Pourquoi faire découvrir la littérature au cycle 2 ?

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Pourquoi faire découvrir la littérature au cycle 2 ?
PRÉAMBULE
Pourquoi faire découvrir la littérature au cycle 2 ?
Au-delà des textes officiels et des approches théoriques, nous souhaitons présenter ce qui
fonde notre approche de la lecture en réseau dans une classe.
Développer l’appétence et le plaisir d’échanger et de partager
Il faut que chacun y trouve du plaisir, élèves et enseignant. Le plaisir est un sens à développer à l’école auprès des enfants. Ceci est vrai en littérature mais aussi dans tous les autres
enseignements. Le plaisir est source d’émulations permettant l’échange et le débat : la participation de chacun auprès de tous.
Constituer une mémoire et des repères culturels communs susceptibles d’être
partagés
Ces repères sont partagés dans la classe mais aussi à l’extérieur. Dans la classe afin qu’ils
soient notre culture commune, ce que nous avons construit ensemble et qui nous permettra
d’échanger. À l’extérieur car l’école est un lieu de construction et d’échange de savoirs qui
doivent aussi trouver leurs sens dans la société. L’esprit critique que nous visons à développer en littérature chez l’enfant sera le même qui lui permettra de juger demain de la pertinence ou non de ses choix.
Aborder des textes complexes pour développer les compétences de lecture fine :
inférences, anticipation, interprétation
Les textes littéraires ne sont pas réservés au bon lecteur qui maîtrise le code et l’interprétation. En effet, un enfant même en ayant des difficultés avec le code peut, grâce à la lecture
à haute voix par l’enseignant, mettre en œuvre une stratégie, une réflexion visant à une
interprétation. C’est ce point qui fonde l’intérêt d’un travail de la littérature en ZEP.
On apprend par ce que l’on fait : je travaille sur un texte littéraire, j’apprends ce que sont
les structures narratives, les relations qui lient les personnages… En fait, je manipule le texte
pour en faire une interprétation, je suis l’interprète du texte. Mais c’est parce que je fais ce
travail que je développe des compétences de lecteur-interprète me permettant d’être
aussi lecteur-auteur. Il faut sans cesse articuler lecture et écriture.
Créer des situations de communication vraies autour d’œuvres
Il ne faut pas faire semblant de débattre mais tenir compte de la parole, des échanges des
enfants : leur regard et leur analyse demandent à être accompagnés. Enseignants, nous
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sommes les médiateurs de la construction de leur savoir : ce n’est pas une posture simplement théorique mais une réalité dans le quotidien. C’est une visée pratique et une visée
éthique : favoriser le développement de l’enfant comme sujet de ses apprentissages.
Donner du sens à un enseignement, la littérature, afin de faire des élèves
des enfants chercheurs, explorateurs, inventeurs à leur tour de sens
Ce qui fonde l’enseignement de la littérature est la construction du sens par les enfants.
L’élève, inventeur de sens, se doit de justifier pertinemment ses propos afin que son interprétation soit validée. Dès lors, la pertinence n’est pas de donner une bonne réponse, c’est
d’en donner sa justification. Il y a des textes proliférants qui permettent différentes interprétations dès lors que l’enfant argumente.
Devenir chercheur de sens pour l’élève, c’est découvrir au-delà de la signification du récit
littéraire, le plaisir d’apprendre et construire des compétences de lecteur, interprète, auteur
de textes littéraires.
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INTRODUCTION
Il faut semer les graines de la lecture littéraire à la bonne saison,
sur le terrain laissé en friche de l’école primaire.
Catherine Tauveron, 2002.
Cet ouvrage est le fruit d’un travail collectif qui vise à semer quelques graines pour développer la lecture littéraire au cycle 2. Il cherche d’abord à faire partager à ses lecteurs la
passion de tous les enseignants associés à ce projet pour la lecture d’albums riches et exigeants comme la littérature de jeunesse en produit. Il contribue ensuite, dans la logique de
la réflexion didactique actuelle, à proposer des réseaux pour découvrir la littérature. Ce travail est mené à travers des situations d’enseignement et d’apprentissages qui ont été expérimentées dans des classes ordinaires mais aussi dans des classes de ZEP, montrant ainsi que
la littérature est accessible à tous. Il propose enfin un cadre de travail intégrateur pour l’apprentissage de la lecture littéraire à partir d’un travail de réflexion mené par les deux
auteurs.
