Doc1

Transcription

Doc1
LA REVUE DU
10
PRATICIEN
ÉDITOR IAL
N°
31 MAI 2006
« ET L’ALCOOL? », LA QUESTION QU’IL FAUT POSER…
Un patient sur 5 en médecine générale a un usage nocif ou à risque de l’alcool, mais seulement 1 % consultent pour ce motif.
C’est dire l’importance d’un interrogatoire empathique des patients sur leur consommation, avec l’aide éventuelle d’un
questionnaire, suivi, lorsqu’un mésusage a été repéré, d’une intervention personnalisée de 5 à 10 minutes, voire d’un simple
conseil de moins boire. Repérage précoce et intervention brève (RPIB) permettent de repérer près de 1 malade de l’alcool
sur 5 et d’obtenir, dans ce groupe, des résultats encourageants, puisque dans une étude publiée dans La Revue du PraticienMédecine Générale, la moitié de ces patients avaient, avec ou sans conseil, diminué leur consommation à un an.1 Un second
travail, publié récemment dans la même revue, sur l’acceptabilité en médecine générale des différents questionnaires évaluant
le risque alcool, montrait deux autres résultats: 2 d’une part, l’intérêt des médecins pour cette démarche qui leur avait permis
de découvrir des usages à risque ou nocifs méconnus, d’autre part, l’accueil très favorable des patients dont seule une minorité
avait été gênée par le questionnement tandis que 78 à 98 % étaient prêts à s’y soumettre chaque année. La lutte contre
l’alcoolisme, maladie quasi orpheline lorsqu’on songe au désintérêt de la recherche fondamentale et thérapeutique qu’elle
suscite, doit mobiliser les médecins, ne serait-ce que pour contrer l’intense lobbying, relayé par certains élus de la nation,
en faveur d’une prétendue exception française, source d’une véritable catastrophe sanitaire.
1. Huas D, Pessione F, Bouix JC, Demeaux JL, Allemand H, Rueff B. Efficacité à un an d’une intervention brève auprès des consommateurs
d’alcool à problèmes. Rev Prat Med Gen 2002;16:1343-8.
2. Dewost V, Dor B, Orban T, Rieder A, Gache P, Michaud P. Choisir un questionnaire pour évaluer le risque alcool de ses patients. Rev Prat Med
Gen 2006;20:321-6.
Jean Deleuze
OUVERTURES
1049 SANTÉ PUBLIQUE
Alcoolisme : le médecin généraliste au cœur
d’une prévention efficace
D. Martin, B. Basset, Y. Coquin, D. Houssin
1057 REVUE
DE PRESSE
Sexe et aspirine : une différence mal expliquée.
Gammapathies monoclonales : une prévalence plus élevée
avec l’âge et chez les hommes
P. Cohen
1051 MISE AU POINT
L’hydrocéphalie à pression normale
C. Thomas-Antérion, O. Moreaud
Malades de l’alcool
MONOGRAPHIE
Conseiller scientifique : D P. Batel, Traitement ambulatoire des maladies de l’alcool, hôpital Beaujon, 92110 Clichy.
r
Malades de l’alcool : de la préparation
au changement, au maintien de l’abstinence
P. Batel
1061
Nosographie, repérage et diagnostic
des troubles de l’alcoolisation
F. Paille
Validité et utilisation des tests biologiques
marqueurs de l'alcoolisation
H.-J. Aubin
1069 Répertoire
1072 Les buveurs excessifs : repérage
et intervention brève
P. Michaud
1081
Alcool et comorbidité psychiatrique
M. Lejoyeux, M. Marinescu
1088 Comment motiver un patient
pour qu’il arrête de boire ?
J.-B. Daeppen, D. Berdoz
1093 Modalités du sevrage alcoolique
F. Vabret
1100 Maintien de l’abstinence après le sevrage
P. Batel, S. Balester-Mouret
1107
Le patient alcoolique : quelle est
la responsabilité juridique du médecin ?
J. Franck
…
En couverture : Le Buveur. Adrien Van Ostade (1610-1685). Paris, musée du Louvre. Dans la Hollande du siècle d’or, les banquets étaient
le prétexte à d’innombrables toasts. La tradition en dictait l’ordre de succession, ainsi que la taille des verres souvent énormes. Au point que
le poète français Théophile de Viau (1590-1626), pourtant fort amateur de vin, ne pût s’empêcher de s’exclamer : « Tous ces messieurs les Hollandais
ont tant de règles et de cérémonies à s’enivrer que la discipline m’en rebute autant que l’excès ! ». 1
1. Moulin L. « Les liturgies de la table », Paris, Albin Michel, 1989.
L A R E V U E D U P R AT I C I E N / 2 0 0 6 : 5 6
© RMN - Daniel Aranudet
1059
1047
LA REVUE DU
N°
10
PRATICIEN
114, avenue Charles-de-Gaulle,
92522 Neuilly-sur-Seine Cedex
31 MAI 2006
Tél. : 01 55 62 68 00
Télécopie : 01 55 62 68 16
[email protected]
1115
L’alcool dans MEDLINE
RÉFÉRENCES UNIVERSITAIRES
Directeur général-Directeur des publications :
Dr Alain Trébucq (6903)
[email protected]
Directeur administratif et financier :
Nicolas BOUVET (6861)
[email protected]
Directeur du marketing :
Alain Provenchère (6905)
[email protected]
1117
RÉDACTEUR EN CHEF
Jean Deleuze
P. Eveillard
1116
Fiche patient : Les jeunes et l’alcool
1119
Des guidelines aux mindlines
J.-M. Chabot
COMITÉ DE RÉDACTION SCIENTIFIQUE
Jean-Noël Fiessinger, Jean-Michel Chabot,
Jean-François Cordier,
Claude-François Degos, Jean Deleuze,
Olivier Fain, Alexandre Pariente,
Alain Tenaillon
Prescription et surveillance des antibiotiques
M. Grappin, H. Portier
1128
Épreuves classantes nationales.
NO 26. Qu’est-ce qui peut tomber
à l’examen ?
1129
Adénopathie superficielle. Orientation diagnostique
1135
Neuropathie périphérique
DÉVELOPPEMENT
Rédacteur en chef : Marie-Pierre Deleuze
Rédacteur en chef adjoint : Perle Bodossian
S. de Guibert, M. Bernard
CONSEIL SCIENTIFIQUE
A. Basdevant, J.-P. Boissel, P. Bougnoux,
M.L. Bourgeois, M. Brodin, A. Castaigne,
I. Cochereau, M. Cucherat, L. Dubertret,
J.-F. Duhamel, R. Fourcade, É.N. Garabédian,
J.-J. Hauw, D. Malicier, A. Meyrier, L.
Monnier, P. Narcy, A.L. Parodi, G.-A. Princ,
P. Reinert, J. Sahel, M. Schlumberger,
L. Sedel, G. Slama, B. Varet, J.-L. Wautier
A participé à ce numéro :
Philippe Eveillard
L. Magy, J.-M. Vallat
1143
Sarcoïdose
C. Picard, A. Tazi
DE MÉMOIRE DE MÉDECIN
1154
1158
COMITÉ D’HONNEUR
Philippe Auzépy, Jean-Paul Binet,
Charles Fiessinger†, Dominique Laplane
Avant Avicenne, l’hôpital franco-musulman de Bobigny
K. Kukawka
Sommaire du prochain numéro
La Revue du Praticien est indexée dans Medline
CONTE NTS
VOLUME 56, N O 10, MAY 31 ST 2006
OPENERS
1049 PUBLIC HEALTH
Alcoholism: general
practitioners at the heart
of an effective prevention
D. MARTIN, B. BASSET,
Y. COQUIN, D. HOUSSIN
1051 RESTATEMENT
Idiopathic normal pressure
hydrocephalus
C. THOMAS-ANTÉRION,
O. MOREAUD
1057 PRESS REVIEW
P. COHEN
ALCOHOL-DEPENDENT PATIENTS
1059 Alcohol-dependent patients.
From readiness to change
to continuous abstinence
P. BATEL
1061 Classification, detection
and diagnosis of chronic
alcohol disorders
F. PAILLE
1072 Early detection and brief
intervention to reduce
excessive drinking
P. MICHAUD
1081 Alcohol dependence
and abuse and psychiatric
disorders
M. LEJOYEUX, M. MARINESCU
1088 Motivational interviewing
to help patients stop drinking
J.-B. DAEPPEN, D. BERDOZ
1093 Alcohol withdrawal syndrome:
managing and treatment
protocol
F. VABRET
1100 Maintaining abstinence
after alcohol detoxification
P. BATEL, S. BALESTER-MOURET
1107 Alcoholic patients: legal
responsibility of physicians
1119 Antibiotic prescription
and surveillance
M. GRAPPIN, H. PORTIER
1128 National ranking exam.
N26. What could fall
at the exam?
1129 Superficial adenopathy
S. DE GUIBERT, M. BERNARD
1135 Parapherical
polyneuropathies
L. MAGY, J.-M. VALLAT
1143 Sarcoidosis
C. PICARD, A. TAZI
MEDICAL RECOLLECTIONS
1154 Before Avicenne,
Franco-Muslim hospital
in Bobigny
K. KUKAWKA
SECRÉTARIAT DE LA RÉDACTION
Martine Chappon, Hélène Lockwood
PUBLICITÉ
Directeur commercial groupe :
Catherine Le Ménahèze (6915)
[email protected]
Valérie Ackaouy (6828)
[email protected]
Antonin Artaud (6992)
[email protected]
Florence Ginestet (6855)
[email protected]
Emmanuelle Guiard-Schmid (6913)
[email protected]
Charlotte Moyroud-Brunissen (6848)
[email protected]
Frédérique Ronteix (6945)
[email protected]
Assistante :
Agnès Chaminand (6962)
[email protected]
CONGRÈS
Lily-Claude Levasseur (6897)
[email protected]
RÉDACTION EN CHEF TECHNIQUE
Chantal Trévoux (6806)
[email protected]
RÉALISATION
Secrétaire général de la rédaction
Marc Trenson (6928)
[email protected]
Premier rédacteur-graphiste
Sabine Meynard-Gueye
[email protected]
Rédacteurs-graphistes
Cristina Campos, Régine Michel,
Dominique Pasquet
Rédacteurs-réviseurs
Annie Rainelli, Jean-Éric Desalme,
Monique Feldstein, Élisabeth Scemama
La revue adhère à la charte de formation médicale continue par l’écrit
du Syndicat national de la presse médicale et des professions de santé
(SNPM) et en respecte les règles. (Charte disponible sur demande).
Reproduction interdite de tous les articles sauf accord avec la direction.
ABONNEMENTS
Abonnement France 1 an : 119 e
CCP Paris 202 A (Éditions J.-B. Baillière)
Pour tout renseignement concernant un abonnement en cours
ou un nouvel abonnement, tél.: 01 49 60 06 61 - fax: 01 49 60 10 55
J. FRANCK
COPEF
MEDICAL TEACHING
1117 From guidelines
to mindlines
J.-M. CHABOT
1048
SECRÉTAIRES DE RÉDACTION
Marie-Aude Dupuy, Richard Delarue
Principal actionnaire: Huveaux PLC
Executive chairman: John van Kuffeler
Group chief executive officer: Gerry Murray
Group finance director: Dan O’Brien
COPEF : S.A. au capital de 32 163 104 €, 16e année
Durée 99 ans à compter du 19/12/90
ISSN : 0035-2640
Numéro de commission paritaire: 0207T81658
Dépôt légal à parution
Impression : Dulac (27120 Pacy-sur-Eure)
SANTÉ PUBLIQUE
D I R E C T I O N G É N É R A L E D E L A SA N T É
ALCOOLISME : LE MÉDECIN GÉNÉRALISTE
AU CŒUR D’UNE PRÉVENTION EFFICACE
D. Martin, B. Basset, Y. Coquin, D. Houssin*
Les buveurs excessifs représentent,
en France, plus d’un patient sur cinq
en médecine de ville si on se réfère
aux seuils de consommation à risque
retenus par l’Organisation mondiale de
la santé (OMS).1, 2 Pour l’ensemble de la
population française, on dénombre près
de quatre millions de buveurs à risque.3
Le médecin généraliste reste le premier
relais qui peut repérer ces personnes et
intervenir de façon précoce et efficace,
avant que leur situation ne s’aggrave.
Cependant, encore aujourd’hui,
les médecins français se reconnaissent
spontanément, en priorité, comme
des soignants plutôt que comme acteurs
de prévention. L’alcool ne devient
généralement pour eux une préoccupation
qu’à un stade tardif lorsque le mésusage
de leur patient a des conséquences sur
sa santé. Afin d’améliorer le dépistage
précoce de ces buveurs excessifs et de
prévenir l’aggravation de leur situation,
les médecins peuvent maintenant s’appuyer
sur des outils d’intervention validés.
Le repérage précoce et l’intervention
brève (RPIB) ont été promus par l’OMS dans
le cadre du programme Less is better, qui
a débuté en 1980.4 En effet, il a été démontré qu’un simple conseil de quelques minutes peut réduire d’un tiers le nombre de
buveurs excessifs 5 et que cette intervention
a le meilleur rapport coût-efficacité 6 en termes de réduction des dommages.
Sur ces arguments, la Direction générale
de la santé (DGS) a décidé de mettre en
place, dès 2005, un plan national de diffusion du repérage précoce et de l’intervention brève sur 5 ans, objectif déjà inscrit
comme un des axes forts de la Stratégie
d’action Alcool du ministère de la Santé
2002-2004. Son ambition est d’obtenir, à
terme, une mobilisation de l’ensemble des
soignants, et particulièrement des médecins
généralistes, dans l’utilisation en routine
du repérage précoce et de l’intervention
brève auprès de leurs patients.
LES DONNÉES D’OBSERVATION
NATIONALES
L’Observatoire français des drogues et des
toxicomanies (OFDT) a réalisé une analyse
des premières expériences régionales
actuellement en cours (Aquitaine, Bourgogne, Bretagne, Champagne-Ardenne et Îlede-France). Le rapport final, disponible sur
le site de l’OFDT* présente un état des lieux
et une analyse approfondie des stratégies
et des facteurs de réussite d’un tel programme, et permet de définir les étapes
de sa mise en œuvre et de décrire l’impact
de la formation sur les pratiques des professionnels.
* Accessible à l’adresse suivante : http://www.ofdt.fr/
ofdtdev/live/ofdt/publi/rapports/rap05/epfxcdk4.html
ALCOOL: MOBILISER LES GÉNÉRALISTES
La mobilisation des médecins généralistes
sur le dépistage est souvent considérée
comme le « maillon faible » de la politique
sanitaire sur l’alcool7 et reste encore au stade
expérimental dans la majorité des régions,
sauf en Aquitaine où elle a pris une certaine ampleur.
Bien qu’ils se sentent compétents pour
intervenir dans le domaine de l’alcool, les
médecins généralistes se considèrent néanmoins comme peu (ou pas) efficaces et non
légitimes pour s’immiscer dans un domaine
considéré comme privé. Ils se disent faiblement mobilisés sur le dépistage des buveurs
excessifs, principalement par manque de
temps, de formation et de valorisation des
actes de prévention. Cependant, le dernier
« Baromètre santé médecins pharmaciens
2003 » montre une amélioration, avec un
pourcentage de médecins déclarant être efficaces sur l’alcoolisme qui progresse, par rapport à 1998, de 30,1 % à 37,5 %. Quant aux
patients, ils accordent généralement une
grande confiance à leur médecin sur ce thème.
LES STRATÉGIES DE DIFFUSION DU RPIB
ET LEURS RÉSULTATS
La revue des publications et l’étude des expériences régionales montrent que les meilleures stratégies de diffusion du repérage précoce et de l’intervention brève sont le
marketing téléphonique amenant à la for-
* Direction générale de la Santé, 14, avenue Duquesne, 75007 Paris.
L A R E V U E D U P R AT I C I E N / 2 0 0 6 : 5 6
1049
SANTÉ PUBLIQUE
Alcoolisme : le médecin généraliste au cœur d’une prévention efficace
mation qui, elle-même, est relayée par l’aide
téléphonique ou les entretiens confraternels. Les résultats varient suivant le niveau
d’avancement des programmes : en général
les praticiens, souvent incrédules au début,
sont très satisfaits des formations, adhèrent
au programme malgré leur manque de
temps, souvent évoqué, les résistances et
des difficultés à effectuer le repérage en routine de manière systématique, ce qui suppose une modification en profondeur de leur
attitude vis-à-vis de la problématique alcool.
En ce qui concerne les patients, seule la
région Aquitaine a mis en place une évaluation donnant des résultats fiables : 22 %
des personnes diagnostiquées « usagers à
risque » et 23 % de celles considérées « à
usage nocif » lors du premier repérage, sont
passées à une consommation « normale »
(usage à moindre risque ou non-usage) après
l’intervention brève. Il est intéressant de
noter que la majorité des patients diagnostiqués et des médecins n’avaient pas,
auparavant, une notion claire de l’existence
d’une situation à risque chez les premiers.
LA SYNERGIE
PROFESSIONNELS-INSTITUTIONS:
UN FACTEUR DE RÉUSSITE
L’analyse de l’OFDT sur les cinq régions montre que ces stratégies ont été souvent impulsées par les Drass (directions régionales des
affaires sanitaires et sociales) [parfois dans
le cadre d’un programme régional de santé]
et portées par des partenaires locaux
comme les unions régionales des caisses
d’assurance maladie (Urcam), les réseaux,
les unions régionales des médecins libéraux
(URML), l’Association nationale de prévention en alcoologie et addictologie (Anpaa),
l’Union nationale des associations de
formation médicale continue (Unaformec)
et La formation du médecin généraliste
(MGForm). La réalisation d’une véritable
synergie entre les priorités institutionnelles
et les visées des professionnels porteurs
1050
du projet est un des facteurs de réussite
du programme par la mutualisation des
énergies et des compétences selon les étapes suivantes :
— sur un socle commun de connaissances et
d’outils, les porteurs de projets ont façonné
des stratégies personnalisées en fonction
de leurs opportunités, de leurs contraintes
respectives et des déterminants locaux ;
— une fois établi le tissu partenarial local et
la mobilisation (recrutement) des médecins,
les programmes de formation se sont en
général déroulés en deux phases avec,
d’abord la formation des formateurs, puis
l’extension progressive aux praticiens (dans
le cadre ou non de la formation médicale
continue [FMC]) ;
— les budgets alloués dans le cadre des programmes régionaux de santé (PRS) et par
l’Urcam (dans le cadre du Fonds d’aide à
la qualité des soins de ville [FAQSV]) ont été
les plus utilisés. Certains programmes sont
déjà repris dans le Programme régional
de santé publique (PRSP) en cours d’élaboration ;
— le maintien de la mobilisation des médecins passe souvent par une rémunération
(multiplication par 5 de la pratique de repérage), par le renouvellement des échanges
entre médecins formés, les relances écrites et téléphoniques et la mise en place d’annuaires des structures et services disponibles et/ou un site Internet.
Il ressort de ces expériences que la formation seule ne suffit pas à l’adoption du
repérage précoce et de l’intervention brève,
d’autant plus que l’alcool est un thème globalement peu mobilisateur pour les médecins qui ne reçoivent pas de formation initiale
approfondie en alcoologie ni celle des techniques d’entretien. Le choix d’un questionnaire de dépistage adapté à la pratique médicale française (FACE) rend cette adoption
plus facile. Mais au-delà de la décision politique de diffusion du repérage précoce et
l’intervention brève, une médiatisation de
cette stratégie auprès du grand public est
incontournable pour légitimer l’action des
praticiens et les accompagner dans leur
démarche.
INTÉGRER LE REPÉRAGE PRÉCOCE
DANS LA FORMATION DES MÉDECINS
Ainsi, il existe à ce jour des bases solides
sur la pertinence d’une stratégie d’accompagnement et de promotion du RPIB :
— une reconnaissance de l’importance de
la démarche sur le plan international ;
— la mise en évidence des résultats sur le
plan national avec, déjà, la mobilisation d’un
grand nombre de partenaires (la Mission
interministérielle de lutte contre la drogue
et la toxicomanie [MILDT], l’Institut national
de prévention et d’éducation pour la santé
[Inpes], Anpaa, Urcam, URML, services
déconcentrés, FMC…). Ces premiers résultats montrent que plus de 20 % des patients
à risque modifient leurs habitudes de
consommation. C’est pourquoi l’initiation au
repérage précoce et à l’intervention brève
et aux approches motivationnelles et comportementales, dans la formation initiale des
médecins généralistes, doit être sérieuseB
ment envisagée.
1. Les risques d’alcoolisation excessive chez les
patients ayant recours aux soins un jour donné –
DREES Études et résultats 2002;192.
2. Le risque d’alcoolisation excessive: les écarts
entre les déclarations des patients et l’avis des
médecins. DREES Études et résultats 2005;405.
3. Drogues et dépendances, données essentielles.
OFDT. Paris : La Découverte, 2005.
4. Alcohol – less is better. WHO Regional
Publications, European Series 1996;70.
5. Babor TF, Higgins-Biddle JC, Saunders JB,
Monteiro MG AUDIT. The alcohol use disorders
identification test: guidelines for use in primary
care. Second edition. Genève: WHO, 2001.
6. Babor TF, Caetano R, Casswell S, et al. Alcohol:
no ordinary commodity. Research and public
policy. Oxford-Londres: Oxford and London
University Press, 2003.
7. Cour des Comptes. Le rapport public 2003.
Observations des juridictions financières. Paris :
Éditions des JO, 2004.
L A R E V U E D U P R AT I C I E N / 2 0 0 6 : 5 6
monographie
Malades de l’alcool
De la préparation au changement,
au maintien de l’abstinence
Philippe Batel *
D’
ordinaire en médecine, et plus encore en santé
publique, il s’établit naturellement, et dans un délai
plus ou moins court, une corrélation étroite entre la
gravité d’un problème sanitaire posé à une population et
l’intérêt des chercheurs comme celui des soignants pour
éclaircir son origine, enrayer son développement et guérir les sujets qui en sont atteints. Lorsque le phénomène
est repéré par des indicateurs solides, stables et invariablement
inquiétants (morbidité, mortalité,
contagiosité, coût majeur pour la
nation, répercussions sociales
considérables), les décideurs et les
politiques s’en emparent ou y sont
contraints par la pression sociétale
et l’infamie d’irresponsabilité que
dénoncerait leur inaction. Alors, le
problème sanitaire peut acquérir
le statut de « cause ». Grande souvent, nationale parfois, mondiale
plus rarement, la cause est érigée
au rang de catastrophe et trouve
ainsi une noblesse d’attention, une
universalité de précaution et de nombreux supports dans
une opinion sensibilisée et relayée par des groupes de
pression de malades, de familles et des solidarités de toutes sortes. Le sida, le cancer, la maladie de Parkinson, les
myopathies, l’encéphalopathie spongiforme bovine ont,
chacune et à des degrés divers, « bénéficié » de cette visibilité nationale pour sensibiliser les soignants à leur prise
en charge, normaliser l’image des malades, soulager leurs
proches et faire considérablement progresser les
connaissances.
Combien de temps les maladies alcooliques doiventelles encore attendre leur tour gagnant au carrousel des
combats de santé publique ? L’usage nocif d’alcool et sa
forme avancée (l’alcoolo-dépendance) affectent 5 millions
d’individus dans notre pays, tuent
45 000 d’entre eux chaque année ;
près de la moitié des décès de la
tranche d’âge 14-30 ans y sont
imputables. Il complique considérablement la vie de leur famille,
celle de leur entourage et de leur
employeur. Il participe largement
au remplissage des prisons et coûte
annuellement17,6 milliards d’euros
à la nation française. Le cortège de
souffrances reste difficilement évaluable, car tant infamant que les
malades et leur entourage se tapissent dans un mutisme étouffé par
la honte. Pourtant, la timidité de
l’intérêt des scientifiques pour les troubles de l’alcoolisation reste un mystère, compte tenu des progrès considérables accomplis ces dernières années, aussi bien dans la
compréhension des mécanismes de vulnérabilité, en particulier étiologiques de la dépendance et l’efficacité des
stratégies pour la traiter. L’investissement discret et trop
encore militant des soignants dans leur repérage et leur
* Traitement ambulatoire des maladies de l’alcool, hôpital Beaujon, 92110 Clichy. Courriel : [email protected]
L A R E V U E D U P R AT I C I E N / 2 0 0 6 : 5 6
1059
prise en charge est un non-sens épidémiologique. Il
contribue à la pérennisation d’une catastrophe sanitaire
chronicisée. Les politiques et les décideurs avertis de longue date par les experts sont soumis à une pression lobbyiste majeure des alcooliers qui brandissent tour à tour
l’exception culturo-vinicole française, les emplois de la
filière et le commerce extérieur mis à mal par la concurrence étrangère. Au final et depuis des années, l’ambiguïté de l’État sur le sujet finit par être criminelle par son
inaction.
REPÉRAGE ET INTERVENTION BRÈVE
En attendant de résoudre l’énigme du désintérêt des
chercheurs sur l’alcool, cette monographie permettra à
chaque praticien de faire le point sur l’essentiel des
connaissances actualisées en alcoologie clinique. Le lecteur découvrira que la nosographie des troubles de l’alcoolisation ne se résume pas à l’alcoolo-dépendance, mais
qu’elle se définit plus largement autour de la notion de
dommages, potentiels chez les consommateurs à risques,
et patents chez les consommateurs à problèmes.
Contrairement à une idée encore trop injustement répandue, leur repérage systématique est favorisé par une attitude médicale non confrontante (c’est-à-dire dégagée des
habituels préjugés sur la sous-déclaration) et des instruments (questionnaires) validés évaluant les aspects qualitatifs et quantitatifs de la consommation d’alcool hebdomadaire. Le repérage de masse est donc non seulement
possible dans une «patientèle», mais souhaitable, car directement exploitable. Il permet de repérer près de 1 malade
sur 5 (1 homme sur 3) chez qui une intervention thérapeutique est utile. Les objectifs et les moyens diffèrent
bien évidemment selon que le trouble de l’alcoolisation
s’accompagne ou non de symptômes de dépendance.
Dans ce dernier cas, l’objectif thérapeutique se «contente» de réduire la consommation en deçà des seuils de
risque au moyen d’un conseil personnalisé de 10 minutes,
décrit sous le terme d’intervention brève, dont les résultats
à 6 mois sont très encourageants : près de 50 % des
patients ont modifié favorablement leur consommation.
