dossier enseignants

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dossier enseignants
DOSSIER ENSEIGNANTS
NOTIONS GÉNÉRALES
PREMIER DEGRÉ
L’exposition permet une approche
sensible et pédagogique de la
photographie dans le cadre des disciplines générales et artistiques
et de l’histoire des arts autour des
notions :
Compétences développées
lors de la visite de l’exposition
et de son exploitation en classe :
• Archives et art contemporain :
investigation, indexation et classification
• Dispositifs de présentation et de
représentation
• Image, réalité, fiction
• Image et texte : contexte et interprétation
• Art, politique et société : image et
pouvoir
NOTIONS PAR NIVEAU
La visite de l’exposition, le contact
direct avec les œuvres exposées,
le travail sur un questionnaire
élaboré en relation avec le service
éducatif permettent d’interroger
un ensemble de notions au
programme des classes du premier
degré au lycée et de travailler les
compétences du socle commun.
• Découvrir et explorer un centre d’art
• Développer sa sensibilité
artistique au contact des œuvres
• Décrire les œuvres en utilisant
un vocabulaire spécifique
• Exprimer ses émotions et
préférences face à une œuvre d’art,
en utilisant ses connaissances
• Apprendre à se déplacer en
s’adaptant à l’environnement
• Mobiliser ses connaissances pour
parler de façon sensible d’œuvres
d’art
• Utiliser des critères simples
pour les aborder avec l’aide des
enseignants
• Identifier les œuvres étudiées
par leur titre, le nom de l’auteur,
l’époque à laquelle cette œuvre a
été créée
• Échanger des impressions dans un
esprit de dialogue
La visite et le travail réalisé à
cette occasion s’inscrivent dans le
parcours artistique et culturel et
le « cahier culturel » de l’élève.
COLLÈGE
Cette exposition permet une
approche sensible et pédagogique
de la photographie d’aujourd’hui
autour de problématiques
contemporaines qui intéressent
l’histoire, la géographie, les lettres,
les arts plastiques….
• Les images et le réel
• Les relations textes/images
• L’espace et les œuvres
• L’espace, l’œuvre et le spectateur
Et de façon pluridisciplinaire
l’histoire des arts :
• Thématique « Arts, espace,
temps » : l’œuvre d’art et
l’évocation du temps et de l’espace,
l’œuvre d’art et la place du corps
et de l’homme dans le monde et la
nature
• Thématique « Arts, États et
pouvoir » : l’œuvre d’art et
le pouvoir, l’œuvre d’art et la
mémoire : mémoire de l’individu
(autobiographies, témoignages,
etc...), inscription dans l’histoire
collective (témoignages, récits,
etc...)
• Thématique « Arts, techniques,
expressions » : l’œuvre d’art et
l’influence des techniques
• Thématique « Arts, ruptures,
continuités » : l’œuvre d’art et sa
composition : modes (construction,
structure, hiérarchisation, ordre,
unité, orientation, etc...) ; effets
de composition / décomposition
(variations, répétitions, séries,
ruptures, etc...) ; conventions
(normes, paradigmes, modèles, etc...)
LYCÉE
La visite de l’exposition,
le contact direct avec les œuvres
exposées, permettent d’interroger
un ensemble de notions au programme du lycée
et particulièrement :
• L’ailleurs dans l’art
• L’œuvre, le monde
• La question de la présence ou
l’absence du référent
• La question de l’espace, d’énonciation qui détermine l’image
• La question de la relation de
l’image au temps
• L’élaboration matérielle et
conception de monstration
• Les relations de perceptions
sensibles entre l’œuvre et le
spectateur.
1.INTRODUCTION
Présentation de l’exposition
Biographie
Plan et vues d’exposition
2. TEXTES
Refuser les fluctuations loin de l’origine et de la destination par Simon Baker
Au-delà de la photographie par Homi Bhabha
Avant-propos par Salman Rushie
Le revenant par Geoffrey Batchen
Entretien avec Taryn Simon
3.
PARCOURS DANS L’EXPOSITION
Art et monde contemporain
Image, réalité, fixion
Image et texte
4. ATELIERS
Écriture
Photographie
Création plastique
5. ÉCHOS DANS L’HISTOIRE DE LA PHOTOGRAPHIE
August Sander
Christian Boltanski
Douglas Huebler
Sarah Charlesworth
Raphaël Dallaporta
Suzanne Opton
6. ENTRÉES DISCIPLINAIRES
Littérature : Le vertige de la liste
Arts plastiques : Art conceptuel et photographie
Arts visuels : Le « photojournalisme esthétique »
7. AUTOUR DE L’EXPOSITION
Rencontre et livre
8.BIBLIOGRAPHIE
Quelques livres disponibles au centre d’art
Bibliographie sélective autour de l’exposition
Bibliographie générale
9. INFOS PRATIQUES
1. INTRODUCTION
L’œuvre de Taryn Simon est le résultat d’un processus
de recherche et d’investigation rigoureux, centré sur la
structure et le poids du secret ainsi que sur la précarité
des mécanismes de survie. Mélange de photographie, de texte et de graphisme, ses projets conceptuels
traitent de la production et de la circulation de la pensée
comme des politiques de représentation.
D’une enquête sur des lieux cachés ou méconnus aux
États-Unis (An American Index of the Hidden and the
Unfamiliar, 2007) à la recension d’objets disparus lors
de la construction de la Fondation Louis-Vuitton à
Paris (A Polite Fiction, 2014), chaque série décrit avec
une sobriété extrême des situations surprenantes. Elles
montrent le monde globalisé actuel mais aussi la connaissance partielle que nous en avons.
Parallèlement à la présentation de A Living Man
Declared Dead and Other Chapters I – XVIII au Point
du Jour, le Jeu de Paume consacre une exposition à
Taryn Simon du 22 février au 17 mai. À cette occasion,
Le Point du Jour coédite son premier livre rétrospectif
A LIVING MAN DECLARED DEAD AND OTHER
CHAPTERS
A Living Man Declared Dead and Other Chapters
I – XVIII [« Un homme vivant déclaré mort et autres
chapitres I – XVIII »] est le résultat de quatre années de
recherche (2008-2011) durant lesquelles Taryn Simon a
voyagé à travers le monde pour recueillir les histoires
associées à différentes lignées. Dans chacun des dix-huit
« chapitres » qui composent l’œuvre, des forces extérieures, liées à des questions de territoire, de pouvoir,
de circonstances ou de religion, se heurtent à celles,
intérieures, des héritages physiques et psychologiques. Parmi les sujets abordés se trouvent une famille
sélectionnée pour représenter la Chine par le Bureau
d’information du Conseil d’État de ce pays, la doublure
du fils de Saddam Hussien, Oudaï, ou encore des paysans
dépossédés de leur terre en Inde. À la fois cohérente et
arbitraire, la collecte de Taryn Simon dresse une cartographie des rapports entre le hasard, les liens du sang
et d’autres facteurs de la destinée.
Chapitre I, A Living Man Declared Dead and Other Chapters I – XVIII
DOSSIER ENSEIGNANT / INTRODUCTION
4
Chaque chapitre de A Living Man Declared Dead
comprend trois sections. À gauche se trouvent un ou
plusieurs grands panneaux de portraits répertoriant
un certain nombre d’individus unis par les liens du
sang. La séquence présente de manière ordonnée les
ascendants et descendants vivants d’un seul individu.
Dans le panneau situé au centre, l’artiste constitue
des récits et introduit des informations supplémentaires. À droite finalement, les « notes visuelles de
bas de page » correspondent à certains éléments de la
narration et apportent des preuves photographiques.
Les portraits laissés vides représentent des membres de
la lignée qui n’ont pu être photographiés. Les textes précisent les raisons de leur absence, au nombre desquelles
l’emprisonnement, le service militaire, la maladie
(dengue) ou l’interdiction faite aux femmes d’être photographiées pour des motifs sociaux ou religieux.
Par sa forme même, l’œuvre révèle la définition conflictuelle des codes et des schémas inhérents aux récits
documentés par Taryn Simon, qui apparaissent alors
comme autant de variations (nouvelles versions, traductions, adaptations) de situations archétypales présentes,
passées et à venir. En contraste avec le classement
méthodique des lignées, les éléments au centre des
histoires relatées – violence, résilience, corruption et
survie – perturbent l’apparence extrêmement structurée
de l’ensemble. A Living Man Declared Dead and Other
Chapters I – XVIII met en évidence l’espace entre texte
et image, absence et présence, ordre et anarchie.
L’EXPOSITION
L’exposition au Point du Jour présente huit chapitres
de A Living Man Declared Dead and Other Chapters
I – XVIII, appartenant à la collection de la Tate Modern.
Les chapitres abordent, à travers l’histoire d’individus
liés par le sang, les sujets suivants : des paysans dépossédés de leur terre en Inde (I) ; le développement du
sionisme en Palestine britannique (II) ; la polygamie
au Kenya (III) ; la doublure du fils de Saddam Hussein,
Oudaï (IV) ; des tests pratiqués sur des lapins afin d’empêcher leur prolifération en Australie (VI) ; la première
femme, membre du Front populaire pour la libération
de la Palestine, à détourner un avion (IX) ; des druzes
libanais croyant en la réincarnation (XIV) ; l’activité
du Bureau de la propagande extérieure en Chine (XV).
D’une hauteur de 213,4 cm et de largeurs variables
selon les types de panneaux, les œuvres sont encadrés
sous verre. L’extension totale des chapitres s’échelonne
de 301,8 cm à 829,6 cm.
BIOGRAPHIE
Taryn Simon est née en 1975 à New York.
Parmi ses expositions personnelles : The Metropolitan
Museum of Art (New York, 2014) ; Ullens Center of
Contemporary Art (Pékin, 2013) ; Museum Folkwang
(Essen, 2013) ; Museum of Modern Art (New York,
2012) ; Multimedia Art Museum (Moscou, 2012) ;Tate
Modern (Londres, 2011) ; Neue Nationalgalerie (Berlin,
2011) ; Whitney Museum of American Art (New York,
2007) ; PS1 Contemporary Art Center (Long Island City,
2003) ; KW Institute for Contemporary Art (Berlin, 2003).
Taryn Simon a publié The Picture Collection (Éditions
Cahiers d’art, 2015) ; Birds of the West Indies (Hatje
Cantz, 2013) ; A Living Man Declared Dead and
Other Chapters I – XVIII (Nationalgalerie Staatliche
Museen / Mack, 2011) ; Contraband (Steidl / Gagosian
Gallery, 2010) ; An American Index of the Hidden and
Unfamiliar (Steidl, 2008) ; The Innocents (Umbrage
Éditions, 2003).
DOSSIER ENSEIGNANT / INTRODUCTION
5
Plan de l’exposition
Taryn Simon
A Living Man Declared Dead and Other Chapters I – XVIII
Le Point du Jour, Cherbourg, 1er mars – 31 mai 2015
Ch
ap
itr
e
Chapitre II
Chapitre I
Chapitre XIV
Chapitre VI
Chapitre IV
Chapitre III
IX
DOSSIER ENSEIGNANT / INTRODUCTION
6
ŒUVRES DE TARYN SIMON
DEPUIS 2000
The Innocents (2002), documente plusieurs cas de
condamnations illégitimes aux États-Unis et pose la
question de la crédibilité de la photographie en tant
que témoin et arbitre de justice. Elle met de plus en
évidence la faculté de cette technique à brouiller la
frontière entre vérité et fiction, une ambiguïté qui peut
avoir des conséquences graves, et parfois même fatales.
Dans An American Index of the Hidden and
Unfamiliar (2007), Taryn Simon établit l’inventaire de
ce qui demeure caché et soustrait au regard à l’intérieur
des frontières des États-Unis. Elle se livre à l’examen
d’une culture au moyen d’exemples tirés des domaines
de la science, de l’organisation étatique, de la médecine,
du divertissement, de la nature, de la sécurité et de
la religion. Pour reprendre ses termes, ce travail
« découvre le fossé entre les individus auxquels l’accès
au savoir est accordé et le reste de la population ».
Éléments constitutifs aussi bien des fondations, de
la mythologie que du fonctionnement quotidien de
l’Amérique, les objets, les lieux et les espaces répertoriés
par l’artiste demeurent néanmoins inaccessibles, ou
inconnus.
Contraband (2010) dresse l’inventaire des articles saisis
par les douaniers américains à l’aéroport international
John F. Kennedy de New York. Taryn Simon a passé
cinq jours et quatre nuits sur place pour photographier
en continu 1 075 objets interdits d’entrée aux ÉtatsUnis, à propos desquels elle a également rassemblé des
informations. La méthode de classement de ces images
évoque celle d’une collection entomologique : dans
leurs boîtes de plexiglas, elles constituent une archive
des perceptions du danger et des désirs à l’échelle
mondiale.
Tar yn Simon s’est associée au programmateur
informatique Aaron Swartz pour créer le site internet
Images Atlas (2012). Ce site à l’interface très simple
(…) montre les premiers résultats en images qui
apparaissent lors d’une recherche par mot-clé selon
le pays du moteur de recherche. Si ces derniers nous
semblent comme les meilleurs résultats, ils sont en
fait façonnés de façon très subjective par les courants
culturels et politiques, et mis en exergue par les goûts
de la masse à un instant donné. http://imageatlas.org/
DOSSIER ENSEIGNANT / INTRODUCTION
The Picture Collection (2013) prend comme sujet les
archives d’images de la Bibliothèque publique de New
York, où sont conservés 1,2 million de tirages, de cartes
postales, d’affiches et d’images imprimées. Organisée
selon un système de catalogage complexe de plus de
12 000 rubriques, il s’agit de la plus grande bibliothèque
iconographique de prêt au monde. Depuis sa création en
1915, la Picture Collection est une ressource importante
pour les écrivains, les historiens, les artistes, les
cinéastes, les stylistes et les agences de publicité. Dans
cette œuvre, Taryn Simon met en évidence le besoin
irrépressible d’archiver et d’organiser les informations
visuelles, et attire l’attention sur les mains invisibles à
l’origine de systèmes de collecte apparemment neutres.
