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DOSSIER ENSEIGNANTS NOTIONS GÉNÉRALES PREMIER DEGRÉ L’exposition permet une approche sensible et pédagogique de la photographie dans le cadre des disciplines générales et artistiques et de l’histoire des arts autour des notions : Compétences développées lors de la visite de l’exposition et de son exploitation en classe : • Archives et art contemporain : investigation, indexation et classification • Dispositifs de présentation et de représentation • Image, réalité, fiction • Image et texte : contexte et interprétation • Art, politique et société : image et pouvoir NOTIONS PAR NIVEAU La visite de l’exposition, le contact direct avec les œuvres exposées, le travail sur un questionnaire élaboré en relation avec le service éducatif permettent d’interroger un ensemble de notions au programme des classes du premier degré au lycée et de travailler les compétences du socle commun. • Découvrir et explorer un centre d’art • Développer sa sensibilité artistique au contact des œuvres • Décrire les œuvres en utilisant un vocabulaire spécifique • Exprimer ses émotions et préférences face à une œuvre d’art, en utilisant ses connaissances • Apprendre à se déplacer en s’adaptant à l’environnement • Mobiliser ses connaissances pour parler de façon sensible d’œuvres d’art • Utiliser des critères simples pour les aborder avec l’aide des enseignants • Identifier les œuvres étudiées par leur titre, le nom de l’auteur, l’époque à laquelle cette œuvre a été créée • Échanger des impressions dans un esprit de dialogue La visite et le travail réalisé à cette occasion s’inscrivent dans le parcours artistique et culturel et le « cahier culturel » de l’élève. COLLÈGE Cette exposition permet une approche sensible et pédagogique de la photographie d’aujourd’hui autour de problématiques contemporaines qui intéressent l’histoire, la géographie, les lettres, les arts plastiques…. • Les images et le réel • Les relations textes/images • L’espace et les œuvres • L’espace, l’œuvre et le spectateur Et de façon pluridisciplinaire l’histoire des arts : • Thématique « Arts, espace, temps » : l’œuvre d’art et l’évocation du temps et de l’espace, l’œuvre d’art et la place du corps et de l’homme dans le monde et la nature • Thématique « Arts, États et pouvoir » : l’œuvre d’art et le pouvoir, l’œuvre d’art et la mémoire : mémoire de l’individu (autobiographies, témoignages, etc...), inscription dans l’histoire collective (témoignages, récits, etc...) • Thématique « Arts, techniques, expressions » : l’œuvre d’art et l’influence des techniques • Thématique « Arts, ruptures, continuités » : l’œuvre d’art et sa composition : modes (construction, structure, hiérarchisation, ordre, unité, orientation, etc...) ; effets de composition / décomposition (variations, répétitions, séries, ruptures, etc...) ; conventions (normes, paradigmes, modèles, etc...) LYCÉE La visite de l’exposition, le contact direct avec les œuvres exposées, permettent d’interroger un ensemble de notions au programme du lycée et particulièrement : • L’ailleurs dans l’art • L’œuvre, le monde • La question de la présence ou l’absence du référent • La question de l’espace, d’énonciation qui détermine l’image • La question de la relation de l’image au temps • L’élaboration matérielle et conception de monstration • Les relations de perceptions sensibles entre l’œuvre et le spectateur. 1.INTRODUCTION Présentation de l’exposition Biographie Plan et vues d’exposition 2. TEXTES Refuser les fluctuations loin de l’origine et de la destination par Simon Baker Au-delà de la photographie par Homi Bhabha Avant-propos par Salman Rushie Le revenant par Geoffrey Batchen Entretien avec Taryn Simon 3. PARCOURS DANS L’EXPOSITION Art et monde contemporain Image, réalité, fixion Image et texte 4. ATELIERS Écriture Photographie Création plastique 5. ÉCHOS DANS L’HISTOIRE DE LA PHOTOGRAPHIE August Sander Christian Boltanski Douglas Huebler Sarah Charlesworth Raphaël Dallaporta Suzanne Opton 6. ENTRÉES DISCIPLINAIRES Littérature : Le vertige de la liste Arts plastiques : Art conceptuel et photographie Arts visuels : Le « photojournalisme esthétique » 7. AUTOUR DE L’EXPOSITION Rencontre et livre 8.BIBLIOGRAPHIE Quelques livres disponibles au centre d’art Bibliographie sélective autour de l’exposition Bibliographie générale 9. INFOS PRATIQUES 1. INTRODUCTION L’œuvre de Taryn Simon est le résultat d’un processus de recherche et d’investigation rigoureux, centré sur la structure et le poids du secret ainsi que sur la précarité des mécanismes de survie. Mélange de photographie, de texte et de graphisme, ses projets conceptuels traitent de la production et de la circulation de la pensée comme des politiques de représentation. D’une enquête sur des lieux cachés ou méconnus aux États-Unis (An American Index of the Hidden and the Unfamiliar, 2007) à la recension d’objets disparus lors de la construction de la Fondation Louis-Vuitton à Paris (A Polite Fiction, 2014), chaque série décrit avec une sobriété extrême des situations surprenantes. Elles montrent le monde globalisé actuel mais aussi la connaissance partielle que nous en avons. Parallèlement à la présentation de A Living Man Declared Dead and Other Chapters I – XVIII au Point du Jour, le Jeu de Paume consacre une exposition à Taryn Simon du 22 février au 17 mai. À cette occasion, Le Point du Jour coédite son premier livre rétrospectif A LIVING MAN DECLARED DEAD AND OTHER CHAPTERS A Living Man Declared Dead and Other Chapters I – XVIII [« Un homme vivant déclaré mort et autres chapitres I – XVIII »] est le résultat de quatre années de recherche (2008-2011) durant lesquelles Taryn Simon a voyagé à travers le monde pour recueillir les histoires associées à différentes lignées. Dans chacun des dix-huit « chapitres » qui composent l’œuvre, des forces extérieures, liées à des questions de territoire, de pouvoir, de circonstances ou de religion, se heurtent à celles, intérieures, des héritages physiques et psychologiques. Parmi les sujets abordés se trouvent une famille sélectionnée pour représenter la Chine par le Bureau d’information du Conseil d’État de ce pays, la doublure du fils de Saddam Hussien, Oudaï, ou encore des paysans dépossédés de leur terre en Inde. À la fois cohérente et arbitraire, la collecte de Taryn Simon dresse une cartographie des rapports entre le hasard, les liens du sang et d’autres facteurs de la destinée. Chapitre I, A Living Man Declared Dead and Other Chapters I – XVIII DOSSIER ENSEIGNANT / INTRODUCTION 4 Chaque chapitre de A Living Man Declared Dead comprend trois sections. À gauche se trouvent un ou plusieurs grands panneaux de portraits répertoriant un certain nombre d’individus unis par les liens du sang. La séquence présente de manière ordonnée les ascendants et descendants vivants d’un seul individu. Dans le panneau situé au centre, l’artiste constitue des récits et introduit des informations supplémentaires. À droite finalement, les « notes visuelles de bas de page » correspondent à certains éléments de la narration et apportent des preuves photographiques. Les portraits laissés vides représentent des membres de la lignée qui n’ont pu être photographiés. Les textes précisent les raisons de leur absence, au nombre desquelles l’emprisonnement, le service militaire, la maladie (dengue) ou l’interdiction faite aux femmes d’être photographiées pour des motifs sociaux ou religieux. Par sa forme même, l’œuvre révèle la définition conflictuelle des codes et des schémas inhérents aux récits documentés par Taryn Simon, qui apparaissent alors comme autant de variations (nouvelles versions, traductions, adaptations) de situations archétypales présentes, passées et à venir. En contraste avec le classement méthodique des lignées, les éléments au centre des histoires relatées – violence, résilience, corruption et survie – perturbent l’apparence extrêmement structurée de l’ensemble. A Living Man Declared Dead and Other Chapters I – XVIII met en évidence l’espace entre texte et image, absence et présence, ordre et anarchie. L’EXPOSITION L’exposition au Point du Jour présente huit chapitres de A Living Man Declared Dead and Other Chapters I – XVIII, appartenant à la collection de la Tate Modern. Les chapitres abordent, à travers l’histoire d’individus liés par le sang, les sujets suivants : des paysans dépossédés de leur terre en Inde (I) ; le développement du sionisme en Palestine britannique (II) ; la polygamie au Kenya (III) ; la doublure du fils de Saddam Hussein, Oudaï (IV) ; des tests pratiqués sur des lapins afin d’empêcher leur prolifération en Australie (VI) ; la première femme, membre du Front populaire pour la libération de la Palestine, à détourner un avion (IX) ; des druzes libanais croyant en la réincarnation (XIV) ; l’activité du Bureau de la propagande extérieure en Chine (XV). D’une hauteur de 213,4 cm et de largeurs variables selon les types de panneaux, les œuvres sont encadrés sous verre. L’extension totale des chapitres s’échelonne de 301,8 cm à 829,6 cm. BIOGRAPHIE Taryn Simon est née en 1975 à New York. Parmi ses expositions personnelles : The Metropolitan Museum of Art (New York, 2014) ; Ullens Center of Contemporary Art (Pékin, 2013) ; Museum Folkwang (Essen, 2013) ; Museum of Modern Art (New York, 2012) ; Multimedia Art Museum (Moscou, 2012) ;Tate Modern (Londres, 2011) ; Neue Nationalgalerie (Berlin, 2011) ; Whitney Museum of American Art (New York, 2007) ; PS1 Contemporary Art Center (Long Island City, 2003) ; KW Institute for Contemporary Art (Berlin, 2003). Taryn Simon a publié The Picture Collection (Éditions Cahiers d’art, 2015) ; Birds of the West Indies (Hatje Cantz, 2013) ; A Living Man Declared Dead and Other Chapters I – XVIII (Nationalgalerie Staatliche Museen / Mack, 2011) ; Contraband (Steidl / Gagosian Gallery, 2010) ; An American Index of the Hidden and Unfamiliar (Steidl, 2008) ; The Innocents (Umbrage Éditions, 2003). DOSSIER ENSEIGNANT / INTRODUCTION 5 Plan de l’exposition Taryn Simon A Living Man Declared Dead and Other Chapters I – XVIII Le Point du Jour, Cherbourg, 1er mars – 31 mai 2015 Ch ap itr e Chapitre II Chapitre I Chapitre XIV Chapitre VI Chapitre IV Chapitre III IX DOSSIER ENSEIGNANT / INTRODUCTION 6 ŒUVRES DE TARYN SIMON DEPUIS 2000 The Innocents (2002), documente plusieurs cas de condamnations illégitimes aux États-Unis et pose la question de la crédibilité de la photographie en tant que témoin et arbitre de justice. Elle met de plus en évidence la faculté de cette technique à brouiller la frontière entre vérité et fiction, une ambiguïté qui peut avoir des conséquences graves, et parfois même fatales. Dans An American Index of the Hidden and Unfamiliar (2007), Taryn Simon établit l’inventaire de ce qui demeure caché et soustrait au regard à l’intérieur des frontières des États-Unis. Elle se livre à l’examen d’une culture au moyen d’exemples tirés des domaines de la science, de l’organisation étatique, de la médecine, du divertissement, de la nature, de la sécurité et de la religion. Pour reprendre ses termes, ce travail « découvre le fossé entre les individus auxquels l’accès au savoir est accordé et le reste de la population ». Éléments constitutifs aussi bien des fondations, de la mythologie que du fonctionnement quotidien de l’Amérique, les objets, les lieux et les espaces répertoriés par l’artiste demeurent néanmoins inaccessibles, ou inconnus. Contraband (2010) dresse l’inventaire des articles saisis par les douaniers américains à l’aéroport international John F. Kennedy de New York. Taryn Simon a passé cinq jours et quatre nuits sur place pour photographier en continu 1 075 objets interdits d’entrée aux ÉtatsUnis, à propos desquels elle a également rassemblé des informations. La méthode de classement de ces images évoque celle d’une collection entomologique : dans leurs boîtes de plexiglas, elles constituent une archive des perceptions du danger et des désirs à l’échelle mondiale. Tar yn Simon s’est associée au programmateur informatique Aaron Swartz pour créer le site internet Images Atlas (2012). Ce site à l’interface très simple (…) montre les premiers résultats en images qui apparaissent lors d’une recherche par mot-clé selon le pays du moteur de