Hors-Série Hommes

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Hors-Série Hommes
Ce hors-série ne peut être vendu séparément Le Temps samedi 21 juin 2014.
Ce hors-série ne peut être vendu séparément Le Temps samedi 21 juin 2014
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EXPOSITION JUSQU’AU 15 JUILLET 2014
BOUTIQUE CHANEL JOAILLERIE - 43, RUE DU RHÔNE - 1204 GENÈVE - TÉL : +41 22 316 11 50
www.chanel.com
Jardin de Camélias
La nouvelle collection de Haute Joaillerie Jardin de Camélias célèbre l’effervescence créative de
CHANEL Joaillerie grâce à une centaine de variations autour d’un thème cher à Mademoiselle. Un
éblouissant exercice de style teinté d’excellence technique où les volumes, les influences et les matières
se rencontrent et se répondent pour faire éclore des bijoux d’exception.
Eléments de décoration essentiels à l’univers intime de Gabrielle Chanel, les
paravents de Coromandel ont orné chacun de ses appartements. Leur laque
caractéristique offre à cette broche une toile de fond où scintillent ors et
diamants jaunes et blancs.
La virtuosité joaillière de CHANEL étincelle sur cette bague qui sublime les
diamants jaunes et blancs grâce à un travail de ciselure artisanale rare, sur fond
d’ors jaune et blanc.
Graphique et épuré, le design de cette broche s’inscrit parmi une des principales
signatures stylistiques de la Maison CHANEL. Un élégant jeu de contrastes est
orchestré par l’or blanc, les spinelles noirs et les diamants.
PHILIPPE QUAISSE / PASCO
Ce hors-série ne peut être vendu séparément Le Temps Samedi 21 juin 2014
HOMMES
ÉTIENNE DAHO
ÉRIC CANTONA
BÉRETS VERTS
SHIBARI
CORPS ET ARMES
2
Le Temps l Samedi 21 juin 2014
Hommes
ÉDITO
Sij’étaisunhomme
SOMMAIRE
PHOTOS: SALVA MAGAZ/WWW.MAGAZ.COM
RICHARD DUMAS
4
6
Si j’étais un homme, j’aspirerais à l’élégance, du geste et
pas seulement de la veste. De
l’élégance et du panache. Je
crois que ce serait ça, mon kif.
Je porterais la moustache,
comme Joaquin Phoenix
dans le film Her de Spike
Jonze. Un truc old school
façon Brigade du Tigre.
(p. 25)
Je m’entraînerais au noble
art et j’apprendrais les techniques de combat et de selfdéfense en espérant n’avoir
jamais à me battre passé
l’âge de la cour de récré.
Jamais. (p. 6 et 12)
Le jour de la naissance de
mon premier enfant, je me
Récit d’une métamorphose
10
Toys for boys
12
Des hommes à part
Par Emmanuel Grandjean
Reportage exclusif avec les bérets verts
Par Pierre Chambonnet
Je ferais de temps en temps
quelques sorties testostérones entre mecs, pendant
lesquelles l’on se raconterait
des histoires qu’on n’oserait
dire à personne d’autre (pas
même à un psy). Certains
révéleraient des fantasmes
que je n’ai pas, mais que
j’écouterais sans juger.
(p. 26) Parce que ce serait
mes potes. On boirait des
Old Fashioned jusqu’à se
jurer fidélité. (p. 16) Et cette
promesse-là, on saurait
qu’on la tiendrait toujours.
16
Cheers!
Le grand retour des cocktails vintage
Par Géraldine Schönenberg
DR
ferais confectionner une
paire de bottes sur mesure.
Chez Schnieder, le bottier
qui chausse la famille royale
d’Angleterre. (p. 18) Une
adresse qui n’a pas pignon
sur rue. Ce serait mon secret,
un secret d’homme devenu
papa.
18
10 Flagrants désirs
Bottes secrètes
Visite londonienne chez le bottier Rudolf Schnieder
Texte et photos: Pierre Chambonnet
20
Portfolio
Suite parisienne
Photographies et stylisme: Buonomo & Cometti.
Réalisation: Isabelle Cerboneschi
VIRGINIE GARNIER
Comme j’ai le mal de mer,
l’histoire du bateau vert et
blanc, elle serait vite pliée.
24h dans la vie d’un garde du corps
Par Isabelle Cerboneschi
Par Isabelle Cerboneschi
Mais moi, si j’étais un
homme?
Interview de mots volés à ses chansons
Par Isabelle Cerboneschi
4 Etienne Daho
«Moi si j’étais un homme, je
serais capitaine, d’un bateau
vert et blanc.» C’est ce que
chantait Diane Tell dans les
années 80.
Etienne Daho, corps et armes
25
Hommes à poils
Les bacchantes, un mode d’expression
Par Mehdi Atmani
16 Old Fashioned
26
Dans ses cordes
L’art du shibari
Par Catherine Cochard
SALVA MAGAZ/WWW.MAGAZ.COM
27
Parfums de cinéma
Quand la fiction inspire l’olfaction
Par Valérie d’Hérin
25 Belles bacchantes
28
Eric Cantona,
qu’avez-vous fait de vos rêves d’enfant? Interview
Par Isabelle Cerboneschi
En parlant de fidélité, je
n’enverrais jamais de message de rupture à une
femme par SMS. Encore
moins sur Facebook. J’ai dit
que je serais un homme.
Portfolio Suite parisienne réalisé à l’Hôtel Royal Monceau à Paris.
Réalisation Isabelle Cerboneschi
Photographies et stylisme Buonomo & Cometti
Make-up & Hair Corinne Fouet @Airport
Acteur Rob Knighton* @ Nathalie Men
Mannequin Alice @ Next Paris
Assistant Robert Liptak
Rob: veste en soie imprimée, Gucci. Pantalon noir
en cool wool, Givenchy. T-shirt en coton, Hermès.
Philip II à double boucle, John Lobb.
*Le film «Everyone’s Going to Die», réalisé par Jones,
Max Barron et Michael Woodward dans lequel joue l’acteur
Rob Knighton avec l’actrice Nora Tschirner, sortira en juillet.
Remerciements à toute l’équipe de l’Hôtel Royal Monceau
pour son accueil.
Editeur Le Temps SA
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CH – 1201 Genève
Président du conseil
d’administration
Stéphane Garelli
Directrice générale
Valérie Boagno
Rédacteur en chef
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déléguée aux hors-séries
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Pierre Chambonnet
Catherine Cochard
Valérie D’Hérin
Emmanuel Grandjean
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Photographies
Buonomo & Cometti
Salva Magaz
Iconographie
Marc Sauser-Hall
Géraldine Schönenberg
Responsable production
Nicolas Gressot
Réalisation, graphisme,
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Cyril Domon
Christine Immelé
Mathieu de Montmollin
Correction
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ISSN: 1423-3967
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4
Le Temps l Samedi 21 juin 2014
Hommes
INTERVIEW/MOTS VOLÉS
ÉTIENNE DAHO,
CORPS ET ARMES
Le Temps: Sur les photos d’un ado
sombre accrochées au mur,
que voyez-vous? 1
Etienne Daho: Comme les heures
Indoues, c’est une chanson à clés,
qu’il ne faut pas dévoiler. Donc je
ne dévoilerai pas ce qu’il y a au
mur. Mais imaginons que ça peut
être une photo de moi adolescent.
années. Si l’on n’a pas de lien plus
puissant, celui de l’amitié, du
respect, de l’admiration, ça se
casse la gueule.
Le bonheur est-il dangereux? 13
Oui! (Rires.) Le rechercher
systématiquement, c’est ce qu’on
fait tous, et ce que je fais aussi. Le
bonheur c’est un état de confort,
un cocon dans lequel on se sent
bien, affectivement,
financièrement,
professionnellement. On vit dans
une société qui nous provoque
par rapport au bonheur et nous
emmène ailleurs: le bonheur c’est
telle voiture, c’est avoir à son bras
tel type de personne, c’est de
porter telle marque de vêtement.
On nous propose un bonheur
assez dangereux, fictif, qui
n’est pas basé sur les véritables
aspirations que l’on peut avoir.
Et puis certains bonheurs
peuvent être aussi
anesthésiants.
Que transportaient les rivières
de vos 20 ans? 2
Toujours les mêmes envies. A
savoir une passion pour la musique, inconditionnelle, qui s’arrêtera avec moi, je pense. Les mêmes rêves, la même énergie pour
faire de la musique, qui est la
chose la plus importante de mon
existence. Qui est au centre de ma
vie, en tout cas.
Où sont l’épaule et les mots
qui vous rassurent? 3
Ce sont ceux de mes proches, des
personnes que j’aime, les gens qui
me comprennent. Je préfère être
compris que rassuré. Cette chanson est assez universelle, en fait.
Elle évoque ces chaos de l’enfance
qui font de vous un adulte
plus fort.
Qui sont vos héros d’antan
qui défient le temps? 4
Ce sont des héros de la musique,
de la littérature, du cinéma, qui
sont comme des tuteurs et sur qui
se construit un imaginaire
d’adolescent qui fera ensuite de
vous un homme «fait». Quand j’ai
découvert les chansons de Lou
Reed et du Velvet Underground,
ça m’a construit pour la vie. Je
dirais donc Lou Reed, Syd Barrett,
Iggy Pop, David Bowie. Ils défient
le temps. J’avais vu Lou Reed sur
scène avant qu’il ne parte et cela
me provoquait toujours les
mêmes émotions intenses. Des
héros, j’en ai plein d’autres: Jean
Genet, John Waters, David Lynch.
Francis Bacon, aussi. Ce qu’il dit.
La personne qu’il est. Je ne sais
pas si vous avez eu entre les mains
des livres d’entretiens avec
Francis Bacon? Ses réflexions
aident à affiner nos pensées.
J’habite assez près de son ancien
atelier. Ce lieu me fascine. Quand
j’étais en train d’écrire les textes
(de l’album Les chansons de
l’innocence retrouvée, ndlr), et que
j’avais des pannes, que j’avais
envie de jeter ma table de travail
par la fenêtre parce que j’étais
furieux de ne pas pouvoir trouver
les mots, je partais. J’avais besoin
de regarder cette maison. Je ne
sais comment expliquer cela. Ce
n’est pas un rite. Cette proximité
était apaisante.
Quels sont vos artifices,
vos lignes floues? 5
Les artifices, on en a tous pour se
tirer d’affaire. Mes lignes floues?
Je ne sais pas. Pour moi, elles sont
très nettes mes lignes. Peut-être
que les autres les trouvent floues?
Quel est le parfum des Heures
Indoues? 6
Un mélange d’ambre, de musc,
de jasmin et de fleur d’oranger.
Quelle est la couleur des fleurs
de l’interdit? 14
Carmin!
Quelle est votre arme de séduction
massive? 15
Je n’en ai aucune idée. Les gens
qui me connaissent disent que je
suis drôle. Mais je ne le montre
pas du tout…
Et vous, aimez-vous les baisers
français? 16
J’aime beaucoup les baisers
français.
RICHARD DUMAS
Son dernier album «Les chansons de l’innocence retrouvée», sorti
en novembre 2013, raconte dans un tourbillon de violons et de
mots la construction de soi et l’amour, quête de l’impossible.
Avant son concert au Montreux Jazz Festival, nous lui avons
retourné au bout du fil ses propres questionnements, puisés
dans les paroles de ses chansons. Par Isabelle Cerboneschi
Faut-il du courage pour savoir
aimer trop fort 7
Oh oui! Bien sûr! On ne peut pas
battre en retraite. Quand on a la
chance d’avoir un grand amour –
qui s’accompagne de grandes
souffrances parce que c’est une
immense aventure – il faut du
courage. Il en faut déjà pour être
debout. Pour vivre au quotidien.
Il faut être courageux pour défendre ce que l’on est, ses lignes. Et
quand on est amoureux, on doit
l’être encore plus, car ces lignes-là
ont tendance à se fragiliser.
Vous souvenez-vous du premier
jour du reste de votre vie? 8
Oui, c’était ce matin.
Quelles sont vos adresses
préférées quand vous partez
en week-end à Rome? 9
Week-end à Rome, c’était comme
un fantasme quand j’habitais à
Rennes: on se prenait la pluie sur
la tronche toute la journée. J’avais
vu à l’époque Vacances romaines et
La Notte d’Antonioni. C’était le
point de départ pour imaginer
cette chanson. Pas d’adresse en
particulier. Juste se promener
dans cette ville-musée. Se laisser
emporter. J’adore l’Italie. On y est
tout le temps en présence de la
beauté. J’adore la joie de vivre, la
qualité de vie qu’ont les Italiens,
quels que soient leurs moyens. Ils
savent donner le change, ils se
font beaux pour sortir dans la
rue. La nourriture est simple mais
c’est toujours la bonne tomate, la
bonne huile d’olive. C’est plein de
clichés, je sais. Je ne suis qu’un
touriste en Italie et je ne vois que
les bonnes choses.
Dans quel hôtel aimeriez-vous
relever le pari d’une coursepoursuite dans les couloirs? 10
Ah c’est drôle! J’étais en train de
répéter cette chanson juste avant
que vous appeliez car je vais
rejouer cet album Pop Satori
prochainement, à Paris, le 1er
juillet!** Quel hôtel? Il y en a un
dans lequel j’ai vécu longtemps
à Londres, dans les années 80,
c’est Le Colonnade, sous Maida
Vale. La chanson a été écrite sur
cet hôtel en fait. Sigmund Freud
y a vécu, il y donnait ses
consultations.
Quels sont vos cocktails délices 11
J’aime bien le Spritz, le Pimm’s, les
cocktails anglais doux. J’aime
aussi les cocktails très forts, un
Cosmopolitan bien tassé, ça me
plaît beaucoup.
Les liens d’Eros tout-puissant
sont-ils plus attachants
que les liens du cœur? 12
C’était une question dans la
chanson. Je ne sais pas. Peutêtre… Beaucoup de mariages,
d’unions sont basés sur l’attirance
avant tout. Sur le fait de se plaire.
Un élan érotique. C’est pour ça
qu’il y a beaucoup de relations
qui ne tiennent pas. Parce qu’une
fois que l’élan physique est passé,
forcément ça s’étiole avec les
Notes:
* Etienne Daho donnera un concert
au Montreux Jazz Festival le
14 juillet. Rens.
** Etienne Daho sera le curateur
d’une semaine à La Cité de la
Musique, qu’il a baptisée «Une
jeunesse moderne». Il chantera
les 1er, 5 et 8 juillet, à Paris
1. «L’homme qui marche»,
Les chansons de l’innocence
retrouvée, 2013
2. «Les torrents défendus»,
idem, 2013
3. «La peau dure», idem, 2013
4. «Soleil de Minuit»,
Pop Satori, 1986
5. «Corps et armes»,
Corps et armes, 2000
6. «Des Heures Indoues»,
Pour nos vies martiennes, 1988
7. «L’adorer», L’invitation, 2007
8. «Le premier jour (du reste
de ta vie)», Best of 1998
9. «Week-end à Rome», La Notte,
la notte, 1984
10. «Pari à l’hôtel», Pop Satori, 1986
11. «Swinging London»,
La Notte, la notte, 1984
12. «Les liens d’Eros»,
Réévolution, 2003
13. «Un bonheur dangereux»,
Les chansons de l’innocence
retrouvée, 2013
14. «Les Fleurs de l’interdit»,
L’Invitation, 2007
15. «Corps et armes»,
Corps et armes, 2000
16. «Le baiser français»,
Reserection, 1995
Des 405 pièces composant le mouvement,
nous en avons modifié 16 et ajouté 46.
Tout cela pour un peu plus de réserve de marche.