Elle voit dans cette immense archive un précurseur des
moteurs de recherche sur Internet.
Pour la série Black Square (2006-2013), Taryn Simon a
photographié des sujets déconcertants, chacun mettant
en évidence une complexité, un effondrement ou
une ambiguïté culturels spécifiques dans un format
identique au chef-d’œuvre suprématiste de Kasimir
Malevitch de 1915. Le Carré Noir de Malevitch – un
carré noir élémentaire peint sur une toile, avec une
bordure blanche – représentait à la fois une fin et un
commencement dans l’histoire de l’art, une tentative
de créer un nouveau mode de représentation visuelle
dépourvu de signification sociale ou politique explicite,
mais avec des implications dévastatrices pour l’image
peinte. Dans cet hommage contemporain, Simon
embrasse les intentions esthétiques pures de Malevitch
et son impact profond sur l’histoire de l’art et de la
communication visuelle, mais les transpose sur un
terrain contemporain.
Birds of the West Indies (2013-2014). Titre en
hommage au vrai James Bond, un ornithologue, Taryn
Simon a photographié à la manière d’une scientifique,
d’une archiviste, tous les personnages et les objets de la
« galaxie » James Bond. Ce catalogue d’images est
en lui-même très intéressant, mais de plus l’artiste,
dans ce format qui ressemble à un dictionnaire de
gadgets étranges, d’objets improbables et de portraits
de femmes «faire-valoir» du côté séducteur du
personnage, questionne l’intérêt persistant du public
pour une série relativement misogyne et aux ficelles
certes remises au goût du jour mais toujours similaires.
7
Extrait du Chapitre XV, A Living Man Declared Dead and Other Chapters I – XVIII
Vidéos :
Explosive Warhead (2007) montre le test d’un missile
MK-84 IM (Insensitive Munition) réalisé au Centre
d’armement de la Base aérienne d’Englin en Floride.
Ce centre est responsable du développement, de
l’expérimentation et du déploiement de toutes les armes
aéroportées conçues aux États-Unis. Ces images ont été
filmées au moyen d’un séquenceur à distance qui a fait
exploser le missile depuis un bunker de contrôle.
The Innocents son film le plus ancien, elle interroge
les sujets de ses photographies sur le processus des
identifications erronées dont ils ont été victimes.
Cutaways (2012) est empreinte d’absurdité ; elle
témoigne en effet d’un épisode kafkaïen lors duquel
les deux présentateurs qui venaient d’interviewer
Taryn Simon pour l’émission Prime Time Russia, un
programme de la chaîne d’information Russia Today,
lui ont demandé de rester assise en silence et de les
fixer du regard tandis que les caméras enregistraient ces
images, destinées à servir de plans de coupe au moment
du montage.
DOSSIER ENSEIGNANT / INTRODUCTION
8
2. TEXTES
REFUSER LES FLUCTUATIONS LOIN DE L’ORIGINE
ET DE LA DESTINATION
PAR SIMON BAKER
« En mai 2011, peu après le vernissage de l’exposition
de Taryn Simon, A Living Man Declared Dead and
Other Chapters I – XVIII [« Un homme vivant déclaré
mort et autres chapitres I – XVIII »] à la Tate Modern,
l’ex-général serbe Ratko Mladić, en fuite depuis plusieurs années à la suite d’accusations pour crimes de
guerre, était retrouvé coulant des jours tranquilles
dans un village du nord de la Serbie et capturé. Cet
événement, largement couvert par la presse internationale, prenait une résonance particulièrement forte
dans l’exposition de Simon, dont un chapitre retrace la
lignée d’une famille ayant perdu de nombreux membres
masculins lors du massacre de Srebrenica que Mladić
était soupçonné d’avoir organisé. Lorsque des œuvres
de cette même série furent ensuite exposées en Chine,
les autorités censurèrent plusieurs images et tous les
panneaux de textes. Dans l’exposition, l’artiste donna
une représentation visuelle de cette décision en occultant toutes les œuvres dont le contenu était incriminé,
soulignant ainsi l’acte de censure plutôt que de le minimiser. Pour autant, l’aptitude de A Living Man Declared
Dead à continuer de fonctionner, à absorber et générer
des sens nouveaux, tant en son sein – d’une histoire à
l’autre – que face à des contraintes et des événements
extérieurs, n’a rien d’accidentel, mais s’inscrit depuis
dix ans au cœur de la pratique de Simon. Car son
approche de la politique de la représentation tire son
énergie et sa puissance non seulement de la production
de significations stables, mais aussi de leur circulation,
de leur mutilation et de leur renouvellement. L’œuvre de
Simon entraîne le spectateur dans une relation profonde
et complice avec le monde contemporain des images
dans toute sa complexité et sa contradiction – depuis
le statut et la fonction d’un genre historique tel que le
portrait jusqu’au mode apparemment arbitraire d’organisation et d’utilisation de l’information à l’ère des
moteurs de recherche sur Internet.
Dès le départ, le travail de Simon s’est caractérisé par
un intérêt constant pour les sources primaires afin de
révéler ce qui, face au scepticisme général croissant sur
DOSSIER ENSEIGNANT / TEXTES
la façon de présenter et d’exploiter l’information, est à
la fois l’« inconnu connu » et l’« inconnu inconnu ». Elle
a présenté des récits d’injustices individuelles et des
réseaux complexes de contenus accumulés pour leur intérêt propre, mais aussi pour leurs conséquences – afin
de révéler les contradictions inhérentes aux multiples
pressions personnelles et sociopolitiques auxquelles individus, groupes et mêmes États-nations sont de plus en
plus soumis. Animé par une incroyable passion d’exhumer et de présenter sous un jour nouveau des faits et des
récits passés sous silence ou volontairement soustraits
aux regards du public, le travail de Simon attribue à
l’artiste un rôle essentiel dans les discours contemporains sur la politique et l’économie du savoir, au sens
le plus fort et le plus actuel de ces termes. C’est peutêtre pour cette raison, et du fait de la clarté absolue et
infaillible avec laquelle se donne à voir le contenu qui
sous-tend sa pratique, que Simon se démarque nettement de nombre de ses pairs : elle s’adresse directement
à un vaste public, loin de l’étroitesse et des inhibitions
de tant d’œuvres contemporaines qui prétendent à une
pertinence sociale et politique.
Les premières années du XXIe siècle, durant lesquelles
Simon acquit une renommée internationale (avec des
expositions majeures dans des musées nationaux et
des institutions publiques aux États-Unis, en Europe
et en Asie), ont aussi été celles où le statut de l’image
photographique a suscité une réflexion critique radicale
mais aussi une forme d’angoisse, tant dans la société
en général que dans le monde de l’art en particulier.
Longtemps après avoir imposé de haute lutte la photographie dans les musées, aux États-Unis notamment,
photographes, artistes, commissaires et critiques réunis
semblent alors encore s’interroger sur la nature et le statut du médium photographique. Mais dans ce contexte
d’auto-questionnement presque névrotique sur ce que
la photographie est – après ses appropriations par l’art
conceptuel, la rephotographie, le numérique, les téléphones-appareils photo, Google, Flickr, Instagram,
etc. –, Simon cherche au contraire à cerner et explorer
ce que l’image photographique peut produire. Avec
une détermination à la fois sans faille et mesurée, souvent sans annoncer par avance quel programme que
ce soit, Simon a traité de la dimension esthétique de
la photographie en tant que composante de l’histoire
du médium, mais aussi de ses fonctions rhétorique,
politique et sociale, hors de cette histoire limitative et
souvent introspective.
9
En un sens, on peut considérer que le travail de Simon
recoupe et recycle une sorte de pratique photographique d’investigation qui remonte à la Works Progress
Administration durant la Grande Dépression et même
au-delà, jusqu’aux enquêtes visuelles inédites menées
par Jacob Riis et Lewis Hine sur des injustices sociales méconnues à l’orée du XXe siècle. Mais loin de
pratiquer ce que l’on entend aujourd’hui par photojournalisme ou photo- graphie documentaire, Simon
détourne les aspects les plus riches et les plus sophistiqués de ces diverses approches vers le champ de la
pratique photo- graphique postconceptuelle. Car, sans
perdre de vue des sujets politiquement brûlants comme
les erreurs judiciaires, les secrets d’État ou la porosité
des frontières internationales, elle manifeste aussi un
intérêt soutenu pour la nature rhétorique de l’image
impliquée dans ce genre de questions, produisant des
œuvres textuelles et iconographiques qui traitent autant
du potentiel singulier des images que de leurs limites.
À travers un important corpus inauguré avec The
Innocents [« Les Innocents », (2002] et s’étendant
jusqu’à A Living Man Declared Dead and Other
Chapters (2011) et au-delà, Simon a constamment
cherché, avec une détermination jamais démentie, à
inclure et domestiquer les légendes décrites par Walter
Benjamin comme des « étincelles » –, produisant une
œuvre qui refuse obstinément de transiger avec la volonté de situer les images photographiques dans des
contextes sociaux, politiques, éthiques et personnels à
travers l’emploi maîtrisé de textes et d’un design graphique qui lui sont propres. À chaque présentation de
son travail, qu’il soit spécifiquement conçu pour l’accrochage ou mis en page dans une publication, Simon
exerce un contrôle implacable et une attention aiguë sur
le moindre détail signe qu’elle porte autant d’intérêt à
son sujet qu’aux moyens de présenter ses récits.
Au-delà de l’aspect convaincant des recherches qui
nourrissent le travail de Simon, au-delà de la rhétorique
complexe de sa présentation, et au-delà même de la valeur d’usage finale des œuvres proprement dites, il y a
la qualité indéniable des photographies dont la pratique
de l’artiste tire sa puissance. Car, dans un certain sens,
cette œuvre doit son impact autant à l’esthétique élaborée et profondément séduisante déployée pour exprimer
visuellement des idées qu’à son contenu lui-même. À ce
DOSSIER ENSEIGNANT / TEXTES
sujet, il faut noter aussi que l’œuvre de Simon s’inscrit
dans le sillage persistant de la « déqualification » de
la photographie associée à l’art conceptuel dans les
années 1960 et 1970.
Mais là où les artistes de la génération précédente recherchaient des images photographiques techniquement
médiocres pour bâtir des œuvres critiques envers le
système social et sa politique de représentation, Simon,
elle, adopte les normes techniques et formelles les plus
exigeantes de la pratique photographique. Ses images
de scènes de crimes, d’aberrations et d’injustices sont
composées, calibrées et présentées avec une remarquable attention à l’histoire d’un médium dont le travail
de Simon remet souvent directement en question les
principes. Avec rigueur, retenue et une attention aux
détails, y compris techniques, Simon a produit un ensemble photographique stupéfiant qui va, du moins
en termes de genres conventionnels, du portrait au
paysage, à la nature morte, aux images d’actions et
d’accidents, et même à la pure abstraction, sans jamais
s’écarter d’une signature visuelle bien identifiable.
Taryn Simon est donc une artiste difficile, non parce
qu’elle traite de sujets difficiles, mais parce que son
travail résiste aux ambiguïtés si souvent inhérentes à
l’image photographique. Elle refuse que ses photographies soient l’objet de fluctuations quant à leur origine
ou leur destination. Car, comme en réaction à ce que
Benjamin appelait l’attention distraite du public pour
la plupart des images à grande diffusion, Simon attend
de son public qu’il travaille dur – en lui proposant un
matériau riche de multiples registres et une masse de
détails accumulés, visuels comme textuels –, mais aussi
qu’il s’oppose au flux toujours plus rapide d’images
tout en tenant compte de son existence et en luttant
contre ses effets. Dans beaucoup de ses œuvres, Simon
a réfléchi sur les effets naissants de l’ère post-Internet,
sur la disponibilité immédiate de l’information ou, pour
être précis, sur sa disponibilité apparente. A Living Man
Declared Dead en est un bon exemple puisqu’il associe un recensement détaillé et minutieux d’obscures
lignées familiales avec cette forme de « notes de bas de
pages » arbitraires, générées lors de recherches en ligne
sur des phénomènes ou des événements historiques
importants. Cette caractéristique se retrouve dans The
Picture Collection [« La Collection d’images », 2013],
10
analyse des archives visuelles de la Bibliothèque publique de New York, qui offre une version pré-Internet
d’une recherche par mots - clés, là encore en associant
des choix déterminés à leurs résultats arbitraires. Que
ce soit en dévoilant des histoires anonymes mais émouvantes d’individus façonnés par les actes de leurs aïeux,
ou en mettant en cause les mécanismes du secret d’État,
l’œuvre de Simon offre une vision du monde qui est à la
fois terriblement simple sur le plan des faits et incroyablement complexe quant à leurs conséquences. Car,
par-delà les exemples individuels de récits, d’histoires
et de traces qui sont à l’origine de ses installations et
publications photographiques, les rapprochements opérées par Simon manifestent une acception absolue de
leur nature entropique. Plus que tout autre, son travail
a un effet puissamment cumulatif car il ne fonctionne
pas en fournissant des preuves ni en démontrant telle
ou telle chose, mais en suggérant que ce n’est qu’en
rassemblant autant d’idées et de questions qu’on peut
construire une image convaincante et précise du monde
complexe et contradictoire dans lequel nous vivons. »
Simon Baker, « Refuser les fluctuations loin de l’origine et de la
destination », Vues arrière, nébuleuse stellaire et le bureau de la
propagande extérieure. Œuvres de Taryn Simon. Jeu de Paume, Le
Point du Jour, Tate Publishing, 2015, p. 7 et suiv.