recherche. Si ces derniers nous semblent comme les meilleurs résultats, ils sont en fait façonnés de façon très subjective par les courants culturels et politiques, et mis en exergue par les goûts de la masse à un instant donné. http://imageatlas.org/ DOSSIER ENSEIGNANT / INTRODUCTION The Picture Collection (2013) prend comme sujet les archives d’images de la Bibliothèque publique de New York, où sont conservés 1,2 million de tirages, de cartes postales, d’affiches et d’images imprimées. Organisée selon un système de catalogage complexe de plus de 12 000 rubriques, il s’agit de la plus grande bibliothèque iconographique de prêt au monde. Depuis sa création en 1915, la Picture Collection est une ressource importante pour les écrivains, les historiens, les artistes, les cinéastes, les stylistes et les agences de publicité. Dans cette œuvre, Taryn Simon met en évidence le besoin irrépressible d’archiver et d’organiser les informations visuelles, et attire l’attention sur les mains invisibles à l’origine de systèmes de collecte apparemment neutres. Elle voit dans cette immense archive un précurseur des moteurs de recherche sur Internet. Pour la série Black Square (2006-2013), Taryn Simon a photographié des sujets déconcertants, chacun mettant en évidence une complexité, un effondrement ou une ambiguïté culturels spécifiques dans un format identique au chef-d’œuvre suprématiste de Kasimir Malevitch de 1915. Le Carré Noir de Malevitch – un carré noir élémentaire peint sur une toile, avec une bordure blanche – représentait à la fois une fin et un commencement dans l’histoire de l’art, une tentative de créer un nouveau mode de représentation visuelle dépourvu de signification sociale ou politique explicite, mais avec des implications dévastatrices pour l’image peinte. Dans cet hommage contemporain, Simon embrasse les intentions esthétiques pures de Malevitch et son impact profond sur l’histoire de l’art et de la communication visuelle, mais les transpose sur un terrain contemporain. Birds of the West Indies (2013-2014). Titre en hommage au vrai James Bond, un ornithologue, Taryn Simon a photographié à la manière d’une scientifique, d’une archiviste, tous les personnages et les objets de la « galaxie » James Bond. Ce catalogue d’images est en lui-même très intéressant, mais de plus l’artiste, dans ce format qui ressemble à un dictionnaire de gadgets étranges, d’objets improbables et de portraits de femmes «faire-valoir» du côté séducteur du personnage, questionne l’intérêt persistant du public pour une série relativement misogyne et aux ficelles certes remises au goût du jour mais toujours similaires. 7 Extrait du Chapitre XV, A Living Man Declared Dead and Other Chapters I – XVIII Vidéos : Explosive Warhead (2007) montre le test d’un missile MK-84 IM (Insensitive Munition) réalisé au Centre d’armement de la Base aérienne d’Englin en Floride. Ce centre est responsable du développement, de l’expérimentation et du déploiement de toutes les armes aéroportées conçues aux États-Unis. Ces images ont été filmées au moyen d’un séquenceur à distance qui a fait exploser le missile depuis un bunker de contrôle. The Innocents son film le plus ancien, elle interroge les sujets de ses photographies sur le processus des identifications erronées dont ils ont été victimes. Cutaways (2012) est empreinte d’absurdité ; elle témoigne en effet d’un épisode kafkaïen lors duquel les deux présentateurs qui venaient d’interviewer Taryn Simon pour l’émission Prime Time Russia, un programme de la chaîne d’information Russia Today, lui ont demandé de rester assise en silence et de les fixer du regard tandis que les caméras enregistraient ces images, destinées à servir de plans de coupe au moment du montage. DOSSIER ENSEIGNANT / INTRODUCTION 8 2. TEXTES REFUSER LES FLUCTUATIONS LOIN DE L’ORIGINE ET DE LA DESTINATION PAR SIMON BAKER « En mai 2011, peu après le vernissage de l’exposition de Taryn Simon, A Living Man Declared Dead and Other Chapters I – XVIII [« Un homme vivant déclaré mort et autres chapitres I – XVIII »] à la Tate Modern, l’ex-général serbe Ratko Mladić, en fuite depuis plusieurs années à la suite d’accusations pour crimes de guerre, était retrouvé coulant des jours tranquilles dans un village du nord de la Serbie et capturé. Cet événement, largement couvert par la presse internationale, prenait une résonance particulièrement forte dans l’exposition de Simon, dont un chapitre retrace la lignée d’une famille ayant perdu de nombreux membres masculins lors du massacre de Srebrenica que Mladić était soupçonné d’avoir organisé. Lorsque des œuvres de cette même série furent ensuite exposées en Chine, les autorités censurèrent plusieurs images et tous les panneaux de textes. Dans l’exposition, l’artiste donna une représentation visuelle de cette décision en occultant toutes les œuvres dont le contenu était incriminé, soulignant ainsi l’acte de censure plutôt que de le minimiser. Pour autant, l’aptitude de A Living Man Declared Dead à continuer de fonctionner, à absorber et générer des sens nouveaux, tant en son sein – d’une histoire à l’autre – que face à des contraintes et des événements extérieurs, n’a rien d’accidentel, mais s’inscrit depuis dix ans au cœur de la pratique de Simon. Car son approche de la politique de la représentation tire son énergie et sa puissance non seulement de la production de significations stables, mais aussi de leur circulation, de leur mutilation et de leur renouvellement. L’œuvre de Simon entraîne le spectateur dans une relation profonde et complice avec le monde contemporain des images dans toute sa complexité et sa contradiction – depuis le statut et la fonction d’un genre historique tel que le portrait jusqu’au mode apparemment arbitraire d’organisation et d’utilisation de l’information à l’ère des moteurs de recherche sur Internet. Dès le départ, le travail de Simon s’est caractérisé par un intérêt constant pour les sources primaires afin de révéler ce qui, face au scepticisme général croissant sur DOSSIER ENSEIGNANT / TEXTES la façon de présenter et d’exploiter l’information, est à la fois l’« inconnu connu » et l’« inconnu inconnu ». Elle a présenté des récits d’injustices individuelles et des réseaux complexes de contenus accumulés pour leur intérêt propre, mais aussi pour leurs conséquences – afin de révéler les contradictions inhérentes aux multiples pressions personnelles et sociopolitiques auxquelles individus, groupes et mêmes États-nations sont de plus en plus soumis. Animé par une incroyable passion d’exhumer et de présenter sous un jour nouveau des faits et des récits passés sous silence ou volontairement soustraits aux regards du public, le travail de Simon attribue à l’artiste un rôle essentiel dans les discours contemporains sur la politique et l’économie du savoir, au sens le plus fort et le plus actuel de ces termes. C’est peutêtre pour cette raison, et du fait de la clarté absolue et infaillible avec laquelle se donne à voir le contenu qui sous-tend sa pratique, que Simon se démarque nettement de nombre de ses pairs : elle s’adresse directement à un vaste public, loin de l’étroitesse et des inhibitions de tant d’œuvres contemporaines qui prétendent à une pertinence sociale et politique. Les premières années du XXIe siècle, durant lesquelles Simon acquit une renommée internationale (avec des expositions majeures dans des musées nationaux et des institutions publiques aux États-Unis, en Europe et en Asie), ont aussi été celles où le statut de l’image photographique a suscité une réflexion critique radicale mais aussi une forme d’angoisse, tant dans la société en général que dans le monde de l’art en particulier. Longtemps après avoir imposé de haute lutte la photographie dans les musées, aux États-Unis notamment, photographes, artistes, commissaires et critiques réunis semblent alors encore s’interroger sur la nature et le statut du médium photographique. Mais dans ce contexte d’auto-questionnement presque névrotique sur ce que la photographie est – après ses appropriations par l’art conceptuel, la rephotographie, le numérique, les téléphones-appareils photo, Google, Flickr, Instagram, etc. –, Simon cherche au contraire à cerner et explorer ce que l’image photographique peut produire. Avec une détermination à la fois sans faille et mesurée, souvent sans annoncer par avance quel programme que ce soit, Simon a traité de la dimension esthétique de la photographie en tant que composante de l’histoire du médium, mais aussi de ses fonctions rhétorique, politique et sociale, hors de cette histoire limitative et souvent introspective. 9 En un sens, on peut considérer que le travail de Simon recoupe et recycle une sorte de pratique photographique d’investigation qui remonte à la Works Progress Administration durant la Grande Dépression et même au-delà, jusqu’aux enquêtes visuelles inédites menées par Jacob Riis et Lewis Hine sur des injustices sociales méconnues à l’orée du XXe siècle. Mais loin de pratiquer ce que l’on entend aujourd’hui par photojournalisme ou photo- graphie documentaire, Simon détourne les aspects les plus riches et les plus sophistiqués de ces diverses approches vers le champ de la pratique photo- graphique postconceptuelle. Car, sans perdre de vue des sujets politiquement brûlants comme les erreurs judiciaires, les secrets d’État ou la porosité des frontières internationales, elle manifeste aussi un intérêt soutenu pour la nature rhétorique de l’image impliquée dans ce genre de questions, produisant des œuvres textuelles et iconographiques qui traitent autant du potentiel singulier des images que de leurs limites. À travers un important corpus inauguré avec The Innocents [« Les Innocents », (2002] et s’étendant jusqu’à A Living Man Declared Dead and Other Chapters (2011) et au-delà, Simon a constamment cherché, avec une détermination jamais démentie, à inclure et domestiquer les légendes décrites par Walter Benjamin comme des « étincelles » –, produisant une œuvre qui refuse obstinément de transiger avec la volonté de situer les images photographiques dans des contextes sociaux, politiques, éthiques et personnels à travers l’emploi maîtrisé de textes et d’un design graphique qui lui sont propres. À chaque présentation de son travail, qu’il soit spécifiquement conçu pour l’accrochage ou mis en page dans une publication, Simon exerce un contrôle implacable et une attention aiguë sur le moindre détail signe qu’elle porte autant d’intérêt à son sujet qu’aux moyens de présenter ses récits. Au-delà de l’aspect convaincant des recherches qui nourrissent le travail de Simon, au-delà de la rhétorique complexe de sa présentation, et au-delà même de la valeur d’usage finale des œuvres proprement dites, il y a la qualité indéniable des photographies dont la pratique de l’artiste tire sa puissance. Car, dans un certain sens, cette œuvre doit son impact autant à l’esthétique élaborée et profondément séduisante déployée pour exprimer visuellement des idées qu’à son contenu lui-même. À ce DOSSIER ENSEIGNANT / TEXTES sujet, il faut noter aussi que l’œuvre de Simon s’inscrit dans le sillage persistant de la « déqualification » de la photographie associée à l’art conceptuel dans les années 1960 et 1970. Mais là où les artistes de la génération précédente recherchaient des images photographiques techniquement médiocres pour bâtir des œuvres critiques envers le système social et sa politique de représentation, Simon, elle, adopte les normes techniques et formelles les plus exigeantes de la pratique photographique. Ses images de scènes de crimes, d’aberrations et d’injustices sont composées, calibrées et présentées avec une remarquable attention à l’histoire d’un médium dont le travail de Simon remet souvent directement en question les principes. Avec rigueur, retenue et une attention aux détails, y compris techniques, Simon a produit un ensemble photographique stupéfiant qui va, du moins en termes de genres conventionnels, du portrait au paysage, à la nature morte, aux images d’actions et d’accidents, et même à la pure abstraction, sans jamais s’écarter d’une signature visuelle bien identifiable. Taryn Simon est donc une artiste difficile, non parce qu’elle traite de sujets difficiles, mais parce que son travail