenu de cet accord. Et, puis on a aussi à agir sur le territoire en termes de revitalisation. On essaye de faire le mieux possible et de tenir aussi le bout du long terme avec un enjeu qui est l’enjeu central, là aussi sur le long terme, c’est celui de l’anticipation. On a des expériences en termes d’anticipation en Lorraine qui ont été parfois douloureuses. Si nous n’avions pas anticipé par un certain nombre de plans, des fermetures dans la sidérurgie, si nous n’avions pas fait ce travail d’anticipation, aujourd’hui il n’y aurait plus de hauts-fourneaux en Lorraine. C’est aussi parce que des militants ont pris, avant nous, le risque de s’engager autour de dossiers de ce type-là, qu’on peut encore aujourd’hui parler d’une sidérurgie en Lorraine même si, bien évidemment, il faut continuer à se battre pour la conserver. Donc, il faut créer des lieux où l’anticipation puisse se construire, des lieux qui portent aussi une dynamique d’innovation du développement industriel. Et, l’on se doit en tant qu’inter professionnel d’aider les équipes à prendre ça en charge. Dominique l’a souligné aussi, reconnaissons qu’en matière d’anticipation, en termes de prévision, on a beaucoup de mal à faire entrer nos équipes syndicales dans ces logiques-là compte tenu de tout ce qui a été décrit et en particulier par ce qui a été dit ce matin par les collègues. On est souvent obligés de faire face à l’hostilité de la direction et aussi à celle des salariés, voir des autres organisations. Donc, on se doit de travailler aussi sur ces questions pour voir comment on peut les aider à déplacer ces blocages. Notre responsabilité interprofessionnelle est aussi d’investir les lieux qui permettent d’enrichir une vision territoriale, je pense en particulier au CESR, j’avais prévu de parler de Bertoul et de la scierie de Gandrange. Un mot sur Gandrange pour dire que nous ne sommes pas là dans le 33 cadre d’une délocalisation, si la scierie ferme, c’est parce que ses productions vont être transférées à cent kilomètres dans une usine en Allemagne. On n’est pas dans le cadre d’une mondialisation, à cette échelle-là, on est stratégiquement sur la base d’un contre projet. Mais, ce qu’on se dit surtout, c’est qu’on a l’occasion à travers ce dossier de tirer une opportunité de ce qui est en train de se passer. Une opportunité pour qu’on travaille véritablement avec tous les acteurs autour de la même table — ce qui n’aurait jamais été le cas avant — autour de l’avenir de la sidérurgie, en Lorraine après 2014, en particulier autour de la notion de pôle d’excellence et de recherche, formations aux métiers de la sidérurgie. On a un savoir faire, on a un pôle de compétitivité matériaux innovants, des produits industriels, on a un centre de recherche qui est un des plus grands centres de recherches européen, on a des outils pour rebondir à partir de ça, on a aussi des compétences pour rebondir sur les nouveaux produits, sur les nouvelles technologies et sur la recherche en matière de matériaux innovants. M. G. Le malheur, c’est qu’on agit souvent trop tard. Et, nos militants nous disent souvent vous allez trop vite. Il faudrait qu’on reparle de cette contradiction et je voudrais illustrer – vous en avez parlé tous les deux, de développement durable - mais vous n’avez pas été au bout de ce que cela veut dire vraiment. Il y a quelques mois, il y a eu le Grenelle de l’Environnement, et tout le monde a applaudi, mais très concrètement, des problèmes se posent immédiatement. La déclinaison du Grenelle de l’Environnement, c’est de privilégier le transport le plus économique en ce qui concerne l’énergie et le plus économique en ce qui concerne les émissions de gaz à effet de serre et de ce fait le TGV est une bonne réponse. Et, là les Lorrains et les Alsaciens bénéficient dorénavant d’un TGV qui les met enfin près de Paris. Mais alors que fait-on de l’aéroport de Strasbourg qui va être moins utilisé ? Il faut alors allonger la piste de Strasbourg parce que si le TGV réduit le transport aérien, que vat’on faire des emplois ? La solution serait d’allonger la piste pour récupérer des avions — les plus gros — qui viennent d’ailleurs. Donc, ce qu’on aura gagné sur le développement durable avec un TGV, on va le récupérer par l’allongement de la piste aéroport ! On est très intéressé François de connaître ton opinion sur ce genre de débats. FRANÇOIS LAURENT CSC (BELGIQUE) La question que je