AU-DELÀ DE LA PHOTOGRAPHIE
PAR HOMI BHABHA
« Il émane des études de cas réunies par Taryn Simon
dans A Living Man Declared Dead and Other Chapters
un même sentiment précaire de la survie – notion souvent associée à ce que Giorgio Agamben appelle la « vie
nue », avec son degré zéro de l’existence, avec sa vie
rendue négligeable et insignifiante sous l’effet de forces
adverses, antagonistes. Mais, ici, la survie relève d’une
autre éthique et d’une autre esthétique : elle représente
une force vitale qui ne se laisse pas anéantir, parce
qu’elle tire sa force d’une identification à la vulnérabilité des autres (plutôt qu’à leurs victoires) et fonde la
solidarité sur le processus précaire d’interdépendance
(plutôt que sur des prétentions à la souveraineté). Nous
sommes voisins non pas parce que nous voulons sauver
le monde, mais avant tout parce que nous devons survivre à ce monde.
La guerre, la violence, les appropriations de terres, les
atteintes à l’environnement, les problèmes d’identité
culturelle et la dépersonnalisation : autant de situations
répétées inlassablement au fil des chapitres. Elles sont
toutes traversées par l’idée de la lignée, fil conducteur
qui introduit un ordre, une continuité et une sérialité,
c’est-à-dire une situation irréfutable de relation et de
descendance. Pourtant, la diversité de la géographie
et l’aspect local des choix culturels empêchent de faire
du « sang », ou de tout autre exemple de déterminisme
causal, le véhicule privilégié du destin.
La survie, en revanche, est précisément l’art de se jouer
des contingences et des circonstances, art qui repose
davantage sur une pratique et une performance que sur
un principe fermement articulé. L’agent de la survie,
qu’il s’agisse d’un individu ou d’un groupe, a profondément conscience de ses disjonctions internes, ces points
où se rencontrent la rationalité et l’affect, laissant de
l’angoisse et de l’ambivalence dans leur sillage. Toutes
les études de cas que présente Simon expriment ces
conditions précaires de la vie ; elles nous parlent des
profondes polarités d’une modernité sinistre où « les
extrêmes se touchent » [Walter Benjamin, « Petite histoire de la photographie »]. […]
9.
10.
Extrait du Chapitre I, A Living Man Declared Dead and Other Chapters I – XVIII
DOSSIER ENSEIGNANT / TEXTES
11
La question de la survie, qu’elle soit esthétique ou politique, est au cœur de A Living Man Declared Dead.
Si American Index exposait les topoï secrets de la vie
mythique et ordinaire de l’Amérique, A Living Man
Declared Dead en revanche écrit le journal des « années
d’apprentissage » de l’artiste à l’échelle mondiale, mettant au jour des cas d’injustice, de violence, de maladie,
d’exploitation, de répression, de dévotion religieuse et de
réincarnation. La conscience aiguë qu’a Simon des différences culturelles et des anomalies normatives, associée
à son intelligence ethnographique, empêche le projet de
tomber dans un catalogue sentimental de victimes et de
catastrophes. Dans sa sélection et son traitement de ces
études de cas, elle montre une réserve digne d’une commissaire d’exposition, évitant de porter des jugements
de valeur ou de reprendre à son compte les clichés du
relativisme culturel.
Ces études de cas sont en effet des méditations sur
les extrêmes qui se touchent – l’ordre et le désordre,
la civilisation et la barbarie, la violence et les aspirations –, tels qu’ils sont inscrits dans la condition
humaine. Chaque chapitre est un triptyque qui doit se
lire séquentiellement de gauche à droite. Les panneaux
contenant les portraits des individus appartenant à une
même lignée sont de loin l’élément le plus important de
l’installation. Ce sont des portraits ordinaires, pris de
face, dans un même style et sur un même fond. Leur
équivalence formelle insistante et le rythme répété
d’apparition et de disparition de ces visages créent un
motif de descendance et d’héritage qui suit la structure
de la lignée.
Mais le plus significatif ici, considérant le goût de
Simon pour le catalogue, c’est l’ordre strict de la descendance qu’elle a choisi de respecter. Les membres
de la lignée absents ou manquants sont représentés par
des blancs – tels des écrans sur lesquels on peut, et l’on
doit, projeter les circonstances de la perte. Les grands
panneaux de portraits sont une chose curieuse et paradoxale. Spatialement, il s’agit d’un modèle d’ordre, de
séquence et de descendance, mais la temporalité de la
lignée forme une boucle qui laisse le passé pénétrer le
présent, tandis que le futur se niche dans l’instant de
la prise de vue. Ce mouvement de houle incessante se
fige au moment de la prise de vue, quand l’image se fixe
sur un visage précis à un moment précis. Et pourtant,
DOSSIER ENSEIGNANT / TEXTES
la fixité de la photographie est, comme le dit Benjamin
[dans « Petite histoire de la photographie »], une chose
illusoire : « Malgré l’attitude composée de son modèle,
le spectateur se sent forcé malgré lui de chercher dans
une telle photo la petite étincelle de hasard, d’ici et de
maintenant, grâce à laquelle le réel a pour ainsi dire
brûlé un trou dans l’image ; il cherche à trouver le lieu
imperceptible où, dans la qualité singulière de cette
minute depuis longtemps révolue, niche aujourd’hui
encore l’avenir, d’une manière si éloquente que nous
pouvons le découvrir rétrospectivement.»
C’est dans le second panneau de l’installation que devient visible, ou lisible, la « petite étincelle de hasard »,
car Simon y raconte les circonstances qui l’ont conduite
à choisir son sujet. Le hasard ne se situe pas simplement
dans le récit ; il est aussi une condition formelle de la
relation entre l’image et le texte, de leur conjonction
dans cet espace interstitiel qui s’ouvre entre la photographie et le récit et qui prépare le terrain pour une
traduction de l’image en texte, et vice-versa.
Le second panneau de texte est l’endroit où deviennent
visibles les préoccupations thématiques et politiques
de Simon. C’est là que la lignée s’incarne. En Inde, on
enregistre le « décès » de personnes vivantes pour accaparer leurs terres ; au Kenya, la pratique de la polygamie
comme alternative à l’infidélité est considérée à la fois
comme un mode de prévention et de diffusion du sida ;
au Népal, les jeunes filles sont éduquées pour devenir
des déesses nubiles qui sont finalement remplacées par
d’autres et renvoyées dans leurs modestes foyers ; en
Ukraine, les enfants des orphelinats sont victimes de la
traite des êtres humains, qu’il s’agisse de prostitution
ou de pornographie enfantine ; en Tanzanie, on chasse
les albinos pour récupérer des parties de leur corps,
car ils apportent chance et bonne santé. On pourrait
dire que Simon s’intéresse à la banalité du mal, mais ce
serait encore une simplification. Chaque chapitre peut
sembler arbitraire et anecdotique ; pourtant, on sent très
clairement qu’il est le fruit d’un travail sur la fragilité
du destin humain et sur le hasard, mais un travail qui
a su aussi révéler des signes cachés qui, lentement, ont
donné vie à l’image d’une époque. […]
La troisième section de l’installation – les notes visuelles de bas de page – joue un rôle marginal et de
12
traduction tout à la fois. Dans sa disposition, qui paraît
aléatoire, elle se situe quelque part entre l’accumulation
numérique et l’album de famille. Elle occupe dans le
triptyque une place liminale et désordonnée ; réceptacle
des matériaux déplacés, elle échappe à toute tentative
de créer une archive globale. On y trouve par exemple
une photographie de l’acte de propriété qui considère
Yadav comme décédé, ou des photographies de Yahia
incarnant Oudaï Hussein. Cependant, le plus important
n’est pas le contenu de cet espace marginal, mais le rôle
qu’il joue dans la conjonction de l’image et du texte,
rôle marginal qui n’en est pas moins le pivot autour
duquel tourne toute l’œuvre.
Cette colonne de notes s’insère dans l’espace interstitiel
entre les portraits de la lignée et les textes des récits.
Elle confronte la sérialité par le sang à des événements
aléatoires et contingents, à des accidents et à des violences. Le désordre de ces photographies contraste avec
l’ordre inéluctable de la lignée, mais la vérité est que le
désordre visible de la vie résiste fort bien à son autorité
aveugle. Par rapport au texte, à la narration, les notes
visuelles de bas de page renvoient à des événements et
à des objets mentionnés dans l’histoire, leur donnant un
caractère de preuves. Leur caractère aléatoire s’oppose
toutefois à la linéarité de la prose, ouvrant celle-ci à de
nouvelles interprétations et interrogations.
Ces notes fragmentées sont une représentation graphique de la dynamique du déplacement qui anime
toute l’œuvre de Simon. Cette fragmentation les empêche peut-être de s’additionner pour constituer une
image totale ou une histoire complète ; mais de leurs
présences partielles surgit une vérité plus profonde. De
fait, ces notes signifient les fragments épars, les présences et les absences, les apparitions et les disparitions
qui marquent la mémoire de l’homme. Elles émergent
du passé, brisées, dépenaillées, pour réclamer leur part
du présent, et ces fragments serviront de base à d’autres
histoires, d’autres images et d’autres lignées. »
Homi Bhabha, « Au-delà de la photographie », Vues arrière, nébu-
AVANT-PROPOS
AN AMERICAN INDEX OF THE HIDDEN AND UNFAMILIAR
PAR SALMAN RUSHDIE
« Le travail de Taryn Simon ne relève pas de l’esthétique habituelle du reportage – appareil tenu d’une
main tremblante, images granuleuses et monochromes
de « la réalité ». Ses sujets (des perroquets gris dans
leur cage de quarantaine, des plants de marijuana
cultivés à des fins de recherche dans la ville natale
de William Faulkner, Oxford dans le Mississipi, la
silhouette d’un rouge flamboyant du Magnum .44 de
L’Inspecteur Harry, prise dans la chaleur de la forge,
deux Juifs orthodoxes unis contre le sionisme) sont
baignés de lumière, saisis avec une vive clarté hyperréaliste haute définition qui confère un statut de star
à ces mondes cachés dont on pourrait croire que les
habitants sont tout l’inverse des stars. Dans la vision
qu’elle en donne, ce sont des étoiles noires attirées dans
la lumière. Ce qui n’est pas connu, et rarement vu, possède une sorte de charme obscur, et c’est cette beauté
noire qu’elle révèle si brillamment et avec tant de clarté.
Voici la maison au bord de la plage à Cap Canaveral où
les astronautes passent en compagnie de leur épouse
leur dernier moment d’intimité avant d’être expédiés
dans l’espace. Voici un homme accroché par la poitrine, suspendu dans les airs lors de la Lone Star Sun
Dance. Voici le terrain de basket illuminé du Cheyenne
Mountain Directorate dans le Colorado, un poste de
surveillance militaire destiné à résister à l’explosion
d’une bombe thermonucléaire. On ne peut qu’imaginer
les étranges jeux solitaires post-apocalyptiques, les
derniers tirs au panier qui pourraient être tentés ici, si
les choses tournaient mal pour nous autres. C’est ainsi
que le monde s’achèvera : non par une explosion mais
par un tir au panier. (Non, à la réflexion, il y aura probablement aussi une explosion).
Taryn Simon se sert du texte comme peu de photographes. Celui-ci est non seulement un titre ou une
légende, mais fait aussi partie intégrante de son travail . »
leuse stellaire et le bureau de la propagande extérieure. Œuvres
de Taryn Simon, Jeu de Paume, Le Point du Jour, Tate Publishing,
Salman Rushdie, extrait de « Avant-propos », Vues arrière, nébu-
2015, p. 222 et suiv.
leuse stellaire et le bureau de la propagande extérieure. Œuvres
de Taryn Simon, Jeu de Paume, Le Point du Jour, Tate Publishing.
2015, p. 72.
DOSSIER ENSEIGNANT / TEXTES
13
LE REVENANT
PAR GEOFFREY BATCHEN
« En quatre ans, Taryn Simon a réuni dix-huit archives
photographiques de lignées tout aussi étonnantes par
leur histoire : vendetta familiale au Brésil, victimes du
génocide en Bosnie, exhibitions humaines aux ÉtatsUnis ou paysans dépossédés de leur terre en Inde.
Cette collection de généalogies présente une unité et,
en même temps, elle est arbitraire, quoique l’artiste
précise à chaque fois la relation personnelle et sociale
qui existe entre les liens du sang et l’expérience vécue.
Chaque séquence débute par une personne à partir de
laquelle la lignée a été reconstituée en aval et en amont
afin d’en réunir toutes les personnes vivantes. La seule
exception est le chapitre consacré à la Bosnie, où la
séquence comprend aussi des personnes tuées lors du
massacre de Srebrenica, représentées par des photographies de leurs dépouilles (authentifiées par leur ADN).
Dans un autre cas, celui des résidents d’un orphelinat
en Ukraine, la séquence entend mettre en évidence les
conséquences de l’absence de lignée. Dans le Chapitre
VI, on découvre non des êtres humains mais trois lignées de lapins qui, ensemble, représentent plus de cent
photographies. Il a été inoculé à chacun un virus mortel
pour en tester les effets sur les populations de lapins en
Australie, où l’espèce est considérée comme nuisible et
envahissante.
Obtenir l’autorisation pour réaliser toutes ces images
a exigé d’énormes recherches, menées par l’artiste en
collaboration avec sa soeur Shannon Simon et son
assistant Douglas Emery. Il fallait trouver le nom, l’histoire et le lieu de résidence de tous les participants de
chaque chapitre, puis joindre ces personnes et les persuader de poser. Il fallait également des interprètes et
des « fixeurs » pour préparer les séances de pose qui,
souvent, se tenaient dans des lieux différents. Et chaque
fois qu’un autre maillon était découvert dans une lignée, une nouvelle prise de vues devait être organisée.