résiste aux ambiguïtés si souvent inhérentes à l’image photographique. Elle refuse que ses photographies soient l’objet de fluctuations quant à leur origine ou leur destination. Car, comme en réaction à ce que Benjamin appelait l’attention distraite du public pour la plupart des images à grande diffusion, Simon attend de son public qu’il travaille dur – en lui proposant un matériau riche de multiples registres et une masse de détails accumulés, visuels comme textuels –, mais aussi qu’il s’oppose au flux toujours plus rapide d’images tout en tenant compte de son existence et en luttant contre ses effets. Dans beaucoup de ses œuvres, Simon a réfléchi sur les effets naissants de l’ère post-Internet, sur la disponibilité immédiate de l’information ou, pour être précis, sur sa disponibilité apparente. A Living Man Declared Dead en est un bon exemple puisqu’il associe un recensement détaillé et minutieux d’obscures lignées familiales avec cette forme de « notes de bas de pages » arbitraires, générées lors de recherches en ligne sur des phénomènes ou des événements historiques importants. Cette caractéristique se retrouve dans The Picture Collection [« La Collection d’images », 2013], 10 analyse des archives visuelles de la Bibliothèque publique de New York, qui offre une version pré-Internet d’une recherche par mots - clés, là encore en associant des choix déterminés à leurs résultats arbitraires. Que ce soit en dévoilant des histoires anonymes mais émouvantes d’individus façonnés par les actes de leurs aïeux, ou en mettant en cause les mécanismes du secret d’État, l’œuvre de Simon offre une vision du monde qui est à la fois terriblement simple sur le plan des faits et incroyablement complexe quant à leurs conséquences. Car, par-delà les exemples individuels de récits, d’histoires et de traces qui sont à l’origine de ses installations et publications photographiques, les rapprochements opérées par Simon manifestent une acception absolue de leur nature entropique. Plus que tout autre, son travail a un effet puissamment cumulatif car il ne fonctionne pas en fournissant des preuves ni en démontrant telle ou telle chose, mais en suggérant que ce n’est qu’en rassemblant autant d’idées et de questions qu’on peut construire une image convaincante et précise du monde complexe et contradictoire dans lequel nous vivons. » Simon Baker, « Refuser les fluctuations loin de l’origine et de la destination », Vues arrière, nébuleuse stellaire et le bureau de la propagande extérieure. Œuvres de Taryn Simon. Jeu de Paume, Le Point du Jour, Tate Publishing, 2015, p. 7 et suiv. AU-DELÀ DE LA PHOTOGRAPHIE PAR HOMI BHABHA « Il émane des études de cas réunies par Taryn Simon dans A Living Man Declared Dead and Other Chapters un même sentiment précaire de la survie – notion souvent associée à ce que Giorgio Agamben appelle la « vie nue », avec son degré zéro de l’existence, avec sa vie rendue négligeable et insignifiante sous l’effet de forces adverses, antagonistes. Mais, ici, la survie relève d’une autre éthique et d’une autre esthétique : elle représente une force vitale qui ne se laisse pas anéantir, parce qu’elle tire sa force d’une identification à la vulnérabilité des autres (plutôt qu’à leurs victoires) et fonde la solidarité sur le processus précaire d’interdépendance (plutôt que sur des prétentions à la souveraineté). Nous sommes voisins non pas parce que nous voulons sauver le monde, mais avant tout parce que nous devons survivre à ce monde. La guerre, la violence, les appropriations de terres, les atteintes à l’environnement, les problèmes d’identité culturelle et la dépersonnalisation : autant de situations répétées inlassablement au fil des chapitres. Elles sont toutes traversées par l’idée de la lignée, fil conducteur qui introduit un ordre, une continuité et une sérialité, c’est-à-dire une situation irréfutable de relation et de descendance. Pourtant, la diversité de la géographie et l’aspect local des choix culturels empêchent de faire du « sang », ou de tout autre exemple de déterminisme causal, le véhicule privilégié du destin. La survie, en revanche, est précisément l’art de se jouer des contingences et des circonstances, art qui repose davantage sur une pratique et une performance que sur un principe fermement articulé. L’agent de la survie, qu’il s’agisse d’un individu ou d’un groupe, a profondément conscience de ses disjonctions internes, ces points où se rencontrent la rationalité et l’affect, laissant de l’angoisse et de l’ambivalence dans leur sillage. Toutes les études de cas que présente Simon expriment ces conditions précaires de la vie ; elles nous parlent des profondes polarités d’une modernité sinistre où « les extrêmes se touchent » [Walter Benjamin, « Petite histoire de la photographie »]. […] 9. 10. Extrait du Chapitre I, A Living Man Declared Dead and Other Chapters I – XVIII DOSSIER ENSEIGNANT / TEXTES 11 La question de la survie, qu’elle soit esthétique ou politique, est au cœur de A Living Man Declared Dead. Si American Index exposait les topoï secrets de la vie mythique et ordinaire de l’Amérique, A Living Man Declared Dead en revanche écrit le journal des « années d’apprentissage » de l’artiste à l’échelle mondiale, mettant au jour des cas d’injustice, de violence, de maladie, d’exploitation, de répression, de dévotion religieuse et de réincarnation. La conscience aiguë qu’a Simon des différences culturelles et des anomalies normatives, associée à son intelligence ethnographique, empêche le projet de tomber dans un catalogue sentimental de victimes et de catastrophes. Dans sa sélection et son traitement de ces études de cas, elle montre une réserve digne d’une commissaire d’exposition, évitant de porter des jugements de valeur ou de reprendre à son compte les clichés du relativisme culturel. Ces études de cas sont en effet des méditations sur les extrêmes qui se touchent – l’ordre et le désordre, la civilisation et la barbarie, la violence et les aspirations –, tels qu’ils sont inscrits dans la condition humaine. Chaque chapitre est un triptyque qui doit se lire séquentiellement de gauche à droite. Les panneaux contenant les portraits des individus appartenant à une même lignée sont de loin l’élément le plus important de l’installation. Ce sont des portraits ordinaires, pris de face, dans un même style et sur un même fond. Leur équivalence formelle insistante et le rythme répété d’apparition et de disparition de ces visages créent un motif de descendance et d’héritage qui suit la structure de la lignée. Mais le plus significatif ici, considérant le goût de Simon pour le catalogue, c’est l’ordre strict de la descendance qu’elle a choisi de respecter. Les membres de la lignée absents ou manquants sont représentés par des blancs – tels des écrans sur lesquels on peut, et l’on doit, projeter les circonstances de la perte. Les grands panneaux de portraits sont une chose curieuse et paradoxale. Spatialement, il s’agit d’un modèle d’ordre, de séquence et de descendance, mais la temporalité de la lignée forme une boucle qui laisse le passé pénétrer le présent, tandis que le futur se niche dans l’instant de la prise de vue. Ce mouvement de houle incessante se fige au moment de la prise de vue, quand l’image se fixe sur un visage précis à un moment précis. Et pourtant, DOSSIER ENSEIGNANT / TEXTES la fixité de la photographie est, comme le dit Benjamin [dans « Petite histoire de la photographie »], une chose illusoire : « Malgré l’attitude composée de son modèle, le spectateur se sent forcé malgré lui de chercher dans une telle photo la petite étincelle de hasard, d’ici et de maintenant, grâce à laquelle le réel a pour ainsi dire brûlé un trou dans l’image ; il cherche à trouver le lieu imperceptible où, dans la qualité singulière de cette minute depuis longtemps révolue, niche aujourd’hui encore l’avenir, d’une manière si éloquente que nous pouvons le découvrir rétrospectivement.» C’est dans le second panneau de l’installation que devient visible, ou lisible, la « petite étincelle de hasard », car Simon y raconte les circonstances qui l’ont conduite à choisir son sujet. Le hasard ne se situe pas simplement dans le récit ; il est aussi une condition formelle de la relation entre l’image et le texte, de leur conjonction dans cet espace interstitiel qui s’ouvre entre la photographie et le récit et qui prépare le terrain pour une traduction de l’image en texte, et vice-versa. Le second panneau de texte est l’endroit où deviennent visibles les préoccupations thématiques et politiques de Simon. C’est là que la lignée s’incarne. En Inde, on enregistre le « décès » de personnes vivantes pour accaparer leurs terres ; au Kenya, la pratique de la polygamie comme alternative à l’infidélité est considérée à la fois comme un mode de prévention et de diffusion du sida ; au Népal, les jeunes filles sont éduquées pour devenir des déesses nubiles qui sont finalement remplacées par d’autres et renvoyées dans leurs modestes foyers ; en Ukraine, les enfants des orphelinats sont victimes de la traite des êtres humains, qu’il s’agisse de prostitution ou de pornographie enfantine ; en Tanzanie, on chasse les albinos pour récupérer des parties de leur corps, car ils apportent chance et bonne santé. On pourrait dire que Simon s’intéresse à la banalité du mal, mais ce serait encore une simplification. Chaque chapitre peut sembler arbitraire et anecdotique ; pourtant, on sent très clairement qu’il est le fruit d’un travail sur la fragilité du destin humain et sur le hasard, mais un travail qui a su aussi révéler des signes cachés qui, lentement, ont donné vie à l’image d’une époque. […] La troisième section de l’installation – les notes visuelles de bas de page – joue un rôle marginal et de 12 traduction tout à la fois. Dans sa disposition, qui paraît aléatoire, elle se situe quelque part entre l’accumulation numérique et l’album de famille. Elle occupe dans le triptyque une place liminale et désordonnée ; réceptacle des matériaux déplacés, elle échappe à toute tentative de créer une archive globale. On y trouve par exemple une photographie de l’acte de propriété qui considère Yadav comme décédé, ou des photographies de Yahia incarnant Oudaï Hussein. Cependant, le plus important n’est pas le contenu de cet espace marginal, mais le rôle qu’il joue dans la conjonction de l’image et du texte, rôle marginal qui n’en est pas moins le pivot autour duquel tourne toute l’œuvre. Cette colonne de notes s’insère dans l’espace interstitiel entre les portraits de la lignée et les textes des récits. Elle confronte la sérialité par le sang à des événements aléatoires et contingents, à des accidents et à des violences. Le désordre de ces photographies contraste avec l’ordre inéluctable de la lignée, mais la vérité est que le désordre visible de la vie résiste fort bien à son autorité aveugle. Par rapport au texte, à la narration, les notes visuelles de bas de page renvoient à des événements et à des objets mentionnés dans l’histoire, leur donnant un caractère de preuves. Leur caractère aléatoire s’oppose toutefois à la linéarité de la prose, ouvrant celle-ci à de nouvelles interprétations et interrogations. Ces notes fragmentées sont une représentation graphique de la dynamique du déplacement qui anime toute l’œuvre de Simon. Cette fragmentation les empêche peut-être de s’additionner pour constituer une image totale ou une histoire complète ; mais de leurs présences partielles surgit une vérité plus profonde. De fait, ces notes signifient les fragments épars, les présences et les absences, les apparitions et les disparitions qui marquent la mémoire de l’homme. Elles émergent du passé, brisées, dépenaillées, pour réclamer leur part du présent, et ces fragments serviront de base à d’autres histoires, d’autres images et d’autres lignées. » Homi Bhabha, « Au-delà de la photographie », Vues arrière, nébu- AVANT-PROPOS AN AMERICAN INDEX OF THE HIDDEN AND UNFAMILIAR PAR SALMAN RUSHDIE « Le travail de Taryn Simon ne relève pas de l’esthétique habituelle du reportage – appareil tenu d’une main tremblante, images granuleuses et monochromes de « la réalité ». Ses sujets (des perroquets gris dans leur cage de quarantaine, des plants de marijuana cultivés à des fins de recherche