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La réserve de marche du Datograph Up/Down, indique l’autonomie
62 composants, ils ont conservé dans le Datograph Up/Down le de-
de marche, portée à 60 heures. Les constructeurs ont utilisé un spiral
sign et la construction qui ont fait leurs preuves. Beaucoup de travail
oscillant librement, développé par la Manufaktur, et un balancier à mas-
caché ne se révèle qu’aux connaisseurs – une particularité des montres
selottes excentrées pour garantir la précision. Si les horlogers ont modifié
A. Lange & Söhne, appréciée depuis toujours. www.alange-soehne.com
6
Le Temps l Samedi 21 juin 2014
Hommes
MEN IN BLACK
24 HEURES DANS LA VIE
Par un beau jour du
mois d’avril, je décide
que l’édito du premier
Hors-série Hommes
va s’intituler «Si j’étais
un homme». J’en
parle à une amie. Elle
me dit: «Pourquoi
n’irais-tu pas jusqu’au
bout de l’idée: te
glisser dans la peau
d’un homme 24h
durant?» Et pourquoi
pas? Récit d’une
métamorphose.
Texte: lsabelle Cerboneschi.
Photographies:SalvaMagaz
Avec mon coéquipier d’un jour, Gustave Jourdan, directeur général de Sentinel Protection, à droite.
LA PRÉPARATION
Jour J-20
Je confie mon projet à un collègue. Il me dit: «Etre un homme,
c’est passionnant, mais ce n’est
pas facile tous les jours.» Je pense:
«Etre une femme non plus», mais
je n’ose pas le lui dire. Pendant le
déjeuner, j’explique à un dandy
mon désir de métamorphose. Il
me dit: «Il va déjà falloir apprendre à vous asseoir autrement!
Une femme, quand elle s’assied,
elle ferme les jambes, comme une
huître. Un homme, lui, il s’ouvre,
comme une fleur.» Et il me montre le mouvement sous la table. Je
l’imite en écartant les cuisses. J’ai
une chance folle: ce jour-là, je
porte un pantalon.
L’après-midi, je m’entretiens de
ce sujet avec deux collègues. La
première me dit: «Et tu vas apprendre à faire pipi debout?»
Bonne question. Une fois que je
serai devenue un homme, où
irai-je me soulager: dans les toilettes des filles ou dans celles des
garçons? La seconde ajoute: «Il va
aussi falloir que tu apprennes à
marcher comme un mec: ils ne
bougent pas les hanches, comme
s’ils étaient un tronc.» Depuis ce
jour, je mate le derrière des hommes qui marchent dans la rue. Un
prêté pour un rendu.
Jour J-17
Quand je serai un homme, je voudrais faire quoi comme métier?
Garagiste? Barman? Marchand
d’art? Grutier? DJ? Au fond de
«Chaque fois que je donne un coup
de pied derrière les genoux de mon
adversaire, je lui dis «Pardon»,
et quand il tombe à terre, je place
instinctivement ma main sous
sa tête, pour amortir le choc»
moi, je rêve d’être Magnum, Ferrari et moustache comprises (je
lui laisse ses chemises hawaïennes). Je veux être un cliché, presque une caricature: conduire une
voiture rouge, me lancer dans des
enquêtes où je risque ma vie mais
ne la perds jamais, avoir des potes
qui font des choses formidables
(conduire un hélicoptère, fouiller
dans les ordinateurs, assister les
procureurs, etc.).
Je veux surtout apprendre à me
battre pour ne pas avoir à le faire.
Et faute de pouvoir suivre l’entraînement des Navy Seals,
comme Magnum, ou celui des bérets verts (lire p. 12), je suivrai
l’entraînement type d’un garde
du corps. J’ai de la chance: j’ai un
ami garde du corps: Gustave Jourdan, le directeur général de la société Sentinel Protection. A la différence de Magnum, lui, il prend
des risques pour de vrai. Je lui
explique mon projet. Il me dit:
«Une formation pour quelqu’un
qui est déjà agent de sécurité, ça
dure un an minimum.» Je lui dis:
«J’ai un jour.» Il me dit: «Ok. On va
voir ce qu’on peut faire.» C’est ça,
l’amitié virile: ne jamais dire
«non» à un pote, même si ce qu’il
vous demande, c’est mission impossible.
Jour J-15
Si je veux me mettre dans la peau
d’un homme, je dois changer
d’apparence. Il n’y a qu’une personne à qui je puisse demander
cela: Christophe Durand. Ce coiffeur-maquilleur-directeur artistique-organisateur de défilés-galeriste dirige à Genève un lieu
hybride: Le Bal des Créateurs, un
salon de coiffure-de maquillagebarbier-boutique de mode-bargalerie d’art. Je l’appelle et lui dis:
«Je voudrais devenir un homme.»
Silence au bout du fil. Je précise:
«Juste pour un jour.» Il se détend.
Il me parle de perruque, de maquillage, d’ombres, de cernes, de
sourcils redessinés, de fausse
moustache. Ça semble si facile de
devenir un homme…
Jour J-12
Je reçois un SMS d’un collègue.
«On va enfin pouvoir parler de
vrais trucs. Fini les dentelles et les
frous-frous. Je t’apprendrai les
prochaines étapes: désensabler
un carburateur, démonter et remonter une arme les yeux bandés,
entretenir une conversation de
vestiaire dans une ambiance de
camaraderie virile, vider un sanglier.» Son message me fait sourire, avant de me plonger dans des
abîmes de perplexité. Ce jeu de
rôle me déstabilise. Outre la peur
du ridicule, j’envisage de devenir
ce que je déteste: un imposteur.
Je confie mes scrupules à une
amie. Elle me dit: «C’est bien des
pensées de fille, ça!» J’en parle à un
pote. Il ne dit rien. Nada. C’est bien
une posture de mec, ça, le silence,
quand la question posée leur
casse les pieds (pour ne pas dire
autre chose). En parlant d’autre
chose: vais-je devoir m’acheter
une coque pour la placer dans
mon entrejambe afin d’avoir l’air
plus crédible?
Jour J-6
Rendez-vous dans les bureaux de
Sentinel Protection où Gustave
Jourdan m’explique le déroulé de
la journée. Il a réservé un stand de
tir, une salle de boxe, un cours de
krav-maga pour ma formation.
Trois heures d’entraînement intensif avant la mission: conduire
un client d’un point A à un point
B. Il veut aussi m’expliquer les rudiments de son métier. Je vais être
son coéquipier d’un jour: un minimum de préparation s’impose.
Il commence par me présenter
la panoplie du garde du corps: armes, gilet pare-balles, radio de
liaison, couteau militaire suisse,
lampe de poche, spray au poivre,
lunettes de soleil (pour ne pas être
aveuglé par des miroirs, des lasers), parapluie (pour cacher le VIP,
le protéger de projections). Puis il
me montre comment on porte une
arme, comment on la dégaine,
comment on accroche l’émetteurrécepteur à sa chemise. «Pour faire
de la protection rapprochée, il faut
porter un costume sombre afin de
ne pas attirer l’attention: chaussures noires, veste noire, pantalon
noir, cravate noire, chemise blanche. C’est simple: regarde Men in
Black et habille-toi comme eux»,
dit-il en me prêtant une veste et
une cravate. «Aujourd’hui, un
garde du corps doit ressembler à
tout hormis à un garde du corps.
Sauf quand le client est une star et
qu’il a besoin de types baraqués
pour écarter les foules.»
Outre le fait que l’on doit être
hyperentraîné, que l’on doit passer inaperçu, que l’on risque de
prendre une balle dans la tête à la
place de quelqu’un d’autre, et que
l’on passe beaucoup de temps à
attendre, c’est quoi le plus difficile
dans ce métier? «Le plus fatigant,
c’est l’observation, répond-il. Tu es
un zoom: tu dois voir à la fois tout
ce qui est loin et tout ce qui est
près. Si tu rentres dans une salle,
tu dois photographier mentalement toutes les personnes présentes, et où elles se trouvent. Tu dois
être vigilant à chaque seconde.» Je
zoomerai donc au mieux de ma
myopie.
Gustave ajoute: «Le garde du
corps doit avoir confiance dans
son collègue, sinon il met sa vie et
celle de son client en danger. Tout
comme le client doit avoir une totale confiance dans son garde du
corps.» Je ferai de mon mieux
pour être crédible. J’émets toutefois un doute sur mes dons de
boxeuse: j’ai des mains de fille. Il
me parle alors de «rapport égali-
Hommes
Le Temps l Samedi 21 juin 2014
7
D’UN GARDE DU CORPS
En haut à gauche:
Comment faire rentrer une
masse de cheveux imposante sous une perruque?
Au Bal des Créateurs,
le coiffeur Loïc Hauck, lui,
il sait: brushing et mexicaine,
enroulage autour de la tête,
avant de glisser le tout sous
une chaussette.
PHOTOS: SALVA MAGAZ/WWW.MAGAZ.COM
En haut à droite:
La make up artist Audrey
Bodilis colle les rouflaquettes
et la moustache. Et voilà,
presque un mec.
Ci-contre:
Leçon au stand de tir
Dynamik, ou comment
apprendre à tirer au Glock
36 en position isocèle
quand on n’a jamais tenu
une arme dans ses mains.
taire de souffrance». «Tu ne peux
pas réagir en femme. Tu vas devoir
être plus agressive. Te battre avec
ce que tu as. Un type, il ne dit pas
qu’il a des petites mains: il frappe
plus fort!» Puis il ajoute: «A partir
d’aujourd’hui, tu penses comme
un mec, tu agis comme un mec!»
«OK», lui dis-je. Et c’est à ce moment qu’Ascot, son labrador, débarque d’on ne sait où et vient me
renifler l’entrejambe. Je crois que
je n’ai pas «pensé comme un mec»
assez fort.
Jour J-4
Journée shopping. Je demande à
un ami de m’accompagner: j’ai besoin d’un regard masculin qui
adoube ma panoplie. «Tu fais
quelle taille?» me demande-t-il
dans le rayon pantalons de chez
Manor. «Du 38», je lui réponds.
Sauf que chez les hommes, ça
n’existe pas. Je demande à un vendeur. «Prenez du 46-48 pour le
pantalon et du 37-38 pour la chemise.» J’aimerais bien savoir quel
esprit dérangé a mis au point le
système de tailles des vêtements
masculins.
Direction les cabines d’essayage, en compagnie de mon alter ego. La paire de chaussures noires en taille 39 trouvée dans une
solderie? Il agrée. Le pantalon
noir, la chemise blanche, la ceinture noire dénichés pour pas cher:
il acquiesce. Il prend même une
photo. C’est bon signe. Puis il se
lève, remue ses jambes, dit «Bon.»
Et je comprends à travers ce message quasi subliminal que l’on a
outrepassé le taux maximum de
patience masculine permise en
magasin.
Jour J-1
Journée cinéma. Je regarde Men in
Black. Je regarde Mr & Mrs Smith. Je
regarde Protection rapprochée. Je
regarde Rocky Balboa. Je regarde
Raging Bull. Je m’entraîne à donner des coups de poing à un adversaire invisible devant ma glace
comme Jake LaMotta vs Sugar Ray
Robinson. Je suis ridicule. Je bois
un demi-verre de Malt pour
oublier que je ne sais pas boxer.
Avant de me souvenir que l’on ne
doit pas boire d’alcool pendant
les 24 heures qui précèdent une
mission. Trop tard. Je repasse ma
chemise. Je couds l’ourlet de mon
pantalon. Je me dis qu’il faut sacrément aimer un homme pour
coudre l’ourlet d’un pantalon à
revers. Je prépare ma valise de
«Man in Black». Mais avant de me
coucher, je me plonge une dernière fois dans le livre SPHP Service de protection des hautes personnalités, le dernier rempart. Juste
pour les images. J’essaie d’imiter
les attitudes des gardes du corps:
comment ils parlent dans le micro accroché à leur chemise, comment ils se tiennent jambes en
équerre mains devant leur entrejambe, comment ils tirent avec un
genou à terre. Je n’aurais jamais
pensé qu’un jour un ouvrage dédié aux gardes du corps de la République française et préfacé par
Monsieur Nicolas Sarkozy deviendrait mon livre de chevet.
Jour J
Je me lève aux aurores. Impossible
de dormir. Je bande ma poitrine.
Je me dis: «Heureusement que je
ne fais pas un 90 D!» L’homme qui
émerge en moi pense: «Dommage!» Je lui demande de se taire
pendant que je m’habille. Je saute
dans un taxi, direction Plainpalais, au Bal des Créateurs, vers
mon nouveau moi. J’ai décidé de
l’appeler Jack.
LA TRANSFORMATION
Je commence à me perdre quand Loïc Hauck me lisse les cheveux. Mes
boucles, c’est mon empreinte, ma carte d’identité. Avec les cheveux raides, je
ne suis plus moi-même, sans savoir qui je suis. Il enroule ma chevelure autour
de ma tête, la maintient sous une chaussette en nylon. Je ressemble à Kojak.
En mieux. Pose de la perruque brune. Coupe. Savant ébouriffage. Une heure
plus tard, «Je» est devenu(e) un(e) autre et passe entre d’autres mains.
C’est Audrey Bodilis qui va me faire basculer de l’autre côté de mon
identité. Les personnages, les rôles, les incarnations, elle connaît: cette make
up artist a travaillé pour la télévision et le cinéma à Paris avant de s’installer à
Genève. Elle me colle des rouflaquettes, noircit mes sourcils, ombre mes
joues, mes yeux, ma mâchoire, donnant l’illusion d’une barbe en phase de
repousse. Puis elle pose la moustache. Qui est ce type qui me regarde dans le
miroir? Je déambule dans le salon sans trop savoir quoi faire de ce corps
étranger. Je me sens vulnérable. Comme un ado qui se cherche.
LA LEÇON DE TIR
Elle a lieu au stand de tir Dynamik, à la Croix-de-Rozon et
c’est Philippe Decerier qui me la donne. Protections auditives,
lunettes protectrices, gilet pare-balles (pour moi seulement).
Avant de commencer, le moniteur demande à toutes les
personnes présentes dans la salle de se placer derrière les
tireurs. Au pire, sur la même ligne. Jamais devant. Ensuite, il
énonce les quatre règles de sécurité de base: «Une arme doit
toujours être considérée comme chargée, dit-il. Ce n’est pas
elle qui est dangereuse: c’est celui qui la tient. On ne pointe
jamais le canon sur un objectif que l’on ne veut pas détruire.
On ne met le doigt sur la détente que lorsque les organes de
visée sont pointés sur l’objectif que l’on veut détruire. A cause
de la crispation musculaire, précise-t-il. On ne tire que lorsque
l’on est sûr du but et conscient de son environnement.» Reçu.
Il me montre comment on insère les cartouches dans le
magasin, comment on engage le chargeur dans l’arme et
comment on contrôle qu’il soit verrouillé. Il ouvre la culasse
pour vérifier que la cartouche est bien dans la chambre de tir,
se met en position de contact, lève l’arme à hauteur de ses
yeux et tire cinq coups bien placés dans la cible «pour la
photo». Comprenez: pour éviter que je ne me ridiculise quand
ce sera mon tour.
Il me montre la position «Weaver», la position «Isocèle»,
des positions de tir de combat. Il me prête son Glock 36 et
m’invite à tirer. Dans le chiffre 5 si possible et 10 cm en
dessous. Il suffit de demander. Je vise le 5. Je presse la
détente. Pow! Je remarque que j’ai tiré dans l’un de ses trous
et mets cela sur le compte de la chance du débutant. Mon
coéquipier et mon moniteur, eux, partent du principe logique
que j’ai tiré de travers et vont chercher la balle perdue. Qu’ils
ne trouveront jamais. Si j’étais un homme, un vrai, est-ce
qu’ils auraient osé douter de mes capacités? Ils me redemandent de tirer. Pow! Une fois, deux fois, cinq fois, je mets tout
dans la cible. Tir groupé. «Vous êtes très douée», me dit
finalement Philippe Decerier. Je ressens alors quelque chose
d’étrange à l’intérieur. Comme si deux parts de moi se faisaient face, sans se comprendre. La première est emplie de
fierté, elle dit «Yesss!» et attend qu’on lui dise «Bravo!» La
seconde ne dit rien, mais je perçois son trouble. «Ce n’est
qu’une cible de papier, lui dis-je, rien que du papier.»