Tout cela fut particulièrement compliqué dans des pays
comme l’Inde, où certains participants n’avaient accès
ni au téléphone ni à Internet .
Extrait du Chapitre VI, A Living Man Declared Dead
and Other Chapters I – XVIII
résolution, et un important matériel d’éclairage pour
garantir la plus grande uniformité possible entre les
différentes images. L’équipement de base comprenait
aussi un fond ivoire, ainsi que trois planches articulées qui formaient le siège sur lequel s’asseyaient les
sujets. Un autre élément important était une bâche
de plastique posée au sol, sur laquelle des marques
indiquaient la position du trépied, du siège, des éclairages, etc. Autant que possible, les portraits étaient
réalisés dans une pièce de hauteur standard, avec un
plafond blanc, pour que chaque sujet soit éclairé de
la même manière. Parfois, comme en Tanzanie, il a
fallu introduire l’équipement dans la plus grande discrétion (via le Kenya, en l’occurrence) pour échapper
aux tracasseries des autorités. Les images, en trois
exemplaires, étaient ensuite réparties dans différentes
valises, à titre de précaution en cas d’accident ou de
vol. Certaines - par exemple, les paysages qui apparaissent parmi les photographies complémentaires - ont
été réalisées en argentique avec une chambre 4 x 5
et laissent apparaître une esthétique plus picturale. »
Geoffrey Batchen, extrait de « Le Revenant », Vues arrière,
nébuleuse stellaire et le bureau de la propagande extérieure.
Taryn Simon et son assistant se déplaçaient avec une
chambre photographique, un appareil numérique haute
DOSSIER ENSEIGNANT / TEXTES
Œuvres de Taryn Simon, Jeu de Paume, Le Point du Jour, Tate
Publishing, 2015, p. 232 et suiv.
14
Extrait du Chapitre II, A Living Man Declared Dead and Other Chapters I – XVIII
ENTRETIEN AVEC TARYN SIMON
Art Press : A Living Man Declared Dead (ALMDD)
semble se détacher de l’enquête judiciaire pour proposer quelque chose de plus romancé, comme en
témoignent le traitement de la filiation parentale et son
organisation en « chapitres », de même que la qualité
narrative du titre. S’agit-il d’un revirement dans votre
approche ?
Taryn Simon : Le titre se rapporte spécifiquement au
premier chapitre, mais il renvoie également à l’idée
que nous serions tous des morts-vivants, images de
fantômes passés comme de fantômes futurs. ALMDD
semble toutefois fonctionner à l’inverse de votre
production antérieure. Au lieu de partir d’une catégorisation, vous adoptez une structure formelle - l’idée
de filiation - et vous l’utilisez pour traiter des cas qui,
sinon, n’auraient rien en commun.
DOSSIER ENSEIGNANT / TEXTES
T.S. : Dans ALMDD, je me suis effectivement focalisée
sur des « modèles structurels », afin d’englober le sujet
sous sa forme la plus contraignante. J’ai cherché à réaliser un inventaire que je ne pourrais ni publier, ni mettre
en scène - un inventaire à la fois orienté et absolu. C’est
la raison pour laquelle j’ai opté pour le thème des liens
du sang. J’ai ensuite voulu opposer l’ordre et la certitude propres à un tel sujet au désordre et au chaos des
récits qui fondent chacun des « chapitres ». L’aspect
esthétique de l’œuvre est fondé sur des modèles structurels, des codes et des systèmes tandis que son contenu
soulève de grandes questions que « faisons-nous ici »  ?
À quoi tiennent la production infinie de la vie et de la
mort, et tous les récits qui s’y inscrivent ? Existe-t-il un
but une raison ? ll s’agit tout autant de traiter le destin
et ce qui le compose que d’exposer des questions sans
réponses. Au bout du compte, l’œuvre cherche à imaginer des codes au sein même de ces récits et leurs
répétitions.
15
La relation texte/image
A.P. : ll y a aussi une différence formelle dans la présentation de vos matériaux.
T.S. : ALMDD met l’accent sur un motif que j’avais
déjà traité par le passé, à savoir la relation entre le texte
et l’image. Les textes, ici utilisés sous trois formes - la
liste, le récit et l’annotation, sont présents dans des
cadres donnant l’impression de pouvoir les faire défiler.
Les images sont traitées par la technique du collage, à
la fois de manière aléatoire dans les panneaux dévolus aux notes de bas de page et de manière stricte et
définie dans les panneaux de portraits. Cela me permet
de jouer sur différentes façons de lire de résumer, de
se rappeler et d’oublier. ll n’y a aucun point d’entrée,
aucun point de sortie. Tout est conçu pour que chaque
élément renvoie continuellement à un autre il en résulte
une puissante perception non linéaire du monde.
A.P. : Vous vous inspirez des sciences judiciaires, de
la biologie, de l’anthropologie et du journalisme, sans
pour autant rechercher les mêmes types de réponses
que recherchent normalement ces disciplines. Peut-être
devrait-on même dire que vous ne recherchez aucune
« réponse » dans l’acception conventionnelle du terme.
Que nous enseigne votre travail sur la possibilité que
le monde contemporain ait un sens, un savoir et une
vérité ?
T.S. : Je m’intéresse à la somme des choses. À l’image
de la production machinale de la vie et de la mort,
l’œuvre explore l’accumulation des données dans
lesquelles baigne tout un chacun. Ces données se
construisent tout au long de nos vies et ne sont rendues
au silence, pour la plupart d’entre elles, qu’à l’heure
de notre mort. Néanmoins, ces données ont le potentiel de survivre et de se multiplier indéfiniment après
la vie, sans la nécessité d’être alimentées. Tous les
processus d’accumulation (archives traditionnelles ou
données numériques) sont destinés à préserver quelque
chose - une vision de l’histoire, une trace de sens ou de
raison. Je m’intéresse aux espaces libérés entre toutes
DOSSIER ENSEIGNANT / TEXTES
les données collectées, là où s’exprime quelque chose
qu’il est impossible d’établir au travers des spécificités
de chacune.
A.P. : Votre conception de l’histoire réduite à la préservation des traces signifiantes est assez frappante.
Elle semble induire qu’il n’y a pas d’« histoire », uniquement des histoires. Mais certaines d’entre elles sont
sans doute plus productives, plus éclairantes, ou simplement plus plaisantes que d’autres ? Autrement dit,
comment faites vous votre choix après avoir collecté
les données ? Certains éléments sont-ils abandonnés ?
Avez-vous des critères de décision ? À quel moment
endossez-vous le rôle d’auteur de ces récits ?
T.S. : Les éléments s’amassent sur le sol. L’ensemble est
un processus d’auteur, guidé par des faits, des figures
et des nécessités conceptuelles, mais également par un
sentiment. Je suis incapable de résumer ce processus. ll
est aussi en rapport avec mes goûts et mes dispositions
esthétiques et émotionnelles. Je sais ce que je veux,
mais je ne peux le décrire. C’est une sorte de bruit.
Une machine à collecter
A.P. : L’utilisation de la photographie est une constante
dans votre travail. Or, dans la culture contemporaine,
elle est une lame à double tranchant. Les photographies
sont employées comme preuve dans d’innombrables
champs, mais elles sont aussi facilement manipulables.
Elles entretiennent donc une relation ambiguë avec la
vérité. Les photographies revêtent-elles ces différents
aspects dans vos différentes séries ?
T.S. : On peut observer dans mes séries un mouvement vers le texte, au détriment du privilège de
l’image unique. Avec le temps, mon usage de la photographie s’est fait de plus en plus brut, dépouillé. Je
l’emploie comme un outil dans sa forme la plus pure :
une machine à collecter. ll en résulte, comme dans
toute photographie, un espace de vérités multiples. »
Propos recueillis par Eleanor Heartney, Art Press, février 2013.
16
3. PARCOURS
Les d if férent s pa rcou r s proposés per met tent
de découv r ir et d’analyser l’exposition autou r
de thématiques précises et explorent différents
p r ot o c ole s m i s e n pl a c e p a r Ta r y n Si mo n :
processus de recherche et d’investigation rigoureux,
image fortes qui questionnent notre rapport au monde,
dispositifs précis de présentation où image et texte
demeurent indissociables.
L’ART ET LE MONDE CONTEMPORAIN
A Living Man Declared Dead and Other Chapters
I - XVIII retrace l’histoire d’individus issus des
quatre coins du monde aux prises avec des structures qui les dépassent, qu’il s’agissent de forces
liés à la question du politique (la corruption en
Inde, chapire I ; le sionisme, chapitre II ; le front de
libération de la Palestine, chapitre IX ou le Bureau
d’information du conseil d’État chinois, chapitre
XV), de la religion (la réincarnation chez les druzes,
chapitre XIV) ou de l’impact de l’homme sur son territoire (l’invasion des lapins en Australie, chapitre VI).
Lors d’une exposition à Pékin en 2013, plusieurs
chapitres (Inde, Chine, Corée du sud) ont été censurés
par les autorités chinoises. Taryn Simon a présenté ces
œuvres recouvertes partiellement ou intégralement de
peinture noire mat.
1 / Comment expliquez l’attitude des autorités
chinoises ?
2 / Que signifie le geste de Taryn Simon ?
1 / Parcourez l’exposition et établissez une liste des
lignées et des pays suivis par Taryn Simon.
Que remarquez-vous ?
2 / Quels sont les points communs entre les chapitres,
les différences, les incongruités ?
primaire : identifier les œuvres : auteur, titre,
époque, sujets et lieux photographiés.
A Living Man Declared Dead and Other Chapters I – XVIII
vue d’installation Ullens Center for Contemporary Art, Pékin, 2013
collège : histoire et géographie > enjeux du
monde présent / connaissance du monde.
lycée : arts plastiques et histoire des arts >
l’ailleurs dans l’art, l’œuvre, le monde.
DOSSIER ENSEIGNANT / PARCOURS
17
IMAGE, RÉALITÉ, FICTION :
ENREGISTREMENT ET MISE EN SCÈNE DU RÉEL
« La réalisation de ces conditions au moment de la prise
de vue entraîne une standardisation des portraits tant sur
le plan du contenu que de la composition esthétique. Assis sur un tabouret (de hauteur identique) devant un arrière-plan de couleur ivoire, les personnages aux visages
impassibles fixent l’objectif. Les photos présentent un
fond neutre, un éclairage uniforme, une clarté descriptive, un cadrage moyen et une vue frontale. Ces attributs
généralement associés à la photographie documentaire
concourent à exalter la transparence propre au médium.
Du reste, à propos de son usage de la photographie, Simon soutient qu’elle : « […] l’emploie comme un outil
dans sa forme la plus pure : une machine à collecter ».
De cette utilisation de la photo découle un vocabulaire
formel, lequel tend à rappeler les portraits photographiques à vocation scientifique ou documentaire
(portrait d’identité, photographie criminelle et anthropologique, etc.) qui devaient et, dans le cas du portrait
d’identité, doivent encore respecter des protocoles bien
établis lors de la prise de vue. Sans s’étendre sur ce sujet, il n’est pas vain de mentionner que la mise en place
de protocoles photographiques à la fin du XIXe siècle
visait avant tout à atteindre l’objectivité, celle-ci source
de vérité. En limitant l’intervention du photographe,
on croyait alors garantir l’authenticité du portrait. »
1 / Concentrez vous sur la disposition de chaque chapitre. Que remarquez-vous ?
2 / Repérez les différentes sections ?
3 / Que montrent les images sur la panneau de
gauche ? Que signifient les vides ?
4 / Comparez le dispositif de présentation du panneau
de gauche et du panneau de droite. Quelles sont les
différences ?
primaire : décrire les œuvres en utilisant un
vocabulaire spécifique : photographie, portrait,
texte, archive...
lycée : arts plastiques > élaboration matérielle
et conception de monstration ; les relations de
perception sensibles de l’œuvre et du spectateur.
Mirna Boyadjian, université du Québec (voir bibliographie).
« Taryn Simon invoque souvent la forme de l’archive
afin d’imposer l’illusion d’un ordre structurel à la nature pourtant indéterminée et chaotique de ses sujets.»
Extrait du dossier de presse de l’exposition Vues arrière, nébuleuse
stellaire et le bureau de la propagande extérieure, Jeu de Paume,
Paris, 2015.
Lire aussi page 11, 12 et 13 de la brochure Enseignant :
Homi Bhabha, « Au-delà de la photographie », Vues arrière, nébuleuse stellaire et le bureau de la propagande extérieure. Œuvres de
Taryn Simon, Jeu de Paume, Le Point du Jour, Tate Publishing, 2015,
p. 222 et suiv.
DOSSIER ENSEIGNANT / PARCOURS
18
RAPPORT DU TEXTE ET DE L’IMAGE
RAPPORT DE L’ŒUVRE ET DU SPECTATEUR
« […] Dans leur tranquillité prosaïque et répétitive, ses
portraits refusent obstinément d’offrir les plaisirs artistiques habituels liés à l’affect, à l’exotisme ou même à
l’horreur - autant de sentiments qui permettent au spectateur d’éviter de penser à autre chose. […] . Confrontés
à l’opacité tenace des images de Simon, nous sommes
contraints de rechercher une signification ailleurs, et
de regarder du côté des textes proposés par l’artiste.
Mais eux non plus n’expriment aucun affect : ils nous
donnent des informations sans offrir l’ombre d’une
interprétation ni contenir la moindre visée didactique.
