Une culture forte peut-elle être trop forte

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Une culture forte peut-elle être trop forte
FÉVRIER-MARS 2015
ÉTUDE DE CAS
Une culture forte
peut-elle être
trop forte ?
Les dirigeants d’une société de services informatiques se
demandent si son atmosphère familiale attire les talents ou
les fait fuir. par David A. Garvin
HBRFRANCE.FR
Etude de cas
David A. Garvin est titulaire
de la chaire C. Roland Christensen
à la Harvard Business School.
Les dirigeants d’une société de services
informatiques se demandent si son atmosphère
familiale attire les talents ou les fait fuir.
par David A. Garvin
Les experts
Ganesh Natarajan,
vice-président et P-DG
de Zensar Technologies
Une culture
forte peutelle être trop
forte ?
L
Daisy Dowling, chargée
du développement des
ressources humaines,
Blackstone Group
Les études de cas HBR sont basées sur
des dilemmes vécus par des dirigeants
d’entreprise et proposent des solutions d’experts.
Celle-ci est tirée de l’étude de cas HBS « Zensar :
The Future of Vision Communities », élaborée
par David A. Garvin et Rachna Tahilyani.
a scène se déroule dans la salle de
conférences de Parivar, une société
de services informatiques de taille
moyenne basée à Chennai, en Inde.
« Elle est encore longue, cette liste
de fuyards ? », demanda Kumar Chandra,
directeur des opérations de Parivar,
en montrant du doigt la diapositive qui
s’affichait sur l’écran.
Tout le monde gloussa, à l’exception
d’Indira Pandit, vice-présidente en charge
des ressources humaines. Près d’une
centaine d’employés avaient quitté
l’entreprise ces dernières semaines.
« Nous les perdons plus vite que tes
équipes ne les embauchent, dit-elle à Vikram
Srinivasan, directeur du recrutement.
Notre turnover a atteint les 35%. »
Vikram secoua la tête.
« Rien à voir avec nous. C’est le marché
du travail indien qui veut ça. Et peut-être
même que c’est une bonne chose. Certaines
études montrent que plus les salariés
sont mobiles au sein d’un secteur, plus
celui-ci est innovant. »
Indira lui lança un regard sceptique.
« Il fallait s’y attendre, Indira, insistat-il, d’autant plus que nous montons
dans la hiérarchie du secteur. »
Cette fois, Kumar fut le seul à rire,
et Indira savait pourquoi. Certes,
Parivar grandissait – en chiffre d’affaires,
en rentabilité et en réputation –, mais
la société était encore bien loin de rivaliser
avec Infosys, HCL et les autres grands
prestataires mondiaux de services
d’externalisation des processus d’affaires.
Au cours des dix dernières années, le
charismatique P-DG de Parivar, Sudhir
Gupta, avait sauvé l’entreprise de la
faillite en réalisant une véritable success
story, mais le chemin était encore long
jusqu’aux premières places du secteur.
« Je présente ces chiffres à
Sudhir à la fin de la semaine, dit Indira.
Il faut absolument que je lui donne
une explication sur ce qui est en train
de se passer et que je lui propose
des pistes. C’est la raison pour laquelle
je vous ai réunis aujourd’hui.
Février-mars 2015 Harvard Business Review 1
EXPÉRIENCE
– Et à propos de cette nouvelle idée
People Support qui a émergé au cours de
l’exercice Future Vision ? », demanda
Vikram. Parivar venait de terminer son
processus annuel d’innovation. Tous
les salariés de l’entreprise, et en particulier
les jeunes et les nouvelles recrues, étaient
encouragés à participer, aux côtés des
managers et des dirigeants expérimentés,
à des séances de brainstorming et de
réflexion au cours desquelles on explorait
les pistes qui s’offraient à l’entreprise
pour atteindre ses objectifs de l’année.
Cet événement, symbole de la culture
participative de Parivar, était destiné à
favoriser la collaboration et l’esprit
d’entreprise. Une des propositions qui
avaient retenu l’attention cette année-là
était la création d’une nouvelle fonction
dont les managers auraient pour unique
mission d’écouter les réclamations
des collaborateurs et de trouver des
solutions à leurs problèmes.
« Moi, en tout cas, cette idée m’emballe,
ajouta Vikram. Elle incarne parfaitement
la philosophie humaniste de Sudhir, la
volonté que l’entreprise soit réellement à
l’écoute des collaborateurs.
