la met a-intention

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la met a-intention
LA META-INTENTION
Ou LE CHEMIN DE L’ENIGME LE LONG DU MUR DE LA PESTE
(Vaucluse)
Joël-Claude MEFFRE
On sera parvenus au Mur de la peste : qui connaît ce mur en
fera son affaire. Qui en sait l’histoire, ou bien l’oubliera, ou
bien la remobilisera. Qui la remobilise mènera sur le seuil.
Mais tout seuil est ici toujours à réimplanter. Qui s’adressera
au mur par-delà tout seuil, « dans l’ouvert », pour lui-même et
avec d’autres, pénètrera un lieu ayant dispersé les secrets de
sa métahistoire.
Que fera-t-on lorsqu’on l’aura atteint, le mur, et lorsqu’on
sera face à sa ruine, puisqu’il n’existe qu’à peine comme
paroi, comme barrière ? Il faudra le voir comme une transparence, parce qu’il est aisé d’y passer à travers. On pourra le
traverser comme un miroir (d’un côté, de l’autre), sans que
besoin soit de s’en rendre compte. C’est un méta-mur, ayant
un hors-soi (tout aéré qu’il est, lacunaire, le mistral mettant à
terre de temps à autre telle ou telle de ses pierres mal ajustées), et un en-soi, dans ce qu’il est une relique vacillante
pour mémoire, une forme, une matière imaginaire, telles
qu’on a pu et qu’on peut toujours en intérioriser la valeur
emblématique, le mettant en présence devant nous pour sa
réinvention. Donc, on ira vers lui, à sa rencontre, sans passer de seuil. Directement, sans passage initiatique. Il s’agira
de donner sens à cette avancée le long de son ombre. On
pourra le côtoyer autrement qu’avec la seule attitude du sec
suivisme (ici le mot « suivisme » s’applique car il s’agit de
le « suivre »). On verra que jamais un tel mur ne se referme
parce qu’il reste le trait énigmatique posé sur les collines du
monde, au milieu des garrigues.
Une fois arrivés non pas au pied du mur mais à l’orée d’une
trace, devant ce volume pierreux toujours debout mais un
peu dématérialisé, éphémère en même temps que reconnu
comme mur ancestral, on restera comme en suspens d’une
réflexion sur l’intention même de ce qu’il y a lieu de faire en
sa compagnie. Il s’agira notamment de se demander comment donner force et sens à notre cheminement le long d’un
mur - trace. Pour cela, il faudra porter attention à ce que c’est
que « le sentier ». Le sentier dans ce cas précis, lié étroitement au parcours du mur, pourra être perçu tel qu’un métasentier parce qu’il ne peut exister autrement qu’en longeant
la structure élevée là, vaille que vaille. Il n’a pas d’autre
possibilité ni, dirai-je, d’alternative. Car d’ordinaire cepen-
1.
dant, tout sentier (métaphoriquement « livré à lui-même »),
reste dans l’esprit du détour, de l’errance, de l’éloignement,
du rapprochement, du franchissement : le sentier, la sente,
les semitae, forgent une libre échappée de la conscience par
les territoires, les terres et les sols. Ici, le méta-sentier qui
borde, suit, longe, souligne la structure bâtie, revêt une toute
spéciale contrainte parce que le but est de ne pas (trop) se
mettre à part, ou s’éloigner du mouvement du mur. Le sentier
fait presque corps avec le mur. Il est empreint de lui. Il emprunte le trajet mural. Il le copie. (Précisons, ce qu’on soulignera plus loin, que le sentier ne doit son existence qu’à nous,
les marcheurs, dans notre omniprésente intention d’avancer :
il est le passage des pas obsédants de nous-mêmes ; il nous
révèle ce que nous sommes : en perpétuelle volonté de mouvement et d’ancrage, façon intentionnelle de s’approprier et
s’aérer du monde dans le monde même).
La ligne, c’est le nom donné au mur. C’est une
ligne tracée à travers la garrigue. On la voit courir
vers l’horizon. S’arrêtera-t-elle avant ? On aimerait
qu’elle aille au-delà.
On la regarde aujourd’hui en le suivant des yeux.
Comme si elle partageait un espace et la terre. De
chaque côté, c’est la même chose : la garrigue.