Cette situation induit un mouvement particulier pour le
spectateur : on regarde les images de loin et, intrigué,
on se rapproche pour lire le texte, puis on recule pour
porter sur les images un regard plus éclairé.
Dans A Living Man Declared Dead, l’interdépendance
stratégique de l’image et du texte pose d’autres problèmes. D’un côté, elle semble révéler un manque de
confiance dans l’aptitude de la photographie à faire
seule le travail que Simon exige d’elle. De l’autre,
elle laisse penser que les textes ne seraient pas tout
à fait crédibles sans le certificat que constituent les
images qui les accompagnent. Cette interaction du
texte et de la photographie est typique du travail de
Simon : c’est même son véritable moyen d’expression. »
1 / Face à un chapitre, quel panneau regardez-vous en
premier ?
2 / Le récit du panneau central vous semble-t-il important pour comprendre l’œuvre ?
3 / Essayez d’analyser votre attitude lorsque vous
observez un chapitre. Vous tenez vous à distance de
l’œuvre ? Êtes-vous statiques ? À quoi oblige le texte ?
4 / Votre regard sur la photographie change-t-il après
la lecture du récit et des textes du panneau central ?
primaire : exprimer ses émotions et préférences
> Apprendre à se déplacer face à l’oeuvre et à
l’espace d’exposition
collège : arts plastiques et histoire des arts > les
relations textes/images, l’œuvre et le spectateur.
lycée : arts plastiques et histoire des arts > La
question de l’espace d’énonciation qui détermine
l’image, l’élaboration matérielle et conception de
monstration, les relations de perceptions sensibles
de l’œuvre et du spectateur.
Geoffrey Batchen, extrait de « Le Revenant », Vues arrière,
nébuleuse stellaire et le bureau de la propagande extérieure.
Œuvres de Taryn Simon, Jeu de Paume, Le Point du Jour, Tate
Publishing, 2015, p. 232.
DOSSIER ENSEIGNANT / PARCOURS
19
4. ATELIERS
ÉCRITURE
PHOTOGRAPHIE
« Membre du Front populaire pour la libération de la
Palestine (FPLP), Leila Khaled détourna son premier
avion le 29 août 1969. Dans les années 1970, consécutivement à l’altération de son apparence par plusieurs
opérations de chirurgie plastique, elle participa à une
série coordonnée de détournements, connue sous le
nom de Dawson’s Field hijackings. […] »
and Other Chapter I-XVIII
« Dans An American Index of the Hidden and
Unfamiliar, Taryn Simon établit l’inventaire de ce
qui demeure caché et soustrait au regard à l’intérieur
des frontières des États-Unis. Elle se livre à l’examen
d’une culture au moyen d’exemples tirés des domaines
de la science, de l’organisation étatique, de la médecine, du divertissement, de la nature, de la sécurité et
de la religion. Pour reprendre ses termes, ce travail
« découvre le fossé entre les individus auxquels l’accès
au savoir est accordé et le reste de la population ».
Mettez-vous dans la peau de Leila Khaled. Imaginez
un récit autobiographique à la première personne.
Vous utiliserez obligatoirement une des deux images issues du chapitre IX de la série A Living Man Declared
Dead and Other Chapter I-XVIII.
Vous réaliserez une série de photographies dans
votre environnement proche, dans votre établissement, dans votre quartier, dans votre ville…qui dresse
« l’inventaire de ce qui demeure caché et soustrait au
regard ».
Prévoyez la mise en forme de ce récit : typographie,
rapport texte/image, composition des pages.
Classez et ordonnez ces images. Rédiger un récit qui
permet d’éclairer la compréhension et le choix des
photographies. Réfléchissez à une exposition et à la
scénographie des séries.
Taryn Simon, extrait du chapitre IX, A Living Man Declared Dead
CRÉATION PLASTIQUE
Taryn Simon s’est associée au programmateur informatique Aaron Swartz pour créer le site internet Images
Atlas. Ce site à l’interface très simple (…) montre les
premiers résultats en images qui apparaissent lors
d’une recherche par mot-clé selon le pays du moteur
de recherche.
Effectuer des recherches sur le site de Taryn Simon et
d’Aaron Schwarz Images Atlas (http://www.imageatlas.
org/) à partir de thèmes d’actualités ou de votre choix.
Observez les résultats, ou l’absence de résultat, en
fonction des pays. Comparez-les avec la même recherche sur Google.
Organisez un accrochage de ces images qui rend
compte de la « géographie » variable des résultats.
DOSSIER ENSEIGNANT / ATELIERS
20
5. ÉCHOS DANS L’HISTOIRE
DE LA PHOTOGRAPHIE
Les échos proposés permettent d'établir des liens entre
le travail de Taryn Simon et des photographes aux
démarches artistiques proches.
AUGUST SANDER
C’est en découvrant l’œuvre d’August Sander que
Taryn Simon s’est intéressée à la photographie. Cette
référence renvoie directement à des questionnements
au cœur de son travail : individualité, identité,
déterminisme social, véracité photographique.
« La photographie est comme une mosaïque qui ne
devient une synthèse que quand elle est présentée en
masse », avait déclaré Sander ; cette phrase pourrait
aussi bien s’appliquer au travail de Simon. Ayant réalisé
des milliers de portraits entre 1924 et 1933, Sander voulait présenter un panorama complet du peuple allemand
sous le titre Hommes du XXe siècle, censé présenter
« les visages d’une époque ». À un moment, Sander
prévoyait d’organiser l’ensemble en sept sections,
correspondant à des villes et comprenant environ quarante-cinq portfolios de douze photographies chacun.
Cet ordre imposé est ce qui inscrit dans le champ des
sciences sociales des images par ailleurs très variées.
Comme le dit [Walter] Benjamin : « Il faudra s’habituer à ce que les gens cherchent à lire sur votre visage
d’où vous venez. […] L’ouvrage de Sander est plus
qu’un livre d’images, c’est un cahier d’exercices » 1.
Les personnages de Sander sont caractérisés selon
des définitions sociales (« Le Maître carreleur », « Le
Mendiant », « La Femme de la société », « L’Artiste »)
et placées dans une taxonomie où ils représentent une
identité générique plutôt qu’eux-mêmes. En conséquence, la même personne peut entrer dans plusieurs
catégories : l’artiste provocateur dada Raoul Haussman,
par exemple, apparaît sous différents aspects dans différentes sections. Sander se réduit lui-même à un type,
« Le Photographe », et réalise méthodiquement des
images qui évitent d’exprimer un style ou une personnalité artistique ; il cherche, comme il le dit, « à voir les
choses telles qu’elles sont et non telles qu’elles devraient
August Sander, Paysan en train de semer, Kuchhausen, 1952
ou pourraient être ». Comme chez Simon, chaque individu ne peut être défini qu’en relation avec l’ensemble de
la taxonomie, ce qui remet en question toute distinction
entre la personne et son milieu social. Simultanément,
la taxonomie est rendue visible ; elle apparaît comme
« quelque chose d’artificiel, de posé », d’idéologique. »
Geoffrey Batchen, extrait de « Le Revenant », Vues arrière,
nébuleuse stellaire et le bureau de la propagande extérieure.
Œuvres de Taryn Simon, Jeu de Paume, Le Point du Jour, Tate
Publishing, 2015, p. 232.
1. Walter Benjamin, « Petite histoire de la photographie » (1931),
Œuvres II, Paris, Gallimard, 2000, p. 312-314.
À consulter à la bibliothèque du Point du Jour Les Hommes du XXe siècle
August Sander
Texte : Ulrich Keller
Schirmer/Mosel, 1980
DOSSIER ENSEIGNANT / ÉCHOS DANS L’HISTOIRE DES ARTS
21
CHRISTIAN BOLTANSKI
Taryn Simon interroge le statut de l’archive, la notion
de collecte et de classification. Ces préoccupations sont
partagées par de nombreux artistes contemporains
dont Boltanski est un des précurseurs.
« En produisant Les archives de C.B. 1965-1988,
Boltanski renoue avec sa grande ambition telle qu’il
l’avait formulée en 1969 : « Garder une trace de tous
les instants de notre vie, de tous les objets qui nous
ont côtoyés, de tout ce que nous avons dit et de ce qui
a été dit autour de nous, voilà mon but ». Pour réaliser
ce projet, il construit un mur de 646 boîtes à biscuit
en fer blanc, certaines plus rouillées que d’autres,
témoignant d’une usure du temps. De telles boîtes
avaient été utilisées dès 1970, par exemple pour Essai
de reconstitution (Trois tiroirs), dans lesquelles étaient
conservées des répliques en pâte à modeler de ses
jouets d’enfance.
Toutefois, avec Les archives de C.B. 1965-1988,
l’entreprise prend une autre dimension. Les 646 boîtes
sont rangées en piles de presque trois mètres de hauteur,
simplement éclairées par des lampes de bureau noires
dont les fils électriques pendent négligemment, comme
si elles avaient été installés à la hâte.
Christian Boltanski, Les archives de C.B. 1965-1988, 1989, installation
avec de la lumière, métal, photographies, lampes, fils électriques. 270 x
693 x 35,5 cm, collection Centre Pompidou, Paris.
À consulter à la bibliothèque du Point du Jour
Kaddish
Christian Boltanski
Paris/Musées
1998
Cet agencement évoque des archives de fortune,
établies dans l’urgence de conserver ce qui, sans elles,
serait voué à la disparition.
Car ce que ces boîtes contiennent, ce sont plus de
1200 photos et 800 documents divers que Boltanski
a rassemblés en vidant son atelier. C’est toute sa vie
d’artiste qui est consignée là, mais cachée au spectateur,
présente seulement dans sa mémoire, dans son intimité.
En 2001, Christian Boltanski reprend de nouveau
ce thème des archives personnelles avec une œuvre
intitulée La Vie impossible : un ensemble de 20
vitrines dans lesquelles se trouvent amassés des
papiers de toutes sortes, cette fois-ci présentés à la vue
du spectateur, mais dans un tel désordre qu’il ne peut
toujours pas percer leur mystère.
Extrait des dossier pédagogiques du centre Pompidou, http://
mediation.cent repompidou.f r/education /ressources/ ENSboltanski/ENS-boltanski.htm
DOSSIER ENSEIGNANT / ÉCHOS DANS L’HISTOIRE DES ARTS
22
Les artistes conceptuels Douglas Huebler et Sarah
Charlesworth ont questionné dans les années 1970
et 1980 les rapports textes/images. Au croisement de
la photographie et de l’art conceptuel, Taryn Simon
réinvestit cette problématique en accordant une place
centrale aux textes dans ses œuvres.
DOUGLAS HUEBLER
« « Le monde est rempli d’objets, plus ou moins intéressants ; je ne désire pas en ajouter ». Cette phrase,
écrite en 1969 par Douglas Huebler, est emblématique
du discours sur la dématérialisation de l’art de la fin des
années 1960. On oublie toutefois souvent de citer son
corollaire : « je préfère simplement constater l’existence
des choses en termes de temps et/ou de lieux. Plus
spécifiquement, je m’intéresse à des choses dont l’interrelation se situe au-delà de la perception immédiate. En
ce sens, mon travail dépend d’un système de documentation. Cette documentation peut prendre la forme de
photographies, de cartes, de dessins ou de descriptions ».
En 1968, Douglas Huebler abandonne peinture et
sculpture et organise son travail selon trois axiomes :
le temps (Duration Piece), le lieu (Location Piece)
et les deux à la fois (Variable Piece). Ses œuvres
sont alors constituées de cartes, de diagrammes, de
notations et de collages photographiques, accompagnés par des textes empreints d’un ton scientifique
sans toutefois être dénués de poésie et d’humour. »
À propos de Douglas Huebler, Mamco, Genève
SARAH CHARLESWORTH
« Sarah Charlesworth, l’une des personnalités du
New York artistique des années 1980 fut la créatrice
avec Joseph Kosuth du magazine conceptuel The
Fox (1975-76). Elle avait été l’étudiante de Douglas
Huebler au Barnard College, signalant l’impact
qu’avait eu pour elle la publication, par Seth Siegelaub,
de l’exposition Xerox Book et son travail universitaire avait porté sur une analyse critique en images
du musée Guggenheim. Elle avait aussi étudié avec
Lisette Model à la New School, alliant à ses débuts
une pratique de photographe freelance et d’artiste ne
pratiquant pas la photographie, proche à la fois de
l’art conceptuel et du cinéma indépendant de l’East
Village (ainsi que des cinéastes, comme Amos Poe).
On a associé Sarah Charlesworth à la « génération
images » (elle fut dans « Pictures Generation », une
exposition récente au Met extrapolant à partir d’une
expo de 1977 à Artists Space et du texte de Douglas
Crimp) en oubliant ce que ça voulait -plutôt- dire, c’est
à dire cet intérêt grandissant pour la re-présentation,
pour la reproduction ou la re-photographie, comme
on disait à l’époque, d’images produites dans et par
les media afin d’arrêter le regard sur elles, de ne plus
les considérer comme des illustrations, mais comme
productrices de sens, non comme des objets neutres,
mais fondamentales dans les rapports de pouvoir,
c’est-à-dire comme des objets politiques, producteurs
d’une communauté de spectatrices et de spectateurs.
Ainsi la pièce « Modern History » (1979) présentant
45 unes de journaux affichant la photo d’Aldo Moro
envoyée par les brigades rouges et dont l’artiste a effacé tout l’environnement textuel qui l’accompagnait,
gardant simplement le titre de chacun des journaux. Les Stills, de même (1980) re-photographient,
en les agrandissant jusqu’à taille humaine, des coupures de journaux où on voit des personnes gelées,
en suspension dans les airs, sans aucune indication
permettant de savoir ce qui est en train de se passer.