me pose est : « Est-ce qu’il y a un autre développement alternatif que le développement durable ? On cherche bien souvent à avoir dans le monde syndical des projets qui soient porteurs, enthousiasmants, fédérateurs, je dois dire que le développement durable comme perspective, c’est un élément qui est mobilisateur. Par rapport à la journée qu’on a eu aujourd’hui, j’ai eu la confirmation de la très grande proximité de nos organisations, j’ai entendu des choses que j’entends régulièrement et, donc nous ne sommes pas vraiment éloignés les uns des autres, pour ceux qui ont vu « bienvenus chez les Chtis » ! Concernant la question de la désindustrialisation, c’est clair qu’en Belgique depuis 20 ans, toutes les entreprises de la vieille industrie ont complètement disparu. Ça doit être le cas dans d’autres régions, les industries qui sont parties sont bien souvent des industries qui font partie de grands groupes internationaux et qui par le biais de la mondialisation ont pu poursuivre leurs activités. Par rapport à ce que j’ai entendu ce matin, je dirais deux choses, le syndicalisme doit être actif sur deux axes : l’axe de la critique, de la dénonciation, de la contestation et l’axe de la proposition. C’est clair que l’on doit critiquer, on doit dénoncer, mettre en cause les stratégies industrielles lorsqu’elles ne sont pas porteuses de progrès social mais en même temps on doit pouvoir négocier, se mettre autour d’une table et pouvoir proposer. Et, dans la part de la critique, je dirais qu’on est souvent démuni parce que les stratégies industrielles sont le plus souvent cachées. Dans mon expérience de syndicaliste, j’ai rarement entendu dire : « Dans cinq ans, on va supprimer 20% de l’emploi ». Ce n’est pas comme ça que ça se passe, les stratégies se 34 mettent en place dans les groupes, au niveau le plus haut et au moment où ça doit arriver, on en est informé, c’est comme ça que ça se passe. Ce qui veut dire que nos outils de la concertation sociale, c’est le cas en Belgique, ne sont probablement plus adaptés à la réalité économique des entreprises. Avec l’information que nous avons, nous sommes incapables de savoir si la ligne de produit sur laquelle on est, est rentable. On est incapables de savoir si la Business Unit dans laquelle on est, est rentable, on est incapables de savoir si son pays, son usine, a une rentabilité par rapport à d’autres. Ce sont pourtant des informations qui me semblent essentielles pour pouvoir construire quelque chose. Donc, on doit adapter nos outils au niveau de l’information économique et financière parce que ces outils ont été pensés à un moment où l’entreprise était familiale, nationale, locale, et effectivement ces outils sont intéressants mais quand on est à la taille mondiale, c’est clair qu’on doit se doter de nouveaux outils. Un autre élément très embêtant pour nous syndicalistes, c’est qu’on n’a pas tout le temps les interlocuteurs qu’il faut en face de nous. C’est rarement le cas. La question de l’éloignement des centres de décisions est vraiment un problème fondamental qui nous demande de nous adapter à la structure et à la taille de l’entreprise. Comme l’a dit mon collègue Dominique, effectivement les structures syndicales européennes, voire mondiales, et les comités d’entreprises européens sont un outil important. Mais on voit aujourd’hui, qu’i faudrait améliorer leur fonctionnement. Dans la phase de la critique, il y a bien sûr les manifestations, les grèves, les actions, les visites chez les représentants des pouvoirs publics, les visites chez le maire, chez le député, chez le président de la région mais lorsqu’on a fait tout ça, il y a quand même un moment donné où l’on doit se retrouver autour d’une table et commencer à négocier. À partir de ce moment-là, on doit commencer à faire des propositions pour pouvoir anticiper par rapport aux stratégies industrielles. On doit avoir des équipes syndicales fortes, qui travaillent avec des gens compétents, des gens qui sont formés, des gens qui sont actifs, qui ont une crédibilité, qui ont une reconnaissance dans leur entreprise et ces équipes syndicales, si elles fonctionnent bien doivent aussi avoir comme mission d’entretenir même dans les périodes calmes des formes de rapports de force pour pouvoir activer ces rapports de force au moment nécessaire. Et, donc, dans notre organisation, nous avons à cœur d’avoir un suivi de chaque équipe syndicale, ce