Le regard qu’on déploie sur la ligne est paisible,
continu. Notre regard va en droite ligne. La ligne
du mur invite à voir toujours plus loin l’horizon et
les lointains.
Un méta-mur ? Oui, sans doute, si celui-ci nous
transporte poétiquement, au-delà de la ligne de
pierres, vers l’unification de la terre et du ciel. Mais
il est là aussi comme une interrogation : « Qu’estce que le monde a désormais à faire sous le ciel ? »
(Baudelaire).
Notre sentier s’inscrit come un ruban qui souligne le trajet
du mur (construit lors de la peste de 1720-1722). On marche
à ses côtés parce qu’on ne peut marcher sur lui - comme par
exemple la Muraille de Chine qui sert à la fois de rempart,
de chemin de ronde et de voie de circulation. Le mouvement
d’avancée par un tel cheminement permet que soit secrétée,
produite, réitérée une certaine mémoire du mur. On suit ce
dernier comme on poursuit une idée, on s’achemine en effusion de mémoire, par la livraison d’un souvenir de ce qui
a été à l’origine la réalité du mur lui-même. On mesure ce
qu’il fut, autrefois : une barrière, une limite. On « fait le mur »,
en en suivant la destinée par monts et par vaux, au milieu
des garrigues. On renifle dans la caillasse les secrets d’une
trace qui tend un fil de mémoire à l’instar d’un fil d’eau sous
la terre : ce dernier ne saurait être interrompu, et sa loi demeure de s’écouler, quoiqu’il en coûte : il a sa source, il a son
exutoire. On ne peut le déplacer. La métaphore ici renvoie à
cette idée que le méta-sentier déroule un fil de marche auquel, l’empruntant, on ne peut se soustraire. Mais il n’a pas
de « source », tout juste un commencement, et puis, au bout,
une fin interrompue.
Dans notre cheminement, on sera tentés de remettre sur le
mur, comme pour assurer son maintien, quelques pierres
tombées de son arase, poussée par le vent. Y a-t-il dans ce
geste de notre part quelque chose qui participe de « l’intention énigmatique » ? Si je cherche l’intention énigmatique,
si je cherche l’énigme de mon intention, il n’y a rien d’autre
que celle qui consiste simplement à vouloir changer, même
imperceptiblement, quelque chose au temps du mur comme :
« apporter sa pierre à l’édifice commun ». On participe ainsi
au temps du mur en le reconstruisant en rêve. On rêve donc.
2.
On accomplit quelques gestes immédiats pour le rêve et par
lui. L’intention conduit au rêve. Le rêve nous rend à notre intention. On dira qu’il y a une énigme dans le fait de chercher
l’intention de reprendre une pierre et de la remettre sur le
mur. On construira ainsi l’œuvre du mur, en esprit, on nourrira
l’intention d’un rêve, on ira contre le temps mais au creux du
temps même, on ajoutera du temps au temps. On en empilera
quelques bribes dérisoires comme le mur n’est qu’un empilement dérisoire de pierres sèches.
Soulevons maintenant chacun une pierre : soupesons son
poids en la tenant entre les mains. Mais d’abord comment
l’aurons-nous choisie, cette pierre-là ? Parce qu’elle est à nos
pieds, à portée de main, ou bien parce qu’elle nous paraît plus
belle que celle d’à côté, ou plus lourde, ou moins saillante en
ses éclats et son mode de brisure ? Il y a donc quelque chose
en nous qui cherche à percevoir en quoi l’intention du levage
d’un poids devient énigme même si, l’énigme n’est pas encore au rendez-vous.
Pierres du mur avec mousses et lichens. C’est
dire qu’elles ont peu bougé de place depuis trois
cents ans qu’on les a mises dans cette position.
Chaque pierre détient une pensée pétrifiée du
monde. Cassez chaque pierre et vous cassez une
pensée. Vous divisez la pensée en autant de morceaux qu’il y a de pierres. La pensée est fragmentée à l’infini. Mais c’est toujours de la pensée, en son noyau. Les mousses et les lichens
en sont les excroissances sensibles : c’est-à-dire du
pur imaginaire.
