Comment les éleveurs laitiers s`adaptent

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Comment les éleveurs laitiers s`adaptent
28 - 22 MARS 2012
RÉUSSIR - L’AGRICULTEUR NORMAND
COMPRENDRE
AGRI BIO Romaine et Stephane Collin, couple d’éleveurs laitiers dans le sud de la Manche,
se sont installés en 2000 et leur parcours les a menés progressivement à adapter l’exploitation
au mode de production biologique.
Comment les éleveurs laitiers s’adaptent-ils
au mode de production biologique
e démarrage de la conversion
date de mai 2009. La certifiLcation
de l’exploitation est donc
récente (mai 2011).
Des atouts pour envisager
le changement
Un système économe
conduit techniquement
Stéphane a été conseiller d’élevage en Bretagne et a une approche très technique du métier. Le
choix d’une conduite économe
en intrants a été fait, conforté par
leurs résultats économiques
situés en tête d’un groupe CETA
qu’ils fréquentaient.
Se convertir en production biologique leur paraît alors dans un
prolongement logique, d’autant
que la filière laitière biologique
est en forte demande en 2009, et
que le diagnostic de départ montrait des atouts.
Les motivations de Stéphane et
Romaine ont rendu facile la collecte des nouveaux repères pour
conduire le projet : visites de fermes, journées de formation. Des
liens ont été créés avec les agriculteurs biologiques pour tester
les techniques “nouvelles”
(emprunt de matériel de désherbage mécanique, application de
phytothérapie sur le troupeau).
Le couple a souhaité mesurer la
distance à parcourir dans ce
changement en réalisant une
étude de faisabilité. Simulation
d’assolement, alimentation du
troupeau et prévisionnel économique étaient le contenu de l’étude pour y voir plus clair avant
la décision.
Atouts liés à la situation initiale
de l’exploitation
Tableau 1.
Changements relationnels
Il n’y a pas eu d’appréhension par
Le système d’alimentation des vaches laitières s’avère efficace, même si la croissance faible de l’herbe
au printemps 2011 a généré une utilisation des stocks et concentrés plus soutenue que les objectifs.(CA 50)
rapport au changement d’environnement socioprofessionnel.
Les éleveurs on testé (favorablement) le regard de collègues à
l’occasion d’une porte ouverte où
l’exploitation a servi de support
sur le thème “la bio pourquoi pas
vous ?” avec des simulations du
passage en bio.
Le maintien de chantiers d’ensilage, et l’utilisation du matériel
de la CUMA, permet qu’il n’y ait
pas de déconnexion avec les collègues. Stéphane et Romaine ont
cependant rarement l’occasion
d’y parler de leurs expériences et
de leurs challenges techniques.
Les éleveurs ressentent toutefois
une impression d’éloignement
vis-à-vis de l’entreprise transformant leur lait en bio, la collecte
étant réalisée par une laiterie
conventionnelle.
Changements réalisés
au niveau agronomique
Aléas climatique
et agrandissement
Le projet a été compatible avec
un agrandissement non prévu en
2010 de 9 ha. Celui-ci s’accompagne d’une augmentation de
40 % du quota laitier, permettant
de sécuriser l’installation de
Romaine. Cela modifie le projet
> Tableau 1 - Atouts liés à la situation initiale de l’exploitation
Structure
60 % des terres de bonne qualité autour du siège,
groupée
favorable à un système centré sur le pâturage
Densité
en terme de surface et surtout
amène comme challenge d’atteindre une bonne productivité
par vache en conduite économe.
On rejoint les aspirations des
deux éleveurs.
Le coup de sec de 2012 a été géré
sans trop de casse : la diversification de l’assolement (incluant
un mélange céréalier) a permis
d’affecter toute la surface en fourrage pour compenser le manque
d’herbe de mai et juin
Les conditions favorables de fin
d’été 2011 ont permis un pâturage seul jusqu’au 15 septembre
et finalement généré des reports
de stocks importants (tableau 2).
- La rotation
La mise en place de la rotation
est stratégique quand on passe
en bio. 42 ha autour du siège,
tournaient déjà avec les prairies
temporaires. Mais 22 ha sur des
parcelles plus dispersés rentrent
progressivement en rotation
depuis 2 ans.
