Polytechnique

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Polytechnique
Actu SES © Hatier – Joëlle Bails
Fiche d’exploitation pédagogique
Recherche Kevin à Polytechnique
Maryline Baumard, Le Monde, 9 octobre 2013.
Et si on regardait de plus près les prénoms des 398 reçus français au concours 2013 de
Polytechnique ? Une plongée rafraîchissante dans « l'ouverture sociale » tant promise des
grandes écoles...
Dans la longue liste, l'œil cherche longtemps, désespère un peu, avant de s'arrêter sur un
Ibrahim, un Omar, un Rami et un Ronh-Haï... Sur quatre centaines de reçus en liste principale,
ils sont les seuls représentants visibles des vagues d'immigrations qu'a connues le pays...
même en ajoutant une Mounira qui s'est glissée côté filles, le compte n'y est pas vraiment pour
les prénoms qui rappellent que la France est une terre d'accueil. Même si certaines familles
venues d'ailleurs ont opté pour des prénoms français.
Peut-être aura-t-on plus de chance côté prénoms populaires... En 1993, le prénom de garçon le
plus donné en France est Kevin. Or les Kevin sont quatre à intégrer l'Ecole.
Quatre jeunes hommes qui font mentir la sociologie qui veut que les consonances anglosaxonnes soient l'apanage des milieux populaires, ou le déterminisme social qui veut, lui, que
les enfants d'ouvriers entrent peu dans les plus prestigieuses écoles de la nation. Tous quatre
sont la preuve vivante que les statistiques mentent. Mais c'est un tout petit mensonge, car ils
ne sont pas bien nombreux, les Kevin !
[…]
En effet, si 3,3 % des garçons ont été baptisés Kevin en 1993, 17 % d'entre eux ont ensuite
passé un bac général ou technologique et quatre sont à l'X.
Si l'on s'intéresse maintenant à Antoine, prénom le plus représenté dans la promotion 2013
avec une vingtaine d'occurrences, ce n'est que le 14e prénom le plus donné dans le pays cette
année-là... Antoine figure alors sur 1,4 % des actes de naissance des garçons, et parmi eux, 37
% décrochent un bac en 2011 (dont 450 avec une mention bien ou très bien, contre deux fois
moins de Kevin, selon les travaux du sociologue Baptiste Coulmont). Déjà les Antoine ont
l'avantage !
L'Antoine serait-il bourgeois ? En tout cas, il est classé dans les prénoms les plus donnés par
l'irremplaçable carnet du quotidien Le Figaro en 1993. Mieux, les 20 prénoms les plus
fréquemment choisis par la frange de population qui se doit d'annoncer une naissance dans le
journal conservateur, incluent 13 des 16 prénoms les plus représentés à Polytechnique à cette
rentrée. Seul l'ordre diffère.
Au Figaro : Alexandre, Antoine, Louis forment le trio de tête. A l'X, c'est Antoine,
Alexandre, Paul et Thomas... « Pour les garçons, je suis frappé par des prénoms en majorité
extrêmement "classiques", a priori apanage des catégories supérieures dans la liste des
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lauréats », observe Cyril Grange, sociologue qui s'est intéressé aux prénoms du bottin
mondain.
Les X-2013 s'appelleront donc par ordre décroissant : Antoine, Alexandre, Paul, Thomas,
Pierre, Nicolas, Guillaume, Vincent, Adrien, Hugo... A côté d'eux, huit Charles vont cette
année côtoyer trois Côme, un Vianney, un Georges-Edouard ou un Vivek.
[…]
Difficile de s'arrêter longuement sur les jeunes femmes qui représentent une autre minorité
dans l'école. La promo 2013 en compte seulement 54, soit 13,56 % des effectifs. Mathilde et
Louise arrivent en tête avec trois occurrences chacune. Mathilde est bien placée dans les
carnets 1993 du Figaro, où Louise en revanche ne trouve pas place dans les vingt premières.
[…]
« Les parents s'octroient toujours plus de liberté lors du choix des prénoms féminins, même
au sein des familles bourgeoises. On trouve des Maeline, Coline, Livia et Faustine parmi les
reçues. En revanche il y a une absence de prénoms anglo-saxons chez les filles qui oblige à se
demander si l'ouverture sociale de l'X serait plus restreinte chez elles que chez les garçons »,
s'interroge M. Grange. La question reste ouverte.
Cet article ne plaide pas pour qu'on brade le bicorne. Polytechnique rêve sûrement d'intégrer
plus de boursiers, mais évidemment le concours, c'est le concours. Les 7,3 % que la
prestigieuse maison intégrait en 2007 sont montés à 13,6 % cette année, mais pour aller plus
loin, c'est au système scolaire en amont d'assurer sa mission de promotion sociale. Si on n'y
parvient pas, l'efficience intellectuelle de nos futurs polytechniciens risque de finir par baisser
pour cause de consanguinité.
