CFDT Cadres Made in monde, questions et réponses syndicales

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CFDT Cadres Made in monde, questions et réponses syndicales
MADE IN MONDE :
QUESTIONS ET REPONSES SYNDICALES
Stratégie face aux délocalisations
La redistribution internationale des activités des entreprises en question
Actes du colloque « Economie mondialisée et stratégie industrielle »
en présence de Suzanne Berger et de Marcel Grignard
Jeudi 13 mars 2008
La mondialisation de l’économie constitue pour l’organisation syndicale un défi où se
croisent les enjeux mondiaux et locaux en termes d’emploi, de croissance
économique et de développement. Dans le but de valoriser les travaux d'un groupe
de travail sur le sujet, dans le cadre d'un projet européen "MOOS" et de faire le lien
entre la réflexion générale et l’action syndicale, la CFDT a organisé un colloque
abordant les stratégies de redistribution internationale des activités des entreprises,
à partir d’une présentation de Suzanne Berger (auteure de l’ouvrage "Made in
Monde, les nouvelles frontières de l'économie internationale") de ses travaux et de
ceux du MIT.
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Ces actes n’engagent pas les intervenants. Seul le prononcé fait foi
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INTRODUCTION
JEAN-PAUL BOUCHET, SECRETAIRE GENERAL ADJOINT DE LA CFDT CADRES
Cette journée doit être un temps d’appropriation mais aussi un temps de débat. C’est un
immense honneur pour nous d’accueillir Suzanne Berger. Suzanne est professeur au MIT. Il
serait trop long de dire tout ce qu’elle a fait et tout ce qu’elle a publié mais nous avons été
impressionnés par un ouvrage intitulé « Made in monde » qui nous apportait un éclairage
extrêmement intéressant sur le fait qu’il n’y a pas aujourd’hui un modèle de la performance,
un modèle pertinent mais sans doute plusieurs modèles et nous avions fait à cette occasion
une note de lecture assez large. Nous remercions également Jean-Marie Gianno qui a
permis cette mise en relation avec Suzanne Berger pour qu’elle puisse nous présenter ses
travaux, c’est avec beaucoup de plaisir que nous vous donnons la parole.
LES STRATEGIES INTERNATIONALES DES ACTIVITES DES ENTREPRISES
SUZANNE BERGER, PROFESSEURE AU MASSACHUSSETS INSTITUTE OF
TECHNOLOGY
Auteure de «Made in Monde, les nouvelles frontières de l'économie internationale» (Seuil).
Impacts de la redistribution internationale des activités des entreprises sur le travail,
l’emploi.
Je voudrais dire d’abord à quel point je suis honorée d’être votre invitée aujourd’hui et je
voudrais tout de suite m’excuser pour mon français. La recherche que je vais vous
présenter aujourd’hui est un travail qui a été fait dans le cadre du MIT par une équipe de
chercheurs ingénieurs et de chercheurs en Sciences Sociales. Il y avait trois ingénieurs de «
Electrical Ingenior and Computer Science » qui sont essentiellement des spécialistes, et
nous étions trois chercheurs en sciences sociales. C’est la particularité de MIT de mettre
ensemble des gens de disciplines très différentes. Nous avions également deux spécialistes
qui n’étaient pas des spécialistes en sciences sociales mais des spécialistes de la Chine.
Vous allez voir pourquoi la Chine a joué un rôle très important dans toutes nos réflexions. À
MIT, on considère que la possibilité de faire de la recherche avec des collègues de
disciplines différentes, est une spécificité qui est très précieuse pour expliquer les
problèmes importants d’aujourd’hui. Notre motivation a été très bien exprimée dans cette
bande dessinée qui est parue dans le New Yorker, il y a quelques années. Je vais la
traduire très rapidement en français. On voit deux managers qui regardent une usine
complètement vide et l’un dit à Charlot : « Et, bien Charlot, tu vois, on a tout délocalisé ». Il y
un silence qui suit, et chaque américain peut remplir le silence avec la phrase non écrite,
non dite, qui serait : « Et après ? Qu’est-ce que l’on va faire ? Qu’est-ce que nos enfants
vont faire ? Qu’est-ce qu’on va faire ici aux Etats-Unis, une fois qu’on aura tout délocalisé ?
». Et, c’était également le point d’interrogation de notre équipe « Et, après ? Qu’est-ce que
nous allons faire ? Que devenons-nous ? » Malgré l’importance de cette question, lorsqu’on
regarde bien dans la littérature qui existe, on voit qu’il y a surtout des recherches faites
autour d’un seul acteur. Par exemple, le livre de Thomas Friedman, « The World is flat »,
est entièrement fait autour de la visite qu’il a faite à des amis qui lui ont montré une
entreprise florissante, puis une autre entreprise à Shangai, ect. Et, la question nous
semblait tellement importante que nous avons pensé qu’une recherche plus systématique
faite à partir d’interviews dans cinq cents entreprises partout dans le monde, serait peut-être
plus consistante et pourrait nous donner des réponses plus systématiques sur ce qu’il se fait
et ce qu’on peut faire dans cette situation. Or, c’est d’autant plus important, je crois d’avoir
des moyens pour réfléchir sur cette question car c’est une question qui soulève, d’une
manière très forte, l’opinion américaine.
[Là, vous voyez un graphisme avec une ligne rouge qui montre le nombre d’articles parus
sur le sujet de la délocalisation. On part de Janvier 2003 jusqu’à Janvier 2008, donc sur une
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période de cinq ans et vous voyez qu’il y a beaucoup de variations sur le nombre d’articles
dont le sujet est la délocalisation. On se demande quel est le rapport d’endettement dans le
public par rapport à ce qui se passe dans l’économie réelle. L’économie réelle, ce sont les
deux autres lignes, le vert, c’est le changement mensuel au niveau de la création d’emplois,
et la ligne jaune, c’est les licenciements massifs, on appelle licenciement massif aux EtatsUnis, le licenciement de 50 personnes dans un mois dans une seule entreprise. Vous voyez,
qu’il ne faut pas être expert en statistique pour voir qu’il n’y a pas de rapport entre les
variations dans ces lignes.]
Il n’y a pas de rapport entre ce qui se passe dans l’économie réelle et le niveau
d’endettement qui se reflète dans notre service public au sujet de la délocalisation. De cela,
je tire la conclusion que, en fait, les attitudes, les endettements, en ce qui concerne la
délocalisation, ont aujourd’hui une vie autonome. Que l’économie aujourd’hui marche bien
— comme dans la fin des années 90 ou que l’économie marche mal, comme aujourd’hui —
en fait, les gens sont préoccupés par le sujet de la mondialisation et ce n’est pas la
prospérité des années 90 qui allaient les faire changer d’avis. Mais, bien qu’il y ait cette vie
autonome, on voit bien que le niveau de préoccupation augmente. Il y a un mois, un
sondage fait par le Wall Street Journal, sur les électeurs républicains qui étaient les plus
portés à soutenir le libre-échange, montrait qu’il y a aujourd’hui 58% d’électeurs républicains
qui pensent que le libre-échange est mauvais pour les Etats-Unis. Or, cela faisait longtemps
que les électeurs démocrates avaient cette opinion. Donc, c’est un phénomène tout à fait
nouveau pour les électeurs républicains. On voit déjà sur l’horizon une vague d’opinions
protectionnistes et si vous avez suivi un peu la campagne de Madame Clinton et de Barak
Obama, vous avez pu voir que cela se reflète déjà dans leur campagne. Les opinions sont
en train de bouger vers le protectionnisme et cela serait important de savoir quelles sont les
réalités et ce que nous pouvons faire devant ces réalités.
Pour donner une définition rapide de ce qu’est la mondialisation : ce sont les changements
dans l’économie internationale et dans les économies nationales qui ont tendance à créer
un marché international unique pour le capital des biens et services et du travail. Or,
comment savoir s’il y a un marché unique, s’il y a, par exemple pour le capital, un taux
unique, si les taux d’intérêts étaient les mêmes partout dans le monde, on saurait qu’il y
aurait un marché unique pour le capital. Or, même pour les capitaux qui sont les facteurs de
production les plus mobiles, même si on prend encore des risques, on voit bien qu’on n’a
pas les mêmes taux d’intérêts partout dans le monde. Et, c’est d’autant plus vrai pour les
biens et les services ainsi que le travail. On est donc très loin d’une situation de la
mondialisation établie et donnée.
Il n’y a pas de marché international unique. Ce que nous avons étudié, ce n’est pas
l’existence de ce marché et son impact mais c’est l’impact des pressions qui vont dans cette
direction et nous avons voulu surtout étudier les acteurs les plus vulnérables face à cette
pression. C’est la raison pour laquelle nous avons étudié les entreprises dans les secteurs
les plus concurrentiels. Aucun de mes collègues n’était spécialiste dans la gestion, nous ne
sommes pas des consultants d’entreprise. La raison dans notre choix de ces entreprises,
c’était de citer et d’étudier des acteurs extrêmement vulnérables à la mondialisation et de
voir quelles étaient les stratégies de ces acteurs face à la mondialisation. Et, la question
principale qu’on s’est posée, était de savoir qu’elle était l’image de ces acteurs extrêmement
vulnérables à la compétition. Est-ce qu’il y a vraiment des meneurs ou bien sont-ils tous plus
ou moins obligés de suivre le même chemin ? Est-ce qu’il y a une convergence dans leur
pratique ou est-ce qu’ils sont tous obligés par leur compétition de suivre les mêmes
stratégies ? C’était en fait l’hypothèse des ingénieurs de notre groupe de travail. Ou bien
ont-ils un véritable choix stratégique ? On a bien vu qu’il existait un capitalisme allemand, un
capitalisme japonais, un capitalisme français aussi bien qu’un capitalisme américain. Est-ce
qu’on peut imaginer également — et c’était l’hypothèse des chercheurs en sciences sociales
de notre groupe — une diversité de références face à la mondialisation ? Pendant les cinq
ans qu’a duré notre étude, et sur les 700 visites en entreprises, parce qu’on a étudié 500
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entreprises, on a eu beaucoup de discussions au sein de notre équipe. Sur ce qu’on sait
déjà sur les délocalisations, je vais vous montrer des chiffres qui ne concernent que
l’Europe. Si l’on regarde les pertes d’emploi constatées au sein de l’Union Européenne, on
se rend compte que la part des délocalisations est véritablement très limitée. Ce sont les
restructurations qui expliquent la majorité des pertes d’emploi.
Aux Etats-Unis, également, les statistiques que nous avons, montrent qu’en 2004 il y avait
très peu de pertes d’emplois dues à des transferts d’emploi en dehors des Etats-Unis. Les
autorités obligent chaque patron qui licencie à remplir des questionnaires au-delà des 500
licenciements. Le patron n’est pas obligé d’avertir les employés avant le licenciement mais
après coup, il est obligé de remplir un questionnaire dans lequel il donne les raisons de ces
licenciements. En 2004, il n’y avait que 13 000 licenciements dus à des transferts d’emplois
en dehors des Etats-Unis et vous pourriez dire, et cela serait tout à fait juste, que les
patrons ont toujours raison de mentir sur les véritables raisons. Les chercheurs ont trouvé
que ce chiffre de 13 000 de pertes d’emplois dues à des délocalisations était si peu
vraisemblables, qu’ils ont refait leurs statistiques et sont arrivés à trouver 300 000 pertes
d’emplois dues à des transferts d’emplois en dehors des Etats-Unis. Et, même ces 300 000
pertes d’emplois sur un marché du travail de 40 millions d’emplois. Il faut admettre
cependant que ce n’est pas grand-chose. On voit bien que la perte d’emploi due à des
délocalisations n’est pas très grande dans certains secteurs mais il y a bien sûr des
secteurs dans lesquels les pertes d’emplois dues à des délocalisations sont très importantes
comme le textile, le cuir, le service aux entreprises, etc. Donc, la vraie question n’est pas
tellement la perte d’emplois existants, mais plutôt de chercher à savoir où vont être créés
ces emplois. Aujourd’hui, ce qu’on voit aux Etats-Unis, ce n’est pas tellement la question de
perdre des emplois, c’est de voir que des emplois vont être créés en Chine ou en Inde ou
ailleurs et cela dès le début. Alors notre question est : Quels sont les emplois qu’on va créer
chez nous ? Quels sont les emplois qui ne verront jamais le jour aux Etats-Unis ? C’est donc
la question de création d’emplois beaucoup plus que la question de perte d’emplois qui nous
a intéressés dans notre enquête.
Nous avons surtout posé deux questions lors de nos interviews dans les entreprises.
D’abord, en premier, une question sur l’externalisation des activités et, deuxièmement, une
question sur la délocalisation. Aux Etats-Unis, la question de l’externalisation n’implique pas
nécessairement une délocalisation. Il y a de forts mouvements d’externalisation mais qui
sont des transferts d’activité à d’autres entreprises qui se trouvent à l’intérieur du territoire
américain. On peut alors très bien imaginer des transferts d’activités de l’intérieur des
entreprises, d’autres emplois qui seront transférés à d’autres entreprises américaines tandis
que la question de délocalisation, c’est vraiment une question de ce qu’il faut garder chez
soi, à l’intérieur du territoire américain et ce qu’il faut délocaliser. Et, ce sont ces deux
questions que nous avons posées dans les 500 entreprises. Nous avons sélectionné
certains secteurs parce qu’ils sont les plus vulnérables à une compétition. C’est une gamme
d’activité qui va de ce qu’on a appelé « slow-tech », ce sont des activités dont les
technologies sous-jacentes changent très lentement, voir jamais — par exemple, si l’on va
dans une usine de confection, on voit que les machines à coudre ont très peu changé sur
cinquante ans — à des activités où les technologies de base changent très rapidement, ce
qui est le cas dans le secteur électronique et du software. Donc, on a une gamme d’activité
qui va de « slow tech » à « fast tech » mais, on voit que tous ces secteurs sont
extrêmement vulnérables à la mondialisation pour dire les choses rapidement. Nous avons
fait énormément d’interviews dans les entreprises de Taiwan. Pourquoi ? Et, bien parce
qu’en fait ce sont les taïwanais qui sont les grands propriétaires des entreprises en Chine.
Plus de la moitié des exportations chinoises viennent des usines dont les propriétaires sont
des étrangers, et en gros ce sont des taïwanais et des hongkongais. On a voulu faire des
enquêtes dans des entreprises en Chine qui font des exportations mais ce sont
essentiellement des usines qui sont financées par des capitaux étrangers.
On a vu aussi des changements énormes des années 80 sur vingt ans, jusqu’à 2006, qui
est la date de la fin de notre enquête. Le point principal de ce changement, en résumé, c’est
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que dans les années 80, la production était encore faite en proximité avec les plus grands
clients ainsi qu’avec les plus grands fournisseurs. La production était faite entre les quatre
murs de l’entreprise et les meilleures entreprises — ce sont des exemples que nous avions
trouvés — ces meilleures entreprises étaient japonaises et géraient des systèmes , à
l’intérieur de leurs quatre murs, de façon extrêmement serrée en proximité avec leurs soustraitants, leurs clients les plus importants. Or, aujourd’hui, vingt ans plus tard, on voit une
fragmentation massive du système de production et une grande redistribution des activités.
Les meilleures entreprises, aujourd’hui, sont celles qui gèrent le mieux ces activités qui sont
fragmentées. Quels sont les facteurs qui ont fait ces transformations ? Et bien, ce sont les
facteurs connus par tout le monde. C’est la libéralisation des marchés financiers, du
commerce, la volubilité des marchés, l’émergence de nouveaux espaces pour la production
Tout cela c’est très connu, et notre équipe a surtout voulu étudier le dernier point qui est
celui de l’impact des nouvelles technologies digitales de codification. Sur les dix dernières
années, on a aujourd’hui la possibilité de gérer, de coordonner, de codifier les fonctions, les
interfaces entre les fonctions de production qui autrefois demandaient la collaboration en
proximité des personnes à l’intérieur des quatre murs de l’entreprise.
L’exemple que je vais vous donner, vient d’un de nos collègues, un ingénieur, Charlie, qui
travaillait chez Hewlett Packard, avant d’enseigner au MIT. Charlie nous a raconté que,
dans les années 70-80 quand il travaillait chez Hewlett Packard, pour réaliser un masque
dans la fabrication d’un conducteur, faire une découpe pour ensuite tracer des circuits qui
vont être gravés sur de la silicone, il y avait à l’époque un ingénieur qui traçait le circuit et à
côté de lui il y avait un technicien qui tenait un rasoir à la main. Les deux hommes
travaillaient ensemble pour faire le masque. Comme les deux hommes avaient déjà travaillé
ensemble auparavant, ils le faisaient plus rapidement et avec une plus grande qualité. Il
n’était absolument pas question d’avoir un autre technicien dans une autre entreprise et
l’ingénieur ailleurs. Or, aujourd’hui, à l’intérieur d’une même entreprise, l’ingénieur fait des
circuits sur son ordinateur, il envoie un dossier avec des instructions complètes à une
machine de découpe qui peut se trouver n’importe où dans le monde, à Taiwan ou ailleurs,
qui a la possibilité d’avoir la même conformité, la même qualité qu’on avait dans le passé
par la proximité du technicien et de l’ingénieur. Or, on a trouvé des phénomènes similaires
dans tous les secteurs que nous avons étudiés, concernant cette transformation, cette
possibilité de numérisation et de codification. Tout cela a permis cette fragmentation de la
production et l’émergence de nouvelles entreprises autonomes qui peuvent exister n’importe
où. Aux Etats-Unis, les vraies stars des années 90, ce sont des entreprises qui ne travaillent
que sur une seule fonction, par exemple le design, et qui envoient tout le reste en
production ailleurs. Pour moi, qui suis dans le domaine des sciences sociales, j’envisage
cela de la manière suivante, on peut comparer la production à la fin des années 80 aux jeux
de construction pour les enfants. Quand on achetait un modèle à construire, la question
primordiale était de savoir si toutes les pièces étaient bien dans la boite parce qu’il faut que
l’entreprise fabrique toutes les pièces sinon s’il manque une pièce dans la boite, il n’est pas
possible de trouver la pièce qui manque. Si tout n’est pas optimisé par la maison de jouets,
et bien on ne peut pas monter l’avion. Premier constat. Deuxième constat, une fois qu’on a
fait le modèle, on n’a pas la possibilité de le transformer en bateau ou en voiture, personne
ne peut venir ajouter autre chose, c’est un avion et rien d’autre ; Tandis qu’aujourd’hui la
production est beaucoup plus qu’un avion, c’est la production verticalement intégrée où tous
les composants doivent être dans la même usine. Aujourd’hui tout le monde fabrique des
modèles où l’on peut prendre des composants venant de n’importe où en sachant déjà que
tout cela va aller ensemble et qu’on peut en faire un avion, un petit bateau. Pour moi, le
produit iconique d’Apple, c’est un I-Pod. Le vrai génie d’Apple, c’est d’avoir vu qu’il existait
déjà sur le marché des composants japonais qu’Apple pouvait prendre et assembler dans
un format tout à fait nouveau avec un design intéressant. Apple a acheté des composants
déjà existants. Ils ont attaché tout ça à un service, qui est I-Tunes et, ils ont fait
l’assemblage d’un produit « lego » fait de services d’I-Tunes, de composants japonais
électroniques avec un assemblage en Chine. En fait, si l’on prend un I-Pod — des
chercheurs de l’Université de Californie auraient récemment étudié cela — sur un I-Pod qui
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vaut 224 dollars, il y a 3 dollars d’assemblage en Chine, 3 dollars sur 224 dollars de valeur,
et il y a à peu près 90 dollars de valeur de composants électroniques japonais et le reste
c’est Apple, c’est la distribution, le marketing.
On est en train de voir les transformations de la distribution qui va de la production verticale
intégrée à de la production en chaîne de valeur, en « Lego » et, c’est cela que nous devions
étudier. Alors dans ce monde de fragmentation, quelles sont les stratégies qui peuvent
gagner ? La conclusion la plus forte de notre étude, c’est que, lorsqu’on prenait le même
produit, le même secteur, quand on regardait dans le détail, on a vu que dans chaque
secteur il y avait de multiples solutions, il n’y avait jamais un « seul best one, best way » qui
était impérativement demandé. Si l’on prend par exemple un PC, on a bien une vraie
stratégie. La stratégie DELL, c’est de tout acheter des fournisseurs. Les fournisseurs d’Asie
arrivent avec leurs camions aux Etats-Unis et, au fur et à mesure que Dell en a besoin, les
composants entrent dans l’usine mais les fournisseurs restent propriétaires des composants
pendant trois ou quatre heures maximum, jusqu’au moment où ils entrent dans l’usine et, en
quatre minutes et demi, Dell en a fait l’assemblage.