> Suite en page 8
8
Le Temps l Samedi 21 juin 2014
Hommes
> Suite de la page 7
SUR LE RING
PHOTOS: SALVA MAGAZ/WWW.MAGAZ.COM
C’est dans le plus ancien club de boxe genevois, l’«Ecole de boxe Erdal
Kiran Genève since 1887», qui porte le nom de son président, Erdal Kiran,
champion intercontinental invaincu et promoteur de boxe, que j’ai l’honneur
de prendre mon premier cours, sous le regard de boxeurs façon Brigade du
Tigre pris en photo dans des poses improbables. Je suis totalement hors de
mon biotope. J’adore. Mais pas le temps de me laisser fasciner par le lieu:
bandage des mains. Echauffement.
«Non, je n’ai jamais fait de boxe de ma vie», dis-je. «Pas grave», me
répond Johann Gérard, mon instructeur compétiteur. Il me montre les bases
de la boxe anglaise: coup droit, crochet, uppercut et m’invite à l’imiter. Il
m’explique patiemment. Décortique chaque mouvement. M’encourage. Me
demande de taper plus fort. Plus fort, je n’ai pas. Il me dit: «Vise le menton.»
Je loupe le menton. Je me sens gauche avec mes deux mains.
On répète une routine. Gustave sera mon sparring-partner: coups droits
de ma part (droite-gauche-droite), crochet du gauche de la sienne, que je
tente d’esquiver, ratage de l’esquive, effleurement de perruque, je frôle le
ridicule. «Le ring est ta maison», me dit Johann pour m’encourager. Il est
gentil, Johann. A-t-il jamais eu un élève aussi nul? Il esquive la question.
Gustave est dans les cordes. «Frappe-le dans les côtes, vas-y, ça ne fait
pas mal», me lance Johann. Je cogne comme je peux. Je sens monter en moi
une poussée d’adrénaline ou de rage, je ne sais pas. Je tape alors plus fort. Je
transpire sous ma perruque, la sueur me dégouline dans les yeux, mon
maquillage aussi, ma moustache se décolle. Le ring est ma maison, peutêtre, mais je sens que pour l’instant, elle m’accueille à l’insu de son plein gré.
Ci-dessus de haut en bas: Leçon de boxe chez Erdal Kiran. Coup droit, crochet, uppercut. «Tape un peu plus fort», me dit Johann Gérard. J’aimerais bien mais plus fort, je n’ai pas.
Comment contrer une attaque au couteau? Réponse après une heure d’entraînement de krav-maga, par Lior Zabari, instructeur de self-défense. Devant l’entrée de Beau Rivage,
à Genève. Pick-up du client que l’on doit déposer à l’Hôtel Président Wilson. Dans la vraie vie: 5 minutes à pied. Avec deux gardes du corps: c’est un peu plus compliqué.
LE COURS DE KRAV-MAGA
Après une heure de tir et une heure
de boxe, je ne sens plus mes bras et j’ai
très mal aux mains. Mais selon le principe énoncé par Gustave il y a quelques
jours, ce fameux «rapport égalitaire de
souffrance», je me tais, je vais changer
de t-shirt et me présente devant Lior
Zabari, instructeur de self-défense, diplômé de la Krav Maga Federation
d’Alain Cohen, pour suivre une heure
de cours. «Krav maga signifie combat
rapproché», m’explique mon professeur. Il me raconte les origines de ces
techniques, créées par Imi Liechtenfeld, dans les années 30, pour apprendre aux habitants des quartiers juifs de
Bratislava à se défendre contre les attaques antisémites. «Il n’a pas créé le
krav-maga de zéro. C’était un excellent
gymnaste, champion de lutte et de
boxe. Il s’est inspiré des combats de
rue où tout est permis.» Aujourd’hui, le
krav-maga est enseigné notamment
aux soldats de l’armée israélienne, aux
hommes du SWAT aux Etats-Unis, du
GIGN en France, et du DARD en Suisse.
Aux civils aussi. «L’avantage de cette
technique, c’est que si l’on s’entraîne
tous les jours, au bout de deux mois on
devient déjà très efficace», explique
Lior Zabari. Et en une heure? Il va réussir à m’initier à quatre techniques: contrer un étranglement de face statique,
une menace au couteau au ventre, à la
gorge, et des coups de poings et coups
de pied directs. «Les mouvements sont
très naturels, dit-il. Et contrairement
aux arts martiaux, il y a défense et
attaque simultanées.» Mais il précise
une chose fondamentale: «Si l’on peut
s’extraire d’une situation sans avoir à
se battre, il faut toujours choisir cette
solution. Si l’on vous braque pour prendre votre porte-monnaie: donnez-le.
Ça ne vaut pas la peine de prendre des
risques.»
Malgré trois heures d’entraînement,
nonobstant une surproduction de testostérone, en dépit de mes rouflaquettes et de ma fausse moustache, je remarque que l’énergie féminine
l’emporte toujours en moi: chaque fois
que je donne un coup de pied derrière
les genoux de mon adversaire, je lui dis
«Pardon», et quand il tombe à terre, je
place instinctivement ma main sous sa
tête, pour amortir le choc. Et cela, Gustave, ça le rend fou!
>> Retrouvez la vidéo sur www.letemps.ch/hommes
LA MISSION
Il est temps de prendre une douche et de revêtir
mon habit de l’ombre. La «mission» consiste à aller
chercher un client à Beau Rivage, pour le conduire à
l’Hôtel Président Wilson où il a rendez-vous. Dans
la vraie vie, ce client pourrait facilement faire le
trajet à pied en cinq minutes. Sauf que pour les
besoins de notre histoire, cet homme est une personnalité à risque qui a besoin de deux gardes du
corps pour faire 100 mètres en Porsche Cayenne. A
la réception de Beau Rivage, Ivan Rivier le directeur
général, marque un temps d’arrêt avant de me
tendre la main. «Madame Cerboneschi? Mais où
sont passés tous vos cheveux?» demande-t-il. Il rit.
Moi aussi, derrière ma moustache, je ris.
En descendant les escaliers de l’hôtel, nous
croisons une personnalité, une vraie, qui, impressionnée par le service de sécurité mis à la disposition de mon client, ou pensant sans doute qu’il le
connaît, le salue. Une fois la porte tournante passée, je mets en place la procédure apprise: regard
à droite, à gauche, je scanne la rue, je suis un
zoom, je vois tout, de près, de loin, pas un passant,
pas une voiture ne m’échappe, je me souviens de
tout. «Un garde du corps doit tout anticiper», m’a
dit Gustave. Je suis un bouclier humain. Qu’est-ce
qui pousse un homme à accepter l’idée qu’il pourrait mourir à la place d’un autre? Pas le temps de
réfléchir. Direction l’Hôtel Président Wilson. On
recommence la procédure à l’envers. Une fois,
deux fois, dix fois pour la caméra. Mission accomplie. J’ai faim.
LE LENDEMAIN
Je me réveille avec des courbatures aux bras dans des
muscles dont j’ignorais l’existence. Plus de trace de Jack
sur mon visage. Je l’ai effacé la veille à coups de démaquillant. Pas totalement: il reste un peu de lui au fond de
moi. Je prends conscience d’une chose qui me bouleverse:
j’ai été élevée par une tribu de femmes. Or pour la première fois de ma vie, j’ai le sentiment de m’inscrire dans la
lignée des hommes de ma famille. Je ne sais pas où ils sont
partis, tous ces morts, mais j’ai l’impression que là où ils se
trouvent, ils lèvent un verre à ma santé en beuglant: «For
he’s a jolly good feeellooowww! And so say all of us.»
Remerciements à Monsieur Ivan Rivier, le directeur
général de Beau Rivage, ainsi qu’à toute son équipe
pour leur formidable accueil et leur participation.
A la direction et à toute l’équipe de l’Hôtel Président
Wilson pour leur accueil et leur patience. A Juan Carlos
del Moral pour avoir joué le rôle du client.
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BOUTIQUE GENEVE
78 rue du Rhône / 3 rue Céard
Le Temps l Samedi 21 juin 2014
Hommes
Invitation au voyage
Rock Arty
Sac de voyage J. W. Hulme
Il résiste à tout: à la pluie tropicale, au soleil de midi
et à la poussière des villes. Il est aussi 100% américain et 100% fait main ce sac de voyage au bronzage
caramel, à la fois très «man» et très vintage. L’accessoire pour baroudeur urbain porte la griffe de John
Willis Hulme, maroquinier installé à St. Paul, Minnesota, depuis 1905. Un artisan du cuir plus que centenaire suffisamment sûr de la qualité de son travail
pour le garantir à vie.
Une guitare Gibson Zakk Wylde
Bullseye
La spirale de Vertigo qui rendait James
Stewart maboul? Ou alors un hommage
rock’n’roll à Bridget Riley, la plus Op art
des peintres anglaises? On imagine plus
simplement le guitariste Zakk Wylde, le
designer de cette gratte électrique, inspiré par le psychédélisme de ses jeunes
années. Notez que la guitare qui fait mal
aux yeux est fabriquée par Gibson.
Temps de l’aventure
Tudor Heritage Ranger
La voiture, la vitesse, le luxe et les voyages dans les
abysses. Pour le coup, Tudor, marque sœur de Rolex
et qui aime l’action, se met en mode nature sauvage
et trappeur du Grand Nord. Gros cadran, index rétro
et hyper-lisible, bracelet en cuir naturel, l’Heritage
Ranger reprend le look d’un modèle de la fin des
années 60. Car le temps de l’aventure jamais ne se
démode.
FLAGRANTS DÉSIRS
Avis de tempête
TOYS FOR BOYS
La lanterne en cuir de Yann Kersalé pour Hermès
Cette année, la collection Hermès Maison cherche la
lumière. Le sellier a ainsi fait appel à deux designers
éclairés, soit Michele de Lucchi, du mouvement
Memphis, et Yann Kersalé, spécialiste de l’illumination architecturale. Le Français, habitué au format
building, revisite cette fois une petite lanterne-tempête qui se sépare en quatre. Un fanal classe et gainé
de cuir pour soirées sans orage au bord de la piscine.
Des belles mécaniques, une fragrance fringante,
une guitare psychédélique… L’homme est un grand enfant
dont les jouets sont super chics. Par Emmanuel Grandjean
Vavavoum
L’heure absolue
De Bethune DB29 Maxichrono Tourbillon
De Bethune, c’est cette manufacture folle
qui organise la rencontre entre l’horlogerie
de grande complication et la science-fiction. Mais qui sait aussi donner à ses délires mécaniques des atours, plus classiques. Comme cette DB29 Maxichrono
avec son fond officier élégant, ses cinq
aiguilles et son boîtier en or rose sous lequel vibrent un tourbillon et le fameux embrayeur absolu, invention de l’horloger de
l’Auberson, qui en assure la parfaite précision. Une merveille!
PHOTOS: DR
10
Cuir tanné
La moto JVLT O14 MOTORBIKE
Joe Velluto est designer, Italien et fan de bécane. Il a donc naturellement conçu cette moto JVLT O14 comme un meuble. Un buffet
haut de gamme, mais qui roule au super, avec son carénage en
frêne et son réservoir en verre. A mi-chemin entre le mobilier d’art
et le custom écolo, la routière du biker des bois est disponible en
édition forcément ultra-limitée.
Aqua Di Parma Colonia Leather
Si le luxe avait une odeur ce serait celle d’une
berline dont le cuir qui craque embaume l’habitacle et s’accroche à la mémoire. Une version chicissime de la madeleine du temps perdu, que l’on
peut désormais retrouver même sans voiture.
Aqua di Parma vient de lancer Colonia Leather, sa
nouvelle Eau de Cologne concentrée aux accents
de peau tannée, d’agrumes et de cèdre de l’Atlas.
Le jus est destiné à l’homme, mais il habille aussi
très bien les femmes.
Ticket chic
Le grand bleu
Your Little Printer
On a craqué devant sa bouille de machine chou. Connectée au réseau wi-fi,
Your Little Printer imprime les dernières
nouvelles du Monde, la grille de Sudoku
du Times, des photos Instagram et tous
les SMS, MMS et tweets de votre smartphone sur une bande de papier qui se
déroule comme un ticket de caisse. Un
gadget intello pour geek poète.
Hublot Classic Fusion Tourbillon Vitrail
En 2014, Hublot associe l’art de la précision
mécanique à celui des maîtres verriers.
D’où ce modèle dont chaque espace intercalaire du mouvement squelette est rempli
par une plaque de verre coloré. La montre
vitrail existe pour l’instant en bleu et en
rouge, mais Hublot promet de compléter
avec d’autres nuances la palette de sa cathédrale mécanique.
La métamorphose, une histoire Hermès
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Cravate dip tie
en twill de soie
Porte-documents
« Etrivière »
en veau Sombrero
Hermès à Bâle, Berne,
Crans-sur-Sierre, Genève,
Gstaad, Lausanne, Lucerne,
Lugano, St. Moritz, Zurich.
Hermes.com
Le Temps l Samedi 21 juin 2014
Hommes
FRED TANNEAU/AFP
ÉRIC FEFERBERG/AFP
FRED TANNEAU/AFP
«C’est vrai qu’on vit dans
un milieu particulier où il n’est
pas courant de montrer la faille.
C’est la fosse aux lions. Mais
les psys sont utiles, je n’ai pas
honte, je le revendique»
Des commandos marine à l’exercice sur terre et sur mer. La force de 400 militaires qui portent le béret vert est susceptible d’intervenir partout sur le globe, hors métropole, là où les intérêts de la France sont menacés.
U
Le «GIGN des confins»
De la protection des zones de pêche françaises au large des Seychelles à celle des cargos en mer
Rouge, en passant par la libération des otages (le Ponant en 2008
au large de la Somalie, par exemple), ils interviennent partout sur
(et sous) mer. Mais leurs missions
ne se limitent pas aux espaces maritimes. Comme un «GIGN des
confins», la force est présente
aussi sur terre, partout où les intérêts de la France sont menacés,
hors métropole. Tous sont brevetés parachutistes.
LES GARS DE LA MARINE
DESHOMMESÀPART
Basés en Bretagne, les fusiliers marins commandos français sont plus connus sous le nom de «bérets
verts». Ils ont pour tâche une partie des missions confiées aux Forces spéciales de l’Hexagone,
sur les points chauds de la planète. Rencontre avec des soldats d’élite. Par Pierre Chambonnet
JEAN-SEBASTIEN EVRARD/AFP
n rodéo sur mer, au
large de Lorient.
Dans le sillage d’un
ferry
«Compagnie
océane», les embarcations ultra-rapides
des hommes cagoulés en tenues
camouflées avancent, dos au navire, pour ne pas être détectées
par le radar. Concentration extrême. Pleins gaz, les Zodiacs tapent sur les creux, rebondissent
sur les vagues. Un à un, ils viennent se ranger sur le flanc du navire en pleine course, collés
contre la coque, pour y faire embarquer les commandos. La
manœuvre est fulgurante. Simple
observateur à bord au milieu des
soldats d’élite de la Marine française, je suis cramponné, secoué
dans tous les sens.