LA LONGUE MARCHE DES PATIENTS
DÉPENDANTS DE L’ALCOOL
Le parcours thérapeutique des patients dépendants de
l’alcool est plus long et difficile. L’objectif, plus ambitieux, s’établit en trois étapes : préparer, réaliser et maintenir à long terme une abstinence la plus accomplie, solide et bénéfique. Dans le traitement de l’alcoolodépendance, non seulement la pente est forte et la
chaussée glissante, mais le tracé bien souvent sinueux
avec des bas-côtés très abrupts. Ainsi, accompagner un
patient dépendant de l’alcool sur la voie de la rémission peut prendre plusieurs années. À chaque étape, les
entretiens motivationnels aident avant tout le soignant
à trouver des stratégies pour faire face à la résistance
des patients à changer, à les aider à s’approprier la
construction du projet thérapeutique, à s’y investir. Le
sevrage, étape ô combien symbolique mais essentielle,
est néanmoins la phase qui pose désormais le moins de
difficultés chez un patient bien préparé. En respectant
quelques contre-indications bien balisées, il peut s’effectuer en ambulatoire. Certains patients, dont il reste
à définir le profil particulièrement répondeur, bénéficient de préférence d’un séjour résidentiel. Le maintien à long terme et à faible coût psychique (efforts et
pénibilité) est favorisé par un accompagnement médical personnalisé au cours duquel on peut associer des
psychothérapies utilisant des techniques différentes
(soutien, relaxation, inspiration analytique, occupationnelle, de relaxation, familiale, thérapie cognitivo-comportementale), des médicaments facilitant le maintien
de l’abstinence ou une aide auprès des groupes d’entraide. Enfin, le comité éditorial de ce numéro a
demandé à un juriste de nous rappeler nos responsabilités légales face aux malades de l’alcool, dans des
situations courantes de notre exercice médical.
Souhaitons que l’ensemble de ce numéro donne envie
à nos confrères d’accomplir un devoir moral à l’aune de
son enjeu majeur de santé publique : regarder autrement, conseiller avec succès et accompagner efficacement les malades de l’alcool.
B
FMC et EPP ? Nous sommes prêts !
La Revue du Praticien est un acteur de référence de la FMC. La rigueur de nos
pratiques rédactionnelles nous permet de répondre aux exigences des dispositions
réglementaires encadrant la FMC et l’Évaluation des pratiques professionnelles (EPP)
qui sont en train de se mettre en place : comité de lecture indépendant, déclaration
des conflits d’intérêts...
LA REVUE DU PRATICIEN donne du crédit à votre FMC !
Votre abonnement à La Revue du Praticien participe au futur calcul de votre crédit FMC :
conservez votre facture d’abonnement ; elle tiendra lieu d’attestation.
1060
L A R E V U E D U P R AT I C I E N / 2 0 0 6 : 5 6
monographie
Nosographie, repérage
et diagnostic des troubles
de l’alcoolisation
Le repérage précoce des conduites d’alcoolisation a pour but
de prévenir l’évolution vers la dépendance ou l’apparition
de complications somatiques, psychiques ou sociales. Il repose
sur l’évaluation de la consommation déclarée d’alcool au cours
d’un entretien confiant, en s’aidant éventuellement de questionnaires
et, si besoin, dans un second temps, de la prescription de trois
marqueurs biologiques (VGM, gamma-GT et transferrine désialylée).
François Paille *
I
l est très important d’envisager le répérage précoce des
conduites d’alcoolisation, si possible avant ou du moins
dès qu’elles commencent à induire des problèmes, afin
de prévenir l’installation d’une dépendance et/ou la survenue de complications somatiques, psychiques ou sociales. Il faut aussi souligner qu’une prise en charge précoce
est plus simple, moins lourde et moins coûteuse qu’aux
stades plus avancés et que les méthodes préconisées ont
fait la preuve de leur efficacité.
NOSOGRAPHIE DES CONDUITES
D’ALCOOLISATION
Les classifications publiées depuis de très nombreuses
années ont l’inconvénient de décrire essentiellement les
différentes formes de dépendances, mais aussi celui
d’aborder très peu ou pas du tout les modes de début de
ces conduites et leurs modalités évolutives précoces avant
l’apparition de dommages. Les classifications internationales sont peu utilisables en pratique clinique.1, 2 Pour
remédier à cette situation, la Société française d’alcoologie
a publié en 2001 des recommandations validées par
l’Anaes (actuelle Haute Autorité de santé [HAS]).3 Ces
recommandations s’appuient essentiellement sur un
modèle médical, sans doute réducteur mais pratique.
Elles proposent d’organiser la classification des conduites
d’alcoolisation en différentes catégories autour des termes « usage » et « mésusage ».
• Non-usage
Le non-usage est défini par toute conduite à l’égard
des boissons alcooliques caractérisée par une absence de
consommation, qu’elle soit momentanée, temporaire,
* Service médical, hôpital Maringer-Fournier-Villemin, centre d’alcoologie, 54000 Nancy. Courriel : [email protected]
L A R E V U E D U P R AT I C I E N / 2 0 0 6 : 5 6
1061
MALADES DE L’ALCOOL N O S O G R A P H I E , R E P É R A G E E T D I A G N O S T I C D E S T R O U B L E S D E L’A LC O O L I S AT I O N
CE QUI EST NOUVEAU
L Pendant longtemps, on s’est surtout intéressé aux problèmes
L
L
L
L
liés aux formes d’alcoolisation les plus graves : dépendance,
complications organiques…
Il est impératif de prendre en compte et de dépister les
patients à des stades plus précoces (usage à risque et usage
nocif), pour éviter leur évolution vers des formes plus graves.
De plus, les stratégies thérapeutiques à ce stade sont moins
lourdes, moins onéreuses et plus efficaces.
Ce dépistage n’est pas du domaine des spécialistes qui,
souvent, ne voient pas ces patients. Il concerne tous les
professionnels de santé, et au premier plan les médecins
généralistes.
Il repose sur la consommation déclarée d’alcool, mais
beaucoup d’études récentes ont confirmé l’intérêt d’outils
standardisés comme l’AUDIT.
Le diagnostic impose une évaluation clinique complète
comprenant, outre les habituelles complications médicopsychosociales, le niveau de motivation du patient, essentiel
pour adapter la stratégie thérapeutique, la recherche de
consommations de substances psycho-actives associées, très
fréquentes, la sévérité de la conduite (estimation du craving).
durable, définitive, primaire ou secondaire. Il ne recouvre
donc pas la notion d’abstinence qui désigne un non-usage
secondaire à une période de mésusage (de type dépendance). Les personnes qui se trouvent dans cette catégorie sont des non-consommateurs.
• Usage
Le terme «usage» employé seul sans adjectif renvoie à
l’usage socialement admis pour lequel le risque, s’il n’est
pas nul, est considéré comme acceptable pour l’individu et
pour la société. Il s’agit donc de toute conduite d’alcoolisation ne posant pas de problème pour autant que la
consommation reste faible (inférieure ou égale aux seuils
définis par l’Organisation mondiale de la santé [OMS]) et
prise en dehors de toute situation à risque et de tout risque
individuel. L’usage peut être expérimental, occasionnel,
intermittent, périodique, régulier… Dans ces limites,
l’usage caractérise le comportement du consommateur
modéré. Cette notion a bénéficié de repères de consommation définis par l’OMS et reconnus internationalement :
– usage ponctuel : pas plus de 4 verres par occasion ;
– usage régulier : pas plus de 21 verres par semaine chez
l’homme (soit 3 verres par jour en moyenne) ; pas plus de
14 verres par semaine chez la femme (soit 2 verres par
jour en moyenne).
Ces « seuils » n’ont pas de valeur absolue, car chaque
personne peut réagir différemment selon son sexe, sa corpulence, son état physique et psychologique, le contexte
de consommation…
1062
Trois catégories de mésusage sont ensuite définies :
l’usage à risque ; l’usage nocif ; l’usage avec dépendance.
• Usage à risque
Il se définit par toute conduite d’alcoolisation, ponctuelle ou régulière, qui associe une consommation supérieure aux seuils définis par l’OMS non encore associée à
un quelconque dommage médical, psychologique ou
social, et/ou à une dépendance. La personne qui se situe
dans ce cadre est dénommée consommateur à risque.
L’usage à risque inclut également des consommations
égales ou inférieures aux seuils de l’OMS lorsqu’elles sont
prises :
– dans certaines situations à risque pour lesquelles cette
consommation est déjà dangereuse, comme la conduite
de véhicules, le travail sur machines dangereuses ou à un
poste de sécurité…, situations qui requièrent vigilance et
attention ;
– en cas de risque individuel particulier, par exemple
consommations d’autres produits psychoactifs susceptibles de potentialiser les effets de l’alcool, pathologies
organiques et/ou psychiatriques associées, notamment
celles qui exigent un traitement médicamenteux, modification de la tolérance du consommateur en raison de son
âge, de son sexe, de son faible poids, de situations psychologiques ou physiologiques particulières (état de fatigue
et surtout grossesse).
• Usage nocif
Toute conduite d’alcoolisation qui induit au moins un
dommage d’ordre médical, psychologique ou social définit l’usage nocif. Il n’y a pas de dépendance. Cette catégorie est donc définie par les dommages provoqués par la
consommation, et non par l’importance ou la fréquence
de cette consommation. Les personnes qui se situent dans
cette catégorie sont dénommées consommateurs à problèmes.
• Usage avec dépendance
Il est défini par toute conduite d’alcoolisation caractérisée par une perte de la maîtrise de la consommation. Cette
catégorie ne se définit pas non plus par rapport à un seuil
ou à une fréquence de consommation, ou par l’existence
de dommages induits qui sont cependant quasi constants.
La définition de la dépendance ne comporte pas de critères impliquant que la consommation soit quotidienne ou
habituelle. Les personnes qui se situent dans cette catégorie sont appelées consommateurs dépendants ou alcoolodépendants.
On distingue schématiquement :
– la dépendance physique, définie par la survenue d’un syndrome de sevrage lors de l’arrêt brutal de la consommation d’alcool. Elle n’est pas constante et se retrouve chez
les consommateurs quotidiens ;
– la dépendance psychique, qui est la pulsion à consommer
des boissons alcoolisées pour en retrouver les effets.
Le diagnostic de dépendance n’est pas toujours facile à
porter. Différents éléments doivent être recherchés :
L A R E V U E D U P R AT I C I E N / 2 0 0 6 : 5 6
– des signes de dépendance physique (antécédents de crises d’épilepsie, de syndrome de sevrage, existence de
signes mineurs de sevrage le matin [tremblements, nausées, anxiété]) ;
– le besoin de boire dès le matin ; comme pour le tabac, la
consommation d’alcool rapidement après le réveil est un
grand signe de dépendance physique ;
– une augmentation des doses pour en retrouver les effets
(phénomène de tolérance) ;
– une difficulté à maîtriser la consommation ; consommation en quantité plus importante ou pendant une période
plus longue que prévue, désir persistant de consommation, poursuite de la consommation malgré ses conséquences, y compris des problèmes judiciaires (alcool au
volant, violences…), efforts infructueux pour diminuer la
consommation ;
– un retentissement de la consommation sur la vie quotidienne ; perte d’activités sociales, professionnelles ou de
loisirs.
Si l’on hésite encore entre usage nocif et dépendance,
un test d’arrêt de l’alcool peut être proposé sur 8 à 15
jours. Cette méthode, bien que non évaluée, permet d’apprécier par exemple la diminution d’un taux élevé de
gamma-glutamyltransférase (gamma-GT) et de confirmer
sa relation avec la consommation d’alcool. Ce test donne
l’occasion de revoir le patient et de réaborder le problème
avec lui. Il permet au médecin de confirmer la dépendance lorsque le patient n’a pu arrêter sa consommation.
Il permet aussi, dans les cas où celui-ci n’est pas conscient
de sa dépendance, de lui faire prendre conscience de sa
difficulté à maîtriser sa consommation de boissons alcoolisées. Cette prise de conscience personnelle est souvent
plus efficace que les interventions du médecin ou de l’entourage.
Mais dans la grande majorité des cas, le patient dépendant de l’alcool sait qu’il consomme trop. S’il est dans le
déni, c’est parce que cette attitude est la seule psychologiquement admissible pour lui. Se reconnaître « alcoolique »
n’est jamais facile. Lever les résistances, l’amener à accepter de se faire aider, renforcer sa motivation sont des
objectifs essentiels de l’accompagnement.
Il y a peu de travaux qui se sont intéressés à l’évolution
entre les diverses catégories d’usage. Si l’idée d’un continuum évolutif est admise, le passage vers une catégorie
plus sévère n’est pas pour autant inéluctable. Beaucoup de
personnes stabilisent leur conduite dans l’une ou l’autre
de ces catégories. Le retour spontané à une catégorie inférieure, en tout cas pour les formes sans dépendance, est
également possible.
Le diagnostic n’est donc jamais figé pour un sujet
donné, car il est susceptible d’évoluer soit spontanément,
soit par le fait des interventions réalisées. De plus, comme
pour toute conduite à risque, une évaluation en alcoologie
doit par principe être périodiquement révisée au fil du
temps, notamment au cours de la prise en charge et de
L A R E V U E D U P R AT I C I E N / 2 0 0 6 : 5 6
l’accompagnement médico-psychosocial, et aboutir à des
propositions d’accompagnement vers un objectif validé
avec le sujet.
Les recommandations pour la pratique clinique de
2001 ont proposé un algorithme simple pour établir le
diagnostic de catégorie d’usage (fig. 1).
REPÉRAGE DU MÉSUSAGE D’ALCOOL
Le problème du repérage, précoce ou non, se complique
du fait que les sujets peuvent sous-estimer, voire dissimuler, leur consommation. De plus, il est rare que la rencon-
Niveau 1
Y a-t-il consommation d’alcool ?
(sans préjuger de la quantité d'alcool consommée) :
√ NON = non-usage
✓ non-usage primaire
✓ non-usage secondaire
➠ RECHERCHER SI :
➠ STOP
➠ STOP
√ OUI = usage ou mésusage ? ➠ PASSER AU NIVEAU 2
Niveau 2
Évaluation de la consommation déclarée d’alcool (CDA) :
est-elle inférieure ou égale aux seuils de l’OMS ?
√ OUI
+ absence de risque individuel
= usage ➠ STOP
+ absence de situation à risque
√ OUI
+ présence d’au moins un des 2 risques ci-dessus :
= mésusage
➠
PASSER AU NIVEAU 3
√ Non (supérieur au seuil)
= mésusage
➠
PASSER AU NIVEAU 3
}
Niveau 3
Y a-t-il un (des) dommage(s) induit(s) par l’alcool ?
(sans tenir compte de la quantité d'alcool consommée)
√ NON = usage à risque ou dépendance ?
√ OUI = usage nocif ou dépendance ?
➠ PASSER AU NIVEAU 4
Niveau 4
Y a-t-il perte de maîtrise de la consommation ?
(sans tenir compte de la quantité d'alcool consommée)
√ NON = usage à risque ou usage nocif
Selon la réponse au niveau 3
√ OUI = usage avec dépendance
➠
STOP
Figure 1 Algorithme de diagnostic de la catégorie d’usage
1063
MALADES DE L’ALCOOL N O S O G R A P H I E , R E P É R A G E E T D I A G N O S T I C D E S T R O U B L E S D E L’A LC O O L I S AT I O N
tre avec un professionnel de santé soit directement motivée
par la consommation d’alcool ou par une demande de soins.
Il concerne l’ensemble des professionnels de santé, les
médecins généralistes naturellement, mais aussi les médecins spécialistes, les médecins du travail, les médecins de
prévention. La consultation, les visites annuelles et de
reprise, et l’admission dans un établissement de santé constituent pour chacun de ces praticiens autant d’opportunités
pour mettre en œuvre cette démarche qui doit désormais
être assurée de manière plus fréquente et plus systématique.
Un mésusage doit par principe être recherché, notamment devant une série de difficultés ou de signes médicaux polymorphes et sans spécificité, mais justement évocateurs par leur juxtaposition ou leur répétition.
L’appréciation de la consommation d’alcool devrait aussi
se faire de manière simple et systématique chez tout nouveau patient, si l’on accepte de la considérer comme un
facteur de risque de mauvaise santé parmi d’autres, et
donc de la faire préciser au même titre que les antécédents familiaux et personnels ou d’autres facteurs de
risque.
Les éléments du repérage
Consommation déclarée d’alcool
Elle est évaluée en « verre standard » ou « verre de
café », ou unité internationale d’alcool (UIA). Fixée en
France à 10 g d’alcool pur par verre, elle évalue la quantité
d’alcool ingérée indépendamment du type de boisson, car
la taille des verres est inversement proportionnelle à la
teneur en alcool de la boisson. L’usage à risque est défini
par une consommation de plus de 21 verres par semaine
chez l’homme, 14 verres par semaine chez la femme, et
plus de 4 verres par occasion pour l’usage ponctuel. Des
consommations supérieures doivent donc être prises en
compte en rappelant que des valeurs inférieures posent
déjà des problèmes dans certaines situations particulières
(grossesse, pathologies associées…). Cependant, au
domicile, les doses sont variables : les verres ne sont pas
de la même taille et ils peuvent être plus ou moins remplis.
Ce point doit donc être précisé lors de l’entretien.3, 4
Ce recueil peut s’appuyer sur une approche standardisée appréciant :
– le nombre de jours de consommation (par exemple par
semaine ou par mois) ;
– le nombre moyen de verres par jour de consommation
(en distinguant éventuellement les jours « actifs » et les
jours de repos et le week-end) ;
– les écarts par rapport à la consommation habituelle ;
– le nombre maximal de verres par occasion de boire ;
– le type de boisson consommée ;
– le mode de consommation ;
– les événements influençant la consommation (événements de vie, anxiété…) ;
– le contexte de consommation (seul ou en groupe) ;
1064
– les moments préférés de consommation dans la journée.
L’expression de cette consommation ne cause habituellement guère d’ennuis chez les consommateurs à risque
lorsqu’elle est recherchée dans un contexte systématique,
en dehors de tout aspect inquisitorial ou moralisant.
Beaucoup de ces patients n’en ont d’ailleurs pas conscience et n’ont, de ce fait, guère de difficultés à l’exprimer.
Il peut en aller tout autrement chez un patient dépendant
que le déni caractérise volontiers.
La sous-estimation, souvent mise en avant comme une
difficulté, est en fait rarement un vrai problème puisqu’il
s’agit ici moins d’évaluer la consommation avec une
grande exactitude, que de l’apprécier par rapport aux
seuils d’intervention.
Questionnaires de repérage
Le repérage peut se baser sur des questionnaires, utilisés par le médecin ou par le patient lui-même (autoquestionnaires).5-7 Ce sont des outils de repérage, pas de diagnostic. Les plus connus et les plus utilisés en France sont
l’AUDIT et le DETA.
Le questionnaire AUDIT, 8 riche en informations tout en
restant utilisable en routine, semble le plus pertinent pour
assurer le dépistage relativement précoce, puisqu’il
explore les 12 derniers mois de la vie du patient.9 Selon
l’OMS, un score supérieur ou égal à 8 chez les hommes, à
7 chez les femmes, est évocateur d’un mésusage d’alcool.
Un score supérieur à 12 chez les hommes, à 11 chez les
femmes, serait en faveur d’une dépendance à l’alcool. La
sensibilité de l’AUDIT pour l’identification des buveurs à
risque et à problèmes varie de 0,51 à 0,97 selon les études
et sa spécificité de 0,78 à 0,96.10
Le questionnaire DETA a l’avantage d’être simple (quatre questions).11 Il explore la vie entière. Sa passation peut
se faire de façon informelle et être dispersée au cours de
l’entretien. Un score égal ou supérieur à 2 est en faveur
d’un mésusage (usage nocif ou dépendance), ancien ou
récent. La sensibilité du DETA varie en fonction de la
population à laquelle on s’adresse. Dans une population
où la prévalence de la dépendance est élevée, la sensibilité
estimée est de 0,75 à 0,91 et la spécificité de 0,77 à 0,96.
Lorsqu’on s’adresse à une population non sélectionnée,
les performances sont moindres : 0,64 en médecine générale chez des patients ayant un problème d’alcool connu ;
18,1 % et 26,7 % chez des sujets, en population générale,
déclarant consommer respectivement entre 40 et 80 g et
plus de 80 g d’alcool par jour.
ÉVALUATION CLINIQUE
D’une manière générale, plus le repérage se veut précoce,
moins le tableau clinique est significatif, la difficulté pour
l’intervenant étant de rapporter les signes à la consommation d’alcool. Il convient donc d’y penser systématiquement en recherchant des signes le plus souvent non spéciL A R E V U E D U P R AT I C I E N / 2 0 0 6 : 5 6
Validité et utilisation des tests biologiques marqueurs
de l’alcoolisation
L’
exploration d’un trouble lié à l’alcool
passe évidemment par l’évaluation des
modes de consommation passés et
actuels, notamment en termes de fréquence
et de quantité. Certains tests biologiques
permettent, avec plus ou moins de précision,
de sensibilité et de spécificité, de rechercher
des épisodes de consommation excessive
récents, afin de compléter, voire de corriger,
les données de l’entretien clinique.1, 2
ÉTHANOL
L’éthanol, le plus souvent dosé dans le
sang ou l’air expiré, voit sa concentration
diminuer rapidement, en raison d’une demivie d’élimination brève. Son dosage ne permet de rechercher que des alcoolisations
très récentes, ne datant que de quelques
heures, au maximum 24 à 36 heures. Les
variations interindividuelles du pic de
concentration ne permettent pas d’établir
avec fiabilité l’importance de la consommation d’alcool, même dans les suites directes
de la consommation.
GAMMA-GLUTAMYLTRANSFÉRASE
Le dosage de la gamma-glutamyl-transférase (GGT) est un examen fiable, simple et
peu coûteux. La GGT est fréquemment augmentée chez les buveurs excessifs chroniques. Sa sensibilité est de l’ordre de 75 à
80 % chez les alcooliques en traitement
(ainsi, au moins 20 % des alcooliques actifs
ont un taux de GGT normal), et s’abaisse à
50 % dans la population tout-venant. La
sensibilité est notamment affectée négativement par les fortes consommations de
café. Les alcooliques à GGT élevée ont plus
fréquemment une élévation concomitante
des transaminases et des signes de stéatose hépatique, voire de fibrose ou de cirrhose. La spécificité de la GGT est de l’ordre
de 80 % ; en dehors de toute consommation
excessive d’alcool, elle est un indicateur précoce de souffrance hépatique. On trouve
également des taux élevés en cas de prise
de traitements inducteurs enzymatiques,
ainsi que chez les obèses et les diabétiques
L A R E V U E D U P R AT I C I E N / 2 0 0 6 : 5 6
de type 2. Une consommation excessive et
régulière d’alcool pendant deux à trois
semaines est nécessaire pour augmenter le
taux de GGT. Après sevrage, le retour à la
normale survient en deux à quatre semaines, parfois plus.
VOLUME GLOBULAIRE MOYEN
Les mécanismes de la macrocytose chez
les alcooliques sont mal connus. La sensibilité de ce test est moyenne, de l’ordre de
50 % chez les alcooliques, et de 20 à 30 %
chez les buveurs excessifs. La spécificité,
bien que meilleure (de l’ordre de 70 %), est
perturbée par les nombreuses autres causes de macrocytose. Il faut environ un à
deux mois de consommation excessive et
régulière d’alcool pour qu’apparaisse une
augmentation du volume globulaire moyen.
Après sevrage, il se normalise dans un délai
à peu près équivalent. S’agissant du dernier
marqueur à se normaliser après l’arrêt de
l’alcool, il peut avoir un intérêt pour dépister
une alcoolisation excessive plus ancienne.
TRANSAMINASES
La sensibilité et la spécificité des transaminases (alanine aminotransférase [ALT]
et aspartate aminotransférase [AST]) sont
inférieures à celles de la GGT. L’ALT (essentiellement synthétisée dans le foie) est plus
spécifique d’une souffrance hépatique
induite par l’alcool que l’AST (largement synthétisée par d’autres organes également).
Cependant, c’est l’AST qui, des deux, a la
moins mauvaise sensibilité (environ 35 %).
TRANSFERRINE DÉSIALYLÉE
La carbohydrate-deficient transferrin
(CDT) est une variante de la transferrine,
dont on a pu observer que la concentration
plasmatique est plus élevée chez les
buveurs excessifs que chez les non-buveurs.
Les premières études de ce marqueur de
l’alcoolisation excessive avaient montré
d’excellentes performances en termes de
sensibilité et de spécificité, généralement
supérieures à 90%. Ces chiffres ont ensuite
dû être largement revus à la baisse. La fiabilité de la mesure semble moins bonne chez
les femmes jeunes, qui ont des taux plus élevés que les hommes ou les femmes plus
âgées, indépendamment de leur consommation d’alcool. La transferrine désialylée semble augmenter plus facilement si la consommation d’alcool est associée à une souffrance
hépatique. Bien que ce test soit passé dans la
pratique courante depuis plusieurs années, il
fait encore l’objet de travaux de recherche. Il
existe actuellement plusieurs méthodes de
dosages ayant des performances différentes.
EN PRATIQUE
Ces marqueurs peuvent être utiles dans le
dépistage de conduites d’alcoolisation
excessive. Ils peuvent aussi aider au suivi de
l’abstinence (ou de la consommation modérée). Dans ce cas, c’est surtout la surveillance des marqueurs qui étaient élevés
lors des épisodes de consommation excessive qui a un intérêt. Aucun marqueur ne
possède actuellement les qualités idéales en
termes de sensibilité et de spécificité. La
transferrine désialylée semble montrer une
meilleure spécificité que les autres tests courants. La combinaison des marqueurs peut
largement améliorer la sensibilité : transferrine désialylée et GGT, avec éventuellement
AST et/ou volume globulaire moyen.
Henri-Jean Aubin
Centre de traitement des addictions,
hôpital Émile-Roux,
94456 Limeil-Brévannes Cedex
Courriel : [email protected]
1. Miller PM, Spies C, Neumann T, et al. Alcohol
biomarker screening in medical and surgical
settings. Alcohol Clin Exp Res 2006;30:185-93.
2. Dillie KS, Mundt M, French MT, Fleming MF. Costbenefit analysis of a new alcohol biomarker,
carbohydrate deficient transferrin, in a chronic
illness primary care sample. Alcohol Clin Exp Res
2005;29:2008-14.
1065
MALADES DE L’ALCOOL N O S O G R A P H I E , R E P É R A G E E T D I A G N O S T I C D E S T R O U B L E S D E L’A LC O O L I S AT I O N
fiques mais qui doivent attirer l’attention par leur association ou leur répétition.