Ça, c’est “Made in USA”. Quatre minutes et demie de fabrication et d’assemblage à
l’intérieur de l’usine Dell et, ensuite ce sont les consommateurs qui deviennent propriétaires
de ce produit. Donc, Dell ne fait rien, la vraie fonction de Dell c’est une entreprise de
distribution, le vrai génie de Dell, c’est de gérer des réseaux de distribution. Dell n’est pas
vraiment un fabricant. Quatre minutes et demie d’assemblage, ce n’est pas vraiment une
fonction de fabrication. Tandis que si on prend l’exemple de Samsung, qui est tout aussi
rentable sinon plus que Dell. Samsung fabrique encore la majorité des composants à
l’intérieur des quatre murs de Samsung comme d’ailleurs Sony. On a le modèle Samsung,
le modèle Dell, tous sur une période de cinq ans aussi rentables l’un comme l’autre.
On ne voit pas ça seulement dans les secteurs électroniques, on voit cela également dans
le secteur de l’habillement. Bien sûr des distributeurs comme Gap, comme Limited, H&M,
fabriquent tout par délocalisation et externalisation. Si l’on prend le cas de Zara qui
aujourd’hui est l’entreprise de distribution qui marche le mieux et qui croît le plus rapidement
en Europe et aux USA, Zara fabrique presque encore la moitié de ses vêtements dans la
région du nord de l’Espagne autour de ses quartiers généraux. Parce qu’il y a une stratégie
de « self response » qui demande des usines de proximité et qui demande d’être
propriétaire des usines de textiles. Dans tous les secteurs, on a trouvé des cas similaires.
Ce qui veut dire, selon nous, qu’il n’y a pas de secteurs condamnés, il n’y a que des
stratégies condamnées. Et, l’on a trouvé aussi des cas dans des secteurs qu’on aurait
imaginé condamnés à jamais dans notre société à hauts salaires, on a trouvé de très beaux
cas de réussite. Par exemple, Geox. Geox est une marque de chaussures qui a été créée, il
y a dix ans par un Italien. Ce monsieur marchait un jour dans le désert, il avait très chaud
aux pieds, il a pris son couteau de poche et a fait des trous dans la semelle de ses
chaussures. L’idée avec Geox, c’est d’avoir imaginé une semelle de chaussure comme un
fer à vapeur où la vapeur passe que dans un sens, mais où la pluie ne peut pas entrer dans
la chaussure. C’est une nouvelle technologie et Geox est devenue aujourd’hui la quatrième
entreprise dans le domaine de la chaussure au monde, et cela en dix ans. La personne qui
a créé l’entreprise Geox a utilisé des ressources humaines dans le domaine de la chaussure
dans l’Italie du Nord, région qui, par tradition, a toujours fabriqué du cuir et des chaussures.
Dans une région qui était pourtant en crise, il a trouvé du personnel avec beaucoup
d’expérience dans le design et dans le traitement du cuir et il a crée sa nouvelle entreprise.
Il a fait des prototypes, fait un travail de design, de recherches sur les nouvelles
technologies logistiques et la fabrication de ces chaussures ne se fait pas en Italie mais en
Roumanie et en Chine. Pour moi, les chaussures Geox sont exactement comme un I-Pod,
c’est un assemblage de composants qui sont faits partout dans le monde avec une partie de
valeur très forte qui se fait avec de bons salaires. Geox comme I-Pod, c’est une stratégie
qui sait tirer partie des atouts qu’on a, en rajoutant ces possibilités qui existent partout dans
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le monde aujourd’hui, qui est de faire de l’assemblage ou d’acquérir d’autres capacités qui
existent en dehors de ces quatre murs. Là, on arrive à un point de très forte interrogation
sur l’avenir de l’innovation chez nous. Ce qu’on a fait chez Geox, chez Apple avec l’I-Pod,
tout cela est une activité d’innovation et l’on se doit de poser la question de savoir si
l’innovation peut exister, peut fleurir même en absence de capacité de production ? Si l’on
fait des fragmentions du système de production, est-ce que l’innovation va bien se porter
dans un tel environnement, avec qui va-t’on faire de l’innovation ? Et où ? C’est très beau
d’imaginer qu’on va toujours faire de I-Pod où la moitié de la valeur des I-pod va être captée
par des salariés américains ou des Geox où les hauts salariés vont être captés par les
salariés italiens mais tout ça dépend de la possibilité de garder l’innovation chez nous et rien
n’est moins sûr. Quand je suis arrivée en France au mois de décembre, j’ai acheté à
l’aéroport un exemplaire du Monde et l’Express, les gros titres étaient : Les grands groupes
chinois dans le Monde et dans l’Express : « La Chine va-t-elle craquer ? ». On voit
apparaître toutes nos craintes sur l’avenir de notre propre société. Est-ce qu’on va voir les
groupes chinois en Inde ? Est-ce qu’on risque de voir partir non seulement la production
mais également l’innovation dans les pays émergents ? Et entre ces deux idées — est-ce
que la Chine va craquer, la Chine est tellement fragile, qu’on n’a rien à craindre — et l’idée
que la Chine voit plus grand, je crois que c’est extrêmement difficile de savoir où se mettre.
C’est la raison pour laquelle on a commencé de nouvelles recherches dont je veux vous
montrer, avant de terminer, quelques volets de ce nouveau projet de recherche. Je vais
vous donner quelques chiffres rapides sur la Chine de l’innovation. La Chine a un taux de
croissance extrêmement rapide, l’Etat chinois s’accroît de plus de 20% par an à partir de
2005. On voit aussi apparaître un nombre impressionnant de doctorats dans le domaine des
Sciences et Technologies et l’on trouve aujourd’hui des universités qui figurent dans les
meilleures universités du monde. C’est impressionnant mais en même temps, il faut se
rendre compte qu’on n’a pas encore d’exemples de belles réussites d’entreprises réalisées
sur le budget R&D de l’Etat chinois. Si l’on sait que 85% des produits de l’exportation hightech viennent d’entreprises étrangères et pas des entreprises domestiques chinoises. On
voit que le budget R&D de l’Etat chinois, est un budget qui va entièrement à des entreprises
domestiques, ce sont des dépenses qui n’ont pas encore donné signe d’efficacité.
Concernant, les doctorats, le nombre d’ingénieurs diplômés qui sort des universités
chinoises est très impressionnant sauf si l’on sait que, par exemple lors de nos interviews en
Chine — quand on a demandé à des entreprises françaises installées en Chine, où ils
recrutaient leurs ingénieurs en Chine, ils nous ont répondu qu’ils ne prenaient des diplômés
que de quatre universités chinoises car il n’y avait que quatre universités capables de leur
donner des ingénieurs suffisamment qualifiés pour travailler chez eux. En fait, les chiffres
absolus ne veulent pas dire grand chose car les qualifications de beaucoup de ces diplômés
sont en dessous des possibilités de recrutement par des entreprises. Donc, il faut relativiser
les chiffres. On voit aussi que le chiffre des centres R&D de multinationales en Chine — 750
— semble très impressionnant —ces chiffres viennent d’après une étude faite par un Institut
— Si on cherche ceux qui sont actifs en innovation, on ne trouve que 60 entreprises sur 750
qui font véritablement des recherches qui ressemblent à des recherches innovatrices. On a
99% des entreprises chinoises qui n’ont jamais demandé de brevet. Là, aussi il faut essayer
de savoir avec beaucoup plus de détails qu’elle est concrètement la Chine de l’innovation.
Et, c’est la raison pour laquelle nous avons initié un nouveau projet de recherche qui est
assisté par l’Agence pour l’Economie en Essonne où nous avons fait une douzaine
d’interviews d’entreprises multinationales en l’Ile-de-France. On a visité leurs laboratoires,
leurs R&D en Ile de France et ensuite, on a visité les mêmes entreprises, les multinationales
en Chine à Shanghai ainsi que nos meilleures entreprises, parce qu’on voulait faire la
comparaison entre ce que faisait une entreprise en France et ce que faisait une même
entreprise en Chine.
Et, voici les premières conclusions. Premier constat : le monde n’est pas encore plat. La
différence entre ce qu’on fait dans la même entreprise en France et en Chine est énorme.
En fait, c’est extraordinaire de voir émerger des activités innovatrices en Chine mais c’est
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encore très loin de ce qu’on fait ici. Deuxième constat, l’innovation en Chine ne se fait pas
avec des brevets, les grands exploits ne sont pas dans le domaine des brevets mais dans le
domaine de processus, dans le domaine de ce qui se fait à l’intérieur de l’usine, ce qu’ils ne
vont pas protéger par un brevet. Et, si l’on essaye d’aller plus loin, de regarder au-delà des
brevets, en fait on constate d’énormes changements dans l’organisation, des centres R&D,
des multinationales en Chine depuis cinq ans. Il y a cinq ans encore en Chine, les centres
de recherches que nous avons visités en 2004, était essentiellement des centres de R&D
qui étaient là uniquement parce que l’Etat chinois demandait à des multinationales de
transférer des technologies. Un transfert de technologies était la condition imposée par
l’Etat pour n’importe quelle entreprise qui voulait vendre en Chine. Donc, si Alcatel, si
France Télécom avait des centres de recherches en Chine, il y a cinq ou dix ans, c’était
parce que l’Etat chinois les obligeait à mettre un centre de recherches avec une belle
pancarte sur la porte mais, en fait, ce n’était fait que par obligation parce qu’il y avait très
peu d’activités dans ces centres. En fait, il y a eu des changements dans ces 750 centres de
recherches que depuis seulement cinq ans. On a vu apparaître, il y a cinq ans, un nouveau
modèle, qu’on a appelé « extend the team ». Je ne sais pas comment on peut dire cela en
français, mais « extend the team », c’est l’idée qu’on va envoyer des équipes françaises en
Chine ou en Inde pour faire des activités un peu en bas de l’échelle, des activités que nos
ingénieurs en France ou aux Etats-Unis ne veulent pas faire. Ils vont travailler en Chine ou
en Inde sur ces activités, ça serait comme des extensions de nos équipes mais ce sont des
activités sans trop d’intérêt. Or, ce modèle « Extend the team » ne marche pas pour des
raisons très simples, d’abord parce que les salaires des ingénieurs en Chine ou en Inde
commencent à monter. Par exemple, dans la région de Bangalore, les salaires ont
augmenté de 20% par an et deuxièmement ce modèle est très peu motivant pour les
ingénieurs indiens ou chinois. C’est très difficile de garder de bons ingénieurs avec ces
activités « Extend the team ». Donc, on a vu émerger sur les trois dernières années de
nouveaux modèles. Ce sont des modèles où les centres R&D en Chine et en Inde ont des
projets propres, des missions propres, des modèles qui ne travaillent non plus en
séquences avec des activités qui se font en France mais travaillent en parallèle sur des
missions propres. Et, c’est ça, je crois, le changement essentiel, ce sont ces missions
propres de ces centres R&D. Je crois que tout cela soulève plusieurs questions pour les
entreprises multinationales, pour des entreprises françaises et américaines. D’abord, savoir
si l’on peut vendre de la R&D sans être sur place ? Là, je prends l’exemple d’une entreprise
qu’on a interviewée en Ile de France qui ne fait que du design — je ne peux pas donner trop
de détails sur l’entreprise car on a promis de garder la confidentialité, ils font
essentiellement du design de moteurs, c’est une entreprise qui travaille pour tous les
assembleurs du monde – or, cette entreprise nous dit : « On a des problèmes avec les
chinois, ils ne nous payent pas. Pourquoi ? Parce que les chinois disent que notre design ne
vaut rien, ils essayent de les réaliser sur place mais ils n’y arrivent pas. Parce que les
chinois ont du mal à intégrer nos propres sous-traitants, ils ont des difficultés à prendre nos
designs à partager les tâches entre sous-traitants, du mal à trouver des matériaux sur place
pour réaliser ces designs. Le résultat c’est que le design ne marche pas parce que, en fait,
les chinois n’ont pas les capacités d’intégrer ces projets. L’entreprise en France se trouve
aujourd’hui confrontée à deux choix : soit elle ne peut pas continuer à travailler en Chine soit
l’entreprise doit installer des équipes permanentes et aller plus loin dans l’intégration des
tâches avec les entreprises chinoises. C’est donc impossible de vendre seulement du
design et l’entreprise française pour bien réussir cette activité doit être présente pour aider
les entreprises chinoises à utiliser ces designs, à intégrer des usines de sous-traitance et
d’assemblage en Chine.
Mais, pour une entreprise moyenne, c’est extrêmement difficile de détacher des équipes
d’ingénieurs en Chine et surtout pour une entreprise française. Si c’était une entreprise
japonaise, elle serait épaulée par des « Trading Companies japonaises » alors que
l’entreprise moyenne française se trouve bien seule en Chine, sans aucune possibilité de
demander à d’autres entreprises de l’aider. Donc, grande question, si on est spécialiste en
innovation, en design, est-ce qu’on peut vendre ces produits sans aller plus loin dans
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l’activité d’intégration ? Je crois qu’on voit un assez faible rendement de l’innovation sans
capacité d’intégration et, troisième constat, c’est un terrain extrêmement mouvant et
instable. On a fait nos interviews en Chine au mois d’Août 2007, un mois après, l’une des
entreprises françaises qu’on avait interviewée, avait déjà perdu le plus grand client chinois
et une autre des entreprises françaises avait été rachetée par un Allemand. Donc, vous
voyez que c’est un terrain très instable.
Pour terminer, je voudrais souligner un des aspects de notre interview en France que nous
avons trouvé inquiétant. On a posé la question à des directeurs de multinationales, à des
directeurs de recherches : « Pourquoi votre centre de R&D se trouve t’il en Ile de France ?
La réponse unanime a été : « Pour des raisons historiques ». Mes collègues américains
m’ont demandé : « Historique ? Ça veut dire quoi ? ». En fait, ça veut dire par hasard. « On
est ici, mais on pourrait être n’importe où ailleurs, aux Etats-Unis, en Allemagne, ect ». Et
pour mes collègues c’est une réponse complètement aberrante. Parce que si l’on demande
à des gens qui travaillent dans le secteur de la biotechnologie autour de MIT pourquoi ils
sont là, ils ont une réponse, ils vous répondront : « Je suis obligé d’être là parce qu’on a des
laboratoires dans MIT et c’est dans ces laboratoires qu’on trouve nos produits. On est
obligés d’être là, on déteste le Massachusetts, on a les impôts les plus forts, les salaires
sont très élevés dans le Massachusetts, les loyers des bureaux sont très chers. On peut
détester le Massachusetts mais, on est obligés d’être sur ce site parce que c’est là que
l’innovation se fait, on doit être dans cet environnement si on veut être sur la frontière de
l’innovation ». Donc, pour mes collègues, cette réponse, « raison historique », nous laisse
perplexes face à vos activités d’innovation.
Deuxième question, quand on a voulu savoir quel était votre intérêt de votre collaboration
avec les universités et le laboratoire CNRS de la région ? Les entreprises nous ont répondu
: « Nos collaborations ? De quelles collaborations vous voulez parler ? ». Troisième question
: « Parmi vos ingénieurs et vos chercheurs, combien sont nés hors de France, hors de
l’Union Européenne ? » On n’a pas trouvé d’exemple lors de nos interviews de chercheurs
venant de l’étranger dans ces laboratoires alors qu’on connaît l’importance d’avoir des
chercheurs aux Etats-Unis, des chercheurs venant de partout dans le monde. Presque la
moitié des professeurs à MIT sont nés hors des Etats-Unis. Et, le fait que des entreprises
françaises ne comptent pour ses cerveaux que sur la France et l’Union Européenne, est
également un sujet de préoccupation. On avait une curiosité sur la question de la politique
industrielle, sur le pôle de compétitivité, on a posé des questions sur l’impact du pôle sur
votre entreprise, mais il est, je pense, peut-être encore un peu trop tôt pour tirer des
conclusions, pour en connaître l’impact.
Tout ce que nous avons vu en France — et là, je sors de mon rôle de chercheur — pour
dire que ce que nous avons vu en France, je crois, qu’il y a quelques propositions modestes
qu’on pourrait formuler pour la France. D’abord, on peut beaucoup vouloir inciter un
investissement privé dans le secteur des R&D mais je crois que le rôle de l’investissement
public est irremplaçable. Même à MIT, une université qui est privée et qui a le meilleur
rapport avec l’industrie privée, 85% du budget de recherche de MIT vient de l’Etat fédéral et,
je ne peux pas imaginer qu’en France une université puisse faire mieux que nous pour
recueillir l’argent privé pour la Recherche. Je vous souhaite de faire autant que nous, mais
ça veut dire que pour des activités de recherches fondamentales, nous serions tous
essentiellement dépendants des fonds publics. Deuxième constat, je crois qu’il y a en
France très peu d’entreprises qui participent à l’international et l’action des entreprises, et il
y a un contrat très fort avec l’Allemagne sur ce sujet. L’exemple que je vous ai donné, sur
cette entreprise moyenne qui fait du design et qui se trouve très seule en Chine, ça devrait
être des sujets d’étude. Troisième point, je crois, qu’il y a un intérêt pour la France d’ouvrir la
recherche des universités aux étrangers, car c’est un monde extrêmement fermé. Quand j’ai
vu l’annonce des pôles de compétitivité dans les journaux français, j’ai noté à la fois
Grenoble et Paris, mais en même temps qu’on lançait l’inauguration des écoles, il y avait
aussi dans les journaux des articles sur les dangers de l’espionnage industriel. Je ne suis
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pas naïve, je sais que ce danger existe mais le danger de l’isolation de la France, le danger
de ne pas être au centre des réseaux de l’innovation, de communication est beaucoup plus
dangereux, ne pas créer de centres est, à mon avis, beaucoup plus dangereux pour tout le
monde que le danger de l’espionnage industriel. Je crois que c’est vraiment dans l’intérêt de
dire que tous ces pôles de compétitivité existent pour la France et dire : « Venez chez nous,
venez travailler, venez chinois, américains ! » C’est beaucoup plus important de construire
en France des pôles où tout le monde se croit obligé d’être présent plutôt que de ne pas
être dans les courants de l’innovation.
Dernier point, je pense que pour nous, qui sommes des universitaires, notre mission est
d’apprendre à nos jeunes et à nous tous, comment apprendre la Chine, comment faire, si
l’on veut véritablement vendre en Chine, si l’on veut participer à ces réseaux, à ces
nouveaux espaces de production et de consommation, comment le faire ? On a un bel
exemple avec le Japon qui a passé vingt ans à apprendre comment vendre des voitures à
des Américains. Avec les résultats que l’on voit aujourd’hui aux Etats-Unis avec Toyota par
rapport à General Motors et Ford. Comment apprendre le goût des consommateurs,
comment travailler avec des travailleurs américains ? Je crois que nous avons tous à faire
des efforts similaires partout dans le monde.
[Question de la salle sur le rôle et la place de l’Etat]
S.B. Ce sont des questions que nous avons essayé d’explorer et d’autres que nous n’avons
pas encore suffisamment regardées. Pour commencer avec la question du rôle de l’Etat.
Dès le début de notre enquête, au sein de notre équipe, la question de ce que pouvait faire
l’Etat était un vrai sujet de discussion entre nous. Il existait évidemment des différences
entre nous, entre les ingénieurs et les chercheurs en sciences sociales, et cette question du
rôle de l’Etat était une question très délicate au sein de l’équipe. Finalement, les membres
de l’équipe étaient moins portés à l’idée que l’intervention de l’Etat était une bonne chose en
soi mais ils étaient obligés d’admettre qu’il y avait des rôles indispensables pour l’Etat. Et,
cela essentiellement pour une raison. Aux Etats-Unis, ce qui est essentiel c’est l’acceptation
générale par la population de voir les activités économiques en recomposition, en
transformation plus ou moins continuelle. Lors de la pause, nous avons discuté avec vos
collègues de la disparition de Digital Equipment, qui était un fabricant d’ordinateurs qui du
point de vue technologique était très en avance et malgré cela il a disparu. On dit aussi
qu’en France, Bull a été gardé « sous perfusion » si on peut dire, pendant plusieurs années.
Est-ce que la disparition de Digital était vraiment dommage, est-ce que l’Etat aurait dû faire
quelque chose ? Les ingénieurs de notre équipe ont dit que l’explosion de Digital était très
bien parce que ça a libéré des ressources, des talents qui ont été recomposés et ont donné
lieu à la création d’autres entreprises telle que Micro System. En fait, des entreprises de la
Silicone Valley qui ont fait la révolution dans le domaine de la technologie, de l’informatique
depuis la fin des années 90 ont beaucoup utilisé des talents qui ont été libérés par la
disparition de Digital.