La rotation va être de type “5 + 2”
soit 5 années de prairies temporaires suivies de 2 cultures : maïs
puis céréale (ou mélange céréales-protéagineux), ou 2 maïs
successifs. Les parcelles avec
2 années de maïs nécessiteront
Les expériences sur les cultures
Le volet désherbage mécanique
avait été abordé avec insuffisamment d’anticipation et avec
l’utilisation d’une herse étrille en
mauvais état, ce qui a débouché
sur une culture insuffisamment
propre.
Des semis sous couvert de méteil
ont été semés au printemps 2011 :
trèfle hybride + ray grass et
fétuque élevée. Seul le trèfle s’est
développé avec les conditions
sèches de 2011, un sursemis au
printemps 2012 est prévu.
Les prairies temporaires éloignées sont principalement vouées
Précision ppp
Dans les différents
tableaux, la colonne
“étude” indique
les prévisions réalisées
à l’occasion d’une étude
prévisionnelle réalisée
avant la conversion.
> Tableau 2 - Aléas climatique et agrandissement
Avant
Nov 2011
Etude
2007-2008 Clotûre juin 2011 de conversion
et permettant la rotation.
SAU
4 800 l/ha
Prairies
SAU possibilités de réorganisation :
un semis intercalaire ou sous
couvert pour couvrir le sol en
hiver avant de réimplanter un
nouveau maïs ou la prairie au
printemps.
77 ha
86 ha
77 ha
18 ha
18 ha
18 ha
laitière
des cultures de vente peuvent être transformées
permanentes
modérée
en surface fourragère.
Prairies
Pratiques
Système de rotation avec les prairies sur une partie
temporaires
22 ha
53,5 ha
39 ha
Maïs fourrage
12 ha
8,5 ha
8,5 ha
-
6 ha
-
52 ha
86 ha
65,5 ha
25 ha
-
11,5 ha
favorables de l’exploitation. Recherche de pratiques
Situation
économes. Taux modéré de maïs ensilage
Méteil
et longue durée de pâturage.
Surface
Possibilité d’un projet d’aménagement du bâtiment
fourragère
financière des vaches et des installations de traite,
Céréale
favorable
ou mélange grain
vu l’augmentation du nombre de vaches.
à la fauche. Des implantations
ont été faites en mélanges trèfle
violet/fétuques élevées ainsi qu’en
multi-espèces depuis 2010.
La fertilisation consiste actuellement à utiliser le lisier des
vaches en épandage sur les prairies et le fumier des élèves sur le
maïs. Le raisonnement va être
affiné en concentrant davantage
les épandages sur les prairies de
fauche et en retenant l’objectif
d’un entretien calcique régulier
sur l’ensemble des prairies.
La luzerne n’a pas été suffisamment bien valorisée selon l’éleveur : il a tenté une récolte en
enrubannage sous forme de brins
longs, mais le fourrage s’avère
trop encombrant pour les vaches.
Sur le troupeau :
peu de concentrés
mais une bonne
production laitière
Le système d’alimentation des
vaches laitières s’avère efficace,
même si la croissance faible de
l’herbe au printemps 2011 a
généré une utilisation des stocks
et concentrés plus soutenue que
les objectifs.
L’herbe qui tient un place importante dans l’alimentation est bien
valorisée : gestion rigoureuse du
pâturage et stades de récolte, ce
qui permet une autonomie élevée en protéines et explique l’efficacité de la ration.
Les performances animales sont
très bonnes : 6 500 kg de lait brut.
25 tonnes de concentrés (et minéraux) seulement utilisés sur
l’exercice 2010-2011, soit 300 kg
par vache laitière (tableau 3).
Santé et conduite du troupeau
Il y a eu en 2011 quelques problèmes de fertilité et un certain
étalement des vêlages. Ceci est
probablement lié à l’alimentation
des vaches taries, pas assez suivie (en lien avec les travaux engagés dans les bâtiments).
Quelques cas de mammites légères ont été guéris par l’injection
de pommades homéopathiques.
Le troupeau de vaches laitières
a été vermifugé à la suite d’une
détection par le lait d’une contamination parasitaire. Les frais
vétérinaires sont très bas (voir
critères économiques).