dans la ville natale de William Faulkner, Oxford dans le Mississipi, la silhouette d’un rouge flamboyant du Magnum .44 de L’Inspecteur Harry, prise dans la chaleur de la forge, deux Juifs orthodoxes unis contre le sionisme) sont baignés de lumière, saisis avec une vive clarté hyperréaliste haute définition qui confère un statut de star à ces mondes cachés dont on pourrait croire que les habitants sont tout l’inverse des stars. Dans la vision qu’elle en donne, ce sont des étoiles noires attirées dans la lumière. Ce qui n’est pas connu, et rarement vu, possède une sorte de charme obscur, et c’est cette beauté noire qu’elle révèle si brillamment et avec tant de clarté. Voici la maison au bord de la plage à Cap Canaveral où les astronautes passent en compagnie de leur épouse leur dernier moment d’intimité avant d’être expédiés dans l’espace. Voici un homme accroché par la poitrine, suspendu dans les airs lors de la Lone Star Sun Dance. Voici le terrain de basket illuminé du Cheyenne Mountain Directorate dans le Colorado, un poste de surveillance militaire destiné à résister à l’explosion d’une bombe thermonucléaire. On ne peut qu’imaginer les étranges jeux solitaires post-apocalyptiques, les derniers tirs au panier qui pourraient être tentés ici, si les choses tournaient mal pour nous autres. C’est ainsi que le monde s’achèvera : non par une explosion mais par un tir au panier. (Non, à la réflexion, il y aura probablement aussi une explosion). Taryn Simon se sert du texte comme peu de photographes. Celui-ci est non seulement un titre ou une légende, mais fait aussi partie intégrante de son travail . » leuse stellaire et le bureau de la propagande extérieure. Œuvres de Taryn Simon, Jeu de Paume, Le Point du Jour, Tate Publishing, Salman Rushdie, extrait de « Avant-propos », Vues arrière, nébu- 2015, p. 222 et suiv. leuse stellaire et le bureau de la propagande extérieure. Œuvres de Taryn Simon, Jeu de Paume, Le Point du Jour, Tate Publishing. 2015, p. 72. DOSSIER ENSEIGNANT / TEXTES 13 LE REVENANT PAR GEOFFREY BATCHEN « En quatre ans, Taryn Simon a réuni dix-huit archives photographiques de lignées tout aussi étonnantes par leur histoire : vendetta familiale au Brésil, victimes du génocide en Bosnie, exhibitions humaines aux ÉtatsUnis ou paysans dépossédés de leur terre en Inde. Cette collection de généalogies présente une unité et, en même temps, elle est arbitraire, quoique l’artiste précise à chaque fois la relation personnelle et sociale qui existe entre les liens du sang et l’expérience vécue. Chaque séquence débute par une personne à partir de laquelle la lignée a été reconstituée en aval et en amont afin d’en réunir toutes les personnes vivantes. La seule exception est le chapitre consacré à la Bosnie, où la séquence comprend aussi des personnes tuées lors du massacre de Srebrenica, représentées par des photographies de leurs dépouilles (authentifiées par leur ADN). Dans un autre cas, celui des résidents d’un orphelinat en Ukraine, la séquence entend mettre en évidence les conséquences de l’absence de lignée. Dans le Chapitre VI, on découvre non des êtres humains mais trois lignées de lapins qui, ensemble, représentent plus de cent photographies. Il a été inoculé à chacun un virus mortel pour en tester les effets sur les populations de lapins en Australie, où l’espèce est considérée comme nuisible et envahissante. Obtenir l’autorisation pour réaliser toutes ces images a exigé d’énormes recherches, menées par l’artiste en collaboration avec sa soeur Shannon Simon et son assistant Douglas Emery. Il fallait trouver le nom, l’histoire et le lieu de résidence de tous les participants de chaque chapitre, puis joindre ces personnes et les persuader de poser. Il fallait également des interprètes et des « fixeurs » pour préparer les séances de pose qui, souvent, se tenaient dans des lieux différents. Et chaque fois qu’un autre maillon était découvert dans une lignée, une nouvelle prise de vues devait être organisée. Tout cela fut particulièrement compliqué dans des pays comme l’Inde, où certains participants n’avaient accès ni au téléphone ni à Internet . Extrait du Chapitre VI, A Living Man Declared Dead and Other Chapters I – XVIII résolution, et un important matériel d’éclairage pour garantir la plus grande uniformité possible entre les différentes images. L’équipement de base comprenait aussi un fond ivoire, ainsi que trois planches articulées qui formaient le siège sur lequel s’asseyaient les sujets. Un autre élément important était une bâche de plastique posée au sol, sur laquelle des marques indiquaient la position du trépied, du siège, des éclairages, etc. Autant que possible, les portraits étaient réalisés dans une pièce de hauteur standard, avec un plafond blanc, pour que chaque sujet soit éclairé de la même manière. Parfois, comme en Tanzanie, il a fallu introduire l’équipement dans la plus grande discrétion (via le Kenya, en l’occurrence) pour échapper aux tracasseries des autorités. Les images, en trois exemplaires, étaient ensuite réparties dans différentes valises, à titre de précaution en cas d’accident ou de vol. Certaines - par exemple, les paysages qui apparaissent parmi les photographies complémentaires - ont été réalisées en argentique avec une chambre 4 x 5 et laissent apparaître une esthétique plus picturale. » Geoffrey Batchen, extrait de « Le Revenant », Vues arrière, nébuleuse stellaire et le bureau de la propagande extérieure. Taryn Simon et son assistant se déplaçaient avec une chambre photographique, un appareil numérique haute DOSSIER ENSEIGNANT / TEXTES Œuvres de Taryn Simon, Jeu de Paume, Le Point du Jour, Tate Publishing, 2015, p. 232 et suiv. 14 Extrait du Chapitre II, A Living Man Declared Dead and Other Chapters I – XVIII ENTRETIEN AVEC TARYN SIMON Art Press : A Living Man Declared Dead (ALMDD) semble se détacher de l’enquête judiciaire pour proposer quelque chose de plus romancé, comme en témoignent le traitement de la filiation parentale et son organisation en « chapitres », de même que la qualité narrative du titre. S’agit-il d’un revirement dans votre approche ? Taryn Simon : Le titre se rapporte spécifiquement au premier chapitre, mais il renvoie également à l’idée que nous serions tous des morts-vivants, images de fantômes passés comme de fantômes futurs. ALMDD semble toutefois fonctionner à l’inverse de votre production antérieure. Au lieu de partir d’une catégorisation, vous adoptez une structure formelle - l’idée de filiation - et vous l’utilisez pour traiter des cas qui, sinon, n’auraient rien en commun. DOSSIER ENSEIGNANT / TEXTES T.S. : Dans ALMDD, je me suis effectivement focalisée sur des « modèles structurels », afin d’englober le sujet sous sa forme la plus contraignante. J’ai cherché à réaliser un inventaire que je ne pourrais ni publier, ni mettre en scène - un inventaire à la fois orienté et absolu. C’est la raison pour laquelle j’ai opté pour le thème des liens du sang. J’ai ensuite voulu opposer l’ordre et la certitude propres à un tel sujet au désordre et au chaos des récits qui fondent chacun des « chapitres ». L’aspect esthétique de l’œuvre est fondé sur des modèles structurels, des codes et des systèmes tandis que son contenu soulève de grandes questions que « faisons-nous ici » ? À quoi tiennent la production infinie de la vie et de la mort, et tous les récits qui s’y inscrivent ? Existe-t-il un but une raison ? ll s’agit tout autant de traiter le destin et ce qui le compose que d’exposer des questions sans réponses. Au bout du compte, l’œuvre cherche à imaginer des codes au sein même de ces récits et leurs répétitions. 15 La relation texte/image A.P. : ll y a aussi une différence formelle dans la présentation de vos matériaux. T.S. : ALMDD met l’accent sur un motif que j’avais déjà traité par le passé, à savoir la relation entre le texte et l’image. Les textes, ici utilisés sous trois formes - la liste, le récit et l’annotation, sont présents dans des cadres donnant l’impression de pouvoir les faire défiler. Les images sont traitées par la technique du collage, à la fois de manière aléatoire dans les panneaux dévolus aux notes de bas de page et de manière stricte et définie dans les panneaux de portraits. Cela me permet de jouer sur différentes façons de lire de résumer, de se rappeler et d’oublier. ll n’y a aucun point d’entrée, aucun point de sortie. Tout est conçu pour que chaque élément renvoie continuellement à un autre il en résulte une puissante perception non linéaire du monde. A.P. : Vous vous inspirez des sciences judiciaires, de la biologie, de l’anthropologie et du journalisme, sans pour autant rechercher les mêmes types de réponses que recherchent normalement ces disciplines. Peut-être devrait-on même dire que vous ne recherchez aucune « réponse » dans l’acception conventionnelle du terme. Que nous enseigne votre travail sur la possibilité que le monde contemporain ait un sens, un savoir et une vérité ? T.S. : Je m’intéresse à la somme des choses. À l’image de la production machinale de la vie et de la mort, l’œuvre explore l’accumulation des données dans lesquelles baigne tout un chacun. Ces données se construisent tout au long de nos vies et ne sont rendues au silence, pour la plupart d’entre elles, qu’à l’heure de notre mort. Néanmoins, ces données ont le potentiel de survivre et de se multiplier indéfiniment après la vie, sans la nécessité d’être alimentées. Tous les processus d’accumulation (archives traditionnelles ou données numériques) sont destinés à préserver quelque chose - une vision de l’histoire, une trace de sens ou de raison. Je m’intéresse aux espaces libérés entre toutes DOSSIER ENSEIGNANT / TEXTES les données collectées, là où s’exprime quelque chose qu’il est impossible d’établir au travers des spécificités de chacune. A.P. : Votre conception de l’histoire réduite à la préservation des traces signifiantes est assez frappante. Elle semble induire qu’il n’y a pas d’« histoire », uniquement des histoires. Mais certaines d’entre elles sont sans doute plus productives, plus éclairantes, ou simplement plus plaisantes que d’autres ? Autrement dit, comment faites vous votre choix après avoir collecté les données ? Certains éléments sont-ils abandonnés ? Avez-vous des critères de décision ? À quel moment endossez-vous le rôle d’auteur de ces récits ? T.S. : Les éléments s’amassent sur le sol. L’ensemble est un processus d’auteur, guidé par des faits, des figures et des nécessités conceptuelles, mais également par un sentiment. Je suis incapable de résumer ce processus. ll est aussi en rapport avec mes goûts et mes dispositions esthétiques et émotionnelles. Je sais ce que je veux, mais je ne peux le décrire. C’est une sorte de bruit. Une machine à collecter A.P. : L’utilisation de la photographie est une constante dans votre travail. Or, dans la culture contemporaine, elle est une lame à double tranchant. Les photographies sont employées comme preuve dans d’innombrables champs, mais elles sont aussi facilement manipulables. Elles entretiennent donc une relation ambiguë avec la vérité. Les photographies revêtent-elles ces différents aspects dans vos différentes séries ? T.S. : On peut observer dans mes séries un mouvement vers le texte, au détriment du privilège de l’image unique. Avec le temps, mon usage de la photographie s’est fait de plus en plus brut, dépouillé. Je l’emploie comme un outil dans sa forme la plus pure : une machine à collecter. ll en résulte, comme dans toute photographie, un espace de vérités multiples. » Propos recueillis par Eleanor Heartney, Art Press, février 2013. 16 3. PARCOURS Les d if férent s pa rcou r s proposés per met tent de découv r ir et d’analyser l’exposition autou r de thématiques précises et explorent différents p r ot o c ole s m i s e n pl a c e p a r Ta r y n Si mo n : processus de recherche et d’investigation rigoureux, image fortes qui questionnent notre rapport au monde, dispositifs précis de présentation où image et texte demeurent indissociables. L’ART ET LE MONDE CONTEMPORAIN A Living Man Declared Dead and Other Chapters I - XVIII retrace l’histoire d’individus issus des quatre coins du monde aux prises avec des structures qui les dépassent, qu’il s’agissent de forces liés à la question du politique (la corruption en Inde, chapire I ; le sionisme, chapitre II ; le front de libération de la Palestine, chapitre IX ou le Bureau d’information du conseil d’État chinois, chapitre XV), de la religion (la réincarnation chez les druzes, chapitre XIV) ou de l’impact de l’homme sur son territoire (l’invasion des lapins en Australie, chapitre VI). Lors d’une exposition à Pékin en 2013, plusieurs chapitres (Inde, Chine, Corée du sud) ont été censurés par les autorités chinoises. Taryn Simon a présenté ces œuvres recouvertes partiellement ou intégralement de peinture noire mat. 1 / Comment expliquez l’attitude des autorités chinoises ? 