qu’on appelle une permanence chez nous, qui passe une fois par mois dans toutes les entreprises pour dynamiser les équipes syndicales, les faire fonctionner. Si l’on veut que les équipes s’impliquent dans la durée, il faut qu’elles aient un projet et cela ça manque bien souvent. Il faut aussi toujours faire un effort pour être en amont des problèmes et la meilleure manière, c’est d’avoir un projet dans chaque équipe syndicale. Si on peut faire de l’anticipation dans ce projet, puisque c’est de cela dont il s’agit, il y a également la question des formations. Nous regrettons en Belgique de ne pas avoir la possibilité de négocier des plans de formation dans toutes les catégories professionnelles dans les entreprises. Le monde de demain ne sera pas comme le monde d’aujourd’hui, on va vers une économie de la connaissance et il est clair que pour préserver les capacités d’adaptation professionnelle il faut lever le niveau des qualifications. Cela se passe dans l’enseignement mais aussi dans l’entreprise. Il faut, en tous les cas, après qu’un travailleur a fait un effort en termes de formation, qu’il puisse ajouter cet élément dans son curriculum vitae, si d’aventure il devait changer d’emploi. Je voudrais faire un petit détour sur la question du contenu du travail et de l’évolution du contenu. Il y a quelques années, j’ai lu un livre qui s’appelle « Le monde du travail » aux Editions de la Découverte. C’était un ensemble d’articles de chercheurs, un livre extraordinaire, qui décrit les conditions du contenu du travail. Avec l’informatisation, il y a des évolutions qui ont créé un appauvrissement du contenu du travail de chacun d’entre nous. Certains s’amusent à faire des programmes extrêmement sophistiqués et ces gens-là font un travail riche mais combien d’autres font un travail qui n’est pas valorisant, et bien ce travail-là peut peut-être exister dans une entreprise mais pas forcément être déplacé vers une autre entreprise, c’est un vrai problème pour les travailleurs moins qualifiés ou bien pour les travailleurs qui ont une qualification très pointue mais qui n’est pas exportable et, je ne parle pas des conditions de travail. Si l’on veut que nos entreprises soient performantes demain, elles doivent effectivement faire de l’immigration, de la recherche, du développement. Mais, dans quel sens ? Que faire ? Je pense que si l’on veut changer nos attitudes et nos comportements, il 35 faut écouter, comprendre et proposer des solutions. C’est une méthode qui est intéressante et qui est actuelle. Avoir une démarche qui est de dire, écoutons ce que la société veut, comprenons pourquoi elle demande telle ou telle chose et apportons des solutions, je pense que c’est un beau programme y compris pour les syndicalistes que nous sommes. Pour rester compétitifs, je dirai qu’il y a trois lois. Premièrement, l’axe de la qualité, de l’innovation des produits. Je prends l’exemple d’un très grand industriel de la pharmacie en Belgique, et le principal souci pour cet industriel, ce ne sont pas les coûts salariaux mais si l’on veut qu’une entreprise soit compétitive, il faut qu’elle ait des produits de qualité qui les distinguent des autres entreprises. Donc, on est engagés dans une course à l’innovation qui est d’ailleurs une course relativement dangereuse mais c’est un impératif. Le deuxième axe, c’est la question du coût de l’énergie, on a un baril aujourd’hui au coût d’environ de 110 dollars, certains économistes parlent de 200 dollars. Si l’on veut s’en sortir demain, il faudra créer une industrie faible en énergie, et en tant que syndicaliste, je pense que c’est un axe stratégique, je préfère que les économies se portent sur la facture énergétique plutôt que sur le coût du travail. Troisième axe pour la compétitivité, le coût du travail, je suppose qu’on vous en parle chez vous aussi. En Belgique, on a assisté à l’indexation automatique des salaires, quand le coût de la vie augmente, les salaires augmentent sans qu’il y ait négociation, actuellement le système marche bien, on est à 3% d’inflation et donc les salaires augmentent automatiquement de 3%. Mais, ce système a été remis en cause par les entreprises, on a dit non et l’on a négocié ce qu’on appelle une norme salariale, on a accepté de plafonner les augmentations salariales pendant un nombre d’années, autour de 5% sur deux ans. Les 5% étant la moyenne des augmentations des pays