Qu’est-ce qu’une image sans texte ? Sarah Charlesworth
utilise la technique éditoriale du détourage pour problématiser l’image, pour produire la photo comme
problème et non comme solution. »
Elisabeth Lebovici, blog « Beau-vice », juin 2013 http://le-beauvice.blogspot.fr/2013/06/sarah-charlesworth-1947-2013.html
Douglas Huebler, Variable Piece #70 (In Process), 1971
Epreuves gélatino-argentiques, texte dactylographié sur papier, 59,2 x 68,2 cm,
collection Centre Pompidou, Paris.
DOSSIER ENSEIGNANT / ÉCHOS DANS L’HISTOIRE DES ARTS
23
Séries, protocoles systématiques de prises de vues,
engagement et investigation articulent les travaux de
ces photographes de la même génération. Les textes,
souvent violents contrastent avec leurs images, toujours
esthétisantes, sereines chez Suzanne Opton, neutres
chez Taryn Simon et Raphaël Dallaporta.
RAPHAËL DALLAPORTA
« L’une des grandes forces de la photographie réside
dans son aptitude à inventorier et à fixer le monde dans
lequel nous vivons. De par la simplicité et la clarté
qu’elle procure, la photographie offre à la fois un potentiel commercial et artistique. Depuis quelques années,
il y a une tendance chez certains photographes documentaires à isoler un aspect précis de la société pour
l’explorer dans le détail. Raphaël Dallaporta en présente
un exemple saisissant avec son projet sur les mines antipersonnel. Ces objets, étranges et répugnants, dégagent
pourtant une certaine beauté qui dérange. On nous
parle des ravages que les mines continuent d’infliger à
des victimes innocentes bien après la disparition du but
sous-jacent à leur pose. En effet, elles restent cachées
sous terre tant qu’elles n’ont pas explosé. Je n’avais
jamais vu de mine terrestre, que ce soit en réalité ou
en photo, avant de découvrir les images de Dallaporta.
Ce fut une révélation. On nous dit qu’il existe toutes
sortes de mines terrestres, des centaines, qui varient
fortement selon l’apparence, la forme et les spécificités. En les photographiant de la même manière qu’un
autre l’aurait fait pour une publicité de shampooing,
Dallaporta glorifie ces engins tout en conservant un
angle totalement neutre. Le tour est si subtil qu’il est
pour ainsi dire imperceptible. »
Martin Parr, extrait de «Antipersonnel - Photographie de Raphaël
Raphaël Dallaporta, Esclavage domestique, 2006
« Le projet Esclavage Domestique montre des photographies neutres de façades d’immeubles en région
parisienne. En vis-à-.vis de ces images, des textes
rédigés par la journaliste Ondine Millot, viennent expliquer ce qui s’est passé exactement à ces adresses. Le
contraste entre les images distantes et la description
textuelles des souffrances infligées à ces immigrantes
enfermées, crée une tension très déconcertante.
Dans son plus récent travail, Autopsy, Dallaporta a
installé son studio au sein d’un institut médico-légal en
France. Les prises de vue photographiques ont été réalisées lors des autopsies. Les fonctions de ces organes,
os et liquides autrefois vivants, sont occultées pour
laisser place à des images de textures, de formes et
de couleurs vibrantes, qui captivent nos regards. Les
textes qui les accompagnent, décrivent cependant un
souvenir de l’irrévocable certitude de la mort, en citant
ses causes cliniques, et rappelant le contexte personnel
dans laquelle elle est intervenue. »
Blog Imaginaid http://www.imaginaid.org/
Dallaporta », Éd. Xavier Barral, 2004
À consulter à la bibliothèque du Point du Jour
Antipersonnel
Raphaël Dallaporta
Textes de Martin Parr
Filigranes, 2004
DOSSIER ENSEIGNANT / ÉCHOS DANS L’HISTOIRE DES ARTS
24
SUZANNE OPTON
« En 2009, Suzanne Opton a reçu une bourse du
Musée Guggenheim ainsi que du National Endowment for the Arts, du Vermont Council on the Arts, de
la Fondation de New-York pour les Arts, et du fonds
Fledgling. Son projet photographique sur des portraits
de soldats américains a été présenté sur des panneaux
d’affichage et dans des stations de métro dans huit
villes entre 2008 et 2010. Ces panneaux d’affichage
ont inspiré des discussions animées concernant l’art et
la vie militaire sur le site internet de son projet www.
soldiersface.com.
Avec les deux séries de portraits photographiques,
Soldier (2004-2005) et Citizen (2007), Suzanne Opton
créait un dialogue à la fois humaniste, éthique et hautement politique. La série Soldier, réalisée à New York
entre 2004 et 2005, se compose de portraits de soldats
américains ayant servi en Irak et en Afghanistan durant
la guerre. Le cadrage est systématique : tous ont la tête
allongée sur une table, le visage et le cou découvert.
Parfois le regard absent, pensif, ou fixant l’objectif de
l’appareil, ces portraits de jeunes soldats laissent le
spectateur songeur et perplexe face à l’ambiguïté de
ces images qui nous livrent à la fois une vulnérabilité
et une innocence juvénile évidente des visages, et qui
finissent par nous faire penser aux épreuves qu’ils ont
dû endurer, et aux images de guerre que nous avons
tous en mémoire.
Suzanne Opton, Birkholz - 353 jours en Irak, 205 jours en Afghanistan,
série « Soldier », 2004-2005
La série Citizen quant à elle représente les portraits
d’Irakiens exilés ayant fuit leur pays pour rejoindre la
ville d’Amman (Jordanie) en raison de la violence et des
conflits incessants.
En faisant le choix de présenter côte à côte ces deux
séries, Suzanne Opton réactive le lien humain entre
les « deux camps » si souvent considérés et désignés
comme « opposés » par les médias. Ainsi, elle nous met
face aux visages des véritables victimes de ces conflits. »
Texte de l’exposition « Soldier + citizen » dans le cadre de Lyon
septembre de la photographie 2010 «US today after», Centre d’art
Le Bleu du ciel, Lyon.
DOSSIER ENSEIGNANT / ÉCHOS DANS L’HISTOIRE DES ARTS
25
6. ENTRÉES DISCIPLINAIRES
LITTÉRATURE
LE VERTIGE DE LA LISTE
PAR UMBERTO ECO
« Contre toute apparence, les trente-deux pages de
Marabout de Claude Closky offrent un bel exemple
d’excès pas chaotique du tout : l’auteur aligne en effet
des termes ou de brefs syntagmes, chacun commençant par la syllabe qui finit le précédent : la conclusion,
c’est qu’il y a de la méthode dans cette folie et la liste,
chaotique du point de vue des signifiés, ne l’est pas du
point de vue des signifiants. Relève-t-elle de l’excès
cohérent ou de l’excès chaotique, cette énumération
de tout ce que voit en un seul jour Perec, posté place
Saint-Sulpice à Paris et notant, de manière cadastrale,
l’heure, l’événement et l’endroit de la place où il le
voit ? L’énumération ne peut être que casuelle et désordonnée, puisque, selon toute vraisemblance, cent mille
autres événements se sont produits ce jour-là sur cette
place-là que Perec n’a pu ni remarquer ni noter ; mais
d’un autre côté, le fait que cette liste ne contienne que
ce qu’il a remarqué la rend étonnamment homogène.
On classera dans la même catégorie liminaire, toujours
de Perec, Je me souviens, puisque le chaos est ordonné
par le fait que tout ce qui est énuméré est ce que l’auteur
nous fait la grâce de se rappeler.
Parmi les listes par excès cohérent, on peut citer aussi
la description de l’abattoir dans Berlin Alexanderplatz
de Döblin : en principe, ce devrait être la description
ordonnée de ce lieu et des opérations qui s’y déroulent,
mais on peine à saisir la forme du lieu et la séquence
logique des opérations dans cette accumulation de détails, de données chiffrées, de flots de sang, de bandes
de porcelets apeurés... L’abattoir de Döblin est épouvantable justement parce qu’il accumule des détails
horribles jusqu’au vertige et dissout tout ordre possible
dans le désordre de la folle bestialité - évoquant, de
manière prophétique, des abattoirs futurs.
On ne peut pas ne pas définir cohérentes, quoique excessives, la liste des Suisses morts dans le canton du
Valais en 1991 établie par Christian Boltanski, ou celle
des artistes ayant participé à la Biennale de Venise
entre 1985 et 1995. Et certaines collections d’Annette
Messager sont étrangement cohérentes.
Ensuite, il y a des listes qui deviennent chaotiques
par excès de colère, de rancœur, et accumulent des
monceaux d’insultes. Le cas de Céline est typique, qui
éclate en un flot de vitupérations, une fois n’est pas
coutume, non contre les Juifs, mais contre la Russie
soviétique. Et le texte rappelle curieusement les vociférations furibondes du capitaine Haddock dans Tintin :
« Dine ! Paradine ! Crèvent ! Boursouflent ! Ventre
dieu! … 487 millions d’empalafiés cosacologues !
Quid ? Quid ? Quod ? Dans tous les chancres de
Slavie ! Quid? De Baltique slavigote en Blanche Al
tramer noire ? Quam ? Balkans ! Visqueux ! Ratagan !
de concombres ! ... Mornes ! Roteux ! De ratamerde ! Je
m’en pourfentre... Je m’en pourfoutre ! Gigantement !
Je m’envole ! Coloqui nte ! ... Barbatoliers ?
Immensément ! Volgaronoff ! ... Mongomoleux
Tartaronesques ! ... Stakhanoviciants ! ...Culodovitch !
... Quatre cent mille verstes myriamètres ... de steppes
de condachiures, de peaux de Zébis-Laridon ! ... Ventre
Poultre ! Je m’en gratte tous les Vésuves ! ... Déluges !
... fongueux de margachiante ! ... Pour vos tout sales
pots fiottés d’ entzarinavés !. .. Stabiline ! Vorokchiots !
Surplus Déconfits ! ... Transbérie1 ! ... ».
Umberto Eco, « Le vertige de la liste », Flammarion, 2009.
DOSSIER ENSEIGNANT / ENTRÉES DISCIPLINAIRES
26
26
LE VERTIGE DE LA LISTE
À PROPOS DE « CONTRABAND »
« (...) Cette série de photographies propose un récit
exhaustif de l’aéroport et du trafic aérien, à travers
quelque chose dont la forme se rapproche de celle
éminemment impersonnelle et administrative de
la liste, destinée à être présentée à côté des listes
concrètes d’objets confisqués. Le travail de Taryn
Simon s’inscrit ainsi dans la longue histoire du
déploiement par des artistes de la forme de la liste,
des listes établies par Gilbert & George, à celles de
Hans-Peter Feldmann et de Christian Boltanski dans
les années 1970 : listes-portraits d’individus tels que
révélés par leurs effets personnels. Lost Property Tramway (1994) de Boltanski rassemblait quelque cinq
mille objets perdus par autant de personnes dont il
me disait que «...chacune a sa propre histoire, chaque
personne est différente ... chaque visage est différent ;
chaque aventure est différente ». L’histoire de la liste
se prolonge de nos jours, avec « Vertige de la liste »,
la série d’événements et la grande exposition proposés
par Umberto Eco au Louvre en novembre 2009, un
projet qui a rassemblé de nombreuses formes de listes,
des reliquaires antiques (des collections d’objets en
tant que listes rendues tangibles) aux listes produites
par des peintres, de Bosch à Boltanski, des écrivains,
d’Aristote et Diogène Laërce à Rabelais jusqu’à Borges
et Perec. Eco dresse des listes de catégories de listes :
« listes des infinités », listes « pratiques », et listes
« poétiques », comme les listes de livres de Calvino ; des
« échanges de listes pratiques et de listes poétiques »,
comme les inventaires et les itinéraires de Perec :
« - Des slogans fugitifs : « De l’autobus, je regarde
Paris »
- De la terre : du gravier tassé et du sable.
- De la pierre : la bordure des trottoirs, une fontaine,
une église, des maisons...
Bien entendu, Eco rend hommage à la « mère
suprême de toutes les listes, Internet, et il n’est pas
anodin ici que Taryn Simon inclue Google parmi ses
sources d’inspiration majeures. L’hyperlien crée des
trajectoires à l’intérieur de cet espace-liste sans bornes,
des micro-listes à l’intérieur de la mère de toutes les
listes. Douglas Coupland a récemment évoqué ce
nouvel espace virtuel, où se rencontrent le lien et la
liste, écrivant :
« Partout où nous tournons le regard, des gens créent
des liens en ligne - vers des sites de complot, des sites
pornographiques ou des sites de ragots ; vers des sites
de données médicales et des sites génétiques ; vers
des sites de baseball et des sites pour collectionneurs
de vaisselle Fiestawate ; vers des sites où l’on peut
visionner gratuitement des films et des émissions de
télévision, se brancher avec ses ex ou narguer de vieux
ennemis - et le temps a commencé à effacer la manière
en vigueur au XXe siècle de structurer sa journée et de
situer son sentiment d’appartenance à une collectivité.
Le temps s’accélère puis il commence à rétrécir. Des
années s’écoulent en quelques minutes. »
Les liens créent des listes et créent des trajectoires. Pour
Taryn Simon qui, m’a-t-elle assuré, passe l’ « essentiel
de ses journées à faire des recherches sur Internet » :
« Google échoue habituellement à satisfaire mon
intention d’origine, mais me dirige alors vers quelque
chose que je n’aurais jamais imaginé. » Qui aurait pu
imaginer la litanie des objets perdus, l’« excédent de
déchets », dans l’étrange collection de Simon ? »
Hans Ulrich Obrist, « L’aéroport, à jamais », Oeuvres de Taryn
Simon, vues arrière, nébuleuse stellaire, et le bureau de la propagande extérieure, Jeu de Paume, Le Point du Jour, Tate Publishing.