Donc, cette possibilité de recomposition, d’ouverture, d’acceptation générale de
recomposition des ressources est plus ou moins bien acceptée aux USA avec tous les
sacrifices que cela inclue. Mais l’on voit aujourd’hui que le rôle de l’Etat change si l’on veut
garder, préserver cette option pour l’ouverture, pour la recomposition de l’économie, il faut
que l’Etat assure tout de même le minimum social qui, aujourd’hui aux USA n’est
absolument pas assuré. Dans le domaine de la santé, il y a un million d’américains qui n’ont
même pas d’assurance médicale, les retraites sont inégalement protégées. C’est vrai qu’il
existe très peu de chômage aux Etats-Unis mais en fait, c’est parce que les gens qui
perdent leur emploi, en retrouvent rapidement un autre, mais une personne qui a travaillé
dans une usine manufacturière et va travailler par la suite au Wall Mark va voir son salaire
fortement diminuer, et ses retraites baisser. On commence à comprendre aux Etats-Unis
que l’Etat a joué un rôle important dans le coût de la distribution dans la mondialisation. On
peut imaginer une forte ouverture mais il faut en assurer les coûts, et il n’y a que l’Etat qui
puisse faire la distribution nécessaire des ressources. Je crois qu’il y a des politiques
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imaginables des salaires, on a aujourd’hui des propositions extrêmement intéressantes.
Dans le domaine des assurances des salaires, l’idée de constituer un fonds de salaires, par
exemple si le salarié qui retrouve un nouvel emploi — même si le salaire est à un taux
différent — et la mise en place d’une sorte de fonds d’assurance qui pourrait assurer un
certain équilibre par rapport au salaire qu’on a eu. Il y a des efforts à faire dans le domaine
de l’Education, de l’enseignement, de la formation permanente. Aujourd’hui, aux Etats-Unis
il y a beaucoup de rhétorique sur la formation mais ce n’est que de la rhétorique. L’échec de
l’école primaire est tel, que l’on sait que quelqu’un qui sort de l’école à dix-huit ans, qui entre
dans l’industrie et qui se retrouve au chômage à quarante ans, et bien les possibilités de re
former cette personne de ce niveau d’éducation, est extrêmement faible. Il faut reconnaître
cela chez nous. On n’est pas au Danemark aux Etats-Unis. Donc il faut trouver d’autres
solutions, les efforts que nous devons apporter sur la formation, est essentiellement sur
l’éducation de l’enseignement primaire et secondaire et, il ne faut pas trop attendre de la
formation permanente pour les gens âgés de quarante ans qui sont malheureusement les
perdants de notre société.
J’ai donné une conférence devant la Confédération des syndicats au Danemark. Ils
investissent beaucoup dans la formation de syndicalistes pour les négociations dans les
entreprises qui proposent de faire des délocalisations. C’est un sujet extrêmement
intéressant, ce que nous avons trouvé dans nos interviews, c’est que les entreprises
envisagent la délocalisation qu’en comptabilisant les avantages qu’ils vont gagner en se
délocalisant. Beaucoup d’entreprises qui veulent délocaliser se font une idée sur les salaires
chinois. Les chinois gagnent vingt fois moins que nous, donc ils pensent qu’ils vont gagner
en délocalisant leurs activités. Or, ce qui compte dans le monde, c’est le prix unitaire du
travail, c’est de savoir combien cela coûte de produire une unité de produit, ce n’est pas le
gain de salaire. En Roumanie, par exemple, j’ai été très étonnée lors d’une interview dans
une usine de fabrication de pull où le propriétaire était italien et le manager était italien. Un
moment donné, il m’a montré les manches d’un pull blanc, en maille très fine. Certaines
étaient faites en Roumanie, les autres en Italie, il m’a demandé si je pouvais deviner
lesquelles venaient d’Italie et lesquelles étaient fabriquées en Roumanie mais je ne voyais
pas la différence. Donc, je me suis dit immédiatement que c’était fini pour cette usine en
Italie parce que je savais que le salaire roumain était le dixième du salaire italien. Il était très
heureux de voir que je ne pouvais pas faire la différence mais il m’a dit que le problème était
que la fabrication de ces manches de pull coûtait plus de 50 % plus cher en Roumanie
qu’en Italie. Je me suis dit comment est-ce possible ? Les salaires sont dix fois moins
élevés en Roumanie. En fait, c’est la laine qui est très chère, donc chaque manche
défectueuse revient très chère. L’ouvrier italien, lui, est capable de réparer la machine mais
pas l’ouvrier, ici, en Roumanie, il faut faire venir un technicien qui va mettre deux jours à
remettre la machine en route. L’ouvrier italien est capable de refaire le programme des
machines pour fabriquer l’après-midi des manches pour un pull d’enfant tandis que l’ouvrier
roumain ne le sait pas encore. Mais les Roumains n’étant pas moins intelligents que les
Italiens vont bien évidemment apprendre dans deux, trois ou cinq ans. Aujourd’hui, il coûte
encore moins cher de fabriquer ce produit en Italie tout compte fait ! Donc, il faut résonner
par unité de production et non pas en salaire, ce n’est qu’un élément mineur dans l’équation
des coûts. Et, si les syndicats savaient utiliser dans leurs négociations une comptabilité qui
serait un peu plus proche des vrais coûts de production, ça serait un travail qui pourrait
donner des résultats.
Un autre élément qui va dans le même sens. Lors de nos interviews en Chine cet été, nous
sommes allés dans une Join Venture française/chinoise, un fabricant de mobiles, le
manager français nous a dit qu’il y avait 25 ingénieurs français sur le projet et 375 chinois.
Les salaires des Français étaient aussi élevés que les 375 salaires chinois et les salaires
français étaient comptés sur le budget de Paris, le patron qui est obligé de venir tous les
mois pour surveiller ses projets, son salaire, ses frais d’avion sont également sur le budget
de Paris. Donc, quand l’entreprise voit l’activité en Chine, il voit les salaires chinois, il ne voit
pas le fait que ses « extend » sont absolument obligatoires aujourd’hui donc il faut essayer
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de voir les vrais coûts de la délocalisation et de raisonner à partir de cela. Et, je pense que
les travaux syndicaux sont nécessaires.
RÉPONSES SYNDICALES, "MAKING OFFSHORE OUTSOURCING SUSTAINABLE"
PRESENTATION DU PROJET EUROPEEN SYNDICAL "MOOS"
FRANCOIS DAVID, CHARGE DE MISSION CFDT CADRES
Depuis ce matin, on a parlé de stratégie d’entreprise et de bilans économiques des
délocalisations, à savoir le prix réel du produit réalisé, fabriqué. En fait, nous, on est parti
d’un constat, que Suzanne Berger a rappelé ce matin, c’est que, a priori, il n’existe pas de
stratégie gagnante, ni de méthodologie systématique en ce qui concerne la délocalisation. À
savoir que si on essaye de segmenter les affaires, si on essaye de savoir quelle serait la
délocalisation optimale pour une PME, ou grande entreprise, dans une segmentation
sectorielle, on trouvera toujours l’exemple et son contre-exemple. Ça c’est un enseignement
qui est un peu contraire à l’intuition qu’on aurait pu avoir au départ, c’est qu’il n’y a pas de
solution parfaite. En revanche, ça ne veut pas dire que tout projet de délocalisation doit être
considéré comme naturel et à priori viable. Il arrive alors la question suivante, c’est s’il
n’existe pas de stratégie optimale, si on nous présente un projet de délocalisation, à nous
syndicaliste, que pouvons-nous faire et que devons-nous faire ?
Donc voici en quelques mots le point d’entrée de notre étude. On a essayé de développer
les outils, de développer un savoir qui permette aux équipes syndicales de parler sur le
terrain économique, de parler sur le terrain stratégique et de poser des questions qui parfois
dérangent les entreprises. On a vu ce matin, j’ai trouvé très cela intéressant, on a vu la
courbe des textes de presse sur la délocalisation et la courbe réelles de ce qui se passe
dans la délocalisation. Ça montre bien un point, en l’absence de stratégie optimale, il y a
toujours une espèce de crainte sur les délocalisations, une crainte, je dirais, irrationnelle, qui
je crois explique la différence qui existe entre ces courbes. Pour des raisons pratiques, nous
avons concentré notre travail sur un secteur qui est celui de l’informatique et le système
d’informations. Pourquoi ? Et bien, parce que beaucoup d’entre nous en étaient issus et
deuxièmement, comme cela a été dit ce matin, c’est vrai que les technologies digitales ont
permis et ont accéléré la mondialisation puisqu’elles permettent de segmenter et de
découper la chaîne de la valeur, de découper la chaîne de production et de pouvoir
fabriquer certains morceaux à différents endroits. Donc, on s’est dit puisque ces
technologies digitales ont permis de le faire, regardons cette technologie en elle-même de
ces secteurs. Sur les entreprises de ce secteur, on a deux catégories d’opération, on a les
transferts d’activité, chez un sous-traitant, et puis il y a le transfert d’une même activité dans
un autre pays, en général, avec une main d’œuvre à plus bas prix, on revient bien à dire,
dans le milieu économique, qu’en fait, la délocalisation, c’est un salaire moins élevé dans
un pays en voie de développement, qu’on qualifiera d’off-shore. Tout ça pour dire que le
projet qui s’appelle MOOS, c’est un acronyme, comme toujours, qui veut dire « Making
offshore and outsourcing sustainable », la tradition serait de faire en sorte que le processus
offshore et outsourcing soient viables, viables dans tous les sens du terme, pour
l’entreprise, pour les salariés, pour la vision économique de ce secteur. Ce projet européen
MOOS a permis une collaboration entre différentes organisations syndicales notamment
européennes, sept organisations se sont jointes à nous, ce qui est intéressant à voir, c’est
que ce sont des syndicats de pays nordiques, donc sur des modèles syndicalistes un peu
différents du nôtre, on a donc voulu avoir une vision la plus large possible sur la question,
voir si des approches de leurs côtés avaient donné des résultats différents de nous. Donc, je
vais essayer de faire court. On a deux productions majeures après ce travail qui a duré à
peu près deux ans et demie. C’est un guide à usage syndical qui a été traduit en cinq
langues et un site Web ; Ce guide, vous l’avez dans les documents qui vous ont été
distribués ce matin et vous pouvez évidemment télécharger dans la langue de votre choix
sur le site. Là, où la CFDT et la CFDT Cadres a été plus loin, c’est qu’on a voulu donner un
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prolongement à ce projet et l’on a voulu le travailler avec des équipes syndicales, toujours
du secteur de l’informatique et du système d’information et l’on a essayé de s’associer à des
équipe de EDS, et … pour construire la production du document supplémentaire. À ce titre,
on a créé une boîte à outils – qui est disponible sur le site – et qui est un essai pour
permettre aux équipes syndicales de se saisir des problématiques économiques et
stratégiques citées de ces délégations, traditionnellement les syndicats travaillent en aval
des organisations sur les aspects sociaux et là, l’idée était de travailler en amont sur l’aspect
économique pour éviter le plus possible d’avoir des conséquences sociales ennuyeuses.
Plus concrètement, sur les productions, il y a un texte sur le renouvellement de la critique
syndicale, avec un chapeau qui présente la démarche menée sur ce travail, sur ce thème. Il
y a deux éléments forts, je dirai, qui sont une fiche de nature stratégique, qu’on va
reprendre après et regarder rapidement, et une fiche économique et sociale en matière de
coût, on s’est intéressés à la véritable construction des coûts d’un produit, de sa conception
jusqu’à sa commercialisation. Une fiche sur le contexte de régularisation, c’est une fiche
franco-française sur (bruits), on était obligés, pour une question juridique de partir du pays
d’origine. Des cas d’entreprises et de monographie, mais on y reviendra après, avec des
équipes syndicales qui ont participé à l’élaboration de ces outils et, puis enfin des articles de
presse, des références. Mon propos est de vous présenter ces fiches stratégiques et
économiques, vous verrez ce sont des fiches qui sont synthétiques et qui ont en même
temps le mérite c’est d’être synthétiques, explicites mais aussi génériques. Donc, je crois
qu’avec un tout petit peu de travail, on peut les transformer et les adapter à d’autres
secteurs d’activité. Ces fiches ont été aussi faites avec cette idée de simplifier la vie des
équipes syndicales qui voudraient se servir de ces fiches et qui ne seraient pas du secteur
informatique et des technologies de l’information.
Ce qu’il faut retenir c’est qu’on s’est posé les questions fondamentales, quand les syndicats
doivent faire l’intervention, auprès de qui et comment, s’il y a quelque chose à retenir ce
sont ces trois choses. Alors quand ? Et, bien le plus tôt possible, ce n’est pas toujours très
facile car traditionnellement les directions ne font pas forcément confiance, donc c’est à
nous équipe syndicale de voir si notre entreprise va être sujet à une délocalisation,
d’essayer d’interroger nos réseaux, que l’on peut avoir de part et d’autre. Pour les grandes
entreprises, ça peut être les comités européens, c’est aussi l’occasion de poser des
questions, avec évidemment les cadres et les salariés des départements dans lesquels on
travaille, des départements concurrents au sein de la même entreprise.
Comment ? Cette fois-ci, c’est un peu une démarche un peu nouvelle pour les syndicats,
c’est aussi se projeter sur le domaine économique des choix, l’entreprise nous fait une
proposition et bien souvent, surtout sur les entreprises sur lesquelles on a travaillé, il n’y a
pas de stratégie à long terme, donc on peut s’interroger quand une entreprise n’a pas de
stratégie long terme, comment ont-elles abordé de façon intelligente une délocalisation et,
quand on commence à aborder les différentes thèmes économiques, structurels,
conjoncturels, relationnels, ils vont faire leur délocalisation soit par effet de mode, soit parce
que le concurrent l’a fait soit parce qu’ils ont l’impression que s’ils ne la font pas ils vont
perdre de l’argent. Et, dès qu’on commence à leur poser des questions un peu simples, on
l’a vérifié avec l’équipe syndicale avec laquelle on a travaillé, ils disaient, « Tiens, c’est
marrant, on a un des partenaires qui nous pose des questions, nous fait réfléchir, et ils se
rendent compte que leur projet n’est pas viable, n’est pas parfait dans l’état où ils nous l’ont
présenté. Après, il faut qu’ils l’intègrent dans leur entreprise et c’est quelque chose qu’ils ont
souvent du mal à faire. On aborde ensuite le sujet du résultat attendu mais aussi du suivi du
projet et ça c’est quelque chose que les entreprises n’ont pas l’habitude de faire, c’est, on
présente un projet mais qu’est-ce qu’on attend vraiment de ce projet ? Ils ne sont pas
capables de quantifier le résultat de ce projet. C’est déjà quelque chose d’intéressant et puis
après comment, est-ce qu’on peut mettre en place un système de suivi, un système qui
pourra corriger en temps réel les divergences de l’application de ce projet. C’est très
important de poser ces questions de quid sur la délocalisation, avant même qu’elle n’ait
commencé et comment on fera pour vérifier que le tableau de bord, les indicateurs
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économiques sont vraiment pertinents, et comment faire éventuellement pour changer son
fusil d’épaule si d’aventure la délocalisation est un échec. Ça peut être un processus de
relocalisation partielle, on peut imaginer tout un tas de choses. Et puis, la dernière question,
on l’a aussi déjà un peu abordée ce matin, c’est la question de la redistribution de la valeur
ajoutée, qui ne se situe pas au niveau du pays mais au niveau de l’entreprise. C’est de dire,
d’accord il y a un outil de production, d’accord il y a des salariés qui sont dans le « pays
mère » qui veulent bien donner du travail à des salariés à d’autres pays mais la valeur
ajoutée qui va être produite comment elle va être redistribuée pour que l’entreprise
justement puisse rester viable et ce sont toutes ces questions qu’on a abordées dans cette
fiche. Il y a une autre page, mais on va directement passer à la fiche suivante mais nous
restons à votre disposition pour toutes questions et même pour la suite si vous avez des
questions.
Donc, la deuxième fiche, à caractère économique, le début est le même, les lieux d’échange
sont un peu plus riches, c’est intéressant d’avoir des partenaires syndicaux dans le pays
pour valider les informations que nous donnent les directions quand on leur présente un
projet. Ça c’est le vrai plus, la vraie valeur ajoutée du syndicalisme sur l’aspect
économique, on est capables d’aller voir au niveau le plus bas de l’entreprise du pays cible,
si ce qui est raconté en haut est vrai, parce qu’il y a aussi ce phénomène, vous pouvez avoir
dans un pays cible des dirigeants d’entreprise qui vous donnent une vision de leur
entreprise qui n’est pas totalement conforme à la réalité, comme chez nous d’ailleurs et, je
crois justement que l’acteur syndical est fondamental dans son entrée d’information.
Cf. Annexe 1. Fiches pratiques MOOS « Intervenir syndicalement sur la stratégie de
l’entreprise » et « Intervenir sur les questions économiques, sur les coûts »
TEMOIGNAGE DES EQUIPES CFDT D’EQUANT ET D'EDS. QUESTIONS POSEES,
REPONSES SYNDICALES. APPROCHE PAR LES COMPETENCES INDIVIDUELLES ET
COLLECTIVES
VALERIE PAU ET MARC BITZBERGER (EDS)
V. P. Chez EDS (Electronique Data Système), quelle est la réalité aujourd’hui pour les
équipes syndicales confrontées à ces questions ? Un plan d’ensemble, ça concerne la
gestion de l’entreprise, les fournisseurs,… et les questions des ressources humaines, tout
ce qui est contrats, prestations, toutes ces activités de l’entreprises sont sous-traitées à
l’étranger, dans la structure d’EDS… il y a trois centres de salariés parce que ça ne marche
pas si bien, il faut dire ce qui est, par exemple les producteurs ne sont pas payés, les
déplacements ne sont pas remboursés, et ça c’est au quotidien et en plus les administratifs
où les responsables ne peuvent pas donner d’explication à leurs équipes, ni de la maîtrise
du processus. Côté commerce, ce n’est pas mieux, c’est 80% de salaires, la production de
notre société, tous les accords locaux avec les clients sont mis à mal, puisque tout ce qui va
autour d’un accord commercial, en amont ou en aval le mode de paiement, c’est fait à
l’étranger, sans qu’on puisse le maîtriser alors évidemment ça crée des tensions. Donc,
dans ce contexte d’instabilité contractuelle, la délocalisation de certaines activités inquiète
surtout parce que le schéma d’ensemble, et en plus on demande aux gens de transférer
leur savoir faire à des étrangers qui eux doivent faire leur travail pour moins cher, c’est ce
que dit la société, on ne promet aucune augmentation.
M. B. La difficulté, c’est de trouver des réponses. A aucun moment, on n’arrive à trouver des
réponses à nos demandes, ce n’est même pas par mauvaise volonté, il y a une incapacité à
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trouver un interlocuteur qui apporte des réponses, on cherche encore des réponses à la
stratégie de manœuvre, aujourd’hui ça reste un peu vain, qu’il s’agisse des réclamations
individuelles ou collectives, en CE ou même en CE Européen, la stratégie d’EDS reste un
mystère. Malgré toutes les instances qui ont été demandées, nulle part, on a une mesure
qui est faite à EDS des coûts effectifs et d’évaluation sur un retour à l’investissement pour
savoir si finalement c’est vraiment rentable et l’on n’a aujourd’hui jamais eu de réponse làdessus, quelque soit le niveau, y compris au niveau du CE européen. Si l’on revient sur le
terrain français, la négociation obligatoire, et aujourd’hui la GPEC qui est aussi obligatoire,
ces deux exemples sont une négation même du concept de négociation par que depuis des
années les revalorisations salariales, et bien on nous dit que c’est la direction qui décide, la
négociation s’arrête-là et aujourd’hui le seul but de la GPEC c’est d’installer un PSE
permanent pour pouvoir se débarrasser plus facilement du personnel.
V. P. La déstructuration du travail du salarié, son éparpillement à droite et à gauche, on lui
enlève des bouts de travail, de sa propre production, il va garder un morceau de programme
informatique et l’on va lui en enlever d’autres mais il ne saura pas pourquoi parce qu’il n’a
plus la maîtrise globale de son travail et par ailleurs il perd tout espoir de valorisation
cohérente de son travail. Ils ne peuvent rien garantir à leurs équipes parce qu’ils n’ont pas la
maîtrise.
M. B. Donc, dans ce contexte, le défi de la CFDT dans une entreprise comme celle-là, est
de créer un collectif qui montre la valorisation des savoir-faire, aujourd’hui, la CFDT est très
démarquée et également contestée par les autres organisations syndicales qui font bloc
quoi qu’on dise ou qu’on fasse et la CFDT doit se battre sans cesse contre une image
d’accompagnement des décisions d’EDS tout en travaillant sur des dossiers concrets.
Aujourd’hui on essaye de prendre à bras le corps les dossiers et d’avancer, là où les autres
ne font rien et se contentent de dire que ce qui se passe n’est pas bien. On s’interroge sur
l’angle d’attaque à trouver pour interpeller les salariés, pour leur faire comprendre les enjeux
du rapport de force en question et comment porter ce rapport de force et pour finir sur une
note plus optimiste, on peut espérer que l’accumulation des aberrations, des non-sens, des
incohérences de l’entreprise et de sa stratégie ou plutôt de son absence de stratégie par
une organisation qui met le doigt là où ça fait mal et qui finisse par trouver un écho auprès
des salariés, des cadres de proximité voir de certains cadres à plus de responsabilité mais
c’est tout de même un beau challenge face à des syndicats exclusivement contestataire à
EDS car il est tellement plus facile de EDS de critiquer que de construire quelque chose sur
le long terme.