wallons. Nous, dans le secteur de la chimie, nous avons quand même des entreprises qui se portent bien — ne tombons pas dans la sinistrose ! — notamment du fait de la grande concentration de ce secteur industriel. Si vous analysez les différents secteurs industriels et que vous prenez les cinq plus grandes entreprises, ça représente un bon paquet des marchés et ce sont de grands acteurs qui peuvent agir sur les marchés. Il y a des débats sur cette question du coût salarial et de la norme, certains ont accepté plus facilement cette norme. Dans le secteur de la chimie, on négocie au niveau sectoriel puis entreprise par entreprise, on arrive à des augmentations moyennes de 7% sur deux ans. La question est de savoir si les actions qui sont entamées pour limiter les coûts salariaux, est-ce que ce n’est pas se plonger dans une spirale vers le bas. Si on le fait en Belgique, les Hollandais vont nous observer pour faire la même chose puis les Allemands puis les Français. Donc, il y a là un mécanisme dangereux auquel nous devons être attentifs. On n’a pas beaucoup parlé aujourd’hui de la question des aides publiques, je veux parler de l’aide à l’investissement et ça mérite aussi un approfondissement important, dans quelle mesure l’Etat peut orienter la recherche, etc.… Je crois que c’est une mutation importante à laquelle on a assisté en Belgique, quand il y a une restructuration, on négocie un plan social, après des manifestations, on arrive autour de la table et l’on finit par négocier un plan social. Jusqu’à présent, on négociait deux choses, le départ anticipé et des primes de départ. En tant que syndicalistes, on essayait d’avoir les prix les plus élevés et l’on constatait que les primes n’étaient pas utilisées de la façon la plus rationnelle. Il n’était pas rare, après une restructuration, de voir un salarié se présenter avec sa nouvelle voiture, puis après il refaisait la véranda ensuite, c’étai la cuisine équipée. Maintenant, on fait de l’accompagnement social des travailleurs licenciés. En Belgique, les organisations syndicales payent des allocations de chômage, nos affiliés qui quittent leur emploi restent affiliés et nous leur payons pour le compte de l’ANPE Belge, les allocations de chômage. Nous avons fait un pas supplémentaire, après une restructuration, nous avons créé des cellules de reconversion où se retrouvent tous les travailleurs licenciés avec comme animateur de la cellule, le délégué syndical qui est aussi accompagné par l’institution de formation. Le délégué syndical accompagne les travailleurs dans leur transition et dans leur recherche d’emploi pendant un certain temps. On a constaté que ce nouveau système donnait de bons résultats. Il y a entre 70 et 80 % des travailleurs qui retrouvent un emploi rapidement et deuxièmement, c’est une excellente manière de lutter contre l’isolement du travailleur après un licenciement car il a la possibilité de retrouver ses collègues, son délégué syndical et d’être introduit dans toute une série d’institutions qui peut l’aider. Cette 36 cellule de reconversion existe depuis deux ans, elle fonctionne bien et c’est devenu maintenant une structure d’accompagnement social qui, je pense, donne de bons résultats. Voilà, en quelques mots ce qu’il se passe en Belgique au niveau des politiques industrielles et de l’accompagnement social des travailleurs. Merci François, sur beaucoup d’aspects, tu nous parles un langage qui nous parle complètement. Également sur ce que tu dis sur la capacité de votre organisation pour accompagner les équipes syndicales, nous on rêve un peu. Patrick, il faut aussi que tu nous fasses rêver en nous parlant de l’Oréal, de Kléber, de Smoby. PATRICK PIERRON SECRETAIRE GENERAL FCE Je vous toucherai peut-être un mot de Smoby mais, c’est juste pour une illustration, je n’avais pas prévu d’en parler. Passer en dernier après une fédération de l’industrie qui a les mêmes problématiques — nous sommes aussi confrontés aux mêmes interrogations, on tente de construire des outils pour faire face à ces évolutions, ces mutations internationales — passer après ce n’est pas évident, je vais donc essayer d’attaquer sous d’autres angles. Ce que je voudrais dire aussi, c’est que j’ai trouvé que cette journée était une journée formation, parce que j’ai trouvé que c’était la première fois où l’on disait, mais je ne suis peut-être pas assez vieux dans cet exercice, et le livre de Suzanne