– Et moi, elle me semble vraiment
très coûteuse, répondit Kumar. Indira avait
toujours apprécié son pragmatisme.
– Toute question de coûts mise à part,
je ne suis pas certaine que ce soit la voie à
suivre, avança-t-elle. Ce que nous disent ces
personnes, poursuivit-elle en montrant la
diapositive, c’est que la culture humaniste
de Sudhir – l’attention portée par
l’entreprise à la vie professionnelle, mais
aussi personnelle, de ses employés – a perdu
de son attrait. Tout le monde n’a pas envie
de vivre l’entreprise comme une famille.
– Allons, répondit Vikram. C’est notre
meilleur atout. Savoir qu’ils ne seront pas
considérés comme de simples rouages dans
la machine, que Parivar et ses dirigeants
– Sudhir compris – les écouteront, que tout
le monde compte, est extrêmement
important pour ceux que nous recrutons.
– C’est peut-être ce qui les fait venir chez
nous, mais cela ne suffit clairement pas à les
faire rester, surtout lorsque la concurrence
leur propose une augmentation de salaire
2 Harvard Business Review Février-mars 2015
de 30%, répliqua Indira. C’est ce que nous
entendons lors des entretiens de départ. »
Vikram était loin d’être convaincu.
« L’entreprise doit grandir. Nous devons
investir notre argent dans des actions qui
nous correspondent et c’est le cas de People
Support. Montrer que nous mettons tout en
œuvre pour faire vivre notre culture de
l’écoute et de l’attention. C’est la meilleure
manière d’inverser la tendance. »
Un amour façon Big Brother…
Amal, jeune collaborateur d’une vingtaine
d’années, avait de toute évidence préparé
son entretien de départ avec Indira.
Il rayait des points sur une liste manuscrite.
« Tout le monde me dit que je vais
être malheureux chez Wipro, que c’est
trop rigide. Mais c’est Wipro ! Un poste
chez eux, ça ne se refuse pas !
– Oui, j’ai entendu dire qu’ils étaient
aussi exigeants que nous, répondit Indira.
Mais les procédures y ont beaucoup plus
d’importance, c’est plus anonyme qu’ici, où
la direction s’intéresse vraiment aux gens. »
Amal eut un petit sourire narquois.
« Si vous faites partie du clan de Sudhir.
– Que voulez-vous dire ? dit Indira.
– Ne vous méprenez pas. Parivar
promettait que les dirigeants seraient
accessibles, et c’est le cas. Mais Sudhir ne
fait pas irruption dans le bureau de tout
le monde pour papoter, les pieds sur la
table. Il y a ceux qui font partie du cercle et
il y a les autres. Seuls ses préférés ont droit
à cette attention familiale. Difficile de
le lui reprocher, cela dit. Son temps et son
attention ne sont pas extensibles à l’infini.
Seulement voilà, si je n’ai pas accès à Sudhir
ou à d’autres dirigeants, je suis coincé
dans une entreprise qui cherche à se mêler
un peu trop de ma vie. People Support,
par exemple, poursuivit-il, montrant du
doigt le dernier point de sa liste. C’est un
ami qui a participé au groupe Future Vision
qui m’en a parlé. Reconnaissez que Big
Brother n’est pas loin ! Tout un groupe de
managers avec pour seule mission de faire
le tour des bureaux et de nous demander
si on a des problèmes ? Franchement,
ce n’est pas de personnes à qui parler dont
nous avons besoin, mais de meilleurs
salaires. » Il se laissa retomber contre le
dossier de sa chaise, visiblement satisfait.
« Merci pour votre franchise, dit Indira.
Cet entretien a été très instructif et nous
vous souhaitons bonne chance pour la
suite de votre carrière. »
Quelques minutes plus tard, le directeur
d’Amal passa la tête dans le bureau d’Indira.
« Tu en as pris pour ton grade ?,
demanda-t-il.
– Oui, on peut dire ça, répondit Indira
en lui faisant signe d’entrer. Il sera bien chez
Wipro, ça devrait mieux lui correspondre.
– Il faut que tu saches qu’Amal est une
exception. La plupart des membres de
mon équipe adorent la culture de Parivar. »
Songeant à sa longue liste de fuyards,
Indira se demanda si c’était bien vrai.
Vers une meilleure pratique ?
Le bureau de Sudhir, où il organisait souvent
de grandes réunions, était envahi de
canapés. Indira parcourut la pièce du regard
pendant que les participants s’installaient.