Cf. Annexe 2. « Questionnement EDS »
J.-P. B. Merci à Valérie et à Marc. C’est un constat assez dur, on l’avait déjà entendu, ce
qui se passe à EDS est dur et ça ne laisse pas beaucoup d’optimisme, c’est pour cela qu’on
a voulu le tempérer avec un autre témoignage à partir d’un certain nombre de variations
concrètes mais, il y a quelque chose de symptomatique, c’est lorsqu’on avait démarré ce
projet, on avait la volonté de rencontrer un certains nombre de personnes, en disant voilà ce
qu’est capable de faire le syndicalisme européen et international. On a eu un rendez-vous
avec le DRH de Cap Gemini dans les quinze jours, lorsqu’on a posé la question avec Marc,
on aimerait bien rencontrer un interlocuteur, en France, ce n’était pas possible mais ça
serait peut-être possible à Londres alors on a essayé mais ça n’a pas été possible et l’on a
abandonné, alors on s’est dit qu’on n’allait peut-être pas quand même aller à Dallas ! Mais,
cette absence d’interlocuteurs couplée avec le flou, on n’ose même plus dire de stratégie,
c’est vrai qu’on n’a pas la réponse mais c’est une vraie question qui est posée aux
syndicalistes, sur lesquelles on va revenir certainement. On est sur une autre entreprise,
Michèle va la présenter et surtout sur un retour d’expérience sur ce qui a été fait, c’est une
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démarche qui est en cours, et qui est loin d’être terminée mais ça permettra d’éclairer notre
questionnement aujourd’hui.
MICHELE VIALE, SECRETAIRE DU COMITE D’ENTREPRISE D’EQUANT
J’ai remis un rapport aux entreprises hier après-midi, nous avons travaillé trois mois
ensemble et nous avons co-produit cette présentation et je voudrais vous présenter la
conclusion. Elle tient en une phrase, pour préparer une négociation GPEC, j’ai interrogé
soixante-seize personnes, la conclusion tient dans la phrase suivante : « la principale
critique occasionnée part le phénomène de délocalisation n’est pas une critique de leurs
biens fondées mais seule s’adresse les salariés à l’entreprise de ne pas bien utiliser les
compétences individuelles et collective qu’ils sont prêts à mobiliser activement pour protéger
leur emploi ici, c’est cette critique au nom de la compétence qui est relativement distincte
même si elle s’articule avec la critique sociotechnique. C’est comment nous sommes arrivés
à ces conclusions, comment on a entremêlés les questionnements du comité d’entreprise et
les contributions avec le ministre du travail que nous allons vous présenter maintenant.
Cf. Annexe 3. « Renouveler la critique syndicale et le mode d’expertise face aux
délocalisations. L’exemple d’Equant »
FRANCIS GINSBOURGER, DIRECTEUR DU DEVELOPPEMENT DU CABINET ATEFO,
CHERCHEUR ASSOCIE A L’ECOLE DES MINES DE PARIS
C’est un enjeu précis dans la demande de GPEC d’aider à élaborer des positions en vue
d’une négociation d’un accord de gestion provisionnel des emplois et des compétences,
c’est un exercice dans lequel on voit plus la question de la prévision d’emplois que la
question de la gestion des compétences. C’est un exercice qui est souvent vécu d’après
quelques expériences qu’on peut avoir ; un peu froid, technocratique où l’on a une direction
des ressources humaines face à des syndicats, une direction opérationnelle qui a décidé de
changements, une stratégie qui n’est pas forcément explicite et dans l’accord de GPEC, on
va expliquer les impacts entres les métiers à moyen terme et l’on va discuter du traitement
social, c’est ce que j’appel les accords de gestion sociale, les négociations de gestion
sociale de l’emploi. L’objectif, le mode de l’exercice, c’est de travailler un peu autrement et
de créer un constat qui permet une double confrontation à deux niveaux, d’une part une
confrontation entre gestion des compétences et gestion par les compétences. La gestion
des compétences, ça part d’en haut, une vision managériale, on a une vision internationale
du travail, des activités qui sont ce qu’elles sont en France, des emplois qui sont découpés
comme-ci, comme-ça et puis cela aura des impacts sociaux et là on va prévoir des
dispositifs de formation, de mobilité. La gestion par les compétences, ça n’est pas pareil.
Quand on parle de gestion par les compétences, c’est dire qu’on s’intéresse aux
compétences individuelles et collectives, actives par les salariés et notamment à cette part
des compétences qui constituent, Suzanne Berger, une expérience industrielle collective,
qui fait partie de ce que vous appelez l’héritage dynamique des entreprises et souvent l’on
constate, c’est tout à fait étonnant, que les salariés qui sont là depuis longtemps et les
moins mobiles sont plus porteurs de cette connaissance de cet héritage dynamique de cette
entreprises que les managers qui passent assez rapidement.
Et, donc la gestion par les compétences c’est interroger la gestion des compétences à partir
d’un regard sur le travail. Le deuxième niveau de confrontation est autour de deux modes de
traitement des mutations. Le mode dominant qui est le mode de la rupture brutale, non
anticipée, avec un traitement social consécutif que l’on connaît - Suzanne Berger, merci de
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l’avoir dit pour les Etats-Unis – qui continue à comptabiliser un noyau dur de chômage
ensuite pour les personnes les moins mobiles, les moins qualifiées, les plus âgées, et
souvent les plus expérimentées mais dont l’expérience n’est pas reconnue y compris à leurs
propres yeux. Donc, on sait ce qu’est le traitement social des restructurations, et il y a une
autre façon qui est d’articuler l’économique et le social, c’est un peu dans ce sens qu’on va
développer maintenant. Pour faire ça, et je vais être très rapide, on fait ce que j’appelle le
diagnostic de la valeur des compétences, c’est-à-dire qu’on interroge la stratégie de
délocalisation et de localisation ainsi que la manière de gérer la transition à partir du travail,
ce qui est un enjeu récurrent, je ne reprendrai pas ce qui a été dit par Suzanne Berger,
lorsqu’on a des entreprises qui sont relativement intégrées, c’est encore plus, à mon sens,
le cas en France qu’aux Etats-Unis, intégrées verticalement et que se passe, et de ce point
de vue, c’est un cas générique, qu’on externalise et qu’on off-shore, on délocalise la
fabrication, la production au milieu de la conception, de la R&D, quid de la distribution des
réseaux commerciaux et ce que dit, souvent les salariés des entreprises dans lesquelles on
a pu intervenir, que ce soit dans le textile ou dans l’électroménager, et je pense à d’autres
cas, on va externaliser la fabrication mais qu’est-ce qui va rester en France ? La marque ?
Les réseaux commerciaux ? Et la R&D ? et l’interface entre la R&D et la production ? Où
est-ce qu’on industrialise les nouveaux produits ? Si on les industrialise en Chine, est-ce
qu’on ne va pas se faire piquer très vite nos procédés de travail ? Et, est-ce qu’on saurait le
faire ? Quels sont les segments forts ? Où est-ce qu’il y a l’essor industriel, où est-ce qu’il y
a des compétences collectives, c’est ça interroger la stratégie de localisation et
délocalisation à partir du travail et à partir des salariés qui disent, ça c’est une activité
banalisée, tout le monde sait le faire. On a interrogé les salariés, et je vais mentionner un
verbatim d’un salarié, il est ingénieur en développement informatique, il gère une base de
données, ça lui prend à peu près un tiers de son temps, l’autre tiers est occupé à transférer
une part de l’activité en délocalisation donc à décrire l’activité et le troisième tiers à répondre
aux demandes des Indiens, à qui cette activité a été est transférée. Il a six mois devant lui
pour transférer son activité et il nous a dit qu’il avait fait son CV en précisant qu’il n’était pas
libérable, alors un mot sur libérable …
M. V. Oui… Il y a une règle qui veut, de façon à ce que les gens ne soient pas retenus sur
un poste lorsqu’ils ont passé plus de deux ou trois ans, s’ils ont de l’ancienneté, il faut
pouvoir les laisser partir dans les trois mois qui viennent et, l’on s’aperçoit que la règle dans
ces contextes-là fonctionne à l’envers, c’est-à-dire qu’on dit à la personne non, tu ne peux
pas partir parce que tu n’as pas d’autres anciennetés.
F. G. Cette personne dit : « Mon manager ne veut pas que je me lance dans des
négociations avant que toutes les « fonctionnabilités « aient été transférées. Je corrige les
erreurs qui servent à la facturation en l’occurrence, on me demande de fermer la porte et la
lumière derrière moi mais moi, derrière, est-ce qu’ils s’intéressent à ce que je vais devenir ?
Ce verbatim est important parce qu’il traduit le fait qu’on utilise les gens jusqu'à ce que
l’activité soit transférée mais on ne se préoccupe pas en amont de ce qu’on va devenir, la
description des activités de transfert ne va pas de pair avec une description des
compétences, ou le transfert des compétences.
Deuxième point qui me paraît important de préciser, on est dans les secteurs des
technologies de l’information et comme l’a dit Michèle, les délocalisations
internationalisation, le travail devenant mondialisé, il y a même des habitudes de
coopérations entre le …, (toux), l’Inde, l’Egypte, ça fait assez longtemps qu’il y a des
implantations en Egypte donc il y a aussi des compétences collectives non localisées, hors
sol.
En vérité, ce qui est caractéristique, ce n’est pas les délocalisations mais c’est la succession
invraisemblable, la superposition de changements organisationnels, d’abord il y a eu des
fusions, il y a une dizaine d’années, la référence à des cultures d’entreprises fonctionne
comme le marqueur identitaire. La deuxième chose c’est que les délocalisations à faible
fonction de valeur ajoutée vont de pair avec l’affichage, avec une logique orientée service
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mais on n’en pas encore vu la traduction concrète de cet affichage dans l’activité et comme
était lié un accord avec France Telecom et que les plus mobiles des salariés, notamment les
cadres, les tops management qui sont en train de quitter le navire, toute cette nouvelle
stratégie, etc. Tout ça est vécu comme France Telecom est en train de plier les sources de
vie de l’entreprise, point barre. Un processus classique et je disais tout à l’heure, le
processus le plus récurrent à propos des délocalisations, c’est l’anticipation que font les
directions à travers le fait de bloquer les embauches, ça a des effets qui ne sont pas en tant
que tels imputables à la délocalisation, qui sont des effets très simples, il y a des départs, il
y a des postes qui sont créés en délocalisation, on ne remplace pas les départs, il n’y a plus
de jeunes en insertion, il n’y a plus de transmission des compétences, les plus mobiles s’en
vont, les équipes se rétrécissent, les espaces de mobilité et de progression professionnelle
avec et l’activité finit pas s’intensifier pour ceux qui restent. J’appelle cela la chronique d’une
mort annoncée et, en réalité de cette chronique d’une mort annoncée est liée non pas au
développement en tant que tel mais à tout un tas de changements organisationnels qui n’ont
pas été gérés du point de vue de l’activité des personnes. Évidemment, le problème c’est
que tout cet ensemble de changements organisationnels non digérés, va provoquer
beaucoup de postures fatalistes, défaitistes, passéistes, et protestataires.
Deux critiques de délocalisations pour en terminer. Il y a une critique que j’appelle
sociotechnique. Les décisions, la politique de délocalisation n’obéiraient pas à une
rationalité évidente, une rationalité limitée comme on dit chez les spécialistes. On fait des
calculs sur le papier mais en réalité l’on s’aperçoit que les produits sont mal faits, qu’il y a
des retours. Il y a aussi cette critique qu’on entend beaucoup dans le secteur de I-Tech, le
turn-over des indiens, parce qu’il y a la surchauffe à Bangalore donc les indiens mettent en
concurrence les entreprises et, effectivement, il y a du turn-over donc, on entend pleins de
trucs sur le travail avec les indiens, à distance, comme eux n’ont pas les mêmes horaires et
qu’on est en décalage, pendant les contrôles, l’on entend plutôt les klaxons des taxis pris
dans les embouteillages de New Delhi, et l’on perd du temps et ça sert à rien et cette
coordination n’est bonne pour personne, etc.… Puis, il y a ceux qui vont dire, non ce n’est
pas vrai, on est en train d’apprendre, on a déjà su le faire en Egypte, à Rio et dans un an,
deux ou trois ans, on saura les apprentissages organisationnels. Deuxième critique, c’est la
critique au nom de la compétence, au nom de la mise en œuvre des décisions à proprement
parlé de leur gestion, on pourrait faire autrement, on pourrait former des salariés, transférer
des activités et reconnaître les compétences apprendre les différences culturelles liées à ça,
on pourrait anticiper en articulant la distribution des activités. Deuxième niveau de critique,
c’est celle de Suzanne Berger lorsqu’elle dit qu’en aucun cas la compétitivité repose sur la
délocalisation, il y a des risques à se laisser aller à la facilité vers des pays à bas salaires,
ceci ne veut pas dire loin de là qu’il faille renoncer à toute délocalisation et mais faire de
celui-ci un élément d’une stratégie. Donc là, on a vraiment la question d’afficher des
éléments pertinents qui montrent qu’on a intérêt à délocaliser ce qui est banalisé et à
conserver et développer.
Troisième et dernière critique qui me paraît la plus importante, que j’ai appelée la critique au
nom de la compétence. Là, il y a un « verbatim » qui s’impose et qui dit la chose suivante :
« Je trouve scandaleux d’être payé pour ce qu’on me fait faire et tout aussi scandaleux
d’être aussi mal payé pour me faire autant chier ! ». Je pense qu’il faut prendre très au
sérieux cette critique-là. Voilà comment j’entends cette critique : je commence à m’inquiéter
d’être aussi bien payé pour ce qu’on me fait faire, à moins qu’on ait décidé de me payer à
hauteur de ce que je me fais chier, mais ça ce n’est pas présentable et cette critique est une
critique du rapport au travail et de sa mise en valeur. Si nous sommes dans un pays riche,
un pays cher avec le salaire qu’on a, alors il appartient à l’entreprise de faire en sorte de
valoriser notre travail et, elle a alors des responsabilités, en reprenant un terme américain, il
y a une responsabilité des managers et de l’entreprise à valoriser nos compétences et
cette critique-là c’est une critique du salarié qui se tourne vers l’entreprise, vers la direction,
vers le talk-management, vers le middle management, donnez-moi des ressources pour
faire face, pour rester compétitif, faites en sorte que je sois plus performant que mon
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collègue de Rio, de Bangalore. Ça n’est pas une protection de défensive, ça n’est pas
donnez-moi un parachute en cas de. Ça va bien plus au delà de ça, c’est une protection
active, proactive comme on dit aujourd’hui, le salarié dit donnez-moi les moyens de saisir les
chances pour rester dans la compétition, ce n’est pas une critique sur les risques sociaux
mais sur le fait que l’organisation ne permet pas de saisir les opportunités économiques.
Donc, c’est une critique que nous entendons fortement et je me tourne vers Michèle,
comment est-ce que syndicalement vous percevez cette critique ?
M. V. Il n’y a pas de stratégie, ou bien nous ne comprenons pas la stratégie ou bien encore
l’entreprise ne nous donne pas les outils pour. Et, lorsqu’son se retournait et qu’on regardait
le matériel mis à notre disposition, on s’aperçoit que si il y a une stratégie, et je dirai même
que si on la regarde de façon détachée, il y a une cohérence depuis plusieurs années et l’on
revient souvent dessus, c’était dans la presse d’ailleurs, alors, oui on a des outils, on a
pleins d’outils alors pourquoi les salariés se sentent complètement décalés par rapport à la
stratégie, par rapport à.. et bien finalement on est arrivés à la conclusion qu’ils ont le
sentiment de ne pas faire partie de cette stratégie. Finalement, la stratégie qui est mise en
œuvre dans la stratégie de délocalisation n’embarque pas les salariés dans la mutation que
l’entreprise est en train de faire. Jusqu’à présent l’entreprise faisait des mutations avec ses
collaborateurs et l’on est arrivés un moment donné où l’entreprise fait une mutation sans ses
collaborateurs, elle va en chercher ailleurs et elle n’intègre pas ses collaborateurs dans sa
mutation, en fait dans l’I-technologie, on change de boulot chaque année, chaque année on
avance, ça nous permet d’évoluer et là on est en train de nous demander de scier la
branche et l’on ne voit pas la branche à laquelle on va pouvoir se rattacher. Alors, si
l’entreprise veut que les salariés continuent à accompagner sa mutation, il vaut mieux
qu’elle leur montre la branche sur laquelle ils vont se rattacher parce que sinon au lieu
d’avoir des salariés moteurs de la mutation de l’entreprise, on va se retrouver avec des sacs
de sable qui seront vraiment très lourds à tirer. Donc, finalement les deux points très
importants qu’on a finis par sortir du travail qu’on était train de faire, c’est que premièrement,
il faut arriver à convaincre l’entreprise de réassocier les salariés dans les pays industrialisés,
à l’intérieur de son entreprise et deuxièmement, il faut absolument arrêter d’infantiliser les
salariés. On est dans une société où il y a 92% de cadres, les salariés sont absolument
capables de comprendre les mouvements d’une entreprise et les raisons qui font que cette
entreprise mute, il faut arrêter de faire des coups en douce et de faire comme mes amis
l’ont décrit tout à l’heure, de faire des petits bouts de mutations … il faut sans doute utiliser
les outils qu’on a à notre disposition, la formation à la stratégie, voir les conditions … voir
comment les mutations des entreprises vont modifier la géographie de l’emploi, qu’est-ce
qu’on va mettre en œuvre pour accompagner cette modification et surtout les conditions
économiques qui permettent ces outils dont je parlais tout à l’heure et qui souvent
manquent, et à mon avis, que les équipes syndicales n’utilisent pas suffisamment. On est
devant ces questions, et l’on cherche d’autres trouvailles.
J.-P. B. Merci à Michèle et à Francis pour les précisions de cet exposé. On a commencé par
un éclairage international et c’est intéressant de terminer cette matinée par un éclairage
international de la part du syndicalisme, on aura aussi une expression d’un collègue syndical
cet après-midi, donc on n’a jamais oublié la dimension internationale du syndicalisme.
TEMOIGNAGE
GERD ROHDE, UNION NETWORK INTERNATIONAL – IBITS, INDUSTRY, BUSINESS &
INFORMATION TECHNOLOGY SERVICES
Vous remarquerez tout de suite que le français n’est pas ma langue maternelle, je suis
Allemand, je travaille en Suisse et au boulot on parle Anglais. Je vais essayer d’introduire
brièvement un code que nous sommes en train de développer. Ce n’est pas nécessaire de
reparler du projet MOOS car ça a déjà été fait par François David et vous pouvez retrouver
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tout sur le site web. Aujourd’hui les entreprises ont plus d’expérience avec les
délocalisations, de nombreux projets de délocalisation échouent avec des conséquences
difficiles et mauvaises pour les salariés. Le processus est difficile et complexe, les
différentes étapes de planification mise en œuvre, surveillance sont extrêmement
compliqués et dans chaque étape, on peut faire des fautes qui ont des conséquences
graves pour les salariés. C’est pour cela qu’avoir une réponse professionnelle, et nous
avons besoin d’une sensibilisation aux aspects éthiques. C’est pour cela que nous avons
commencé à développer un projet pour les managers qui sont responsables des projets de
délocalisation. On commence par une vue d’ensemble des divers aspects des
délocalisations et un code de conduite pour les cadres impliqués dans la délocalisation et
les critères que les cadres devraient raisonnablement appliquer. La prise de ces décisions,
la nécessité d’une approche systématique et aussi les implications. Quand vous voyez cette
photo de gauche à droite, au milieu c’est moi-même, de l’autre côté c’est un collègue, il est
membre d’un syndicat en Angleterre et en même temps il est manager dirigeant pour
organiser les délocalisations des British Telecoms. L’entreprise que nous avons visité, c’est
Infosys, une architecture impressionnante. Nous avons rendu visite à Infosys pour examiner
les conditions de travail, les formations et les salaires. Infosys a des contrats avec BT et l’on
fait beaucoup de travaux pour eux. C’est une entreprise d’assez haut niveau avec des
standards sophistiqués.
Il est absolument nécessaire d’appliquer l’information et la participation, communication et, il
faut respecter les politiques du personnel du pays d’origine, ça veut dire protection des
conditions du travail et éviter les licenciements abusifs avec un soutien individuel. Il est
important aussi pour les managers de respecter les normes des pays de destinations, ça
veut dire les conditions de travail et emplois et les normes fondamentales, les OIT et
OCDE, il faut savoir que la coopération cultuelle est extrêmement difficile et il y a des coprojets qui échouent parce qu’on n’a pas respecter et l’on n’a pas reconnu les différences
interculturelles. Aujourd’hui, nous avons un texte, nous avons lancé le débat parmi nos
acteurs membres et nos prochaines étapes, nous continuons de discuter le texte en relation
avec notre affilié pour faire des changements et des amendements nécessaires, nous avons
une présentation dans deux semaines pour une conférence mondiale pour les cadres à
Melbourne (NDLR : la troisième Conférence mondiale d’UNI Cadres s’est tenue en Australie
en mars 2008 sur le thème «Des syndicats pour les cadres dans une économie mondiale»)
et après la présentation, on va lancer une campagne.