2015, p. 114
- De l’asphalte
- Des arbres (feuilles, souvent jaunissants)
- Un morceau assez grand de ciel (peut-être l/6° de
mon champ visuel) »
DOSSIER ENSEIGNANT / ENTRÉES DISCIPLINAIRES
27
ARTS PLASTIQUES
ART CONCEPTUEL ET PHOTOGRAPHIE
« Infor mation et document(aire) : deux ter mes
incantatoires auxquels ne manqueront pas de se plier
les artistes apparentés de près ou de loin au phénomène
conceptuel. Bernd et Hilla Becher avaient certes tracé
la voie. Tout comme Ed Ruscha et John Baldessari.
Mais les typologies du couple de photographes
allemand parcimonieusement diffusées dans la
première moitié des années 1960 ne seront assimilées
par un contexte international, et plus particulièrement
minimaliste, qu’autour de 1967-1969. Les travaux
à base de photographies des uns comme des autres
témoignent en tous cas d’une approche tributaire
d’une réalité que l’on pourrait qualifier d’exogène,
leurs contenus « préexistants » servant au mieux de
prétextes à des opérations d’ « indexation » qui sont,
comme le précise David Campany, « diamétralement
opposées à l’aspiration moderniste pour l’autonomie
ou la transcendance ». Aussi l’écart présidant à cette
indexation se veut-il nul et proche sur ce point des
arguments – discutables – avancés par Roland
Barthes dans « Le message photographique » (1961) et
« Rhétorique de l’image » (1964), soit deux essais certes
« datés » mais coïncidant avec l’immédiate préhistoire
de l’art conceptuel.
« Quel est le contenu du message photographique ?,
s’interroge Barthes, Qu’est-ce que la photographie
transmet ? Par définition, la scène elle-même, le
réel littéral. De l’objet à son image, il y a certes
une réduction : de proportion, de perspective et de
couleur. Mais cette réduction n’est à aucun moment
une transformation (au sens mathématique du terme) ;
pour passer du réel à sa photographie, il n’est nullement
nécessaire de découper ce réel en unités et de constituer
ces unités en signes différents substantiellement de
l’objet qu’ils donnent à lire ; entre cet objet et son image,
il n’est nullement nécessaire de disposer un relais,
c’est-à-dire un code ; certes l’image n’est pas le réel ;
mais elle en est du moins l’analogon parfait, et c’est
précisément cette perfection analogique qui, devant le
sens commun, définit la photographie. Ainsi apparaît le
statut particulier de l’image photographique : c’est un
message sans code. »
Barthes réitère ce jugement dans « Rhétorique de
l’image » : « Le rapport du signifié et du signifiant
est quasi tautologique [...]. Ce passage n’est pas une
transformation [...] » et poursuit par : « Seule la
photographie possède le pouvoir de transmettre
l’information (littérale) sans la former à l’aide de signes
discontinus et de règles de transformation [...]. Dans la
photographie, en effet – du moins au niveau du message
littéral –, le rapport des signifiés et des signifiants n’est
pas de « transformation » mais d’ « enregistrement » ».
Les artistes conceptuels ne cesseront de faire osciller
leurs travaux entre l’analogique et le tautologique
sans pour autant décrypter les codes dont Barthes
diagnostiqua un peu trop hâtivement l’absence,
définissant le message photographique. Leur foi
aveugle dans les ver t us de l’infor mation et de
l’enregistrement détournera la grande majorité d’entre
eux de toute visée autocritique pourtant enracinée dans
certaines de leurs interrogations, à commencer par
celles de Kosuth. Cette vacuité autocritique s’explique
d’autant moins que toute une génération de cinéastes
expérimentaux s’était engagée, dès la fin des années
1950, dans un projet introspectif visant à déconstruire
le médium cinématographique, et donc par extension
photographique.
Erik Verhagen, La photographie conceptuelle : Paradoxes, contradictions et impossibilités, études photographiques, 22.09.2008.
DOSSIER ENSEIGNANT / ENTRÉES DISCIPLINAIRES
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ARTS VISUELS
LE « PHOTOJOURNALISME ESTHÉTIQUE »
« La situation, dit Brecht, se complique du fait que,
moins que jamais, une simple « reproduction de la
réalité » n’explique quoique ce soit de la réalité. Une
photographie des usines Krupp ou AEG n’apporte à
peu près rien sur ces institutions. La véritable réalité
est revenue à la dimension fonctionnelle. La réification
des rapports humains, c’est-à-dire par exemple l’usine
elle-même, ne les représente plus. Il y a donc bel et
bien « quelque chose à construire », quelque chose
d’ « artificiel », de « fabriqué ». Bertolt Brecht cité par
Walter Benjamin, Petite histoire de la photographie »
Depuis la fin des années 1990, on rencontre une
résurgence des discours, se déclinant sous la forme
d’ouvrages, d’expositions ou de discussions, qui
interrogent « la prise en compte par le champ de
l’art de contenus liés à l’actualité événementielle et à
l’histoire contemporaine ». La Documenta X (1997) et
11 (2002) de Cassel; le 8e Mois de la Photo à Montréal
Maintenant. Images du temps présent (2003) ; Fiction
ou Réalité (Fribourg, 2003) ; Covering the real (Bâle,
2005) ; All That Fits : The Aesthetics Of Journalism
(Derby, 2011) pour ne mentionner que ces quelques
événements, se sont intéressés aux propositions
artistiques qui « procéd[ent] de la fusion, sinon de la
confusion des domaines de l’art et de l’information ».
Les pratiques artistiques réunies lors de ces événements,
si elles traitent de la réalité sociale et politique, se
distinguent du fait qu’elles ne visent pas à remettre
en doute l’existence de la réalité de même qu’elles
ne procèdent pas d’une opposition entre la fiction et
la réalité, mais proposent des vérités à partir d’une
mise en fiction de la réalité. Le tournant documentaire
tend à embrasser un nombre important de pratiques
artistiques. En regard de cela, le tournant annoncé par
Nash recoupe d’autres tournants notamment les « social
turn », « ethnographic turn » et « journalistic turn ». On
s’intéressera plus précisément aux discours portant sur
des propositions artistiques qui empruntent des formes
et des méthodes habituellement associées au domaine
journalistique.
Rédigé par Alfredo Cramerotti, artiste et commissaire,
l’ouvrage « Aesthetic Journalism. How to Inform
without Infor ming » publié en 2009 par ticipe
de ce questionnement en identifiant un tournant
journalistique de l’art qui émerge durant les années
1990. Pour expliquer les modalités relatives à ce
nouveau paradigme qui repose sur le croisement
entre l’esthétique et le journalisme, l’auteur convoque
entre autres les travaux de Walid Raad/The Atlas
Group, d’Alfredo Jaar, de Lukas Einsele et de Bruno
Serralongue, lesquels empruntent, outre les contenus,
une démarche se tenant près de celle prescrite
par le journalisme d’investigation ; « une forme de
reportage aujourd’hui menacée d’obsolescence en
raison d’une économie des médias qui privilégie
l’actualité événementielle au détriment des enquêtes
de terrain ». Or, la mobilisation d’un ensemble de
protocoles d’enquêtes – recherche documentaire, travail
de terrain et de collaboration, collecte de données,
conduite d’entretiens – par ces artistes, qui ici incarnent
une figure de l’artiste en journaliste, vise avant tout à
offrir des savoirs alternatifs à ceux, de moins en moins
diversifiés, promulgués par les médias d’information.
Ces propositions peuvent être envisagées en réaction
face aux conditions récentes de production et de
diffusion de l’information ; aux organes de presse
dominés par des groupes financiers plus soucieux
d’accumuler du capital que de livrer de l’information
de qualité ; à la surabondance des nouvelles qui permet
difficilement de filtrer l’information authentique de celle
qui, revendiquant une neutralité, une « voix » soi-disant
objective, se trouve contrôlée, favorisant par conséquent
une crise de confiance envers les médias. Dans le
sillage des travaux de Martha Rosler, Dan Graham
et Hans Haacke, le journalisme esthétique regroupe
donc des pratiques artistiques contemporaines relevant
d’une forme d’investigation des questions sociales,
culturelles et politiques généralement couvertes par les
médias d’information. Celles-ci opèrent une critique
par la remise en cause des modèles journalistiques en
place. Face à l’emprunt des contenus, des formes et des
méthodes. Dans quelle mesure l’art devient un moyen
d’interroger les régimes de vérité établis par les médias
et en quoi il constitue un lieu d’apparition de nouveaux
régimes de vérité ?
Mirna Boyadjian, université du Québec (voir bibliographie).
DOSSIER ENSEIGNANT / ENTRÉES DISCIPLINAIRES
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7. AUTOUR DE L’EXPOSITION
RENCONTRE
Rencontre avec Taryn Simon
Dimanche 1er mars à 11 heures
LIVRE
Vues arrière, nébuleuse stellaire et le bureau de la propagande extérieure. Œuvres de Taryn Simon
Parallèlement à la présentation de A Living Man
Declared Dead and Other Chapters I – XVIII au Point
du Jour, le Jeu de Paume consacre une exposition à
Taryn Simon du 22 février au 17 mai. À cette occasion,
Le Point du Jour coédite son premier livre rétrospectif.
Le livre présente treize ensembles réalisés entre 2002
et 2015. Il réunit, entre autres, des textes de Brian de
Palma, Salman Rushdie, Simon Baker, conservateur à
la Tate Modern et historien d’art, ou encore de Homi
Bhabha, professeur à Harvard University.
Coédition avec le Jeu de Paume et la Tate
Format : 15 x 27 cm (relié) / 396 pages
209 images en quadrichromie
35 €
DOSSIER ENSEIGNANT / AUTOUR DE L’EXPOSITION
30
8. BIBLIOGRAPHIE
QUELQUES LIVRES DISPONIBLES AU CENTRE D’ART
Livres de Taryn Simon
Vues arrière, nébuleuse
stellaire et le bureau de
la propagande extérieure.
Œuvres de Taryn Simon
Taryn Simon
Éd. Jeu de Paume, Le
Point du Jour, Tate
Publishing, 2015
Contraband
Taryn Simon
Éd. Steidl, 2010
The Innnocents
Taryn Simon
Umbrage Éditions
2003
DOSSIER ENSEIGNANT / BIBLIOGRAPHIE
31
Autres livres en rapport avec l’exposition
Les Hommes du XXe siècle
Performance under
August Sander
working conditions
Texte : Ulrich Keller
Allan Sekula
Éd. Schirmer/Mosel, 1980
Textes de Dietrich Karner/
Sabine Breitwieser
Éd. Hatje Cantz, 2003
Kaddish
Antipersonnel
Christian Boltanski
Raphaël Dallaporta
Éd. Paris/Musées
Textes de Martin Parr
1998
Filigranes, 2004
Livres
Christian Boltanski
Éd. Jennifer Flay
Encounters with the Dani
Susan Meiselas
Éd. Steidl, 2003
Passionate Signals
Smoke
Martha Rosler
Hans-Peter Feldmann
Éd. Hatje Cantz
Éd. Walter König, 2008
2005
DOSSIER ENSEIGNANT / BIBLIOGRAPHIE
32
BIBLIOGRAPHIE ET SITOGRAPHIE SÉLECTIVE AUTOUR DE L’EXPOSITION
Bibliographie Taryn Simon
Monographie
• Vues arrière, nébuleuse stellaire et le bureau de la
propagande extérieure. Œuvres de Taryn Simon, Paris,
Jeu de Paume / Cherbourg, Le Point du Jour Éditeur /
Londres, Tate, 2015.
Livres de l’artiste
• The Picture Collection, Paris, éditions Cahiers d’art,
2015.
• Birds of the West Indies, Ostfildern, Hatje Cantz
Verlag, 2013.
• A Living Man Declared Dead and Other Chapters
I – XVIII, cat. exp., Londres, Tate Modern / Berlin,
Neue Nationalgalerie, Berlin, Nationalgalerie
Staatliche Museen / Londres, Mack, 2011 ; 2e éd.,
Londres, Wilson Center of Photography / New York,
Gagosian Gallery, 2012.
• Contraband, Göttingen, Steidl / New York,
Gagosian Gallery, 2010 ; 2e ed., Ostfildern, Hatje
Cantz Verlag, 2015.
• An American Index of the Hidden and Unfamiliar,
cat. exp., New York, Whitney Museum of American
Art, Göttingen, Steidl, 2007 ; 2e éd., Göttingen,
Steidl, 2008 ; 3e éd., Ostfildern, Hatje Cantz Verlag,
2012.
• The Innocents, New York, Umbrage Editions, 2003 ;
2e éd., New York, Umbrage Editions, 2004.
Essais sur l’œuvre de Taryn Simon
• Berthou Crestey, Muriel, « Taryn Simon : Prix
“Découverte” des Rencontres d’Arles 2010 », Le
Regard à facettes, blog culture visuelle (en ligne :
http://culturevisuelle.org/regard/
archives/252).
• Bon, François, « Convention Steppenwolf : Taryn
Simon. D’un index des choses cachées ou inhabituelles », Le tiers livre, littérature & invention
numérique, 2007 (en ligne :http://www.tierslivre.net/
spip/spip.php?article823).
• Boyadjian, Mirna, Les rapports entre la photographie et le texte chez Taryn Simon : révéler l’invisible,
réimaginer l’invisible, mémoire de master, sous la
direction de Vincent Lavoie, université du Québec,
Montréal, 2014 ; plusieurs articles issus de cette
recherche sont consultables en ligne :
http://independent.academia.edu/MirnaBoyadjian
DOSSIER ENSEIGNANT / BIBLIOGRAPHIE
• Guillot, Claire, « Taryn Simon dissèque en image les
liens du sang », Le Monde, 30 mai 2011.
