1 NAZISME, SCIENCE ET MEDECINE Compte
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1 NAZISME, SCIENCE ET MEDECINE Compte
NAZISME, SCIENCE ET MEDECINE Compte-rendu du Colloque des 17-18 et 19 novembre 2005 à Strasbourg Colette VIDAILHET, Professeur émérite de Pédo-psychiatrie En tant que Présidente de la Société de Psychiatrie de l’Est et à l’occasion du 60e anniversaire de la fin de la deuxième guerre mondiale et de la libération des camps de concentration, je propose que la séance de notre Société de novembre 2005 à Strasbourg soit consacrée au « traitement » des malades mentaux pendant la guerre de 39/45, tant en Allemagne nazie qu’en France, et que nous tentions de comprendre comment des médecins, contre toute éthique médicale, en soient arrivés à se comporter en bourreaux. La proposition est acceptée à l’unanimité par le Conseil d’Administration. Il se trouve que l’Université Louis Pasteur de Strasbourg et la Faculté de Médecine avaient envisagé un colloque sur Sciences, Médecine et Nazisme à la même époque. Nous avons donc travaillé ensemble sur un programme de 3 jours qui a réuni des psychiatres, des historiens français, allemands et suisses, des professeurs d’histoire des sciences, de la science nazie et du national socialisme… Je vais résumer les travaux de recherche très documentés et très argumentés présentés durant ces 3 journées. Je les présenterai en trois parties : - Les faits et les expérimentations humaines - Le contexte dans lequel ils ont eu lieu - L’interprétation des faits. LES FAITS 1. L’extermination des malades mentaux En 1934/1935, Hitler promulgue 4 lois sur la ségrégation raciale et la protection de la race, dont 2 concernent les malades mentaux. Le 9 octobre 1939, Hitler demanda à son médecin personnel, le Docteur Karl Brandt et à 1 Philippe Bouhler, chef de la Chancellerie, de choisir des médecins qui auraient l’autorisation « d’accorder une mort miséricordieuse aux vies indignes d’être vécues ». Ce fut le début de l’Action T4. Elle fit disparaître 70 000 patients des asiles allemands dans des chambres à gaz, installées à cet effet dans 6 établissements répartis sur le territoire du Reich : Grafeneck – Brandebourg – Bernburg- Hartheim – Sommersheim – Hadamar. L’opération T4 fut interrompue en août 41, pas seulement à la suite des protestations des familles et des églises protestante et catholique, dit-on, mais parce qu’Hitler avait jugé la méthode trop visible malgré le secret qui l’entourait. Cela ne signifia pas l’arrêt de la mise à mort des malades mentaux qui toucha, de façon plus discrète, toutes catégories de malades, 250 000 environ, laissés sans nourriture, sans soins, ou « bénéficiant » d’injection de scopolamine, morphine, véronal. Cette extermination avait été précédée, dès 1933, d’au moins 350 000 stérilisations forcées de malades mentaux. En 1940, 600 malades de l’hôpital de Rastatt (pays de Bade), furent transférés dans un asile relais avant d’être exécutés à Grafeneck. En 1992, 30 000 dossiers de malades assassinés sont retrouvés dans les archives de la STASI et étudiés à l’institut d’Histoire de la Médecine de Heidelberg et de Giessen. Il faudra attendre plusieurs décennies pour que la mise à mort des malades mentaux en Allemagne puisse sortir du cercle confidentiel de quelques historiens et psychiatres… En effet la plupart des psychiatres et des cadres de la société, responsables de l’extermination des malades mentaux et des populations considérées comme de moindre valeur, étaient toujours en fonction après la guerre. 