Repérer précocement un mésusage de l’alcool suppose
donc d’abord d’y penser pour rechercher ensuite l’existence ou non de ces signes de présomption. L’attention est
attirée notamment par :3
– un état de santé moins bon, caractérisé par un taux de
fréquentation des professionnels de santé ou des dispositifs de soins très supérieur à celui de la population générale (les consommateurs ayant un mésusage d’alcool
consultent le médecin environ 9 fois par an contre 5,6 fois
pour la population générale) ;
– des plaintes diverses concernant la fatigue, la nervosité,
l’irritabilité, le sommeil, l’humeur, la capacité de concentration, mais aussi des troubles digestifs (nausées, vomissements, douleurs abdominales), une anorexie ;
– de plus grandes difficultés sociales, avec des recours
plus fréquents que la population générale aux organismes
sociaux pour trouver du travail ou maintenir un emploi de
manière stable ;
– une certaine instabilité relationnelle avec l’entourage
(difficultés conjugales et familiales, problèmes professionnels, conflits de voisinage, etc.) ;
LA CONSOMMATION HABITUELLE
❚ Jamais de boissons alcoolisées
❏
Rythme
❚ Quotidien
❏
❚ Occasionnel
I I I I
I I I I
I I I I
jours par semaine
jours par mois
jours par an
Nombre de verres par jour de consommation
❚ Type de boisson
Vin 12 °
Bière 5°
Apéritif 20°
Anisés 45°
Alcools 40°
I I I
I I I
I I I
I I I
I I I
Les écarts : préciser selon le même tableau : nombre de jours,
nombre de verres par jours.
Figure 2 Exemple d’outils de recueil et de suivi
de la consommation déclarée d’alcool.
1066
– chez les sujets jeunes, une modification du comportement, un désinvestissement progressif, des difficultés scolaires, et les situations d’échec scolaire.
L’état somatique : au stade précoce, l’examen clinique
est relativement pauvre ; il existe fréquemment un léger
tremblement d’attitude des extrémités, des conjonctives
un peu rouges, hyperhémiées, une hépatomégalie, une
pression artérielle modérément élevée.
Le tableau peut être plus patent, avec un aspect général
de laisser-aller, un tremblement marqué des extrémités, un
visage vultueux, congestionné, télangiectasique, un subictère conjonctival, une haleine caractéristique signant une
alcoolisation récente, souvent accompagnée d’un comportement anormalement loquace et exhubérant ou de troubles de l’élocution. L’examen peut aussi mettre en évidence
des signes témoignant de l’existence de complications
somatiques de l’alcoolisation chronique (neuropathie centrale ou périphérique, cirrhose, pancréatite chronique…).
Enfin, un mésusage de l’alcool peut et doit être évoqué
devant l’existence d’autres comorbidités, psychiques ou
sociales.12
L’état psychologique : les troubles comportementaux
sont certainement ceux qui sont les plus précoces et les
plus repérables, notamment par l’entourage et les milieux
socio-éducatifs et judiciaires. Les troubles anxieux et
dépressifs sont fréquents. Le plus souvent secondaires à
la consommation d’alcool, ils s’améliorent après le
sevrage. Mais ils peuvent être primaires : persistant ou
réapparaissant après le sevrage, ils doivent être pris en
compte. À noter l’importance du risque suicidaire,
notamment à l’occasion d’une rechute qui favorise le passage à l’acte.13
La situation environnementale : un mésusage de
l’alcool peut être à l’origine de difficultés d’ordre conjugal, familial, professionnel ou social mais, à l’inverse, ces
mêmes difficultés peuvent conduire à une alcoolisation
dépassant le simple usage. Il est d’ailleurs souvent difficile, au début, de faire la part de ce qui est cause ou conséquence :
– la personne supporte moins bien son entourage et ses
enfants, a tendance à s’isoler et délaisse certaines activités ;
– la relation conjugale est marquée par des conflits plus
ou moins aigus ou par une indifférence ; la vie sexuelle du
couple peut être perturbée ;
– l’entourage a déjà pu remarquer que la consommation
d’alcool du sujet a tendance à augmenter lors des dîners
ou des fêtes ; les prétextes sont nombreux pour consommer ; des problèmes aigus (conduite en état d’alcoolisation, p. ex.) ou chroniques (difficultés familiales, professionnelles) ont déjà pu se poser. Ce même entourage peut
cependant minimiser, voire dénier, l’idée que la consommation du sujet relève d’un mésusage de l’alcool ;
– sur le plan professionnel, on recherche un désintérêt, un
absentéisme ou des arrêts de travail fréquents, des conflits
avec les collègues ou la hiérarchie.
L A R E V U E D U P R AT I C I E N / 2 0 0 6 : 5 6
Toutefois, une intégration sociale apparemment bonne
et longtemps maintenue se conjugue au caractère progressif des changements de comportement pour rendre
compte de la difficulté du repérage précoce.
L’évaluation du niveau de motivation selon les stades
de Prochaska (préintention, intention, préparation, action,
maintien, résolution) est un élément clé. Une des causes
fréquentes d’échec du traitement est la proposition de
stratégies inadaptées au niveau de motivation du patient.14
La consommation d’autres substances psycho-actives
est fréquente : tabac, café, anxiolytiques, notamment chez
les inactifs et les femmes ; tabac, drogues illicites, notamment le cannabis, et produits stimulants chez les jeunes.
Ces associations, dont la fréquence s’accroît d’autant plus
que s’y associent des troubles de l’adaptation et des situations d’échecs répétés, sont une réalité sociologique
actuelle. Ce sont de bons indicateurs imposant de se
poser la question d’un mésusage d’alcool dans de nombreuses situations.
La sévérité des conduites d’alcoolisation doit être
évaluée. Elle doit être distinguée de la nocivité différée et
de la gravité des conséquences organiques ou psychiques
induites par le mésusage de l’alcool.
– Les signes de gravité portent sur la nature, l’intensité et le
nombre des alcoolopathies ou des conséquences médicosociales de l’alcoolisation.
– Les signes de sévérité portent sur l’importance quantitative
et la fréquence des alcoolisations, sur les risques qu’elles
comportent, sur la valeur ou la signification qu’elles prennent pour le sujet et sur l’installation ou non d’une dépendance psychique et/ou physique. Ils sont considérés
comme des indicateurs prédictifs de rechute ou d’efficacité du traitement.
L’évaluation de la sévérité des conduites d’alcoolisation
s’avère plus difficile que celle de leurs conséquences.5
Quelques repères peuvent cependant être donnés :3 les
alcoolisations parfois massives des jeunes, surtout quand
elles sont répétées au fil des week-ends ; les dangers
encourus par le consommateur à risque ; les modifications
de la sociabilité du consommateur à problème(s) et le déni
du dépendant quant à sa conduite témoignent souvent,
parmi d’autres signes, de la sévérité des conduites d’alcoolisation du fait de leur répétition et de l’importance particulière qu’elles peuvent avoir pour le devenir du sujet.
Les aspects obsessionnels et compulsifs du besoin d’alcool sont aussi des éléments importants. Le « craving »
peut en être un témoin. Au-delà de la simple appétence à
l’alcool, il est défini comme le besoin irrépressible de
consommer. Mais ce concept reste flou et on ne dispose
pas, actuellement, d’outils simples et validés pour le mesurer. On peut, pour ce faire, utiliser une échelle visuelle
analogique qui permet d’en suivre l’évolution. Il faut toutefois noter l’absence de corrélation entre les échelles centrées sur le craving et celles visant à repérer l’existence
d’un « problème d’alcool », ainsi que la faible corrélation
L A R E V U E D U P R AT I C I E N / 2 0 0 6 : 5 6
P O U R L A P R AT I Q U E
L Le repérage des conduites d’alcoolisation se fait d’abord sur
l’entretien avec le patient. Il permet notamment de recueillir
la consommation déclarée d’alcool.
L Des questionnaires peuvent apporter une aide dans l’abord
de ce problème : DETA ou mieux AUDIT.
L Trois marqueurs biologiques peuvent aider à ce repérage :
gamma-glutamyltransférase, volume globulaire moyen,
transferrine désialylée.
L Le diagnostic impose une évaluation clinique complète
intégrant:
• le sexe et l’âge, les antécédents familiaux, notamment
de mésusage d’alcool ;
• l’environnement social, familial, professionnel ou socioculturel;
• l’âge de début des conduites d’alcoolisation et leur
évolution ;
• le type de catégorie d’usage, non-usage, usage à risque, usage
nocif, usage avec dépendance ;
• la fréquence des conduites d’alcoolisation et leurs modalités;
• l’existence d’une comorbidité psychiatrique et le moment
de son apparition par rapport à la conduite d’alcoolisation
(alcoolisme primaire ou secondaire) ;
• le repérage des traits de personnalité et du «fonctionnement»
du sujet (personnalité anxieuse, passive, dépendante,
impulsivité ou agressivité, recherche de sensations,
intolérance à la frustration) ;
• l’existence de dommages induits d’ordre somatique,
psychologique et social, et le niveau de gravité ;
• l’existence d’une comorbidité addictive ;
• la motivation de la personne à modifier son comportement
d’alcoolisation.
habituellement retrouvée entre craving et rechute. Cela
est peut-être lié à la difficulté et à l’hétérogénéité de son
évaluation.
L’évaluation de la qualité de vie est une donnée globale, subjective, mais importante à considérer, car elle
relève du vécu de l’individu et peut déterminer la demande
d’aide et ses modalités. De ce fait, la qualité de vie constitue
un des objectifs fondamentaux des interventions et de l’accompagnement et, par conséquent, un élément important
de l’évaluation clinique. Pour l’apprécier, on dispose d’échelles validées telles que le questionnaire de qualité de vie
SF36,15 mais aucune n’est vraiment utilisable en pratique
quotidienne. À défaut, l’utilisation d’une échelle visuelle
analogique peut être une approche acceptable.
Au total, trois signes sont très évocateurs de l’existence
ou du développement d’un mésusage d’alcool :
– la concomitance des problèmes de santé, tant sur le plan
physique que psychique, avec les difficultés professionnelles et l’existence de troubles comportementaux familiaux et/ou environnementaux ;
1067
MALADES DE L’ALCOOL N O S O G R A P H I E , R E P É R A G E E T D I A G N O S T I C D E S T R O U B L E S D E L’A LC O O L I S AT I O N
– la répétition de ces problèmes qui surviennent avec une
fréquence anormalement élevée et qui doit faire évoquer
le mésusage d’alcool comme probable facteur favorisant,
voire aggravant. Cette répétition doit d’autant plus constituer un signe d’alerte qu’il s’agit de sujets jeunes et jusqu’alors apparemment sans problèmes ;
– l’imputation aux autres des difficultés et de leurs motifs,
et la répétition de ce mode de « défense » qui permet au
sujet de ne pas remettre en question ses conduites générales et notamment ses conduites d’alcoolisation.
EXAMENS BIOLOGIQUES
Trois marqueurs biologiques sont utilisés pour le dépistage d’une alcoolisation chronique : la gamma-GT, le
volume globulaire moyen (VGM) et la transferrine désialylée (CDT). Ce sont des indicateurs de mésusage. Ils ne
permettent pas d’en préciser la catégorie.
Rappelons que la sensibilité des tests biologiques
dépend de la prévalence de la maladie dans la population
testée. La sensibilité des tests est donc élevée chez les
patients dépendants de l’alcool. Elle s’abaisse dans les
populations où la consommation d’alcool est plus faible,
notamment en population générale, alors que c’est dans
ces cas que l’on aurait le plus besoin d’une aide au diagnostic. La biologie ne permet donc guère de détecter un
mésusage d’alcool en l’absence d’éléments cliniques évocateurs. Prescrire à l’aveugle un ou plusieurs de ces tests
biologiques n’est donc pas recommandé : le médecin doit
d’abord essayer d’obtenir des informations fiables par un
dialogue confiant et n’envisager la prescription de ces examens que dans un deuxième temps. Les caractéristiques
de ces tests et leur utilité sont développées dans l’encadré
(v. page 1065).
L’association gamma-GT et VGM est la plus utilisée. Sa
sensibilité avoisine les 90 à 95 % chez les consommateurs
dépendants, mais seulement 65 % en cas d’usage à risque
ou d’usage nocif. En effet, pour des raisons encore mal
comprises, la gamma-GT et le VGM ne semblent pas
détecter les mêmes « malades ». Simple, fiable, peu onéreuse, elle reste donc très utile pour : renforcer la présomption clinique d’un mésusage de l’alcool ; servir de
« marqueurs objectifs d’alcoolisation » vis-à-vis du patient,
permettant de le revoir et d’aborder à nouveau le problème avec des arguments médicaux supplémentaires ;
suivre, après sevrage de l’alcool, l’abstinence et les éventuelles réalcoolisations.
D’autres examens biologiques peuvent être prescrits,
notamment les bilans hépatique, glycémique et lipidique
qui peuvent être indiqués en seconde intention pour
apprécier la gravité du retentissement de l’alcoolisation
sur le plan médical.
Quant aux combinaisons entre questionnaires de repérage et marqueurs biologiques, elles ne permettent guère
d’améliorer le dépistage précoce du mésusage d’alcool.
1068
CONCLUSION
Le repérage des conduites d’alcoolisation doit intervenir
le plus tôt possible, de façon à prévenir leur évolution vers
la dépendance et/ou des complications somatiques, psychiques, sociales. De plus, à ce stade, les interventions sont
plus courtes, moins onéreuses et ont montré leur efficacité. Le repérage repose d’abord sur l’évaluation de la
consommation déclarée d’alcool au cours d’un entretien
confiant. Il peut être étayé par des questionnaires dont le
plus pertinent semble l’AUDIT. Les examens biologiques
réalisés en deuxième intention peuvent apporter une aide.
Une évaluation clinique complète intégrant notamment l’appréciation du retentissement médico-psychosocial, et de façon générale la qualité de vie, la motivation,
l’existence de conduites addictives associées, la sévérité
de la conduite d’alcoolisation, permet ensuite de poser un
diagnostic qui permet de négocier la stratégie thérapeutique la mieux adaptée à chaque patient.
B
SUMMARY Classification, detection and diagnosis
of chronic alcohol disorders
The alcohol misuse is associated with a wide range of medical and
social problems. This is why it is very important to detect earlystages alcohol misuse. The early detection and the diagnosis of
chronic alcohol consumption require simple to use, relevant tools.
Alcoholisation behaviours are classified according to 5 categories:
no use, use, and three types of misuse, at risk drinking, abuse or
harmful drinking, and dependence. This screening of early-stage
alcohol misuse is at first based on the clinical interview with the
patient. It evaluates the alcohol consumption reported by the
patient, specially the number of drinking days, the number of drinks
per drinking day, the lapses, the type of alcoholic drinks, the way of
drinking, and the events that influence it. Screening questionnaires
can be usefull: CAGE and especially AUDIT. They can be used as
auto-questionnaires. Three biological markers can be helpful to
detect chronic alcohol consumption: GGT, MCV and CDT.
Rev Prat 2006 ; 56 : 1061-9
RÉSUMÉ Nosographie, repérage et diagnostic
des troubles de l’alcoolisation
Les conduites d’alcoolisation sont classées en cinq catégories :
non-usage, usage, et trois catégories de mésusage, usage à risque,
usage nocif et usage avec dépendance. Leur dépistage, si possible
précoce, et leur diagnostic nécessitent que les praticiens disposent
dans leur pratique courante d’outils fiables, pertinents et simples.
Le repérage repose sur l’entretien clinique effectué en dehors de
tout aspect moralisateur ou inquisitorial. Il permet de recueillir la
consommation déclarée d’alcool, notamment le nombre de jours
de consommation, le nombre moyen de verres par jour de
consommation, les écarts par rapport à la consommation
habituelle, le type de boissons consommées, le mode de
consommation et les événements qui l’influencent. Il peut s’aider
de questionnaires comme le DETA ou, mieux, l’AUDIT, qui peuvent
être utilisés en autoquestionnaire ou en hétéroquestionnaire par
le médecin. Trois marqueurs biologiques peuvent aider au repérage
d’une alcoolisation chronique, la gamma-glutamyltranférase,
le volume globulaire moyen et la transferrine désialylée.
L A R E V U E D U P R AT I C I E N / 2 0 0 6 : 5 6
RÉFÉRENCES
1. CIM-10. Classification internationale
des maladies. Paris : Masson, 1992.
2. DSM-IV. Manuel diagnostique et
statistique des troubles mentaux.
American Psychiatric Association.
Paris : Masson, 1996.
3. Les conduites d’alcoolisation.
Lecture critique des classifications
et définitions. Quel objectif
thérapeutique ? Pour quel patient ?
Sur quels critères ? Alcool Addict
2001;23:3S-75S.
4. Aubin HJ, Tilikete S, Barrucand D.
Quantification de la consommation
d’alcool. Alcoologie 1999;21:411-5.
5. Aubin HJ, Marra D, Barrucand D.
Modes d’évaluation standardisée de
l’alcoolisme. In : Adès J, Lejoyeux M,
eds. Alcoolisme et psychiatrie.
Paris : Masson, 1997:57-65.
6. Reid MC, Fiellin DA, O’Connor PG.
Hazardous and harmful alcohol
consumption in primary care. Arch
Intern Med 1999;150:1681-9.
7. Yersin B. Les questionnaires de
dépistage en alcoologie. Alcoologie
1999;21;397-401.
8. Reinert DF, Allen JP. The Alcohol
Use Disorders Identification Test
(AUDIT): a review of recent research.
Alcohol Clin Exp Res 2002;26:272-9.
9. Bradley KA, Bush KR, MacDonell
MB, et al. Screening for problem
drinking comparison of CAGE and
AUDIT. Ambulatory Care Quality
Improvement Project (ACQUIP). J
Gen Intern Med 1998;13:379-88.
10. Fiellin DA, Reid MC, O’Connor PG.
Screening for alcohol problems in
primary care: a systemic review.
Arch Intern Med 2000;160:1977-89.
11. Perdrix A, Decrey H, Pecoud A,
Burnand B, Yersin B et le groupe
des praticiens PMU. Dépistage de
l’alcoolisme en cabinet médical :
applicabilité du questionnaire «CAGE»
par le médecin praticien. Schweiz
Med Wochenschr 1995;125:1772-8.
12. Miche JN, Morel F, Gallais JL.
Perception du « risque alcool » et
des comorbidités liées à l’alcoolisation.
Une enquête de l’observatoire de la
médecine générale de la Société
française de médecine générale
(1994-1995). Rev Prat Med Gen
1999;13:1402-8.
13. Ades J, Lejoyeux M. Dépression et
alcoolisme. In : Adès J, Lejoyeux M,
eds. Alcoolisme et psychiatrie.
Paris : Masson, 1997:81-102.
14. Prochaska JO, Diclemente CC,
Norcross JC. In search of how
people change. Applications to
addictive behaviours. Am Psychol
1992;47:1102-14.
15. Daeppen JB, Krieg MA, et al.
MOS-SF-36 in evaluating healthrelated quality of life in alcoholdependent patients. Am J Drug
Alcohol Abuse 1998;24:685-94.
L’auteur n’a pas transmis de
déclaration de conflits d’intérêts.
Alcool: le répertoire
RECOMMANDATIONS, SITES…
www.has-sante.fr
Au menu « publications »/Alcoologieaddictologie
B Conduites d’alcoolisation. Lecture critique des classifications et définitions.
Quel objectif thérapeutique ? Pour quel
patient ? Sur quels critères ? (Recommandations pour la pratique clinique
[RCP] de la Société française d’alcoologie, ayant obtenu le label méthodologique de l’Anaes, 2001).
B Indications de la transplantation hépatique (Conférence de consensus, 2005).
B Orientations diagnostiques et prise en
charge, au décours d’une intoxication
éthylique aiguë, des patients admis aux
urgences des établissements de soins
(RCP, 2001).
B Modalités de l’accompagnement du
sujet alcoolo-dépendant après un sevrage
(Conférence de consensus, 2001).
B Objectifs, indications et modalités du
sevrage du patient alcoolo-dépendant
(Conférence de consensus, 1999).
www.inpes.sante.fr
Au menu « espace
thématique » de l’Institut national de
prévention et d’éducation pour la santé
(Inpes), choisissez « alcool ». Que ce soit
par l’espace grand public, ou professionnels de santé, vous pouvez accéder,
télécharger, imprimer, commander
L A R E V U E D U P R AT I C I E N / 2 0 0 6 : 5 6
gratuitement (fax : 0149332391; courriel: [email protected]) toute les brochures d’information et d’aide à l’arrêt
ou autres affiches de votre choix.
Un conseiller téléphonique de Droguealcool-tabac Info Service répond 24 h
sur 24 (appel anonyme et gratuit) au 113.
Un autre répond aux jeunes sur le Fil
Santé Jeunes : 0 800 235 236.
Les questionnaires AUDIT et FACE sont
disponibles sur commande.
www.drogues.gouv.fr
Le ministère de la Santé met également
à la disposition du grand public le site
de la Mission interministérielle de lutte
contre les dépendances et la toxicomanie (Mildt). Au menu « ce qu’il faut savoir », une rubrique alcool est à la disposition de vos patients; ces derniers peuvent
aussi utiliser le menu « vos questions nos
réponses ». Écoute Alcool répond aux
questions de 14 h à 2 h (coût d’un appel
local), 7 j sur 7 : 0 811 91 30 30.
www.sfalcoologie.asso.fr
La Société française d’alcoologie (SFA)
contribue au développement multidisciplinaire de l’alcoologie, ses travaux
s’intéressent à la prévention, la thérapeutique, l’évaluation, etc. Un support
pédagogique, le Diaporama d’alcoologie
2005, peut être commandé sur le site
(télécharger le bon de commande).
Les documents de référence de la SFA
sont téléchargeables sur la page d’accueil:
B Les mésusages d’alcool en dehors de
la dépendance. Usage à risque — Usage
nocif (SFA 2003).
B Les conduites d’alcoolisation au cours
de la grossesse (Recommandations de
la SFA 2002).
B Les conduites d’alcoolisation. Lecture
critique des classifications et définitions.
Quel objectif thérapeutique ? Pour quel
patient ? Sur quels critères ? (RCP 2001,
label Anaes).
B Modalités de l’accompagnement du
sujet alcoolo-dépendant après un sevrage (Conférence de
consensus 2001, participation Anaes).
B Objectifs, indications et modalités du
sevrage du patient alcoolo-dépendant
(Conférence de consensus 1999, participation Anaes).
En 2005, la DGS et la MILDT se sont
associées aux actions de la SFA.
www.anpaa.asso.fr
L’Association nationale de prévention
en alcoologie et addictologie (Anpaa)
[tél. : 01 42 33 51 04] propose des outils
pédagogiques (au menu « prévention,
comment agir ») sous forme de jeux,
les uns destinés aux enfants, les autres
aux adolescents et aux jeunes adultes.
Ces outils sont validés par la MILDT. Un
forum est ouvert à tous pour discuter
du problème alcool et travail.
(suite, p. 1 080)
1069
monographie
Les buveurs excessifs:
repérage et intervention brève
Les patients trouvent légitime que leur médecin les interroge
sur leur consommation d’alcool. Un repérage précoce des usages
à risque ou nocifs, au cours d’un entretien empathique avec l’aide
éventuelle d’un questionnaire, peut permettre, grâce à la délivrance
d’une intervention brève de 5 à 10 minutes, d’obtenir une réduction
sensible de la consommation dans 10 à 50 % des cas.
Philippe Michaud *
L
a Société française d’alcoologie (SFA) propose de
nommer « mésusage sans dépendance » la situation
des personnes que leur consommation d’alcool met
en danger (consommation à risque), ou chez qui il existe
un dommage (consommation problématique) sans qu’on
retrouve chez eux de dépendance au sens du DSM IV
(Diagnostical and statistical manual of mental disorders) ou
de la CIM 10 (Classification statistique internationale des
maladies et des problèmes de santé connexes). Ce choix
comporte une difficulté linguistique : comment appeler
les personnes dans le « mésusage sans dépendance » ?
Nous avons pris l’habitude, dans le programme « Boire
moins c’est mieux », de les appeler « consommateurs
excessifs » plutôt que « mésuseurs ». Il recèle aussi, insidieusement, un problème conceptuel, car les mots « sans
dépendance » laissent penser qu’à deux critères DSM on
n’est pas encore dépendant, et à trois on le serait devenu.
La dépendance ne s’acquiert pas en un jour comme une
maladie contagieuse ; dans chacune de ses composantes,
comportementale, sociale, psychologique, physique, elle
peut être absente, modérée, sévère, sur un continuum
dont la principale rupture est l’installation de la dépendance physique. Ainsi, même les buveurs sociaux ont des
« habitudes », validées par des bénéfices psychologiques
et sociaux, qui expliquent la difficulté de changement
pour certaines personnes pourtant loin des trois critères
du DSM.
Nous assumons donc ici une légère nuance dans la
terminologie, sans remettre en cause la nécessité de
définir précisément l’objet du présent article, ces situations très nombreuses où le problème principal à régler
n’est pas un trouble du contrôle de la consommation,
mais les conséquences potentielles ou actuelles de
comportements de consommation à des niveaux élevés
et dangereux même s’ils paraissent socialement acceptables.
* Programme « Boire moins, c’est mieux », Association nationale de prévention en alcoologie et addictologie (ANPAA), 3, avenue Gallieni, 92000 Nanterre.
Courriel : [email protected]
1072
L A R E V U E D U P R AT I C I E N / 2 0 0 6 : 5 6
UN RISQUE QUI CONCERNE
TOUS LES SOIGNANTS
Bien qu’il soit aujourd’hui impossible de donner une estimation épidémiologique sérieuse du nombre de consommateurs excessifs en France, les estimations qui sont habituellement retenues, fondées sur des approches
indirectes, parlent d’environ 5 millions de personnes
concernées.
La prévalence extrêmement élevée du phénomène
oblige à responsabiliser l’ensemble du corps sanitaire, et
l’intervention ne peut que reposer sur les acteurs de soins
primaires et de la prévention en population, généralistes,
médecins du travail, centres de santé des assurances sociales, urgentistes, obstétriciens et sages-femmes, etc., y compris les services de l’hôpital quand celui-ci est en première
ligne. Ce sont toutefois les premiers nommés qui sont les
mieux placés pour avoir un effet sur la population : les
médecins généralistes qui, en France, voient 80 % de la
population adulte une fois par an au moins, et les médecins
du travail qui assurent la surveillance sanitaire de
14 millions de salariés. Pour les médecins généralistes,
cette nouvelle tâche entre dans un champ d’activité également nouveau : l’intervention de prévention secondaire
portant sur les comportements dangereux pour la santé.
Elle nécessite de s’intéresser de près aux changements de
comportement, à leurs motivations, à la façon dont ils peuvent se produire spontanément ou après une intervention,
comment celle-ci peut faciliter ou, au contraire, arrêter la
mise en œuvre de ce changement. En somme, cette
réflexion n’est pas spécifique à l’alcool, mais elle peut utilement être mise à profit pour des questions aussi importantes que les régimes, l’activité physique, les comportements
sexuels à risque, l’observance des traitements, etc.
La prévention secondaire doit donc être fermement
placée hors du champ de responsabilité des spécialistes
de l’addiction : la consommation d’un produit comme l’alcool n’a pas la dépendance pour seule complication envisageable, et si, comme on l’a vu en introduction, on peut
concéder qu’il existe une dépendance comportementale
chez les consommateurs excessifs, celle-ci n’implique pas
de dépendance psychique ou physique, ni de traitement à
proprement parler.