J.-P. B. Merci Guerd. Ce qu’il n’a pas dit c’est qu’ il y a eu un accord signé avec Brithish
Telecoms, ce qui est extrêmement intéressant, et cet accord formalise un certain nombre
d’engagements et parmi ces engagements la question du respect des engagements par
l’ensemble des acteurs a donné lieu à un contrôle sur place, les équipes syndicales
britanniques sont allées sur place pour vérifier si les engagements étaient respectés en lien
avec les équipes syndicales sur place.
LES ENJEUX DES POLITIQUES INDUSTRIELLES ET L’EVOLUTION DES STRATEGIES
DES ENTREPRISES
HENRI CATZ, CHARGE DE MISSION SERVICE ECONOMIE ET SOCIETE
Toutes ces questions nous poussent à réfléchir sur nos propres structurations, nous, en tant
que confédération syndicale au vue des questions qui ont été posées. Nous allons
maintenant faire parler nos trois autres orateurs. Je donne maintenant la parole à JeanRené Goidron en tant que chef d’entreprise, en tant qu’entrepreneur quels sont pour vous
les enjeux des politiques industrielles ? Quel est, pour vous, l’enjeu de votre stratégie de
votre entreprise ? Et j’ai envie d’ajouter aussi dès le début, quels sont les interstices ? Estce que vous avez une marge de liberté, est-ce que vous êtes guidés par l’environnement
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international, par l’environnement concurrentiel ? Quelle est votre liberté de choix et quels
sont les interstices, je répète le mot, sur les différentes stratégies possibles ?
GILLES LEBLANC, ECONOMISTE,
Directeur du Centre d'Economie Industrielle (Cerna), Ecole des mines de Paris. Maître de
recherche en économie
Domaines de recherche : économie industrielle, économie numérique, politique industrielle
européenne. Analyse des dynamiques concurrentielles et réglementaires, avec applications
dans les domaines des technologies de l’information, de la réglementation et de la politique
de la concurrence, et les secteurs publics (défense, aérospatial, médias). Théories des
structures de marchés et leur déclinaison empirique (par exemple aux problèmes d’entrée,
de fusion, de R&D, de différenciation).
[Intervention non enregistrée]
JEAN-RENE BOIDRON, VICE-PRESIDENT DE CROISSANCEPLUS
Je voudrais dire quelques mots sur Croissance Plus parce que, je pense, que ça va un peu
éclairer le contexte de ma réponse, dans la mesure où Croissance Plus représente un
certain type d’entreprises qui sont dans ce Village Global, mondialisé dans lequel nous
sommes et qui ne le vit pas forcément de la même manière que d’autres entreprises ou
d’autres secteurs d’entreprises. Donc, en quelques mots, Croissance Plus, c’est une
association qui a été créée il y a dix ans, qui regroupe 400 entreprises en France, et qui
réunit des PME de croissance, on a également utilisé le mot « gazelle ». Alors qu’est-ce que
sont les PME de croissance ? Et bien, ce sont des PME qui ont la volonté de croître et qui
généralement ont une moyenne de croissance de deux à quatre fois plus rapide que la
moyenne de croissance des PME en France. Pourquoi ? Parce qu’on regroupe des
entrepreneurs qui sont dans une logique entrepreneuriale de croissance avant d’être dans
une logique patrimoniale. Donc, ceux qui rejoignent Croissance Plus répondent à deux
critères. Le premier, c’est la volonté de croissance, c’est avoir une dynamique avant tout «
entrepreneuriale » et le deuxième critère, c’est le partage de ces fruits de la croissance avec
l’ensemble des acteurs qui composent l’entreprise et qui en font sa richesse. Donc ses
salariés qui partagent le fruit de la croissance, c’est évidemment les salaires et c’est
également — et c’est notre conviction —une partie des fruits gagnés à travers le capital. Si
vous avez entendu parler de l’association Croissance Plus — il est probable que vous en
ayez entendu parlée sur le combat des stocks options — on est très souvent à fonds
renversés avec le patronat traditionnel sur le sujet, puisque nous, on défend les stocks
options pour tous, pour les salariés. Et, évidemment, à chaque fois qu’on entend parler des
stocks options dans les médias, c’est généralement les stocks options pour très peu de
personnes et, c’est souvent dans des contextes très difficiles à défendre, que nous ne
défendons évidemment pas. Tout cela ce n’est pas pour faire la publicité pour Croissance
Plus mais parce que c’est important de voir à peu près quel type de mentalité anime les
entrepreneurs qui rejoignent l’association Croissance Plus. Alors, j’ai envie de dire
spontanément quand on parle de mondialisation, de globalisation, ça fait partie des gènes
des entrepreneurs que moi je côtoie à Croissance Plus. Ils ne sont pas tombés dedans
quand ils étaient petits mais beaucoup on créé leur entreprise il y a dix ou quinze ans,
d’autres, seulement quatre ou cinq ans et, ils ne vivent pas la mondialisation de la même
manière que des industries, des secteurs d’entreprises présentes depuis des décennies qui
ont acquis des réflexes naturels après des décennies de fonctionnement dans un certain
contexte. Depuis quinze ans, même si la globalisation n’existe certainement pas depuis
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seulement quinze ans — on va dire que les choses se sont fortement accélérées depuis les
années 80 — ces entreprises vivent la mondialisation comme quelque chose de
complètement nouveau et qui remet complètement en cause leur stratégie. On peut
distinguer parmi ces entreprises trois types de cas. D’abord, il y a les premières pour qui la
mondialisation, la globalisation est une opportunité et en aucun cas, quelque chose sur
laquelle elles doivent s’adapter. Parce qu’il y a des entreprises qui se créent et qui tiennent
compte justement des nouvelles possibilités d’utilisation des compétences et des ressources
sur maintenant ce qu’est la planète entière, des entreprises qui utilisent cet élément comme
un élément compétitif et fort qui vient concurrencer les entreprises qui ont démarré dans un
contexte traditionnel sur leur marché traditionnel. Donc, on a un certain un nombre
d’entreprises à Croissance Plus qui sont ce type d’entreprises. Pour elles, la globalité, la
mondialisation, est une opportunité. Quand vous démarrez de zéro, vous n’avez pas les
contraintes de l’existence et vous tirez profit et partie de l’ensemble de ces opportunités.
Ensuite, vous avez les entreprises existantes, celles qui ont été créées, comme la mienne
en 1998, et qui ont tout d’un coup un nouvel élément qui apparaît devant elles et dont elles
doivent tenir compte dans leur stratégie, qui sont justement les opportunités ou les
contraintes liées à la mondialisation, à la globalisation. Alors là, il y a deux types de réaction.
Il y a la réaction offensive qui consiste à s’adapter rapidement et, il y a la deuxième qui est
la réaction défensive qui est celle de maintenir ses activités. J’ai envie de dire que ce qui
différencie les premières entreprises des deuxièmes, ce n’est pas que le premier
entrepreneur soit dans une dynamique ouverte, offensive, visionnaire, lucide et intelligente
et que le deuxième serait recroquevillé dans ses petits schémas intellectuels ne sachant pas
bouger. Monsieur disait tout à l’heure qu’il n’y a qu’un seul type de secteur, et un seul type
de réaction possible, ma réaction en tant qu’entrepreneur, c’est que vous n’avez pas des
situations qui sont comparables d’une entreprise à une autre. Il y a des entreprises pour
lesquelles une stratégie — vous l’avez appelée stratégie de qualité ¬— moi, j’ai appelé cela
stratégie d’innovation, est possible. C’est-à-dire que la manière de s’adapter à la
mondialisation, à la globalisation, c’est très clairement via une stratégie d’innovation
technique ou bien une stratégie marketing et, quand vous avez les moyens, c’est-à-dire les
interstices dont vous parliez, quand vous avez une marge de manœuvre pour vous
différencier — que cela soit d’un point de vue commercial, marketing ou technique — vous
pouvez vous en sortir et vous vous en sortez.
Je vais prendre mon propre cas, moi, j’ai créé mon entreprise en 98 au moment de la bulle
Internet et j’avais positionné mon entreprise dans ce qu’on avait appelé les agences web,
c’est-à-dire des sites pour des entreprises. J’ai recruté beaucoup d’ingénieurs pour
développer l’ensemble de ces sites et, il y avait une très forte demande. Certes, la bulle a
explosé en 2001 mais ce n’est pas vraiment ça qui nous a attaqué. Ce qui nous a attaqué,
c’est que les nouveaux moyens de communication sur lesquels nous étions nous-mêmes,
ont créé de nouvelles opportunités, des possibilités de développement dans des pays tiers
très forts, comme l’Afrique du Nord, si l’on veut rester dans les mêmes fuseaux horaires et
avoir la même langue, ou dans les pays de l’Est, la Roumanie qui est très francophile et
encore un peu plus loin l’Inde et aujourd’hui la Chine.
Alors qu’est-ce que j’ai fait ? Et bien, je suis parti dans une stratégie de qualité pour
employer le terme qui a été utilisé tout à l’heure. C’est-à-dire que d’une entreprise de
services, j’ai opéré une mutation vers une entreprise de conseils. Ce qui fait que sept ans
plus tard, là où hier les facteurs-clés de succès s’appelaient le prix, le réservoir de
compétence et la taille de l’entreprise, je suis aujourd'hui sur un marché sur lequel les
facteurs-clés de succès sont la forte proximité avec le client, la valeur ajoutée, l’expertise
profonde, la compétence. J’ai réussi à m’adapter à cette nouvelle donne parce que je suis
allé dans une stratégie de qualité, d’innovation qui fait, qu’aujourd’hui, le sujet de la
mondialisation et de la globalisation est un long sujet d’adaptation pour le métier que je fais
aujourd’hui. Je me suis adapté de manière offensive à la mondialisation. Cela a été possible
dans mon cas, parce que je suis dans ce domaine mais c’est vrai que j’ai un certain nombre
d’alter égo qui n’avaient pas la taille suffisante pour résister, qui ne sont pas partis dans
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cette stratégie, et qui ont disparu. Vous avez à l’autre bout de l’échelle les très gros acteurs
du monde du service informatique, qui eux, s’adaptent parce que ce sont les acteurs
globalisés, ils ont aussi une stratégie de qualité sur leur marché domestique et ils se
développent également aujourd'hui dans d’autres pays. Alors, ensuite vous avez les
entreprises qui sont dans la logique défensive — il est difficile de juger, je suis toujours très
frappé lorsque je lis dans la presse les procès d’intention qui sont faits aux dirigeants même
aux conseils d’administration d’entreprises qui souffrent des délocalisations et qui pour
s’adapter n’ont pas d’autres moyens que de parler d’ajustement salariaux — dont vous
parliez tout à l’heure. Je ne suis pas du tout un spécialiste du textile mais en tant que chef
d’entreprise, je sais à quoi je suis confronté, et quand je suis en face d’une contrainte je
regarde les solutions qui sont à ma disposition et quand j’ai une stratégie de solutions,
d’adaptation et bien je m’adapte mais on peut être dans des schémas où l’on ne peut pas
s’adapter. À Croissance Plus, on n’a pas ou peu ce type d’entreprises mais, pour l’avoir lu
dans la presse, comme vous, je suis toujours frappé de voir qu’il y a des secteurs où malgré
des innovations marketing très intelligentes, vous avez la réalité devant vous, qui fait que
vous ne pouvez pas être compétitifs parce qu’aujourd’hui on est dans un village global et
face à d’autres acteurs qui, eux, vont utiliser les moyens qui sont offerts sur la planète.
Je vais prendre un exemple pour terminer. À Croissance Plus, on a ce type de secteurs
d’entreprises dans lesquels on va retrouver des d’entreprises comme je vous le disais tout à
l’heure, des entreprises qui ont vu la globalisation comme une opportunité, d’autres qui ont
su s’adapter et d’autres qui n’ont pas du tout réussi à s’adapter. Ce secteur est un secteur
qui est très vilipendé, très dur, extrêmement compétitif, qui est celui qu’on appelle avec des
mots très nobles « d’acteurs de la relation clients », ce sont en réalité des centres relation
clients, ces fameux « Call Center ». À Croissance Plus, on a eu un certain nombre d’acteurs
qui sont dans ce secteur et, c’est intéressant de voir que selon les acteurs, il y a en qui ont
vu la globalisation comme une opportunité. Comme par exemple, cette entreprise qui
s’appelle « Web Help » qui a des Call Center en France mais qui, étant née en 2001-2002,
s’est diversifiée sur plusieurs pays, avec une stratégie globale. Vous avez des acteurs qui
ont eu une stratégie offensive et qui à l’instar de ce que moi j’ai pu faire en partant du
service aux conseils aller vers la valeur ajoutée dans ce métier. Puisque nous parlons de
globalisation, on pense toujours en dehors des frontières, on se demande quelle est la
concurrence en dehors de la France, mais il faut voir qu’à l’intérieur même de la France, il
existe un phénomène global aussi, les moyens de communication ont changé beaucoup de
choses. Dans le secteur dont je parle, il y a des délocalisations en Province pour des
acteurs qui étaient uniquement parisiens. Donc, il y en a qui adoptent la stratégie de qualité
et puis il y en a d’autres qui n’y arrivent pas, je ne vais citer son nom car malheureusement
cette entreprise n’est plus là aujourd’hui car elle n’a pas su s’adapter et a été acculée au
dépôt de bilan. C’est pour dire, qu’avec mon regard d’entrepreneur, la globalisation est une
opportunité sur laquelle il faut s’adapter. C’est naturel pour nous, mais bien que nous
représentions des secteurs qu’on peut appeler novateurs, qui ne sont pas des secteurs
industriels classiques et l’on voit bien que nos entreprises sont également confrontées à
cette réalité.
H. C. La présentation nous montre aussi qu’il est impossible d’avoir une réponse unique et
que les réponses qu’on a pu apporter face à ce problème sont très dépendantes du secteur.
Une question m’est venue lorsque vous avez dit : « Une entreprise qui n’a pas pu ou su
s’adapter… », J’aimerais que vous apportiez un commentaire sur cette phrase. Qu’est-ce
qu’il relève de « n’avoir pas pu » et qu’est-ce qu’il relève « de n’avoir pas su » ?
J.-R. B. C’est une bonne question. Cela revient à ce que je disais tout à l’heure. Je suis
toujours très humble concernant cette question et je déteste juger les gens lorsqu’il y a un
échec. Quand on a juste le regard extérieur, on dit « y avait qu’à », « fallait qu’à ». Dans ce
cas présent, je le connais un petit peu, il n’a pas pu parce que c’était trop tard. Il y a un
moment où vous faites face à une réalité et c’est une chose à laquelle tout le monde ici dans
la salle a été confronté à un moment donné, c’est-à-dire quand vous commencez à voir une
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réalité devant vous dans une entreprise, vous vous demandez s’il y a encore une marge de
manœuvre pour bouger, est-ce qu’une autre politique est possible ? Est-ce qu’on continue
ou bien est-ce qu’il va falloir s’adapter d’une certaine manière avec des mesures difficiles et
se réadapter en tenant compte de ces éléments de globalisation. Dans le cas présent, ce
n’est pas qu’il n’a pas pu mais qu’il n’a pas su suffisamment tôt et, quand cette personne a
voulu s’adapter, et bien, il était trop tard et ses finances étaient dans un état trop difficile.
Après vous avez des personnalités dans les entrepreneurs qui jouent d’une manière
certaine mais vous avez aussi une vision d’un marché qui n’est pas facile à voir. Il faut bien
reconnaître quand vous voyez les cours qui s’inversent, vous vous dites est-ce que c’est
conjoncturel ? Structurel ? Vous prenez bien évidemment l’avis d’autres personnes et dans
ce cas précis malheureusement il n’a pas su prendre les bonnes décisions mais quand je
dis cela, ce n’est pas un jugement qui est porté sur la personne parce que chaque cas est
critique. Si je prends mon propre cas, j’ai frisé la correctionnelle en 2002, j’ai vécu les
moments les plus difficiles de ma vie et de ma vie d’entrepreneur, en me disant est-ce que
j’ai pris les bonnes décisions ? Il est tellement facile de juger après pour dire ce qu’il fallait
faire mais cela malheureusement tout le monde sait mais on oublie de préciser qu’on juge à
posteriori les actions des uns et des autres et d’un certain nombre d’entrepreneurs.
H. C. Je voudrais demander maintenant à Véronique Descaq qui est dans un secteur qui va
de l’agence bancaire de proximité jusqu’à la plus haute finance, — dont l’actualité nous a
parlé récemment ¬— Quelle est son analyse, sa compréhension personnelle du phénomène
de mondialisation ?
VERONIQUE DESCACQ, SECRETAIRE GENERALE FEDERATION DES BANQUES
Parmi les enjeux présents qui se présentent à nous en tant que syndicalistes, dans la
globalisation et la complexité d’une situation, il y a probablement un enjeu qui est mieux
communiqué. Quand tu m’as appelé, je t’ai dit que la Banque n’était pas concernée par la
mondialisation, en fait, j’ai voulu dire qu’on était peut-être un des secteurs les moins
concernés que d’autres dans les délocalisations. Mais, évidemment la banque, ce sont aussi
des entreprises mondialisées puisqu’il n’y a pas de frontière dans la finance.
Je voudrais vous dresser un tableau rapide de ce qu’on croit comprendre de ce qu’est la
banque aujourd’hui à la CFDT. D’abord, ce qu’on a découvert lorsqu’on a commencé à
s’intéresser à ces problèmes, c’est que la Banque a beaucoup changé ces dix - quinze
dernières années et que la vision traditionnelle que vous avez probablement et que
beaucoup de militants de fédérations ont de la banque qui est en fait un réseau d’agences
avec les directeurs des services clientèle, qui font des prêts a énormément évolué ces dix
dernières années sous le fait ce qu’on a appelé la « déformatisation bancaire qui a fait qu’on
a dit beaucoup de bêtises sur la banque. La « déformatisation » bancaire en gros, pour faire
dans le très schématique, c’est le fait que les entreprises en l’occurrence, les pouvoirs, sont
financés par l’intermédiaire des marchés directement sans forcément s’adresser aux
banquiers. Il y a quinze ans, on a pensé que les banques étaient des entreprises, une
industrie qui allait décliner. Or il s’est passé exactement l’inverse. Cette informatisation a
donné l’opportunité aux banques de se placer comme intermédiaire sur les marchés et du
coup, elles ont développé énormément d’activités, dont vous avez entendu parlé ces
derniers mois à propos de la crise financière. Donc, beaucoup d’activités autour de ce qu’on
appelle la banque de financement et d’investissement et notamment autour des produits de
marché, ce qu’on appelle des produits dérivés, vous en avez sûrement entendu parler avec
« l’affaire Kerviel ». Je dis cela de façon très rapide pour qu’on comprenne bien que
l’environnement dans lequel on travaille depuis une quinzaine d’années dans la Banque est
extrêmement différent de celui qu’on voit et de celui qu’il était. La majorité de nos adhérents
ont encore pour beaucoup l’image traditionnelle de ce qu’était la banque. Ce que l’on voit
d’une façon évidente, c’est que les problématiques qu’on rencontre dans les industries
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bancaires sont à peu près les mêmes que celles qu’on rencontre dans l’industrie tout court.
Une concurrence internationale très forte, un passage d’une logique de banque administrée
— Il y a quinze ans, il y avait les employés, les gradés et les cadres, une administration
limite militaire. Depuis 2000, dans la nouvelle convention collective, il n’y a plus que deux
catégories, les techniciens et les cadres, le vocabulaire a pris de l’importance dans
l’évolution de cette structure — donc, nous sommes passés de cette culture d’administrés à
une logique d’actionnaires. Les actionnaires des banques attendent que les banques aient
une rentabilité suffisante. La plupart d’entre elles, parce qu’on a une spécificité en France,
c’est qu’on a un fort secteur mutualiste et en même temps, les logiques de rentabilité sont
les mêmes dans les banques mutualistes que dans les grandes banques que vous
connaissez, BNP ou Société Générale. Même, si juridiquement, elles sont arrivées de façon
différente, les logiques à l’œuvre sont à peu près les mêmes.