2 / Que signifie le geste de Taryn Simon ? 1 / Parcourez l’exposition et établissez une liste des lignées et des pays suivis par Taryn Simon. Que remarquez-vous ? 2 / Quels sont les points communs entre les chapitres, les différences, les incongruités ? primaire : identifier les œuvres : auteur, titre, époque, sujets et lieux photographiés. A Living Man Declared Dead and Other Chapters I – XVIII vue d’installation Ullens Center for Contemporary Art, Pékin, 2013 collège : histoire et géographie > enjeux du monde présent / connaissance du monde. lycée : arts plastiques et histoire des arts > l’ailleurs dans l’art, l’œuvre, le monde. DOSSIER ENSEIGNANT / PARCOURS 17 IMAGE, RÉALITÉ, FICTION : ENREGISTREMENT ET MISE EN SCÈNE DU RÉEL « La réalisation de ces conditions au moment de la prise de vue entraîne une standardisation des portraits tant sur le plan du contenu que de la composition esthétique. Assis sur un tabouret (de hauteur identique) devant un arrière-plan de couleur ivoire, les personnages aux visages impassibles fixent l’objectif. Les photos présentent un fond neutre, un éclairage uniforme, une clarté descriptive, un cadrage moyen et une vue frontale. Ces attributs généralement associés à la photographie documentaire concourent à exalter la transparence propre au médium. Du reste, à propos de son usage de la photographie, Simon soutient qu’elle : « […] l’emploie comme un outil dans sa forme la plus pure : une machine à collecter ». De cette utilisation de la photo découle un vocabulaire formel, lequel tend à rappeler les portraits photographiques à vocation scientifique ou documentaire (portrait d’identité, photographie criminelle et anthropologique, etc.) qui devaient et, dans le cas du portrait d’identité, doivent encore respecter des protocoles bien établis lors de la prise de vue. Sans s’étendre sur ce sujet, il n’est pas vain de mentionner que la mise en place de protocoles photographiques à la fin du XIXe siècle visait avant tout à atteindre l’objectivité, celle-ci source de vérité. En limitant l’intervention du photographe, on croyait alors garantir l’authenticité du portrait. » 1 / Concentrez vous sur la disposition de chaque chapitre. Que remarquez-vous ? 2 / Repérez les différentes sections ? 3 / Que montrent les images sur la panneau de gauche ? Que signifient les vides ? 4 / Comparez le dispositif de présentation du panneau de gauche et du panneau de droite. Quelles sont les différences ? primaire : décrire les œuvres en utilisant un vocabulaire spécifique : photographie, portrait, texte, archive... lycée : arts plastiques > élaboration matérielle et conception de monstration ; les relations de perception sensibles de l’œuvre et du spectateur. Mirna Boyadjian, université du Québec (voir bibliographie). « Taryn Simon invoque souvent la forme de l’archive afin d’imposer l’illusion d’un ordre structurel à la nature pourtant indéterminée et chaotique de ses sujets.» Extrait du dossier de presse de l’exposition Vues arrière, nébuleuse stellaire et le bureau de la propagande extérieure, Jeu de Paume, Paris, 2015. Lire aussi page 11, 12 et 13 de la brochure Enseignant : Homi Bhabha, « Au-delà de la photographie », Vues arrière, nébuleuse stellaire et le bureau de la propagande extérieure. Œuvres de Taryn Simon, Jeu de Paume, Le Point du Jour, Tate Publishing, 2015, p. 222 et suiv. DOSSIER ENSEIGNANT / PARCOURS 18 RAPPORT DU TEXTE ET DE L’IMAGE RAPPORT DE L’ŒUVRE ET DU SPECTATEUR « […] Dans leur tranquillité prosaïque et répétitive, ses portraits refusent obstinément d’offrir les plaisirs artistiques habituels liés à l’affect, à l’exotisme ou même à l’horreur - autant de sentiments qui permettent au spectateur d’éviter de penser à autre chose. […] . Confrontés à l’opacité tenace des images de Simon, nous sommes contraints de rechercher une signification ailleurs, et de regarder du côté des textes proposés par l’artiste. Mais eux non plus n’expriment aucun affect : ils nous donnent des informations sans offrir l’ombre d’une interprétation ni contenir la moindre visée didactique. Cette situation induit un mouvement particulier pour le spectateur : on regarde les images de loin et, intrigué, on se rapproche pour lire le texte, puis on recule pour porter sur les images un regard plus éclairé. Dans A Living Man Declared Dead, l’interdépendance stratégique de l’image et du texte pose d’autres problèmes. D’un côté, elle semble révéler un manque de confiance dans l’aptitude de la photographie à faire seule le travail que Simon exige d’elle. De l’autre, elle laisse penser que les textes ne seraient pas tout à fait crédibles sans le certificat que constituent les images qui les accompagnent. Cette interaction du texte et de la photographie est typique du travail de Simon : c’est même son véritable moyen d’expression. » 1 / Face à un chapitre, quel panneau regardez-vous en premier ? 2 / Le récit du panneau central vous semble-t-il important pour comprendre l’œuvre ? 3 / Essayez d’analyser votre attitude lorsque vous observez un chapitre. Vous tenez vous à distance de l’œuvre ? Êtes-vous statiques ? À quoi oblige le texte ? 4 / Votre regard sur la photographie change-t-il après la lecture du récit et des textes du panneau central ? primaire : exprimer ses émotions et préférences > Apprendre à se déplacer face à l’oeuvre et à l’espace d’exposition collège : arts plastiques et histoire des arts > les relations textes/images, l’œuvre et le spectateur. lycée : arts plastiques et histoire des arts > La question de l’espace d’énonciation qui détermine l’image, l’élaboration matérielle et conception de monstration, les relations de perceptions sensibles de l’œuvre et du spectateur. Geoffrey Batchen, extrait de « Le Revenant », Vues arrière, nébuleuse stellaire et le bureau de la propagande extérieure. Œuvres de Taryn Simon, Jeu de Paume, Le Point du Jour, Tate Publishing, 2015, p. 232. DOSSIER ENSEIGNANT / PARCOURS 19 4. ATELIERS ÉCRITURE PHOTOGRAPHIE « Membre du Front populaire pour la libération de la Palestine (FPLP), Leila Khaled détourna son premier avion le 29 août 1969. Dans les années 1970, consécutivement à l’altération de son apparence par plusieurs opérations de chirurgie plastique, elle participa à une série coordonnée de détournements, connue sous le nom de Dawson’s Field hijackings. […] » and Other Chapter I-XVIII « Dans An American Index of the Hidden and Unfamiliar, Taryn Simon établit l’inventaire de ce qui demeure caché et soustrait au regard à l’intérieur des frontières des États-Unis. Elle se livre à l’examen d’une culture au moyen d’exemples tirés des domaines de la science, de l’organisation étatique, de la médecine, du divertissement, de la nature, de la sécurité et de la religion. Pour reprendre ses termes, ce travail « découvre le fossé entre les individus auxquels l’accès au savoir est accordé et le reste de la population ». Mettez-vous dans la peau de Leila Khaled. Imaginez un récit autobiographique à la première personne. Vous utiliserez obligatoirement une des deux images issues du chapitre IX de la série A Living Man Declared Dead and Other Chapter I-XVIII. Vous réaliserez une série de photographies dans votre environnement proche, dans votre établissement, dans votre quartier, dans votre ville…qui dresse « l’inventaire de ce qui demeure caché et soustrait au regard ». Prévoyez la mise en forme de ce récit : typographie, rapport texte/image, composition des pages. Classez et ordonnez ces images. Rédiger un récit qui permet d’éclairer la compréhension et le choix des photographies. Réfléchissez à une exposition et à la scénographie des séries. Taryn Simon, extrait du chapitre IX, A Living Man Declared Dead CRÉATION PLASTIQUE Taryn Simon s’est associée au programmateur informatique Aaron Swartz pour créer le site internet Images Atlas. Ce site à l’interface très simple (…) montre les premiers résultats en images qui apparaissent lors d’une recherche par mot-clé selon le pays du moteur de recherche. Effectuer des recherches sur le site de Taryn Simon et d’Aaron Schwarz Images Atlas (http://www.imageatlas. org/) à partir de thèmes d’actualités ou de votre choix. Observez les résultats, ou l’absence de résultat, en fonction des pays. Comparez-les avec la même recherche sur Google. Organisez un accrochage de ces images qui rend compte de la « géographie » variable des résultats. DOSSIER ENSEIGNANT / ATELIERS 20 5. ÉCHOS DANS L’HISTOIRE DE LA PHOTOGRAPHIE Les échos proposés permettent d'établir des liens entre le travail de Taryn Simon et des photographes aux démarches artistiques proches. AUGUST SANDER C’est en découvrant l’œuvre d’August Sander que Taryn Simon s’est intéressée à la photographie. Cette référence renvoie directement à des questionnements au cœur de son travail : individualité, identité, déterminisme social, véracité photographique. « La photographie est comme une mosaïque qui ne devient une synthèse que quand elle est présentée en masse », avait déclaré Sander ; cette phrase pourrait aussi bien s’appliquer au travail de Simon. Ayant réalisé des milliers de portraits entre 1924 et 1933, Sander voulait présenter un panorama complet du peuple allemand sous le titre Hommes du XXe siècle, censé présenter « les visages d’une époque ». À un moment, Sander prévoyait d’organiser l’ensemble en sept sections, correspondant à des villes et comprenant environ quarante-cinq portfolios de douze photographies chacun. Cet ordre imposé est ce qui inscrit dans le champ des sciences sociales des images par ailleurs très variées. Comme le dit [Walter] Benjamin : « Il faudra s’habituer à ce que les gens cherchent à lire sur votre visage d’où vous venez. […] L’ouvrage de Sander est plus qu’un livre d’images, c’est un cahier d’exercices » 1. Les personnages de Sander sont caractérisés selon des définitions sociales (« Le Maître carreleur », « Le Mendiant », « La Femme de la société », « L’Artiste ») et placées dans une taxonomie où ils représentent une identité générique plutôt qu’eux-mêmes. En conséquence, la même personne peut entrer dans plusieurs catégories : l’artiste provocateur dada Raoul Haussman, par exemple, apparaît sous différents aspects dans différentes sections. Sander se réduit lui-même à un type, « Le Photographe », et réalise méthodiquement des images qui évitent d’exprimer un style ou une personnalité artistique ; il cherche, comme il le dit, « à voir les choses telles qu’elles sont et non telles qu’elles devraient August Sander, Paysan en train de semer, Kuchhausen, 1952 ou pourraient être ». Comme chez Simon, chaque individu ne peut être défini qu’en relation avec l’ensemble de la taxonomie, ce qui remet en question toute distinction entre la personne et son milieu social. Simultanément, la taxonomie est rendue visible ; elle apparaît comme « quelque chose d’artificiel, de posé », d’idéologique. » Geoffrey Batchen, extrait de « Le Revenant », Vues arrière, nébuleuse stellaire et le bureau de la propagande extérieure. Œuvres de Taryn Simon, Jeu de Paume, Le Point du Jour, Tate Publishing, 2015, p. 232. 