La plupart des dirigeants de Parivar, y
compris Vikram et Kumar, et une poignée
de jeunes collaborateurs étaient présents.
« J’ai demandé à Nisha de venir nous
parler de la fonction People Support,
annonça Sudhir. C’est une idée de son
équipe Future Vision. Prête, Nisha ? »
Nisha, de toute évidence fraîchement
émoulue d’une école de commerce,
commença sa présentation. Pour décrire
la nouvelle fonction, son équipe avait
imaginé un petit scénario. Un collaborateur
s’interroge sur son avenir dans l’entreprise
parce qu’on lui a confié un projet qui va
l’obliger à travailler le soir et l’empêcher de
s’occuper de sa mère malade. Connaissant
l’existence de l’équipe People Support,
il va voir un de ses « accompagnateurs »,
comme on les appellera, et lui explique sa
situation. Son correspondant l’aide à
négocier avec son chef un arrangement
qui lui permet de rentrer plus tôt certains
jours. La dernière diapositive de la
présentation montre les visages souriants
de tous les protagonistes – le collaborateur,
le chef, l’accompagnateur et la mère malade.
Tout le monde applaudit et Sudhir
félicita Nisha.
HBRFRANCE.FR
« Voilà pourquoi j’aime venir travailler
tous les matins : les idées innovantes de
jeunes gens intelligents. »
Sans surprise, ce fut Kumar qui ouvrit le
feu. Combien la nouvelle fonction allait-elle
coûter ? Comment serait-elle déployée
à plus grande échelle, au fur et à mesure du
développement de l’entreprise ? Qui en
assurerait la direction ? Nisha commença à
répondre, mais Sudhir l’interrompit sans
lui laisser le temps d’aller plus loin.
« Naturellement, certaines choses
doivent encore être précisées et toutes ces
préoccupations sont légitimes. Mais je
pense que ce sera de l’argent bien dépensé. »
Kumar n’était pas prêt à se satisfaire
de cette réponse.
« D’accord, très bien, nous n’entrerons
pas dans les détails aujourd’hui, mais qu’en
est-il de nos projets de développement
à l’international, si nous nous développons
au Royaume-Uni et aux Etats-Unis par
exemple ?
– C’est également un point important
à prendre en compte, dit Sudhir. Mais entre
nous, vous connaissez beaucoup de salariés
qui n’ont pas envie que leur entreprise
s’intéresse à eux ? »
D’un regard, il fit comprendre à Kumar
de s’en tenir là.
« Indira, tu as des questions ? Ton
département est directement concerné
par le sujet. »
Indira partageait les inquiétudes de
Kumar et en avait bien d’autres. Mais c’est
un autre sujet qu’elle souhaitait aborder.
« Nisha, merci beaucoup pour cette
excellente présentation. Votre équipe
a-t-elle réfléchi à la question de l’évaluation
des membres de l’équipe People Support ?
Comment saurons-nous qu’ils remplissent
correctement leur rôle ?
– La fidélisation des employés, répondit
Nisha. Plus le turnover est bas, mieux
l’équipe fait son travail. »
Indira resta silencieuse, mesurant toute
la complexité de l’exercice dans un contexte
d’extrême volatilité du marché du travail.
Elle appréhendait de communiquer à Sudhir
les derniers chiffres des départs volontaires.
Vikram prit à son tour la parole pour
demander si d’autres sociétés, en Inde ou
ailleurs, avaient déjà expérimenté un
programme de ce type.
« A notre connaissance – et Nisha
a étudié la question –, aucune.
Ce serait une première, répondit Sudhir.
D’accord, il y a HCL et sa culture des
“collaborateurs d’abord”, comme ils
disent, mais nous allons plus loin puisqu’il
s’agit de comprendre et de répondre
réellement aux besoins de nos salariés.
Nisha et moi nous disions justement tout à
l’heure que cela pourrait bien devenir
un jour une méthode efficace pour toute
l’Inde, voire au-delà. »
A la fin de la réunion, alors que tout le
monde quittait la pièce, Sudhir retint Indira.
« Merci de ne pas avoir bousculé Nisha.
Nous voulons encourager les jeunes comme
elle à proposer des idées audacieuses.
On se voit vendredi, n’est-ce pas ? Tu auras
des éléments à me donner ? »
Un honnête scepticisme
Indira prit l’ascenseur jusqu’au troisième
étage. Elle espérait que sa collègue et amie
Amrita (elles s’étaient rencontrées au cours
de leurs études) serait dans son bureau.