On a des problématiques qui sont les mêmes que dans l’industrie, c’est-à-dire des
stratégies de croissance externes par l’international, par fusion, des OPA, vous avez
sûrement suivi cela dans la presse. Des problématiques aussi de fidélisation des activités,
c’est-à-dire se recentrer sur son corps de métier, fidéliser des activités qu’on estime plus
rentables de faire par les filiales et aussi des politiques de diversification des activités, dans
l’assurance, dans l’immobilier, ect , avec des problématiques de mise en commun des
moyens. On parle même dans la banque de « constitution d’usines bancaires », c’est-à-dire
qu’il y a des usines qui font de la conservation de titres et on appelle cela des « usines
bancaires ». C’est dire qu’on est dans des stratégies et des logiques qui ont extrêmement
évolué. Pour les salariés, ces évolutions ont un impact sur les effectifs, à la fois aussi parce
qu’on avait une culture de fonction publique et aussi parce que la pyramide des âges le
permettait, la gestion des emplois, l’adaptation des emplois s’est faite sans grande violence
et sans plans sociaux comme on peut en voir parfois dans l’industrie. En revanche,
l’évolution sur le contenu des métiers est évidemment assez significative. Les métiers
d’employés, on va dire, sont en forte diminution, par contre les métiers à forte rentabilité, les
traders, l’accompagnement des entreprises dans leur évolution, ceux-là sont des métiers en
fort développement. Les métiers de contacts avec la clientèle, les métiers commerciaux
aussi et, du coup cela a créé deux catégories de salariés. Les salariés dont les métiers sont
peu recherchés, où il y a des problématiques d’adaptation, s’ils veulent garder leur emploi,
on va leur demander de se reconvertir et au contraire, des métiers un peu nobles, ceux
principalement de la finance et certains commerciaux, où là d’ailleurs, on commence à
constater une certaine pénurie sur le marché du travail, ou du moins, on anticipe une
certaine pénurie sur le marché du travail, et tout ce qu’on a vu se combine avec une
pression forte sur la rentabilité des entreprises bancaires et aussi une pression forte sur les
conditions de travail qui sont des logiques que vous connaissez bien dans l’industrie.
Pour reprendre un peu la qualification que Suzanne Berger fait dans son livre des trois
modèles d’entreprises, celles qui sont fragmentées, qui délocalisent un peu leur production,
la fragmentent, la filialisent de la façon qui leur semble le plus efficace et puis, les
entreprises qui restent organisées sur un modèle vertical et les entreprises qui fonctionnent
sous forme de « cluster », c’est-à-dire qu’on se retrouve tous dans un endroit car il y a des
logiques qui font que c’est plus efficace comme ça. Et bien, ces trois logiques existent dans
les banques de la même manière, le modèle d’entreprises fragmentées qui se délocalisent
c’est plutôt les banques à culture britannique, le modèle vertical c’est la BNP par exemple, la
BNP délocalise peu et elle ne filialise pas. Et, enfin le modèle qui fonctionne par « cluster »,
c’est un peu la City à Londres, vous avez bien compris que si les banques délocalisent leurs
salles de marché à Londres c’est parce qu’elles ont besoin de ces réseaux serrés,
d’entreprises, comme disait Suzanne Berger, qui vont à la fois échanger assez rapidement
des informations, des compétences qui fonctionnent toutes avec la même langue. Et puis
Londres, c’est aussi pour des raisons historiques, Londres était l’endroit où ça devait se
faire comme les nouvelles technologies se font à la Silicone Valley.
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Il y a donc ces trois systèmes industriels dont rend compte Suzanne Berger que l’on
rencontre dans la profession. Tout ça pour dire que pour les syndicalistes qui sont
confrontés à ça, et bien il faut essayer de comprendre comment tout cela fonctionne et
essayer de regarder comment on peut apporter des réponses aux problématiques des
salariés. Quand on est arrivés à la fédération de la banque, il y avait une nouvelle équipe
depuis deux ans et demi, et l’on a toute de suite pensé qu’il fallait un peu rompre avec
certaines habitudes qu’avait parfois le syndicalisme qui était d’être dans la réactivité, et
aussi un peu dans la contestation, parce que lorsqu’on ne comprend pas le monde dans
lequel on vit, c’est plus facile de dire que c’est pas bien. Donc, on s’est dit qu’on allait
entamer un travail qu’on a appelé d’un nom un peu pompeux « prospective stratégique »
pour essayer trois choses. Premièrement, comprendre le monde dans lequel on est,
comprendre ce qu’il s’est passé ces dix ou quinze dernières années, comprendre la situation
aujourd’hui. Deuxièmement, anticiper sur ce qui va pouvoir nous arriver et troisièmement,
agir. Faire des propositions CFDT pour accompagner les salariés dans tout ce processus.
Je pense qu’il y a trois gros enjeux pour nous, et la compréhension de l’environnement était
essentielle, un environnement qui change vite, avec des métiers qui sont nouveaux, qui se
renouvellent en permanence, difficile à comprendre pour des militants qui n’ont pas, comme
je vous le disais tout à l’heure, cette culture-là. Dans ce chantier, on a essayé de voir, dans
tous les événements, l’actualité, les dossiers à gérer, s’il y avait une cohérence, et comment
on peut comprendre à travers tout ça les stratégies patronales et les stratégies mondiales à
l’œuvre. Pour vous donner un exemple assez concret, la crise de la Société Générale, du
moins l’affaire de la Société Générale. Un certain nombre de militants peut avoir la réaction
de dire que ce qu’il s’est passé sur les marchés des produits dérivés, en fait ça a plombé
l’entreprise, ça a mis en danger l’emploi des 58 000 salariés en France et si la Société
Générale arrêtait de perdre du temps, de l’argent et des moyens sur le marché des produits
dérivés et bien on s’en porterait mieux parce qu’après tout la banque de réseaux c’est plus
tranquille, c’est plus rentable et l’on devrait continuer comme ça. Sauf que dire cela, ce n’est
pas comprendre que, si aujourd’hui la Société Générale à 130 000 salariés dans le monde,
c’est parce qu’elle a justement su développer un modèle de banques universelles,
développées en France où l’on fait à la fois de la banque de réseaux, à la fois de la banque
d’investissement. Et, la spécificité de la Société Générale, c’est d’être reconnue comme un
acteur particulièrement brillant sur les métiers de produits dérivés. Et ça serait trop facile de
jeter le bébé avec l’eau du bain, ça serait accepter implicitement, sans le savoir, que la
Société Générale avec ses 130 000 salariés, et bien ça n’existe plus, mais qu’en gros on va
transformer la Société Générale en Crédit Mutuel avec 40 000 salariés sur le territoire
français. Donc, ce sont des choses qu’il faut comprendre avant de dire « On va jeter le bébé
avec l’eau du bain », et ce n’est pas toujours évident. On a eu ce débat dans l’organisation
pour essayer de décrypter ce qu’il s’était passé. Le modèle qui a été développé est
pertinent, en revanche les propositions que fait la CFDT, ce n’est pas pour rejeter la banque
de financement, mais pour sauvegarder nos emplois, il faut proposer une régulation pour
sécuriser nos entreprises, sécuriser nos emplois. Je ne reviens pas sur le fait que c’est
important de comprendre les stratégies des employeurs et, c’est aussi ce qui nous permet
de faire de la gestion provisionnelle de l’emploi et les conséquences intelligentes.
Mais, il y avait un autre point sur lequel je voulais insister, c’est l’idée qu’il faut qu’on soit
indépendant dans notre analyse des stratégies. Je veux dire par-là qu’on a des experts
auxquels on peut avoir recours, et dans les comités d’entreprise on a compris cela, mais
moi, je crois que cela ne suffit pas, c’est nécessaire mais insuffisant, on ne peut pas s’en
remettre complètement aux experts qu’on a dans les comités d’entreprise pour avoir une
compréhension de l’environnement dans lequel on vit. On n’a pas assez de compétences
économiques dans la fédération de la Banque, il faut se donner les moyens d’acquérir cette
compétence et l’on a décidé de faire des formations d’économie avec des professeurs
d’économie et non pas avec nos experts, et aussi avec des professeurs d’université et l’on a
fait des cursus de 6 jours par an sur les questions économiques. Cette année, il y a dix-huit
militants qui les suivent et autant l’année prochaine. C’est à la fois pour comprendre et
acquérir de l’autonomie. Comprendre c’est aussi rester en alerte sur ce que ça devient.
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Aujourd’hui, les choses changent d’un jour à l’autre, surtout dans la banque et dans la
période de crise qu’on traverse. Un jour, on nous dit que la crise va retarder la logique des
stratégies des banques et trois jours plus tard, on nous dit qu’au contraire, ça les accélère.
Donc, il faut tout le temps comprendre ce qu’il se passe. On a mis en place une cellule de
veille stratégique avec des militants qui a pour vocation de mettre à jour toutes les fiches
faites cette année, de prospective, et on les met à jour régulièrement, avec les lectures, les
informations suivant l’actualité, selon l’évolution de la situation. Se méfier des
représentations erronées et faire évoluer nos représentations.
Dans le mot « comprendre », il y avait aussi pour nos militants, la volonté de leur faire
comprendre que la notion de banques françaises n’avait pas beaucoup de sens, et ce n’est
pas évident pour les salariés. Par exemple pour les salariés de BNP Paris, la BNP c’est leur
maman, ils y ont travaillé toute leur vie, c’est une banque française, c’est un peu leur joyau,
leur patrimoine. Donc, expliquer aux militants que la BNP, elle est française mais on ne sait
pas trop pourquoi parce qu’au fond plus de la moitié de son activité, plus de la moitié des
résultats se font à l’étranger, et que plus de la moitié des salariés ne sont pas français, mais
sont à l’étranger. Et, c’est vrai aussi pour la Société Générale et cela induit des
changements importants dans la fonction syndicale, des changements sur les questions
d’emplois car les discours sur les délocalisations ne peuvent pas être binaires. Deux
exemples sur ce sujet, Dexia a pour projet aujourd’hui d’installer une plate-forme
informatique au Maroc, la première réaction des syndicalistes français est de dire que ce
n’est pas bien parce qu’on pourrait créer des emplois en France ou bien que ça va en
supprimer. Dexia est un groupe belge, les collègues Belges disent Dexia développe de
nouvelles activités, ce qui veut dire que Dexia doit développer de nouvelles applications
informatiques, ça ne retire pas d’emplois en Europe, donc on ne voit pas où est le problème
à créer des activités nouvelles au Maroc. Le fait de ne pas être totalement français, nous
force à ouvrir notre esprit sur la façon que les autres citoyens du monde et les autres
salariés du monde voit le monde et, ils ne le voient pas forcément comme nous. Autre
exemple, on dit d’une entreprise qu’elle résonne par fragments de son activité. Voici
l’exemple d’une banque qui filialise et délocalise tout ce qu’elle peut délocaliser. Ses
dirigeants ont délocalisé leur comptabilité en Inde, ils ont une plate-forme téléphonique en
Tunisie, et ils pensent filialiser leur DRH à Belfort. Et, puis ils ont décidé de ramener leur
comptabilité d’Inde en Tunisie — c’est intéressant, car ça nous ramène sur le débat sur les
critères, sur le fait qu’il faille délocaliser à un endroit ou ne pas délocaliser — pour trois
raisons. Premièrement, il y avait un problème de formation des gens, ils se sont aperçus
qu’il y avait beaucoup d’erreurs dans la comptabilité et que le niveau de formation sur ces
métiers-là, la comptabilité, n’était pas adéquat en Inde alors ils ont pensé qu’il y avait de
meilleures écoles en Tunisie. La deuxième chose, c’est le problème de la langue, ils se sont
aperçus qu’ils avaient beaucoup de mal à communiquer avec les indiens et le troisième
élément qui fait qu’ils délocalisent en Tunisie c’est le fuseau horaire. Trois éléments qui
n’ont rien à voir avec les coûts salariaux mais qui ont fait qu’il a été décidé de délocaliser là
plutôt qu’ailleurs.
Et puis, sur la question des rémunérations, ça nous oblige à changer notre façon de voir les
choses. Par exemple, à la BNP Paribas, les revendications des organisations syndicales,
quand on parlait intéressement, c’était pour dire qu’évidemment, il fallait calculer
l’intéressement sur le résultat du groupe parce que c’est plus intéressant pour les salariés
sauf qu’aujourd’hui en termes de justice sociale, est-ce que c’est cohérent de dire qu’on va
prendre en compte toute la valeur ajoutée apportée par le travail de tous les salariés de la
BNP dans le monde et puis on va le partager à nous, Français ? Donc ça interroge. Le
dernier enjeu est un enjeu autour de la sécurisation des parcours professionnels. Là, ce qui
nous interroge, c’est que quelque soit la forme, la taille, l’endroit où les salariés exercent
leur activité il faut négocier des accords équitables qui prennent en compte la situation des
salariés et pas seulement ceux qui sont dans la maison mère mais ceux qui sont dans tout
le réseau, de filiales, de sous-traitants en France et à l’étranger. Négocier des passerelles
entre les métiers, on a vu qu’il y avait un clivage assez fort entre les métiers à valeurs
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ajoutées et les autres, alors comment fait-on pour négocier les passerelles ? Il y a aussi les
questions de langue qui se pose. Il y a un gisement d’emplois formidables dans le backoffice sur les salles de marchés qui ne demandent pas de qualifications élevées, comme les
mathématiques pour les traders, mais qui demandent simplement que les gens maîtrisent
bien l’anglais. Il y a un enjeu formidable pour nous qui est de revendiquer à tous nos
salariés de base bancaire qu’il faut apprendre l’Anglais pour travailler dans une banque et
cela va ouvrir des passerelles professionnelles. En termes de culture pour les militants, ce
n’est pas gagné ! À la dernière assemblée, on s’est fait quand même engueuler par une
militante qui défendait la langue française. Concernant la reconversion, on ne doit plus
l’envisager seulement dans l’entreprise, car dans la Banque, ça veut dire gérer les effectifs
par les âges, c’est-à-dire mettre les plus vieux dehors comme on a fait jusqu’à présent, on
doit gérer la reconversion sur l’offre d’emploi et d’autres métiers. Voilà. Je m’arrête-là.
MARCEL GRIGNARD
SECRETAIRE NATIONAL CFDT
Nous sommes dans des situations complexes, des mutations profondes, qui interpellent,
avec des contraintes, des opportunités, avec des difficultés à décrypter le réel, à piéger les
difficultés futures dans des représentations qui ne nous aident pas. Je pense que ce n’est
pas très facile d’être syndicaliste et d’avoir la volonté de s’attaquer aux problèmes réels
dans une économie de marché en reconnaissant le fait qu’on est dans ce monde-là, dans
un pays qui, globalement, très largement, est très rétif à l’économie de marché. Sur ces
questions globales dont on parle aujourd’hui, se trimbalent des quantités de représentations
fausses et, la CFDT s’évertue à tenter de les démasquer. J’en cite deux qui sont très
fréquentes, les délocalisations qui font le pain béni de tout candidat à une élection politique
quel que soit le niveau de sa candidature sont synonymes de pertes massives d’emplois
alors que les délocalisations depuis toujours sont une part marginale, Suzanne Berger le
montrait ce matin. Nous, on peut s’interroger, car le niveau des suppressions d’emplois liées
aux délocalisations en France représentent la moitié de ce que sont les suppressions
d’emplois liées aux délocalisations en Europe et en même temps, on est un des pays
d’Europe où ce pourcentage est le plus élevé. Ça mérite qu’on s’interroge un peu. Et, puis
l’autre élément qu’on a mis en évidence dans le cadre des négociations dans le marché du
travail, quand on parle de l’emploi, quand on parle de l’évolution de l’économie, on parle des
licenciements et des plans sociaux médiatisés, surmédiatisés. Alors qu’on sait que les plans
sociaux sont une toute petite partie des problèmes que vivent les salariés et que 90% de la
fin des CDI ne sont pas consécutifs à des licenciements économiques et, que dans les
licenciements économiques les plans sociaux ne font que quelques petits pour cent du
package. Donc, c’est à tout ça qu’il faut tenter de s’attaquer et les économistes que nous
sommes, sont confrontés de tenter l’impossible, c’est-à-dire d’avoir ce langage de vérité, ce
regard lucide sur l’avenir, de faire en sorte que nous posions des actes qui prennent
vraiment en compte l’intérêt global des salariés donc leur avenir, tout en devant gérer au
quotidien les problèmes auxquels on est confrontés, lorsqu’il y a une restructuration dans
une entreprise. C’est cette question que l’on soumet à la table ronde de la fin de la journée
avec — et je vais les présenter dans l’ordre de leur intervention — Dominique Gillier, qui est
le secrétaire Général de la FGMM (Fédération Générale des Mines de la Métallurgie), Alain
Gatti, qui est le secrétaire général de l’URI de Lorraine, François Laurent qui est
responsable de la Fédération Chimie de la CSC (Confédération Syndicale Chrétienne) de
Belgique et puis, Patrick Pierron, qui est son homologue en France, qui est lorrain. Il nous a
semblé que les problèmes, auxquels on était confrontés, avaient bien au minimum trois
dimensions pour eux. Il y a une dimension fédérale, sectorielle avec les débats qu’on a eus
tout à l’heure avec Gilles Leblanc, et une dimension territoriale évidente, les emplois, les
activités sont inscrites dans des territoires. Cela fait un certain temps que la CFDT
considère que notre horizon n’est pas l’hexagone mais qu’au contraire, il n’y avait pas de
29
vraies solutions sur les sujets qu’on évoquait si on ne les mettait pas dans une perspective
européenne.
DOMINIQUE GILLIER
SECRETAIRE GENERAL FGMM
Sur cette question de la mondialisation, je dirais d’abord que par la force des choses notre
entrée est celle des restructurations, il y a longtemps qu’on y est confrontés dans notre
secteur donc, on en a une longue expérience. Quand je parle des restructurations, ce n’est
pas seulement les délocalisations qui en sont que de multiples formes. Les délocalisations
ont eu un avantage, c’est qu’étant associées dans la représentation, dans l’opinion, à la
mondialisation, qui plus est, avec un vrai succès médiatique, cela a finalement eu un effet
positif pour nous car ça nous a aidé à accélérer notre réflexion sur cette question. Dès
2004, on avait d’ailleurs lancé une étude avec le Cabinet Syndex qui nous a permis de
relativiser le phénomène comme nous disait tout à l’heure Marcel, parce que d’abord ça
n’est qu’une des formes et en plus ce n’est pas la forme qui a les conséquences les plus
lourdes en termes de pertes d’emplois. Si l’on considérait tous les phénomènes
d’externalisation qu’on a vécus dans les entreprises industrielles au cours des vingt
dernières années en termes de volume, d’emplois transférés ou perdus, c’est beaucoup
plus important. La deuxième chose qui a découlé de cette étude, au-delà de cette première
analyse, c’est de nous conduire à une analyse de fond sur cette question de la
mondialisation à partir de ce que sont ses effets. Je ne développerai pas ce point car vous
avez sur le site une plaquette qui avait été réalisée et qui s’intitule « Mondialisation,
Capitalisme, et l’Entreprise » qui abordait objectivement cette question en considérant à la
fois les contraintes et les opportunités qu’amène la mondialisation. À partir de cette analyse,
et c’est surtout de ça dont je voudrais parler, on a développé une stratégie fédérale qui
comporte bien sûr un volet social – que je ne développerai pas car ce n’est pas trop l’objet
de cette table ronde – un volet social qui nous amène quand même directement à la notion
de sécurisation des parcours que l’on connaît. Car, quand on a les licenciements
économiques et sociaux, ce n’est qu’un petit bout du traitement social et l’on a besoin d’une
approche beaucoup plus large. Je voudrais développer plus le volet économique et, d’abord
le premier acte de notre stratégie fédérale, dans la mesure où l’on est souvent, je dirais
même quotidiennement, dans des situations d’urgence face aux restructurations, on a mis
au point une batterie d’outils pour essayer d’orienter les pratiques syndicales à partir de
notre expérience pour faire face aux restructurations. Je serai bref car cela rejoint ce qu’il
nous a été présenté ce matin avec le MOOS. Nous, on a débouché sur trois types
d’outillages de situation. D’abord — et c’est ce qu’on voudrait privilégier — c’est comment
anticiper les situations de restructurations. Ensuite, et malheureusement, on n’a pas cette
possibilité parce qu’on na pas suffisamment, ni assez tôt accès aux informations, donc il
nous faut réagir à chaud et ça fait partie de notre mission, c’est indispensable, et c’est une
deuxième situation à laquelle on essaye de faire face. Et, puis troisième schéma, c’est
d’essayer d’évaluer, de faire une évaluation critique de ce qu’il se passe une fois que des
restructurations ont été conduites. Que cela soit des délocalisations ou d’autres formes de
restructurations, pour en faire un point d’appui, pour essayer de démontrer qu’il y a un point
qui est indispensable quand on est dans une entreprise qui doit assurer la compétitivité et
qui sait qu’elle n’échappera pas à des restructurations. On est au stade de la diffusion des
outils et, il faut bien reconnaître que ce n’est pas une mise en œuvre facile, construire des
outils, c’est déjà un point fort mais les mettre en œuvre c’est encore beaucoup plus difficile.