1. Walter Benjamin, « Petite histoire de la photographie » (1931), Œuvres II, Paris, Gallimard, 2000, p. 312-314. À consulter à la bibliothèque du Point du Jour Les Hommes du XXe siècle August Sander Texte : Ulrich Keller Schirmer/Mosel, 1980 DOSSIER ENSEIGNANT / ÉCHOS DANS L’HISTOIRE DES ARTS 21 CHRISTIAN BOLTANSKI Taryn Simon interroge le statut de l’archive, la notion de collecte et de classification. Ces préoccupations sont partagées par de nombreux artistes contemporains dont Boltanski est un des précurseurs. « En produisant Les archives de C.B. 1965-1988, Boltanski renoue avec sa grande ambition telle qu’il l’avait formulée en 1969 : « Garder une trace de tous les instants de notre vie, de tous les objets qui nous ont côtoyés, de tout ce que nous avons dit et de ce qui a été dit autour de nous, voilà mon but ». Pour réaliser ce projet, il construit un mur de 646 boîtes à biscuit en fer blanc, certaines plus rouillées que d’autres, témoignant d’une usure du temps. De telles boîtes avaient été utilisées dès 1970, par exemple pour Essai de reconstitution (Trois tiroirs), dans lesquelles étaient conservées des répliques en pâte à modeler de ses jouets d’enfance. Toutefois, avec Les archives de C.B. 1965-1988, l’entreprise prend une autre dimension. Les 646 boîtes sont rangées en piles de presque trois mètres de hauteur, simplement éclairées par des lampes de bureau noires dont les fils électriques pendent négligemment, comme si elles avaient été installés à la hâte. Christian Boltanski, Les archives de C.B. 1965-1988, 1989, installation avec de la lumière, métal, photographies, lampes, fils électriques. 270 x 693 x 35,5 cm, collection Centre Pompidou, Paris. À consulter à la bibliothèque du Point du Jour Kaddish Christian Boltanski Paris/Musées 1998 Cet agencement évoque des archives de fortune, établies dans l’urgence de conserver ce qui, sans elles, serait voué à la disparition. Car ce que ces boîtes contiennent, ce sont plus de 1200 photos et 800 documents divers que Boltanski a rassemblés en vidant son atelier. C’est toute sa vie d’artiste qui est consignée là, mais cachée au spectateur, présente seulement dans sa mémoire, dans son intimité. En 2001, Christian Boltanski reprend de nouveau ce thème des archives personnelles avec une œuvre intitulée La Vie impossible : un ensemble de 20 vitrines dans lesquelles se trouvent amassés des papiers de toutes sortes, cette fois-ci présentés à la vue du spectateur, mais dans un tel désordre qu’il ne peut toujours pas percer leur mystère. Extrait des dossier pédagogiques du centre Pompidou, http:// mediation.cent repompidou.f r/education /ressources/ ENSboltanski/ENS-boltanski.htm DOSSIER ENSEIGNANT / ÉCHOS DANS L’HISTOIRE DES ARTS 22 Les artistes conceptuels Douglas Huebler et Sarah Charlesworth ont questionné dans les années 1970 et 1980 les rapports textes/images. Au croisement de la photographie et de l’art conceptuel, Taryn Simon réinvestit cette problématique en accordant une place centrale aux textes dans ses œuvres. DOUGLAS HUEBLER « « Le monde est rempli d’objets, plus ou moins intéressants ; je ne désire pas en ajouter ». Cette phrase, écrite en 1969 par Douglas Huebler, est emblématique du discours sur la dématérialisation de l’art de la fin des années 1960. On oublie toutefois souvent de citer son corollaire : « je préfère simplement constater l’existence des choses en termes de temps et/ou de lieux. Plus spécifiquement, je m’intéresse à des choses dont l’interrelation se situe au-delà de la perception immédiate. En ce sens, mon travail dépend d’un système de documentation. Cette documentation peut prendre la forme de photographies, de cartes, de dessins ou de descriptions ». En 1968, Douglas Huebler abandonne peinture et sculpture et organise son travail selon trois axiomes : le temps (Duration Piece), le lieu (Location Piece) et les deux à la fois (Variable Piece). Ses œuvres sont alors constituées de cartes, de diagrammes, de notations et de collages photographiques, accompagnés par des textes empreints d’un ton scientifique sans toutefois être dénués de poésie et d’humour. » À propos de Douglas Huebler, Mamco, Genève SARAH CHARLESWORTH « Sarah Charlesworth, l’une des personnalités du New York artistique des années 1980 fut la créatrice avec Joseph Kosuth du magazine conceptuel The Fox (1975-76). Elle avait été l’étudiante de Douglas Huebler au Barnard College, signalant l’impact qu’avait eu pour elle la publication, par Seth Siegelaub, de l’exposition Xerox Book et son travail universitaire avait porté sur une analyse critique en images du musée Guggenheim. Elle avait aussi étudié avec Lisette Model à la New School, alliant à ses débuts une pratique de photographe freelance et d’artiste ne pratiquant pas la photographie, proche à la fois de l’art conceptuel et du cinéma indépendant de l’East Village (ainsi que des cinéastes, comme Amos Poe). On a associé Sarah Charlesworth à la « génération images » (elle fut dans « Pictures Generation », une exposition récente au Met extrapolant à partir d’une expo de 1977 à Artists Space et du texte de Douglas Crimp) en oubliant ce que ça voulait -plutôt- dire, c’est à dire cet intérêt grandissant pour la re-présentation, pour la reproduction ou la re-photographie, comme on disait à l’époque, d’images produites dans et par les media afin d’arrêter le regard sur elles, de ne plus les considérer comme des illustrations, mais comme productrices de sens, non comme des objets neutres, mais fondamentales dans les rapports de pouvoir, c’est-à-dire comme des objets politiques, producteurs d’une communauté de spectatrices et de spectateurs. Ainsi la pièce « Modern History » (1979) présentant 45 unes de journaux affichant la photo d’Aldo Moro envoyée par les brigades rouges et dont l’artiste a effacé tout l’environnement textuel qui l’accompagnait, gardant simplement le titre de chacun des journaux. Les Stills, de même (1980) re-photographient, en les agrandissant jusqu’à taille humaine, des coupures de journaux où on voit des personnes gelées, en suspension dans les airs, sans aucune indication permettant de savoir ce qui est en train de se passer. Qu’est-ce qu’une image sans texte ? Sarah Charlesworth utilise la technique éditoriale du détourage pour problématiser l’image, pour produire la photo comme problème et non comme solution. » Elisabeth Lebovici, blog « Beau-vice », juin 2013 http://le-beauvice.blogspot.fr/2013/06/sarah-charlesworth-1947-2013.html Douglas Huebler, Variable Piece #70 (In Process), 1971 Epreuves gélatino-argentiques, texte dactylographié sur papier, 59,2 x 68,2 cm, collection Centre Pompidou, Paris. DOSSIER ENSEIGNANT / ÉCHOS DANS L’HISTOIRE DES ARTS 23 Séries, protocoles systématiques de prises de vues, engagement et investigation articulent les travaux de ces photographes de la même génération. Les textes, souvent violents contrastent avec leurs images, toujours esthétisantes, sereines chez Suzanne Opton, neutres chez Taryn Simon et Raphaël Dallaporta. RAPHAËL DALLAPORTA « L’une des grandes forces de la photographie réside dans son aptitude à inventorier et à fixer le monde dans lequel nous vivons. De par la simplicité et la clarté qu’elle procure, la photographie offre à la fois un potentiel commercial et artistique. Depuis quelques années, il y a une tendance chez certains photographes documentaires à isoler un aspect précis de la société pour l’explorer dans le détail. Raphaël Dallaporta en présente un exemple saisissant avec son projet sur les mines antipersonnel. Ces objets, étranges et répugnants, dégagent pourtant une certaine beauté qui dérange. On nous parle des ravages que les mines continuent d’infliger à des victimes innocentes bien après la disparition du but sous-jacent à leur pose. En effet, elles restent cachées sous terre tant qu’elles n’ont pas explosé. Je n’avais jamais vu de mine terrestre, que ce soit en réalité ou en photo, avant de découvrir les images de Dallaporta. Ce fut une révélation. On nous dit qu’il existe toutes sortes de mines terrestres, des centaines, qui varient fortement selon l’apparence, la forme et les spécificités. En les photographiant de la même manière qu’un autre l’aurait fait pour une publicité de shampooing, Dallaporta glorifie ces engins tout en conservant un angle totalement neutre. Le tour est si subtil qu’il est pour ainsi dire imperceptible. » Martin Parr, extrait de «Antipersonnel - Photographie de Raphaël Raphaël Dallaporta, Esclavage domestique, 2006 « Le projet Esclavage Domestique montre des photographies neutres de façades d’immeubles en région parisienne. En vis-à-.vis de ces images, des textes rédigés par la journaliste Ondine Millot, viennent expliquer ce qui s’est passé exactement à ces adresses. Le contraste entre les images distantes et la description textuelles des souffrances infligées à ces immigrantes enfermées, crée une tension très déconcertante. Dans son plus récent travail, Autopsy, Dallaporta a installé son studio au sein d’un institut médico-légal en France. Les prises de vue photographiques ont été réalisées lors des autopsies. Les fonctions de ces organes, os et liquides autrefois vivants, sont occultées pour laisser place à des images de textures, de formes et de couleurs vibrantes, qui captivent nos regards. Les textes qui les accompagnent, décrivent cependant un souvenir de l’irrévocable certitude de la mort, en citant ses causes cliniques, et rappelant le contexte personnel dans laquelle elle est intervenue. » Blog Imaginaid http://www.imaginaid.org/ Dallaporta », Éd. Xavier Barral, 2004 À consulter à la bibliothèque du Point du Jour Antipersonnel Raphaël Dallaporta Textes de Martin Parr Filigranes, 2004 DOSSIER ENSEIGNANT / ÉCHOS DANS L’HISTOIRE DES ARTS 24 SUZANNE OPTON « En 2009, Suzanne Opton a reçu une bourse du Musée Guggenheim ainsi que du National Endowment for the Arts, du Vermont Council on the Arts, de la Fondation de New-York pour les Arts, et du fonds Fledgling. Son projet photographique sur des portraits de soldats américains a été présenté sur des panneaux d’affichage et dans des stations de métro dans huit villes entre 2008 et 2010. Ces panneaux d’affichage ont inspiré des discussions animées concernant l’art et la vie militaire sur le site internet de son projet www. soldiersface.com. Avec les deux séries de portraits photographiques, Soldier (2004-2005) et Citizen (2007), Suzanne Opton créait un dialogue à la fois humaniste, éthique et hautement politique. La série Soldier, réalisée à New York entre 2004 et 2005, se compose de portraits de soldats américains ayant servi en Irak et en Afghanistan durant la guerre. Le cadrage est systématique : tous ont la tête allongée sur une table, le visage et le cou découvert. Parfois le regard absent, pensif, ou fixant l’objectif de l’appareil, ces portraits de jeunes soldats laissent le spectateur songeur et perplexe face à l’ambiguïté de ces images qui nous livrent à la fois une vulnérabilité et une innocence juvénile évidente des visages, et qui finissent par nous faire penser aux épreuves qu’ils ont dû endurer, et aux images de guerre que nous avons tous en mémoire. Suzanne Opton, Birkholz - 353 jours en Irak, 205 jours en Afghanistan, série « Soldier », 2004-2005 La série Citizen quant à elle représente les portraits d’Irakiens exilés ayant fuit leur pays pour rejoindre la ville d’Amman (Jordanie) en raison de la violence et des conflits incessants. En faisant le choix de présenter côte à côte ces deux séries, Suzanne Opton réactive le lien humain entre les « deux camps » si souvent considérés et désignés comme « opposés » par les médias. Ainsi, elle nous met face aux visages des véritables victimes de ces conflits. » Texte de l’exposition « Soldier + citizen » dans le cadre de Lyon septembre de la photographie 2010 «US today after», Centre d’art Le Bleu du ciel, Lyon. DOSSIER ENSEIGNANT / ÉCHOS DANS L’HISTOIRE DES ARTS 25 6. ENTRÉES DISCIPLINAIRES LITTÉRATURE LE VERTIGE DE LA LISTE PAR UMBERTO ECO « Contre toute apparence, les trente-deux pages de Marabout de Claude Closky offrent un bel exemple d’excès pas chaotique du tout : l’auteur aligne en effet des termes ou de brefs syntagmes, chacun commençant par la syllabe qui finit le précédent : la conclusion, c’est qu’il y a de la méthode dans cette folie et la liste, chaotique du point de vue des signifiés, ne l’est pas du point de vue des signifiants. Relève-t-elle de l’excès cohérent ou de l’excès chaotique, cette énumération de tout ce que voit en un seul jour Perec, posté place Saint-Sulpice à Paris et notant, de manière cadastrale, l’heure, l’événement et l’endroit de la place où il le voit ? L’énumération ne peut être que casuelle et désordonnée, puisque, selon toute vraisemblance, cent mille autres événements se sont produits ce jour-là sur cette place-là que Perec n’a pu