On est cependant au rendez-vous de chaque pierre foulée
au pied, touchée de la main dans sa rugosité de matière calcaire. On se plait à se souvenir, plus ou moins confusément,
que ce mur a été édifié sous la contrainte, dans la peur de la
peste. [Incise : Aurions-nous peur d’une peste quelconque
en reprenant chaque pierre ? Comment faire pour avoir peur
de quelque chose qui n’existe plus comme motif de peur ?]
On remet chaque pierre à sa place sur le haut du mur parce
que c’est quelque chose de plaisant pour l’esprit que d’avoir
à se dire qu’on lutte contre les « injures » du temps. Mais au
fait, le temps injurie-t-il qui ou quoi ?
L’énigme demeure, malgré toutes les bonnes raisons qu’on
se donne, de vouloir remonter quelque chose du mur. Parce
qu’on l’a sous la main, sous les yeux, ce mur qui se déploie
en suivant les courbes des collines et le creux des ravins. En
fait, quand on dit que le temps nous injurie, c’est qu’on lui
prête une intention : comme si le temps était là tout exprès
pour nous emporter dans une sorte de tourbillon invisible et
insensé. Comme si le temps avait sa propre expérience de
lui-même. Bon, laissons cela, parce qu’il y a à nous défaire
de l’intention dans l’intention même. Apprendre à se défaire
de quelque intention que ce soit, dans l’acte même qui nous
meut de vouloir participer au déploiement du mur dans l’espace.
C’est qu’il ne limite plus rien, le mur ; il n’est que le fantôme
d’une limite. C’est une ligne. C’est bien le nom qu’on lui a
donné : la ligne. Quant à nous, nous cherchons à limiter nos
3.
gestes et tentons de percevoir comment cerner le sens de
nos intentions. Ainsi, à chacune des pierres que nous souhaitons soulever on s’attend à être désemparés devant toute
intention de saisie. On s’amusera à vouloir injurier le temps.
On posera donc délicatement la pierre choisie sur le mur, en
toute sérénité, d’où elle était tombée, autrefois.
(Lors de la construction, parce que c’était alors l’intention
conjuguée de tous, chaque pierre posée sur l’autre participait
du barrage fait à la peste. C’était « le » projet, la grande intention : établir un cordon sanitaire en dur - sous la contrainte,
car c’était une corvée pour les paysans du coin alors requis
pour exécuter le travail de construction -).
On rompra très vite avec l’idée de vouloir défier l’injure du
temps. On pourra ensuite accomplir un autre geste gratuit :
cueillir telle nouvelle pierre du sentier en portant uniquement attention à son seul poids : on se dira que sa lourdeur
est vraiment peut-être le premier mode d’appréhension de
ce morceau de calcaire qui nous vient sous les doigts, j’allais dire ; on se dira qu’alors c’est bien cela (son poids) qui
a déterminé le fait qu’elle a basculé du mur et qu’elle a été
entraînée dans la pente, qu’elle s’y est fixée (provisoirement
– un provisoire qui peut durer deux ou trois siècles, ou une
journée ! -.) Et que tout, le mur, le sentier, la montagne, le
rocher en face : tombent. Et que nous aussi nous tombons !
Caduta, inexorabile caduta ! D’où le fait que le temps a beau
jeu avec son injure ! Que serions-nous sans l’injure constitutive du temps, sans la pesanteur ? Au fond, ce n’est pas le
temps qui joue, c’est la pesanteur : la loi de la gravitation qui
affecte l’espace. Le temps ? Pfuiiiiit ! C’est du pipeau ! Nous
prenons conscience de cela que tout paysage admiré, tout
lieu, est ce qu’il est parce que ses composantes demeurent
(à des vitesses variables) chancelantes. Observant sous cet
angle les choses, il y a ainsi un arrière-plan élaboré d’intentions, un arrière-fond de logique vitale qui nous fait cheminer, sans quoi nous n’aurions aucune raison d’être là où nous
sommes. Nous ferons un pas de côté pour nous délivrer du
suivisme du mur, pour prendre un peu de recul : nous irons
voir les alentours, traversant les brèches du mur, revenant
sur nos pas ; nous irons accélérer la chute de certains rochers qui chancelaient depuis deux cents ans, ou bien nous
irons écouter leur silence propre au milieu du silence minéral. Voilà de quoi nourrir notre désir de « désemparement » !