LE NÉCESSAIRE DIALOGUE
AVEC LES PATIENTS ET LES OUTILS
QUI LE FACILITENT
Le repérage est rendu nécessaire du fait qu’il existe maintenant un bon niveau de preuves concernant l’efficacité
d’une réponse sanitaire à cette situation de risque : ce qui
est convenu d’appeler les « interventions brèves ». Cellesci peuvent être appliquées dans quasiment toutes les
situations professionnelles du champ sanitaire et social, et
les mettre en œuvre dans sa pratique clinique n’implique
L A R E V U E D U P R AT I C I E N / 2 0 0 6 : 5 6
pas de devenir un spécialiste de l’alcoologie. La stratégie
recommandée par l’Organisation mondiale de la santé
(OMS), développée en France par le programme « Boire
moins c’est mieux »,1 est de permettre aux médecins généralistes, comme à ceux du travail ou de prévention, de
s’approprier la méthode et les outils de l’intervention
brève pour les appliquer auprès des personnes repérées
dans le cadre d’une action d’évaluation du risque aussi
systématique que possible. La biologie est habituellement impuissante à mettre en évidence des consommations inférieures à 6-8 verres par jour,2 et le seul recours
dont dispose le praticien qui souhaite recueillir des informations sur le niveau de risque associé à l’alcool chez ses
patients est donc le dialogue avec eux.
Deux approches peuvent être employées : le questionnement clinique pour établir la consommation déclarée
d’alcool, et les questionnaires standardisés. Dans la première, il s’agit d’acquérir le savoir-faire relationnel pour
interroger précisément les patients afin de chiffrer la
consommation ; dans la seconde, d’utiliser de façon
appropriée des questionnaires mis au point à cet usage.
Des préalables communs existent.
– Il faut se débarrasser du sentiment d’intrusion qui est
habituel chez les soignants, mal à l’aise dès qu’il s’agit de
parler d’alcool, car craignant de donner à croire au patient
qu’on l’accuse d’être « alcoolique ». Il a pourtant été montré que les patients trouvent normal que soit abordé ce
thème en consultation (de médecine générale), et que les
médecins sont jugés légitimes et compétents sur ce sujet.3
De même, interrogés sur l’attitude des médecins sur leur
« maladie », les patients dépendants de l’alcool disent
qu’ils auraient souhaité être aidés à aborder leurs inquiétudes vis-à-vis de l’alcool alors que leur consommation
était encore contrôlable, mais constatent amèrement qu’ils
ont alors eu le plus souvent des soignants qui ne voulaient
rien entendre : la gêne était du côté des médecins.4 Quand
on s’essaie à un repérage systématique, on est étonné de
CE QUI EST NOUVEAU
L Les questionnaires sont les moyens les plus faciles
et les plus efficaces pour mettre en place une stratégie
de repérage des consommations excessives d’alcool.
L L’intervention brève est une activité de prévention secondaire
efficace à l’échelle individuelle et d’un grand effet attendu
sur la santé publique.
L L’intervention brève est efficace du fait de sa forte composante
relationnelle. Elle permet d’adopter dans le conseil des attitudes
professionnelles utiles pour agir sur tous les problèmes
de comportement de santé, notamment l’adaptation
à un problème chronique, un traitement de longue durée,
et tous les facteurs de risque, notamment les consommations.
1073
MALADES DE L’ALCOOL L E S B U V E U R S E XC E S S I F S : R E P É R A G E E T I N T E RV E N T I O N B R È V E
Recueil de la consommation déclarée d’alcool
Si vous en êtes d’accord, nous allons évaluer ensemble la consommation d’une semaine ordinaire, les 7 derniers jours s’ils vous
paraissent représentatifs de vos habitudes :
VERRES/JOUR
LUNDI
MARDI
MERCREDI
Vin
Bière / cidre
JEUDI
VENDREDI
SAMEDI
DIMANCHE
TOTAL
DE LA
SEMAINE
Alcools forts
TOTAL
❚ Un verre standard contient environ 10 g d’alcool pur
❚ Un verre de vin = 10 cL, un verre de bière (5°) = 25 cL,
un verre d’alcool fort (40°) = 3 cL
❚ Pour les consommations évaluées en bouteilles :
— une bouteille de vin (75 cL) = 8 verres standard ;
— une bouteille de 70 cL de whisky (de gin, de vodka…)
= 22 verres standard ;
— une bouteille de pastis (1 L) = 32 verres standard ;
— une canette de bière de 50 cL : de 2 à 4 verres standard
selon le titre alcoolique.
l’absence de malaise du côté du patient, sentiment
confirmé dans une étude française récente où l’avis du
patient était sollicité.5
– La minimisation de la consommation est réelle, mais
c’est aussi le cas dans les études épidémiologiques où les
seuils de risques concernent des verres déclarés, et non
des verres bus.
– Une approche empathique, non jugeante, est la meilleure garantie de la sincérité des réponses et de l’efficacité
de l’intervention qui suivra le repérage.
Cela étant posé, le calcul de la consommation déclarée
d’alcool (v. encadré) repose sur la reconstitution d’une
semaine-type, en demandant d’abord quels sont les
« jours spécifiques », puis en reprenant sur chacun des
jours de la semaine la consommation pas à pas, produit
par produit (vin, bière, alcools forts…). On compte soit en
grammes soit en verres, en postulant que chaque verre
respecte le standard de 10 g d’alcool pur par verre.
L’utilisation de questionnaires est peu familière aux
médecins français. Le plus connu, le questionnaire
CAGE/DETA,6, 7 vise plus le repérage des malades de l’alcool que celui des consommateurs à risque. Il est surtout
intéressant en situation de repérage « de masse » des
sujets dépendants (hôpitaux, prisons). Il est décevant en
médecine générale.8 L’OMS a développé un autoquestionnaire en dix questions, destiné à la salle d’attente,
l’AUDIT (Alcohol use disorders identification test).9 Il est
1074
❚ Avant de remplir le tableau, faire décrire les variations
des consommations dans la semaine, puis détailler
pour chaque type de boissons alcoolisées :
— en consommez-vous ?
— à quelle heure prenez-vous votre premier verre ?
— combien de verres prenez-vous au repas de midi,
au souper, en dehors des repas ?
validé en français (v. encadré p. 1075).10 Il classe les
patients en trois groupes : a. pour un score inférieur à 7
pour les hommes et 6 pour les femmes, abstinents et
consommateurs « à faible risque », qui relèvent d’un
conseil de prévention primaire (« veillez à rester en dessous des seuils de risque ») ; b. au-delà de ces chiffres et
jusqu’à 12 inclus, les consommateurs excessifs, qui relèvent de l’intervention brève ; c. au-dessus du score de 12,
les sujets dépendants, chez qui une prise en charge plus
longue et complexe est nécessaire. Présentant d’excellentes valeurs informationnelles et d’un coût quasi nul, très
supérieur en cela à la biologie, il a pour intérêt principal
de déboucher immédiatement sur une conduite à tenir.
Son principal défaut est d’être peu généralisable en l’absence d’un(e) assistant(e) veillant à sa distribution aux
patients pendant leur temps d’attente, mais il garde toute
sa place dans les lieux où les tâches ne reposent pas sur le
seul médecin, comme en médecine du travail, dans les
centres de santé ou dans les hôpitaux.
Un autre outil, le questionnaire FACE (Formule pour
approcher la consommation d’alcool ou Fast alcohol
consumption evaluation, [v. encadré p. 1076]), créé à la
demande des médecins généralistes, est maintenant disponible; il a les mêmes qualités que l’AUDIT (sensibilité, spécificité, coût) mais a été construit et validé en français pour
être utilisé en face-à-face.11 Une étude comparant l’acceptabilité de son utilisation en pratique quotidienne à celle de
L A R E V U E D U P R AT I C I E N / 2 0 0 6 : 5 6
Le questionnaire AUDIT
Les valeurs attribuées à chaque réponse figurent ici sur la première ligne � � � � � . Elles ne sont pas inscrites sur les
autoquestionnaires distribués. Le score à l’AUDIT est la somme des réponses à chaque ligne.
Madame, Monsieur
Ce questionnaire permet d'évaluer par vous-même votre consommation d’alcool. Merci de le remplir en cochant une réponse par
ligne. Si vous ne prenez jamais d’alcool, ne répondez qu’à la première question. Les questions portent sur les 12 derniers mois.
UN VERRE STANDARD REPRÉSENTE UNE DE CES BOISSONS :
7 cL
d’apéritif
à 18°
2,5 cL
de digestif
à 45°
10 cL
de champagne
à 12°
�
25 cL
de cidre « sec »
à 5°
�
2,5 cL
de whisky
à 45°
2,5 cL
de pastis
à 45°
25 cL
de bière
à 5°
�
10 cL
de vin rouge
ou blanc
à 12°
�
�
1. À quelle fréquence vous arrive-t-il de consommer des boissons contenant de l’alcool ?
jamais ❑
1 fois par mois ou moins ❑
2 à 4 fois par mois ❑
2 à 3 fois par semaine ❑ 4 fois ou plus par semaine ❑
2. Combien de verres standard buvez-vous au cours d’une journée ordinaire où vous buvez de l’alcool ?
1 ou 2 ❑
3 ou 4 ❑
5 ou 6 ❑
7à9❑
10 ou plus ❑
3. Au cours d’une même occasion, à quelle fréquence vous arrive-t-il de boire six verres standard ou plus ?
jamais ❑
moins de 1 fois par mois ❑
1 fois par mois ❑
1 fois par semaine ❑ chaque jour ou presque ❑
4. Dans les 12 derniers mois, à quelle fréquence avez-vous observé que vous n’étiez plus capable de vous arrêter de boire après avoir
commencé ?
jamais ❑
moins de 1 fois par mois ❑
1 fois par mois ❑
1 fois par semaine ❑ chaque jour ou presque ❑
5. Dans les 12 derniers mois, à quelle fréquence le fait d’avoir bu de l’alcool vous a-t-il empêché de faire ce qu’on attendait normalement
de vous ?
jamais ❑
moins de 1 fois par mois ❑
1 fois par mois ❑
1 fois par semaine ❑ chaque jour ou presque ❑
6. Dans les 12 derniers mois, à quelle fréquence, après une période de forte consommation, avez-vous dû boire de l’alcool dès le matin
pour vous remettre en forme ?
jamais ❑
moins de 1 fois par mois ❑
1 fois par mois ❑
1 fois par semaine ❑ chaque jour ou presque ❑
7. Dans les 12 derniers mois, à quelle fréquence avez-vous eu un sentiment de culpabilité ou de regret après avoir bu ?
jamais ❑
moins de 1 fois par mois ❑
1 fois par mois ❑
1 fois par semaine ❑ chaque jour ou presque ❑
8. Dans les 12 derniers mois, à quelle fréquence avez-vous été incapable de vous souvenir de ce qui s’était passé la nuit précédente
parce que vous aviez bu ?
jamais ❑
moins de 1 fois par mois ❑
1 fois par mois ❑
1 fois par semaine ❑ chaque jour ou presque ❑
9. Vous êtes-vous blessé(e) ou avez-vous blessé quelqu’un parce que vous aviez bu ?
non ❑
oui mais pas dans les 12 derniers mois ❑
oui au cours des 12 derniers mois ❑
10. Est-ce qu’un ami ou un médecin ou un autre professionnel de santé s’est déjà préoccupé de votre consommation d’alcool et vous a
conseillé de la diminuer ?
non ❑
Votre sexe :
homme ❑
L A R E V U E D U P R AT I C I E N / 2 0 0 6 : 5 6
oui mais pas dans les 12 derniers mois ❑
femme ❑
oui au cours des 12 derniers mois ❑
SCORE
❑
1075
MALADES DE L’ALCOOL L E S B U V E U R S E XC E S S I F S : R E P É R A G E E T I N T E RV E N T I O N B R È V E
Le questionnaire FACE
FACE ET SA COTATION
SCORE
❚ À quelle fréquence consommez-vous des boissons contenant de l’alcool ?
Jamais = �
1 fois par mois ou moins = �
2 à 3 fois par semaine = �
4 fois par semaine ou plus = �
2 à 4 fois par mois = �
❚ Combien de verres standard buvez-vous, les jours où vous buvez de l’alcool ?
« 1 ou 2 » = �
« 3 ou 4 » = �
« 5 ou 6 » = �
«7à9»=�
« 10 ou plus » = �
❚ Votre entourage vous a-t-il fait des remarques concernant votre consommation d’alcool ?
Non = �
Oui = �
❚ Vous est-il arrivé de consommer de l’alcool le matin pour vous sentir en forme ?
Non = �
Oui = �
❚ Vous est-il arrivé de boire et de ne plus vous souvenir le matin de ce que vous avez pu dire ou faire ?
Non = �
Oui = �
TOTAL :
VALEUR PRÉDICTIVE
POSITIVE (%)
VALEUR PRÉDICTIVE
NÉGATIVE (%)
74
43,4
96,4
84,4
84
35,5
98,1
75
95,8
55,1
98,2
SEUIL
SENSIBILITÉ (%)
Buveurs excessifs
hommes
4
87,8
Buveurs excessifs
femmes
3
Dépendance ou abus
8
SPÉCIFICITÉ (%)
INTERPRÉTATION DU QUESTIONNAIRE FACE
Hommes :
score inférieur à 5 = risque faible ou nul
score de 5 à 8 = consommation excessive probable
score supérieur à 8 = dépendance probable
l’AUDIT a montré les nettes préférences des médecins
généralistes et des patients pour le FACE.5
L’un et l’autre trouvent cependant leurs limites à l’adolescence et chez les personnes âgées. Chez les jeunes, en
effet, les comportements de consommation associent souvent plusieurs produits, mais leur caractère problématique ou non doit tenir compte du contexte psychologique de l’adolescence. L’évaluation du sens du
comportement doit s’ajouter à l’évaluation du risque, pour
ne pas passer à côté des troubles psychiques et comportementaux graves qui peuvent émerger à cet âge de la vie.
Une approche évaluative mise en place depuis une
dizaine d’années au Québec utilise une grille de dépistage
qui porte sur l’ensemble des substances psychoactives
(Dépistage de consommation problématique d’alcool et
de drogues chez les adolescents, DEP-ADO).12 Cette grille
cherche à caractériser trois niveaux de risques qui justifient trois attitudes : « feu vert », pas d’intervention ; « feu
1076
Femmes :
score inférieur à 4 = risque faible ou nul
score de 4 à 8 = consommation excessive probable
score supérieur à 8 = dépendance probable
jaune », intervention brève de conseil par les intervenants
de premier recours ; « feu rouge », intervention de soins
faisant appel aux ressources d’aide spécialisée.
On ignore actuellement la fréquence des troubles liés à
l’alcool chez les personnes âgées. Rien ne laisse penser
que l’alcoolo-dépendance, ni les dommages dus à l’alcool,
disparaissent après 65 ans ; au contraire, l’alcool peut à cet
âge perturber l’état clinique même si la consommation est
inférieure aux seuils de risque habituellement diffusés : en
fonction des pathologies ou de leurs traitements, de petites quantités d’alcool peuvent provoquer des troubles qui
n’apparaîtraient pas chez des personnes plus jeunes.13
Pour les personnes âgées, l’AUDIT reste ce jour le seul
outil validé en français, mais notre programme réalise
actuellement l’adaptation française d’un questionnaire
américain, l’ARPS (Alcohol-related problem survey) 14 justement conçu pour tenir compte du contexte dans l’évaluation du risque alcool.
L A R E V U E D U P R AT I C I E N / 2 0 0 6 : 5 6
Au total, la principale question autour du repérage des
consommateurs excessifs est celle de la stratégie : le repérage des consommations dangereuses ne devrait exclure
personne, mais être organisé pour être faisable, acceptable
tant par le médecin que par le patient, si possible peu
coûteux, et utile. Des outils passés en revue ci-dessus, il est
facile de déconseiller la biologie : coûteuse et peu sensible ; parmi les questionnaires disponibles, l’AUDIT et le
FACE sont les plus aisément généralisables chez les
patients de 18 à 65 ans, aussi bien en médecine de soins
qu’en médecine de prévention. Dans les populations spécifiques que sont les jeunes et les personnes âgées, la
DEP-ADO et l’ARPS sont les plus prometteurs, mais on
manque de recul pour une utilisation rationnelle en
France, bien établie en Amérique du Nord.
L’essentiel de la stratégie consiste à ne laisser personne
en dehors de l’évaluation du risque : quelle que soit la
méthode de repérage, parler d’alcool « avec chaque
patient » ne signifie pas « à chaque consultation », mais
une fois par an ou tous les deux ans, pour tenir compte du
potentiel évolutif de tout comportement.
QUELLE FORME DONNER
À UNE INTERVENTION AUPRÈS
D’UN CONSOMMATEUR À RISQUE ?
En effet, les comportements évoluent sous l’influence de
facteurs nombreux parmi lesquels l’environnement joue
un rôle important. Et sur le plan des comportements de
santé, les soignants en général, les médecins en particulier,
jouent un rôle fondamental. Cela ne signifie pas qu’un
conseil médical suffise dans tous les cas, mais il est montré
que la qualité de la relation entre la personne conseillée et
l’intervenant peut compter beaucoup plus que l’intensité
de l’intervention (sa durée, sa fréquence, la coercition qui
peut l’accompagner). Pour cela, il faut que celui-ci ait
cependant une claire conscience des éléments qui peuvent expliquer un changement de comportement, et des
éléments qui le favorisent :
– plus l’intervention est tardive, plus la dépendance comportementale est forte, et la dépendance psychique s’installe progressivement, avant même que les critères
DSM-IV permettent de considérer un patient comme
« dépendant » ;
– plus les dommages – réels ou potentiels – sont repérables, mieux ils seront pris en compte ;
– plus le comportement est en contradiction avec les
valeurs propres du sujet, plus il aura le désir de le modifier;
– plus le sujet a de place dans le dialogue pour exprimer
ses préoccupations, moins il résiste aux conseils délivrés ;
– quand les solutions proviennent du sujet, elles sont plus
faciles à réaliser ;
– si l’intervenant n’exprime pas de jugement et ne tente
pas d’imposer ses solutions, les attitudes de résistance
tombent le plus souvent immédiatement.
L A R E V U E D U P R AT I C I E N / 2 0 0 6 : 5 6
Une intervention de conseil en matière de comportement de santé (pas seulement pour les consommateurs
excessifs) doit donc prendre la forme d’une « collaboration entre experts »,15 le patient restant l’expert de sa propre vie. L’empathie, capacité de repérer les modes de penser du patient et de les utiliser pour raisonner avec lui, est
ici le maître mot.
Pour intervenir efficacement, il est inutile d’attendre les
dommages, car si un patient en situation de risque l’apprend souvent du fait du médecin, il n’a pas pour autant
de difficultés à se représenter les dommages qu’une
consommation excessive peut provoquer : même si la
dépendance vient en premier dans les représentations, les
retentissements médicaux et sociaux sont bien connus du
grand public.7 Une « intervention brève » peut l’être de
façon extrême (on parle alors de conseil minimal) ou être
développée sur 5 à 20 minutes (cas le plus fréquent dans
les études, en médecine générale) ou sur plusieurs sessions (dans des situations ou auprès de populations particulières). Notre programme a développé, en collaboration
avec l’Institut national de prévention et d’éducation pour
la santé (Inpes), une forme d’intervention adaptée aux
conditions de la médecine générale en France, de durée
relativement brève (5 à 10 min), qui reprend les trois éléments utiles dans toute intervention brève : information,
approche motivationnelle, conseils pour mener le changement de comportement.16 Les formations au repérage précoce et à l’intervention brève (RPIB) visent en premier
lieu l’acquisition du savoir-faire pour le repérage par le
questionnaire FACE ; pour l’intervention brève, elle s’appuie sur un contenu type (à la fois informatif, comportemental et motivationnel)16 et sur deux livrets informatifs
(que l’Inpes* met gratuitement à la disposition des médecins qui lui en font la demande). Les jeux de rôle sont au
centre de la première session, afin de donner aux médecins formés, au-delà des arguments de santé publique qui
ne les impressionnent guère, l’occasion de percevoir l’intérêt pour leur relation avec leurs propres patients, l’absence de réticence lors d’une intervention réussie et le
caractère bref à la fois du repérage et de l’intervention ;
lors de la seconde session, les restitutions de leur expérience « dans la vraie vie », qu’ils partagent alors, confirment que, même avec leurs vrais patients, une telle intervention dure effectivement 5 à 10 minutes, et qu’elle est
quasi unanimement bien reçue.
Dans d’autres conditions ou auprès d’autres populations, le contenu doit être adapté. Chez les adolescents,
plusieurs modalités d’intervention, sur une ou plusieurs
séances, utilisant le face-à-face, le feedback écrit et/ou le
téléphone ont été utilisées avec succès aux États-Unis ;
elles avaient pour point commun de respecter une approche motivationnelle respectant l’attitude « centrée sur le
sujet ».17
* [email protected]
1077
MALADES DE L’ALCOOL L E S B U V E U R S E XC E S S I F S : R E P É R A G E E T I N T E RV E N T I O N B R È V E
P O U R L A P R AT I Q U E
L Faire le point avec chacun de ses patients sur sa consommation
d’alcool au moins une fois tous les deux ans, sans tenir
compte des stéréotypes, dans les moments où il est le plus
naturel de le faire (à l’occasion d’une prescription, d’un bilan,
d’une anamnèse, etc.) [le grand public trouve normal de parler
d’alcool au cabinet du médecin généraliste].
L Se former au repérage précoce et à l’intervention brève.
L’Association nationale de prévention en alcoologie
et addictologie ([email protected]), en partenariat avec
les organismes de formation médicale continue, peut répondre
aux demandes en ce sens.
L La biologie n’est d’aucun secours pour le repérage
des consommations excessives, car trop peu sensible.
L Chez les adultes, deux questionnaires sont facilement
utilisables, AUDIT et FACE. Validés en français, ils disposent
tous deux d’excellentes qualités psychométriques (sensibilité
et spécificité); AUDIT est un autoquestionnaire à remplir
en salle d’attente, plus facile d’usage quand le consultant peut
déléguer sa distribution; FACE est un questionnaire à inclure
dans l’entretien médical, court (5 questions et une minute),
et particulièrement acceptable dans la routine médicale.
Ils sont disponibles auprès de l’Anpaa et de l’Inpes.
L Chez les jeunes et les seniors, une approche spécifique
est souhaitable, pour tenir compte des risques particuliers;
des outils disponibles en Amérique du Nord sont en cours
de validation en français. Dans l’attente, AUDIT et FACE peuvent
être utilisés.
L Une intervention brève réussie a un style relationnel (empathique
et non jugeant) et trois composantes: information, motivation,
et conseil comportemental. Sa réalisation prend 5 à 10 minutes.
Elle est suivie d’un effet positif du point de vue de la réduction
de la consommation en dessous des seuils de risque une fois
sur 10 à une fois sur 2.
QUELLE EST L’EFFICACITÉ
D’UNE INTERVENTION BRÈVE EN MATIÈRE
DE CHANGEMENT DE COMPORTEMENT ?
À ce jour, une seule étude française a cherché à évaluer cet
effet, et elle a montré un succès presque paradoxal, la moitié des patients repérés ayant réduit leur consommation à
un an au-dessous des objectifs (4 verres/jour), dans le
groupe repérage avec conseil comme dans le groupe repérage seul.18 Cela montre que l’activité de repérage (dans
cette étude, l’évaluation de la consommation déclarée
d’alcool) est en soit une intervention, ce qu’on relève également dans les groupes témoins de nombreuses études.
Une étude en médecine du travail est en cours, mais les
résultats n’en seront connus que courant 2006. On trouve
1078
cependant dans les publications internationales une très
forte conviction sur l’utilité des interventions brèves, qui
sont classées comme les interventions les plus utiles dans
le champ de l’alcoologie par plusieurs expertises internationales, du fait de leur efficacité, de leur faible coût et de
l’impact attendu sur la santé publique.19, 20
VERS UNE GÉNÉRALISATION ?
L’approche de l’intervention précoce auprès des
consommateurs excessifs d’alcool s’appuie sur un bouleversement des concepts sur les phénomènes liés à la
consommation d’alcool. La seconde moitié du XXe siècle
a été, en effet, dominée par le modèle médical de « l’alcoolisme », une maladie dont il convenait d’établir les
mécanismes et le traitement. Aujourd’hui, une gestion
raisonnée des risques liés à l’usage de l’alcool dans la
société doit prendre en compte la diversité des conséquences, leur inégale distribution chez les buveurs en
fonction de facteurs multiples de fragilité ou de protection, mais aussi en fonction des caractéristiques de
l’« exposition au toxique », de l’histoire des sujets et des
évolutions dans leur environnement. Certains consommateurs excessifs, et même certains patients dépendants
de l’alcool arrêtent leur comportement dangereux ou
problématique sans intervention : ce phénomène a longtemps été ignoré, il existe pourtant et il est vraisemblablement possible de le renforcer.21 D’autres personnes
changent immédiatement après une intervention brève,
qu’elle soit délivrée par un médecin, une infirmière, un
conseiller téléphonique de Drogue-alcool-tabac Info
Service (DATIS) [tél : 113] ou d’autres professionnels :
c’est le cas chez les consommateurs excessifs, suffisamment souvent pour qu’il soit envisagé une intervention
auprès de tous, ce qui implique une stratégie de repérage
partout où elle est envisageable, en priorité à nos yeux en
médecine générale, dans les consultations pour les femmes enceintes, en médecine du travail, dans les consultations de prévention (centres d’examen de santé de
l’Assurance maladie, p. ex.), aux urgences et chez les personnes hospitalisées ; certaines interventions ont un effet
différé, d’autres aucun effet.
Parmi les patients qui continuent de boire de façon
dangereuse, certains réagiront à une deuxième intervention, d’autres ne changeront rien, d’autres aggraveront le
risque jusqu’à changer de statut et devenir malades de l’alcool, sous la forme d’une dépendance et/ou d’une alcoolopathie somatique, qui chacune nécessitera un traitement
adapté. Plus le corps médical aborde systématiquement la
question de l’alcool, plus il est probable de voir infléchir le
parcours d’un patient vers une diminution du risque. La
graduation dans les difficultés à changer son comportement implique une graduation dans les réponses. Les spécialistes de l’alcool gardent leurs responsabilités spécifiques, notamment celle de répondre aux situations
L A R E V U E D U P R AT I C I E N / 2 0 0 6 : 5 6
décelées par les intervenants de première ligne et échappant à leur capacité de prise en charge, et celle de travailler
assidûment aux changements des représentations. Les
autorités sanitaires, quant à elles, doivent veiller à renforcer le dispositif de soins en alcoologie, car toute stratégie
de repérage des consommateurs excessifs d’alcool met
aussi au jour des situations de dépendance avérée.
Ce caractère systématique d’une stratégie doit prendre
en compte la nécessaire correction des inégalités sociales
et régionales devant la santé. Là encore, il y a lieu de penser que la précocité de l’intervention individuelle et son
accompagnement par un travail de changement des
représentations parmi les groupes humains concernés par
un excès de risque, pourraient jouer un rôle important.
