Revue 186 OK - Union des oenologues de France
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Revue 186 OK - Union des oenologues de France
Les dangers du gaz carbonique DOSSIER “LES GAZ EN ŒNOLOGIE” J. BERNON Mutualité Sociale Agricole de l'Hérault - 34262 Montpellier cedex 2. 24 Vinifier c’est produire du vin. Mais une production n’est jamais unique, elle s’accompagne de sa cohorte de déchets et de sous-produits. Dans le cas de la vinification, un déchet préoccupe plus que tout autre : il s’agit du gaz carbonique. Le terme de déchet, qui peut, à priori surprendre est cependant utilisé volontairement. En effet il est très rare dans les caves que le CO2 soit récupéré pour être valorisé, ce n’est donc pas un sous-produit. Actuellement dans les caves ce déchet est ignoré et abandonné, (sauf il est vrai pour une utilisation de protection bactérienne de cuve ou pour la macération carbonique mais cela reste marginal). Si au contraire, il doit faire l’objet d’une attention particulière, c’est parce que ce déchet est potentiellement dangereux pour les cavistes présents dans l’enceinte de la cave. 1 Des caractéristiques physico-chimiques spécifiques Le CO2 n’est pas un gaz très toxique, au regard de son cousin le CO (monoxyde de carbone, gaz issu de combustion) le rapport est de un à cent. Cet aspect des choses serait plutôt encourageant. Malheureusement, il est au contraire trompeur et peut ainsi expliquer bon nombre d’accidents. Le gaz carbonique nous entoure, présent dans l’atmosphère nous en respirons et en rejetons continuellement. Ce gaz nous est donc familier. Trop familier, dès lors, l’attention se relâche, et les réflexes de prévention avec elle. Ce qui est trompeur provient des quantités énormes de gaz déversées dans les caves durant la fermentation alcoolique. Un litre de vin élaboré produit 44 litres de gaz carbonique. Une cave coopérative de 30 000 hl, va donc rejeter 132 000 000 litres de CO2, soit 132 000 m3 de CO2 ! Comme la période de rejet ne dure que 4 semaines environ, les quantités quotidiennes sont donc très importantes. Ce gaz est incolore et inodore. De nombreux cavistes prétendent parfois l’inverse, mais c’est parce qu’il se dégage en même temps que les vapeurs qui sont, elles, très volatiles et fortement odorantes. Comme en plus, lorsqu’il se dégage, sa température est élevée, en tout cas supérieure à la température ambiante, la confusion reste possible. Mais il n’y a aucun doute, ce gaz est bel et bien incolore et inodore. Ces caractéristiques sont déroutantes pour les cavistes. Pourtant chacun d’eux dispose d’outils naturels de détection qui sont les sens, en particulier la vue et l’odorat. Or avec ce gaz ils ne peuvent s’y fier. On remarque également que ce gaz est lourd. C’est à dire que sa densité est supérieure à celle de l’air ambiant. Ainsi, si on mélange dans une bouteille du CO2 et de l’air et qu’on laisse reposer, le gaz se tiendra au fond de la bouteille et l’air au-dessus. Avec une densité de 1,5, par la seule action de la gravité, il aura tendance à "descendre". C’est la raison pour laquelle bon nombre de cavistes se méfient à juste titre des points bas dans les caves. Néanmoins les mesures pratiquées montrent que le gaz carbonique peut aussi être repéré en partie haute de la cave, et cela en revanche, les cavistes y prennent moins garde. Le terme de "lourd" employé systématiquement à propos du gaz carbonique masque cependant sa … légèreté ! Un gaz n’est pas un liquide ou un solide. Ce n’est pas un kilo de plomb qui tombe d’une cuve. À chaque fois qu’il y a mouvement, courant d’air, déplacement, le gaz se trouve brassé et se maintient en suspension dans l’air. Pour stagner en partie basse il est nécessaire que les couches d’air de la cave qu’il traverse soient au repos. Or, dans une cave, ce n’est possible que la nuit, rarement durant la journée. Cette situation explique à la fois pourquoi au petit matin des animaux sont parfois retrouvés morts dans les points bas et pourquoi dans la journée certains cavistes se plaignent d’avoir la tête lourde ou les tempes oppressées : la nuit le CO2 redescend, le jour il se mélange à l’atmosphère de la cave. 2 L'exposition des cavistes Un gaz potentiellement dangereux n'exerce son effet néfaste que lorsque les cavistes sont en contact avec lui. Autrement dit, le risque provient de l'exposition de l'homme au toxique. C'est donc vers la recherche et l'identification des situations d'exposition que s'orientera aussi la prévention. Des observations conduites sur le terrain, il est possible de catégoriser trois types de situations de travail susceptibles de placer le caviste en situation de contact. 