ni remarquer ni noter ; mais d’un autre côté, le fait que cette liste ne contienne que ce qu’il a remarqué la rend étonnamment homogène. On classera dans la même catégorie liminaire, toujours de Perec, Je me souviens, puisque le chaos est ordonné par le fait que tout ce qui est énuméré est ce que l’auteur nous fait la grâce de se rappeler. Parmi les listes par excès cohérent, on peut citer aussi la description de l’abattoir dans Berlin Alexanderplatz de Döblin : en principe, ce devrait être la description ordonnée de ce lieu et des opérations qui s’y déroulent, mais on peine à saisir la forme du lieu et la séquence logique des opérations dans cette accumulation de détails, de données chiffrées, de flots de sang, de bandes de porcelets apeurés... L’abattoir de Döblin est épouvantable justement parce qu’il accumule des détails horribles jusqu’au vertige et dissout tout ordre possible dans le désordre de la folle bestialité - évoquant, de manière prophétique, des abattoirs futurs. On ne peut pas ne pas définir cohérentes, quoique excessives, la liste des Suisses morts dans le canton du Valais en 1991 établie par Christian Boltanski, ou celle des artistes ayant participé à la Biennale de Venise entre 1985 et 1995. Et certaines collections d’Annette Messager sont étrangement cohérentes. Ensuite, il y a des listes qui deviennent chaotiques par excès de colère, de rancœur, et accumulent des monceaux d’insultes. Le cas de Céline est typique, qui éclate en un flot de vitupérations, une fois n’est pas coutume, non contre les Juifs, mais contre la Russie soviétique. Et le texte rappelle curieusement les vociférations furibondes du capitaine Haddock dans Tintin : « Dine ! Paradine ! Crèvent ! Boursouflent ! Ventre dieu! … 487 millions d’empalafiés cosacologues ! Quid ? Quid ? Quod ? Dans tous les chancres de Slavie ! Quid? De Baltique slavigote en Blanche Al tramer noire ? Quam ? Balkans ! Visqueux ! Ratagan ! de concombres ! ... Mornes ! Roteux ! De ratamerde ! Je m’en pourfentre... Je m’en pourfoutre ! Gigantement ! Je m’envole ! Coloqui nte ! ... Barbatoliers ? Immensément ! Volgaronoff ! ... Mongomoleux Tartaronesques ! ... Stakhanoviciants ! ...Culodovitch ! ... Quatre cent mille verstes myriamètres ... de steppes de condachiures, de peaux de Zébis-Laridon ! ... Ventre Poultre ! Je m’en gratte tous les Vésuves ! ... Déluges ! ... fongueux de margachiante ! ... Pour vos tout sales pots fiottés d’ entzarinavés !. .. Stabiline ! Vorokchiots ! Surplus Déconfits ! ... Transbérie1 ! ... ». Umberto Eco, « Le vertige de la liste », Flammarion, 2009. DOSSIER ENSEIGNANT / ENTRÉES DISCIPLINAIRES 26 26 LE VERTIGE DE LA LISTE À PROPOS DE « CONTRABAND » « (...) Cette série de photographies propose un récit exhaustif de l’aéroport et du trafic aérien, à travers quelque chose dont la forme se rapproche de celle éminemment impersonnelle et administrative de la liste, destinée à être présentée à côté des listes concrètes d’objets confisqués. Le travail de Taryn Simon s’inscrit ainsi dans la longue histoire du déploiement par des artistes de la forme de la liste, des listes établies par Gilbert & George, à celles de Hans-Peter Feldmann et de Christian Boltanski dans les années 1970 : listes-portraits d’individus tels que révélés par leurs effets personnels. Lost Property Tramway (1994) de Boltanski rassemblait quelque cinq mille objets perdus par autant de personnes dont il me disait que «...chacune a sa propre histoire, chaque personne est différente ... chaque visage est différent ; chaque aventure est différente ». L’histoire de la liste se prolonge de nos jours, avec « Vertige de la liste », la série d’événements et la grande exposition proposés par Umberto Eco au Louvre en novembre 2009, un projet qui a rassemblé de nombreuses formes de listes, des reliquaires antiques (des collections d’objets en tant que listes rendues tangibles) aux listes produites par des peintres, de Bosch à Boltanski, des écrivains, d’Aristote et Diogène Laërce à Rabelais jusqu’à Borges et Perec. Eco dresse des listes de catégories de listes : « listes des infinités », listes « pratiques », et listes « poétiques », comme les listes de livres de Calvino ; des « échanges de listes pratiques et de listes poétiques », comme les inventaires et les itinéraires de Perec : « - Des slogans fugitifs : « De l’autobus, je regarde Paris » - De la terre : du gravier tassé et du sable. - De la pierre : la bordure des trottoirs, une fontaine, une église, des maisons... Bien entendu, Eco rend hommage à la « mère suprême de toutes les listes, Internet, et il n’est pas anodin ici que Taryn Simon inclue Google parmi ses sources d’inspiration majeures. L’hyperlien crée des trajectoires à l’intérieur de cet espace-liste sans bornes, des micro-listes à l’intérieur de la mère de toutes les listes. Douglas Coupland a récemment évoqué ce nouvel espace virtuel, où se rencontrent le lien et la liste, écrivant : « Partout où nous tournons le regard, des gens créent des liens en ligne - vers des sites de complot, des sites pornographiques ou des sites de ragots ; vers des sites de données médicales et des sites génétiques ; vers des sites de baseball et des sites pour collectionneurs de vaisselle Fiestawate ; vers des sites où l’on peut visionner gratuitement des films et des émissions de télévision, se brancher avec ses ex ou narguer de vieux ennemis - et le temps a commencé à effacer la manière en vigueur au XXe siècle de structurer sa journée et de situer son sentiment d’appartenance à une collectivité. Le temps s’accélère puis il commence à rétrécir. Des années s’écoulent en quelques minutes. » Les liens créent des listes et créent des trajectoires. Pour Taryn Simon qui, m’a-t-elle assuré, passe l’ « essentiel de ses journées à faire des recherches sur Internet » : « Google échoue habituellement à satisfaire mon intention d’origine, mais me dirige alors vers quelque chose que je n’aurais jamais imaginé. » Qui aurait pu imaginer la litanie des objets perdus, l’« excédent de déchets », dans l’étrange collection de Simon ? » Hans Ulrich Obrist, « L’aéroport, à jamais », Oeuvres de Taryn Simon, vues arrière, nébuleuse stellaire, et le bureau de la propagande extérieure, Jeu de Paume, Le Point du Jour, Tate Publishing. 2015, p. 114 - De l’asphalte - Des arbres (feuilles, souvent jaunissants) - Un morceau assez grand de ciel (peut-être l/6° de mon champ visuel) » DOSSIER ENSEIGNANT / ENTRÉES DISCIPLINAIRES 27 ARTS PLASTIQUES ART CONCEPTUEL ET PHOTOGRAPHIE « Infor mation et document(aire) : deux ter mes incantatoires auxquels ne manqueront pas de se plier les artistes apparentés de près ou de loin au phénomène conceptuel. Bernd et Hilla Becher avaient certes tracé la voie. Tout comme Ed Ruscha et John Baldessari. Mais les typologies du couple de photographes allemand parcimonieusement diffusées dans la première moitié des années 1960 ne seront assimilées par un contexte international, et plus particulièrement minimaliste, qu’autour de 1967-1969. Les travaux à base de photographies des uns comme des autres témoignent en tous cas d’une approche tributaire d’une réalité que l’on pourrait qualifier d’exogène, leurs contenus « préexistants » servant au mieux de prétextes à des opérations d’ « indexation » qui sont, comme le précise David Campany, « diamétralement opposées à l’aspiration moderniste pour l’autonomie ou la transcendance ». Aussi l’écart présidant à cette indexation se veut-il nul et proche sur ce point des arguments – discutables – avancés par Roland Barthes dans « Le message photographique » (1961) et « Rhétorique de l’image » (1964), soit deux essais certes « datés » mais coïncidant avec l’immédiate préhistoire de l’art conceptuel. « Quel est le contenu du message photographique ?, s’interroge Barthes, Qu’est-ce que la photographie transmet ? Par définition, la scène elle-même, le réel littéral. De l’objet à son image, il y a certes une réduction : de proportion, de perspective et de couleur. Mais cette réduction n’est à aucun moment une transformation (au sens mathématique du terme) ; pour passer du réel à sa photographie, il n’est nullement nécessaire de découper ce réel en unités et de constituer ces unités en signes différents substantiellement de l’objet qu’ils donnent à lire ; entre cet objet et son image, il n’est nullement nécessaire de disposer un relais, c’est-à-dire un code ; certes l’image n’est pas le réel ; mais elle en est du moins l’analogon parfait, et c’est précisément cette perfection analogique qui, devant le sens commun, définit la photographie. Ainsi apparaît le statut particulier de l’image photographique : c’est un message sans code. » Barthes réitère ce jugement dans « Rhétorique de l’image » : « Le rapport du signifié et du signifiant est quasi tautologique [...]. Ce passage n’est pas une transformation [...] » et poursuit par : « Seule la photographie possède le pouvoir de transmettre l’information (littérale) sans la former à l’aide de signes discontinus et de règles de transformation [...]. Dans la photographie, en effet – du moins au niveau du message littéral –, le rapport des signifiés et des signifiants n’est pas de « transformation » mais d’ « enregistrement » ». Les artistes conceptuels ne cesseront de faire osciller leurs travaux entre l’analogique et le tautologique sans pour autant décrypter les codes dont Barthes diagnostiqua un peu trop hâtivement l’absence, définissant le message photographique. Leur foi aveugle dans les ver t us de l’infor mation et de l’enregistrement détournera la grande majorité d’entre eux de toute visée autocritique pourtant enracinée dans certaines de leurs interrogations, à commencer par celles de Kosuth. Cette vacuité autocritique s’explique d’autant moins que toute une génération de cinéastes expérimentaux s’était engagée, dès la fin des années 1950, dans un projet introspectif visant à déconstruire le médium cinématographique, et donc par extension photographique. Erik Verhagen, La photographie conceptuelle : Paradoxes, contradictions et impossibilités, études photographiques, 22.09.2008. DOSSIER ENSEIGNANT / ENTRÉES DISCIPLINAIRES 28 ARTS VISUELS LE « PHOTOJOURNALISME ESTHÉTIQUE » « La situation, dit Brecht, se complique du fait que, moins que jamais, une simple « reproduction de la réalité » n’explique quoique ce soit de la réalité. Une photographie des usines Krupp ou AEG n’apporte à peu près rien sur ces institutions. La véritable réalité est revenue à la dimension fonctionnelle. La réification des rapports humains, c’est-à-dire par exemple l’usine elle-même, ne les représente plus. Il y a donc bel et bien « quelque chose à construire », quelque chose d’ « artificiel », de « fabriqué ». Bertolt Brecht cité par Walter Benjamin, Petite histoire de la photographie » Depuis la fin des années 1990, on rencontre une résurgence des discours, se déclinant sous la forme d’ouvrages, d’expositions ou de discussions, qui interrogent « la prise en compte par le champ de l’art de contenus liés à l’actualité événementielle et à l’histoire contemporaine ». La Documenta X (1997) et 11 (2002) de Cassel; le 8e Mois de la Photo à Montréal Maintenant. Images du temps présent (2003) ; Fiction ou Réalité (Fribourg, 2003) ; Covering the real (Bâle, 2005) ; All That Fits : The Aesthetics Of Journalism (Derby, 2011) pour ne mentionner que ces quelques événements, se sont intéressés aux propositions artistiques qui « procéd[ent] de la fusion, sinon de la confusion des domaines de l’art et de l’information ». Les pratiques artistiques réunies lors de ces événements, si elles traitent de la réalité sociale et politique, se distinguent du fait qu’elles ne visent pas à remettre en doute l’existence de la réalité de même qu’elles ne procèdent pas d’une opposition entre la fiction et la réalité, mais proposent des vérités à partir d’une mise en fiction de la réalité. Le tournant documentaire tend à embrasser un nombre important de pratiques artistiques. En regard de cela, le tournant annoncé par Nash recoupe d’autres tournants notamment les « social turn », « ethnographic turn » et « journalistic turn ». On s’intéressera plus précisément aux discours portant sur des propositions artistiques qui empruntent des formes et des méthodes habituellement