La guerre en Bretagne? Une
prise d’otages des civils qui se rendent sur l’île de Groix voisine?
Rien de tout ça. Il s’agit d’un «simple» exercice d’assaut en mer. La
routine pour les commandos
français, qui s’entraînent, comme
chaque jour, au large de leur base
de Lanester, près de Lorient. Sous
les yeux des passagers civils du
ferry, médusés.
Je suis en compagnie des fusiliers marins commandos – les
«commandos marine» –, plus
connus sous le nom de bérets
verts. Ceux qu’on appelle également les «Fusco» (fusiliers commandos) sont l’une des composantes des Forces spéciales
françaises. Ces soldats d’élite répètent en permanence leurs chorégraphies martiales, quand ils ne
sont pas déployés à l’étranger. Ils
interviennent partout dans le
monde sur ordre de la Marine nationale ou du COS (le Commandement des opérations spéciales). Ils
sont, entre autres, spécialisés dans
les opérations de contre-terrorisme et de libération d’otages, la
lutte contre les narcotrafiquants
et la piraterie maritime.
PIERRE CHAMBONNET
12
De gauche à droite: deux commandos marine (dont un tireur d’élite) à l’entraînement dans leur base de Lanester.
Les Fusco ont passé douze ans
ininterrompus en Afghanistan à y
conduire des «opérations spéciales», dont ils ne donnent aucun
détail. On sait en revanche que la
prise des aéroports de Gao et de
Tessalit l’an dernier au Mali dans
le cadre de l’opération Serval est à
mettre à leur crédit, comme la
capture du bras droit de Radovan
Karadžiz en 2000. L’opération Sangaris, en République centrafricaine, les occupe, toujours à
l’heure actuelle, en permanence.
Ils se disent «comme les autres»,
pourtant tout ou presque les en
distingue. Les autres, ces simples
mortels. Ephémères, ils le sont en
tout cas. Les noms gravés sur les
monuments aux morts et les hommages officiels de la Nation, qui
ne connaît d’eux au fond pas
grand-chose, en témoignent. Ils
ont choisi une vie extrême par esprit d’aventures, le goût du grand
air et d’un destin en mouvement
continu, un esprit de cohésion et
des rapports humains authentiques, des idéaux.
Pas autant médiatisés que leurs
alter ego américains, les Navy
Seals (qu’ils côtoient dans tous les
endroits pourris du globe), les
«Fusco» sont tout aussi à la pointe.
La plupart des films à grand spectacle les présentent comme des
surhommes bodybuildés qui dégoulinent de testostérone et défouraillent en permanence à tout
va. Une image loin de la réalité,
selon eux. Les opérations d’urgence qu’ils mènent sont toutes
ciblées, et surtout aussi rapides
qu’intenses. Le film Zero Dark
Thirty (sur l’élimination de Ben Laden par les commandos américains) est l’un des seuls à refléter,
toujours selon eux, une image assez fidèle.
Autre exercice, cette fois à terre:
le visage est fermé, la concentration maximale, la réflexion per-
manente. Dans la pièce où il vient
de pénétrer seul en équipement
de combat, le soldat n’a aucune
idée de ce qui l’attend. En situation de stress (on lui a réservé un
certain nombre de surprises et de
pièges), il est sur le qui-vive, le
doigt sur la détente de son fusil
d’assaut, à évaluer la situation à
chaque seconde et à y adapter ses
décisions. Le but de la manœuvre?
Récupérer un criminel de guerre
en milieu hostile une arme à la
main, sans perdre son calme et sa
capacité de réflexion.
La maîtrise du feu
«Sam» (tous les commandos resteront anonymes), l’un des instructeurs qui supervisent, est lui un
habitué de ce genre de traquenards, en situation réelle: «On arrive en hélico, en pleine nuit. On
est dix à intervenir, on se retrouve
dans un compound où ils sont
moult. Des flingues sont planqués
dans les couffins. Il y a du bétail, ça
court dans tous les sens, ça tire de
tous les côtés. Vous connaissez le
«civcas», le civil qui tombe? (civilian casualties, ndlr). Nous, on
nous embauche pour éviter ça.
Notre truc c’est la maîtrise du feu,
le tir sélectif, la petite seconde de
réflexion avant d’appuyer sur la
détente, et même une fois la détente en action, pouvoir la relâcher si la situation évolue. On n’a
pas envie de voir des gosses sous la
bâche plastique après un assaut.»
L’homme qui nous parle a
41 ans. Cuir tanné, physique râblé.
Rustique, dur au mal, évidemment. Il a une connaissance des
armes à feu, des explosifs, du combat rapproché, etc. sur le bout des
doigts. Aussi une femme et un enfant de 5 ans. Il fait partie du commando Trépel, l’un des six commandos de la Marine, spécialisé
dans le contre-terrorisme et la libération d’otages. «Une fois, j’ai
enchaîné deux séjours de quatre
mois en «Afgha» avec quatre mois
en France au milieu. Quand on m’a
demandé de repartir dans la foulée, j’étais bien sûr d’accord. C’est
ma femme qui l’était moins.»
France oblige, les 35 heures, ces
fonctionnaires connaissent bien.
Sauf qu’ils effectuent ce temps de
travail très souvent en deux jours.
Ils habitent, en famille, tous à
proximité de la base. En alerte en
permanence, ils ont six heures
quand ils sont sollicités pour être
prêts à être projetés n’importe où
sur la planète. Renoncer à ce sacerdoce? Pour rien au monde. La
seule limite est physiologique.
«Sam» est depuis dix-huit ans
ininterrompus actif dans les Forces spéciales, ce qui est très rare:
«J’ai de la chance, le physique suit.
Hommes
Le Temps l Samedi 21 juin 2014
La fosse aux lions
C’est la raison pour laquelle les
commandos sont extrêmement
bien encadrés, «un véritable cocon». Depuis septembre 2001, la
date d’entrée de plain-pied de l’armée française dans le monde des
Forces spéciales en Afghanistan,
les Fusco sont encadrés par des
psychologues. «Nous y avons tous
recours, raconte l’un d’eux sans
aucune gêne. C’est vrai qu’on vit
un peu dans un milieu particulier
où il n’est pas courant de montrer
la faille. C’est la fosse aux lions.
Mais les psys sont utiles, je n’ai pas
honte, je le revendique. Ça fait
partie du package. Aucun tabou
avec ça. Il y a par exemple deux
mecs, des gars super, qui ont
quitté après leur séjour en Afgha,
car ils se sont rendu compte que
ce n’était pas fait pour eux. C’est
honorable de leur part.»
Et de poursuivre, sur un divan
improvisé au milieu du camp
d’entraînement, entre les soldats
un peu partout à l’exercice, équipés de toutes sortes d’armes qu’on
ne voit habituellement que dans
les films américains: «On n’est pas
nés pour tenir un flingue et abattre quelqu’un, c’est faux. Nous les
humains, on n’est pas des tueurs,
faut arrêter la télé. Ce n’est ni un
geste anodin ni un geste naturel.
Ok, on est entraînés, le geste est
mécanisé, tout répond très vite.
Mais là-haut (en pointant du
doigt son front), ça travaille. Du
coup, on nous encadre. Quand on
rentre de mission, on est pris en
compte, débriefé par des psys. On
y vient de nous-mêmes.»
LA FORCE
EN PRATIQUE
Les commandos marine sont
formés de six unités
(Jaubert, Trépel, De Montfort, de Penfentenyo, Kieffer
et Hubert), qui représentent
400 militaires en tout. Le
temps opérationnel d’un
commando est d’une quinzaine d’années maximum. La
moyenne d’âge est de
29 ans. Les commandos sont
en mission sur le terrain à
l’étranger, environ 150 jours
par an. Les plus expérimentés sont sollicités jusqu’à
220 jours par an.
Les commandos marine
français ont vu le jour durant
la Seconde Guerre mondiale.
Le 6 juin 1944, 177 bérets
verts, formés par les Britanniques en Ecosse, ont débarqué sur les plages normandes. C’est l’enseigne de
vaisseau Philippe Kieffer qui
est à l’origine de la création
de cette unité spéciale.
JEAN-SEBASTIEN EVRARD/AFP
Aucune blessure sérieuse. Mais là,
j’arrive au bout physiquement.
J’arrête l’an prochain.» La suite?
«Une reconversion, je quitte. Je
préfère partir et changer de métier. Même si l’entrée dans la vie
civile, ça va changer de la famille
commando.» Vers quoi? «Peutêtre conseiller… la sécurité…» On
n’en saura pas plus.
Rythme effréné, opérations qui
s’enchaînent aux quatre coins de
la planète. La réponse est pourtant non, ce ne sont pas des surhommes, ils le répètent à l’envi.
Malgré leurs aptitudes, résistance
et polyvalence extrêmes: «On n’est
pas des champions du monde, dit
l’un d’eux, cagoule sur la tête,
après un exercice de descente en
rappel depuis un hélicoptère.
Juste très motivés et très bien préparés.»
On peut par ailleurs être commando et être déstabilisé. Passer
du terrain en milieu hostile aux
situations courantes de la vie civile ne se fait pas toujours facilement. Autre difficulté: quitter le
statut opérationnel. Le maître
principal «X», 55 ans, toujours en
béret vert, ne part plus en opération. L’homme a fait partie du
commando Hubert, le plus prestigieux, celui des nageurs de combat. De sa blessure par balles qui a
ravagé une bonne partie de ses
organes internes, on ne voit au
moment de lui parler, par l’échancrure de sa veste camouflée, que la
trace de la trachéotomie qu’il a dû
subir en urgence. «Devenir inapte
aux opérations, ça a été très dur.
On passe par des moments très
difficiles dans ce métier», racontet-il sans la moindre fausse pudeur.
«Toute lacune
est éliminatoire.
Les gars sont
bons en tout»
Un commando qui vient d’effectuer une descente en rappel dans l’une des cuves datant de la Seconde Guerre mondiale de la base.
On leur offre aussi la possibilité
de souffler et de faire une pause
dans leur carrière. «Se mettre au
vert», faire autre chose un temps
et réintégrer un commando, à
condition d’avoir gardé le niveau.
Pour eux, et aussi souvent pour
leur famille, le temps de retisser
les liens que les opérations permanentes finissent forcément par
distendre.
Le profil recherché, c’est le
contre-amiral Olivier Coupry,
commando et patron de la Force
maritime des fusiliers marins et
commandos marine en personne
– le pacha –, qui nous l’explique:
«Nous sommes les héritiers des
premiers commandos français,
formés par les Anglais pendant la
Seconde Guerre mondiale. Nous
avons conservé quelque chose de
«En tant que marins,
on se fait un peu
brancher au milieu
du Sahel ou de l’Afgha»
britannique, en plus de la coquetterie qui consiste à porter notre
béret vert insigne à gauche,
comme eux. Il y a le pragmatisme,
le sang-froid, la rigueur et un solide sens de l’humour, dont nous
avons hérité. Mais au-delà de ça,
nous recherchons des qualités
d’homme. La force, pas uniquement physique, mais aussi et surtout mentale, celle qui permet
d’aller au bout de la mission. La
ténacité, l’audace, le courage. L’esprit d’initiative, qu’on développe
chez nos jeunes commandos et
qui va de pair avec l’esprit
d’équipe. Une dernière qualité,
peut-être la plus importante: l’intelligence des situations. Cette capacité à analyser, à comprendre
une situation et à prendre la
bonne décision, dans l’instant.»
Des gens globalement calmes,
équilibrés, mais capables d’être
agressifs. Et de comprendre très
vite. Tous sont capables de «restituer» quasi immédiatement tout
ce qu’on leur montre. «Rien ne sert
d’être un tireur d’élite et un grand
nageur, si on a le vertige. Ou viceversa. Toute lacune est éliminatoire. Les gars sont bons en tout.»
Face à l’exigence des missions,
l’entraînement est drastique. La
sélection des élus impitoyable.
Deux stages commandos sont organisés chaque année pour repourvoir les effectifs des six commandos. Sur 100 postulants ultramotivés, seuls 10 coiffent le béret
vert à l’issue. Le stage? Neuf semaines ininterrompues (jour et nuit)
d’épreuves…
Toutes les unités commandos
sont gelées tous les deux ans. Elles
ne participent plus aux opérations, le temps d’être réévaluées.
«Pour garantir le professionnalisme dans nos missions, nous
sommes testés, et, quand il le faut,
nous retournons en formation.
Après des opérations en Afrique
par exemple, où on ne plonge pas,
nos savoir-faire liés à la mer s’érodent.»
Une adaptation permanente
La marque de fabrique des commandos, c’est la remise en question personnelle et collective permanente. «On ne se sent jamais
arrivés. On apprend tout le temps,
on cherche toujours à s’adapter
aux nouveaux défis et à s’améliorer.» Car celui qui ne progresse pas
s’en va. Pour chaque degré de progression, un nouveau stage, éliminatoire. Aucune autre équipe des
Forces spéciales au monde n’a ce
type de couperet au moment de
gravir les échelons.
Caste unique, coterie exclusive
de fait auto-excluante, ils sont le
sommet de la pyramide de la force
armée. On les envie, on les jalouse:
malgré la crise, les enveloppes
budgétaires de la Défense sont
pour eux reconduites chaque année jusqu’ici. L’infrastructure vétuste de leur camp de base? Ils ne
semblent même pas la remarquer.
Commandos de la Légion
étrangère, GIGN, Navy Seals, etc.
«Pour être honnête, la question
peut vous effleurer à 20 ans de
savoir qui est le plus fort, résume
l’un d’eux. A nos âges (35-40 ans
en moyenne pour les opérationnels des missions les plus délicates, ndlr), on a suffisamment à
faire pour ne plus avoir le temps
de nous poser cette question.»
Et les femmes? On nous le jure,
les portes leur sont ouvertes. Et
que celles qui ont essayé le test
d’entrée n’ont pas réussi. «Ces
épreuves ne sont pas faites pour
les empêcher de venir aux commandos. C’est capital d’être capable, avec tout l’équipement, de
courir 8 kilomètres en moins de
quarante-cinq minutes. Quand on
est sous le feu d’un tir de mortier
en opération, on doit pouvoir porter un camarade blessé.»
Hors terrain, c’est souvent la déconnexion totale. «Chez moi, je ne
porte plus de montre. J’ai les cheveux qui poussent et des géraniums dans la tête. A la maison,
c’est madame l’adjudant, je n’ai
pas honte de le dire. On est
comme tous les Français, pas plus
pas moins. Mais notre récente médiatisation nous a fait du mal.
Avant, nos femmes ne savaient
pas ce qu’on faisait vraiment.
Maintenant qu’elles sont au courant, c’est devenu plus compliqué
de partir.»
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Le Temps l Samedi 21 juin 2014
Hommes
COCKTAILS VINTAGE
CHEERS!
Ceux qui les boivent sont des héros, ceux qui les confectionnent
aussi. Loin des shows où l’on voit valser les shakers derrière le bar,
les nouveaux rois du cocktail distillent sobrement leur savoir-faire
dans des compositions millimétrées inspirées de recettes «old
school». Petit traité de mixologie contemporaine.
Par Géraldine Schönenberg
Frédéric Le Bordays, barman néo-rétro, à l’œuvre: une précision millimétrée.
PHOTOS: VIRGINIE GARNIER
D
Un ingrédient clé: la glace. Concassée au pic à glace pour des glaçons parfaitement réfrigérés, presque secs.
errière la table de
jeu face au cruel
Le Chiffre, James
Bond est engagé
dans une partie de
poker à plusieurs
millions. Impassible, il demande
le barman, que le maître d’hôtel
fait venir d’un claquement de
doigts. Puis il énonce une recette,
variante de son légendaire Vodka
Martini, que lui inspire la vénéneuse Vesper accoudée au bar: «3
mesures de Gin, 1 mesure de
Vodka, 1/2 mesure de Lillet blanc
et un zeste de citron.» Et bien sûr
au shaker, pas à la cuillère,
comme le stipule invariablement
l’agent secret au cours de ses
aventures comme ici dans Casino
Royale.