« Dieu merci, tu n’as rien à faire ! »,
plaisanta-t-elle en trouvant Amrita plongée
dans des dossiers. Aussi débordées soientelles, les deux amies avaient toujours du
temps l’une pour l’autre.
Indira la mit au courant : la réunion dans
le bureau de Sudhir, le projet de fonction
People Support, l’entretien de départ avec
Amal et les chiffres épouvantables du
turnover.
« Cette idée de fonction People Support
me laisse sceptique parce que je ne suis
pas certaine que nous puissions réellement
faire vivre la culture humaniste de Sudhir
dans une organisation qui grandit aussi
vite. Qu’elle le guide dans ses interactions
avec les collaborateurs, c’est une chose. C’en
est une autre de la décliner en processus
et en structures de management.
– C’est un message difficile à faire passer
à quelqu’un qui a triplé le chiffre d’affaires
de l’entreprise et multiplié ses bénéfices
par cinq en s’appuyant sur cette culture, dit
Amrita. Je suis certaine qu’il y voit une
solution à son problème de capacité limitée.
– Mais peut-on traduire une culture aussi
particulière que la nôtre en processus et en
définitions de postes ? », demanda Indira,
laissant libre cours à ses doutes. « Est-ce que
People Support va même fonctionner ?
Si oui, le dispositif ne rebutera-t-il pas
davantage d’employés comme Amal ? Et s’il
aggravait notre problème de turnover au
lieu de le résoudre ? Sans compter que si
nous voulons nous développer en Europe et
aux Etats-Unis, le côté gourou n’est sans
doute pas notre meilleure carte à jouer ! »
Amrita éclata de rire.
« Tu sais ce que Sudhir se plaît à répéter :
dans culture, il y a culte. » Elle s’interrompit.
« Ecoute Indira, tu n’es pas du genre à lui
dire ce qu’il a envie d’entendre. Si tu penses
que People Support n’est pas une bonne
idée, dis-le-lui, explique-lui pourquoi. Il
prendra ton point de vue au sérieux. »
Indira savait qu’elle avait plus de
pouvoir que la plupart des directeurs des
ressources humaines. Sudhir voulait
être à la tête d’une entreprise humaniste
et cela impliquait de laisser Indira
s’exprimer sur les grands enjeux.
« J’ai l’intention d’être franche avec
lui, répondit Indira. Mais il dit aussi que
les problèmes ne l’intéressent pas, qu’il
veut des solutions. Si Vikram et Nisha
ont raison, People Support pourrait bien
être l’arme qu’il nous faut face aux grands
opérateurs comme Wipro et Infosys,
un moyen de fidéliser nos collaborateurs
et de conquérir de nouvelles recrues.
Et peut-être un bon tremplin pour entrer
dans la cour des grands…
– Tu le penses vraiment, Indira ?
– Je n’en suis pas certaine, mais pour
l’instant je n’ai rien de mieux à proposer. »
Q
Indira doit-elle se
prononcer en faveur
de People Support ?
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Février-mars 2015 Harvard Business Review 3
EXPÉRIENCE
La réponse des experts
Ganesh Natarajan est vice-président
et P-DG de Zensar Technologies.
LES TRÈS MAUVAIS CHIFFRES de rétention
de Parivar montrent que l’entreprise ne
répond pas bien aux besoins de ses salariés.
Indira doit donc absolument se prononcer
en faveur de People Support. Grâce à
la création de cette fonction, Indira et son
équipe pourraient même être en mesure
d’identifier les problèmes qui gênent
les employés et de les résoudre avant que
ceux-ci ne quittent l’entreprise.
Ce cas s’inspire librement de notre
expérience à Zensar. Nous avons observé
qu’un lieu de travail gai et amical
nous confère un avantage concurrentiel
considérable pour le recrutement
et la fidélisation des employés. Lors des
entretiens d’embauche, les candidats
nous demandent si ce qu’ils ont entendu
sur nous, sur notre manière de travailler,
est vrai. Et une fois qu’ils ont rejoint
l’entreprise, c’est la culture qui les fait rester
chez nous, alors même que beaucoup
d’entre eux pourraient trouver des emplois
mieux rémunérés ailleurs. Notre turnover
annuel est de 11% à 12%, soit environ
5 points de moins que la moyenne du
secteur, et notre taux de rétention pour les
employés clés est de 98%. Nos salariés
aiment travailler chez nous grâce à la
culture que nous avons bâtie ensemble.
