Projet de loi immigration Le droit de vivre en

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Projet de loi immigration Le droit de vivre en
Union Sociale
À paraître dans le n°198 – juin-juillet 2006 – page 31
Projet de loi immigration
Le droit de vivre en famille
refusé aux étrangers
Par Stéphanie Marseille, journaliste
Le second projet de loi Sarkozy sur l’immigration soumet les travailleurs immigrés à une précarité généralisée, limite drastiquement le regroupement familial,
installe dans la suspicion les couples mixtes et restreint encore les minces
possibilités de régularisation pour les sans-papiers.
« Texte électoraliste » pour Laurent Giovannoni, secrétaire général de la Cimade,
« de circonstances et de confusion » pour Pierre Henry, directeur de France-Terre
d’asile, le projet de loi adopté le 17 mai dernier, en première lecture, par l’Assemblée
nationale, introduit une rupture dans la politique migratoire des 30 dernières années.
D’abord parce qu’il signe la reprise officielle de l’immigration de travail, interrompue
depuis 1974. Ensuite, parce qu’il réduit l’étranger à une force de travail précaire, et
surtout privée du droit de vivre en famille : les familles des travailleurs immigrés sont,
dans les faits, considérées comme indésirables et assimilées à ce que le ministre de
l’intérieur appelle l’« immigration subie ».
Les étrangers : des travailleurs « jetables »
Notamment à la suite des débats à l’Assemblée nationale, le projet de loi propose de
créer diverses cartes de séjour, en fonction de la nature du contrat de travail : cartes
temporaires de « salariés » pour les contrats de plus de 12 mois ; de travailleurs
« temporaires », pour ceux de moins d’un an ; de « saisonniers » ; délivrées en fonction de l’activité professionnelle : « scientifique », « commerçant », « salarié en mission », etc.
L’objectif du ministère était d’éviter la délivrance d’un titre de séjour long, l’installation
d’un immigré en France, sur la durée, à l’occasion d’un CDD ; et de limiter strictement la présence de l’étranger aux besoins de l’employeur.
Ainsi, le projet présenté le 2 mai à l’Assemblée prévoyait le retrait de la carte de séjour, au cas où l’une des conditions de sa délivrance cessait d’être remplie, par
exemple si la pénurie ponctuelle de main d’œuvre qui avait entraîné l’embauche prenait fin. Traduction : les travailleurs immigrés perdant leur emploi perdaient aussitôt
leur titre de séjour. Ce qui les aurait placés dans une position de dépendance exorbitante par rapport à l’employeur, ce dernier se trouvant en position d’exercer un
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chantage au séjour. « Les débats à l’Assemblée ont introduit une exception, souligne
Jean Hafner, du Secours Catholique : le retrait de la carte de séjour ne concerne pas
les salariés temporaires ou saisonniers qui perdent leur emploi. La question reste
cependant posée pour les autres catégories de salariés », ceux qui signent des
contrats de plus de 12 mois ou les titulaires de la Carte « Compétences et Talents »
(voir infra).
Le projet de loi prévoit l’ouverture du marché du travail aux étrangers, par secteurs
professionnels ou régions en pénurie de main-d’œuvre. « Mais délivrée pour une région ou une profession spécifique, la carte interdit la recherche d’emploi dans une
autre région ou un autre métier, en cas de rupture du contrat. C’est un retour aux
années 1920 », constate Gérard Sadik, responsable de l’asile à la Cimade, c’est-àdire à un droit au séjour lié au bon vouloir d’une entreprise. En outre, un contrôle plus
strict de la main d’œuvre étrangère devrait être instauré. Depuis 1993, l’employeur
doit s’assurer de la validité des titres de séjour de ses employés. « La nouveauté,
c’est que l’employeur a l’obligation de contacter la préfecture pour le faire », pointe
Gérard Sadik. Dans la même logique, le projet autorise le croisement des données
informatiques entre la préfecture, l’ANPE et l’assurance maladie.
La carte « compétences et talents »
Par ailleurs, le texte crée une carte « compétences et talents » de 3 ans, réservée
aux étrangers susceptibles de contribuer « au développement économique et au
rayonnement intellectuel, culturel et sportif » de la France. Il s’agirait d’attirer des sportifs de haut niveau, des industriels, des chercheurs, ou des médecins, comme c’est
déjà le cas dans les hôpitaux, où ils pallient la pénurie de praticiens et acceptent les
rémunérations médiocres refusées par leurs collègues français. « Cette carte est
inutile et vexante », s’insurge Laurent Giovannoni. Sans compter « qu’on peut être utile, sans être “talentueux” au sens de ce projet de loi : les gens que je côtoie en CHRS
construisent des routes, font le ménage, effectuent toutes sortes de travaux de base
utiles à la société. Ils ont des compétences mais vont se sentir dévalorisés par ce
texte », précise Joseph Labrunie, président du comité « Migrant réfugié » de la Fnars
et directeur du CHRS l’Espoir à Toulouse.