Et voilà le cocktail mis en situation: un héros en smoking dans
un décor codifié, face au danger
qui menace, une appréhension
qu’il contient derrière un regard
polaire et une attitude corsetée,
en risquant à la dérobée une œillade à une jeune beauté en embuscade. Un amalgame de sensations fortes, de sueurs froides
avec un arrière-goût d’amertume,
la mort possible, et au fond de la
gorge la suavité de la liqueur, les
promesses de volupté charnelle,
le repos du guerrier. Un concentré de saveurs qui pimentent l’action tout autant que la boisson.
Un prodige d’équilibre à partir
de composants discordants
autour d’un ingrédient clé: le glaçon. Parfaitement réfrigéré, presque sec, comme le regard acier de
Daniel Craig.
Dans la vraie vie, la star se
trouve derrière le bar. Le barman
n’est pas un satellite au service des
puissants, il est l’artisan éclairé
des nectars crépusculaires, le
grand alchimiste du breuvage sélect, le concepteur méthodique
des potions mondaines. Et l’appellation même de son métier se
teinte d’expertise puisqu’on le
nomme aujourd’hui «mixologiste».
Plongeons dans l’histoire et le
vocabulaire sibyllin d’un art raffiné grâce à Frédéric Le Bordays,
spécialiste de cocktails vintage,
qui revisite ses classiques avec succès dans son bar Artisan, à Paris
dans le 9e. Il fut créateur de cocktails à la Maison Mère et au China,
bars-restaurants parisiens et, parallèlement, il est directeur de
Mixed Drinks, société spécialisée
dans la création de cocktails sur
mesure. Il est aussi l’auteur du livre Cocktails, les nouveaux classiques aux Editions Hachette, paru
fin 2013.
Le Temps: L’origine du cocktail est
incertaine. A quand la dateriezvous? A la Prohibition?
La Prohibition est une petite
étape dans l’histoire du cocktail.
Son origine remonte plutôt aux
colonies, aux XVIe et XVIIe siècles. A l’époque, on préparait des
petits mélanges avec du rhum, du
gin et du jus de citron, du thé,
c’était les «punchs». L’âge d’or du
cocktail c’est plutôt le XIXe siècle,
entre 1850 et 1900, notamment
aux Etats-Unis.
Votre spécialité, c’est le cocktail
classique?
Oui. Ce qu’on appelle «cocktails
classiques», ce sont toutes les
recettes qui existaient au XIXe siècle: le Old Fashioned, le Manhattan, les Sour, les Fizz. On était un
peu plus pointus à cette époque.
On a l’impression que le Old
Fashioned a été remis au goût
grâce à la série «Mad Men»?
En fait «cocktail» et «Old Fashioned» désignent la même chose. A
l’origine, au XIXe, le mot «cocktail» est la définition d’une recette
particulière: un petit peu de
sucre, un aromatique bitter – qui
est une infusion, une macération
de plantes dans de l’alcool avec
beaucoup d’amertume, telles que
la gentiane ou l’absinthe – et une
eau-de-vie, produit de la distillation d’une plante, d’une graine. Le
gin, le whisky, le cognac sont des
eaux-de-vie au même titre qu’une
«poire williams», par exemple. Le
«Old Fashioned», c’est exactement
ce qu’on appelait un cocktail à
l’époque: du sucre, un petit peu
de bitter et du whisky. Avec des
glaçons. Aujourd’hui, cocktail est
devenu le terme générique pour
dire «boisson mélangée», comme
le mojito par exemple, alors que
ça n’a rien à voir…
Pourquoi ce retour au Old
Fashioned?
Parce que c’était l’âge d’or, l’époque où les cocktails ont été créés,
où l’équilibre entre les ingrédients
a été trouvé. Aujourd’hui, on
revisite les classiques en apportant
des touches modernes mais les
bases ont été posées à cette période-là, notamment avec l’invention
de la glace artificielle ou encore le
processus de distillation, qui était
un peu plus précis. Et l’on utilisait
des produits de meilleure qualité
qu’au XVIe ou au XVIIe.
Mais n’est-ce pas une mode
au même titre que la décoration
ou les vêtements?
Oui, ça fait partie du mouvement
Hommes
Le Temps l Samedi 21 juin 2014
OLD FASHIONED
AVIATION
COCKTAIL
C’est l’origine même du cocktail: spirit, sucre et bitter
aromatique (voir la partie historique page 16). La préparation du Old Fashioned est sujette à controverse.
Certains préfèrent dissoudre un morceau de sucre
imbibé de bitter et préparer le cocktail directement
dans le verre, ajoutant progressivement le bourbon et
la glace tout en mélangeant avec la cuillère à cocktail.
D’autres apprécient une texture plus lisse et utilisent
du sirop de sucre. Vous pouvez décliner cette recette
en remplaçant le bourbon par un autre spirit comme
du rhum, de la tequila ou même du gin.
60 ml de bourbon
5 ml de sirop de sucre
5 ml d’eau gazeuse
2 traits d’Angostura bitters
Zeste d’orange
Hugo Ensslin, chef barman au Wallick Hotel
de New York au début du XXe siècle, fut le
premier à présenter cette recette, en 1916,
dans son livre Recipes for Mixed Drinks. Les
ouvrages qui ont suivi cette première publication ont presque tous omis la liqueur de
violette, y compris la référence des années
1930, Le Savoy Cocktail Book. Il semblerait
que la difficulté à se procurer de la liqueur
de violette à cette époque ait poussé certains barmen à l’éliminer de la préparation.
60 ml de gin
20 ml de jus de citron
15 ml de marasquin
10 ml de liqueur ou crème de violette
Versez le sirop de sucre, l’eau gazeuse, l’Angostura et
le zeste d’orange dans un verre à mélange. Ecrasez
légèrement le zeste pour en extraire les huiles. Retirez le zeste, puis ajoutez le bourbon et de la glace.
Mélangez à l’aide d’une cuillère à cocktail et versez
dans un verre à whisky bas rempli de glace.
Décoration: exprimez un zeste d’orange au-dessus
du verre et garnissez. Frédéric Le Bordays
La qualité de la glace
est importante?
Oui, dans la réalisation d’un cocktail, il faut utiliser une glace très
froide pour ne pas apporter trop
d’eau à la boisson, pour la rafraîchir sans la diluer. Tout ça n’avait
que peu d’importance dans les
années 80-90. En réinterprétant
aujourd’hui le métier de barman
comme au XIXe siècle, on s’est
aperçu qu’ils taillaient les blocs de
glace d’une certaine manière: les
machines à glaçons n’existant pas,
on utilisait des pics à glace.
Pourquoi ces ingrédients amers?
A l’époque, les aromatiques
bitters avaient des vertus médicinales. On en mettait un petit peu
sur du sucre, ça permettait de
soigner les maux de ventre. Tout
comme le gin tonic qui a été créé
pour lutter contre le scorbut. Le
quinquina qui entre dans la
composition du tonic est très
amer et était administré contre le
paludisme, le citron aussi avait
des vertus médicinales.
Aujourd’hui, c’est entré dans les
mœurs, on apprécie l’amertume
mais ce n’était pas forcément le
cas à l’époque…
Le cocktail, c’est donc plutôt
une boisson de «dur à cuire»
à l’origine?
Oui, c’est une boisson de marin.
Mais qui est très bonne si elle est
bien équilibrée. Il faut que chaque saveur ait sa place sans être
dominante.
Boire un cocktail, ça fait partie
de l’art de vivre comme fumer
un bon cigare?
Tout à fait, ou comme manger
une bonne viande à la façon des
bouchers stars qui font un vrai
travail de maturation, par exemple du gigot d’agneau avec du
whisky japonais. Composer un
cocktail, c’est vraiment de l’artisanat, c’est pour ça qu’on a appelé notre bar «Artisan». Une fois
que vous avez composé une
recette, il faut la reproduire de
manière précise, il y a des procédures, on mesure chaque
ingrédient.
Certains héros ont leur cocktail
préféré, qui devient un de leurs
attributs fétiches.
Oui, c’est le cas de James Bond,
qui en a eu plusieurs dont le Dry
Martini ou le Vesper, du nom
d’une des héroïnes de Casino
Royale.
Qu’en est-il du geste, du show
associé au bar à cocktails?
Le geste et la technique sont
importants. Mais on doit les
maîtriser sans que le client le
sente forcément.
Aujourd’hui, on trouve encore
des cocktails à l’absinthe?
Oui bien sûr, c’est un des ingrédients que l’on utilise beaucoup.
Comme au XIXe à la NouvelleOrléans dans les quartiers français où l’on mixait du cognac, de
l’absinthe, du Champagne.
Quels sont les cocktails masculins
par excellence?
Le Manhattan, le Old Fashioned,
le Whisky Sour. Le plus viril étant
le Old Fashioned, que boit Don
Draper dans la série Mad Men.
DRY MARTINI
En fait, on déguste un cocktail
comme si c’était un chef-d’œuvre
culinaire?
Exactement.
Pourquoi cette visibilité
des cocktails dans les films,
même dans le cinéma muet?
A l’époque, il y avait un véritable
engouement, notamment à Paris.
Lorsqu’a eu lieu la Prohibition
aux Etats-Unis en 1915, les bars à
cocktails, qui étaient très populaires, ont fermé. Les barmen
américains se sont exportés en
Europe et les ont recréés à Londres, à Paris. C’est à ce moment-là
que le cocktail est devenu populaire en France, dû au fait, notamment, que le pays possédait un
important patrimoine en ce qui
concerne les spiritueux (cognac,
vermouth, liqueurs). Les barmen
ont utilisé ce potentiel pour
monter leur bar et élaborer des
recettes. Deux barmen de l’American bar de l’hôtel londonien The
Savoy ont d’ailleurs publié, dans
les années 30, un célèbre livre de
recettes de cocktails.
Que buvait-on avant cette époque?
Beaucoup d’apéritifs anisés de
type absinthe, qui était très populaire en France jusqu’à son interdiction à l’avènement de la Prohibition en 1915.
Recettes et photos extraites
de l’ouvrage «Cocktails,
Les nouveaux classiques»
de Frédéric Le Bordays,
collection CQFD
des Editions Hachette Cuisine
Photographe: Virginie Garnier
Styliste: Coralie Ferreira
Il y a beaucoup de barmen stars?
Oui, à New York, à Londres et à
Paris ce phénomène s’est développé depuis quatre-cinq ans,
c’est un peu comme la cuisine en
ce moment, on retourne aux
sources, on veut des produits de
qualité. Cocktail ne signifie pas
forcément «ivresse».
Cocktail classique, le dry martini a fait couler beaucoup d’encre sur sa préparation, à
la cuillère ou au shaker, ou ses proportions
de vermouth, de gin et d’orange bitters. En
France, il est confondu avec le Martini dry,
un vermouth sec de la maison Martini &
Rossi qui, pour ajouter à la confusion, est
un de ses ingrédients. Le dry martini est un
grand terrain de jeu pour tout amateur de
cocktails secs, qui pourra jouer sur les dosages et les associations!
60 ml de gin
10 ml de Vermouth français (sec)
2 traits d’orange bitters
Versez tous les ingrédients dans un verre à
mélange, ajoutez de la glace et mélangez à
l’aide d’une cuillère à cocktail. Versez dans
un verre à cocktail rafraîchi.
Décoration: exprimez un zeste de citron
au-dessus du verre et garnissez avec une
olive verte. FLB
Et la décoration, l’olive ou la rondelle de citron, c’est important?
Une décoration de cocktail a
également un sens dans sa
composition, ce n’est jamais
gratuit. Une rondelle de citron,
ça apporte une tonalité d’agrume.
TWENTIETH
CENTURY
COCKTAIL
Quels sont les cocktails mythiques:
Le Sazerac, le Old Fashioned,
le Whisky Sour.
Ce cocktail a été créé en 1937 par un barman britannique nommé C. A. Tuck, en
l’honneur du célèbre train Twentieth Century Limited qui a relié New York à Chicago
de 1902 à 1967. La recette a été publiée en
1937 dans le livre de William J. Tarling Cafe
Royal Cocktail Book. Ce cocktail était à l’origine préparé avec du Kina Lillet. Vous pouvez utiliser du Lillet blanc ou un autre apéritif à base de quinquina, comme le Cocchi
Americano ou le Kina l’Avion d’Or.
45 ml de Gin
20 ml de jus de citron
20 ml de Lillet blanc
20 ml de crème de cacao
Il y a des moments, des humeurs
pour les cocktails?
Ça dépend du lieu, avec qui vous
êtes. Le soir bien sûr mais aussi
lors d’un brunch. Les Corpse
Reviver, par exemple, sont censés
vous réveiller…
Ça reste une boisson luxueuse?
Elle se démocratise et n’est plus
cantonnée aux palaces et aux
grands hôtels.
Les rasades sont précises dans
un cocktail et non pas aléatoires?
C’est comme une recette
de cuisine?
Absolument. La plus petite unité
de mesure c’est la goutte, on ne
peut pas faire plus précis.
PHOTOS: VIRGINIE GARNIER
néo-rétro. Mais c’est une bonne
chose, car c’est à cette époque-là
que les cocktails étaient vraiment
très bons et faits de manière
professionnelle. On revient à des
saveurs moins artificielles. On est
plus axés sur la qualité des produits. Dans les années 80, on s’est
un peu perdus dans les saveurs
chimiques, avec des cocktails très
sucrés. Aujourd’hui, on est revenus au savoir-faire du XIXe siècle
et à la tradition. Ils sont préparés
dans les règles de l’art. Avec une
qualité d’ingrédients, une qualité
de glace, un juste équilibre.
Versez tous les ingrédients dans un shaker,
ajoutez de la glace et frappez vigoureusement. Versez dans un verre à cocktail rafraîchi.
Décoration: exprimez un zeste de
citron au-dessus du verre et garnissez avec
1 cerise. FLB
Versez tous les ingrédients dans un shaker,
ajoutez de la glace et frappez vigoureusement. Versez dans un verre à cocktail rafraîchi.
Décoration: exprimez un zeste de citron
au-dessus du verre et garnissez. FLB
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Le Temps l Samedi 21 juin 2014
Hommes
THESE BOOTS WERE MADE FOR RIDING
BOTTES SECRÈTES
Pour toute publicité, rien d’autre que leur réputation et le bouche-à-oreille. Les Schnieder Boots
sont aux pieds de tous les plus grands cavaliers. La famille royale d’Angleterre et la garde à cheval
de la reine ne sont pas en reste. Etrangers aux box et manèges, quelques citadins avisés
connaissent l’adresse du seul et unique bottier de Londres. Visite exclusive d’un lieu unique.
Textes et photos: Pierre Chambonnet
De gauche à droite et de haut en bas: une partie des 2000 paires de bottes stockées à Londres, le Royal Warrant of Appointement de la reine d’Angleterre, Rudolf Schnieder, des embauchoirs et un détail du stock.
C
ommençons par le sésame, l’adresse pour
s’y
rendre.
16,
Clifford Street. Pas
besoin de mot de
passe. L’accès au seul
et unique bottier de Londres se
fait par l’intermédiaire d’une banale sonnette, vissée sur la brique
d’un immeuble discret de Mayfair.