Autre exemple, il s’agirait de se mettre à l’écoute du poids,
oui ! Du poids des pierres ! Leur silence, qui est équivalent à
leur poids, fait quelque bruit ! C’est-à-dire que c’est le bruit
de leur présence individuelle qui n’a de relief et de réalité que
parce qu’elles gisent au milieu des autres, insérées qu’elles
4.
Le mur-barrière est encore debout,
comme il le peut. C’est une barre de
mur écrêtée : bien peu de choses, à vrai
dire subsiste. Ces amoncellements de
blocs calcaires, ce sont les hommes du
coin (paysans, pasteurs, manouvriers),
qui, sous la contrainte, les ont mis les
uns sur les autres tandis que les soldats
de la papauté se tenaient en faction
pour surveiller les travaux. Une frénésie
régnait sans doute guidée par une certaine peur au ventre. En fin de journée
chacun retournait chez soi, épuisé, résigné. Voilà ! On fait de l’histoire avec ça.
Mais a-t-on besoin d’histoire pour
seulement voir que le mur existe encore et qu’il pose des questions. Si on
se déconnectait de toute cette histoire
pour trouver du sens neuf, et qu’on
pose alors d’autres questions ? Qu’on
regarde simplement cette barrière de
pierres comme une leçon de choses :
aimer la patine de ces calcaires arrachés
à la roche.
sont dans leur contexte minéral, géologique, etc… A nouveau
nous nous saisirons de la première pierre venue devant nos
pas : nous en soulèverons le poids (et non pas la pierre
elle-même) et quand nous l’aurons élevée au-dessus de nos
têtes à deux mains, comme Atlas souleva le monde, nous la
jetterons pour la faire rouler dans le ravin : ce sera seulement
un poids qui roule : on aura alors la belle tonitruance du choc
(elle se fracassera par exemple en plusieurs morceaux contre
un rocher) : alors on aura le résultat : le choc qui entraîne la
ruine. De plus, on saura alors ce qu’est qu’être à l’écoute du
poids.
On laissera retentir les échos de cette situation intense. On
poursuivra. Nous nous dirons maintenant que nous nous laissons guider par le bord irrégulier du mur en fermant les yeux :
nous pourrons trébucher si nos pas rencontrent quelque obstacle pierreux un peu trop saillant. Mais nous irons de l’avant
sans trop d’appréhension (on pourra le faire sur quelques
mètres à titre d’essai) et le hasard ou une certaine nécessité
nous fera trébucher et sans doute tomber : alors il n’y aura
pas eu intention mais accident au milieu de l’intention : estce que ce sera l’intention de l’incident, ou le souhait à peine
retenu d’un incident possible ? A chacun de voir. En tous cas,
c’est là que nous serons tout à notre autre désemparement,
une fois de plus, le temps d’un instant. Nous ressentirons
dans notre chancellement l’absurdité de l’intention de départ
5.
(à quoi sert de vouloir « se » provoquer la chute ?) Ensuite,
quand on se sera ramassés, on cueillera cette pierre et on
la portera tranquillement un bout de chemin sous le bras,
par exemple, pour ajouter du poids à notre poids d’être. On
mesurera alors combien cette intention d’accident avérée,
insérée dans l’intention générale, ce déséquilibre survenu,
constituent bien un trou significatif dans la chaîne intentionnelle : et ce trou demeurera un élément tel qu’il donnera relief
à l’énigme de nos intentions. Nous en viendrons ainsi à qualifier d’absurde le contre-pied de l’intention dans le grand jeu
de l’intention initiale : ce sera une forme de méta-intention
de l’intention. Que voudra dire cette absurdité ? D’abord sans
doute qu’il s’agit (dans toute cette mise en branle de la volonté d’être) d’un acte volontairement provoqué (non certes
sans perplexité). Se faire mal possiblement, voilà qui pourra
apparaître pour le moins stupide : à nos propres yeux peutêtre, mais réalisé en commun, avec d’autres, l’hilarité pourra
être une conquête sur le sentiment de l’absurde et une prise
de distance salutaire. Ce sera le partage du rire de l’absurde,
collectivement vécu. Mais qu’est-ce que, au fond, proprement
absurdum ? On ira voir, pour comprendre un peu notre acte
métalogique, le sens étymologique : on découvrira que ce mot
désigne à l’origine ce qui est « discordant », « qui sonne mal »,
qui est « hors de propos », « défiant tout logique ». C’est là
ce qui est tout à fait intéressant pour nous, puisque qu’ainsi
le sens de la marche servira à introduire la remise en question de l’intention d’avancer gentiment, d’introduire une méta-marche par la mise en situation de la marche elle-même.