2 En France, plus de 40 000 malades mentaux hospitalisés dans les hôpitaux psychiatriques français, sont morts de faim, de froid et d’infections causées par la dénutrition. Pour les hôpitaux psychiatriques alsaciens, Stephansfed, Hoerdt, Rouffach, ils furent épargnés par l’opération T4, la plupart des malades, 1 500 environ, ayant été évacués vers les hôpitaux de France de l’intérieur avant l’arrivée des Allemands. En 1943, il a fallu héberger des soldats et civils allemands blessés de guerre, donc faire de la place dans les hôpitaux. Une centaine de malades des hôpitaux psychiatriques alsaciens furent transférés à l’institut Hadamar où ils furent gazés. Ordre avait été donné de sélectionner les patients qui n’avaient plus de famille ou qui étaient restés depuis longtemps sans nouvelle. Des médecins participèrent à cette sélection. 2. Les expérimentations humaines Pas moins de 80 programmes d’expérimentations humaines se sont déroulés dans les camps de concentration, les prisons, les hôpitaux psychiatriques. Volker Roelck, psychiatre, professeur d’histoire de la médecine à l’Université de Giessen, en donne les grandes directions. Elles étaient le fait de scientifiques agissant avec méthode et professionnalisme et non le fait de farfelus. Il évoque les expériences de Biekenbach, professeur agrégé de l’Université de Heidelberg, sur le phosphène, gaz de combat utilisé dans la première guerre mondiale. Il expérimente les anticoagulants pour leur effet thérapeutique sur les oedèmes pulmonaires provoqués par le phosphène. Les expériences ont lieu au camp de concentration nazi du Struthof, près de Strasbourg. Beaucoup de prisonniers sont morts après d’horribles souffrances, la dose de phosphène étant au-dessus de la valeur limite mortelle. 3 L’historien Benoît Massin, professeur de Université Paris XI, relate les travaux de Mengele, docteur en médecine et en anthropologie, très intégré dans la communauté scientifique, connu par ses travaux sur le concept d’expressivité des gènes et de variations de leurs manifestations, promu à une carrière universitaire. Directeur du camp d’Auschwitz-Birkenau, il a travaillé sur les jumeaux, les groupes sanguins, les personnes ayant des difformités, les yeux d’enfants (matériel humain qu’il s’est procuré après la rafle du Vel d’Hiv – 16,17 juillet 1942 : 5 000 policiers et gendarmes français déclenchent l’une des grandes rafles de l’histoire dans le cadre de la solution finale ; 12 884 juifs sont arrêtés dont 4 051 enfants déportés à Auschwitz et qui fournirent le matériel de recherche pour Mengele qui sélectionnait aussi, à l’arrivée des trains, les détenus productifs des bouches inutiles. Mengele partageait l’obsession nazie de pouvoir différencier les juifs sur des caractéristiques, entre autres, anthropologiques. Il cherchait à mettre au point une technique pour établir les certificats raciaux qui permettaient aux citoyens allemands de prouver qu’ils n’étaient pas juifs mais de race aryenne. Qui est juif était défini par les lois raciales de Nuremberg 1935, basées sur la généalogie. Il y avait les juifs complets (3-4 grands-parents juifs), les métis juifs du 1er degré (2 grands-parents juifs) et les métis juifs du 2e degré (1 grand-parent juif). En 1943, 22 instituts d’anthropologie, de biologie raciale, d’hygiène raciale et de science de la race, plus 12 experts individuels distribuaient ces certificats. Plus de 130 caractéristiques morphologiques étaient répertoriées. Toujours dans le cadre de ces « recherches » et expérimentations, 86 corps, dont 16 intacts, les autres en morceaux, furent retrouvés à l’institut d’anatomie de la faculté de Médecine de Strasbourg dirigé, pendant la guerre, par le Professeur August Hirt. En 1943, 86 juifs furent gazés par les SS dans le camp de Struthof et transférés à Strasbourg dans un but de collection de squelettes, qui ont été découverts en 1944. Je rappelle que la faculté de Médecine de 4 Strasbourg avait été transférée à Clermont-Ferrand pour laisser place, en 1939, à la ReichsUniversität Strassburg allemande. Le journal d’Auvergne, la Montagne, du 27 novembre 2005, rappelle que le 25 novembre 1943, la Gestapo procéda à une rafle des étudiants, professeurs alsaciens, doyens, juifs ou pas ; 139 au total sont morts, fusillés ou déportés. Parmi ceux restés en vie, Léonard