2.1- Travaux d'intervention programmés C'est la situation la plus facile à identifier et celle pour laquelle la réglementation est très précise quant aux moyens d'en gérer la sécurité. Le décuvage est l'exemple marquant de cette catégorie, mais ce n’est pas la seule tâche, les opérations de nettoyage à l'intérieur des cuves sont aussi à prendre en considération. En effet le cumul des accidents mortels survenus en France et dont l'origine peut être imputée au CO2 montre que 50 % des décès sont survenus en période de fin d'hiver et début de printemps à l'occasion de travaux de nettoyage (figure 1) ! Ces travaux d’intervention à l’intérieur de la cuve placent les cavistes dans une situation d'enfermement. Ils disposent de très peu de ressources en cas de malaise : trappes d'accès exiguës, communication avec l'extérieur difficile, espace de repli inexistant… C'est la raison pour laquelle la surveillance permanente de l'opérateur à l'intérieur de l'enceinte est exigée par la réglementation tout en le pourvoyant d'apport d'air sain. Logiquement les travaux à l'intérieur d'une cuve sont programmés, leur durée également, donc l'organisation du travail est à même de prévoir par avance les moyens nécessaires à la réalisation des dits travaux dans de bonnes conditions. Accidents du travail mortels dus au CO2 Manipulations diverses 50 % 30 % Fabrication du vin Nettoyage des cuves 20 % 0 Septembre Janvier Juillet Septembre Figure 1- Les causes d'accidents mortels dus au CO2 2.2- Travaux d'intervention d'urgence En second lieu, nous recensons toutes les activités de travail intempestives, c'est à dire celles qui ne sont pas, a priori programmées, mais qui s'imposent aux cavistes dans le cours de leurs actions de travail. Ces activités là représentent une source de risque inépuisable parce qu'elles contraignent le plus souvent les cavistes à arbitrer entre intervention et sécurité. Or dans cette Revue Française d’Œnologie - janvier/février 2001 - N° 186 confrontation c'est rarement la sécurité qui sort vainqueur. La raison en est simple, et trouve son origine dans la contrainte de temps. Ces interventions se font toujours sous forte pression temporelle. Imaginons le scénario suivant : un objet (une souche par exemple) se coince dans l'égrappoir, sous le quai de déchargement en tout début de matinée. À l'extérieur les premières remorques arrivent, le temps est menaçant, il faut vite décharger (vider) pour repartir. Le quai est arrêté. Le caviste se précipite au dessous pour tenter de retirer le morceau de souche qui bloque. Les cuves ont fermenté toute la nuit. On est en plein milieu des vendanges. Le dessous des quais est un espace semi confiné, mal aéré, pas du tout ventilé. Il tombe, personne ne s'en rend compte immédiatement. Des scénarios sur ce modèle peuvent être multipliés à l'infini selon les configurations des locaux, les sites d'intervention, la nature du dysfonctionnement à l'origine du déplacement du caviste. L'urgence est un facteur redoutable. Elle relègue le temps des analyses et de l'évaluation de la situation à l'arrière ban. On a beau être préparé, l'imprévisibilité du moment de survenue surprend l'organisation comme elle surprend les cavistes même les plus rôdés. Est-ce à dire qu'il n'y a pas d'issues ? Si il y en a, par un travail de mémoire sur les incidents qui ont placé les hommes dans des situations dangereuses. C'est à partir de ces analyses historiques et récurrentes qu'il deviendra possible de construire des scénarios prévisionnels d'exposition au risque (aux risques car ce qui est vrai pour le CO2, l'est également pour les chutes, les contacts électriques, les approches des pièces mécaniques en mouvement etc…) et de construire des modes d'intervention adéquats avec les moyens nécessaires à portée de main. Cela se prépare et c'est par exemple un des enjeux de la formation à la sécurité dispensée aux saisonniers cavistes à leur arrivée. 