Se « prendre un gadin » parmi les pierres, au fond, quoi de
plus naturel, alors que dans le chaos de pierres les « gadins »
amoncelés au pied du mur, témoins du temps qui en a injurié
l’élévation, on aura heurté la pierre, perdu l’équilibre, essuyé
l’accident, prouvé (au sens italien de provare = essayer) que
le chaos est sans doute la plus belle chose du monde. On
l’aura testé, inscrit dans notre chair, (mercurochrome en
main : espérons cependant sans luxation de cheville). Il y a
encore méta-intention dans la mesure où, ayant éprouvé la
chute du mur, nous aurons chutés avec lui (mais selon notre
temps à nous, dans la prégnance de notre intention). Nous
mimons l’injure du temps, nous sommes la victime voulue de
l’injure même, à un instant « t » de notre avancée. La chute
bienheureuse (sans masochisme) nous fait voir que le chaos,
nous en sommes les agents et les victimes, et que l’apparente
paix des lieux est d’abord faite de micro-drames silencieux
tels que la ruine du mur, les accidents du sol (rocher, pierres
détachées erratiques ou amoncelées, etc…). C’est dans ce
milieu que nous évoluons et que nous créons ce que nous
sommes : la mise en contradiction de nos intentions dans
nos intentions mêmes.
6.
Le sentier le long du mur fait du « suivisme ».
On longe. On allonge le pas. On parcourt. Ici,
nous n’avons pas le dos au mur. Nous avons le
mur dans la visée. On suit mais on va au bout.
Au bout se trouve l’interruption.
Encore que nous ne devons pas chercher à esthétiser ces
gestes de notre station debout qui consistent à marcher,
marcher comme on mâche un chewing-gum avec désinvolture… Bien plutôt, tâchons de nous coller à la réalité du lieu
investi, et, singulièrement, de parvenir à creuser dans la
conscience de ce que c’est qu’avancer, avancer avec, avancer pour, contre, en compagnie de…, avancer « au-delà »,
en côtoiement du mur, pour une traversée d’espace. En
somme, il s’agit d’une méta-avancée vers l’appréhension
de l’unité du monde, là autour, infime unité mais toujours
unité diffractée par les moindres cailloux, les moindres végétaux, les moindres obstacles et les particularités fractales
des choses, auxquels peuvent se modeler ou remodeler les
linéaments de notre pensée et un certain agir. Nous savons
aussi que nous ne pouvons traverser les lieux sans les modifier, les courber à nous, tordre, incliner, modifier. Chaque
pierre du chemin est un tremplin (vers ; par) où nous devons
sans cesse rechercher l’équilibre physique et mental : le déséquilibre, la chute, le ré-équilibre sont les alea salutaires
qui nous permettent d’apprendre à nous tenir debout, debout
parmi les lieux. Faisons de nous-mêmes, vivants, au milieu
des petits lieux dans les grands lieux gigognes, des êtres en
conscience. Faisons en sorte que, dans nos lieux, nous soyons
des consciences sur pied, des consciences qui s’ouvrent en
s’avançant. Tout ce qui peut ainsi faire basculer le train de
nos (bonnes) intentions est salutaire. Il faut savoir au bout du
compte annuler notre présence, en se disant que chaque pas
que nous accomplissons est en même temps une annulation
de nous-mêmes derrière nous, le devant des choses étant
ce qui compte seul. Se posera toujours alors la question du
sillage. Le sentier est au fond une manière de sillage, mais
jamais refermé : c’est aussi un ancrage, à défaut d’être un
sillon. Il n’en pas moins le témoin muet d’une traversée façonnant la corne de nos pieds.
Photos Heba-Raphaëlle MEFFRE,
tous droits réservés
J.-C. M.
Novembre 2010
7.

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