associées au domaine journalistique. Rédigé par Alfredo Cramerotti, artiste et commissaire, l’ouvrage « Aesthetic Journalism. How to Inform without Infor ming » publié en 2009 par ticipe de ce questionnement en identifiant un tournant journalistique de l’art qui émerge durant les années 1990. Pour expliquer les modalités relatives à ce nouveau paradigme qui repose sur le croisement entre l’esthétique et le journalisme, l’auteur convoque entre autres les travaux de Walid Raad/The Atlas Group, d’Alfredo Jaar, de Lukas Einsele et de Bruno Serralongue, lesquels empruntent, outre les contenus, une démarche se tenant près de celle prescrite par le journalisme d’investigation ; « une forme de reportage aujourd’hui menacée d’obsolescence en raison d’une économie des médias qui privilégie l’actualité événementielle au détriment des enquêtes de terrain ». Or, la mobilisation d’un ensemble de protocoles d’enquêtes – recherche documentaire, travail de terrain et de collaboration, collecte de données, conduite d’entretiens – par ces artistes, qui ici incarnent une figure de l’artiste en journaliste, vise avant tout à offrir des savoirs alternatifs à ceux, de moins en moins diversifiés, promulgués par les médias d’information. Ces propositions peuvent être envisagées en réaction face aux conditions récentes de production et de diffusion de l’information ; aux organes de presse dominés par des groupes financiers plus soucieux d’accumuler du capital que de livrer de l’information de qualité ; à la surabondance des nouvelles qui permet difficilement de filtrer l’information authentique de celle qui, revendiquant une neutralité, une « voix » soi-disant objective, se trouve contrôlée, favorisant par conséquent une crise de confiance envers les médias. Dans le sillage des travaux de Martha Rosler, Dan Graham et Hans Haacke, le journalisme esthétique regroupe donc des pratiques artistiques contemporaines relevant d’une forme d’investigation des questions sociales, culturelles et politiques généralement couvertes par les médias d’information. Celles-ci opèrent une critique par la remise en cause des modèles journalistiques en place. Face à l’emprunt des contenus, des formes et des méthodes. Dans quelle mesure l’art devient un moyen d’interroger les régimes de vérité établis par les médias et en quoi il constitue un lieu d’apparition de nouveaux régimes de vérité ? Mirna Boyadjian, université du Québec (voir bibliographie). DOSSIER ENSEIGNANT / ENTRÉES DISCIPLINAIRES 29 7. AUTOUR DE L’EXPOSITION RENCONTRE Rencontre avec Taryn Simon Dimanche 1er mars à 11 heures LIVRE Vues arrière, nébuleuse stellaire et le bureau de la propagande extérieure. Œuvres de Taryn Simon Parallèlement à la présentation de A Living Man Declared Dead and Other Chapters I – XVIII au Point du Jour, le Jeu de Paume consacre une exposition à Taryn Simon du 22 février au 17 mai. À cette occasion, Le Point du Jour coédite son premier livre rétrospectif. Le livre présente treize ensembles réalisés entre 2002 et 2015. Il réunit, entre autres, des textes de Brian de Palma, Salman Rushdie, Simon Baker, conservateur à la Tate Modern et historien d’art, ou encore de Homi Bhabha, professeur à Harvard University. Coédition avec le Jeu de Paume et la Tate Format : 15 x 27 cm (relié) / 396 pages 209 images en quadrichromie 35 € DOSSIER ENSEIGNANT / AUTOUR DE L’EXPOSITION 30 8. BIBLIOGRAPHIE QUELQUES LIVRES DISPONIBLES AU CENTRE D’ART Livres de Taryn Simon Vues arrière, nébuleuse stellaire et le bureau de la propagande extérieure. Œuvres de Taryn Simon Taryn Simon Éd. Jeu de Paume, Le Point du Jour, Tate Publishing, 2015 Contraband Taryn Simon Éd. Steidl, 2010 The Innnocents Taryn Simon Umbrage Éditions 2003 DOSSIER ENSEIGNANT / BIBLIOGRAPHIE 31 Autres livres en rapport avec l’exposition Les Hommes du XXe siècle Performance under August Sander working conditions Texte : Ulrich Keller Allan Sekula Éd. Schirmer/Mosel, 1980 Textes de Dietrich Karner/ Sabine Breitwieser Éd. Hatje Cantz, 2003 Kaddish Antipersonnel Christian Boltanski Raphaël Dallaporta Éd. Paris/Musées Textes de Martin Parr 1998 Filigranes, 2004 Livres Christian Boltanski Éd. Jennifer Flay Encounters with the Dani Susan Meiselas Éd. Steidl, 2003 Passionate Signals Smoke Martha Rosler Hans-Peter Feldmann Éd. Hatje Cantz Éd. Walter König, 2008 2005 DOSSIER ENSEIGNANT / BIBLIOGRAPHIE 32 BIBLIOGRAPHIE ET SITOGRAPHIE SÉLECTIVE AUTOUR DE L’EXPOSITION Bibliographie Taryn Simon Monographie • Vues arrière, nébuleuse stellaire et le bureau de la propagande extérieure. Œuvres de Taryn Simon, Paris, Jeu de Paume / Cherbourg, Le Point du Jour Éditeur / Londres, Tate, 2015. Livres de l’artiste • The Picture Collection, Paris, éditions Cahiers d’art, 2015. • Birds of the West Indies, Ostfildern, Hatje Cantz Verlag, 2013. • A Living Man Declared Dead and Other Chapters I – XVIII, cat. exp., Londres, Tate Modern / Berlin, Neue Nationalgalerie, Berlin, Nationalgalerie Staatliche Museen / Londres, Mack, 2011 ; 2e éd., Londres, Wilson Center of Photography / New York, Gagosian Gallery, 2012. • Contraband, Göttingen, Steidl / New York, Gagosian Gallery, 2010 ; 2e ed., Ostfildern, Hatje Cantz Verlag, 2015. • An American Index of the Hidden and Unfamiliar, cat. exp., New York, Whitney Museum of American Art, Göttingen, Steidl, 2007 ; 2e éd., Göttingen, Steidl, 2008 ; 3e éd., Ostfildern, Hatje Cantz Verlag, 2012. • The Innocents, New York, Umbrage Editions, 2003 ; 2e éd., New York, Umbrage Editions, 2004. Essais sur l’œuvre de Taryn Simon • Berthou Crestey, Muriel, « Taryn Simon : Prix “Découverte” des Rencontres d’Arles 2010 », Le Regard à facettes, blog culture visuelle (en ligne : http://culturevisuelle.org/regard/ archives/252). • Bon, François, « Convention Steppenwolf : Taryn Simon. D’un index des choses cachées ou inhabituelles », Le tiers livre, littérature & invention numérique, 2007 (en ligne :http://www.tierslivre.net/ spip/spip.php?article823). • Boyadjian, Mirna, Les rapports entre la photographie et le texte chez Taryn Simon : révéler l’invisible, réimaginer l’invisible, mémoire de master, sous la direction de Vincent Lavoie, université du Québec, Montréal, 2014 ; plusieurs articles issus de cette recherche sont consultables en ligne : http://independent.academia.edu/MirnaBoyadjian DOSSIER ENSEIGNANT / BIBLIOGRAPHIE • Guillot, Claire, « Taryn Simon dissèque en image les liens du sang », Le Monde, 30 mai 2011. • Herschdorfer, Nathalie, Jours d’après : quand les photographes reviennent sur les lieux du drame, Londres, Thames & Hudson, 2011. • Salmeron, François, « Taryn Simon, A Living Man Declared Dead and Other Chapters I – XVIII », Paris-art.com (en ligne : http://www.paris-art.com/ galerie-photo/a-livingman- declared-dead-and-otherchapters-i-xviii/simontaryn/ 7749.html). • Salmeron, François, « Taryn Simon, The Picture Collection », Paris-art.com (en ligne : http://www. paris-art.com/graff/thepicture- collection/simon-taryn/7984.html). • Schuman, Aaro, « Taryn Simon », Aperture, no 205, 2011, p. 10-11. • « Taryn Simon, méprises », entretien avec Eleanor Heartney, Art press, no 397, février 2013, p. 40 (en ligne : http://www. alminerech.com/dbfiles/ mfile/80300/80362/20130123_ France_1.pdf). Ressources en ligne • Site Internet de l’artiste : tarynsimon.com • Site de la galerie Almine Rech : http://www.alminerech.com/en/artists/77/Taryn-Simon • Site du jeu de Paume : http://www.jeudepaume. org/?page=article&idArt=2206 Le site TED propose des captations de conférence d’artistes accompagnées de sous-titres dans plusieurs langues : • « Taryn Simon: Photographs of secret sites », conférence de Taryn Simon, juillet 2009, 17 min 32 s, vostfr : http://www.ted.com/talks/ taryn_simon_photographs_secret_sites • « Taryn Simon : The stories behind the bloodlines », conférence de Taryn Simon, novembre 2011, 17 min 59 s, vostfr : http:// www.ted.com/talks/ taryn_simon_the_stories_behind_the_bloodlines Le site de la galerie Gagosian présente plusieurs vidéos liées au travail de Taryn Simon (http://www. gagosian.com/ artists/taryn-simon/artist-media) : • Entretien de Taryn Simon avec Aaron Swartz, 2012. • Vidéo de Taryn Simon sur A Living Man Declared Dead and Other Chapters, 2012. • Vidéo réalisée à l’occasion de son exposition au MoMA de New York, Behind the Scenes : “Taryn 33 Simon : A Living Man Declared Dead and Other Chapters I-XVIII”, 2012. • Vues de A Living Man Declared Dead and Other Chapters, Neue Nationalgalerie, Berlin, 2011, 8 min 37 s, muet. • Vidéo réalisée à l’occasion de son exposition à la Tate, 2011-2012. Bibliographie autour de l’œuvre de Taryn Simon • Nassim Daghighian, « Propositions de lecture sur la photographie contemporaine ». • Paul Ardenne, Régis Durand, « Images-mondes. De l’événement au documentaire », Monografik, 2007. • Gaëlle Morel « Photojournalisme et Art contemporain. Les derniers tableaux », éditions des archives contemporaines, 2008. • F. Guerin, R. Hallas, « The image and the witness. Trauma, memory and visual culture » , éds., 2007. • M. Reinhardt, H. Edwards, E. Duganne, « Beautiful Suffering. Photography and the Traffic in Pain », 2007. • Umberto Eco, Vertige de la liste, Flammarion, 2009. Les artistes et les archives source : Institut national du patrimoine • Archive Fever – Uses of the Document in Contemporary Art, New-York, International Center of Photography, 17 janvier 2008 au 4 mai 2008, catalogue sous la dir. de Okwui Enwezor, New York, International Center of Photography, 2008, 264 p. • The Archival Impulse : Artist and Archives [en ligne], journée d’étude, Tate Britain, 16 novembre 2007. http:// www.tate.org.uk/britain/eventseducation/coursesworkshops/11232.htm • « L’archive, œuvre d’art : dialogue entre Christian Boltanski et Nathalie Heinich», Sociétés et Représentations, 2005, n° 19, p. 153-168. • « Art & Archives », Cahiers de Mariemont, 2007, n° 35, p. 94. 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De 1920 à nos jours, 2008 Tendance de la photographie contemporaine, 2007 Son et lumière - une histoire du son dans l’art du 20e siècle, 2005 Le mouvement des images, 2006 Jean-Luc Godard, 2006 Luis Buñuel, Un chien andalou, 2005 Sophie Calle, 2004 Statut et pouvoir du narrateur, 2003 Roland Barthes, 2002 35 INFOS PRATIQUES UN CENTRE D’ART, TOURNÉ VERS LA PHOTOGRAPHIE QUI ASSOCIE EXPOSITIONS, ÉDITION, RÉSIDENCES ET FORMATION Le Point du Jour, inauguré en novembre 2008, est le premier centre d’art / éditeur en France tourné vers la photographie. Le bâtiment a été conçu par Éric Lapierre, lauréat du Prix de la première œuvre en 2003, décerné au meilleur jeune architecte français. ADRESSE ET INFORMATIONS Le Point du Jour Centre d’art/Éditeur 107, avenue de Paris 50100 Cherbourg-Octeville Tél. 02 33 22 99 23 www.lepointdujour.eu Contact : Anne Gilles [email protected] SERVICE ÉDUCATIF Codirigé par Béatrice Didier, David Barriet et David Benassayag, Le Point du Jour est issu de l’activité, durant une dizaine d’années, de la maison d’édition du même nom et du Centre régional de la photographie de Cherbourg-Octeville. Denis Tessier t. 02 33 22 99 23 f. 02 33 22 96 66 [email protected] sur rendez-vous Quatre expositions sont proposées par an : l’une concerne la région, deux présentent des artistes contemporains et la dernière est consacrée à un photographe du passé. HORAIRES D’OUVERTURE Le Point du Jour publie parallèlement trois ouvrages, liés aux expositions ou essais concernant la photographie. Régulièrement, des artistes sont invités à réaliser un travail photographique dans la région, suivi le plus souvent d’une exposition et d’un livre. Du mercredi au vendredi de 14h à 18h Samedi et dimanche de 14h à 19h et sur rendez-vous Entrée libre Réalisation du dossier : David Benassayag, Anne Gilles, Julie Jourdan et Denis Tessier Enfin, Le Point du Jour organise, avec le soutien de la Fondation Neuflize Vie, le Prix Roland Barthes. Ce prix récompense des travaux de jeunes universitaires sur la photographie. La bibliothèque réunit près de deux mille ouvrages concernant la photographie. Elle accueille aussi régulièrement des conférences et des rencontres. Des visites et des formations sont organisées, notamment à destination des enseignants, tout au long de l’année. DOSSIER ENSEIGNANT / INFOS PRATIQUES 36