Issu d’un travail universitaire de recherche sur la didactique de la littérature mené par
Norbert Froger, la réflexion théorique a été mise en œuvre dans la pratique d’une classe
située en ZEP par Isabelle Garibal, professeur des écoles. Le cadre théorique ainsi discuté et
retravaillé dans l’interaction entre le conseiller pédagogique et l’enseignante de terrain a
permis de dégager plusieurs pistes de travail. C’est à partir de ces axes que se sont associés
les autres membres de l’équipe qui ont contribué à cet ouvrage. Par la mise en œuvre des
séquences proposées, ils nous ont aidés à adapter les situations et les ont enrichies. Nous les
remercions de leur engagement dans la réflexion et de leurs apports.
Dans l’introduction à son ouvrage de référence pour la réflexion pédagogique, Lire la littérature à l’école, Catherine Tauveron plaide pour une initiation précoce des jeunes enfants
à la recherche active du sens dans des textes littéraires. Elle propose d’organiser les conditions didactiques d’un dialogue de l’enfant avec le texte et d’un dialogue autour du texte
tout en soulignant que l’écriture permet d’affiner la compréhension et l’interprétation. Cet
ouvrage s’inscrit dans cette perspective en proposant de commencer une lecture littéraire
dès le cycle 2. L’interprétation de textes complexes, tels que les proposent de nombreux
auteurs de la littérature de jeunesse à travers leurs albums, n’est en effet pas réservée au
cycle 3. Mais pour dépasser une « lecture imprégnation » par l’enseignant, nécessaire mais
non suffisante, il faut mettre en place un apprentissage de la compréhension d’un texte littéraire au cycle 2.
Cet ouvrage s’inscrit dans la logique des programmes de cycle 2 qui visent à faciliter la
compréhension des textes narratifs à travers la découverte d’albums ou d’histoires illustrées.
Mais la réflexion cherche ici à construire les bases des compétences en compréhension qui
seront nécessaires aux élèves dans le cycle 3. Des documents d’application du ministère de
l’Éducation nationale pour le cycle 3 permettent de repérer les visées ambitieuses d’un travail sur la littérature. Cette ouverture culturelle est une nécessité pour dépasser une simple
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lecture littérale en même temps qu’un enjeu : faire partager une culture commune pour
permettre l’échange et le partage des significations. Dans cette perspective éthique, l’enseignement de la littérature vise l’élaboration d’une culture de base qui n’est pas la culture
familiale de tel ou tel groupe. L’école a ainsi une fonction intégratrice en développant une
culture scolaire.
Pour permettre à l’élève de développer ces compétences au cycle 3, il faut les construire
dès le cycle 2 en cohérence avec les attentes de l’école. C’est sur ce point que notre
apport constitue une tentative de constitution d’un référentiel de compétences en lecture
littéraire accessibles dès le cycle 2.
À la découverte des œuvres
Comme l’indiquent les instructions officielles de 2002, « à l’école maternelle comme à l’école
élémentaire, les textes littéraires (albums d’abord, nouvelles ou courts romans ensuite) doivent être au cœur des activités ». Les auteurs de ces œuvres tissent de nombreux liens entre
les textes qu’ils écrivent et ceux qui constituent le contexte culturel de leur création. Pour
comprendre un texte littéraire, il faut chercher à retrouver ces liens avec les autres textes, soit
explorer l’intertextualité, mais aussi creuser le texte lui-même dans sa densité et sa complexité pour en extraire le sens. Les chemins d’accès à l’interprétation sont ainsi multiples et
c’est en regroupant les textes dans un réseau, une ramification de chemins, que l’enseignant
peut faire émerger le sens. Le parcours de ces chemins conduit à la construction de nouvelles
compétences. Mais, c’est notre conviction, c’est aussi au détour d’un de ces chemins que
l’élève découvrira le plaisir de lire un texte littéraire qui ne révèle sa saveur qu’après un
patient travail d’exploration, un lent cheminement dans l’univers du sens.
Les programmes de 2002 font de ces parcours des textes un enjeu essentiel :
Les lectures littéraires du cycle des apprentissages fondamentaux, comme celles des autres
cycles, doivent donc être choisies avec soin et organisées en parcours qui permettent de retrouver un personnage, un thème, un genre, un auteur, un illustrateur… Par là, et par là seulement,
l’habitude de fréquenter les livres devient progressivement une culture.