Avant de mettre en place People Support,
Indira doit savoir comment déployer cette
idée correctement. Si les salariés perçoivent
People Support comme une infantilisation
ou une intrusion dans leur vie, ainsi que
le suggérait l’employé démissionnaire Amal,
cela ne fonctionnera pas.
Chez Zensar, nous disposons d’un
programme similaire, l’Associate Relations
(AR). Il compte 27 collaborateurs, qu’on
appelle les « cadres AR ». Ces managers
suivent une formation interne de six mois au
cours de laquelle ils apprennent à travailler
directement avec des employés et leurs
patrons sur des sujets sensibles que le
subordonné pourrait autrement hésiter à
aborder avec un supérieur. Préparer un
congé maternité, négocier une charge de
travail ou aborder un changement de poste,
par exemple. Les jeunes salariés font
confiance aux « cadres AR » parce qu’ils sont
souvent jeunes, eux aussi, et qu’ils sont
écoutés par les dirigeants, à commencer par
notre responsable RH et moi-même.
On adhère à une culture, on ne peut
l’imposer de force à des salariés. Un
programme comme notre fonction AR ou
People Support de Parivar doit être dépourvu
de tout embrigadement ou sectarisme. Il
doit être mis en œuvre d’une manière perçue
comme juste et équitable. La nouvelle
initiative serait l’occasion pour les dirigeants
de Parivar de montrer que le favoritisme n’a
pas cours dans l’entreprise et que tous les
salariés sont traités sur un pied d’égalité.
Cela étant, Kumar a raison de s’interroger
sur l’adaptabilité de la culture de l’entreprise
dans d’autres pays. C’est une question
que nous nous sommes également posée ici,
chez Zensar, au début. A travers notre
développement international, nous avons pu
observer que, avec de légères modifications,
le programme AR fonctionne au Japon,
en Chine, en Europe et même aux Etats-Unis.
Tout le monde aspire à un environnement
de travail agréable et amical. Oui, former
et rémunérer les membres de l’équipe
People Support aura un coût. Mais il faut
l’envisager comme un investissement
qui sera rentabilisé par une réduction du
turnover et des dépenses de recrutement.
Si Indira pilote le projet et ne se contente
pas de l’approuver, elle démontrera qu’il
ne s’agit pas seulement d’un projet voulu par
Sudhir ou d’un prolongement excessif de sa
« culture de l’amour ». Ainsi, People Support
pourra remplir la fonction à laquelle Nisha
le destine : répondre aux besoins des colla­borateurs, les fidéliser et, plus largement,
favoriser un climat d’écoute et de respect.
ET VOUS, QUE FERIEZ-VOUS ?
AVIS DE LA COMMUNAUTÉ HBR.ORG
ON PARLE travail, ici, pas
famille. C’est une relation
marchande, non fondée
sur des liens affectifs.
Sudhir doit prendre
conscience que le marché
du travail est dynamique et
que les gens bougeront.
Pour aider Parivar à se
développer, il doit constituer un réseau d’anciens
qui travaillent pour des
clients ou des concurrents.
JORGE LOPEZ, consultant
indépendant
LA VISION de Sudhir est
d’offrir un exceptionnel
environnement humain.
People Support va dans ce
sens. Au fil du développement, des aménagements
devront prendre en compte
les caractéristiques des
marchés locaux. People
Support pourrait s’imposer
comme un facteur de
différenciation majeur de
l’entreprise.
DAVID AARON STEVENS,
Stevens Consulting
4 Harvard Business Review Février-mars 2015
AVANT DE mettre en place
People Support, Parivar
doit mieux comprendre ce
qui rend ses collaborateurs
heureux. Qu’est-ce qu’ils
considèrent comme
important dans la vie, et
comment l’entreprise
peut créer un lien riche de
sens entre la nouvelle
fonction et les valeurs clés
des collaborateurs ?
RUBEN COLLIN,
propriétaire et cofondateur, The Brand Station
L’INITIATIVE ENVISAGÉE
semble formidable, mais
le risque est grand de
susciter des attentes qui
ne pourront être satisfaites. Elle semble difficile
à déployer à grande
échelle ou à adapter à une
main-d’œuvre mondiale.
En cas d’espoirs déçus,
le remède risque d’être
pire que le mal et
d’aggraver le turnover.