Singer, étudiant en Médecine de Strasbourg, qui deviendra Professeur de psychiatrie à Strasbourg et qui était alors réfugié à Clermont-Ferrand, apportera son témoignage lors de ces journées. LE CONTEXTE 1. L’eugénique : Science fondée sur la génétique qui étudie et met en œuvre les moyens d’améliorer l’espèce humaine, de construire une humanité saine, en favorisant l’apparition de certains caractères (des femmes allemandes acceptaient d’engendrer des enfants issus de purs aryens) et en éliminant les maladies héréditaires. Ces deux moyens furent utilisés par les nazis. La pensée eugénique est un mouvement global qui alimente pendant presque un siècle des idéologies et la recherche scientifique. L’idéologie nazie, s’est aussi emparée d’autres théories, en particulier la théorie des dégénérescences de Morel puis de Magnan du milieu du XIXe siècle : certaines maladies ou certains comportements se transmettent dans un mouvement de dégénérescence progressive des générations atteintes. Et au début du XXe siècle, la théorie des constitutions de Dupré qui considérait la maladie mentale comme fixée et se transmettant de façon héréditaire, a également été « utilisée » pour « justifier » les pratiques nazies. En 1920 parut en Allemagne un livre co-signé par le juriste Karl Binding et le psychiatre Alfred Hoche, qui plaide pour l’élimination de la vie indigne d’être 5 vécue. Ce livre annonçait la rencontre de l’eugénisme et de l’idéologie raciale et antisémite nazie. Nous avons vu des films de propagande sanitaire où étaient exhibés l’anormal, le handicap, confondant malades mentaux et criminels, les assimilant aux monstres sociaux, justifiant, au nom de la conservation de la race, l’élimination des individus de moindre valeur, les êtres inférieurs pesant, de plus, lourd sur le budget de l’état… L’extension était faite aux juifs considérés comme des soushommes, aux homosexuels, aux tziganes… 2. L’adhésion des médecins allemands à l’idéologie nazie, pour la moitié d’entre eux, a permis que de tels faits se produisent. Le Professeur Wulff, psychiatre et professeur émérite à l’Ecole de Médecine de Hanovre affirme que beaucoup de psychiatres allemands de renom ont participé aux délibérations destinées à élaborer une loi autorisant la mise à mort des malades incurables et inaptes au travail et ont participé à la sélection des malades en vue de leur transfert dans des hôpitaux où ils étaient gazés. Aucune voix de la psychiatrie universitaire ne s’élèvera contre une telle tuerie, dit-il. Il cite cependant une ou deux exceptions, en particulier du Professeur Ewalh de Nottingen. Nous avons vu ce qu’il en était de l’attitude des médecins en Allemagne nazie par rapport aux malades mentaux, j’ai repris un article du Quotidien du Médecin du 8 novembre 2006 qui fait état du travail de recherche de l’union régionale des médecins de Berlin. En 1933, Berlin comptait 8 000 praticiens dont 3 000 juifs, en 1938 il reste 285 médecins juifs en exercice. L’article titre « Les médecins indifférents au sort de leurs confrères juifs ». 3. Le charisme d’Hitler Après la pensée eugénique, le contexte d’adhésion des médecins au régime nazi, c’est l’aura, le charisme d’Hitler dont la paranoïa et la mégalomanie ont 6 subjugué les Allemands après leur défaite de 1914/1918. Le Professeur Singer a, lors de conférences précédentes, étudié la personnalité d’Hitler dont le charisme a permis que tout un peuple ou presque se soumette à sa loi. L’INTERPRETATION DES FAITS Au préalable, deux remarques : - Au procès de Nuremberg, tous les accusés ont plaidé non coupables, ils obéissaient aux ordres et ne savaient pas. - Le pardon demandé aux juifs par l’Allemagne, le Pape, le président Chirac au nom de la France, le président du Conseil de l’Ordre des Médecins français. L’historienne lyonnaise, Isabelle Von Bueltzingsloewen, a développé sa thèse à propos des 40 000 malades mentaux morts dans les hôpitaux