CONCLUSION
Il nous paraît utile de souligner que, si la fréquence des
problèmes de santé dus à l’alcool justifie une attitude spécifique vis-à-vis de ce produit, la capacité acquise par les
médecins familiarisés avec les interventions brèves sur
l’alcool leur sert également à aider leurs patients dans tout
changement de comportement : suivre un régime, un traitement chronique, reprendre une activité physique, cesser
de fumer, tout cela nécessite pour le patient de s’appuyer
sur de l’information, des ressources propres (des motivations personnelles) et des savoir-faire. Les médecins
savent le poids de certains facteurs de risque sur la mortalité : surpoids, diabète, hypertension artérielle, hypercholestérolémie, sédentarité, tabac, alcool… toute amélio-
Prévalence des facteurs de risque
dans la population américaine
PRÉVALENCE ESTIMÉE
NOMBRE
POPULATION
DE FACTEURS DANS LA
ADULTE
DE RISQUE* DES ÉTAS-UNIS
(%)**
0
INTERVALLE
DE CONFIANCE
À 95 %
9,7
9,3-10,1
1
32,6
31,9-33,2
2
40,7
40-41,4
3
14
13,5-14,5
4
3
2,8-3,2
Tableau D’après la réf. 22. * Parmi les facteurs suivants :
tabagisme ; surpoids ; sédentarité ; consommation dangereuse
d’alcool (définie ici par plus de 14 verres par semaine). ** Âgée
de plus de 18 ans.
ration de ces facteurs de risque, d’ailleurs souvent regroupés (v. tableau),22 passe par un changement de comportement et éventuellement un traitement chronique dont
l’observance est problématique. Une tendance actuelle de
la médecine de prévention est de réfléchir à des approches moins spécifiques par produit ou problème, mais
plus génériques, sur les moyens du changement.23 Nul
doute que, dans l’avenir, les aspects relationnels de la
médecine ne redeviennent un des enjeux majeurs de la
santé publique, au moins dans les pays où les besoins élémentaires sont satisfaits.
B
L’auteur déclare n’avoir aucun conflit d’intérêts concernant les données publiées dans cet article.
SUMMARY Early detection and brief intervention to reduce excessive drinking
The high frequency of excessive drinking among populations of western countries justifies screening strategies by primary health care givers. The
intervention following the identification of a problem drinker should be adjusted according to the nature and level of alcohol-related risk or harm. A
non-judgmental and benevolent dialogue about alcohol consumption is to be carried out with every patient, for in most cases this is enough to identify
anyone concerned by at-risk or harmful drinking and to assess any consequences and dependence levels. Standardized questionnaires have been
conceived and validated to encourage practitioners to carry out this type of interview, taking into account two contradictory needs: a systematic
approach of the screening and the need for rapidity. In the same objective, among all sorts of ”brief interventions” the efficient ones have been
adapted to target populations and to be acceptable to the clinicians’ point of view. These tools have been conceived to help excessive drinkers reduce
their alcohol consumptions, but they can be a model for a more general approach to secondary prevention, considering all risk factors, not only
hazardous behaviour to health.
Rev Prat 2006 ; 56 : 1072-80
RÉSUMÉ Les buveurs excessifs : repérage et intervention brève
La fréquence de la consommation excessive d’alcool dans l’ensemble de la société justifie son repérage systématique au niveau des soins primaires.
L’intervention qui découle de tout acte de repérage est différente selon le niveau et la nature du risque ou du dommage déjà présent. Un dialogue
bienveillant et dépourvu de tout jugement au sujet de la consommation d’alcool doit être établi avec chaque patient, car il permet dans l’immense
majorité des cas d’identifier les consommateurs excessifs, puis d’évaluer avec eux les éventuelles répercussions et le niveau de dépendance.
Des questionnaires standardisés ont été conçus pour favoriser l’ouverture de ce dialogue, en tenant compte de nécessités contradictoires : caractère
systématique de la stratégie de repérage, besoin d’être économe en temps. De même, parmi toutes les variantes possibles de l’« intervention brève »,
il y a lieu de choisir celles qui sont à la fois efficaces (car adaptées aux populations cibles) et insérables dans les pratiques professionnelles des
cliniciens. Ces outils sont actuellement spécifiquement conçus pour l’identification et l’accompagnement des buveurs excessifs vers une réduction
de la consommation d’alcool, mais ils peuvent servir de modèle pour une approche généralisée de la prévention secondaire de l’ensemble des facteurs
de risque, au-delà même des comportements de santé.
L A R E V U E D U P R AT I C I E N / 2 0 0 6 : 5 6
1079
MALADES DE L’ALCOOL L E S B U V E U R S E XC E S S I F S : R E P É R A G E E T I N T E RV E N T I O N B R È V E
RÉFÉRENCES
1. Michaud P. Boire moins c’est mieux,
un programme de l’OMS en direction
des médecins généralistes. Alcool
Sante 2001;237:4-15.
2. Aertgeerts B, Buntinx F, Ansoms S,
Fevery J. Screening properties of
questionnaires and laboratory tests
for the detection of alcohol abuse
or dependence in a general practice
population. Br J Gen Pract
2001;51:172-3.
3. Michaud P, Fouilland P, Grémy I,
Klein P. Alcool, tabac, drogue, le
public fait confiance aux médecins.
Rev Prat Med Gen 2004;17:605-8.
4. ANPA (Association nationale
7. Rueff B. Alcoologie Clinique. Paris :
Médecine-sciences/Flammarion,
1988.
8. Huas D, Darné B, Rueff B,
Lombrail P, et al. « Malades
alcooliques » et consultations de
médecine générale: prévalence et
détection. 1/4 des hommes adultes
consultant en médecine générale.
Rev Prat Med Gen 1990;81:45-9.
9. Saunders JB, Aasland O, Babor TF,
De La Fuente JR, Grant M.
Development of the Alcohol Use
Disorders Identification Test
(AUDIT): WHO collaborative project
on early detection of persons with
harmful alcohol consumption.
Addiction 1993;88:791-804.
de prévention de l’alcoolisme).
Alcooliques qu’attendez-vous de
nous ? Alcool Sante 1999;231:6-16.
5. Dewost AV, Dor B, Orban T,
Rieder A, Gache P, Michaud P.
Choisir un questionnaire pour
évaluer le risque alcool de ses
patients. Acceptabilité des
questionnaires FACE, AUDIT, AUDIT
intégré dans un questionnaire de
santé en médecine générale
(France, Belgique, Suisse). Rev Prat
Med Gen 2006;20:321-6.
6. Mayfield DG. The CAGE
questionnaire : validation of a new
alcoholism screening instrument.
Am J Psychiatry 1974;131:1121-3.
10. Gache P, Michaud P, Landry U,
et al. The Alcohol Use Disorder
Identification Test (AUDIT) as a
screening tool for excessive
drinking in primary health care:
reliability and validity of a French
version. Alcohol Clin Exp Res
2005;29:2001-7.
11. Arfaoui S. Construction d’un
questionnaire court de repérage
des consommations problématiques
d’alcool en médecine générale : le
questionnaire FACE. Thèse pour le
doctorat de médecine, 2002, faculté
de médecine Necker-Enfants
malades, Paris. http://www.urml-
idf.org/urml/mach2003/Theses/A
RFAOUI.pdf
12. Landry M, Tremblay J, Guyon L,
Bergeron J, Brunelle N. La grille de
dépistage de la consommation
problématique d’alcool et de
drogues chez les adolescents et les
adolescentes (DEP-ADO) :
développement et qualités
psychométriques. Drogues Sante
Societe 2004;3:20-37.
13. Fink A. Hays RD, Moore AA,
Beck JC. Alcohol-related problems
in older persons: determinants,
consequences and screening. Arch
Intern Med 1996;156:1150-6.
14. Fink A, Morton SC, Beck JC, et al.
The alcohol-related problems
survey: identifying hazardous and
harmful drinking in older primary
care patients. J Am Geriatr Soc
2002;50:1717-22.
15. Miller WR, Rollnick S. Motivational
interviewing, preparing people for
change. New York: Gilford press, 2002.
16. Michaud P, Gache P, Batel P,
Arwidson P. Intervention brève
auprès des consommateurs
excessifs. Rev Prat Med Gen
2003;17:282-9.
17. Chossis I. Entretien motivationnel
avec les adolescents. Med Hygiene
2004;62:2230-4.
18. Huas D, Pessione F, Bouix JC,
Demeaux JL, Allemand H, Rueff B.
Efficacité à un an d’une intervention
brève auprès des consommateurs à
problèmes. Rev Prat Med Gen
2002;16:1443-8.
19. Babor T, Caetano S, Caswell S,
et al. Alcohol: no ordinary
commodity – research and public
policy. Oxford (Royaume-Uni):
Oxford university press, 2003.
20.INSERM expertise collective (2003).
Alcool : dommages sociaux, abus et
dépendance. Paris : Les éditions
Inserm, 2003:301-16.
21. Klingemann HKH, Sobell L, Barker J,
et al. Promoting self-change from
problem substance use - Practical
implications for policy, prevention
and treatment. Dordrecht (PaysBas): Kluwer Academic Publishers,
2001.
22. Fine LJ, Philogene G S, Gramling R,
Coups EJ, Shiva S. Prevalence of
multiple chronic disease risk
factors. 2001 National health survey.
Am J Prev Med 2004;27:18-24.
23. Pronk NP, Peek CJ, Glodstein MG.
Addressing multiple behavioural
risk factors in primary care- A
synthesis of current knowledge and
stakeholder dialogue sessions. Am J
Prev Med 2004;27:4-17.
Alcool: le répertoire
(suite de la p. 1 069)
ASSOCIATIONS, SITES…
www.hcsp.ensp.fr
Sur le site du Haut Comité pour la
Santé publique (HCSP), vous pouvez
faire une recherche par mot-clé : cliquer sur « rechercher » puis dans
« recherche par mots-clé » choisissez
« abus alcool ». Vous pourrez alors lire
différents documents relatifs à ce
thème.
www.alcoweb.com
Le site alcoweb répertorie les
sociétés (SFA, Anpaa, HCSP,
CFES, v. supra) ou associations implantées en France :
● Alcooliques anonymes (v.
infra) ;
1080
● Croix Bleue (tél. : 01 48 74 85 22/
01 42 85 30 74)
http://membres.lycos.fr/croixbleue ;
● Croix d’or (tél. : 01 47 70 34 18)
http://perso.wanadoo.fr/croixdoridf/
croixdoridf ;
● Fédération française interprofessionnelle pour le traitement et la prévention de l’alcoolisme et autres toxicomanies (FITPAT) [tél.: 0144790563];
● Fédération nationale Joie et Santé
(tél. : 01 43 36 83 99) ;
● Vie Libre (tél. : 01 47 39 40 80)
http://perso.wanadoo.fr/vie.libre
www.alcooliques-anonymes.fr
Le mouvement français des Alcooliques anonymes (AA) assure au
0820 32 68 83 une permanence télé-
phonique. Il est bien connu de tous, et
depuis longtemps, pour ses méthodes
de prise en charge, ses groupes de
parole, etc. Depuis quelques
années, de nouveaux groupes ont
été créés pour aider l’entourage
(groupe Alanon), et les enfants
adolescents (groupe Alaten) de la personne dépendante à l’alcool.
Sur le site Internet, vous trouverez toutes les informations pratiques nécessaires à vos patients, date et lieu des
rencontres, coordonnées : cliquez sur
« les groupes AA », tapez le numéros
de votre département ou le nom de
votre ville et vous saurez tout sur les
activités des AA de votre région… il y a
même des english speaking groups.
(suite, p. 1 113)
L A R E V U E D U P R AT I C I E N / 2 0 0 6 : 5 6
®
monographie
Alcool et comorbidité
psychiatrique
Anxiété, dépression et troubles de la personnalité sont fréquemment
associés à l’alcoolo-dépendance. Dépression et anxiété sont le plus
souvent secondaires, d’où l’inefficacité des antidépresseurs
ou des benzodiazépines au long cours si l’alcoolisation persiste.
Plus rarement, l’alcoolisation est secondaire à une dépression
chez la femme, à un accès maniaque ou encore à une phobie sociale.
Michel Lejoyeux, Matei Marinescu *
L
es conduites alcooliques sont souvent associées à des
troubles psychiatriques ; les plus fréquents sont la
dépression, l’anxiété et les troubles de la personnalité.
Le repérage de ces troubles psychiatriques revêt une
grande importance pour la prise en charge des patients.
L’association d’un trouble psychiatrique peut, dans certains cas, modifier les modalités du traitement et aussi
l’évolution de la conduite de dépendance. Elle impose
une prise en charge intégrée et simultanée des pathologies psychiatriques et de la dépendance à l’alcool.
Les conduites alcooliques sont aussi présentes chez les
patients ayant une schizophrénie ou un délire chronique.
Le comportement d’alcoolisation a pu être décrit comme
une recherche d’un « réchauffement émotionnel » chez les
patients ayant un sentiment douloureux de « déconnexion » avec leur environnement. Dans d’autres cas, le
trouble psychotique apparaît secondaire aux conduites
alcooliques. Il s’agit alors de « psychoses alcooliques »
comportant une importante note hallucinatoire.
CE QUI EST NOUVEAU
L Les études pharmacologiques récentes ont confirmé l’inefficacité
des antidépresseurs en tant que traitement de l’envie de boire
après sevrage. Les antidépresseurs ont également fait la preuve
de leur inefficacité chez les patients continuant à s’alcooliser.
L L’effet anxiolytique et désinhibiteur de l’alcool chez les phobiques
sociaux tient davantage de l’effet placebo (suggestion et attentes
du patient) que d’un effet objectif. En pratique, les phobiques
consommant de l’alcool voient leurs symptômes anxieux
s’aggraver.
L Les dimensions de personnalité exposant le plus régulièrement
aux conduites alcooliques sont l’impulsivité, la désinhibition,
l’intolérance à l’ennui. Ces dimensions de personnalité
apparaissent d’autant plus déterminantes qu’elles se retrouvent
chez l’homme et chez les patients ayant un niveau élevé de
résistance à l’alcool.
* Service de psychiatrie, hôpital Bichat-Claude Bernard, 75018 Paris. Courriel : [email protected] ; [email protected]
L A R E V U E D U P R AT I C I E N / 2 0 0 6 : 5 6
1081
MALADES DE L’ALCOOL C O M O R B I D I T É S P SYC H I AT R I Q U E S
TROUBLES PSYCHIATRIQUES PRIMAIRES
OU SECONDAIRES ?
De nombreuses approches psychanalytiques ou psychopathologiques « classiques » ont envisagé l’alcoolo-dépendance comme l’autotraitement d’un état anxieux ou d’une
tension existentielle. L’alcool a pu être considéré comme
un mode de réduction des tensions, un moyen de lutte
contre un sentiment de dépression, une sorte d’« euphorisant sauvage » auquel auraient recours les patients dépendants. Les travaux épidémiologiques récents ne confortent pas l’hypothèse selon laquelle les conduites
alcooliques seraient le plus souvent secondaires à un état
anxieux ou dépressif. Les études prospectives1 remettent
en question la notion d’alcoolisme secondaire. Elles suggèrent :
– que les symptômes psychiatriques isolés (symptômes
d’anxiété ou de dépression) sont plus fréquents chez les
alcooliques que les troubles psychiatriques caractérisés.
Ces symptômes psychiatriques sont davantage des indices
d’une alcoolisation pathologique que des signes d’un
trouble psychiatrique « primaire » qu’il faudrait traiter
pour « éradiquer » la cause de l’alcoolisme ;
– les troubles psychiatriques, même caractérisés, disparaissent dans 90 % des cas après un mois de sevrage d’alcool complet et effectif. Cette observation a été démontrée pour la dépression ainsi que pour la plupart des
troubles anxieux.
La classification américaine du DSM (Diagnostic and
statistical manual of mental disorders) a individualisé parmi
les troubles psychiatriques secondaires à la dépendance
alcoolique2 les troubles de l’humeur et les troubles
anxieux induits par l’alcool. Il s’agit d’états anxieux ou
Critères diagnostiques des troubles
de l’humeur induits par une consommation
pathologique d’alcool
UNE PERTURBATION DE L’HUMEUR EST AU PREMIER PLAN
ET PERSISTANTE
Elle est caractérisée par un ou deux des critères suivants :
� humeur dépressive ou diminution marquée de l’intérêt ou du plaisir
pour toutes ou presque toutes les activités
� la perturbation de l’humeur est étiologiquement liée à la prise
d’alcool
� les symptômes ne surviennent pas uniquement au décours
d’un delirium
� les symptômes entraînent une souffrance cliniquement significative
ou une altération du fonctionnement social, professionnel ou dans
d’autres domaines importants
Tableau 1 D’après le DSM IV, réf. 2
1082
Risque relatif de trouble psychiatrique
chez les sujets alcoolo-dépendants
comparés aux témoins.
❚ Anxiété et dépression
3,2
❚ Dépression majeure
1,7
❚ Dépression chronique (dysthymie)
4,4
❚ Attaque de panique et agoraphobie
0,9
Tableau 2 D’après la réf. 3.
dépressifs apparaissant comme des conséquences directes
de la consommation pathologique d’alcool (tableau 1).
Un travail nord-américain récent conduit en population générale auprès de 43 000 sujets âgés de 18 à 29 ans
montre que la dépendance à l’alcool multiplie par 2,4 le
risque de dépression ou d’anxiété (tableau 2).3
Un autre travail de Kandel et al.4 a lui aussi confirmé,
dans une population nord-américaine, l’augmentation du
risque d’anxiété et de dépression associé à la dépendance
alcoolique.
ALCOOLISME ET DÉPRESSION
Les principaux symptômes de la dépression sont le découragement, la tristesse et la perte de l’élan vital ou désintérêt.
Les symptômes de dépression sont fréquents chez les
alcooliques, notamment avant le sevrage. Schuckit et al.5
ont montré que 80 % des alcooliques ont des symptômes
de dépression. Un tiers des patients ont l’ensemble des critères de la dépression majeure (tristesse, désintérêt, ralentissement, troubles du sommeil, de l’appétit).
Les états dépressifs associés aux conduites alcooliques
comportent un risque de suicide particulièrement élevé.6
Une étude menée à San Diego, à partir de 283 cas de suicide, avait retrouvé 58 % d’alcooliques et de toxicomanes.7
L’alcoolisme était dans plus d’un tiers des cas le diagnostic
principal établi de manière rétrospective. Les patients
alcooliques et déprimés sont donc exposés à un risque
majeur de tentative de suicide et aussi de mort par suicide.
Leurs gestes suicidaires, quand ils surviennent, sont souvent impulsifs. Ils surprennent le patient lui-même comme
son entourage. Ce risque suicidaire est un argument
majeur pour repérer et traiter les dépressions associées à
l’alcoolisme. Le principal traitement de la dépression chez
l’alcoolique est l’interruption de la consommation d’alcool.
Dans la majorité des cas, les améliorations cliniques
comme les rechutes sont globales. Elles concernent les
deux troubles, dépressif et alcoolique.
La fréquence de la dépression varie selon le moment
auquel consulte le patient. Chez un patient alcoolique
consultant pour une aide ou une demande de sevrage, des
L A R E V U E D U P R AT I C I E N / 2 0 0 6 : 5 6
symptômes dépressifs sont retrouvés dans 80 % des cas.
Un tiers des patients dépendants de l’alcool consultant
leur médecin généraliste ont l’ensemble des critères de la
dépression majeure. Cette dépression apparaît alors
comme une conséquence directe de la conduite alcoolique. En pratique quotidienne, les patients dépendants
de l’alcool proposent une explication inverse. Ils mettent
en avant leur cafard, leur tristesse ou leur découragement
pour justifier ou expliquer leur excès d’alcool. Ils présentent au généraliste ou au spécialiste leurs alcoolisations
comme un « autotraitement » de leur dépression. Les
alcoolismes secondaires à la dépression sont exceptionnels (environ 1 cas sur 10) chez l’homme.1 Ces formes
sont plus fréquentes chez la femme, habituellement en
situation d’isolement social et affectif.
La dépression induite par le sevrage d’alcool est elle
aussi une entité clinique rare. Le sevrage, rappelons-le,
produit plutôt une amélioration de l’humeur qu’une
aggravation. Quand elles surviennent, les dépressions de
sevrage peuvent réaliser des états dépressifs typiques.
Elles peuvent aussi correspondre à des tableaux de tristesse et d’inhibition moins spécifiques marqués par des
troubles du caractère, un désintérêt, une insomnie et un
amaigrissement (tableaux 3 et 4).
ALCOOLISME ET TROUBLES BIPOLAIRES
Les troubles bipolaires induisent plus souvent des alcoolismes secondaires que la dépression. Chez les patients
ayant un trouble bipolaire, le trouble de l’humeur apparaît
plus tôt et les états mixtes sont plus fréquents.8 La prise
d’alcool est provoquée par la désinhibition de l’accès
maniaque ou par l’irritabilité et l’impulsivité des états mixtes (coexistence chez un même patient de symptômes
dépressifs et maniaques). Deux tiers des patients maniacodépressifs ont tendance à augmenter leur consommation
d’alcool pendant les périodes maniaques. Ils sont désinhibés. Ils sont logorrhéiques, excités et euphoriques. Toutes
leurs envies sont augmentées, y compris celle de consommer de l’alcool. Seulement 20 à 30 % des patients bipolaires en phase de dépression augmentent leur consommation d’alcool. Les consommations d’alcool des patients
maniaques sont le fait de prises massives d’alcool fort ou
de diverses autres boissons alcoolisées. Elles sont entrecoupées de périodes d’abstinence plus ou moins durables.
Les patients, en état maniaque, recherchent le danger,
l’aventure et les expériences nouvelles. Ils prennent de
l’alcool dans une attente de « défonce » ou de « voyage à
l’alcool ». Ils recherchent l’ivresse, l’anéantissement, la
perte de conscience. L’alcool augmente encore chez eux le
risque de passage à l’acte agressif ou de comportement
inadapté (conduites sexuelles à risque et inadaptées). Les
troubles bipolaires de l’humeur à cycle rapide induisent
moins souvent des alcoolismes que des troubles de l’humeur dont les accès sont plus espacés.
L A R E V U E D U P R AT I C I E N / 2 0 0 6 : 5 6
ALCOOLISME ET ANXIÉTÉ
Les classifications récentes de l’anxiété distinguent les
attaques de panique (crises d’angoisse aiguë isolée), le
trouble panique (répétition de crises d’angoisse aiguës),
la phobie sociale (forme pathologique de la timidité avec
peur du regard de l’autre, peur de parler en public) et l’anxiété généralisée. Ce dernier trouble correspond à un état
persistant de tension flottante avec pessimisme, inquiétude et sentiment de vivre en permanence sur le qui-vive.
La plupart des symptômes de l’anxiété peuvent être
confondus avec des symptômes de sevrage. L’anxiété de
sevrage peut être le principal symptôme éprouvé par les
patients lors de l’interruption de l’alcool. Il s’agit d’une
angoisse survenant plus fréquemment le matin, après
l’abstinence de la nuit ou encore après de courtes pério-
Différences entre un trouble psychiatrique
primaire et un trouble
induit par l’alcoolo-dépendance
❚ Trouble psychiatrique primaire
❚ Symptômes apparus avant le début de la prise d’alcool
❚ Symptômes persistants à distance du sevrage
❚ Antécédents de dépression majeure ayant nécessité un traitement
antidépresseur
❚ Les symptômes ne sont pas seulement la conséquence du sevrage
ou du delirium
❚ Trouble psychiatrique induit par la conduite alcoolique
❚ Dépression ou anxiété apparue pendant le mois ayant suivi
une intoxication alcoolique ou un sevrage.
❚ Le trouble psychiatrique est « étiologiquement » lié à la dépendance
ou au sevrage.
Tableau 3
Alcoolisme et dépression en pratique
❚ En cas de dépression associée à une dépendance alcoolique, un délai
de sevrage de deux semaines doit être respecté avant d’introduire
un antidépresseur
❚ Le délai est raccourci en cas de dépression sévère, de type mélancolique,
ou de dépression avec risque suicidaire
❚ Les tableaux cliniques associant alcoolisme et dépression comportant
un risque suicidaire net (idées de suicide formulées par le patient,
antécédents de tentative de suicide) sont une indication d’hospitalisation
❚ L’hospitalisation, en cas d’association alcoolisme + dépression,
est réalisée de préférence dans un service de psychiatrie
Tableau 4
1083
MALADES DE L’ALCOOL C O M O R B I D I T É S P SYC H I AT R I Q U E S
des de sevrage. Cet état anxieux marqué par une tension,
une appréhension et une sensation de malaise, est spécifiquement calmé par la prise d’alcool. L’effet de l’alcool ne
dure pas. Les symptômes anxieux réapparaissent le matin
suivant ou après une autre période de sevrage. L’anxiété
de sevrage réalise ainsi une obligation de consommation
régulière d’alcool.
Les autres symptômes de sevrage qui peuvent être présents, associés à l’anxiété sont : les symptômes neuromusculaires (tremblement des mains et de la langue,
crampes, paresthésies), les symptômes digestifs (nausées,
vomissements), les symptômes neurovégétatifs (sueur,
tachycardie, hypotension orthostatique), les troubles du
sommeil à type d’insomnie ou de cauchemar. L’irritabilité,
les tremblements, l’instabilité, les troubles du caractère
sont présents lors des crises de panique, chez les phobiques confrontés à une situation qui leur fait peur et chez
les patients en manque d’alcool.
Un travail nord-américain a montré que les alcooliques
ayant un trouble anxieux associé ne sont pas capables de
distinguer les symptômes d’anxiété et les symptômes de
sevrage.9 Seuls les tremblements majeurs leur apparaissent plus spécifiques du sevrage. Comme pour la dépression, les travaux épidémiologiques récents soulignent
aussi que l’anxiété est plus souvent secondaire à la
conduite de dépendance que primaire. Les classifications
P O U R L A P R AT I Q U E
L L’anxiété et la dépression sont fréquentes
chez les alcooliques.
L En cas de dépression associée à l’alcoolisme, le traitement
le plus efficace est le sevrage.
L Les accès maniaques provoquent des conduites alcooliques
plus souvent que les dépressions.
L L’alcoolisme secondaire à la dépression chez la femme
est une entité clinique particulière méritant un traitement
simultané de la dépression et de la conduite addictive.
L Les antidépresseurs ne sont introduits qu’après deux
semaines au minimum de sevrage. Il n’est pas utile de
prescrire des antidépresseurs à un patient qui s’alcoolise.
L Les attaques de panique peuvent être des symptômes de
sevrage ou des conséquences de l’alcoolo-dépendance.