2.3- Travaux quotidiens En troisième lieu, nous considérons les situations de travail "habituelles" au sein des caves. Ce sont tous ces postes de travail tenus par les cavistes pour soutirer, couler les cuves, ou qui sont positionnés tout le long de la chaîne technique de vinification. Tous ces cavistes évoluent dans une structure dont l'atmosphère est fortement chargée en gaz carbonique. Quand pour la première fois, un observateur pénètre dans une cave, il est frappé par l'activité intense qui s'en dégage, du bruit, des appels (voire des cris), de l'agitation, beaucoup de mouvements. Pour les cavistes, cette intensité signifie de nombreux efforts physiques tels que monter et descendre d'un étage à l'autre (chronique d'activité figure 2), tirer ou pousser des pompes, des filtres, déplacer de la tuyauterie souple, serrer des raccords, rapporter des informations au bureau, etc… physiologiquement la traduction se concrétise par un débit accru de la ventilation pulmonaire et une accélération de la fréquence cardiaque. (partie par million) soit 0,5 % la quantité acceptable de CO2 dans un local pour une présence permanente lors d'une journée de travail. Les prélèvements réalisés dans les caves sont bien souvent supérieurs à ce seuil. 3 La technique au secours de la prévention L'analyse du travail reste le meilleur moyen de comprendre les situations d'exposition des cavistes pour mettre en place des modes opératoires sécurisés. Mais il existe déjà des dispositifs techniques propices à assurer la salubrité des atmosphères dans lesquelles évoluent les cavistes. On peut les classer en partant du général au particulier. 3.1- L'installation dite de captation à la source Dans la première partie nous avons vu les quantités importantes de gaz libéré lors de la fermentation ainsi que les caractéristiques de ce dernier. La question posée est de savoir ce que deviennent ces mètres cubes de CO2 : Quels itinéraires prennent-ils ? Quels autres lieux que les points bas vont-ils investir ? Les ouvertures naturelles sont-elles suffisantes pour tout évacuer y compris quand, à l’extérieur, la pression atmosphérique varie ou qu’il n’y a plus de vent ? … En fait à un instant donné, il est très difficile de répondre à toutes ces questions simultanément, aucun modèle prédictif valable n'offre de réponses précises. En revanche, ce qui est bien connu, ce sont les sources de production de CO2. Les trappes, les cheminées sont les sorties de dégagement du gaz. L'idée est donc de positionner des orifices de captation en légère dépression, provoquée par une aspiration, pour s'emparer du gaz et le conduire par un réseau de tuyauteries à l'extérieur ou dans un lieu de stockage prédéterminé. L'installation se doit d'être souple pour dégager la trappe d'accès si nécessaire et verrouillée en période de non utilisation. Les spécialistes d'aéraulique calculeront sans difficultés les pressions internes du réseau. Ces installations complètes ont le mérite d'assurer une maîtrise quasi parfaite de la pollution. Très courantes en milieu industriel, elles ont cependant plus de mal à s'imposer en milieu agricole notamment en vinification car le réseau de tuyauteries forcément se surajoute aux autres réseaux de transport des fluides, mais ne désespérons pas (figure 3). Figure 3- Dispositif d'extraction du CO2 3.2- Les installations d'assainissement d'ambiance Figure 2- Exemple d'une chronique d'activité d'un caviste Respirer un air de qualité dégradée du fait de la présence excessive de CO2 favorise la fatigue et la tête lourde. C'est la raison pour laquelle les recommandations sanitaires fixent à 5000 ppm Il s'agit d'une installation générale de ventilation qui, adaptée à la configuration locale, va jouer le rôle d'épurateur d'atmosphère. Pour ce type d'installation on peut trouver des extracteurs de toiture, des extracteurs de façade ou encore des conduits longitudinaux d'extraction avec fenêtres d'aspiration. Pour que cette technique soit efficace il y a lieu de la coupler avec un système de détection du taux de CO2, judicieusement Revue Française d’Œnologie - janvier/février 2001 - N° 186 25 placé dans diverses zones de travail des cavistes. Calibré à 5000 ppm, le détecteur enclenche l'aspiration jusqu'à retrouver un seuil acceptable. Si on n'y prend pas garde, ces installations peuvent présenter deux inconvénients majeurs : le premier est relatif à l'apport d'air neuf introduit en compensation de l'air extrait, la source d'approvisionnement doit être dépourvue d'excès de CO2, le second est relatif au bruit : quand la ventilation tourne, elle génère des nuisances sonores d'où la nécessité de l'éloigner des zones de travail des cavistes (figure 4) et des habitations limitrophes à la cave ou bien il faudra capoter les extracteurs. l'atmosphère confinée de la cuve doit être mesuré. C'est la raison pour laquelle ces installations sont à utiliser conjointement avec un détecteur portatif de CO2 chargé de valider régulièrement le taux admissible de gaz (c'est la raison du recours à la bougie, mais celle-ci est d'un piètre secours n'indiquant qu'une valeur