Soupçonnés d’être utilisés pour contourner la loi, les mariages mixtes sont dans le
colimateur du gouvernement. Depuis 1984, les conjoints étrangers de Français
avaient droit à une carte de résident de 10 ans, leur qualité d’époux ou d’épouse suffisant à prouver leurs attaches en France ; on respectait ainsi le droit de vivre en famille. En 1997/1998, apparaît la carte « vie privée et familiale » : elle prévoit la délivrance d’une carte de séjour d’un an avant la carte de résident. Puis la première loi
Sarkozy, de novembre 2003, crée le délit de mariage de complaisance et impose un
délai de 2 ans de mariage avant de pouvoir demander une carte de résident. Le présent projet de loi rallonge cette période probatoire, qui passe à 3 ans.
Qui plus est, il subordonne la délivrance de la carte d’un an, pour les conjoints étrangers, à l’obtention préalable d’un visa de long séjour, lequel est délivré par le consulat du pays d’origine. Les conjoints, qui vivent déjà en France, devront donc retourner
le demander dans leur pays. Une gageure, pour les demandeurs d’asile persécutés
dans leur pays. Sur ce point, le débat parlementaire a été fort complexe. Au bout du
compte, les consulats seraient tenus de répondre à cette demande dans les 2 mois
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et ne pourraient refuser le visa qu’en cas de fraude, d’annulation du mariage ou de
trouble de l’ordre public. Mais il n’est pas exclu qu’ils fassent de l’obstruction, s’ils ont
reçu des instructions en ce sens. « De plus, si les consulats sont tenus d’octroyer ces
visas…, pourquoi exiger ce voyage, qui fragilise les couples mixtes ? » s’interroge le
délégué du Secours Catholique.
Le projet prévoyait en outre de retirer la carte de séjour en cas de rupture de la vie
conjugale, au risque d’empêcher les femmes victimes de violences conjugales de
quitter leur conjoint. Les débats à l’Assemblée ont assoupli ce texte sur ce point : la
carte de séjour peut être retirée s’il y a rupture de la vie conjugale avant quatre années de mariage, sauf en cas de violences conjugales ou si le couple a un enfant.
En ce qui concerne le regroupement familial, le projet impose au demandeur un séjour régulier de 18 mois au lieu d’un an, pour le réclamer. Et l’Assemblée nationale a
durci le texte, en modulant les ressources provenant du travail selon la taille de la
famille. En outre, les revenus du requérant doivent provenir du salaire, à l’exclusion
de toutes les prestations sociales. En sus de ces critères de revenu et des conditions
de logement déjà existantes, la réforme instaure un critère d’intégration : le regroupement peut être refusé si le demandeur « ne se conforme pas aux principes qui régissent la République Française », conformité qui serait notamment appréciée par le
maire. Les associations s’inquiètent de l’arbitraire qu’une telle formulation autorise.
Dernier point, alors que pendant longtemps, les membres de la famille arrivant via le
regroupement obtenaient de plein droit une carte de résident, ils devront, selon le
projet, attendre 3 ans pour la réclamer, contre deux actuellement.
Bref, les barrières se multiplient, pour faire venir sa femme et ses gosses, et le droit à
la vie privée n’est ni acquis ni assuré : vivre en famille tend à devenir un avantage
accordé par l’administration, sous conditions.
Sans-papiers : une voie de régularisation barrée
Enfin, le projet supprimait la possibilité, pour l’étranger qui faisait la preuve de dix ans
de présence en France, d’obtenir une carte d’un an, disposition lourde de conséquences : il s’agissait d’une des rares voies de régularisation pour les sans-papiers.
Utilisée, au final, par un nombre réduit d’étrangers, elle ne faisait que reconnaître que
la personne présente depuis 10 ans avait nécessairement tissé des liens, privés et
familiaux, que la loi devait entériner.
L’Assemblée, à ce sujet, a prévu une commission nationale censée harmoniser les
critères de délivrance d’un titre sur la base de trois motifs : des raisons humanitaires,
un apport pour la France, 10 ans de séjour. De France Terre d’asile à la Cimade, ces
dispositions rencontrent le scepticisme, pour ne pas dire l’hostilité, des associations.
« On veut fermer la parenthèse de 1984, qui introduisait une grande nouveauté : les
étrangers étaient dans le droit ! », conclut le responsable de l’asile à la Cimade.
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En CADA, un contrôle des publics accueillis
Le projet institue, pour la première fois dans un texte de loi, une structure spécifique
destinée aux demandeurs d’asile, distincte des établissements de lutte contre
l’exclusion. Se manifeste ainsi la volonté du Gouvernement de créer, avec les Cada,
une filière réservée à l’asile. Il prévoit aussi que l’accueil des personnes est décidé
par le gestionnaire, avec l’accord de l’autorité compétente : CHRS et Cada n’auraient
plus, en droit, la liberté d’accueillir une personne, fût-elle en détresse. Dans cette
logique, il prévoit un contrôle étroit du public accueilli (pas de réfugiés ni de déboutés
en Cada) et des sanctions contre les récalcitrants : retrait d’habilitation, mise en demeure des établissements et services qui ouvriraient leurs portes aux sans-papiers.
Enfin, le projet ouvre la possibilité de gérer des Cada à des organismes publics. Le
gouvernement envisagerait-il de confier l’accueil et l’accompagnement des demandeurs d’asile à un service public ?
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