La finalité de cet ouvrage est donc de faire découvrir aux élèves et au lecteur la diversité et
la richesse des albums pour faire de la lecture littéraire en classe de cycle 2 une ouverture
culturelle comme nous l’avons dit mais également un moment de plaisir partagé. Mais ce
plaisir résulte d’un apprentissage car beaucoup de textes littéraires « résistants » nécessitent
un patient travail d’interprétation. Il faut donc mettre en place des situations d’apprentissage autour des problèmes posés par la narration afin d’amener les élèves à l’interprétation.
Construire des compétences interprétatives dès le cycle 2
Comment des élèves de cycle 2 peuvent-ils accéder à la dimension interprétative de l’histoire si sa compréhension littérale leur échappe en partie du fait de la diversité des personnages ou d’une construction complexe ou encore de références à un monde différent ? La
diversité de la littérature de jeunesse constitue en même temps sa complexité. Pour en
apprécier sa richesse et sa saveur, il faut construire des compétences en lecture.
Par exemple, dans l’album de Philippe Corentin, Mademoiselle Sauve-qui-peut, le récit des
farces faites aux animaux par une petite fille espiègle débouche soudain sur un nouveau
récit reprenant l’histoire du Petit Chaperon rouge. C’est un récit dans le récit qu’il faut alors
analyser pour comprendre l’histoire. Le rôle de l’enseignant est de mettre en place les
conditions d’accès à l’interprétation. Il faut pour cela construire le caractère de ce
personnage, repérer le récit enchâssé pour reconnaître l’intrigue du conte traditionnel et
percevoir que dans le monde parodique de Corentin, cette petite fille est si terrible que le
loup lui-même en a peur ! En entendant cette histoire dans laquelle la mère excédée finit
par dire : « Tiens, va plutôt chez ta mère-grand. Porte-lui cette galette et ce petit pot de
beurre », un élève de CE1 s’exclame : « Oh, oui ! ». Il est dans une classe de ZEP et sa culture
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INTRODUCTION
littéraire, construite depuis l’école maternelle et mobilisée par le travail sur un réseau de
contes traditionnels, lui permet de retrouver avec joie le conte connu. Ce moment est
important car l’élève, en mettant en lien ses lectures, comprend que le texte fait sens par
son renvoi à un autre texte. Il montre qu’un élève de cycle 2 peut découvrir une
caractéristique essentielle de la lecture littéraire : le plaisir esthétique. Pour Annie Rouxel
(2004), le plaisir esthétique entre dans la définition de la lecture littéraire. C’est un plaisir
complexe, métissé du plaisir propre à l’activité de lecteur et du plaisir du texte. Ce dernier
est à la fois plaisir de la découverte et plaisir de la reconnaissance : il naît de la tension entre
le dépaysement lié à l’inconnu du texte et le sentiment de familiarité que confèrent la
reconnaissance de codes et le partage de références.
Mais, ce n’est qu’après un travail explicite sur le récit par l’analyse du caractère du personnage et le repérage de l’intrigue avec sa résolution surprenante (le loup terrorisé sauvé par
la grand-mère) que la classe en arrive, avec l’étayage de l’enseignant, à cette interprétation : dans cette histoire, c’est la petite fille qui est le loup ! Par ce constat, la classe effectue une lecture littéraire de l’album en s’engageant dans une démarche interprétative
mettant en jeu culture et activité cognitive. Il faut donc, à la fois, un travail d’acculturation
et un travail de compréhension établissant un rapport au texte distancié pour dépasser une
simple lecture littérale et en arriver à cette conclusion d’un autre enfant de CE1 : c’est le
conte du Petit Chaperon rouge à l’envers. La compréhension et l’interprétation sont donc
deux activités en interaction.
Problématique de l’ouvrage
La problématique de cet ouvrage peut se formuler ainsi : comment peut-on développer, au
cycle 2, une lecture compréhensive des récits littéraires afin d’amener les élèves à résoudre
les problèmes de compréhension posés par le texte au lecteur et faciliter ainsi leur accès à
l’interprétation des histoires ?
Cette problématique est partagée par de nombreux chercheurs et enseignants soucieux de
développer l’acculturation et la compréhension dès le cycle 2. Mais le domaine de la compréhension tend à être moins travaillé au CP par l’accentuation du travail sur l’identification
des mots. Le premier chapitre montrera que l’étude des textes littéraires est pourtant au
cœur de l’apprentissage de la lecture. De surcroît, ce travail sur des albums, parallèlement
au manuel, est indispensable pour donner un sens à l’acte de lire dès le plus jeune âge.