L Le traitement ponctuel de l’attaque de panique fait appel aux
benzodiazépines. Le traitement à long terme impose un
sevrage complet d’alcool. Si les crises de panique persistent,
une prise en charge chimio- et psychothérapique est
proposée. La chimiothérapie implique les antidépresseurs
sérotoninergiques. Il n’est pas utile de prescrire des
benzodiazépines à long terme chez les alcooliques.
1084
internationales récentes ont pris en compte la fréquence
des troubles anxieux induits par les conduites alcooliques. Elles ont introduit une nouvelle catégorie diagnostique de trouble anxieux induit par une substance. Il s’agit
d’états d’angoisse apparus dans les périodes de dépendance ou de sevrage ou dans le mois suivant le sevrage.
Une étude épidémiologique nord-américaine a été
conduite en population générale (étude COGA).5 Elle a
montré que 9,4 % des alcooliques ont un trouble anxieux.
En population générale, la prévalence de l’anxiété n’est
que de 3,7 %. Selon cette étude, la fréquence du trouble
panique est de 4,2 % chez les alcooliques et de 1 % dans le
reste de la population ; 3,2 % des alcooliques ont une phobie sociale, contre 1,2 % en population générale.
Particularités de l’association entre phobie
sociale et alcoolisme
Les alcoolismes associés à une phobie sociale sont souvent des alcoolismes secondaires. Les patients phobiques
utilisent alors les effets apaisants de l’alcool. Ils se servent
de l’alcool comme d’une molécule désinhibitrice et stimulante. Cet effet facilite chez eux l’exposition aux situations
qui leur font peur. Il peut leur arriver, par exemple, de
consommer de l’alcool avant une représentation ou avant
de prendre la parole en public. Ils considèrent l’alcool
comme un traitement de leur « trac » ou de leur timidité.
En pratique, les effets de l’alcool sur l’anxiété sociale sont
transitoires. À l’apaisement initial fait souvent suite un
rebond d’angoisse. À moyen terme, l’alcool aggrave la
phobie. Les périodes de plus forte consommation d’alcool
s’accompagnent d’une exacerbation des symptômes phobiques. Selon Thomas et al.,10 les alcoolismes associés à
une phobie sociale sont les formes les plus sévères de
dépendance. Les patients n’osent pas interrompre une
molécule qui leur apparaît comme protectrice. Ils ont des
scores de dépendance physique et psychique élevés. Ils
consomment plus souvent de l’alcool pour améliorer leur
fonctionnement social.
Traitement de l’alcoolisme chez les anxieux
Il fait appel avant tout au sevrage. En cas d’anxiété panique, un traitement par benzodiazépines peut être prescrit
de manière très ponctuelle. Celui-ci ne devra cependant
pas être poursuivi à long terme. Le risque est alors de voir
les patients passer de la dépendance à l’alcool à une
dépendance aux benzodiazépines. En cas de phobie
sociale, le principal traitement est d’ordre psychothérapique. Il privilégie les méthodes cognitivo-comportementales. Le patient apprend progressivement à affronter les
situations qui lui font peur, tout en bénéficiant de techniques de relaxation et de détente. Seule cette prise en
charge du trouble phobique évite au patient devenu
dépendant de recourir régulièrement à l’alcool pour
affronter les situations qui l’angoissent.
L A R E V U E D U P R AT I C I E N / 2 0 0 6 : 5 6
Le traitement à long terme du trouble panique peut
aussi faire appel aux antidépresseurs sérotoninergiques
(p. ex. : fluoxétine [Prozac] 20 mg/j ; paroxétine [Déroxat]
20 mg/j) dans le cas où les attaques de panique persisteraient en dépit du maintien effectif du sevrage d’alcool.
ALCOOLISME ET TROUBLE
DE LA PERSONNALITÉ
Les troubles de la personnalité chez l’alcoolique 11 sont des
traits de caractère précédant la dépendance. Ils peuvent
être aussi des conséquences de la consommation d’alcool.
Les descriptions de la « personnalité pré-alcoolique » soulignent l’importance de la « faiblesse du Moi », des tendances dépressives et de l’immaturité chez les alcooliques.
Leur personnalité se traduit par une incapacité d’indépendance. Ils recherchent la dépendance conjugale, professionnelle ou affective, de même que la dépendance à un
toxique. Les conséquences négatives sur la famille, la
société et le métier sont subies et parfois même recherchées. La personnalité pré-addictive expose donc à une
sorte de déchéance sociale programmée.
Une autre dimension de personnalité impliquée dans
l’alcoolisme est le niveau élevé de recherche de sensations. Les caractéristiques de la recherche de sensations
sont le goût pour le danger et l’aventure, la recherche
d’expériences et la désinhibition. Les alcooliques consomment de l’alcool dans une recherche d’excitation, de
variété et d’expériences diverses.
Une dernière dimension de la recherche de sensation
est l’intolérance à l’ennui. Pour fuir la monotonie et l’ennui, certains patients sont ainsi tentés par une consommation addictive d’alcool. Le repérage de ces caractéristiques
de personnalité chez des patients commençant à consommer régulièrement de l’alcool peut, en pratique, inciter à
se montrer vigilant et à proposer de manière précoce un
sevrage aussi complet que possible.
CONCLUSION
Les troubles psychiatriques les plus fréquemment associés à l’alcoolo-dépendance sont l’anxiété, la dépression et
les troubles de la personnalité. Le plus souvent, les troubles anxieux et dépressifs sont secondaires à l’alcoolisme.
Quelques exceptions notables méritent d’être signalées. Il
s’agit des alcoolismes secondaires à une dépression chez
la femme, à un accès maniaque chez les patients ayant un
trouble bipolaire.
B
SUMMARY Alcool et comorbidité psychiatrique
L’alcoolo-dépendance augmente le risque de trouble psychiatrique
associé. Les pathologies les plus fréquentes sont la dépression,
l’anxiété et les troubles de la personnalité. Les dépressions sont
le plus souvent secondaires à la dépendance alcoolique. Elles
s’accompagnent d’un risque élevé de conduites suicidaires.
Le traitement le plus adapté en cas d’association entre alcoolisme
et dépression est le sevrage d’alcool. Un traitement antidépresseur
n’est prescrit qu’après deux semaines au minimum de sevrage
complet. En cas d’association entre anxiété et alcoolisme,
un sevrage est également proposé. Certaines formes d’anxiété
comme la phobie sociale apparaissent particulièrement souvent
associées à l’alcoolisme, l’alcool étant utilisé pour ses propriétés
anxiolytiques et désinhibitrices.
Rev Prat 2006 ; 56 : 1081-5
RÉSUMÉ Alcohol dependence and abuse and
psychiatric disorders
Alcohol dependence increases the risk of associated psychiatric
disorders. The most common disorders are depression, anxiety and
personality disorders. Depression is usually secondary to alcohol
dependence. It is often associated with an increased risk of suicidal
behavior. The best suited treatment for an association between
alcohol dependence and depression is alcohol withdrawal.
Antidepressant treatment should only be initiated after at least
two weeks of complete withdrawal. Alcohol withdrawal is also
suggested for the association between anxiety and alcoholism.
Some forms of anxiety, such as social phobia, are particularly
often associated with alcoholism, since alcohol is often used for
its anxiolytic and disinhibition effects.
RÉFÉRENCES
1. Adès J, Lejoyeux M. Alcoolisme et
Psychiatrie. Ouvrage coordonné par
J. Adès et M. Lejoyeux. Paris :
Masson, Coll. Médecine et
Psychothérapie, 2004.
2. American Psychiatric
Association. DSM-IV Critères
diagnostiques. Traduction française
par Guelfi JD, et al. Paris : Masson,
1996.
3. Dawson DA, Grant BF, Stinson FS,
Chou PS. Psychopathology
associated with drinking and
alcohol use disorders in the college
and general adult populations. Drug
Alcohol Depend 2005;77:139-50.
4. Kandel DB, Huang FY, Davies M.
Comorbidity between patterns of
substance use dependence and
psychiatric syndromes. Drug and
Alcohol Dependence 2001;64:233-41.
5. Schuckit MA, Tipp JE, Bergman M,
et al. Comparison of induced and
independent major depressive
disorders in 2 945 alcoholics. Am J
Psychiatry 1997;154:948-57.
Les auteurs n’ont pas transmis de déclaration
de conflits d’intérêts.
L A R E V U E D U P R AT I C I E N / 2 0 0 6 : 5 6
6. Suominen K, Isomestsä E,
Henriksson M, Ostamo A,
Lönnqvist J. Hopelessness,
impulsiveness and intent among
suicide attempters with major
depression, alcohol dependence or
both. Acta Psychiatr Scand
1997;96:142-9.
7. Rich CL, Fowler RC, Young D.
Substance abuse and suicide: the
San Diego Study. Ann Clin
Psychiatry 1989;1:79.
8. Feinman JA, Dunner DL. The effect
of alcohol and substance abuse on
the course of bipolar affective
disorder. J Affect Disord 1996;37:
43-9.
9. Thomas SE, Thevos AK,
Randall CL. Alcoholics with and
without social phobia: a
comparison of substance use and
psychiatric variables. J Stud
Alcohol 1999;60(4):472-9.
10. George DT, Zerby A, Noble S,
Nutt DJ. Panic attacks and alcohol
withdrawal: can subjects
differentiate the symptoms? Biol
Psychiatry 1988;43:240-3.
11. Lejoyeux M. Alcoolo-dépendance,
tempérament et personnalité.
Médecine Sciences
2004;12,vol.20:1140-4.
1085
monographie
Comment motiver un patient
pour qu’il arrête de boire?
L’entretien motivationnel s’est développpé à partir de la notion
simple que la manière de parler d’alcool à un patient a une influence
marquée sur sa volonté de parler librement des raisons et des moyens
nécessaires pour modifier sa consommation. L’entretien motivationnel
représente un style relationnel et un ensemble de techniques
qui aident le médecin à faire progresser son patient vers un changement
de comportement vis-à-vis de l’alcool.
Jean-Bernard Daeppen, Didier Berdoz*
Q
uoi de plus naturel que d’inciter nos patients à boire
moins, à renoncer au tabac et à bouger plus ? Spontanément, les cliniciens donnent des conseils à leurs
patients et sont souvent frustrés de constater que ceux-là
ne sont pas efficaces. Donner des conseils semble former
la base de la plupart des discussions à propos de changements de comportements. La logique de cette approche
semble reposer sur le fait que nos patients manquent d’informations, lesquelles, une fois fournies, devraient suffire
à produire un changement. Cette méthode repose essentiellement sur une relation médecin-patient relativement
paternaliste ; dans ce cadre, le praticien essaie de persuader le patient de la sagesse de considérer un changement
de style de vie.
Si cette méthode est efficace pour certains, elle semble
inefficace pour la plupart des patients, son taux de succès
étant limité à 5 à 10 %.1 Un autre problème réside dans le
fait que donner des conseils peut produire des effets négatifs. Il est courant de constater que des conseils donnés à un
patient qui ne les a pas sollicités génèrent de la résistance.
Cette résistance s’exprime, par exemple, dans des dialogues caractérisés par des réponses de type « oui, mais… » de
la part du patient. Dans leurs efforts pour changer le comportement de leurs patients, les praticiens ont tendance à
insister sur les bénéfices du changement tout en sous-évaluant les coûts. De leur côté, les patients sont très attentifs à
l’implication personnelle nécessaire au changement. Ils se
montrent très concernés par les conséquences immédiates
d’un changement de comportement et attribuent peut-être
moins d’importance à des bénéfices futurs.
Comment conseiller nos patients à propos de leurs
habitudes de vie et, plus particulièrement, comment motiver un patient ayant un problème d’alcool pour qu’il arrête
de boire? Au cours des 20 dernières années, de nombreux
développements dans la recherche sur le traitement de la
dépendance à l’alcool ont eu cours, impliquant un changement important dans la compréhension du principe de la
négociation du changement de comportement.
AMBIVALENCE
Le concept de l’ambivalence s’est révélé décisif dans la
négociation autour du changement de comportement
d’un patient alcoolique. Dans le contexte de la dépen-
* Centre de traitement en alcoologie, Mont-Paisible 16, CHUV 1011 Lausanne, Suisse. Courriel : [email protected]
1088
L A R E V U E D U P R AT I C I E N / 2 0 0 6 : 5 6
Sortie permanente
Précontemplation
Rechute
Maintenance
Contemplation
Action
Décision
Figure 1 Stades de préparation au changement.
dance, l’ambivalence ne signifie pas la résistance à faire
quelque chose, mais plutôt l’expérience d’un conflit
psychologique à propos du choix entre deux options possibles. Dans le cas de la dépendance à l’alcool, le conflit
apparaît entre les effets positifs et les effets négatifs de l’alcool, ou encore entre les avantages et les inconvénients
d’arrêter de boire. L’ambivalence à propos d’un changement de comportement est difficile à résoudre, parce que
chaque option du conflit a ses coûts et ses bénéfices.
Les réponses de type « oui, mais… » du patient qui
reçoit un conseil ont été explorées de manière détaillée.
L’hypothèse est apparue que, chez un patient se sentant
ambivalent à propos d’un changement de comportement,
un effort de persuasion de la part d’un soignant peut
générer de la résistance. En d’autres termes, si le praticien
argumente en faveur des bénéfices d’un changement en
insistant sur les conséquences de la poursuite d’un comportement nuisible pour la santé, le patient prend parti
naturellement pour l’autre face de son ambivalence. Il
répond « oui, mais… » et argue des difficultés du changement de comportement et des pertes que cela peut engendrer. Ce type d’observation indique que le style du praticien influence notablement la capacité du patient à parler
librement de son comportement. La motivation d’un
patient au changement peut être influencée favorablement en utilisant une méthode de négociation pour
laquelle le patient, et non le praticien, explore les coûts et
les bénéfices d’un changement de comportement.2
STADES DE PRÉPARATION AU CHANGEMENT
Un autre concept central dans la recherche sur le traitement de la dépendance à l’alcool est celui des stades de
préparation au changement. Il décrit une variété d’états
motivationnels rencontrés parmi les patients dépendants,
partant de ceux qui ne sont pas du tout intéressés au
changement (« précontemplation »), en passant par ceux
L A R E V U E D U P R AT I C I E N / 2 0 0 6 : 5 6
chez qui l’indécision domine (« contemplation »), jusqu’à
ceux qui se préparent au changement (« préparation »).
Deux stades ultérieurs indiquent l’état des patients qui
ont entamé le changement (« action ») puis ceux qui le
maintiennent (« maintenance ») [fig. 1].
Seuls 20 à 30 % des individus qui ont des problèmes
d’alcool se trouvent aux stades de l’action, alors que la
majorité sont aux stades de la précontemplation et de la
contemplation.3
Le concept des stades de préparation au changement
est important dans la négociation d’un changement de
comportement pour au moins trois raisons.
– Le concept aide à expliquer pourquoi des conseils simples ont une efficacité limitée. Si les patients ne sont pas
prêts pour l’action (p. ex. au stade de contemplation), ils
résistent au conseil parce que le praticien les devance en
termes de stade de préparation en assumant qu’ils sont
prêts ou qu’ils devraient l’être. On comprend ainsi que la
résistance au changement, souvent qualifiée de déni chez
les alcooliques, est plutôt le produit de l’interaction de
deux personnes qu’une caractéristique propre au patient.
C’est comme si la résistance était le signe d’une divergence entre l’agenda de changement du patient et celui
du thérapeute, ce dernier ayant tendance à imposer un
rythme que le patient n’est pas prêt ou ne se sent pas capable de suivre.
– Le concept de stade de préparation souligne le fait que
la décision d’un changement de comportement est un
processus et non pas un événement ponctuel. Ce processus est constitué d’un mouvement qui, alternativement,
rapproche et éloigne du changement de comportement.
Ainsi, ce dernier n’est pas nécessairement le seul but utile
à poursuivre dans une consultation, la préparation au
changement pouvant être prioritaire parfois durant de
longues périodes avant qu’il intervienne.
CE QUI EST NOUVEAU
L La majorité des patients dépendants de l’alcool vus dans
les cabinets médicaux ne sont pas prêts à arrêter de boire.
L Le concept de stades de préparation au changement est
essentiel pour la négociation d’un changement
de comportement au cabinet médical.
L Le praticien a un rôle déterminant pour permettre au patient
dépendant de l’alcool de progresser dans les stades
de préparation au changement.
L La motivation au changement augmente lorsque c’est le patient,
et non le praticien, qui explore les coûts et les bénéfices
de l’arrêt de l’alcool.
L Le déni reflète une divergence entre l’agenda du changement
du patient et celui du praticien, ce dernier ayant tendance
à imposer un rythme que le patient n’est pas prêt ou ne se sent
pas capable de suivre.
1089
MALADES DE L’ALCOOL C O M M E N T M OT I V E R U N PAT I E N T P O U R Q U ’ I L A R R Ê T E D E B O I R E ?
– Le concept de stade de préparation suggère que l’intervention thérapeutique doit être adaptée au degré de préparation au changement de chaque patient. Cela permet
d’assurer une meilleure correspondance entre l’agenda
du praticien et celui du patient, minimisant l’émergence
de la résistance et améliorant notablement l’efficacité des
interventions.
Le concept de préparation au changement peut être lié à
celui d’ambivalence dans un sens clinique utile. Puisque tant
de patients sont au stade de la contemplation, les progrès qui
vont les mener au stade de la préparation dépendent de
l’aide que le thérapeute peut apporter à la résolution de cette
ambivalence. C’est à ce défi majeur que l’entretien motivationnel répond (www.motivationalinterview.org).4
COMMENT S’Y PRENDRE ?
L’entretien motivationnel s’appuie sur les principes suivants:
– potentialiser l’opportunité qui se présente en consultation d’établir le lien entre un problème de santé et le comportement qui y a contribué ;
– éviter de dévaloriser le patient en lui « faisant la
morale » ;
– éviter de mettre en place des buts impossibles à atteindre qui, inévitablement, aboutissent à un sentiment
d’échec et de frustration lors de la prochaine consultation;
– maximaliser la motivation intrinsèque et valoriser les
idées et ressources du patient pour changer de comportement (même si le praticien pense que le patient n’y parviendra pas).
Les objectifs de changement de comportement varient
en fonction de l’importance que le patient attribue au
changement et à sa confiance de le réaliser.
Un moyen d’adapter l’intervention au stade de préparation au changement consiste, pour le patient qui se trouve
au stade de la précontemplation, à explorer les avantages
et les inconvénients de l’alcool ; pour celui qui est au stade
de la contemplation, à peser le pour et le contre d’un
changement de comportement ; alors que les patients
prêts au changement sont orientés vers une discussion sur
la manière de procéder.
Entrée en matière.
– Praticien: « Oui, je constate que votre valeur de GGT est à
nouveau au-dessus de la normale. Je me ferais une image
plus précise de votre santé si nous pouvions passer quelques
minutes à parler de votre consommation d’alcool. Je ne veux
certainement pas vous faire la morale, mon but aujourd’hui
est plutôt de comprendre un peu plus votre point de vue sur
l’alcool. Est-ce que vous seriez d’accord pour que nous abordions cette question quelques minutes? »
Le patient répond brièvement de manière positive.
– Praticien : « Je vais vous poser deux questions qui vont
m’aider à mieux comprendre les choses et je vais vous
demander de répondre sur une échelle. Premièrement :
quelle importance attribuez-vous aujourd’hui à modifier
votre consommation d’alcool ? Si 1 = « aucune importance » et 10 = « très important », quel chiffre donnezvous maintenant ? » (fig. 2)
Le patient réfléchit pendant un moment et donne un nombre.
– Praticien : « Très bien. Maintenant je vais vous demander
la même chose mais à propos de la confiance que vous
accordez à votre capacité de modifier votre consommation d’alcool. Si vous décidez de diminuer ou d’arrêter et
que 1 = « absolument pas confiant » et 10 = « très
confiant », quel nombre donneriez-vous maintenant ? »
Si l’importance est basse, les questions suivantes sont utiles.
– Praticien: « Vous vous êtes donné un 3 pour l’importance
de réduire votre consommation d’alcool. Pourquoi pas 1? »
Vont apparaître à ce moment-là les énoncés motivationnels.
– Praticien : « Qu’est-ce qui devrait arriver pour que vous
progressiez de 3 à 6 ou 7 ? »
S’il y a le même problème concernant la confiance, ce même
type de questions peuvent être posées sur la confiance (fig. 2).
Autre question utile.
– Praticien : « Qu’est-ce que je pourrais faire pour vous
aider à évoluer de 3 à 6 ou 7 ? »
Lorsque l’importance est basse, le patient se sent généralement
ambivalent. À ce moment-là, questionner à propos des « pour » et
des « contre » de la consommation permet de préciser certains
aspects de son ambivalence. Partant du principe que le patient
lui-même doit faire sa propre évaluation, le praticien l’invite à
énoncer tout ce qu’il aime et ce qu’il aime moins à propos du comportement en question. Après que le patient a listé les aspects positifs, sans l’interrompre ou interpréter ses réponses, le praticien
demande quels sont les aspects négatifs. Ensuite, le praticien peut
tenter de résumer tant les aspects positifs que les aspects négatifs en
restant le plus proche possible des mots que le patient a utilisés, en
lui demandant comment il se sent face à ce résumé.
– Praticien : « Dites-moi ce que vous aimez à propos de
l’alcool ? »
Aucune importance/confiance faible
1
2
3
Précontemplation
4
Importance/confiance très élevée
5
Contemplation
6
7
Décision
8
9
Préparation
10
Action
Figure 2 Évaluation de l’importance donnée par le patient à sa consommation d’alcool.
1090
L A R E V U E D U P R AT I C I E N / 2 0 0 6 : 5 6
– Patient : « Ah, vous voulez vraiment savoir ce que j’aime
à propos de l’alcool ? Le vin m’aide à me relaxer, je l’apprécie. J’ai une vie très stressante, j’aime aussi boire en présence d’amis. »
– Praticien : « Bien. Dites-moi maintenant ce que vous
aimez moins à propos de l’alcool »
– Patient : « Il arrive que ma femme me fasse des reproches à propos de ma consommation, d’avoir mal à la tête le
lendemain, d’être un peu inquiet à propos de ma santé. »
– Praticien : « D’accord. D’un côté, l’alcool réduit votre
stress, il vous permet de vous détendre et joue un rôle
dans vos relations sociales. D’un autre côté, il peut arriver
que votre épouse vous fasse des reproches et que vous
vous fassiez du souci à propos de votre santé. »
Face à un patient résistant (déni).
Une façon de faire face à la résistance du patient consiste
simplement à répéter ou reformuler ce qu’il a dit. Cela l’informe,
d’une part que vous l’avez entendu, et d’autre part que vous
n’avez pas l’intention d’argumenter avec lui.
– Patient : « Je ne peux pas arrêter de consommer, tous
mes amis boivent ! »
– Praticien : « Arrêter de consommer vous semble presque
impossible parce que vous êtes la plupart du temps avec
des amis qui boivent. »
– Patient : « Oui, c’est ça mais je pourrais peut-être y arriver en… »
Une autre manière de faire consiste à amplifier ou à exagérer les propos du patient au point qu’il va relativiser de luimême sa propre argumentation.
– Patient : « Je ne peux pas arrêter de consommer, tous
mes amis boivent ! »
– Praticien : « Ah oui, je vois, vous ne pourriez vraiment
pas arrêter parce qu’à ce moment-là vous seriez différent
des autres. »
– Patient : « Oui, ça me rendrait différent d’eux, quoique
ça ne leur ferait pas grand-chose du moment que je leur
fiche la paix avec leur consommation. »
Ou encore de refléter à la fois les résistances et les éléments
motivationnels pour une même perspective de changement.
– Patient : « Je ne peux pas arrêter de consommer, tous
mes amis boivent ! »
– Praticien : « Vous ne voyez pas comment vous feriez
pour ne pas boire en présence de vos amis et, en même
temps, vous êtes inquiet en constatant les problèmes liés à
votre consommation. »
– Patient : « Oui, je ne sais pas trop quoi faire. »
Une autre façon de diminuer la résistance consiste simplement à changer de sujet. Il est souvent inutile de vouloir dépasser la résistance et, paradoxalement, on avance davantage en
n’y répondant tout simplement pas.
– Patient : « Je ne peux pas arrêter de consommer, tous
mes amis boivent ! »
– Praticien : « Vous allez beaucoup trop loin. Je ne suis pas en
train de vous parler d’arrêter de boire et je ne crois pas que ce
soit vraiment votre objectif en ce moment. Restons-en à évoL A R E V U E D U P R AT I C I E N / 2 0 0 6 : 5 6
P O U R L A P R AT I Q U E
L Aborder le sujet sans confrontation, marquant chez
le praticien son souhait de comprendre la situation du patient
et respecter ses décisions, même si ces dernières vont
à l’encontre du bon sens médical.
L Explorer l’importance pour le patient de l’arrêt de l’alcool,
et augmenter la confiance dans sa capacité d’y parvenir.
L Explorer l’importance en demandant quels sont les avantages
et les inconvénients de l’alcool.
L Négocier des objectifs atteignables.
quer ensemble ce que signifie pour vous votre consommation, les choses bonnes et moins bonnes qu’elle vous apporte,
et plus tard nous verrons ce que vous comptez faire. »
Le patient est responsable des choix et des actions qu’il entreprend et l’intervenant le soutient dans ses efforts. Soutenir le
sentiment d’efficacité personnelle, c’est affirmer au patient qu’il
a la capacité de changer, élément motivationnel important pour
le succès d’un changement. Il n’existe pas de « bonne » ni de
« mauvaise » façon de procéder pour changer ; c’est la créativité
propre à chaque personne qui est en jeu. Une méthode efficace
pour soutenir le patient dans sa capacité d’arrêter de boire
consiste à s’enquérir des changements constructifs antérieurs
qu’il est parvenu à réaliser. Le partage des expériences antérieures réussies aide à démontrer que le changement est possible.
– Patient : « Je suis incapable d’arrêter de boire. »
– Praticien : « Vous avez pourtant déjà arrêté de boire plusieurs mois… »
L’intervenant encourage le patient à trouver ses propres
solutions aux problèmes évoqués, notamment en l’amenant à
explorer les contradictions entre ce qu’il est et ce qu’il aimerait
être. Le travail motivationnel consiste à révéler ces contradictions et à être le partenaire extérieur du dialogue intérieur que
cette contradiction génère.