• Herschdorfer, Nathalie, Jours d’après : quand les
photographes reviennent sur les lieux du drame,
Londres, Thames & Hudson, 2011.
• Salmeron, François, « Taryn Simon, A Living Man
Declared Dead and Other Chapters I – XVIII »,
Paris-art.com (en ligne : http://www.paris-art.com/
galerie-photo/a-livingman- declared-dead-and-otherchapters-i-xviii/simontaryn/ 7749.html).
• Salmeron, François, « Taryn Simon, The Picture
Collection », Paris-art.com (en ligne : http://www.
paris-art.com/graff/thepicture- collection/simon-taryn/7984.html).
• Schuman, Aaro, « Taryn Simon », Aperture, no 205,
2011, p. 10-11.
• « Taryn Simon, méprises », entretien avec Eleanor
Heartney, Art press, no 397, février 2013, p. 40
(en ligne : http://www. alminerech.com/dbfiles/
mfile/80300/80362/20130123_
France_1.pdf).
Ressources en ligne
• Site Internet de l’artiste : tarynsimon.com
• Site de la galerie Almine Rech : http://www.alminerech.com/en/artists/77/Taryn-Simon
• Site du jeu de Paume : http://www.jeudepaume.
org/?page=article&idArt=2206
Le site TED propose des captations de conférence
d’artistes accompagnées de sous-titres dans plusieurs
langues :
• « Taryn Simon: Photographs of secret sites »,
conférence de Taryn Simon, juillet 2009,
17 min 32 s, vostfr : http://www.ted.com/talks/
taryn_simon_photographs_secret_sites
• « Taryn Simon : The stories behind the bloodlines », conférence de Taryn Simon, novembre
2011, 17 min 59 s, vostfr : http:// www.ted.com/talks/
taryn_simon_the_stories_behind_the_bloodlines
Le site de la galerie Gagosian présente plusieurs
vidéos liées au travail de Taryn Simon (http://www.
gagosian.com/ artists/taryn-simon/artist-media) :
• Entretien de Taryn Simon avec Aaron Swartz, 2012.
• Vidéo de Taryn Simon sur A Living Man Declared
Dead and Other Chapters, 2012.
• Vidéo réalisée à l’occasion de son exposition au
MoMA de New York, Behind the Scenes : “Taryn
33
Simon : A Living Man Declared Dead and Other
Chapters I-XVIII”, 2012.
• Vues de A Living Man Declared Dead and Other
Chapters, Neue Nationalgalerie, Berlin, 2011, 8 min
37 s, muet.
• Vidéo réalisée à l’occasion de son exposition à la
Tate, 2011-2012.
Bibliographie autour de l’œuvre de Taryn Simon
• Nassim Daghighian, « Propositions de lecture sur la photographie contemporaine ».
• Paul Ardenne, Régis Durand, « Images-mondes. De l’événement au documentaire », Monografik, 2007.
• Gaëlle Morel « Photojournalisme et Art contemporain.
Les derniers tableaux », éditions des archives contemporaines, 2008.
• F. Guerin, R. Hallas, « The image and the witness.
Trauma, memory and visual culture » , éds., 2007.
• M. Reinhardt, H. Edwards, E. Duganne, « Beautiful
Suffering. Photography and the Traffic in Pain », 2007.
• Umberto Eco, Vertige de la liste, Flammarion, 2009.
Les artistes et les archives source :
Institut national du patrimoine
• Archive Fever – Uses of the Document in Contemporary
Art, New-York, International Center of Photography, 17
janvier 2008 au 4 mai 2008, catalogue sous la dir. de Okwui
Enwezor, New York, International Center of Photography,
2008, 264 p.
• The Archival Impulse : Artist and Archives [en ligne],
journée d’étude, Tate Britain, 16 novembre 2007. http://
www.tate.org.uk/britain/eventseducation/coursesworkshops/11232.htm
• « L’archive, œuvre d’art : dialogue entre Christian
Boltanski et Nathalie Heinich», Sociétés et Représentations,
2005, n° 19, p. 153-168.
• « Art & Archives », Cahiers de Mariemont, 2007, n° 35,
p. 94.
Les artistes contemporains et l’archive : interrogation sur le
sens du temps et de la mémoire à l’ère de la numérisation
• « Contemporary artists and archives : on the meaning of
time and memory in the digital age », actes du colloque,
Saint-Jacques de la Lande, 7-8 décembre 2001, Rennes,
Presses universitaires de Rennes, 2004, 282 p.
• Marie-Pierre Boucher, La mise en scène des archives par
les artistes contemporains [en ligne], Mémoire présenté à
la Faculté des études supérieures en vue de l’obtention du
grade de maître en sciences de l’information, Montréal,
DOSSIER ENSEIGNANT / BIBLIOGRAPHIE
Université de Montréal, Faculté des études supérieures,
2009, 143 p. <https://papyrus.bib.umontreal.ca/jspui/
bitstream/1866/2962/1/Boucher_Marie- Pierre_2009_memoire.pdf > (consulté le 22 décembre 2011).
• Sue Breakwell « Perspectives : Negotiating the
Archives », Tate Papers [en ligne], 2008, n°9 <http://www.
tate.org.uk/research/tateresearch/tatepapers/08spring/breakell.shtm> (consulté le 22 décembre 2011).
• Figures de l’archive : l’imaginaire de Joachim
Bonnemaison, Catalogue d’exposition, Archives communales de Versailles, 5-17 mars 2007, Versailles, Archives
communales de Versailles, s.d. [2007], 82 p.
• Hal Foster, « An Archival Impulse », October, 2004,
n°110, p. 3-22.
• Yvon Lemay, Les archives au service de la pratique
artistique contemporaine : une mise en valeur à découvrir,
37e Congrès de l’Association des archivistes du Québec, 13
mai 2008.
• Yvon Lemay, Les archives et l’art contemporain, 76e
Congrès de l’ACFAS, 5 mai 2008.
• Yvon Lemay, Art et Archive : une perspective archivistique [en ligne], Universidade Federal de Santa Catarina,
Brésil, Encontros Bibli, 2009, p. 64-86. <http://redalyc.
uaemex.mx/src/inicio/ArtPdfRed.jsp?iCve=14712771006 >
(consulté le 22 décembre 2011).
• André Rouillé, La photographie : entre document et art
contemporain, Paris, Gallimard, 2005, (coll. Folio essais).
• Xavier de la Selle, « La plastique des archives : plis et
déplis », in L’action éducative culturelle des archives, Actes
du colloque Quelle politique culturelle pour les services
éducatifs des archives ?, Lyon, 1er au 3 juin 2005, Paris, La
documentation française, 2007, p. 151-153.
• Xavier de la Selle, « Archives et création : Archives et
arts plastiques », in Archives et Transdisciplinarité, quelles
relations au bénéfice de la construction des savoirs ? :
séminaire du PNR Patrimoine-Archives, IUFM de Paris,
2004, p. 18.
• Sven Spieker, The Big Archive : Art from Bureaucracy,
Cambridge, The MIT Press, 2008.
• Jacqueline Ursch, « Les archives à la rencontre des
publics », in L’action éducative et culturelle des archives,
Actes du colloque Quelle politique culturelle pour les
services éducatifs des archives ?, Lyon, 1er au 3 juin 2005,
Paris, La documentation française, 2007, p. 272-276.
• Jacqueline Ursch, « Les archives à voix haute », La gazette
des archives, 2006 - 4, n° 204, p. 277- 283.
• The Visual Archive : History, Evidence and Make Believe
[en ligne], London, Tate Modern Gallery, 2004. http://www.
tate.org.uk/modern/eventseducation/coursesworkshops/photographyandthearchive871.htm
34
Essais sur l’art conceptuel
• Peter Osborne, Art conceptuel, éd. Phaidon, Paris, 2006.
• Benjamin Buchloh, De l’esthétique d’administration à la
critique institutionnelle (aspects de l’Art conceptuel, 19621969), Essais historiques II, Art édition, Lyon, 1992.
• Langage et Modernité, actes du colloque organisé par
le Nouveau Musée de Villeurbanne, sous la direction de
Benjamin Buchloh, 1990.
• Catherine Millet, Textes sur l’Art conceptuel, éd. Daniel
Templon, Paris, 1972.
• Catherine Millet, L’Art conceptuel, Opus International,
décembre 1969.
BIBLIOGRAPHIE GÉNÉRALE
Sur la photographie
• Dominique Baqué, Photographie plasticienne.
L’extrême contemporain, Le Regard, 2004.
• Roland Barthes, La Chambre claire, Cahiers du
Cinéma / Gallimard / Le Seuil, 1980.
• Christian Bouqueret, Histoire de la photographie
en images, Marval, 2001.
• Ferrante Ferranti, Lire la photographie, Bréal, 2003.
• Michel Frizot, Nouvelle histoire de la photographie,
Bordas, 1994.
• Michel Frizot et Cédric de Veigy, Photo trouvée,
Phaïdon, 2006.
• Anne-Marie Garat et Françoise Parfait,
La Petite Fabrique de l’image, Magnard, 2004.
• Christian Gattinoni, La Photographie en France
1970-2005, Culture France / La Documentation
française, 2006.
• Christian Gattinoni et Yannick Vigouroux,
La Photographie contemporaine, Scala, 2004.
• Brigitte Govignon, La Petite Encyclopédie de
la photographie, La Martinière, 2004.
• Thomas Lélu, Manuel de la photo ratée,
Léo Scheer, 2007.
• Louis Mesplé, L’Aventure de la photo contemporaine
de 1945 à nos jours, Le Chêne / Hachette, 2006.
• Michel Poivert, La Photographie contemporaine,
Flammarion, 2002.
• André Rouillé, La Photographie, Gallimard, 2005.
• François Soulages, Esthétique de la photographie.
La perte et le reste, Armand Colin, 2005.
• Les Pratiques pauvres. Du sténopé au téléphone
mobile, Isthme / Crdp Créteil.
• Dictionnaire de la photo, Larousse, 2001.
DOSSIER ENSEIGNANT / BIBLIOGRAPHIE
Sitographie
Sites généralistes
Les Rencontres Photographiques (Arles)
cnap.fr
Mep-fr.org
Jeudepaume.org
Lebleuduciel.net
Centredelimage.com
Lacritique.org
Panoplie.org
Paris-art.com
Photographie.com
Purpose.fr
Visuelimage.com
Afriphoto.com
Sites spécifiques
lemensuel.net
arhv.lhivic.org
lettres.ac-versailles.fr
cnac-gp.fr
des clics & des classes
crdp-limousin.fr
pedagogie.ac-nantes.fr
(espace pédagogique / approches de l’ombre)
Centre Pompidou - Dossiers pédagogiques en ligne
La couleur, 2011
Les nouveaux médias, 2011
Le film, 2010
La subversion des images, 2009
Expérimentations photographiques en Europe.
De 1920 à nos jours, 2008
Tendance de la photographie contemporaine, 2007
Son et lumière - une histoire du son dans l’art
du 20e siècle, 2005
Le mouvement des images, 2006
Jean-Luc Godard, 2006
Luis Buñuel, Un chien andalou, 2005
Sophie Calle, 2004
Statut et pouvoir du narrateur, 2003
Roland Barthes, 2002
35
INFOS PRATIQUES
UN CENTRE D’ART, TOURNÉ
VERS LA PHOTOGRAPHIE
QUI ASSOCIE EXPOSITIONS,
ÉDITION, RÉSIDENCES ET
FORMATION
Le Point du Jour, inauguré en novembre 2008, est
le premier centre d’art / éditeur en France tourné
vers la photographie.
Le bâtiment a été conçu par Éric Lapierre, lauréat
du Prix de la première œuvre en 2003, décerné au
meilleur jeune architecte français.
ADRESSE ET INFORMATIONS
Le Point du Jour
Centre d’art/Éditeur
107, avenue de Paris
50100 Cherbourg-Octeville
Tél. 02 33 22 99 23
www.lepointdujour.eu
Contact : Anne Gilles
[email protected]
SERVICE ÉDUCATIF
Codirigé par Béatrice Didier, David Barriet et
David Benassayag, Le Point du Jour est issu de
l’activité, durant une dizaine d’années, de la maison d’édition du même nom et du Centre régional
de la photographie de Cherbourg-Octeville.
Denis Tessier
t. 02 33 22 99 23
f. 02 33 22 96 66
[email protected]
sur rendez-vous
Quatre expositions sont proposées par an : l’une
concerne la région, deux présentent des artistes
contemporains et la dernière est consacrée à un
photographe du passé.
HORAIRES D’OUVERTURE
Le Point du Jour publie parallèlement trois ouvrages, liés aux expositions ou essais concernant
la photographie.
Régulièrement, des artistes sont invités à réaliser
un travail photographique dans la région, suivi le
plus souvent d’une exposition et d’un livre.
Du mercredi au vendredi de 14h à 18h
Samedi et dimanche de 14h à 19h
et sur rendez-vous
Entrée libre
Réalisation du dossier : David Benassayag,
Anne Gilles, Julie Jourdan et Denis Tessier
Enfin, Le Point du Jour organise, avec le soutien de la Fondation Neuflize Vie, le Prix Roland
Barthes. Ce prix récompense des travaux de jeunes
universitaires sur la photographie.
La bibliothèque réunit près de deux mille ouvrages
concernant la photographie. Elle accueille aussi
régulièrement des conférences et des rencontres.
Des visites et des formations sont organisées, notamment à destination des enseignants, tout au
long de l’année.
DOSSIER ENSEIGNANT / INFOS PRATIQUES
36