Berger le fait bien ressortir, la mondialisation n’est pas une fatalité, ne dit pas « égal pertes d’emplois ». Elle sort de la pensée unique en disant que si la mondialisation amène des stratégies différentes dans les entreprises, ça doit amener aussi la capacité à des organisations syndicales comme les nôtres à avoir des stratégies pour faire face à ces évolutions ou pour proposer des choses pour faire face à ces évolutions de façon positive. Et, ça c’est intéressant puisque souvent dans les discours, la mondialisation est synonyme de pertes d’emplois, de fermeture de sites uniquement. Je trouve que ça rééquilibre le propos et, c’est donc plus ancré sur la réalité. Le deuxième point que je mettrais en préambule — ça vient d’être dit par François — c’est la qualité des produits, la qualité des services, et je pense qu’il y a tout un champ de réflexion à avoir autour de ce qu’on produit dans notre industrie au regard du développement durable. Tu l’as dit, Marcel, sous l’angle de la propreté des transports, nous on l’a vu avec REACH sur la chimie, avec une réglementation qui donne de la traçabilité dans les produits chimiques et qui attire sur la dangerosité de ces matières chimiques. C’est une directive européenne, mais on a vu des patrons et certaines organisations syndicales européennes qui ont contré cette directive alors que notre discours était de dire, faisons un label de qualité des produits chimiques européens pour que ça amène de la plus-value à notre industrie plutôt que de la voir comme une contrainte. Et, de faire ces scénarios catastrophes où l’on disait qu’il n’y aurait plus d’industries chimiques demain en France et en Europe. Aujourd’hui, les patrons commencent à dire que peut-être on peut valoriser cette réglementation pour essayer de mieux vendre nos produits, plus chers et en plus grande quantité. On voit bien que c’est un état d’esprit et cette question de la qualité, on la retrouve dans le livre de Suzanne Berger, et ça a été exposé ce matin. Alors, c’est du court terme mais, quand les produits reviennent avec des malfaçons, on voit bien que souvent ça coûte plus cher aux entreprises que de les fabriquer en local, on l’a vu avec les exemples des entreprises italiennes, ça mérite réflexion même si c’est du court terme puisque, à un moment donné, la qualité sera la même si c’est fabriqué en Chine ou en France ou en Europe et, je crois qu’il ne faut pas en douter. Dernier point, on voit qu’il y a très peu de délocalisations dans le secteur chimie et énergie, quand on regarde globalement l’évolution. C’est beaucoup plus du repositionnement en regard du marché émergent, l’Asie, qui existe. Mais ce n’est pas, on ferme notre usine et, on va la mettre ailleurs, c’est, on investit là où il y a 8 ou 10 % d’augmentation du marché tous les ans plutôt que sur des marchés à maturation. Donc, nous avons très peu de délocalisations et, je pense, en tant que syndicalistes, qu’on doit avoir une explication auprès de nos militants, y compris auprès de 37 nos salariés et de nos adhérents sur ce qu’est une délocalisation. L’exemple donné par Alain, entre la France et l’Allemagne, si l’on ferme un site et qu’on le met à quelques kilomètres plus loin, c’est une forme de délocalisation qui n’est pas forcément liée à l’international. Et, si je pousse un peu plus loin avec la notion des aides publiques, c’est tout le débat qu’a eu la politique industrielle en France autour de l’attractivité du territoire à partir de l’aide aux entreprises à investir et qui a amené une compétition entre les régions ainsi qu’une délocalisation. Je me souviens — c’est dans le secteur de Dominique – c’était en Lorraine, lors de l’implantation de la Smart, je peux vous dire que ça a tiré à boulets rouges entre l’Allemagne, la Lorraine, il y avait aussi Lille qui était en compétition et c’était celui qui donnait le plus qui obtenait cette usine en implantation. Donc, on voit bien que la délocalisation a toujours existé sous différentes formes et que ça ne règle pas de toute façon le problème de l’emploi en général puisque là, on est sur activité- existence – lieu d’implantation – emplois localisés à un endroit mais globalement ça ne fait pas plus d’emplois au niveau du groupe. Nous, au niveau de la Fédération, on est une stratégie qui est affichée du local à l’international parce qu’on regroupe des TPE (très petites entreprises) et des petites et moyennes