– Thérapeute : « Donc, d’un côté vous ne voyez pas pourquoi vous vous arrêteriez de consommer alors que votre
patron vous exploite sans tenir ses promesses d’augmentation de salaire, et d’un autre côté ça vous travaille beaucoup que votre fils de 10 ans vous ait traité d’ivrogne. »
– Patient : « Ça m’a fait mal, car je ne veux pas que mon fils
souffre de mon problème. »
– Thérapeute : « Cela semble très important pour vous. »
– Patient : « Bien sûr, c’est très important pour moi. »
CONCLUSION
En qualité de médecin, nous sommes quotidiennement
confrontés à des patients qui ne sont pas des partenaires
idéaux de la promotion de leur santé : ils fument, boivent,
mangent trop et ne prennent pas toujours leurs médicaments… Chacun développe son style dans la manière de
conseiller les patients avec des résultats souvent frus1091
MALADES DE L’ALCOOL C O M M E N T M OT I V E R U N PAT I E N T P O U R Q U ’ I L A R R Ê T E D E B O I R E ?
trants. L’application de l’entretien motivationnel à la
médecine de premier recours est une conception modélisée du conseil médical.5 Ce modèle constitue l’outil qui
permet dorénavant d’optimiser l’enseignement du conseil
médical dans les facultés de médecine. Sa description et
son application ont permis d’en établir l’efficacité de
manière scientifiquement rigoureuse.
Bien entendu, cet article n’a pas la prétention de se substituer à un apprentissage pratique. L’application de l’entretien motivationnel en médecine doit impérativement
faire l’objet d’une formation spécifique. Ces formations se
déroulent en général sur deux jours. En France, des
efforts de promotion de la pratique de l’entretien motivationnel sont poursuivis dans le cadre de l’Association francophone de développement de l’entretien motivationnel
([email protected]). Les ouvrages de
références actuellement disponibles sont en anglais.4, 6, 7 B
L’auteur n’a pas transmis de déclaration de conflits d’intérêts.
SUMMARY Motivational interviewing to help patients stop drinking
Helping patients to change behavior concerning their drinking is a common task in primary care. This article examines the limitations of using the
approach of giving advice and identifies concepts and methods, which offer the promise of improving the quality and effectiveness of consultations
about alcohol use. The central role of ambivalence in alcohol dependent patients is explored and practical solutions to resolve ambivalence are
described, considering the stages of change model.
Rev Prat 2006 ; 56 : 1088-92
RÉSUMÉ Comment motiver un patient pour qu’il arrête de boire ?
Aider les patients à réduire leur consommation d’alcool constitue une tâche courante en médecine générale. Certaines limites sont rencontrées par les
cliniciens lorsqu’ils conseillent à leurs patients de réduire ou d’arrêter complètement toute consommation d’alcool. L’amélioration de la qualité et de
l’efficacité des discussions avec un patient qui boit trop est un premier objectif. Le rôle de l’ambivalence dans l’alcoolo-dépendance est abordé ou
expliqué. Des solutions sont envisagées pour l’explorer et la résoudre, tenant compte notamment du stade de préparation au changement.
RÉFÉRENCES
1. Wallace P, Cutler S, Haines A.
Randomized controlled trial of
general practitioner intervention in
patients with excessive alcohol
consumption. BMJ 1988;297:663-8.
2. Rollnick S. Comments on Dunn et
al. The use of brief interventions
adapted from motivational
interviewing across behavioral
domains: a systematic review.
Addiction 2001;96:1769-75.
3. Rumpf HJ, Hapke U, Meyer C,
John U. Motivation to change
drinking behavior: comparison of
alcohol-dependent individuals in a
general hospital and a general
population sample. Gen Hosp Psych
1999;21:348-53.
4. Miller WR, Rollnick S. Motivational
interviewing: Preparing people for
change. New York: Guilford Press,
2002.
5. Miller WR. Combined Behavioral
Intervention manual: A clinical
research guide for therapists
treating people with alcohol abuse
and dependence. COMBINE
Monograph Series, (Vol.1). Bethesda,
MD: National Institute on Alcohol
Abuse and Alcoholism. DHHS No. 045288, 2004.
manual: A clinical research guide
for therapists treating individuals
with alcohol abuse and dependence.
Rockville, MD: National Institute on
Alcohol Abuse and Alcoholism, 1992.
7. Rollnick S, Mason P, Butler C.
Health behavior change: a guide for
practitioners. Edimbourg: Churchill
Livingstone, 1999.
6. Miller WR, Zweben A,
DiClemente CC, Rychtarik RG.
POUR EN SAVOIR PLUS
Motivational Enhancement Therapy
Dossier
LE CONCOURS MÉDICAL
Femmes
enceintes :
LECONCOURS
ON O
objectif
medical
« zéro alcool »
23 mai 2006
23 mai 2006 n° 19/20
FORMATION
PROFESSIONNELLE
CONTINUE
ENTRETIEN
Philippe Lamoureux
et Philippe Guilbert
Les inégalités de santé
s’accentuent
MISE AU POINT
Quels cancers
dépister ?
Prothèses
endocoronaires actives
Larmoiement
de la personne âgée
L’infection, facteur
de thrombose veineuse
VIE
PROFESSIONNELLE
ALCOOL
Erreur de diagnostic
prénatal : faut-il
indemniser
l’enfant handicapé ?
Prévenir le syndrome
d’alcoolisation fœtale
Sanctionner un salarié
pour un fait
de sa vie privée
DOSSIER
TOME 128 - 705 à 780 • ISSN 0010-5309 • Publication quinzomadaire
1092
www.concoursmedical.com
RHERBY D, SUBTIL D,
URSO BAIARDO L.
(Le Concours Médical 2006;
128 [19-20]:818-21)
LA REVUE DU PRATICIEN
MÉDECINE GÉNÉRALE
29 mai 2006
RECHERCHE en médecine générale
Étude originale
Repérage précoce et intervention brève auprès
des consommateurs excessifs d’alcool :
mobiliser efficacement les généralistes
Étude de trois méthodes de promotion du repérage précoce et de l’intervention brève (TMP)
par Philippe Michaud,
Patrick Fouilland,
Anne-Violaine Dewost,
Julie Abesdris,
Stella de Rohan,
Samir Toubal,
Isabelle Grémy,
Guillaume Fauvel,
Nick Heather.
[email protected]
RÉSUMÉ :
Objectif : le programme « Boire
moins c’est mieux » (BMCM) de
l’ANPAA a proposé à 550 médecins
généralistes en 2003 de se former
pour pratiquer le repérage précoce
et l’intervention brève (RPIB) en
médecine générale. Il a utilisé à
cette fin l’appel téléphonique au
cabinet, une proposition de
rémunération et une campagne
médiatique dans l’environnement
immédiat des médecins. L’objectif
de l’étude était d’évaluer l’intérêt
respectif de ces trois méthodes.
Méthode : la méthode de
mobilisation témoin était le
courrier. L’appel téléphonique a été
utilisé en sus du courrier pour un
médecin sur deux, suivant un
tirage au sort préétabli.
L’encouragement financier (de
2 euros par questionnaire rempli,
et 10 euros par IB délivrée) a été
utilisé lors d’une deuxième
sollicitation des médecins à se
former.
La mobilisation communautaire
n’a eu lieu que dans le seul site de
Saint-Quentin-en-Yvelines.
Le critère principal de jugement
était la participation effective aux
soirées de formation. Les critères
secondaires étaient l’inscription
aux formations et l’activité de RPIB
après formation.
Résultats : l’appel téléphonique a
multiplié par 7 le nombre des
participants aux formations, en
comparaison avec l’effet du seul
courrier (p < 10-7) ; il n’a pas eu
d’effet propre sur l’activité de RPIB
après formation. La rémunération
epuis 1980, l’Organisation mondiale de la santé (OMS)
mène une action résolue en faveur de la réduction de la
consommation dangereuse d’alcool, qu’elle distingue de
l’alcoolisme en rappelant que la moitié des décès prématurés dus
à l’alcool concernent des personnes non dépendantes.1 Le repérage
des consommateurs à risque ou à problèmes peut s’appuyer sur
des questionnaires comme l’AUDIT2-4 ou le FACE.5 Ce repérage
doit atteindre la totalité de la population exposée au risque
alcool, mais le « cœur de cible » est, jusqu’à présent, la population
adulte entre 20 et 65 ans, tranche d’âges où la consommation
excessive d’alcool s’accompagne le plus souvent de conséquences
à long terme. Dans cette perspective de masse, les acteurs des
soins primaires sont les mieux placés, notamment les médecins
généralistes (qui reçoivent au moins une fois par an 80 % de la
population adulte) et, en France, les médecins du travail (qui
suivent 14 millions de salariés). L’OMS s’est particulièrement
intéressée aux généralistes parce qu’ils peuvent légitimement
D
2
a eu un puissant effet sur le niveau
d’activité de RPIB (p = 10-4), mais
son annonce n’a pas eu d’effet sur
les inscriptions, et n’a
pratiquement pas modifié l’effet
du contact téléphonique. La
fraction de la population ayant
bénéficié d’un acte de repérage a
été doublée dans le site avec action
communautaire (p < 10-7).
Conclusion : un simple appel
téléphonique est particulièrement
efficace pour augmenter le
nombre de médecins formés. La
stimulation financière amène un
niveau d’activité très proche d’un
repérage systématique. L’approche
communautaire augmente de
façon significative la part de la
population dépistée.
Étude originale :
Repérage précoce
et intervention
brève auprès
des consommateurs
excessifs d’alcool :
mobiliser efficacement
les généralistes ?
Rev Prat Med Gen 2006;20:000-0.
intervenir auprès de leurs patients qui se mettent en danger avec
l’alcool en réalisant une intervention brève (IB).6 L’efficacité de
cette dernière est telle qu’elle est aujourd’hui considérée comme
l’intervention alcoologique qui a le plus grand intérêt pour la
santé publique.7 L’obstacle à franchir pour en percevoir l’apport
est cependant de taille : il faut aider les généralistes à s’approprier ce
nouvel outil professionnel, ce qui implique qu’ils se débarrassent
de leurs tabous et de leurs inhibitions, toujours très intenses quand
on aborde les sujets alcool et alcoolisme.La formation des médecins
généralistes et des médecins du travail au RPIB n’est pas très
difficile. De plus, elle semble remarquablement productive en
termes de changements de comportements professionnels.8, 9
Toute la difficulté réside donc dans l’attrait que les formations
offertes pour acquérir cette nouvelle compétence peuvent exercer
sur les médecins auxquels elles sont proposées. Aujourd’hui, les
généralistes reçoivent presque chaque semaine une nouvelle
recommandation concernant une « priorité » ; il est humain
MICHAUD P, PATRICK FOUILLAND P,
DEWOST AD, ET AL.
(Rev Prat Med Gen 2006;20:
à paraître)
L A R E V U E D U P R AT I C I E N - M É D E C I N E G É N É R A L E . T O M E 2 0 . N ° 0 0 0 / 0 0 0 D U 0 0 X X X X X X X X X 2 0 0 6
L A R E V U E D U P R AT I C I E N / 2 0 0 6 : 5 6
monographie
Modalités du sevrage
alcoolique
La plupart des sevrages alcooliques peuvent se faire en ambulatoire,
à condition d’évaluer le risque de survenue d’une complication
qui peut imposer une hospitalisation. Le traitement médicamenteux,
non systématique, associe hydratation, vitaminothérapie
et éventuellement des benzodiazépines à demi-vie longue, prescrites
de façon décroissante sur 7 jours.
François Vabret *
L’
alcoolisme est une maladie fréquente dont la prévalence a été plusieurs fois évaluée par différentes études de population. On estime ainsi que, en France, un
consultant sur cinq en médecine ambulatoire aurait une
maladie liée à son alcoolisation.1 De même, en milieu
hospitalier et selon les études, entre 15 et 25 % des
patients ont un mésusage d’alcool.2
Chez les patients dépendants, il est admis que le passage
par l’abstinence, même si cette dernière ne constitue pas
forcément un but en soi, est une étape importante. Elle
leur permet d’expérimenter leur existence sans effet de
l’alcool, et de tester leurs capacités à rester sans boire. Le
sevrage se définit comme une période qui suit immédiatement l’arrêt de l’alcoolisation. La médicalisation du
sevrage en fait un élément thérapeutique indiscutable
s’inscrivant dans la prise en charge de l’alcoolo-dépendance.
DÉFINITION CONCEPTUELLE DU SEVRAGE
Il existe souvent une confusion entre le sevrage et la
« cure de désintoxication », cette dernière se réduisant
souvent, en particulier en milieu hospitalier, à la première
étape qu’est le sevrage alcoolique. Or, le sevrage n’est
qu’un temps du traitement de l’alcoolo-dépendance, qu’il
soit réalisé dans l’urgence, le patient ou son entourage
réclamant parfois instamment une prise en charge immédiate, ou de façon programmée.
La demande de sevrage se répartit de façon inégale
entre le patient et son entourage. On peut être amené à
réaliser avec les malades des sevrages itératifs en dépit du
souhait réel de ce dernier. Outre leur côté inefficace, de
telles procédures peuvent être délétères pour le patient en
favorisant la survenue de complications,3 et renforcer leur
dépendance. A contrario, les complications sont moins
fréquentes en médecine ambulatoire du fait de l’échappement possible du patient au sevrage.4
Il faut donc garder présent à l’esprit que le sevrage est
thérapeutique :
– s’il est réalisé dans des conditions de confort et de sécurité maximales ;
– s’il est associé à un temps de convalescence suffisant ;
– s’il s’accompagne d’une ambiance relationnelle qui permette au sujet dépendant de l’alcool d’associer bien-être
et abstinence ;
– s’il s’effectue avec l’accord exprimé du patient.
* Unité d’alcoologie, CHU de Caen, 14033 Caen Cedex. Courriel : [email protected]
L A R E V U E D U P R AT I C I E N / 2 0 0 6 : 5 6
1093
MALADES DE L’ALCOOL M O DA L I T É S D U S E V R A G E
général avant 24 heures, et sont parfois très rapidement
présents, parfois même alors que le taux d’alcoolémie
n’est pas encore nul. L’existence d’une alcoolémie positive
concomitamment à un syndrome de sevrage est un élément devant faire redoubler de vigilance. Ces symptômes
apparaissent rarement après 72 heures suivant la dernière
ingestion d’alcool. Leur apparition retardée au-delà de
cette durée est néanmoins possible (jusqu’à 4 jours).8 Des
symptômes retardés peuvent être imputés éventuellement
au sevrage alcoolique en cas d’arrêt d’alcoolisation à partir
d’une alcoolémie initiale élevée, lorsque des bêtabloquants, des benzodiazépines, ou des médicaments
anesthésiques ont été administrés au moment de l’arrêt de
l’alcool (p. ex. lors d’interventions chirurgicales réalisées
en urgence chez les patients alcoolisés).
Ces symptômes isolés, ou plus souvent associés, dont
l’intensité combinée permet de décrire l’intensité du syndrome, se définissent en :
– syndrome adrénergique neurovégétatif (tremblements,
sueurs, tachycardie, hypertension artérielle, nausées, parfois vomissements, voire hyperthermie) ;
– troubles neuropsychiques mineurs (anxiété, irritabilité,
troubles du sommeil) ou parfois plus intenses (agitation,
confusion, attaque de panique, hallucinations).
L’évaluation de ces symptômes est à la base d’un outil
d’utilisation simple, performant et reproductible : le score
de Cushman (tableau 1).9 Il est sensible et suffisamment
spécifique.10 Ce score est considéré comme minime de 0
à 7, moyen de 8 à 14, important de 15 à 21. Chez les
patients sous bêtabloquants, il n’est considéré comme
minime que jusqu’à 6.11 Il est possible de s’aider à nouveau de ce score pour la mise en route du traitement en
élaborant un arbre décisionnel (tableau 2).
L’évaluation du score de Cushman doit être régulière
pour suivre l’évolution du sevrage ; la première évaluation
doit être faite en tenant compte de l’horaire de la dernière
consommation d’alcool. La fréquence des évaluations
cliniques est fonction de la disponibilité du malade et du
soignant. Elle est plus fréquente en milieu hospitalier,
QUEL SEVRAGE POUR QUEL MALADE ?
Le sevrage peut être réalisé dans l’urgence médico-chirurgicale lorsque, hospitalisés, les patients n’ont pas de boissons alcooliques à leur disposition, ou plus simplement
lorsqu’ils sont immobilisés à leur domicile ou en villégiature et qu’ils n’ont pu prévoir d’avance des boissons
alcoolisées. Ces sevrages sont de fréquents pourvoyeurs
de complications, car insuffisamment anticipés.
Le sevrage peut être contraint : il s’agit pour l’essentiel
de patients incarcérés. La contrainte légale de ces incarcérations est parfois remplacée dans la vie quotidienne par
la demande de l’entourage qui pose des ultimatums.
Le sevrage peut être programmé : il s’agit du seul
sevrage ayant un sens alcoologique. Il semble le meilleur
gage d’un résultat, s’il s’inscrit dans une démarche visant à
placer l’étape de l’arrêt de l’alcoolisation dans une stratégie sur le moyen et le long terme.
CLINIQUE DU SYNDROME DE SEVRAGE
Le sevrage s’accompagne chez les patients dépendants de
l’alcool d’un syndrome clinique qui fait partie lui-même de
la définition de cette dépendance comme l’ont défini les
travaux d’Edwards et Gross,5 à l’origine des classifications
de la CIM 10 (Classification statistique internationale des
maladies et des problèmes de santé connexes) ou du
DSM IV (Diagnostic and statistical manual of mental disorders). On décrit, aux deux extrêmes du syndrome, des
signes mineurs de sevrage qui s’observent chez environ
50 % des patients dépendants de l’alcool, dans les heures
qui suivent l’arrêt de l’absorption des boissons alcooliques 6,7 et des accidents graves compliquant le sevrage luimême, comme le delirium tremens ou les crises convulsives. Ces complications constituent souvent une évolution
du sevrage, rapide et redoutable du fait de leur dangerosité.
Les symptômes observés dans le sevrage alcoolique ne
sont pas des symptômes spécifiques. Ils apparaissent dans
les premières heures après l’arrêt de l’alcoolisation, en
Score de Cushman
Le score est considéré comme minime de 0 à 7*, moyen de 8 à 14, important de15 à 21
0
1
2
3
Pouls
쏝 80
81 à 100
101 à 120
쏜 120
Pression artérielle systolique
쏝 135
136 à 145
146 à 155
쏜 155
Fréquence respiratoire
쏝 16
16 à 25
26 à 35
쏜 35
Tremblements
0
Main en extension
Membres supérieurs
Généralisés
Sueurs
0
Paumes
Paume, front
Généralisées
Agitation
0
Discrète
Généralisée
Incontrôlable
Troubles sensoriels
0
Gêne bruit lumière
Hallucinations critiquées
Hallucinations non critiquées
Tableau 1 * 0 à 6, si traitement bêtabloquant.
1094
L A R E V U E D U P R AT I C I E N / 2 0 0 6 : 5 6
Arbre décisionnel en ambulatoire
ÉVALUATION INITIALE
PAR LE SCORE DE CUSHMAN
❚ Score minime (0 à 7)*
CHOIX DU TRAITEMENT
❚ Traitement de base per os
❚ Antécédents de crise convulsive ❚ Hospitalisation
ou de delirium tremens
❚ Score moyen (8 à 14)
❚ Hospitalisation
❚ Score sévère (15 à 21)
❚ Hospitalisation : réanimation
Tableau 2 Pour le calcul du score de Cushman, voir tableau 1.
* 0 à 6 si traitement bêtabloquant.
dans l’idéal toutes les 4 heures, voire plus fréquemment
dans les 24 premières heures, elle est plus espacée en
médecine ambulatoire, une évaluation à 24 heures étant
souvent la plus précoce. Cette évaluation peut être faite
sur la base d’un entretien téléphonique ou avec l’aide de
l’entourage.
MODALITÉS PRATIQUES
DU SEVRAGE ALCOOLIQUE :
AMBULATOIRE OU RÉSIDENTIEL
Selon notre pratique, d’une part la fréquence des
contre-indications au sevrage ambulatoire est nettement
plus importante que ce chiffre de 10 %, et d’autre part le
choix des modalités de traitement du sevrage est fortement influencé par les attentes des patients qui sont souvent in fine maîtres de la décision. Ainsi, les patients veulent être hospitalisés lorsqu’ils attendent du séjour en
institution :
– le fait d’être à l’écart physiquement des stimulations
d’alcool ;
– la recherche d’un bénéfice secondaire de l’hospitalisation (obtention d’un certificat) ;
– le fantasme du côté magique d’une admission à l’hôpital ;
– ou du fait de leur ambivalence qui s’exprime par le fait
d’être en situation de sevrage sans pour autant s’engager à
ne plus consommer d’alcool.
Au contraire ils souhaitent être sevrés en ambulatoire
lorsqu’ils attendent :
– de pouvoir rester dans leurs conditions habituelles de vie;
– qu’ils ne perçoivent pas la difficulté du sevrage ;
– ou encore lorsqu’ils craignent les techniques de sevrage
en milieu hospitalier.
TRAITEMENT DU SYNDROME DE SEVRAGE
Deux modalités du sevrage coexistent : le mode ambulatoire correspondant à un protocole de soins à domicile,12
le mode résidentiel dans un service hospitalier ou en centre spécialisé.13 Ce dernier a longtemps fait figure de référence. Les alternatives ambulatoires se sont développées
depuis une vingtaine d’années, notamment pour des raisons économiques, mais aussi pour permettre un accès à
cette modalité d’aide moins contraignante aux patients
dépendants. Chacune de ces méthodes a des avantages et
des inconvénients.14-16 Des essais cliniques randomisés
ont établi une efficacité identique à moyen et à long
terme du sevrage ambulatoire comparé au sevrage résidentiel,17 mais des études en cours tentent d’isoler les éléments distincts des différentes modalités tels que la sécurité de chaque méthode (fréquences des incidents de
sevrage) et le coût réel global comparé. En revanche, l’indication d’une hospitalisation (contre-indication du
sevrage ambulatoire) a été déterminée dans le cadre de
la conférence de consensus de 1999 sur le sevrage alcoolique.18 Les contre-indications du sevrage ambulatoire
peuvent être retenues comme des indications électives
au sevrage résidentiel (tableau 3).
Dans les études descriptives déjà publiées, les deux critères d’exclusion les plus retenus au sevrage ambulatoire
sont l’existence d’accidents antérieurs de sevrage 19 ou un
syndrome de sevrage cliniquement sévère témoignant
d’une forte alcoolo-dépendance.20 En respectant strictement l’ensemble des critères, les auteurs considèrent que
seuls 10 % des patients ne peuvent être sevrés de façon
ambulatoire.
L A R E V U E D U P R AT I C I E N / 2 0 0 6 : 5 6
L’empathie à la mise en route du traitement, l’explication
des symptômes du sevrage et de l’utilisation des médicaments sont les éléments fondamentaux de la sécurité du
traitement. Le traitement du sevrage alcoolique correspond à la réduction des symptômes désagréables pour
le patient et la prévention des complications de sevrage.
Compte tenu de la relative rareté des formes de sevrage
compliquées, il n’est pas légitime de proposer un traite-
Contre-indication ou non-indication
au sevrage ambulatoire
Alcoologiques
❚ Dépendance physique sévère (score 쏜 8)
❚ Antécédents de delirium tremens
ou de crise convulsive
Somatiques
❚ Affections somatiques aiguës
❚ Complication sévère de l’alcoolisme
(dénutrition, hépatite alcoolique…)
Psychiatrique
❚ Syndrome dépressif sévère associé
(jugement clinique)
❚ Affection psychiatrique connue et évolutive
Environnementales
❚ Demande pressante de l’entourage
(familial, social, judiciaire…)
❚ Entourage non coopérant ou patient
en situation d’isolement social sévère
Tableau 3
1095
MALADES DE L’ALCOOL M O DA L I T É S D U S E V R A G E
Exemple d’ordonnance de sevrage
Nom et prénom : . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Date de naissance : . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
a) Arrêter le . . . . . . . . . . . . ., brutalement, toutes boissons alcoolisées (҃ J0)*
b) Boire de l’eau ou jus de fruit, tisane, etc. : à volonté**
� Diazépam, cp 10 mg*** : schéma décroissant en tenant compte des recommandations suivantes :
— en cas d’endormissement, ne pas rattraper au réveil une prise manquée
— en cas de tremblement et/ou de sueurs importantes, appeler le médecin
— prises entre parenthèses : optionnelles, en cas d’angoisse ou de tremblement
DATE
8H
10 H
12 H
15 H
18 H
20 H
22 H
Le . . . . . . .(J Ҁ1)
0
0
0
0
0
0
1
Le . . . . . . . .(J0)
1
1/2
0
(1)
1/2
0
1
Le . . . . . . . .(J1)
1
0
1/2
0
0
(1)
1
Le . . . . . . . .(J2)
1/2
0
1/2
0
1/2
0
1
Du . . . . . . . .(J3) au . . . . . . . . . .(J6)
1/2
0
0
0
0
0
1
Le . . . . . . . .(J7)
0
0
0
0
0
0
1
Arrêt du traitement à J8
� Vitamine B1-B6 : 2 cp matin et midi, pendant 21 jours
� Zopiclone : en cas d’insomnie, 1 cp au coucher pendant 7 jours
* Boissons alcoolisées : cidre, vin, bière, apéritifs, digestifs, liqueurs, pastis…
** Au minimum 2 à 3 litres de liquide par jour, en limitant le café.
*** L’utilisation de comprimés dosés à 5 mg, selon le même schéma, est possible en cas de dépendance physique plus modeste ou d’effet sédatif trop important.
ment systématique à tous les patients. Une attitude ciblée
semble la plus opportune pour minimiser au maximum
les risque de complications chez les patients à risque.21
Pour l’American Society of Addiction Medicine, 22 les indications du traitement psychotrope sont (patient à risque de
développer une complication de sevrage) :
– un score de sevrage moyen ou élevé (supérieur à 7) ;
– des antécédents de crise comitiale ou de delirium tremens ;
– une comorbidité somatique significative.
Le traitement repose sur l’utilisation concomitante
d’une hydratation, avec vitaminothérapie, associées à un
traitement éventuel par benzodiazépines.
Prescription de benzodiazépines
Cette classe de médicaments a montré son efficacité
thérapeutique, à la fois pour réduire la gravité du syndrome, diminuer l’incidence des crises convulsives et des
delirium tremens.22 La conférence de consensus a validé
l’utilisation des benzodiazépines en première intention.18
L’utilisation préférentielle d’une benzodiazépine plus
qu’une autre n’a pu être démontrée, mais l’usage de médi1096
caments de longue demi-vie est licite pour éviter les phénomènes de rebond lors de la décroissance des doses
(p. ex. le clorazépate dipotassique, le diazépam dont les
demi-vies sont de 30 à 90 heures) et les phénomènes d’abus. Il n’y a jamais de justification à utiliser concomitamment plusieurs benzodiazépines. L’utilisation de ces
médicaments à demi-vie longue chez les patients ayant
une insuffisance hépatocellulaire, ou âgés, expose au
risque de sédation ou de décompensation hépatique ; c’est
dans ce cas que l’utilisation de l’oxazépam (demi-vie de
8 à 10 heures) peut être recommandée.
Règles générales
La voie orale est la plus simple à utiliser et elle est aussi
performante que la voie intraveineuse dès lors que l’absorption est possible. Elle est souvent la seule voie utilisable en ambulatoire. La voie intraveineuse est parfois
nécessaire en cas d’agitation, de non-coopération, d’hydratation impossible ou insuffisante.