Ça touche à différents leviers qu’on peut utiliser. Le premier, c’est d’utiliser de manière
optimum, le droit des institutions, représentatif du personnel. En termes
d’informations/consultations, c’est l’utilisation d’expertises, qu’on essaye d’intégrer dans les
stratégies syndicales comme un élément essentiel mais l’on voit bien que cette expertise est
réservée dans la dimension économique et puis, dans le domaine de la dimension
économique, il faut la faire de manière prévisionnelle et ça, on a peu d’équipes pour le faire
30
aujourd’hui. L’on voit bien aussi que l’expertise devrait s’élargir à d’autres domaines et en
particulier à la gestion prévisionnelle de l’emploi et des compétences. Dans la période de la
multiplication des négociations, on le voit encore mieux. Certains intervenants l’ont bien
démontré ce matin.
Troisième levier, pour diffuser ces outils c’est la formation économique des militants et là, on
a complètement reconstruit les formations économiques de la Fédération. Deuxième acte de
notre stratégie fédérale, c’est d’apporter des propositions pour l’avenir de notre industrie, on
est dans un secteur industriel et cela, on le fait en consolidant nos analyses sectorielles et
d’entreprises, qu’on peut faire à partir de nos expertises. Ça nous permet de déboucher sur
un certain nombre d’orientations dont on va chercher à promouvoir des actions en faveur
des industries en s’appuyant sur les nouveaux besoins et sur les nouvelles exigences du
développement durable. Sur ce plan, on en est au stade de la formalisation d’un
mémorandum sur la politique industrielle tournée vers le développement durable — qui
s’appellera pas comme cela à la fin — mais, c’est un groupe qui avance des orientations
dans des domaines classiques, la recherche, la formation, la fiscalité, tout un tas d’actions
favorables au développement d’une industrie tournée vers le développement durable. Mais
cela dit, en même temps on a aussi remarqué des développements sectoriels et, en
particulier dans trois secteurs, l’automobile, les équipements télécommunications et les
fonderies, où l’on a pu bénéficier d’une écoute favorable des pouvoirs publics. Mais, il faut
bien dire qu’ils se soucient à nouveau des politiques industrielles et dans ces trois secteurs,
de manière différente, on a pu constituer des groupes de travail, de réflexions sectorielles et
tripartites avec les employeurs, les pouvoirs publics et les organisations syndicales. Cette
approche des politiques industrielles a aussi une dimension territoriale, — non pas
seulement sectorielle — et, l’on utilise deux types de situation. D’abord, quand on est
confrontés à des sites qui sont restructurés, dans la mesure où c’est souvent médiatisé, ça
nous sert de levier pour interpeller des acteurs locaux. Et, puis il y a d’autres types de
situation qu’on essaye d’utiliser, c’est la création des pôles de compétitivité. Là, on est déjà
au stade du développement sur plusieurs régions, plutôt autour de filières et, en particulier,
la filière automobile mais aussi la filière ferroviaire, par exemple. Il y a un grand intérêt à
cette approche, c’est un bon moyen pour nous à l’intérieur de la fédération de croiser des
compétences syndicales que l’on a à l’intérieur de nos grandes entreprises avec l’approche
de nos territoires fédéraux mais aussi avec l’inter professionnel régional. Il y a une autre
approche dans cette dimension de la politique industrielle, c’est l’approche internationale, en
particulier européenne où l’on voit maintenant se concrétiser une action syndicale
européenne sur le terrain des restructurations. Et, plus largement, sur la politique industrielle
autour des comités du dialogue social sectoriel, dans l’acier, dans la navale, dans les
fonderies, autour des comités d’entreprises européens qui sont bien sûr encore au stade
embryonnaire mais, qui ont le grand avantage de mettre en contact des syndicalistes des
différents pays européens sous l’égide d’une fédération européenne, La Fem (Fédération
européenne de la métallurgie), qui sait bien faire les choses.
Troisième vecteur intéressant, quand des grands groupes sont confrontés à des
restructurations, on a pris comme pratique, au niveau européen, d’instaurer des
coordinations syndicales pour essayer de donner une cohérence aux réponses syndicales.
L’autre élément qu’on essaye d’utiliser dans notre stratégie, c’est plutôt un levier qui est
celui de la responsabilité sociale des entreprises, qui a l’avantage de mettre les entreprises
— les multinationales surtout — en interrogation de l’opinion publique, mondiale. C’est un
point intéressant et en même temps ça nous permet de répondre au problème qui était
soulevé à la table ronde précédente, de l’éloignement et de l’anonymat des organes de
direction. Donc, on essaye d’utiliser des outils qui sont propres à la responsabilité sociale
des entreprises. Dans le domaine de la connaissance, de la transparence des entreprises,
ce sont des rapports sociétaux et environnementaux, c’est plutôt dans l’axe de vérifier ce
que font les entreprises. Il y a aussi les accords avec les cadres internationaux qui
commencent à se développer et là on passe à un autre stade qui est celui de l’engagement
de l’entreprise. Ce sont des accords en bonne et due forme même s’ils n’ont pas encore un
31
cadre juR&Dique mondial. Le troisième outil important, c’est celui de la notation financière,
notation sociale qui nous conduit à un stade d’évaluation, de comparaison. Sur ce plan-là,
nous en sommes encore au stade expérimental avec trois équipes de grosses entreprises.
Dans cette lignée de la responsabilité sociale, on a également, et je conclurai sur cela,
engager un travail sur la gouvernance des entreprises, nous sommes qu’au stade des
orientations autour de la théorie des parties prenantes. Nous cherchons à montrer quel est
le rôle, quelle est la place des actionnaires, du manager mais aussi des salariés et des
autres parties prenantes de l’entreprise. On va essayer de présenter d’ici à la fin de l’année
ces orientations dans le cadre d’un colloque.
ALAIN GATTI
SECRETAIRE GENERAL URI LORRAINE
Ce dont je voudrais vous faire part aujourd’hui, ce sont surtout des questionnements, des
interrogations et de certaines contradictions.
Sur ces dossiers — comme Suzanne Berger l’a dit ce matin — on n’est jamais confrontés
à deux cas semblables, et donc on est obligés en permanence d’adapter la stratégie et les
réponses, en se posant comme première question, celle de « Qui sommes-nous ?, et « D’où
l’on parle ? ». En l’occurrence, ici, d’une union régionale. Ça peut vous sembler être une
évidence, se demander quelles sont nos fonctions essentielles. La première est avant tout le
lien avec le professionnel parce que c’est le professionnel qui négocie dans l’entreprise avec
les limites qui ont été décrites, donc je ne vais pas y revenir. Mais l’interprofessionnel a un
rôle aussi en tant que facilitateur vis-à-vis des pouvoirs publics. Il a un rôle aussi de
facilitateur en termes de médiatisation et, l’on sait à quel point la médiatisation, qu’on le
veuille ou non, qu’on le souhaite ou non, est un élément du rapport de force sur des
dossiers lourds. Mais, surtout l’interprofessionnel est porteur d’une vision territoriale. C’està-dire que cela nous impose de mettre en cohérence les différentes actions, la vision qu’on
a de l’environnement sur lequel on est. Avec les fédérations professionnelles concernées,
c’est aussi aider le professionnel à s’inscrire dans une problématique plus large à partir des
réalités d’un territoire, c’est bien aider à comprendre le changement, les évolutions qui sont
à l’œuvre à l’échelle d’un territoire. Ça fait partie de la conception qu’on a d’autonomie des
structures que d’être en capacité d’avoir les outils pour s’approprier les terrains sur lesquels
elles agissent. On a un certain nombre d’éléments d’analyse sur la situation lorraine. Je vais
passer très rapidement sur l’essentiel, l’image classique de la Lorraine autour de la
démographie, l’analyse autour de l’attractivité du Luxembourg, un certain nombre de choses
de ce type-là. Et, je centrerai sur deux choses qui me semblent essentielles, c’est à la fois la
crise lourde de l’emploi industriel, de laquelle nous ne sommes pas sortis en Lorraine, en
sept ans, nous avons perdu 25 000 emplois, 12% d’emplois perdus dans le pays l’ont été en
Lorraine, ce qui ne représente que 3 % de l’ensemble de l’emploi. Autre tendance lourde sur
laquelle on doit s’interroger, et interroger nos équipes, c’est l’absence de compensation par
les emplois de service, qui est inférieur à d’autres régions. Et puis, c’est une dynamique
d’emplois qualifiés qui reste très faible. Mais on a une conviction, c’est qu’on ne fera pas
table rase du socle industriel lorrain pour construire sur des ruines ou des friches parce
qu’on le sait, l’emploi industriel, joue bien un rôle de création de richesses, bien sûr, mais
joue aussi un rôle dans la création d’emplois de services. Et, l’on sait aussi que les
politiques industrielles structurent le tissu économique mais aussi le tissu social.
L’autre élément fort de cette analyse du territoire, c’est tout ce qui tourne autour de la
recherche/développement, l’université qui est insuffisamment développée, insuffisamment
appuyée sur l’entreprise. Ce sont sur ces enjeux-là qu’on se doit d’éclairer les équipes. Il y a
une chose dont on ne se satisfait pas dans la place que nous avons en tant qu’acteur
syndical, c’est d’agir souvent quand c’est trop tard, de ne pas avoir l’espace pour agir en
amont, de ne pas pouvoir inscrire notre espace dans la durée. Et, je crois qu’il faut qu’on
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parte à partir de là d’une analyse de la réalité, de la faiblesse du dialogue social au niveau
du territoire. Non pas pour démontrer compte tenu de cette faiblesse qu’il n’y a rien de
possible à faire, à construire mais bien de l’analyser pour essayer de la dépasser, dépasser
aussi la difficulté du dialogue avec l’Etat, la région. On essaye de construire des choses en
Lorraine mais c’est très compliqué parce que cette culture partenariale n’existe pas, en
dehors d’Observatoire régional et économique, fonds d’accompagnement de mutations, etc.
On a beaucoup de mal, malgré le caractère difficile de l’emploi industriel en Lorraine, à le
faire vivre, on a beaucoup de mal à faire reconnaître notre légitimité, à porter un discours,
des questions de cette nature. On a du mal à trouver ces lieux où l’on pose des constats,
des visions partagées, où l’on pose des réponses stratégiques, une vision de la politique
industrielle qui est celle guidée par un certain nombre de contraintes économiques. Mais
notre responsabilité est de faire le lien entre de l’économique avec emploi, avec le
développement durable, Dominique en a parlé, avec la responsabilité sociale des
entreprises. Notre plus-value d’acteurs de la société civile est là aussi. L’autre difficulté,
c’est la place de l’Etat. Je crois qu’il faut ramener l’Etat a sa responsabilité, nous
considérons que l’Etat a un certain nombre de responsabilités dans la mise en œuvre
d’éléments prospectifs, dans la mise en œuvre de leviers incitatifs, en disant ça, ce n’est
pas avoir une vision étatique mais c’est bien reposer la place de la démocratie sociale par
rapport à la démocratie des politiques. La place de chacun des acteurs, chacun doit jouer
son rôle et, l’on mesure au quotidien la pollution de l’engagement du président de
République dans le « dossier Gandrange » et à quel point ça plombe la possibilité du
dialogue social.
On a à gérer aussi des contradictions, les tensions entre notre corps de métiers. Les
salariés, dans une entreprise confrontée à un plan social, ont des attentes légitimes
auxquelles on doit répondre. C’est évidemment en termes de demande, qui est celle du
maintien de l’outil. C’est aussi des exigences légitimes des visibilités par rapport à leur
propre avenir et l’on doit construire des réponses dans l’immédiateté parce que c’est notre
fonction première. Mais on doit aussi apporter des réponses sur le long terme. Pour tout
cela on a un certain nombre d’outils, des outils pour construire des solutions économiques
alternatives, c’est le pro/inter pro, le contre projet et l’outil accord de méthode nous permet
d’ouvrir cette fenêtre de tir-là. On a aussi la possibilité de construire des réponses sociales
pour que ces différents plans, ces mesures ne laissent pas des gens au bord du chemin, en
termes de sécurisation des parcours, et puis on va avoir de nouveaux outils autour de la
modernisation du marché du travail avec la difficulté de savoir comment on décline
localement le contenu de cet accord. Et, puis on a aussi à agir sur le territoire en termes de
revitalisation. On essaye de faire le mieux possible et de tenir aussi le bout du long terme
avec un enjeu qui est l’enjeu central, là aussi sur le long terme, c’est celui de l’anticipation.
On a des expériences en termes d’anticipation en Lorraine qui ont été parfois douloureuses.
Si nous n’avions pas anticipé par un certain nombre de plans, des fermetures dans la
sidérurgie, si nous n’avions pas fait ce travail d’anticipation, aujourd’hui il n’y aurait plus de
hauts-fourneaux en Lorraine. C’est aussi parce que des militants ont pris, avant nous, le
risque de s’engager autour de dossiers de ce type-là, qu’on peut encore aujourd’hui parler
d’une sidérurgie en Lorraine même si, bien évidemment, il faut continuer à se battre pour la
conserver. Donc, il faut créer des lieux où l’anticipation puisse se construire, des lieux qui
portent aussi une dynamique d’innovation du développement industriel. Et, l’on se doit en
tant qu’inter professionnel d’aider les équipes à prendre ça en charge. Dominique l’a
souligné aussi, reconnaissons qu’en matière d’anticipation, en termes de prévision, on a
beaucoup de mal à faire entrer nos équipes syndicales dans ces logiques-là compte tenu de
tout ce qui a été décrit et en particulier par ce qui a été dit ce matin par les collègues. On est
souvent obligés de faire face à l’hostilité de la direction et aussi à celle des salariés, voir des
autres organisations. Donc, on se doit de travailler aussi sur ces questions pour voir
comment on peut les aider à déplacer ces blocages. Notre responsabilité
interprofessionnelle est aussi d’investir les lieux qui permettent d’enrichir une vision
territoriale, je pense en particulier au CESR, j’avais prévu de parler de Bertoul et de la
scierie de Gandrange. Un mot sur Gandrange pour dire que nous ne sommes pas là dans le
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cadre d’une délocalisation, si la scierie ferme, c’est parce que ses productions vont être
transférées à cent kilomètres dans une usine en Allemagne. On n’est pas dans le cadre
d’une mondialisation, à cette échelle-là, on est stratégiquement sur la base d’un contre
projet. Mais, ce qu’on se dit surtout, c’est qu’on a l’occasion à travers ce dossier de tirer une
opportunité de ce qui est en train de se passer. Une opportunité pour qu’on travaille
véritablement avec tous les acteurs autour de la même table — ce qui n’aurait jamais été le
cas avant — autour de l’avenir de la sidérurgie, en Lorraine après 2014, en particulier autour
de la notion de pôle d’excellence et de recherche, formations aux métiers de la sidérurgie.
On a un savoir faire, on a un pôle de compétitivité matériaux innovants, des produits
industriels, on a un centre de recherche qui est un des plus grands centres de recherches
européen, on a des outils pour rebondir à partir de ça, on a aussi des compétences pour
rebondir sur les nouveaux produits, sur les nouvelles technologies et sur la recherche en
matière de matériaux innovants.
M. G. Le malheur, c’est qu’on agit souvent trop tard. Et, nos militants nous disent souvent
vous allez trop vite. Il faudrait qu’on reparle de cette contradiction et je voudrais illustrer –
vous en avez parlé tous les deux, de développement durable - mais vous n’avez pas été au
bout de ce que cela veut dire vraiment. Il y a quelques mois, il y a eu le Grenelle de
l’Environnement, et tout le monde a applaudi, mais très concrètement, des problèmes se
posent immédiatement. La déclinaison du Grenelle de l’Environnement, c’est de privilégier le
transport le plus économique en ce qui concerne l’énergie et le plus économique en ce qui
concerne les émissions de gaz à effet de serre et de ce fait le TGV est une bonne réponse.
Et, là les Lorrains et les Alsaciens bénéficient dorénavant d’un TGV qui les met enfin près
de Paris. Mais alors que fait-on de l’aéroport de Strasbourg qui va être moins utilisé ? Il faut
alors allonger la piste de Strasbourg parce que si le TGV réduit le transport aérien, que vat’on faire des emplois ? La solution serait d’allonger la piste pour récupérer des avions — les
plus gros — qui viennent d’ailleurs. Donc, ce qu’on aura gagné sur le développement
durable avec un TGV, on va le récupérer par l’allongement de la piste aéroport ! On est très
intéressé François de connaître ton opinion sur ce genre de débats.
FRANÇOIS LAURENT
CSC (BELGIQUE)
La question que je me pose est : « Est-ce qu’il y a un autre développement alternatif que le
développement durable ? On cherche bien souvent à avoir dans le monde syndical des
projets qui soient porteurs, enthousiasmants, fédérateurs, je dois dire que le développement
durable comme perspective, c’est un élément qui est mobilisateur. Par rapport à la journée
qu’on a eu aujourd’hui, j’ai eu la confirmation de la très grande proximité de nos
organisations, j’ai entendu des choses que j’entends régulièrement et, donc nous ne
sommes pas vraiment éloignés les uns des autres, pour ceux qui ont vu « bienvenus chez
les Chtis » ! Concernant la question de la désindustrialisation, c’est clair qu’en Belgique
depuis 20 ans, toutes les entreprises de la vieille industrie ont complètement disparu. Ça
doit être le cas dans d’autres régions, les industries qui sont parties sont bien souvent des
industries qui font partie de grands groupes internationaux et qui par le biais de la
mondialisation ont pu poursuivre leurs activités. Par rapport à ce que j’ai entendu ce matin,
je dirais deux choses, le syndicalisme doit être actif sur deux axes : l’axe de la critique, de la
dénonciation, de la contestation et l’axe de la proposition. C’est clair que l’on doit critiquer,
on doit dénoncer, mettre en cause les stratégies industrielles lorsqu’elles ne sont pas
porteuses de progrès social mais en même temps on doit pouvoir négocier, se mettre
autour d’une table et pouvoir proposer. Et, dans la part de la critique, je dirais qu’on est
souvent démuni parce que les stratégies industrielles sont le plus souvent cachées. Dans
mon expérience de syndicaliste, j’ai rarement entendu dire : « Dans cinq ans, on va
supprimer 20% de l’emploi ». Ce n’est pas comme ça que ça se passe, les stratégies se
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mettent en place dans les groupes, au niveau le plus haut et au moment où ça doit arriver,
on en est informé, c’est comme ça que ça se passe. Ce qui veut dire que nos outils de la
concertation sociale, c’est le cas en Belgique, ne sont probablement plus adaptés à la
réalité économique des entreprises. Avec l’information que nous avons, nous sommes
incapables de savoir si la ligne de produit sur laquelle on est, est rentable. On est
incapables de savoir si la Business Unit dans laquelle on est, est rentable, on est incapables
de savoir si son pays, son usine, a une rentabilité par rapport à d’autres. Ce sont pourtant
des informations qui me semblent essentielles pour pouvoir construire quelque chose. Donc,
on doit adapter nos outils au niveau de l’information économique et financière parce que ces
outils ont été pensés à un moment où l’entreprise était familiale, nationale, locale, et
effectivement ces outils sont intéressants mais quand on est à la taille mondiale, c’est clair
qu’on doit se doter de nouveaux outils. Un autre élément très embêtant pour nous
syndicalistes, c’est qu’on n’a pas tout le temps les interlocuteurs qu’il faut en face de nous.