Une fois à l’intérieur, d’abord
l’odeur, entêtante. Celle des peaux
de bovidés, devenues cuirs de
premier choix. Des produits nobles qui, sublimés par les mains
d’artisans, sont devenus des
bottes à la qualité irréprochable et
à l’esthétique parfaite. Saut d’obstacles, dressage, polo, chasse,
cavalerie, etc. Toutes les activités
équestres sont représentées chez
«Schnieder boots», le seul véritable bootmaker de Londres, à savoir
le seul fabricant de bottes uniquement. L’art le plus difficile, la
quintessence du métier.
Pour visiter ce sanctuaire bottier, il faut d’abord en avoir entendu parler. Aucune publicité
dans les magazines. Le nom
Schnieder n’apparaît nulle part
ailleurs que sur la discrète ensei-
gne de l’immeuble sage de
Clifford Street. Un indice: la rue
est perpendiculaire à Savile Row,
l’artère londonienne qui n’est pas
étrangère aux hommes de goût.
C’est là, dans le Golden Mile, que
se bousculent tous les élégants
qui viennent chercher entre
autres le savoir-faire des meilleurs
tailleurs du monde. Tout au plus,
quand le soleil est de la partie,
aperçoit-on depuis le trottoir,
quelques bottes présentées à la
rue, derrière les étroites fenêtres
du premier étage improvisées en
vitrines.
La «modernité» du site web de
la marque donne elle aussi une
idée de l’importance que l’on accorde chez Schnieder à la communication. La qualité des produits qui y sont vendus parle
pour elle seule. Toute l’histoire de
la marque repose d’abord sur les
pieds, ensuite sur la bouche et les
oreilles. A tel point que les dandys, les plus avisés, viennent y
acheter les cinq modèles produits par la marque, compatibles
avec le macadam des villes, à savoir des bottines: les ankle boots et
autres strap Jodhpur.
Royal Warrants
Les bottes Schnieder ont une réputation planétaire. Seuls les
Royal Warrants of Appointment
(certificats royaux de la Couronne
britannique qui garantissent le
sérieux et la qualité d’une marque) constituent le bagage promotionnel officiel de la marque
centenaire. Outre les pieds royaux
de la monarchie britannique,
Schnieder Boots est aussi le fournisseur de la garde à cheval de la
reine avec les fameuses Jack Boots
(lire page 19).
Première surprise: rien au rezde-chaussée. Tout se passe à
l’étage, dans le joyeux capharnaüm d’un autre temps. Meubles
cirés victoriens, lustre à pendeloques, moulures et gravures old
school: des scènes de chasse à
courre et des militaires, à moustaches, à cuirasse et à cheval. Tout
ce beau monde botté de près
comme il se doit. Des selles, des
licols, des longes, des mors, des
éperons, et des bottes (et bottines). Deux mille paires sont stockées ici. Deuxième surprise, un
homme, seule présence humaine
sur place, nous reçoit. 78 ans,
regard bleu rieur, distinction et
gentillesse extrêmes. Le patron
en personne.
«Ce qui rend les choses plaisantes ici, c’est que nous sommes affranchis de la mode, dit Rudolf
Schnieder, l’unique propriétaire
de la marque. Nous ne sommes
pas des faiseurs de mode. Chez
d’autres, il faut changer sans arrêt, s’adapter, même devancer
pour vendre. Les bottes que nous
faisons sont toujours les mêmes,
avec la même qualité, depuis toujours. Les patrons, les formes et
les gestes n’ont jamais changé.
Loin du tumulte de la mode et de
ses vertiges, vous n’avez pas mal à
la tête chez nous. Vous pouvez
voir ici à Londres ce que nous proposons. Si cela ne vous convient
pas, ayez la gentillesse d’aller
chercher ailleurs.»
«Nous»? Rudolf Schnieder dirige en fait une trentaine d’artisans. Tous officient dans sa fabrique de Northampton, à une
centaine de kilomètres au nord de
la capitale et du showroom qui
fait également office de boutique.
Clifford Street est le seul et unique
point de vente de la marque. Le
maître bottier connaît tout le métier sur le bout des doigts, ce qui
lui vaut le respect de ses employés.
Son père et son grand-père étaient
bottiers avant lui, depuis 1907, en
Allemagne. Né à Hanovre, c’est lui
qui a déplacé les activités de la
marque en Angleterre.
Rudolf Schnieder vend ses bottes dans 87 pays. Tous ses clients
ne viennent pas à Londres. Pour le
sur-mesure, une bonne moitié
ont recours au document qu’il
propose de lui retourner, avec
toutes les données nécessaires: «Il
suffit de remplir la feuille recto
verso, avec toute une série de mesures, ainsi que la forme de l’empreinte des deux pieds. C’est très
facile. Et il ne peut y avoir aucune
erreur. Quand j’ai le moindre
doute sur la façon dont un client a
pris telle ou telle mesure, je le
recontacte aussitôt.»
Toutes les bottes et bottines
sont fabriquées en trois versions:
prêt-à-porter – que l’on peut
acheter directement dans le
stock londonien –, et sur mesure,
fabriquées soit à l’aide de machines, soit entièrement à la main.
Hors commandes spéciales, les
Hommes
Le Temps l Samedi 21 juin 2014
FOURNISSEUR OFFICIEL DE LA GARDE
Les Jack Boots des Horse Guards
Un cavalier et ses Jack Boots lors de la relève de la garde au Horse Guards Building.
Rudolf Schnieder fabrique les bottes d’équitation des membres de la
famille royale. Et depuis trente ans,
c’est lui qui fournit les Jack Boots des
Horse Guards. Les Blues and Royals et
les Life Guards, les régiments affectés
à la protection des têtes couronnées
au palais de Buckingham et au château de Windsor portent en effet ses
célèbres cuissardes à la découpe
particulière au niveau des genoux.
«J’ai un contrat avec le Ministère
de la défense britannique, explique
Rudolf Schnieder. Je suis le seul
fournisseur des Jack Boots à l’armée.
On m’en commande un certain
nombre par an, que je livre directement aux militaires.»
PUBLICITÉ
«Nous ne sommes pas
des faiseurs de mode.
[...] Les bottes que nous
faisons ici sont toujours
les mêmes, avec
la même qualité,
depuis toujours.»
Rudolf Schnieder, directeur de Schnieder Boots
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<wm>10CFWKKw6AMBAFT7TN6376YSWpaxAEX0PQ3F9BcSQzo6Z3t4DPtW1H292KlUgAkkQ31cDGniUHoDgSEiPqgipQSObfT7OKOOZDSC8DlbiS2IBYuM_rAelHBQ1yAAAA</wm>
prix sont compris entre 1000 et
4500 livres la paire (1500 et
7000 francs).
«Pour le dressage par exemple, les bottes sont très longues
et très droites, détaille le bottier.
Pour le saut d’obstacles, elles
sont plus courtes, et les jambes
du cavalier étant pliées, ses bottes ont un angle différent. Pour
la course, il faut des modèles très
légers et très souples. Les joueurs
de polo ont besoin eux de bottes
dures et rigides, renforcées sous
le milieu du pied. Car ils balancent tout leur poids en permanence sur leurs éperons.» Rudolf
Schnieder est intarissable. Il est
lui-même cavalier depuis 75 ans.
Pour compléter son offre équestre, il a racheté il y a 15 ans la
société bicentenaire W&H Gidden, qui fabrique tout l’équipement du cheval.
«Ici, rien ne change»
Pas une once de caoutchouc ici.
Du cuir, uniquement du cuir, en
provenance d’Angleterre principalement. Box-calf et wax calf.
Cette dernière catégorie, le veau
graissé, est un type de peau
chargé en graisse et huile pour
une plus grande imperméabilité. Au moment de notre visite,
un client impatient vient chercher en avance une paire de bottes d’équitation sur mesure.
«Vous devrez attendre un jour
de plus, le sermonne gentiment
Rudolf Schnieder. Elles doivent
sécher sur mes formes en bois
pendant un jour et une nuit. Je
veux que les choses soient faites
dans les règles et que vos bottes
soient fabriquées comme elles
le sont toutes, ce qui requiert de
la patience.» La religion ici? La
qualité bien évidement, au détriment de la quantité.
«Ici, rien ne change, commente-t-il sobrement. Une
botte de chasse sera toujours
une botte de chasse. Certains de
nos clients utilisent nos bottines comme articles de mode. Ils
les portent en ville, car ils
aiment l’élégance de ces bottines équestres, coupées en une
seule pièce. Nous en sommes ravis. Peu importe l’usage qu’on
fait de nos bottes. J’ai un client
qui en a 80 paires. Il ne monte
jamais à cheval!»
T i s s oT Q u i c k sT e r F o oT b a l l . M ou v e M e n t c h ro n og r a p h e e xc l u s i f av e c
fonction spéciale de chronoMétrage d’un Match de football, boitier
en acier inoxydable 316l et fond gravé. innovaTors by TradiTion.
TissoT.ch
A Northampton, cinq personnes
différentes travaillent sur chaque
paire. Ces artisans ne produisent que
ce type de bottes spécifiquement.
Toutes les coutures sont faites à la
main. Le cuir utilisé est le wax calf.
Les Jack Boots sont des bottes françaises à l’origine. Renforcées au niveau des genoux («la jaque»), elles
servaient à protéger les cavaliers des
coups de sabre au niveau de ces articulations et sur une partie des cuisses. On les utilisait aussi en France à
la chasse, comme en témoigne une
gravure exposée chez Schnieder, qui
présente un cavalier français invité à
une chasse à courre en Angleterre, et
qui porte ce type de bottes.
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Le Temps l Samedi 21 juin 2014
Hommes
PORTFOLIO
SUITE
PARISIENNE
Réalisation
Isabelle Cerboneschi
Photographies et stylisme
Buonomo & Cometti
Cette série a été réalisée dans la suite
parisienne et dans les couloirs
du Royal Monceau à Paris.
Ci-contre:
Rob: pull en laine marine avec poche
en cuir, Valentino.
Montre Tank américaine, Cartier.
Ci-dessous:
blouson bleu-gris en python mat,
t-shirt en maille bleu-gris
et pantalon gris en cool wool,
Louis Vuitton. Slippers noirs
en cuir, Christian Louboutin.
Montre Tank américaine, Cartier.
Le Temps l Samedi 21 juin 2014
Hommes
Ci-dessus:
veste en soie imprimée, Gucci.
Pantalon noir en cool wool, Givenchy.
T-shirt en coton, Hermès. Philip II
à double boucle, John Lobb.
Montre Tank américaine, Cartier.
Ci-contre à gauche:
trench en tissu technique marine,
Lanvin. T-shirt en coton kaki,
Martin Margiela. Pantalon en coton,
Berluti.
Ci-contre à droite:
pull en laine marine avec poche
en cuir, Valentino. Pantalon noir
en cool wool, Hermès.
Montre Tank américaine, Cartier.
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Le Temps l Samedi 21 juin 2014
Hommes
PORTFOLIO
Alice: longue robe en maille/viscose
noire, ceinture en vernis, Azzedine
Alaïa. Escarpins en dentelle et satin
noir, Christian Louboutin.
Collier Chain Attraction en or gris,
serti d’une tourmaline verte
de 20,42carats, de morganites
(27,78 carats), émeraudes
(3,51 carats), et diamants
(26,10 carats), Louis Vuitton
Haute Joaillerie.
Rob: un pantalon smoking en soie,
Haider Ackermann.
Le Temps l Samedi 21 juin 2014
Ci-dessus:
Rob: veste en laine, chemise
en coton et cravate, Saint Laurent.
Alice: blouse en crêpe/mousseline
de soie écru, Saint Laurent. Montre
manchette Limelight,
Piaget Haute Joaillerie.
Ci-contre:
Dans les couloirs
du Royal Monceau.
Alice: jumpsuit bicolore
en soie, Gucci. Montre manchette
Limelight, Piaget Haute Joaillerie.
Rob: veste smoking en velours bleu
nuit, Haider Ackermann.
Chemise, cravate, Dior. Pantalon
smoking noir, Martin Margiela.
Chaussures en vernis à lacets,
Christian Louboutin.
Hommes
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Le Temps l Samedi 21 juin 2014
Hommes
PORTFOLIO
Ci-contre:
costume en lin tabaco, Cerutti.
Une chemise noire en coton, Givenchy.
Warwick en cuir marron, John Lobb.
Ci-dessous:
chemise, pantalon et cravate, Dior.
Malle Maison Goyard.
Ci-dessus:
Malle et porte-clés, Maison Goyard. Lunettes, Persol.
Carré collection homme, Hermès. Montre Tank
américaine, Cartier. Parfum Bel ami/Vétiver, Hermès.
Parfum French Lover, Frédéric Malle.
Ci-contre:
Dans l’ascenseur privé de la suite parisienne
du Royal Monceau.
Alice: manteau de tweed brodé et robe de velours de soie
collection hiver 2013, Louis Vuitton.
>> Retrouvez la suite du reportage
sur www.letemps.ch/hommes
Hommes
Le Temps l Samedi 21 juin 2014
BACCHANTES
HOMMES À POILS
La moustache ou la barbe camouflent, distinguent ou ringardisent un visage. Symbole de
virilité ou accessoire de style, elles connotent leur propriétaire en révélant leur rapport parfois
douloureux à la pilosité. Quatre moustachus se confessent chez le barbier. Par Mehdi Atmani
SALVA MAGAZ/WWW.MAGAZ.COM
D
ix minutes qu’il fait
des allers-retours devant cette devanture
de la rue Bergalonne,
à Genève. Des mois
qu’il y passe quotidiennement sans s’y risquer pour
se rendre au secrétariat des étudiants de l’Université toute proche où il travaille. D’abord hésitant,
puis
décidé,
Victor
Fernandez pousse la porte du barbier-friperie Wood pour la première fois. Il a l’œil rieur et le poil
sauvage. Son regard balaie avec
envie le mobilier danois et les fauteuils de barbier-coiffeur des années 1930. Les narines hument les
effluves de la Sweet Georgia
Brown, la cire coiffante du nom
d’une chanson de Django Reinhardt.
Chez Wood, les enceintes diffusent les notes oniriques de Sexy
Boy, le tube planétaire du combo
électro-pop français Air. Le cliquetis des ciseaux à moustaches
rythme la mélodie. Au fond du
salon, derrière le fauteuil, Ambroise et sa mèche rockabilly l’attendent. Ironie du sort, le jeune
barbier-coiffeur est imberbe, mais
maîtrise la taille du poil comme
peu d’hommes savent encore le
faire. Victor s’installe. D’un geste
vif mais précis, Ambroise éclaircit
les joues puis affine la moustache
à la commissure des lèvres.
Les yeux de Victor se ferment.
Les muscles se relâchent. Le barbier calme la peau avec une serviette chaude et sculpte les bacchantes à la cire. Un fin duvet
sombre orne encore ses joues.
Ambroise lui propose de s’en débarrasser pour ne garder que la
moustache. «C’est de saison, plus
frais, original et confortable
qu’une barbe»: trop vue dans la
rue, archi-portée par la jeunesse
branchée, abusivement lookée
par les hipsters, ces néo-hippies
du XXIe siècle surreprésentés
dans la rue et les magazines masculins. Le trentenaire refuse. Il se
complaît dans le compromis.
Si la moustache revient sur le
devant de la scène, elle fait toujours aussi peur. Par ringardise?
Excès de style? Trop voyante? Angoisse de se muer en pâle copie de
Lionel Ritchie ou Chuck Norris?
Ou pire, de Staline ou d’Hitler. Les
raisons invoquées sont multiples
et pas toujours rationnelles. On
porte la barbe pour se vieillir, se
camoufler, par choix ou fainéantise. Quant à la moustache, «elle
est sur la place publique», s’exclame Victor. L’acte est encore trop
radical pour être assumé. Le trentenaire ne «se sent pas suffisamment adulte» pour la porter. Il se
lève, reluque une dernière fois sa
nouvelle dégaine dans la glace.