Cette acculturation nécessite de travailler à partir d’un ensemble de références communes,
de contes patrimoniaux et de leurs variantes, d’histoires littéraires.
Francis Grossmann dans sa contribution à la conférence sur la lecture (PIREF, 2003) souligne
la nécessité d’une démarche d’apprentissage fondée sur un répertoire de scènes et de
figures permettant de mieux comprendre les histoires. Pour lui, un entraînement à la compréhension ne peut en effet avoir quelque chance de succès que s’il s’enracine dans un terreau de références acquises.
Les problèmes de compréhension des textes littéraires
Catherine Tauveron (2002) définit la visée d’un enseignement de la compréhension :
« identifier clairement les problèmes de compréhension et d’interprétation que pose le récit
littéraire aux élèves ». C’est une première étape indispensable pour apprendre aux élèves à
les surmonter. Elle considère qu’il existe, dans la littérature de jeunesse, des récits posant
délibérément des problèmes de compréhension immédiate. Par ailleurs, elle définit le
personnage comme un objet complexe à étudier parce qu’il constitue une clef pour une
didactique du récit à l’école élémentaire (1995). Comprendre un récit est alors, entre autres
choses, être en mesure de reconstituer la cohérence du personnage, c’est-à-dire
d’appréhender ses constituants épars. Par extension, comprendre nécessite de saisir les
relations entre les différents personnages qui forment un système par leurs interactions.
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L’exemple de l’album de Philippe Corentin avec son récit enchâssé montre que la manière
dont les choses sont racontées (la narration) soulève des problèmes et confronte les élèves
à des textes complexes dès lors que l’on aborde une littérature de jeunesse riche et foisonnante. Ces critères de complexité ont été particulièrement étudiés par l’équipe pluridisciplinaire qui a élaboré le document d’accompagnement des programmes Lire et écrire au
cycle 3. Cet outil définit le travail à mener sur le livre, les personnages, l’intrigue et l’univers
de référence de l’œuvre. C’est dans la cohérence avec cette approche que nous avons
conçu le tableau d’analyse des problèmes de compréhension au cycle 2 que nous présenterons dans le deuxième chapitre et qui sert de cadre théorique à l’ouvrage.
Ce tableau est destiné à des équipes de cycle 2, mais peut trouver sa place dans des
classes de début du cycle 3. Il vise à proposer une approche simple mais théoriquement fondée pour organiser le travail de compréhension des récits dans des séquences. Le travail
s’organise selon trois axes à partir d’un postulat : le sens d’un récit se construit dans l’entrelacement de trois dimensions : le personnage, l’intrigue et le monde. C’est parce qu’il arrive
quelque chose à un personnage dans un monde que le récit prend forme. C’est donc à
partir de ces trois dimensions entrelacées que l’interprétation s’élabore parce qu’elle renvoie le lecteur à son expérience humaine et à ses connaissances du monde.
Nous considérons donc l’enseignement de la compréhension de textes littéraires comme la
résolution de problèmes de lecture anticipés par le maître. Par rapport à une problématique
repérée, l’enseignant peut trouver différents albums qui constituent autant d’exemples de
la manière dont les auteurs cherchent à se démarquer d’un modèle linéaire du récit. Ces
auteurs visent à écrire de manière littéraire un texte jouant avec le lecteur pour mieux le surprendre et le séduire. Cette littérature de jeunesse fait avant tout découvrir le plaisir de la
lecture. Mais elle prend aussi au sérieux le jeune lecteur en construisant délibérément des
zones d’incompréhension programmée ou des zones de compréhension plurielle qui
conduisent le lecteur à des interprétations plurielles. Cette littérature est le terrain privilégié
pour initier les jeunes enfants à la lecture et à ses plaisirs car elle a du jeu et le sens du jeu
(Tauveron, op. cit., p. 17).
Constituer une collection d’albums autour d’un problème repéré, c’est mettre en réseau
des textes qui vont permettre de résoudre ce problème de compréhension-interprétation.
Autrement dit, le réseau se présente comme une pluralité de voies d’accès à un même problème. C’est par l’étude de ce problème que l’obstacle peut être dépassé et qu’un
apprentissage s’effectue à travers sa résolution. Les nombreux réseaux présentés dans cet
ouvrage s’offrent donc au lecteur comme autant d’exemples visant à lui faire découvrir le
plaisir d’enseigner la lecture littéraire et à permettre des apprentissages dès le plus jeune
âge.
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