C’est rarement le cas. La question de l’éloignement des centres de décisions est vraiment
un problème fondamental qui nous demande de nous adapter à la structure et à la taille de
l’entreprise. Comme l’a dit mon collègue Dominique, effectivement les structures syndicales
européennes, voire mondiales, et les comités d’entreprises européens sont un outil
important. Mais on voit aujourd’hui, qu’i faudrait améliorer leur fonctionnement. Dans la
phase de la critique, il y a bien sûr les manifestations, les grèves, les actions, les visites
chez les représentants des pouvoirs publics, les visites chez le maire, chez le député, chez
le président de la région mais lorsqu’on a fait tout ça, il y a quand même un moment donné
où l’on doit se retrouver autour d’une table et commencer à négocier. À partir de ce
moment-là, on doit commencer à faire des propositions pour pouvoir anticiper par rapport
aux stratégies industrielles. On doit avoir des équipes syndicales fortes, qui travaillent avec
des gens compétents, des gens qui sont formés, des gens qui sont actifs, qui ont une
crédibilité, qui ont une reconnaissance dans leur entreprise et ces équipes syndicales, si
elles fonctionnent bien doivent aussi avoir comme mission d’entretenir même dans les
périodes calmes des formes de rapports de force pour pouvoir activer ces rapports de force
au moment nécessaire. Et, donc, dans notre organisation, nous avons à cœur d’avoir un
suivi de chaque équipe syndicale, ce qu’on appelle une permanence chez nous, qui passe
une fois par mois dans toutes les entreprises pour dynamiser les équipes syndicales, les
faire fonctionner. Si l’on veut que les équipes s’impliquent dans la durée, il faut qu’elles aient
un projet et cela ça manque bien souvent. Il faut aussi toujours faire un effort pour être en
amont des problèmes et la meilleure manière, c’est d’avoir un projet dans chaque équipe
syndicale. Si on peut faire de l’anticipation dans ce projet, puisque c’est de cela dont il s’agit,
il y a également la question des formations. Nous regrettons en Belgique de ne pas avoir la
possibilité de négocier des plans de formation dans toutes les catégories professionnelles
dans les entreprises. Le monde de demain ne sera pas comme le monde d’aujourd’hui, on
va vers une économie de la connaissance et il est clair que pour préserver les capacités
d’adaptation professionnelle il faut lever le niveau des qualifications. Cela se passe dans
l’enseignement mais aussi dans l’entreprise. Il faut, en tous les cas, après qu’un travailleur a
fait un effort en termes de formation, qu’il puisse ajouter cet élément dans son curriculum
vitae, si d’aventure il devait changer d’emploi. Je voudrais faire un petit détour sur la
question du contenu du travail et de l’évolution du contenu. Il y a quelques années, j’ai lu un
livre qui s’appelle « Le monde du travail » aux Editions de la Découverte. C’était un
ensemble d’articles de chercheurs, un livre extraordinaire, qui décrit les conditions du
contenu du travail. Avec l’informatisation, il y a des évolutions qui ont créé un
appauvrissement du contenu du travail de chacun d’entre nous. Certains s’amusent à faire
des programmes extrêmement sophistiqués et ces gens-là font un travail riche mais
combien d’autres font un travail qui n’est pas valorisant, et bien ce travail-là peut peut-être
exister dans une entreprise mais pas forcément être déplacé vers une autre entreprise, c’est
un vrai problème pour les travailleurs moins qualifiés ou bien pour les travailleurs qui ont
une qualification très pointue mais qui n’est pas exportable et, je ne parle pas des conditions
de travail. Si l’on veut que nos entreprises soient performantes demain, elles doivent
effectivement faire de l’immigration, de la recherche, du développement. Mais, dans quel
sens ? Que faire ? Je pense que si l’on veut changer nos attitudes et nos comportements, il
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faut écouter, comprendre et proposer des solutions. C’est une méthode qui est intéressante
et qui est actuelle. Avoir une démarche qui est de dire, écoutons ce que la société veut,
comprenons pourquoi elle demande telle ou telle chose et apportons des solutions, je pense
que c’est un beau programme y compris pour les syndicalistes que nous sommes. Pour
rester compétitifs, je dirai qu’il y a trois lois. Premièrement, l’axe de la qualité, de l’innovation
des produits. Je prends l’exemple d’un très grand industriel de la pharmacie en Belgique, et
le principal souci pour cet industriel, ce ne sont pas les coûts salariaux mais si l’on veut
qu’une entreprise soit compétitive, il faut qu’elle ait des produits de qualité qui les
distinguent des autres entreprises. Donc, on est engagés dans une course à l’innovation qui
est d’ailleurs une course relativement dangereuse mais c’est un impératif. Le deuxième axe,
c’est la question du coût de l’énergie, on a un baril aujourd’hui au coût d’environ de 110
dollars, certains économistes parlent de 200 dollars. Si l’on veut s’en sortir demain, il faudra
créer une industrie faible en énergie, et en tant que syndicaliste, je pense que c’est un axe
stratégique, je préfère que les économies se portent sur la facture énergétique plutôt que
sur le coût du travail. Troisième axe pour la compétitivité, le coût du travail, je suppose qu’on
vous en parle chez vous aussi. En Belgique, on a assisté à l’indexation automatique des
salaires, quand le coût de la vie augmente, les salaires augmentent sans qu’il y ait
négociation, actuellement le système marche bien, on est à 3% d’inflation et donc les
salaires augmentent automatiquement de 3%. Mais, ce système a été remis en cause par
les entreprises, on a dit non et l’on a négocié ce qu’on appelle une norme salariale, on a
accepté de plafonner les augmentations salariales pendant un nombre d’années, autour de
5% sur deux ans. Les 5% étant la moyenne des augmentations des pays wallons. Nous,
dans le secteur de la chimie, nous avons quand même des entreprises qui se portent bien
— ne tombons pas dans la sinistrose ! — notamment du fait de la grande concentration de
ce secteur industriel. Si vous analysez les différents secteurs industriels et que vous prenez
les cinq plus grandes entreprises, ça représente un bon paquet des marchés et ce sont de
grands acteurs qui peuvent agir sur les marchés. Il y a des débats sur cette question du
coût salarial et de la norme, certains ont accepté plus facilement cette norme. Dans le
secteur de la chimie, on négocie au niveau sectoriel puis entreprise par entreprise, on arrive
à des augmentations moyennes de 7% sur deux ans. La question est de savoir si les
actions qui sont entamées pour limiter les coûts salariaux, est-ce que ce n’est pas se
plonger dans une spirale vers le bas. Si on le fait en Belgique, les Hollandais vont nous
observer pour faire la même chose puis les Allemands puis les Français. Donc, il y a là un
mécanisme dangereux auquel nous devons être attentifs. On n’a pas beaucoup parlé
aujourd’hui de la question des aides publiques, je veux parler de l’aide à l’investissement et
ça mérite aussi un approfondissement important, dans quelle mesure l’Etat peut orienter la
recherche, etc.… Je crois que c’est une mutation importante à laquelle on a assisté en
Belgique, quand il y a une restructuration, on négocie un plan social, après des
manifestations, on arrive autour de la table et l’on finit par négocier un plan social. Jusqu’à
présent, on négociait deux choses, le départ anticipé et des primes de départ. En tant que
syndicalistes, on essayait d’avoir les prix les plus élevés et l’on constatait que les primes
n’étaient pas utilisées de la façon la plus rationnelle. Il n’était pas rare, après une
restructuration, de voir un salarié se présenter avec sa nouvelle voiture, puis après il
refaisait la véranda ensuite, c’étai la cuisine équipée. Maintenant, on fait de
l’accompagnement social des travailleurs licenciés. En Belgique, les organisations
syndicales payent des allocations de chômage, nos affiliés qui quittent leur emploi restent
affiliés et nous leur payons pour le compte de l’ANPE Belge, les allocations de chômage.
Nous avons fait un pas supplémentaire, après une restructuration, nous avons créé des
cellules de reconversion où se retrouvent tous les travailleurs licenciés avec comme
animateur de la cellule, le délégué syndical qui est aussi accompagné par l’institution de
formation. Le délégué syndical accompagne les travailleurs dans leur transition et dans leur
recherche d’emploi pendant un certain temps. On a constaté que ce nouveau système
donnait de bons résultats. Il y a entre 70 et 80 % des travailleurs qui retrouvent un emploi
rapidement et deuxièmement, c’est une excellente manière de lutter contre l’isolement du
travailleur après un licenciement car il a la possibilité de retrouver ses collègues, son
délégué syndical et d’être introduit dans toute une série d’institutions qui peut l’aider. Cette
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cellule de reconversion existe depuis deux ans, elle fonctionne bien et c’est devenu
maintenant une structure d’accompagnement social qui, je pense, donne de bons résultats.
Voilà, en quelques mots ce qu’il se passe en Belgique au niveau des politiques industrielles
et de l’accompagnement social des travailleurs.
Merci François, sur beaucoup d’aspects, tu nous parles un langage qui nous parle
complètement. Également sur ce que tu dis sur la capacité de votre organisation pour
accompagner les équipes syndicales, nous on rêve un peu. Patrick, il faut aussi que tu nous
fasses rêver en nous parlant de l’Oréal, de Kléber, de Smoby.
PATRICK PIERRON
SECRETAIRE GENERAL FCE
Je vous toucherai peut-être un mot de Smoby mais, c’est juste pour une illustration, je
n’avais pas prévu d’en parler. Passer en dernier après une fédération de l’industrie qui a les
mêmes problématiques — nous sommes aussi confrontés aux mêmes interrogations, on
tente de construire des outils pour faire face à ces évolutions, ces mutations internationales
— passer après ce n’est pas évident, je vais donc essayer d’attaquer sous d’autres angles.
Ce que je voudrais dire aussi, c’est que j’ai trouvé que cette journée était une journée
formation, parce que j’ai trouvé que c’était la première fois où l’on disait, mais je ne suis
peut-être pas assez vieux dans cet exercice, et le livre de Suzanne Berger le fait bien
ressortir, la mondialisation n’est pas une fatalité, ne dit pas « égal pertes d’emplois ». Elle
sort de la pensée unique en disant que si la mondialisation amène des stratégies différentes
dans les entreprises, ça doit amener aussi la capacité à des organisations syndicales
comme les nôtres à avoir des stratégies pour faire face à ces évolutions ou pour proposer
des choses pour faire face à ces évolutions de façon positive. Et, ça c’est intéressant
puisque souvent dans les discours, la mondialisation est synonyme de pertes d’emplois, de
fermeture de sites uniquement. Je trouve que ça rééquilibre le propos et, c’est donc plus
ancré sur la réalité. Le deuxième point que je mettrais en préambule — ça vient d’être dit
par François — c’est la qualité des produits, la qualité des services, et je pense qu’il y a tout
un champ de réflexion à avoir autour de ce qu’on produit dans notre industrie au regard du
développement durable. Tu l’as dit, Marcel, sous l’angle de la propreté des transports, nous
on l’a vu avec REACH sur la chimie, avec une réglementation qui donne de la traçabilité
dans les produits chimiques et qui attire sur la dangerosité de ces matières chimiques. C’est
une directive européenne, mais on a vu des patrons et certaines organisations syndicales
européennes qui ont contré cette directive alors que notre discours était de dire, faisons un
label de qualité des produits chimiques européens pour que ça amène de la plus-value à
notre industrie plutôt que de la voir comme une contrainte. Et, de faire ces scénarios
catastrophes où l’on disait qu’il n’y aurait plus d’industries chimiques demain en France et
en Europe. Aujourd’hui, les patrons commencent à dire que peut-être on peut valoriser cette
réglementation pour essayer de mieux vendre nos produits, plus chers et en plus grande
quantité. On voit bien que c’est un état d’esprit et cette question de la qualité, on la retrouve
dans le livre de Suzanne Berger, et ça a été exposé ce matin. Alors, c’est du court terme
mais, quand les produits reviennent avec des malfaçons, on voit bien que souvent ça coûte
plus cher aux entreprises que de les fabriquer en local, on l’a vu avec les exemples des
entreprises italiennes, ça mérite réflexion même si c’est du court terme puisque, à un
moment donné, la qualité sera la même si c’est fabriqué en Chine ou en France ou en
Europe et, je crois qu’il ne faut pas en douter. Dernier point, on voit qu’il y a très peu de
délocalisations dans le secteur chimie et énergie, quand on regarde globalement l’évolution.
C’est beaucoup plus du repositionnement en regard du marché émergent, l’Asie, qui existe.
Mais ce n’est pas, on ferme notre usine et, on va la mettre ailleurs, c’est, on investit là où il y
a 8 ou 10 % d’augmentation du marché tous les ans plutôt que sur des marchés à
maturation. Donc, nous avons très peu de délocalisations et, je pense, en tant que
syndicalistes, qu’on doit avoir une explication auprès de nos militants, y compris auprès de
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nos salariés et de nos adhérents sur ce qu’est une délocalisation. L’exemple donné par
Alain, entre la France et l’Allemagne, si l’on ferme un site et qu’on le met à quelques
kilomètres plus loin, c’est une forme de délocalisation qui n’est pas forcément liée à
l’international. Et, si je pousse un peu plus loin avec la notion des aides publiques, c’est tout
le débat qu’a eu la politique industrielle en France autour de l’attractivité du territoire à partir
de l’aide aux entreprises à investir et qui a amené une compétition entre les régions ainsi
qu’une délocalisation. Je me souviens — c’est dans le secteur de Dominique – c’était en
Lorraine, lors de l’implantation de la Smart, je peux vous dire que ça a tiré à boulets rouges
entre l’Allemagne, la Lorraine, il y avait aussi Lille qui était en compétition et c’était celui qui
donnait le plus qui obtenait cette usine en implantation. Donc, on voit bien que la
délocalisation a toujours existé sous différentes formes et que ça ne règle pas de toute
façon le problème de l’emploi en général puisque là, on est sur activité- existence – lieu
d’implantation – emplois localisés à un endroit mais globalement ça ne fait pas plus
d’emplois au niveau du groupe. Nous, au niveau de la Fédération, on est une stratégie qui
est affichée du local à l’international parce qu’on regroupe des TPE (très petites entreprises)
et des petites et moyennes entreprises et des grands groupes. Ça va de la petite entreprise
de deux ou trois salariés à St Gobain, à Total, Sanofi, EDF Gaz de France. On voit bien que
se pose forcément la stratégie des entreprises, la question de la stratégie des emplois, la
question des compétences individuelles et collectives dans les groupes et la visibilité du
projet industriel de ces groupes. Quand on veut faire une GPEC par exemple, c’est toujours
très difficile, et c’est ce qui est ressorti du colloque qu’on a organisé avec la FGMM et le
textile sur la filière automobile, où les donneurs d’ordres disaient qu’ils pouvaient avoir une
visibilité à trois ans et les sous-traitants disent qu’ils essayent de créer une GPEC mais
comme ils sont complètement dépendants de la filière automobile, ils ne peuvent pas créer
une GPEC, ni une évolution des métiers, ni donner une visibilité à leurs salariés. C’est un
réel problème qui va du local à l’international puisque la stratégie d’un groupe ou d’une
filière à ce niveau-là n’est pas française, ni européenne mais internationale.
Donc, on intervient au niveau international où l’on essaye de pousser des accords RSE
internationaux mais qui repose la question de savoir comment on suit ces accords une fois,
qu’ils sont signés avec les fédérations mondiales. Comment on l’évalue, quels sont les
critères, dans ces accords. Il faut mettre l’équité des salariés, la stratégie industrielle et la
prise en compte du risque parce que, quand on parle de chimie, de nucléaire, on est dans
une entreprise à risque qui repose la question de l’implantation du territoire, la question de
la société civile qui vit autour du territoire — je ne veux pas reparler d’AZF Toulouse où l’on
avait des manifestations le samedi des ouvriers qui voulaient garder leur site et des
manifestations des associations toulousaines qui voulaient fermer le site. Si l’on veut éviter
cela, il faut regarder la question des parties prenantes mais aussi la question de
l’environnement direct, là où le site est implanté lorsqu’on est sur des sites dangereux et,
c’est la question de la RSE qui est posée. Quelle est la responsabilité sociale de l’entreprise
qui touche autant l’employeur que le salarié mais qui a aussi une responsabilité de
l’entreprise, des employés et de l’employeur sur leur territoire vis-à-vis des citoyens qui sont
autour. La question de la gouvernance, comment les parties prenantes peuvent intervenir,
comment les donneurs d’ordre et les sous-traitants peuvent discuter de la stratégie
industrielle, puisque souvent ça a un impact des deux côtés de la barrière, mais aussi la
place des salariés.
Quant aux différentes formes de capital, nous sommes régulièrement contactés par des
fonds d’investissement qui sont des repreneurs d’activités de nos groupes. St-Gobain vend
une partie de son activité, c’est un fonds d’investissement, LBO, qui n’est pas un fonds de
pension, et ça a le mérite d’être décrypté auprès des militants, car tous les fonds ne sont
pas les mêmes, il y a des fonds d’investissement qui vous assurent une viabilité, une
stratégie de développement dans une industrie et, il y a des fonds qui viennent spéculer.
Les coopérations syndicales à tous les niveaux, des syndicats dans les groupes au niveau
international qu’il faut monter, on est en train de monter Michelin, on a monté l’Oréal. Des
relations au niveau de l’Europe. Les entreprises où les sièges sociaux sont en France,
quand il y a un manque de visibilité au niveau des investissements de Michelin en Hongrie,
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on essaye de mettre en interface les syndicalistes hongrois et la direction de Michelin pour
qu’ils puissent en discuter. Ça facilite l’action syndicale entre les différents pays et ça
répond aux interlocuteurs direction qui sont éloignés puisque les syndicalistes de la maison
mère ont la possibilité de faire rencontrer les dirigeants.
Le territoire c’est l’attractivité, la sécurisation du parcours professionnel, la mobilité, les
compétences individuelles et collectives et les synergies entre les différents acteurs. Donc,
une fois qu’on a fait tout ça, une fois qu’on a écrit la littérature, on tient compte de la réalité
et l’on essaye de faire des contres propositions industrielles, syndicales, à partir de tous ces
éléments.
Annexe 1
Fiches pratiques MOOS
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Annexe 2
« Questionnement EDS »
Le délitement
Chez EDS, des petites réorganisations ou restructurations au fil de l’eau,
enlèvent aux salariés des parcelles de travail qui s’en vont à l’étranger.
Ces changements sont (ou non) présentés en CE ou CCE l’un après
l’autre, sans qu’il soit possible de discerner un plan d’ensemble. Ils
concernent la gestion interne de l’entreprise (ce qu’EDS appelle les
activités de support, tels que DRH, Finance, facturation, etc.) de la même
manière que les métiers techniques (gestion d’infrastructure informatique
ou développement applicatif).
Depuis 3-4 ans, nous avons vu partir ainsi, la comptabilité fournisseurs,
puis les frais de déplacement, puis la facturation client, puis maintenant la
gestion des ressources humaines (contrats, attestations, gestion
quotidienne….).
Ces délocalisations d’administration enlèvent tout lien, tout ciment dans
chaque structure. Elles ont pour conséquence un inconfort croissant pour
les salariés, car faute de paiement dans les temps des fournisseurs,
certaines prestations sont suspendues ou définitivement arrêtées, les
déplacements ne font plus l’objet de remboursements réguliers, etc. Les
administratifs ou responsables ne peuvent pas donner d’explications à
leurs équipes car ils sont dépossédés de la maîtrise du processus et
surtout ne peuvent influer sur rien.
Côté commerce, les accords locaux avec les clients sont mis à mal
puisqu’on ne peut plus leur facturer les prestations au plus près.
Tout cela crée des tensions sans parler de la langue utilisée pour tenter de
comprendre les processus : l’anglais.
Sur ce terreau d’instabilité contractuelle, dans les équipes techniques,
déjà fragilisées, la délocalisation de certains pans de leur activité inquiète,
surtout parce que le schéma d’ensemble reste flou ; qu’il leur est
demandé de transmettre leur savoir-faire aux Marocains (dans le dernier
exemple) embauchés sur place pour prendre le relais. De surcroît leur
réorientation ou reclassement en France consiste surtout en incantations.
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Personne à aucun étage !
Saisies à tous les niveaux de ces difficultés de fonctionnement, les IRP ne
peuvent obtenir de réponses à leurs demandes, plus semble-t-il par
incapacité que par mauvaise volonté. On recherche partout les stratégies
élaborées, et une amorce de mise en œuvre, mais c’est peine perdue :
qu’il s’agisse de réclamations individuelles ou collectives, en DP, CE ou
CCE, la stratégie EDS reste un mystère et ceux qui en sont responsables,
invisibles.
Les NAO ou la GPEC sont une négation du concept même de négociations,
les revalorisations salariales sont dit on soumises à diktat d’Europe voire
des Etats-Unis et la GPEC tend à être réduite à un PSE permanent.
Modèle organisationnel cassé
Dans cet univers instable, ce n’est pas tant les délocalisations proprement
dites qui posent problème, mais ce sont, ajoutés à la disparition de
centres de décision proches et appréhendables, la déstructuration du
travail du salarié, son éparpillement à droite et à gauche, qui lui enlèvent
la maîtrise de sa production tout en le maintenant responsable du
résultat.
Par ailleurs, il perd tout espoir de valorisation cohérente de son travail. En
effet la hiérarchie intermédiaire n’a plus rien à dire ni à promettre à ses
équipes, et ne peut rien lui garantir. L’avenir se ferme, la lassitude
s’installe, et la conscience professionnelle s’amoindrit comme la
connaissance fine du métier.
Défi de la CFDT
Comment dans ce contexte mobiliser les salariés pour obtenir d’EDS une
réflexion en amont sur la reconnaissance de la compétence collective
acquise ? S’agit-il bien de créer et de faire fonctionner un collectif qui a
comme exigence la valorisation économique des savoir-faire ?
Très démarquée et contestée par les autres OS, faisant bloc quoi qu’elle
dise ou fasse, la CFDT doit se battre sans cesse contre une image
d’accompagnement lénifiant des décisions d’EDS, tout en travaillant
souvent seule sur les dossiers concrets.
Elle s’interroge sur l’angle d’attaque à trouver pour interpeller les salariés,
pour leur faire comprendre les enjeux de ce rapport de force ?
Et enfin comment le construire ?
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Annexe 3
« Renouveler la critique syndicale et le mode d’expertise face aux délocalisations
L’exemple d’Equant »
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CFDT Cadres
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Tél. : 01 56 41 55 00 – Mail : [email protected]
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