approximative du taux d'oxygène. La seule chose que l'on puisse dire est que si la bougie s'éteint, le caviste ne doit en aucun cas pénétrer dans l'enceinte, en revanche si la bougie reste allumée rien ne l'autorise à pénétrer puisqu'il ne connaît pas le taux de CO2). Après quoi la ventilation est mise en marche. Plusieurs cas de figures peuvent se présenter (figures 5 et 6) : la cuve dans laquelle le caviste doit intervenir dispose-t-elle de plusieurs ouvertures ou d'une seule, sur quelle face de la cuve se trouvent ces ouvertures, sur le dessus ? en façade ? centrée ? latérale ? Flexible d'aspiration Extérieur Flexible de refoulement Air neuf Figure 4- Extracteur placé à l'extérieur Balayage Figure 5- Cas d'une cuve à une ouverture 3.3- L'installation mobile d'assainissement localisé Enfin c'est la plus simple et la plus répandue mais elle n'est cependant pas toujours très bien maîtrisée. Par installation mobile d'assainissement localisé on entend le recours à un ventilateur placé au dessus ou à l'entrée d'une cuve pour extraire le CO2 présent ou susceptible d'être présent dans la cuve. Rappelons que, si pour une journée de travail, un caviste ne peut être exposé à plus de 5000 ppm, pour une intervention ponctuelle de courte durée, le taux admissible est porté à 30 000 ppm, c'est à dire 3 % de CO2 contenu dans l'atmosphère du site de travail. Donc pour être sûr de la performance d'une installation mobile d'assainissement, le taux de CO2 dans Figure 6- Cas d'une cuve à deux ouvertures Tableau 1- Avantages et inconvénients des ventilateurs utilisés en cave Hélicoïde Aspiration Centrifuge Soufflage Aspiration Soufflage Situations Utile dans le cas d'une L'absence de prise d'air ne trappe désaxée à conduit qu'à un brassage condition d'avoir recours sans efficacité à un manche souple Préférable avec une manche. La vitesse d'air brasse efficacement l'atmosphère de la cuve (figure 5) Efficacité limitée due à la faiblesse des vitesses d'air en sortie de manche Efficace mais nécessite une mobilité de la manche (figure 6) Très satisfaisant Acceptable sous réserve d'un décalage spatial entre le caviste et la sortie de la manche Cuve à une ouverture Aucun intérêt Cuve avec au minimum deux ouvertures Aucun intérêt Efficace pour chasser l'air pollué Acceptable Largement supérieur à 0,5m/s2, difficile à supporter Confort du caviste Vitesse d'air 26 Souplesse d'utilisation Obstrue la trappe supérieure, ne facilite pas la surveillance par une personne externe, oblige à retirer l'échelle de descente, ne permet pas un approvisionnement en air sain Facile à manipuler, peut s'utiliser à partir d'une ouverture en façade, permet de laisser l'échelle en place, permet l'approvisionnement en air sain Sécurité des organes en mouvement Veiller à la solidité et la mise en place du protecteur des pales Pas d'accès possible Revue Française d’Œnologie - janvier/février 2001 - N° 186 Dans les caves les matériels sont de deux ordres : soit il s'agit de ventilateurs hélicoïdes, soit de ventilateurs dits centrifuges. L'un comme l'autre de ces matériels peuvent être utilisés en aspiration ou en soufflage, le tableau 1 ci-contre retrace les avantages et inconvénients de ces appareils du point de vue de l'efficacité à rendre une atmosphère salubre et du point de vue du confort du caviste qui travaille sous cette influence. CONCLUSION Raisonner la ventilation localement mérite une attention particulière si l'on souhaite obtenir une satisfaction optimale qui garantisse la sécurité des intervenants. Cependant, elle ne peut à elle seule suffire. Si le dispositif choisi ne fait que chasser l’air pollué de la cuve dans l’enceinte de la cave, alors il est indispensable que la cave soit équipée d’une installation d’assainissement d’ambiance. Connaître le polluant, ses caractéristiques, les pièges qu'il peut tendre aux cavistes, constitue l'entame de la démarche de prévention mais ce ne peut être suffisant. Analyser tout ce qui se passe dans la cave sous l'angle du travail confié aux cavistes favorise l'échange et permet de travailler les représentations du risque c'est-à-dire la perception que chaque caviste se fait de ce gaz. Pour asseoir totalement la prévention et ainsi engager les campagnes avec davantage de sérénité il est utile de disposer d'un outillage de ventilation complet et performant présenté aux cavistes, tout comme il est indispensable de disposer dans la cave, en un endroit parfaitement repéré et connu de tous, d’un appareil de secours. 27 Revue Française d’Œnologie - janvier/février 2001 - N° 186