entreprises et des grands groupes. Ça va de la petite entreprise de deux ou trois salariés à St Gobain, à Total, Sanofi, EDF Gaz de France. On voit bien que se pose forcément la stratégie des entreprises, la question de la stratégie des emplois, la question des compétences individuelles et collectives dans les groupes et la visibilité du projet industriel de ces groupes. Quand on veut faire une GPEC par exemple, c’est toujours très difficile, et c’est ce qui est ressorti du colloque qu’on a organisé avec la FGMM et le textile sur la filière automobile, où les donneurs d’ordres disaient qu’ils pouvaient avoir une visibilité à trois ans et les sous-traitants disent qu’ils essayent de créer une GPEC mais comme ils sont complètement dépendants de la filière automobile, ils ne peuvent pas créer une GPEC, ni une évolution des métiers, ni donner une visibilité à leurs salariés. C’est un réel problème qui va du local à l’international puisque la stratégie d’un groupe ou d’une filière à ce niveau-là n’est pas française, ni européenne mais internationale. Donc, on intervient au niveau international où l’on essaye de pousser des accords RSE internationaux mais qui repose la question de savoir comment on suit ces accords une fois, qu’ils sont signés avec les fédérations mondiales. Comment on l’évalue, quels sont les critères, dans ces accords. Il faut mettre l’équité des salariés, la stratégie industrielle et la prise en compte du risque parce que, quand on parle de chimie, de nucléaire, on est dans une entreprise à risque qui repose la question de l’implantation du territoire, la question de la société civile qui vit autour du territoire — je ne veux pas reparler d’AZF Toulouse où l’on avait des manifestations le samedi des ouvriers qui voulaient garder leur site et des manifestations des associations toulousaines qui voulaient fermer le site. Si l’on veut éviter cela, il faut regarder la question des parties prenantes mais aussi la question de l’environnement direct, là où le site est implanté lorsqu’on est sur des sites dangereux et, c’est la question de la RSE qui est posée. Quelle est la responsabilité sociale de l’entreprise qui touche autant l’employeur que le salarié mais qui a aussi une responsabilité de l’entreprise, des employés et de l’employeur sur leur territoire vis-à-vis des citoyens qui sont autour. La question de la gouvernance, comment les parties prenantes peuvent intervenir, comment les donneurs d’ordre et les sous-traitants peuvent discuter de la stratégie industrielle, puisque souvent ça a un impact des deux côtés de la barrière, mais aussi la place des salariés. Quant aux différentes formes de capital, nous sommes régulièrement contactés par des fonds d’investissement qui sont des repreneurs d’activités de nos groupes. St-Gobain vend une partie de son activité, c’est un fonds d’investissement, LBO, qui n’est pas un fonds de pension, et ça a le mérite d’être décrypté auprès des militants, car tous les fonds ne sont pas les mêmes, il y a des fonds d’investissement qui vous assurent une viabilité, une stratégie de développement dans une industrie et, il y a des fonds qui viennent spéculer. Les coopérations syndicales à tous les niveaux, des syndicats dans les groupes au niveau international qu’il faut monter, on est en train de monter Michelin, on a monté l’Oréal. Des relations au niveau de l’Europe. Les entreprises où les sièges sociaux sont en France, quand il y a un manque de visibilité au niveau des investissements de Michelin en Hongrie, 38 on essaye de mettre en interface les syndicalistes hongrois et la direction de Michelin pour qu’ils puissent en discuter. Ça facilite l’action syndicale entre les différents pays et ça répond aux interlocuteurs direction qui sont éloignés puisque les syndicalistes de la maison mère ont la possibilité de faire rencontrer les dirigeants. Le territoire c’est l’attractivité, la sécurisation du parcours professionnel, la mobilité, les compétences individuelles et collectives et les synergies entre les différents acteurs. Donc, une fois qu’on a fait tout ça, une fois qu’on a écrit la littérature, on tient compte de la réalité et l’on essaye de faire des contres propositions industrielles, syndicales, à partir de tous ces éléments. Annexe 1 Fiches pratiques MOOS (page suivante) 39 40 41 42 43 Annexe 2 « Questionnement EDS » Le délitement Chez EDS, des petites réorganisations ou restructurations