psychiatriques français. En effet, depuis 20 ans, ce fait a donné lieu à des interprétations différentes et nourrit une polémique pas prête de s’éteindre. Les uns estiment que compte tenu du contexte, en particulier du manque de ravitaillement, cela était difficilement évitable. Les autres estiment que la sous-alimentation des malades mentaux a été délibérément provoquée par le régime de Vichy. Cette thèse a été défendue par Lucien Bonnafé et actuellement par Patrick Lemoine. Vichy aurait exécuté la politique dictée par l’occupant, et les malades mentaux français auraient partagé le sort des malades mentaux allemands. Max Laffont, psychiatre, dans sa thèse de médecine soutenue en 1981 : « L’extermination douce » éditée en 1987, affirme que le régime de Vichy n’a 7 pas organisé la famine mais a abandonné à la mort des êtres improductifs et différencie le scénario français du scénario allemand. Il estime toutefois que ce fut une façon « sournoise » de se débarrasser des malades internés et qu’il s’agit de non assistance à personne en danger et de crime contre l’humanité. Vichy aurait délibérément laissé mourir les malades mentaux. La famine apporte la preuve du caractère eugéniste du régime de Vichy et accentue sa dimension criminelle. L’historienne répond : « est-il besoin d’inventer un génocide pour démontrer que Vichy était un régime criminel ? ». Elle parle de surenchère qui instaure une concurrence malsaine entre le régime de Vichy et le régime nazi. Elle utilise la méthode historique qui exige de souligner les éléments de convergence, c'est-à-dire les ressemblances, et de pointer les éléments de différenciation, c'est-à-dire les différences, afin d’évaluer le degré de distance ou de proximité entre deux réalités, pour ce qui nous concerne celle des malades mentaux en Allemagne et celle des malades mentaux en France. Or, dit-elle, il existe des écarts considérables entre le sort des malades mentaux allemands et français. En Allemagne, ce fut planifié (T4). La famine qui décime les malades des hôpitaux psychiatriques français n’était pas programmée par les autorités. Si on admet qu’il n’est pas d’extermination sans intentionnalité, elle ne peut être assimilée à une entreprise génocidaire, ce qui ne signifie pas que Vichy n’a aucune responsabilité dans ce drame puisque Vichy a fait le choix de la collaboration et de céder aux exigences allemandes. Si Vichy a laissé mourir sans rien faire pour sauver les malades, la question de l’intentionnalité se pose malgré tout. Or, le 4 décembre 1942, une circulaire prise par le secrétariat d’état à la famille et à la santé, alloue des suppléments de ration aux aliénés internés, circulaire appliquée qui s’est traduite par une diminution de la mortalité. 8 Autre différence entre la France et l’Allemagne : l’attitude des psychiatres en charge des aliénés en France et en Allemagne est un autre élément de différenciation majeure. En Allemagne, il y a eu l’assentiment d’une grande majorité de psychiatres. En France, les psychiatres n’ont pas réclamé l’euthanasie des malades incurables… même si certains se sont laissés gagner par le découragement et la passivité. Isabelle Von Bueltzingsloewen dit qu’en France, l’argument humaniste qui consiste à protéger les plus faibles l’a emporté, peut-être de justesse mais l’a emporté sur les arguments eugénistes et économiques. Elle dénonce la récupération de la comparaison faite par certains psychiatres, même si cela est justifié par des impératifs militants respectables. Elle plaide pour une éthique de la comparaison. Elle conclue néanmoins que les malades mentaux morts de faim pendant la guerre sont des victimes à part entière dont le destin interroge toujours et avec quelle violence, notre société sur son rapport à la folie et à ceux qui en sont atteints. BIBLIOGRAPHIE : Nazisme, Science et Médecine. Editions Glyphe, 85 avenue Ledru Rollin, 75012 PARIS. www.editions-glyphe.com, 2006 9