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Lexbase Hebdo édition privée n˚577 du 3 juillet 2014
[Procédure pénale] Questions à...
Validation de la sonorisation des locaux de garde à vue —
Questions à Maître Elias Stansal, Avocat au barreau de Paris
N° Lexbase : N2937BUC
par Aziber Seid Algadi, Docteur en droit, Rédacteur en chef — Droit
pénal et Droit processuel
Réf. : CA Paris, 5 juin 2014, n˚ 2014/00 431 (N° Lexbase : A3527MR3)
L'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, rendu le 5 juin 2014 (CA Paris, 5 juin 2014,
n˚ 2014/00 431 N° Lexbase : A3527MR3), remet au cœur des débats la question de la loyauté des preuves
car il valide la sonorisation des locaux de garde à vue, admettant ainsi l'obtention des preuves par ce canal.
Pourtant, la Cour de cassation avait cassé la décision antérieure de la cour d'appel de Versailles qui avait
également admis un tel procédé, estimant qu'il s'agissait d'un procédé déloyal de recherche des preuves
violant ainsi le droit à un procès équitable et au principe de loyauté des preuves (Cass. crim., 7 janvier 2014,
n˚ 13-85.246, FS-P+B+I N° Lexbase : A0243KT8).
Cette décision soulève de nombreuses interrogations liées aux conditions d'obtention des preuves en matière pénale.
Pour évoquer le sujet, les éditions Lexbase ont rencontré Maître Elias Stansal, Avocat au barreau de Paris.
Lexbase : Le 5 juin 2014, la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris a rendu sa décision sur la
sonorisation des locaux de garde à vue. Pouvez-vous revenir sur les faits ?
Maître Stansal : Il s'agit d'une affaire de vol à main armée dans une bijouterie. Deux suspects ont été interpelés,
amis de longue date. Pour l'un d'entre eux, il n'existe aucune preuve de sa participation, au-delà de sa proximité
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avec l'autre suspect. Il y a donc eu une décision prise par le juge d'instruction de les placer dans deux cellules
mitoyennes afin de provoquer une communication entre eux et d'écouter ce qu'ils se disent.
Lexbase : La Cour de cassation avait retenu, dans sa décision du 7 janvier 2014, pour casser la décision
de la chambre de l'instruction de Versailles, ayant validé la sonorisation des locaux de garde à vue, que
"la conjugaison des mesures de garde à vue, du placement de MM. A. et H. dans des cellules contiguës et de
la sonorisation des locaux participait d'un stratagème constituant un procédé déloyal de recherche des preuves,
lequel a amené M. H. à s'incriminer lui-même au cours de la garde à vue". Un tel procédé, ayant été considéré
par la Cour de cassation comme déloyal, comment justifier la décision de la cour d'appel de renvoi ?
Maître Stansal : La décision de la cour d'appel de renvoi est injustifiable et témoigne d'une réticence à faire de
la garde à vue un espace dans lequel les droits de la défense et les garanties accordées par la loi à la personne
gardée à vue, et notamment le droit au silence, ont une effectivité.
C'est d'autant plus incompréhensible que, sur la notion de loyauté, la Chambre criminelle de la Cour de cassation,
dans un arrêt de principe, pose en quelque sorte un jugement de valeur sur ce concept qui tend à lui donner tout
son sens.
Lexbase : Pensez-vous que la Cour de cassation est en partie responsable de cette prise de position de la
cour d'appel puisque depuis l'arrêt "Wilson", rendu le 31 janvier 1888, elle n'a fait de ce principe de loyauté
qu'un simple principe de dignité, voire de pure déontologie, attaché la fonction d'enquêteur ?
Maître Stansal : Non, la Chambre criminelle de la Cour de cassation ne fait que consacrer une évolution législative
sur les droits de la personne gardée à vue, notamment sur le droit au silence, et une évolution jurisprudentielle sur
ce principe de loyauté.
Au terme de cette évolution, la loyauté est définie par la doctrine comme la prohibition des procédés d'obtention
de la preuve échappant à toute réglementation ou, en apparence, conforme à celle-ci, visant à l'insu du suspect ou
contre son gré, soit la provocation de l'infraction, soit à éluder les protections prévues par la loi.