«J’adore cette moustache, mais ça
ne va pas plaire à la maison.»
Sur le fauteuil d’à côté, Marco
Marchetta tend l’oreille et grommelle. «Encore une qui se mêle de
nos poils! Est-ce que l’on commente la taille de leur bikini ou de
leur frange?» Avec son chapeau
melon, son gilet noir, sa barbe surmontée d’une moustache fine, le
patron de Wood lutte contre une
trop grande ingérence féminine
sur sa clientèle. Son salon-friperie
est un espace pour hommes qui
Depuis qu’il manie le coupe-choux, Marco Marchetta, le barbier de Wood, tient le rôle de caisse de résonance des maux des hommes des temps modernes.
n’exclut pas pour autant les femmes. «Elles sont les bienvenues
pour autant qu’elles ne brident
pas leurs mecs dans leurs envies
de se tailler la barbe.» On l’oublierait, mais dernière chaque poil se
cache une femme. Marco ne fait
pas exception.
A 42 ans, Marco est barbier de
père en fils. Et c’est avec son excompagne Mahi Durel qu’il fonde
Wood en 2012. Elles s’occupent des
fripes. Lui de la tonte. Le premier
déclic survient dans le barber shop
de son père, à Onex. «Je trouvais
triste que ce type de services disparaisse.» Depuis, les joues velues se
pressent dans son salon-friperie.
Des bobos au look faussement négligé, des hipsters à la longue
barbe très travaillée, et des banquiers de la place profitant des mesures d’assouplissement de leur règlement interne pour oser la barbe
de dix jours stricte et bien taillée.
Marco Marchetta n’exhume pas
les stars seventies aux moustaches
fournies. Il voue un culte à la prestance des bacchantes du début du
XXe siècle. Un chic d’antan furieusement à la mode qui n’est pas
donné à tout le monde. Les hommes ont leurs complexes: trop velus, pas assez, le visage rond ou
trop marqué. Depuis qu’il manie
le coupe-choux, Marco Marchetta
se mue en caisse de résonance des
maux des hommes des temps modernes. A l’instar de Vincenzo
Henquet qui confesse un «rapport
douloureux aux poils».
Les narines hument les effluves
de la Sweet Georgia Brown,
la cire coiffante du nom d’une
chanson de Django Reinhardt
Dans la rue, le designer de
48 ans tire avec frénésie sur sa cigarette roulée. Il porte une moustache fine depuis vingt-cinq ans. Un
«accomplissement capillaire» pour
celui qui n’a jamais été «un grand
barbu». Le quadra opte donc pour
la moustache par contrainte génétique, puis par distinction. C’est
une photo de son arrière-grandpère moustachu qui le conforte
dans son choix. «Je ne l’ai jamais
connu, mais il avait une telle
classe.» Il en aura fallu du temps
avant d’en assumer les contraintes:
la taille, les soins et le regard des
femmes qui «préfèrent sans».
L’histoire de la moustache de
David Julen prend elle aussi racine
dans un complexe pileux. Pour en
parler, le jeune homme de 30 ans
nous donne rendez-vous dans un
restaurant du quartier de SaintGervais. Seul moustachu dans la
salle, David arbore une pilosité
aristocratique toute britannique –
ses origines. Un style qu’il cultive
depuis bientôt un an lorsqu’il
commence enfin à se regarder
dans la glace et à se trouver beau.
«J’ai eu une pilosité très tardive.
Puis un matin de mes 23 ans, je me
suis réveillé avec une barbe.» Ce
détail pileux le fait «passer à l’âge
adulte», dit-il. La barbe lui donne
confiance. «Elle renforce mon
pouvoir de séduction et marque
ma virilité.»
Le jeune homme arrive à la
moustache «par un pur hasard» à
la suite d’un accident de ski qui lui
fracture le genou. David est alors
mécanicien sur avions, mais doit
songer à sa reconversion professionnelle pour un métier moins
physique. Ce changement de vie
s’accompagne d’un nouveau look.
Nous sommes en septembre 2013.
Il porte alors une «énorme barbe»
anarchique. A l’occasion d’une
sortie, ses amis le convient à une
soirée moustache. «Je me souviens
du sentiment d’horreur dans le
miroir. J’avais l’air d’un fermier
texan. J’étais méconnaissable.»
David Julen attire pourtant
tous les regards. Les hommes et les
femmes s’approchent, entament
la discussion, touchent. «Je me
souviendrai toujours de cette soirée où la moustache m’a fait son
premier clin d’œil. Ça m’a donné
confiance.» Avec ce nouveau style,
le jeune homme commence à s’intéresser à lui, à se regarder et à se
plaire. «Cette moustache m’apporte une belle aura. Elle m’aide à
m’assumer et à m’ouvrir aux
autres.»
Nous retrouvons Victor Fernandez sirotant une bière au bistrot. «Tu te laisses pousser la
moustache maintenant», lui demande le serveur? Le trentenaire
sourit en goûtant aux premières
joies de sa métamorphose capillaire. Il se dit «angoissé, soucieux
du regard des autres, mais
ouvert». Nettement plus depuis
qu’il est devenu papa il y a 8 mois.
«La paternité m’a désangoissé. Ça
m’a permis de me libérer, de mettre au second plan l’aspect physique pour mieux en jouer.» Il
ajoute: «Avant je me sentais
comme dans un caleçon trop
serré. J’étais pas bien dans mon
corps et dans ma masculinité.» Il
fait désormais abstraction du regard des autres. «Un bien-être qui
se reflète dans mes poils.»
>> Retrouvez la suite du reportage
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Le Temps l Samedi 21 juin 2014
Hommes
U
n samedi soir, fin
avril au Zinéma de
Lausanne. Au programme de cette
salle de cinéma indépendant, pas de longmétrage mal distribué dans les
multiplex, mais un spectacle en
chair, en os et surtout en cordes.
Une soirée Shibari mise sur pied
par Michael Ronsky, passionné
par l’art de ficeler les femmes. Ce
soir, après un documentaire sur
l’esthétique et la technique qui
sous-tendent
cette
histoire
noueuse, c’est Anna qui se fait suspendre et ligoter sur scène par l’artiste qui lace, bride, noue et met le
corps de sa partenaire sous tension. Une partenaire «régulière»
qu’il «apprécie particulièrement
d’attacher». Car l’attacheur n’est
pas forcément le sadique qu’on
imagine: «Je ne fais pas ça avec
n’importe qui, explique-t-il, il faut
que quelque chose se passe entre
le modèle et moi.»
Michael Ronsky se rappelle
avoir attaché un copain lorsqu’il
était gamin, parce que celui-ci
n’arrêtait pas de le suivre. Il a également l’impression, a posteriori,
d’avoir toujours aimé tripoter des
cordes, lorsqu’il était enfant. Mais
pas de quoi non plus être sûr que
sa passion qui le pousse à ficeler
des filles vienne de là. «Mes premiers souvenirs de bondage remontent à mes 12 ans. Comme
Internet n’existait pas – je suis né
en 1973 – j’allais chez Payot
feuilleter les livres de photographies fétichistes.» Araki bien sûr,
mais aussi Betty Page captive et
capturée par l’appareil photo d’Irving Klaw ou le New-Yorkais Richard Kern et ses punkettes entravées. «Je n’osais pas les acheter
mais ça m’a tout de suite plu.
J’aimais la géométrie des corps
ainsi attachés. Ces images me faisaient transpirer!»
Une découverte puis tout de
suite l’envie d’essayer. «Je me demandais comment une femme
pouvait se laisser attacher. Cela
me travaillait énormément mais
je n’osais ni en parler ni me lancer.» Jusqu’au jour où Michael
Ronsky trouve une partenaire
plus que consentante. «J’avais bien
sûr déjà attaché des copines auparavant, mais rien de sérieux.»
Plus tard, alors qu’il est déjà un
habitué des milieux fétichistes et
SM, il assiste à Lyon à la performance donnée par Philippe Boxis,
un des pionniers du shibari en
France. Une révélation. «Je l’ai vu
faire une suspension (quand le
performeur suspend littéralement le modèle en dessus de la
scène, ndlr). Il faisait ça tellement
vite, c’était si beau… Je suis allé lui
parler, et quelque temps après je
l’ai fait venir en Suisse où il m’a
appris toutes les bases dont j’avais
besoin.» Car on ne suspend pas
quelqu’un du jour au lendemain
sans savoir comment assurer sa
sécurité. Le jeu, s’il est excitant, est
aussi dangereux. Et vice et versa.
Né au XVe siècle au Japon, l’art
du shibari était utilisé par les samouraïs comme technique de torture et pour attacher les prisonniers. Il se répand comme
pratique sexuelle dans le courant
des années 50, d’abord dans les
clubs des quartiers chauds. C’est
durant les années 80 que ce type
de bondage sort de son pays d’origine, ramené par des Occidentaux
curieux et transgressifs. «Le terme
«shibari» est aussi un mot japonais qui qualifie leur manière
bien particulière d’attacher les colis», ajoute Michael Ronsky.
Depuis une dizaine d’années,
Michael Ronsky est régulièrement
invité à pratiquer en public son
art d’attacheur. Il organise également des soirées Shibari et des
workshops pour s’initier à l’art des
cordes et perfectionner ses gestes.
Il propose même des cours hebdomadaires à Genève, en fin d’aprèsmidi. Pour boucler les fins de
mois, il travaille mensuellement
six nuits comme veilleur – et sous
son vrai nom – dans un foyer pour
personnes déséquilibrées. «Je ne
dirais pas que le shibari se démo-
SHIBARI
DANS
SES CORDES
Michael Ronsky pratique et enseigne le shibari, le bondage
à la japonaise. Esthétique et érotique, cet art fait de liens
et de nœuds vise paradoxalement le lâcher-prise.
Par Catherine Cochard
ISBN 978-3-8365-1789-8 © NOBUYOSHI ARAKI
26
Taschen propose un coffret en trois volumes qui rassemble une sélection de tirages du photographe
Araki sur le bondage à la japonaise.
«Le terme «shibari» est
aussi un mot japonais
qui qualifie leur
manière bien
particulière
d’attacher les colis»
cratise mais plutôt que les gens
sont moins complexés. Ils osent
s’y mettre sans pour autant fréquenter les milieux SM. D’ailleurs,
la scène «corde» n’a pas le décorum latex et compagnie des soirées fétichistes.»
Comme pour d’autres usages
de la culture underground, le shibari se voit lui aussi récupéré par
le mainstream. Dans le prêt-à-porter par exemple, on se souvient
notamment des silhouettes sanglées de Jean Paul Gaultier ou plus
récemment des harnachements
de l’Américaine Zana Bayne. Des
harnachements que les pop stars,
de Beyoncé à Britney Spears, en
passant par Lady Gaga ou Katy
Perry, ont largement portés. Ce
qui n’était pas révolutionnaire: il y
a près de 20 ans, Madonna revêtait
déjà des accessoires SM-fétichistebondage dans ses vidéos, comme
Erotica ou Human Nature. Soit.
«Ces appropriations ne me dérangent pas du tout, tant que c’est
bien fait.» A l’instar de Lady Gaga
«shibarisée» dans une œuvre de
l’artiste Robert Wilson présentée
au Louvre, à Paris, lors de l’exposition Living Rooms, qui était visible
jusqu’à la mi-février 2014. La
chanteuse avait été attachée par
Wykd, une pointure dans le milieu.
«Ce qui me dérange, en revanche, ce sont les personnes qui
cherchent à normaliser ces pratiques. C’est absurde. Mes pratiques
sexuelles ne font pas partie de
mon identité sociale. Il ne manquerait plus qu’il y ait un lobby
qui milite pour la reconnaissance
des droits des SM et des fétichistes!» Ce qui ne semble pas près de
se produire en Suisse. «Les gens
qui résident à Genève préfèrent
participer à des soirées bondage
en France ou ailleurs en Europe. Ils
ont peur d’être reconnus.» En revanche, Edouard Stern n’était apparemment pas le seul banquier à
apprécier des pratiques disons
peu conventionnelles. «Certains
professionnels de la finance organisent dans le canton des soirées
très privées. Il est arrivé qu’on me
mandate en tant que performeur
pour attacher des femmes durant
ces réceptions secrètes.»
Si le mot «shibari» est
aujourd’hui assez répandu, celui
qui intéresse le plus les adeptes et
Michael Ronsky c’est celui de «kinbaku». «Ou «power exchange»,
soit la relation entre l’attaché et
l’attacheur, au-delà des émotions
et de la décharge d’endorphines,
l’échange d’énergie sexuelle qui
passe entre les deux personnes.»
C’est là que résiderait tout l’intérêt
de la pratique.
Malgré toutes ces histoires d’attaches, Michael Ronsky ne cherche pas de relation sentimentale.
Parce que ça ne ferait pas bon ménage avec sa passion. «Dans un
couple, on est tôt ou tard rattrapé
par la normalité. Je suis honnête,
je dis clairement ce que je recherche et les modèles que j’attache le
savent très bien.» Pas de relation
sentimentale mais néanmoins
une très forte composante émotionnelle. «Les femmes qui viennent se faire attacher cherchent à
ce qu’on s’occupe bien d’elles.
Après les séances, il y a beaucoup
de tendresse, on s’allonge.»
Les rôles s’inversent-ils? «Je préfère clairement attacher, mais il
m’arrive de me faire attacher. La
première fois qu’on m’a suspendu,
j’ai enfin ressenti ce que je faisais
aux autres. A la fin de la séance, je
flottais, je disais oui à tout. Certains hommes sont trop faibles
pour se laisser attacher, alors que
justement se permettre de lâcher
prise est la preuve d’une grande
confiance en soi. Ça n’est pas humiliant.»
Né dans le Jura, grandi à Genève, Michael Ronsky utilise un
pseudonyme pour ne pas associer
ses proches à sa pratique. Des proches plutôt compréhensifs, même
si le performeur avoue ne jamais
en parler avec son père, de confession musulmane. «Et de toute façon, vous parlez de votre sexualité
avec vos parents, vous?»
Hommes
Le Temps l Samedi 21 juin 2014
ATMOSPHÈRE
PARFUMS DE CINÉMA
Le parfumeur Mark Buxton
a créé un parfum pour
plusieurs films, dont
«The Grand Budapest Hotel»
de Wes Anderson,
et «L’Ecume des jours»
de Michel Gondry.
Quand la réalité olfactive
rejoint la fiction.
Entretien par Valérie d’Hérin
D
ans le cinéma de Wes Anderson,
aucun détail n’est laissé au hasard: aucun meuble, aucun papier peint, aucun couvre-lit qui
ne soit entièrement maîtrisé. Le
cinéaste texan aux cadrages millimétrés orchestre ses décors comme une
sorte d’architecte d’intérieur, et son souci de
rendre une certaine réalité, même invisible,
va jusqu’au parfum. The Grand Budapest Hotel,
son huitième film, met en scène un personnage incroyable: Gustave H, le concierge,
l’homme aux clés d’or, qui pratique l’élégance
comme moyen de résistance face à la montée
du fascisme. Et que serait l’élégance sans parfum? Monsieur Gustave ne quitte jamais sa
chambre sans s’être au préalable parfumé de
L’Air de Panache, une eau de Cologne que le
parfumeur Mark Buxton a créée spécialement
pour les besoins du film. A travers ses dernières créations, ce parfumeur visionnaire s’interroge sur le rôle du parfum au cinéma.
Le Temps: Comment est née l’idée
de cet incroyable parfum?
Mark Buxton: Nose1 a simplement
été contacté par la Twentieth
Century Fox pour savoir si nous
avions envie de travailler sur le
nouveau film de Wes Anderson.
En quoi consistait ce projet?