MORAG BARRETT,
P-DG, Skye Team
Daisy Dowling est directrice du développement
des ressources humaines de la banque
d’investissement américaine Blackstone Group.
PARIVAR DOIT RENONCER au projet
People Support, pour l’instant du moins. Le
projet a beau s’inscrire dans la philosophie
d’entreprise humaniste portée par Sudhir,
il n’est assorti d’aucun bénéfice commercial
précis et il est peu probable que des
solutions individuelles enrayent la récente
avalanche de départs. En suscitant des
attentes irréalistes quant à l’implication du
management dans la vie personnelle des
collaborateurs, la fonction People Support
risque de faire plus de mal que de bien
à la culture de l’entreprise.
Plus largement, c’est bien d’absence de
réflexion stratégique qu’il faut parler. Indira
et ses collègues avancent au petit bonheur
la chance parce qu’ils n’ont pas rassemblé
les données qui expliqueraient le niveau
alarmant du turnover. Sudhir et Vikram,
parmi d’autres, donnent l’impression de s’en
remettre à leur seule intuition pour prendre
des décisions concernant les ressources
humaines. En tant que directrice des
ressources humaines, Indira doit comprendre les motifs de départ des salariés et
porter ces informations (et des solutions
concrètes) à l’attention de l’équipe, même si
cela implique de froisser quelques ego.
Quatre questions doivent être posées :
1. D
ans quelle mesure la culture de
Parivar contribue-t-elle aux résultats
commerciaux de l’entreprise ?
2. Comment l’entreprise est-elle perçue
en tant qu’employeur sur le marché du
travail ?
3. Comment l’entreprise évalue-t-elle les
talents futurs ?
4. Q
uelles sont les raisons pour lesquelles
les collaborateurs quittent l’entreprise ?
Indira doit aller au-delà des entretiens
de départ qu’elle a conduits jusqu’à présent.
Elle doit engager une démarche active
de consultation, tant auprès des salariés
que de sources d’informations extérieures,
comme les cabinets de recrutement par
exemple, et analyser toutes les données
dont disposent les RH : enquêtes culturelles,
statistiques d’embauche, résultats des
entretiens d’évaluation… Ces données
permettront de déterminer quels sont les
éléments de la culture de l’entreprise les
plus attractifs pour les nouvelles recrues,
s’ils sont bien mis en avant, la qualité
de l’évaluation de ces nouvelles recrues et
si l’entreprise tient ses promesses. Si Indira
met au jour un manque de cohérence
entre les quatre piliers de la stratégie de
ressources humaines de Parivar – culture,
marque, évaluation et ressenti des
collaborateurs –, alors oui, elle devra initier
un programme de revalorisation exigeant,
tant en termes de travail que de coûts,
du type People Support.
Chez Blackstone, nous sommes confrontés
à un défi de même nature. Parce que nous
sommes une petite entreprise et que le
marché des talents est très concurrentiel
dans notre secteur, nous devons constam­
ment veiller à aligner notre culture – qui met
l’accent sur l’attention aux collaborateurs –
et notre stratégie RH.
Nous avons, par exemple, récemment
remanié notre stratégie de recrutement sur
les campus et la communication correspondante pour mieux expliquer les perspectives
de carrière à long terme qu’offre Blackstone.
Nous conduisons également des enquêtes
annuelles confidentielles auprès des
collaborateurs junior afin d’évaluer si leur
expérience au quotidien reflète notre
culture et nos valeurs. Cette démarche
porte ses fruits : même sur des marchés du
travail très actifs, notre turnover est
inférieur aux moyennes du secteur, et 30%
de nos collaborateurs ont fait toute leur
carrière avec nous. Blackstone ne convient
pas à tout le monde, nous veillons donc
à choisir des salariés en phase avec notre
culture – et à être ensuite à la hauteur
de leurs attentes. Pour endiguer les départs,
Parivar doit faire la même chose.
Indira est paralysée par le niveau
catastrophique du turnover et peut-être
craint-elle aussi un peu Sudhir. Elle ne
devrait pas. Les grands professionnels des
ressources humaines sont capables
d’appliquer une analyse rationnelle à un
problème, de concevoir des solutions
adaptées et commercialement viables, et
de les défendre. Le problème du turnover
offre à Indira l’occasion rêvée de dynamiser
l’activité de Parivar et sa propre carrière. HBR est aussi
disponible sur
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Avril-mai 2014 Harvard Business Review 5

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