C'est pour ces raisons, que ce qui est considéré comme déloyal est la conjugaison de la mesure de la garde à
vue, dans laquelle le droit au silence existe, et la sonorisation des cellules, qui a pour objectif de recueillir des
informations à l'insu de la personne.
D'ailleurs, la Chambre criminelle avait déjà considéré comme déloyal le fait pour un officier de police judicaire de
transcrire des propos qui lui sont tenus officieusement par une personne suspectée, ce qui tend à éluder les droits
de la défense (Cass. crim., 3 avril 2007, n˚ 07-80.807, F-P+F+I N° Lexbase : A0391DWE ; Cass. crim., 5 mars 2013
, n˚ 12-83.220, F-D N° Lexbase : A2632KB4).
Lexbase : Vous avez décidé de vous pourvoir en cassation, quels sont les arguments que vous comptez
mettre en avant pour éviter une confirmation de la décision de la cour d'appel de Paris ?
Maître Stansal : Les mêmes arguments que ceux qui ont conduit la Chambre criminelle à se prononcer dans l'arrêt
en date du 7 janvier 2014. D'autant que le Parquet général de la Cour de cassation s'était associé à notre argumentation et avait requis la cassation. Cette argumentation visait à soutenir que la sonorisation mise en œuvre durant
une mesure de garde à vue constitue un stratagème actif de la part des autorités policières et judiciaires assurant
aux enquêteurs le recueil de propos qu'ils n'auraient pu intercepter dans d'autres circonstances. Il en résultait une
violation évidente du principe de loyauté de la preuve. Aussi, le droit de ne pas s'incriminer soi-même impose le
respect de la détermination d'un accusé à garder le silence et présuppose que, dans une affaire pénale, l'accusation cherche à fonder son argumentation sans recourir à des éléments de preuve obtenus par la contrainte ou des
pressions, au mépris de la volonté de l'accusé. La sonorisation des cellules de garde à vue visant à surprendre les
propos de la personne durant son temps de repos est manifestement contraire aux articles 63-1 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L3163I3K). Enfin, si l'article 706-96 du Code pénal (N° Lexbase : L9744HEM) prévoit les
modalités de la sonorisation en tous lieux privés ou publics, en matière de criminalité organisée, aucune disposition
légale ni aucune jurisprudence ne permettait au demandeur de prévoir qu'il était susceptible d'être mis sur écoute
durant le déroulé même de sa mesure de garde à vue. Il en résulte que la condition selon laquelle l'ingérence dans
le droit à la vie privée doit être prévue par la loi n'est pas remplie, de sorte qu'il y a eu violation de l'article 8 de la
Convention européenne des droits de l'Homme (N° Lexbase : L4798AQR).
Lexbase : Au final, si la fin ne justifie pas les moyens, le principe même de la garde à vue, qui suppose
une mesure de contrainte visant à maintenir à disposition des enquêteurs une personne soupçonnée, pour
les nécessités d'une enquête, est-il compatible avec le droit au respect de la vie privée, énoncé par l'article
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8 de la Convention européenne des droits de l'Homme (N° Lexbase : L4798AQR), que vous avez soutenu,
sachant que l'alinéa 2 dudit article apporte des restrictions à ce droit ?
Maître Stansal : La question se posait effectivement de savoir s'il pouvait subsister pour la personne en garde à
vue, une vie privée dans le cadre de cette mesure de contrainte et si le temps de repos dans les cellules pouvait
apparaître comme le dernier refuge disponible pour l'esprit et le corps du suspect. Si cette question est intéressante,
ce n'est pas sur ce terrain que la Chambre criminelle s'est fondée pour condamner le stratagème mis en place. La
Haute juridiction a surtout retenu que ce stratagème, visant à conjuguer des mesures de garde à vue, de placement
de MM. Y et X dans des cellules contiguës et la sonorisation des locaux constituait un procédé déloyal de recherche
des preuves, lequel a amené M. X à s'incriminer lui-même au cours de sa garde à vue. L'article 6 de la Convention
européenne de sauvegarde des droits de l'Homme ayant dès lors été méconnu.
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