Installations
et équipements
En 2010, les logettes et la salle de
traite ont été entièrement modernisés, ce qui abouti à 110 places
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22 MARS 2012 -
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COMPRENDRE
3 - Repères techniques issus du résultat de gestion
> Tableau
(clôture juin 2011)
Repères troupeau
Avant
Nov 2011
Etude
2007-2008 Clotûre juin 2011 de conversion
Nombre
de vaches
52
72
Élèves par an
20
20
17
Taux (TB- TP)
41,7 - 32,5
40 - 31
41,5 - 32
7 000 l
6 450 l
5 600 l
335 500
464 000
336 400
690 kg
290 kg
840 kg
6 700 l
5 900 l
6 200 l
1,48
1,22
1,32
Nov 2011
Etude
Lait brut par VL
56
Lait produit
en litres
Concentrés
par VL
Lait produit/ha
SFP
Chargement :
UGB/ha SFP
> Tableau 4 - Résultats économiques
Avant
2007-2008 Clotûre juin 2011 de conversion
Produit
170 000 €
252 270 €
221 200 €
283 €
388 €
380 €
48 800 €
51 850 €
59 700 €
41 €
28 €
50 €
38 €
42 €
56 €
Prix
du lait/1 000 l
Charges
opérationnelles
Frais d’élevage
+ véto/1 000 l
Aliments activité
lait/1 000 l
Marge brute
atelier lait
118 000 €
149 900 €
131 000 €
EBE
74 700 €
120 670 €
90 900 €
modulables et un équipement de
traite en 2 x 14.Sur le plan matériel, seuls quelques investissements ont été réalisés avec des
aides de la Région: une faucheuse
et un gyrofanneur. Le matériel
de désherbage mécanique existe
au niveau de la CUMA.
Résultats économiques
2011
Les résultats sont encore transitoires : une seule livraison de
lait (sur 12) payée au tarif bio en
2011.
Objectifs
techniques
de l’EARL
début 2012
- Mieux gérer le désherbage mécanique sur
maïs qui avait été un peu
improvisé et réalisé avec
une herse étrille défectueuse.
- Perfectionner le choix
des cultures annuelles en
conditions séchantes.
- Revoir la technique de
récolte de la luzerne, mal
valorisée en brins longs
par les vaches laitières.
- Améliorer le suivi de la
fertilité du troupeau
pour éviter les décalages
de vêlage.
- Réaliser un tableau de
bord pour bien piloter
les rotations sur toutes
les parcelles.
Les critères sont prometteurs,
notamment les postes de charges modérés et une production
de lait par vache très bonne au
regard du coût alimentaire. L’excédent brut atteint 115 % des prévisions, mais l’augmentation de
la production laitière et le prix
élevé des 11 mois “conventionnels” l’expliquent. Les charge
opérationnelles sont maîtrisées
globalement : (20 % du produit
brut) et basses sur les postes laitiers (le coût alimentaire est de
54 €/1 000 l) (tableau 4).
A la recherche
d’amélioration
L’essentiel des progrès à réaliser
relève de conduites techniques :
(encadré). Romaine et Stéphane
sont toujours à la quête d’organisation de systèmes pour diminuer la vulnérabilité aux coûts
en gardant de l’efficacité.
Ils participent à un groupe d’échange d’éleveurs laitiers bio du
département animé par la Chambre d’agriculture. Ils se rendront
prochainement dans le Finistère
pour voir les innovations réalisées par un groupe d’éleveurs à
la suite d’un voyage au Royaumeuni et en Nouvelle Zélande.
JEAN LAURENT
CHAMBRE D’AGRICULTURE
DE LA MANCHE
Réseau agriculture biologique
des Chambres d’agriculture
de Normandie
[email protected]
www.manche.chambagri.fr/bio.asp
Agriculture biologique : portes ouvertes sur la ferme vitrine
régionale bio
Vous êtes éleveurs laitiers, conseillers agricoles, enseignants ou étudiants, rendez-vous à
la porte ouverte au GAEC Guilbert à Tracy Bocage (14) près de Villers-Bocage le vendredi
30 mars 2012 (14 h).
Vous pourrez y découvrir ou approfondir les techniques et le fonctionnement des systèmes bio :
- quels changements liés à la conversion et quelles évolutions du système après la conversion (avec témoignages d'éleveurs) ?
- l'exemple de la situation économique
Plan d’accès
d'une ferme laitière bio après 2 ans de
conversion ;
- quelle alimentation hivernale pour un
troupeau laitier bio ?
- quelle mécanisation pour le désherbage
des céréales : démonstration de matériel
(herse étrille, houe rotative, bineuse à
céréales) ;
Cette manifestation est organisée dans le
cadre du programme Reine Mathilde,
visant à développer la filière lait biologique
en Basse-Normandie. Entrée libre.