Il s’agissait de créer le parfum
d’un des personnages. C’était un
projet différent, un défi exceptionnel. J’étais honoré de travailler pour Wes Anderson.
Comment décririez-vous le personnage en question, Gustave H?
C’est un personnage que j’adore.
Très «British», très spirituel. En
dehors de son attirance pour les
vieilles dames, Gustave H est
parfait.
Quelle importance a le parfum
L’Air de Panache dans «The Grand
Budapest Hotel»?
Il joue un rôle très important tout
au long du film. Gustave H voue
une véritable passion à son parfum. C’est son identité. Il se sent
nu sans lui. Il y est totalement
accro.
Qu’est-ce qui a influencé le choix
des ingrédients?
L’époque durant laquelle se situe
le film. Pour moi, ce devait être un
parfum à la fois riche (avec du
jasmin sambac, de l’huile de rose)
et classique (bergamote, néroli,
mandarine, petitgrain) avec une
touche moderne (pomme, aldéhyde, basilic), sans oublier la part
animale évoquée par l’ambre et le
musc, le parfum des vieilles dames, le besoin de Gustave de
s’asperger à longueur de temps.
La pomme est là aussi pour faire
un clin d’œil au fameux tableau
qui est légué à monsieur Gustave
dans le film (un «chef-d’œuvre»
de la Renaissance, Le Garçon avec
la pomme de Johannes Van Hoytl,
en réalité une commande du
cinéaste au peintre figuratif
britannique Michael Taylor, ndlr).
Contrairement à une eau de
Cologne classique, celle-ci avait
besoin de plus de tenue, car elle
ILLUSTRATIONS: DAMIEN CUYPERS ET NOSE
laisse un sillage fort tout au long
de l’histoire. Les clients peuvent
suivre Gustave à la trace grâce à
son parfum. J’ai donc travaillé
L’Air de Panache différemment
d’une eau de Cologne classique,
en lui apportant plus de fixation.
Auriez-vous envie de retenter
l’expérience, parfumer d’autres
personnages de cinéma?
Oui, mais il faut en avoir la possibilité. Depuis The Grand Budapest
Hotel, j’ai été approché par un
autre groupe en vue de créer
différents parfums pour accompagner de nouveaux films. Le
premier était français. C’était
L’Ecume des jours.
Racontez-nous…
Le «brief», cette fois, était de
capturer l’ambiance du film, de
retranscrire mes propres émotions après l’avoir vu et de créer
ainsi un parfum qui se diffuserait
pendant la projection de celui-ci.
Cela fait partie d’un projet de
Cinéma olfactif imaginé par Kaya
Sorhaindo en partenariat avec les
hôtels Soho House dans lequel le
parfum vient lui aussi raconter
l’histoire du film à sa manière.
Comment avez-vous réussi cela?
La musique de Duke Ellington
joue un rôle de premier plan dans
le film de Michel Gondry. J’ai donc
essayé de donner à ce parfum une
touche jazzy avec des notes boisées et fumées et de l’encens. L’idée
n’était pas ici de parfumer un
personnage mais de saisir toutes
les dimensions
du film. Le début de L’Ecume des
jours est très lumineux, gai. Dans
les notes de tête, j’ai donc choisi
du poivre rouge, du freesia et du
géranium pour créer beaucoup de
mouvement, puis du nénuphar et
de la camomille car Colin et Chloé
sont amoureux mais Chloé va
tomber malade et mourir d’un
cancer, symbolisé par un nénuphar dans le film. Tout comme
dans l’histoire, plus on avance
dans le parfum, plus il devient
sombre. J’ai donc essayé de recréer
un mouvement allant de la lumière vers l’obscurité, une obscu-
rité enfumée (patchouli, styrax et
encens en notes de fond).
Il est donc possible de recréer
l’ambiance d’un film dans
un parfum?
Oui. Si on me demandait de faire
un parfum pour Hitchcock ou
Tarantino, je saurais dans quelles
directions aller également. Je
prends chacune de ces nouvelles
créations comme un défi. Celle de
L’Ecume des jours, je l’ai appelée
Mood Indigo. Je crois que cela a été
un succès! Ma dernière création en
date, je viens de la composer pour
un film japonais, Love Exposure, qui
sera diffusée ce mois-ci au Soho
House Hotel de Berlin, tout
comme Mood Indigo. Le parfum se
diffusera à certains moments clés
du film, des moments qui m’ont
eux-mêmes inspiré lors de sa
création. J’ai beaucoup aimé ce
film, peut-être un peu long, mais
j’ai été très stimulé par le mélange
de sexe, de religion et de violence
qui le compose. Je ne peux vous en
dire plus pour l’instant mais j’ai
choisi de travailler ces trois thèmes. 2
1. Nose est un concept store
de beauté parisien (ainsi qu’une
boutique en ligne) fondé, entre
autres, par Nicolas Cloutier, Romano
Ricci et Mark Buxton.
2. Ces deux parfums sont en vente
sur le site de Folie A Plusieurs:
www.folie-a-plusieurs.com
27
Le Temps l Samedi 21 juin 2014
Hommes
INTERVIEW SECRÈTE
ÉRIC CANTONA,
qu’avez-vousfaitdevosrêvesd’enfant?
B
ien sûr, il y a la Coupe du
monde. Un des plus
grands footballeurs de
l’histoire en couverture
du premier Hors-série
Hommes, c’était presque
attendu. Mais ce n’est pas pour
cela que l’on a demandé à Eric
Cantona de raconter ses rêves
d’enfant. C’est après avoir lu une
phrase parue dans Libé, où il disait: «Les grands footballeurs sont
des gamins obsessionnels.»
Depuis qu’il a pris sa retraite du
football en 1997, Eric Cantona a
fait du cinéma, des reportages photographiques en noir et blanc
d’une grande sensibilité, il peint
aussi. Et en mai dernier, il a signé
un contrat avec la marque horlogère Hautlence. Pas pour jouer les
hommes-sandwichs, mais pour
participer à la création. «En réfléchissant aux codes de la marque,
on se demandait qui pourrait incarner cet esprit «gentleman rebel», explique Guillaume Tetu, le
CEO de Hautlence. Lors d’une réunion de brainstorming, j’ai lancé,
presque sous forme de boutade,
qu’il nous faudrait un Eric Cantona. Je me disais que l’on ne pouvait pas envisager une collaboration avec une personnalité d’une
telle envergure. J’ai quand même
envoyé un e-mail à son agent à Paris, et le lendemain, j’avais son frère
Jean-Marie Cantona au téléphone
qui voulait savoir la raison de notre
appel. Eric Cantona est acteur, il
fait de la photo, il est collectionneur d’art et ce qui m’intéressait
c’était sa sensibilité artistique.
J’avais envie que l’on crée ensemble
des produits que l’on cosigne.»
Trois lignes de montres vont
être co-créées avec Eric Cantona.
Et parce que son implication créative sera réelle – qu’elle va concerner autant le design du cadran, de
la boîte, les choix de couleur que le
développement d’un mouvement
et l’affichage du temps – «son empreinte digitale sera gravée dans le
fond de la montre», confie
Guillaume Tetu.
Quand on demande à l’intéressé pourquoi il a accepté, il répond: «J’aime le monde de l’horlogerie. Je suis passionné par la
mécanique. Définir le temps, l’exprimer avec un mécanisme plutôt
qu’un autre, c’est une quête infinie. Je trouve que les horlogers
sont des fous géniaux. Participer à
la création d’une montre, à son
design, échanger avec ces gens-là,
c’est une chance. Et je suis payé
pour ça! (Rire.) C’est une aventure
excitante de travailler sur le
temps, sur le rapport que l’on a au
temps.» Puis il termine avec un
aphorisme dont il a le secret:
«Est-ce le temps qui passe ou nous
qui passons?»
Quand on aborde les rives du
monde de l’enfance, son langage
change. Plus concret. On a les
pieds dans un ballon, la fourchette bien plantée dans le pouletfrites du dimanche, les jambes
suspendues dans les branches du
cerisier du voisin.
Le Temps: Quel était votre plus
grand rêve d’enfant?
Eric Cantona: En fait, j’ai plutôt un
rêve d’adulte. Le plus beau rêve
d’enfant que j’aurais pu avoir
aurait été de rester un enfant.
Mais ce rêve n’a pas existé
puisque, enfant, je n’en avais pas
conscience. Je suis constamment
à la recherche de cette
insouciance que l’on peut avoir
Dans chaque numéro,
Isabelle Cerboneschi demande à
une personnalité de lui parler de l’enfant
qu’elle a été et de ses rêves. Une
manière de mieux comprendre l’adulte
qu’il ou elle est devenu(e). Plongée
dans le monde de l’imaginaire.
les cas, je m’endormais en créant
des images colorées.
Quel était votre livre préféré?
Quand j’étais petit, je ne lisais pas
beaucoup. A part des bandes
dessinées. J’aimais bien dessiner
Pif. Vous vous rappelez? J’adorais
dessiner déjà quand j’étais petit.
Mais pourquoi Pif? Je n’en sais
rien.
Avez-vous relu des Pif depuis?
Non, mais j’aimerais bien. Vous
voyez, on parle de ça et je suis sûr
que ce soir je vais aller m’acheter
un Pif. S’il y en a encore. Peut-être
chez un bouquiniste? Si vous en
trouvez un, vous pouvez m’en
mettre un de côté? Je vous dessinerai un Pif (rire).
PHILIPPE QUAISSE/PASCO
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jusqu’à l’âge de 10 ans. Un peu
comme la peinture du
mouvement CoBrA, qui
recherchait la spontanéité. Mais
pour être plus rationnel, enfant,
j’avais un rêve obsédant: aller au
bout de quelque chose. Je voulais
un jour jouer comme dans les
matchs que je voyais à la télé,
devant 50 000 personnes. J’avais
envie de marquer un but à la
dernière minute, gagner des
trophées, être avec les meilleurs,
au milieu de cette foule,
participer aux plus belles choses.
J’aurais payé pour vivre ça! Et j’ai
été payé pour ça.
C’était déjà le métier que vous
vouliez faire une fois devenu
grand?
Ça n’a jamais été un métier, pour
moi, mais une passion. J’ai toujours essayé de défendre la
beauté du jeu. Le plaisir. Quels
sont les métiers où, quand on ne
le pratique pas, on est malheureux? Ils sont rares! Quand on est
footballeur et qu’on ne joue pas,
on est malheureux.
Enfant vous vouliez déjà vivre
de votre passion?
Non. Quand on me demandait le
métier que je voudrais faire plus
tard, je disais docteur. On disait
tous ça, en fait.
Quel était votre jouet préféré?
Est-ce qu’on peut appeler un
ballon un jouet? On jouait au
foot partout, là où il y avait un
espace et avec tout ce qui ressemblait à une balle. Et si on n’en
avait pas, on en fabriquait avec
une paire de chaussettes (rires).
Avez-vous gardé votre premier
ballon?
Non, parce que tous les ballons,
on les usait jusqu’à ce qu’on ne
puisse plus jouer avec. Jusqu’à ce
que ça ne ressemble plus à un
ballon. Parfois il y avait le cuir qui
se déchirait et la chambre à air
qui sortait. Mais on continuait à
jouer avec. Et la chambre à air
sortait de plus en plus. Tant qu’on
pouvait le sauver, on le sauvait.
Si je vous demande à quel jeu vous
jouiez à la récréation, j’imagine que
vous allez répondre le football?
Le football, oui. Et dans la classe,
quand on ne pouvait pas jouer,
on échangeait des images de
joueurs.
Grimpiez-vous dans les arbres?
Ah oui! On montait même dans
le cerisier du voisin. Pour attraper
des cerises. Autrement, on montait dans l’abricotier qu’on avait,
ou dans les figuiers. On montait
toujours dans des arbres fruitiers.
Il fallait qu’on aille y prendre
quelque chose. On se régalait de
monter, de descendre, de se
balancer sur les branches, les
pieds en l’air, la tête en bas… C’est
magnifique ça! On était en communion avec la nature. Il fallait
que nos parents nous appellent
très, très, très fort pour qu’on
vienne manger. Maintenant, les
gamins, ce n’est plus la peine de
les appeler fort: ils sont juste à
côté en train de jouer à la console.
C’est une métamorphose.
Quelle était la couleur
de votre premier vélo?
Je ne m’en souviens pas. Mais je
sais que le premier vélo que j’ai eu,
je l’ai reçu le jour où j’ai réalisé que
le Père Noël n’existait pas, parce
que je l’ai vu caché sous l’armoire.
Après, les vélos, on les a fabriqués.
Avec des copains, on les recomposait: on prenait la roue d’un vélo, le
cadran d’un autre, un guidon, une
selle. On les repeignait et on écrivait dessus Bultaco, qui était une
moto de trial ou d’enduro, je ne
me souviens plus, et on leur mettait des guidons de Ciao. Vous
savez, ces guidons de mobylettes
en V! On freinait avec les baskets.
Et on mettait des paquets de
Gitane dans les rayons pour que ça
fasse du bruit. Frrrrrrrrrr. (Il imite
le bruit du paquet de Gitane qui
frotte dans les rayons.) On devait
pédaler, mais au moins on avait le
bruit du moteur (rires).
Quel super-héros rêviez-vous
de devenir?
Vous voulez dire du genre Spiderman? Non, ça ne m’intéressait pas
vraiment. A l’époque, j’adorais
l’équipe de Hollande, l’Ajax des
années 70. C’étaient eux mes
héros.
De quel super-pouvoir vouliez-vous
être doté?
Peut-être le pouvoir de séduire. Je
crois qu’on en rêve tous, non? Je
rêvais de séduire, mais pas les
filles en général, plutôt des filles
en particulier. Pour ça, je pensais
devoir avoir le pouvoir de voler.
Mais ça ne tombe pas du ciel. Je
suis tombé de haut.
Rêviez-vous en couleur ou en noir
et blanc?
Je devais rêver en couleur. En tous
Quel goût avait votre enfance?
Elle avait plutôt une odeur. Celle
du Sud de la France. Les odeurs de
l’été, des herbes de Provence, de
romarin, de thym. Et le goût du
dimanche: tous les dimanches,
on mangeait du poulet avec des
frites. Mais des frites maison!
Avec de la mayonnaise maison.
C’était trop bon!
Et si cette enfance avait un parfum,
ce serait?
Celui du thym.
Pendant les grandes vacances,
vous alliez voir la mer?
Oui, on allait dans une calanque à
Marseille qui s’appelle La Vesse.
Près d’un petit cabanon. Ma mère
sortait tous les matelas le soir et
on dormait tous par terre. Quand
on se levait la nuit, il fallait enjamber les uns, les autres. C’était
magnifique! Les odeurs de thym,
ça vient de là-bas. Dans les alentours de Marseille, la nature est
très préservée.
Savez-vous faire des avions en
papier?
Oui! J’en fais encore! Et ils volent
super bien! Je mettais un peu
plus de poids devant ou derrière,
pour les équilibrer. Après je les
décorais au feutre.
Aviez-vous peur du noir?
Je devais avoir peur du noir,
comme tous les petits.
Vous souvenez-vous du prénom de
votre premier amour?
Non. Je la vois mais je ne me
souviens plus de son prénom.
Et l’enfant que vous avez été, est-ce
qu’il vous accompagne encore?
Oui, il m’accompagne encore.
Quand j’étais petit, je m’émerveillais de tout et je continue de
m’émerveiller de tout. J’espère
que cela durera longtemps.
Un collier comme un hommage à la fleur fétiche de Mademoiselle Chanel : autour d’un cœur d’opale, chaque pétale du camélia s’y épanouit en or blanc, diamants et saphirs roses.
"CAMÉLIA"
BAGUE OR BLANC ET DIAMANTS

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