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Exploitation pédagogique
1. Montrer la corrélation entre deux variables
a. Quelle est la population observée par l’auteure de l’article ?
b. Remplissez le tableau suivant à partir des informations chiffrées fournies par l’article. Faites les
calculs nécessaires pour compléter la dernière ligne.
Kevin
Antoine
Fréquence du prénom parmi
les garçons nés en 1993
Rang des prénoms masculins
donnés en 1993
Taux d’obtention du bac en
2011
Occurrence du prénom parmi
les reçus à Polytechnique en
2013
Fréquence du prénom parmi
les garçons reçus à
Polytechnique en 2013
c. Quelle corrélation ces données mettent-elles en évidence ? Justifiez précisément votre réponse.
d. L’article cite d’autres prénoms peu représentés à Polytechnique : lesquels ?
2. Distinguer corrélation et causalité
a. Qu’est-ce qui permet d’identifier Kevin comme « prénom populaire » ?
b. Quels sont les prénoms les plus fréquents parmi les garçons reçus à Polytechnique ?
c. Qu’est-ce qui permet d’identifier ces prénoms comme des « prénoms bourgeois » ?
d. Est-ce le prénom qui favorise la réussite à Polytechnique ? Déduisez de votre réponse la différence
entre corrélation et causalité.
e. Pourquoi est-il plus difficile d’appliquer la même analyse aux filles ?
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Corrigé
1. Montrer la corrélation entre deux variables
a. La promotion 2013 de Polytechnique, soit 398 jeunes dont 54 filles.
b.
Fréquence du prénom parmi
les garçons nés en 1993
Rang des prénoms masculins
donnés en 1993
Taux d’obtention du bac en
2011
Occurrence du prénom parmi
les reçus à Polytechnique en
2013
Fréquence du prénom parmi
les garçons reçus à
Polytechnique en 2013
Kevin
3,3 %
Antoine
1,4 %
1er
14e
17 %
37 %
4
20
4/344 soit 1,2 %
20/344 soit 5,8 %
c. Corrélation entre le prénom et la réussite scolaire.
Alors que les garçons prénommés Kevin sont 2,4 fois plus nombreux que les Antoine dans la
génération 1993, ils sont 5 fois moins représentés dans la promotion 2013 de Polytechnique. Dès le
niveau bac, on observe un écart significatif du taux d’obtention (plus que du simple au double).
d. Les prénoms d’origine immigrée. Il y en a 5 au total, 4 masculins et 1 féminin sur près de 400
reçus.
2. Distinguer corrélation et causalité
a. C’est le prénom le plus attribué aux garçons en 1993. De plus, des travaux de sociologues ont
montré le goût des classes populaires pour les prénoms à consonance anglo-saxonne.
b. Antoine, Alexandre, Paul, Thomas, Pierre…
c. Ce sont des prénoms très « classiques ». La comparaison avec les prénoms du carnet du Figaro
montre une grande similitude. Or, Le Figaro est un quotidien conservateur dont le lectorat, et encore
davantage les annonceurs du carnet de naissances, sont les catégories sociales supérieures. Ce sont
également des prénoms fréquents dans le bottin mondain (annuaire de la « bonne société »).
d. Évidemment non ! Il n’y a pas de déterminisme entre le prénom et le succès à Polytechnique. En
fait, le prénom traduit, « de manière imparfaite et floue » (pour reprendre l’expression de Baptiste
Coulmont), l’origine sociale de l’individu, laquelle influe sur le parcours scolaire. Il y a donc une
variable cachée, l’origine sociale, qui influence à la fois le choix du prénom et la réussite scolaire. On
peut aussi appliquer ce raisonnement aux prénoms d’origine immigrée, ces derniers étant
surreprésentés dans les catégories populaires.
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Une corrélation est une relation statistique entre deux variables. Mais quand deux variables sont
corrélées, cela ne signifie pas forcément que l’une est la cause de l’autre. Il peut effectivement y
avoir causalité (en ce cas, il faut identifier le sens de la causalité), mais il se peut aussi qu’une
troisième variable agisse sur chacune des variables corrélées, comme c’est le cas ici.
e. Les filles sont très peu parmi les reçus (54/398) donc la taille de l’échantillon est très faible et les
occurrences de tel ou tel prénom trop peu nombreuses pour être significatives. De plus, il semble
que l’attribution des prénoms féminins soit moins déterminée socialement. Cela dit, l’absence de
prénoms anglo-saxons (typiques comme on l’a dit des milieux populaires) peut être vue comme un
indice, là encore, de la très faible ouverture sociale de l’école.
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