au fil de l’eau, enlèvent aux salariés des parcelles de travail qui s’en vont à l’étranger. Ces changements sont (ou non) présentés en CE ou CCE l’un après l’autre, sans qu’il soit possible de discerner un plan d’ensemble. Ils concernent la gestion interne de l’entreprise (ce qu’EDS appelle les activités de support, tels que DRH, Finance, facturation, etc.) de la même manière que les métiers techniques (gestion d’infrastructure informatique ou développement applicatif). Depuis 3-4 ans, nous avons vu partir ainsi, la comptabilité fournisseurs, puis les frais de déplacement, puis la facturation client, puis maintenant la gestion des ressources humaines (contrats, attestations, gestion quotidienne….). Ces délocalisations d’administration enlèvent tout lien, tout ciment dans chaque structure. Elles ont pour conséquence un inconfort croissant pour les salariés, car faute de paiement dans les temps des fournisseurs, certaines prestations sont suspendues ou définitivement arrêtées, les déplacements ne font plus l’objet de remboursements réguliers, etc. Les administratifs ou responsables ne peuvent pas donner d’explications à leurs équipes car ils sont dépossédés de la maîtrise du processus et surtout ne peuvent influer sur rien. Côté commerce, les accords locaux avec les clients sont mis à mal puisqu’on ne peut plus leur facturer les prestations au plus près. Tout cela crée des tensions sans parler de la langue utilisée pour tenter de comprendre les processus : l’anglais. Sur ce terreau d’instabilité contractuelle, dans les équipes techniques, déjà fragilisées, la délocalisation de certains pans de leur activité inquiète, surtout parce que le schéma d’ensemble reste flou ; qu’il leur est demandé de transmettre leur savoir-faire aux Marocains (dans le dernier exemple) embauchés sur place pour prendre le relais. De surcroît leur réorientation ou reclassement en France consiste surtout en incantations. 44 Personne à aucun étage ! Saisies à tous les niveaux de ces difficultés de fonctionnement, les IRP ne peuvent obtenir de réponses à leurs demandes, plus semble-t-il par incapacité que par mauvaise volonté. On recherche partout les stratégies élaborées, et une amorce de mise en œuvre, mais c’est peine perdue : qu’il s’agisse de réclamations individuelles ou collectives, en DP, CE ou CCE, la stratégie EDS reste un mystère et ceux qui en sont responsables, invisibles. Les NAO ou la GPEC sont une négation du concept même de négociations, les revalorisations salariales sont dit on soumises à diktat d’Europe voire des Etats-Unis et la GPEC tend à être réduite à un PSE permanent. Modèle organisationnel cassé Dans cet univers instable, ce n’est pas tant les délocalisations proprement dites qui posent problème, mais ce sont, ajoutés à la disparition de centres de décision proches et appréhendables, la déstructuration du travail du salarié, son éparpillement à droite et à gauche, qui lui enlèvent la maîtrise de sa production tout en le maintenant responsable du résultat. Par ailleurs, il perd tout espoir de valorisation cohérente de son travail. En effet la hiérarchie intermédiaire n’a plus rien à dire ni à promettre à ses équipes, et ne peut rien lui garantir. L’avenir se ferme, la lassitude s’installe, et la conscience professionnelle s’amoindrit comme la connaissance fine du métier. Défi de la CFDT Comment dans ce contexte mobiliser les salariés pour obtenir d’EDS une réflexion en amont sur la reconnaissance de la compétence collective acquise ? S’agit-il bien de créer et de faire fonctionner un collectif qui a comme exigence la valorisation économique des savoir-faire ? Très démarquée et contestée par les autres OS, faisant bloc quoi qu’elle dise ou fasse, la CFDT doit se battre sans cesse contre une image d’accompagnement lénifiant des décisions d’EDS, tout en travaillant souvent seule sur les dossiers concrets. Elle s’interroge sur l’angle d’attaque à trouver pour interpeller les salariés, pour leur faire comprendre les enjeux de ce rapport de force ? Et enfin comment le construire ? 45 Annexe 3 « Renouveler la critique syndicale et le mode d’expertise face aux délocalisations L’exemple d’Equant » 46 47 48 CFDT Cadres _________________________________________________________________________ 47-49 avenue Simon-Bolivar, 75950 PARIS CEDEX 19 Tél. : 01 56 41 55 00 – Mail : [email protected] Téléchargez ce document sur www.cadres-plus.net 49