Le traitement est en général administré à heure fixe, à
dose décroissante. La prudence est recommandée pour la
mise en route des traitements en cas d’alcoolémie positive
L A R E V U E D U P R AT I C I E N / 2 0 0 6 : 5 6
Arbre décisionnel en milieu hospitalier
SCORE INITIAL
CHOIX DU TRAITEMENT
RÉÉVALUATION 4 HEURES SI OK
❚ Score 쏝 8, pas d’antécédents de crises
convulsives ou de delirium tremens
❚ Traitement classique
❚ Poursuite traitement en diminution
❚ Score 쏝 8, avec antécédents de crises
convulsives ou de delirium tremens
❚ Traitement de charge
❚ Poursuite traitement classique per os
❚ Puis diminution quand score 쏝 8
❚ Score 쏜 8
❚ Traitement de charge
❚ Poursuite traitement classique par voie
intraveineuse
❚ Puis diminution quand score 쏝 8
❚ Score 쏜 15
❚ Réanimation
Tableau 4
lors de l’évaluation des symptômes, justifiant une réévaluation rapide des symptômes (décroissance moyenne de
l’alcoolémie au sevrage de 0,20 g/L/h). La décroissance
des doses de médicaments peut être anticipée dans les
prescriptions, mais uniquement après amélioration objective des symptômes (réévaluation du score de Cushman).
Le sevrage alcoolique se déroulant en général sur une
semaine, il n’est pas nécessaire de prolonger au-delà la
prescription de psychotropes.
En ambulatoire
La date de l’arrêt de l’alcoolisation (début du sevrage)
est négociée avec le patient, et n’est pas forcément celle de
la consultation médicale. Éviter le démarrage du sevrage
juste avant un événement festif pour le patient. Les doses
sont adaptées en fonction de l’heure du dernier verre, de
l’intensité supposée de la dépendance (intervalle de
temps entre le lever et l’heure de la première prise de
boisson alcoolique), de l’intensité du syndrome de
sevrage lors des dernières expériences de sevrage
(v. encadré).
Une réévaluation au moins téléphonique est souhaitable à J1, un nouvel examen entre J3 et J5 est conseillé. Ce
CE QUI EST NOUVEAU
L Le sevrage hospitalier n’est qu’une option parmi d’autres.
L Si la surveillance médicale d’un sevrage alcoolique
est nécessaire, le traitement médicamenteux n’est pas
systématique.
L Il existe des outils de mesure validés permettant d’évaluer
la gravité d’un syndrome de sevrage alcoolique
(score de Cushman).
L L’attitude de prévention des complications du sevrage
alcoolique peut être ciblée autour des patients à risque,
ou ayant un score de sevrage élevé.
L A R E V U E D U P R AT I C I E N / 2 0 0 6 : 5 6
type de procédure est rarement compatible avec la poursuite de l’activité professionnelle et la prescription d’un
arrêt de travail de 7 jours est souvent nécessaire.
Le patient doit être prévenu que la conduite automobile est déconseillée. Dans la majorité des cas, les symptômes sont contrôlés avec des doses assez faibles de benzodiazépines : 30 à 40 mg/j de diazépam, 100 à 150 mg/j
d’oxazépam, 150 à 200 mg de clorazépate dipotassique,
avec une diminution progressive des doses sur une durée
totale de 7 jours.
En institution
Le traitement peut être le même qu’en ambulatoire,
mais la dose de benzodiazépines est mieux adaptée sur
la base d’une évaluation répétée du score de Cushman.
Celui-ci doit être évalué dès l’arrivée du patient aux
urgences, dans le service et consigné dans le dossier
avec les heures de son calcul. Une nouvelle évaluation
toutes les 4 heures, voire plus souvent, peut être nécessaire initialement. Le traitement peut être adapté selon
un arbre décisionnel (tableau 4). L’utilisation de doses
de charge (non conseillée en pratique ambulatoire) est
possible en cas de franchissement de la limite de 8 au
score de Cushman (p. ex. 6 fois 10 mg de diazépam
répartis sur les 6 premières heures, sauf en cas d’endormissement). Cette pratique a pour but l’obtention d’un
état calme et de contrôle des symptômes du sevrage
alcoolique en évitant les surdosages éventuels (pouvant
être responsables de détresse respiratoire). La réévaluation clinique est faite au plus tard après 6 heures d’évolution pour juger de la poursuite ou non et des éventualités du passage aux doses d’entretien à dose
décroissante. Lorsque le score de Cushman est élevé
(supérieur à 15), la prise en charge passe par la réanimation, le but objectif du traitement étant d’obtenir un
coma calme, par l’utilisation d’une benzodiazépine
intraveineuse à fortes doses. Le flunitrazépam ou le
midazolam sont en général utilisés, sans que l’on puisse
dégager des doses standardisées.
1097
MALADES DE L’ALCOOL M O DA L I T É S D U S E V R A G E
P O U R L A P R AT I Q U E
L La prise en charge des personnes dépendantes de l’alcool est
L
L
L
L
fréquente, tant en médecine ambulatoire qu’à l’hôpital,
mais seule une partie de ces personnes requiert un traitement
médicamenteux.
Le syndrome de sevrage alcoolique est un ensemble de signes
non spécifiques témoignant d’une alcoolo-dépendance
objective.
Le syndrome de sevrage alcoolique peut évoluer vers
une forme sévère, avec crises convulsives et delirium
tremens, parfois mortels sans traitement adapté.
Une attitude ciblée en fonction de la situation clinique et étayée
par des mesures de la gravité et de l’évolution du syndrome
de sevrage permet d’adopter une stratégie individualisée.
L’utilisation de benzodiazépines avec hydratation
et vitaminothérapie a été validée dans le traitement
du syndrome de sevrage alcoolique, tant en ambulatoire qu’en
résidentiel, mais avec des stratégies légèrement différentes.
Traitements associés
L’hydratation
L’apport hydrique n’est pas, en soi, un moyen d’influencer la gravité du syndrome de sevrage, même si les premières descriptions du traitement du delirium tremens
plaçaient l’hydratation comme tel. Il existe, en revanche,
une déshydratation quasi systématique chez les patients
dépendants de l’alcool ainsi que des perturbations de la
sensation de soif, qui justifient la stimulation de l’hydratation et la mesure des quantités consommées, en général
per os et en utilisant des bouteilles de 1,5 L d’eau avec un
conseil de une à deux bouteilles minimum par 24 h. Une
hydratation intraveineuse est normalement suffisante en
perfusant une solution salée (4 g de sodium et 2 g de
potassium par litre) de 2 L/24 h (en l’absence de signe
d’insuffisance cardiaque), et une hyperhydratation doit
être surveillée par ionogramme (risque d’hyponatrémie à
l’origine éventuellement d’une confusion mentale interférant avec le tableau du sevrage). L’hypokaliémie parfois
observée se corrige par l’apport de magnésium (sulfate de
magnésium) avec surveillance de l’électrocardiogramme
et non par l’apport direct de potassium.
La vitaminothérapie
Thiamine : devant la grande prévalence des déficits en
thiamine (vitamine B1) chez les sujets dépendants de l’alcool (carence d’apport, diminution de l’absorption intestinale, diminution de la phosphorylation de la thiamine en
thiamine pyrophosphate), il est licite d’administrer à titre
prophylactique et systématiquement la vitamine B1. En
revanche, il n’existe pas actuellement d’indication préférentielle pour conseiller une voie d’administration ou une
1098
durée optimale de ce traitement. Il est habituel d’utiliser
des doses de 500 mg/j de thiamine, per os sur une
période 10 à 20 jours ; la voie parentérale est préférée
lorsqu’il y a altération de l’état général, dénutrition ou
signes cliniques évocateurs d’une encéphalopathie de
Gayet-Wernicke.
Vitamine PP, pyridoxine, acide folique : le tableau clinique d’encéphalopathie pellagreuse chez le patient
alcoolique est rare, mais les déficits en vitamine PP fréquents, se combinant aux signes de déficit en vitamine B1
et justifient l’utilisation de 500 mg/j de vitamine PP en cas
de dénutrition, durée optimale de traitement non définie.
Le déficit en vitamine B6 peut être responsable de crises
convulsives conduisant à une utilisation associée des vitamines B1 et B6 de façon systématique. La prescription
d’acide folique est à discuter systématiquement chez la
femme enceinte.
Autres psychotropes
L’alcool est souvent utilisé par les patients (et malheureusement aussi parfois par les médecins !) à doses
dégressives pour limiter les effets du sevrage. Il n’y a
aucune indication validée d’une telle utilisation.
Les carbamates : le méprobamate est très employé en
France, mais son action préventive dans le syndrome de
sevrage n’a jamais été démontrée ; il ne s’agit donc pas
d’un traitement adapté.
Les neuroleptiques : la chlorpromazine et l’halopéridol
réduisent les symptômes de sevrage, mais les phénothiazines ne préviennent pas, voire augmentent, le risque de
crise convulsive. Leur utilisation est plutôt réservée aux
troubles du comportement ou aux phénomènes hallucinatoires associés à un syndrome de sevrage sévère.
CONCLUSION
Le sevrage alcoolique est une première étape souvent
nécessaire pour établir une communication avec le patient
dépendant de l’alcool et réaliser avec lui des projets d’amélioration de la qualité de vie. Une prise en charge adéquate
apporte confort et sécurité au patient, en évitant la survenue de complications qui sont potentiellement létales. Les
modalités peuvent différer selon le mode de prise en
charge, ambulatoire ou institutionnelle.
La diversité des situations cliniques justifie l’adoption
de protocoles basés sur l’évaluation des sujets à risque et
l’utilisation rationnelle des médicaments du sevrage.
Les moyens pharmacologiques à disposition sont nombreux et efficaces pour prévenir les complications du
sevrage alcoolique. Le sevrage seul est rarement suffisant
pour traiter la dépendance alcoolique, mais il facilite la
mise en place d’un suivi thérapeutique.
B
L’auteur n’a pas transmis de déclaration de conflits d’intérêts.
L A R E V U E D U P R AT I C I E N / 2 0 0 6 : 5 6
SUMMARY Alcohol withdrawal syndrome: managing and treatment protocol
The period immediately after breaking alcohol for alcohol dependent patients is marked by several pathologies troubles like withdrawal syndrome.
Taking charge therapeutic of withdrawal is made to limit the severity of this withdrawal syndrome to prevent complications and guarantee a transition
toward an accompaniment in abstinence. An attitude based on measuring the withdrawal syndrome and risk factors is effective to limit eventual
complications. The detoxification can be realised in ambulatory or in hospital depending on different modes, with specifies indications for
hospitalization. The patient preference intervenes often in the mode of choice for the method. An attentive surveillance clinical, benzodiazepine,
hydration and vitamin therapy are essential for good alcohol withdrawal.
Rev Prat 2006 ; 56 : 1093-9
RÉSUMÉ Modalités du sevrage alcoolique
La période qui suit immédiatement l’arrêt de l’alcool chez les personnes dépendantes de l’alcool peut être marquée par diverses complications dont la
plus connue est le syndrome de sevrage. La prise en charge thérapeutique du sevrage a pour but de limiter sa gravité, de prévenir ses complications et
d’assurer une transition vers l’accompagnement dans l’abstinence. Une attitude ciblée autour de l’évaluation du syndrome de sevrage et des facteurs
de risques est efficace pour en limiter les complications. Le sevrage peut être réalisé en ambulatoire ou à l’hôpital selon des modalités légèrement
différentes, avec des indications spécifiques pour l’hospitalisation. La préférence du patient intervient souvent de façon déterminante dans le choix de
la méthode. Surveillance clinique attentive, benzodiazépines, hydratation et vitaminothérapie sont les bases d’un sevrage alcoolique réussi.
RÉFÉRENCES
1. Huas D, Darne B, Rueff B,
Lombrail P, et al. Malades
alcooliques et consultation de
médecine générale ; prévalence et
détection. Rev Prat Med Gen
1990;81:45-9.
2. Acquaviva E, Beaujouan L, Nuss P,
et al. Prévalence de l’abus d’alcool
dans un hôpital de l’AP-HP. Alcool
Addictol 2003;25:201-7.
3. Becker HC. Positive relationship
between the number of prior
ethanol withdrawal episodes and
the severity of subsequent
withdrawal seizures.
Psychopharmacology 1994;116:26-32.
4. Whitfield CL, Thompson G, Lamb A,
Spencer V, Pfeifer M, BrowningFerrando M. Desintoxication of 1.024
alcoholic patients without
psychoactive drugs. JAMA
1978;239:1409-10.
5. Edwards G, Gross MM. Alcohol
dependence: provisional description
of a clinical syndrome. BMJ
1976;1:1058-61.
6. Hillborn M, Pieninkeroinen I,
Leone M. Seizures in alcoholdependent patients: epidemiology,
pathophysiology and management.
CNS Drugs 2003;17:1013-30.
7. Rueff B. Alcoologie Clinique. Paris :
Flammarion Médecine/Sciences,
1989.
13. Batel P, Poynard T, Rueff B.
Traitement de l’alcoolodépendance.
EMC. Paris: Elsevier, 1995:9-004-B10:1-7.
8. Batel P, Larivière P. Syndrome de
sevrage alcoolique à début tardif.
Ann Med Interne 2000;151:B 27-9.
14. Fleeman N. Alcohol home
detoxification: a literature review.
Alcohol Alcohol 1997;32:649-56.
9. Cushman PJr, Forbes R, Lerner W,
et al. Alcohol withdrawal
syndromes: Clinical management
withlofexidine. Acohol Clin Exp Res
1985;9:103-8.
15. Miller WR, Hester RK. Impatient
alcoholism treatment: Who benefits?
Am Psychol 1986;41:794-805.
10. Batel P. Encéphalopathie de GayetWernicke. In : PG, ed. Traité de
médecine. Paris :
Flammarion/Médecine Sciences,
1998:2427-8.
11. Kraus ML, Gottlieb LD, Horwitz RI,
et al. Randomized clinical trial of
atenolol in patients with alcohol
withdrawal. N Engl J Med
1985;313:905-9.
FMC
consensus organisée par la Société
française d’alcoologie. Paris 17 mars
1999. Alcoologie 1999;21(S2).
12. Bischof GP, Booker JA, Dyck TL,
et al. Out-patient detoxification: an
annotated bibliography. Alcohol
Treat Quart 1991;8:119-29.
19. Alterman A, Hayashida M, O’Brien C.
Treatment response and safety of
ambulatory medical detoxification.
J Stud Alcohol 1988;49:160-6.
20.Batel P. Le sevrage alcoolique
ambulatoire : principes, procédures
et résultats. In : ed. Bichat, ed. Les
entretiens de Bichat 1988. Paris :
Expansion scientifique française,
1988 : 122-5.
21. Daeppen JB, Gache P, Landry U,
et al. Symptom-trigered versus fixedschedule doses of benzodiazepine
for alcohol withdrawal: a
randomized treatment trial. Arch
Intern Med 2002;162:1117-21.
16. Mattick RP, Hall W. Are
detoxification programmes
effective? Lancet 1996;347:97-100.
17. Drummond DC, Thom B, Brown C,
Edwards G, Mullan MJ. Specialist
versus general practitioner
treatment of problem drinkers.
Lancet 1999;336:915-8.
22. Mayo-Smith MF. Pharmacological
management of alcohol withdrawal.
A meta-analysis and evidence-based
practice guideline. JAMA
1997;278:144-51.
18. Objectifs, indications et modalités
du sevrage du patient alcoolodépendant. Conférence de
Vos préférences*
NCOlURS
LE CO
dica
23 mai
19/20
2006 n°
ION
FORMAT
IONNELLE
PROFESS
E
CONTINU
me
IEN
ENTRET reux
e Lamou
Philipp e Guilbert
et Philipp
santé
alités de
Les inég ent
s’accentu
POINT
MISE AU
ers
Quels canc
?
dépister
s
Prothèse naires actives
endocoro
ent
Larmoiemonne âgée
de la pers
, facteur
L’infection se veineuse
mbo
de thro
FORMATION MÉDICALE CONTINUE
DOSSIER
ALCOOL
drome
ir le syn
e
LE
VIE
SIONNEL
PROFES
nostic
de diag
Erreur : faut-il
prénatal er
?
indemnis
handicapé
l’enfant
rié
er un sala
tionn
Sanc
fait
pour un privée
de sa vie
Préven sation fœtal
d’alcooli
- 705
TOME 128
à 780 •
ISSN 0010-53
09 • Publicat
l.com
ursmedica
www.conco
adaire
ion quinzom
Pas obligatoires,
juste nécessaires !
* Indices d’intérêt les plus élevés
• La Revue du Praticien : 5.5
• Le Concours Médical : 5.3
(Données Cessim)
Huveaux France - 114, avenue Charles-de-Gaulle - 92200 Neuilly-sur-Seine - Tél. : 01 55 62 68 00 - Fax : 01 55 62 69 11 - E-mail : [email protected]
L A R E V U E D U P R AT I C I E N / 2 0 0 6 : 5 6
1099
monographie
Maintien de l’abstinence
après le sevrage
Après le sevrage, un projet de maintien de l’abstinence doit être
systématiquement proposé aux patients dépendants de l’alcool,
car les deux tiers en tirent un bénéfice. Ce projet associe au minimum
un suivi médical et 1 ou 2 médicaments d’aide au maintien
de l’abstinence, mais il peut aussi inclure une psychothérapie
ou le soutien d’un groupe d’entraide.
Philippe Batel, Sylvain Balester-Mouret *
« S’
arrêter de boire » n’est pas la panacée du traitement de la dépendance à l’alcool, ce n’est
que son préalable. Ainsi le sevrage, quelle
qu’en soit la modalité (ambulatoire ou résidentielle) ou la
durée, n’est qu’une étape préparatoire au changement à
long terme du comportement. « Quitter l’alcool », « s’en
tenir à distance », « ne pas reboire » seraient des objectifs à
long terme plus pertinents, à deux conditions toutefois :
qu’ils soient davantage considérés comme des moyens
d’améliorer sa qualité de vie (psychique, physique, relationnelle) que des buts et, surtout, que le coût pour le
patient (efforts à faire, pénibilité) reste le plus faible possible afin d’optimiser la pérennisation des bénéfices acquis.
De ce fait, la stratégie thérapeutique doit s’inscrire sur un
accompagnement à long terme du patient dépendant de
l’alcool qui serait moins fixé sur les résultats (consommation d’alcool) obtenus que sur les moyens (personnels et
thérapeutiques) mis en œuvre pour y parvenir. La durée
théorique de l’abstinence recommandable est infinie ;
néanmoins, quel que soit le niveau de préparation des
patients à cette idée d’une abstinence définitive, très peu
d’entre eux se sentent capables de renoncer. Ainsi, il appa-
raît plus judicieux de fractionner cette éternité apparemment inatteignable en proposant des échéances plus raisonnables et renouvelables à terme.
Un nombre considérable d’études ont montré que l’efficacité de stratégies diverses dans l’indication « maintien
du sevrage » est faible, la grande majorité des patients
rechutant dans les trois mois qui suivent le sevrage (40 à
90 %). Néanmoins, les évaluations divergent selon les critères diagnostiques utilisés pour définir la rechute. En
recherche alcoologique, deux positions sont généralement défendues :
– la première, rigoureuse, considère comme seul critère
de jugement l’abstinence totale et continue (chaque verre
bu qualifie la rechute) ;
– la seconde, plus descriptive, différencie deux types de
reprise de l’alcoolisation ; celles qui marquent à l’évidence
dans un délai plus ou moins court la reprise du processus
de dépendance sur les aspects qualitatifs et quantitatifs de
la consommation d’alcool (rechute) ; et les patients dont
la consommation (quantitativement inférieure à 5 verres/j
pour les hommes et 3 pour les femmes) marque plus une
défaillance temporaire ou partielle du dispositif de
* Traitement ambulatoire des maladies de l’alcool, hôpital Beaujon, 92110 Clichy. Courriel : [email protected]
1100
L A R E V U E D U P R AT I C I E N / 2 0 0 6 : 5 6
maintien. Peu de données sont disponibles pour juger de
la stabilité à long terme de ce bénéfice partiel du projet
d’abstinence constitué par ces consommations intermédiaires ; le risque de retour vers une consommation nocive
était généralement équivalent à celui d’une stabilisation
ou d’une abstinence.
OBJECTIF ET STRATÉGIES
En pratique il convient, au terme du sevrage, d’aider le
patient à se déterminer sur un projet d’abstinence le plus
accompli (« le plus proche de zéro verre ») possible et circonscrit dans le temps. Ainsi, une bonne façon de procéder en intégrant les outils de l’entretien motivationnel est
de demander au patient sur quelle période il se considère
aujourd’hui suffisamment capable de se maintenir abstinent. Un pari aux termes définis (objectif et échéance),
plus qu’un contrat, peut être ainsi établi avec lui. Le médecin n’en est pas seulement un témoin privilégié ; il est le
guide et le conseiller du projet d’abstinence en proposant
(comme un menu thérapeutique) divers moyens thérapeutiques pour aider à sa réalisation dans les meilleures
conditions. La fréquence des rechutes est présentée au
patient, non pas comme un risque élevé d’échec au projet
d’abstinence, mais comme un incident fréquent qui signe
une difficulté à maintenir celle-ci, accessible à une aide
qu’il convient alors de trouver ensemble.
Les modalités des traitements d’aide au maintien de
l’abstinence, leurs effets secondaires et leurs mécanismes
d’action (quand ils sont élucidés) sont explicités aux
patients. Si la plupart d’entre eux sont compatibles, certains ne peuvent être simultanés (p. ex. interférence des
différents types de psychothérapies) et certains ne sont
pas disponibles sur l’ensemble du territoire. Enfin, l’adhésion a priori du patient à une technique peut s’avérer rapidement source de désillusion dès les premières expériences. Ainsi, il est nécessaire de reconsidérer chaque fois,
tout au long du suivi, la pertinence adaptée du projet.
Nous listerons ici les cinq principaux types d’approches et
donnerons, chaque fois que cela est possible, des éléments de validation de leurs efficacités générale et spécifique (indications préférentielles).
Les psychothérapies
Les multiples techniques psychothérapiques utilisées
dans l’accompagnement du malade dépendant de l’alcool
sont souvent inspirées de celles indiquées dans les troubles mentaux. D’autres sont plus spécifiques aux addictions comme les techniques motivationnelles développées
par Miller et al. 1 et conduisent le patient à s’engager dans
la première étape de la prise en charge ; elles peuvent
cependant être utilisées à n’importe quel moment au
cours des étapes du changement modélisées par Prochaska et al., notamment 2 lors des rechutes pour redynamiser l’investissement du patient dans un processus
L A R E V U E D U P R AT I C I E N / 2 0 0 6 : 5 6
d’abstinence (v. page 1088). La psychothérapie de soutien est plus couramment utilisée. Ne requérant pas de
formation particulière, elle s’appuie sur une attitude
empathique prudente, sans implication personnelle et
associant un renforcement positif de tout progrès.3 En
pratique, il est important de maintenir un contact avec le
patient par tous les moyens personnalisés (téléphone,
courrier, courriel, SMS [short message service] ) y compris
lors de son absence au cours du suivi.
Les psychothérapies d’inspiration analytique chez les
malades de l’alcool ont été prépondérantes dans les
décennies 1960 et 1970. Leur principe est de résoudre les
conflits inconscients qui pourraient jouer un rôle dans la
genèse de la maladie alcoolique. L’accessibilité du sujet à
un travail d’introspection et sa détermination à s’engager
dans un traitement de longue haleine sont autant d’aptitudes requises pour poser ce type d’indication. La mise en
route du travail psychothérapique s’effectue après une
période de préparation et est facilitée par l’abstinence du
sujet. L’évaluation de ce type de traitement est difficile. Il
semble raisonnable de le proposer aux patients chez qui
un trouble névrotique est repéré.
Enfin, des modèles adaptés de thérapies cognitives et
comportementales ont été développés. Effectuées en individuel ou, mieux encore, dans des groupes de patients, le
principe général est de modifier la conduite du sujet vis-àvis de l’alcool par des procédures de désensibilisation et
de renforcement positif vers une attitude de sobriété ou
d’abstinence. Durant la phase d’accompagnement, deux
types de techniques sont particulièrement intéressants :
1. la reconnaissance des principales situations à risque de
rechutes ; 2. l’affirmation de soi. L’évaluation individuelle
de ces méthodes est compliquée par l’utilisation simultanée au sein de protocoles complexes. Il semble toutefois
que leur efficacité soit meilleure chez les consommateurs
à risque que chez les patients dépendants de l’alcool.
Enfin, une analyse récente de 26 études suggère que l’efficacité chez les patients alcoolo-dépendants serait limitée
aux patients dont la dépendance est peu sévère, engagés
dans un programme de traitement structuré.4
Les médicaments
De très nombreux psychotropes (anxiolytiques, antidépresseurs, neuroleptiques, thymorégulateurs, antipsychotiques) ont été prescrits aux malades dépendants de l’alcool dans le but d’améliorer leur pronostic d’abstinence.
L’hypothèse de leur efficacité reposait sur le postulat du
caractère « secondaire » de l’alcoolo-dépendance à un
trouble psychopathologique dont la correction était supposée entraîner de facto la disparition du trouble de l’alcoolisation. Hélas! Ces stratégies se sont avérées majoritairement infructueuses. Néanmoins, la prescription de
médicaments peut être utile, comme l’a recommandé la
conférence de consensus sur le maintien de l’abstinence.5
Deux familles de médicaments se distinguent dans cette
1101
MALADES DE L’ALCOOL M A I N T I E N D E L’A B S T I N E N C E A P R È S L E S E V R A G E
CE QUI EST NOUVEAU
L La durée initiale d’abstinence après le sevrage est définie
L
L
L
L
L
L
à l’avance par le malade sur la base probabiliste
de son appréciation de sa capacité à la maintenir
sur une période donnée.
La prolongation du projet d’abstinence à l’échéance
de la période initiale est systématiquement proposée
et débouche sur le renouvellement du pari sur une nouvelle
période dans la majorité des cas.
Les « paris » d’abstinence se renouvellent annuellement
à échéances de loin en loin.
Le patient fait le choix des composantes de son projet
thérapeutique d’accompagnement parmi l’ensemble des outils
thérapeutiques qui lui sont présentés.
Toute reprise de l’alcoolisation n’est pas une rechute. Si des
consommations intermédiaires stables ne sont pas considérées
comme telles, elles sont souvent instables et doivent inciter
à un retour vers l’abstinence ou une vigilance accrue.
Les deux médicaments d’aide au maintien de l’abstinence
actuellement sur le marché (Aotal et Revia) peuvent être
associés.
Le séjour en postcure n’est pas systématique; les indications
spécifiques concernent les patients sévères, désocialisés,
en grande difficulté avec leur entourage ou atteints de troubles
cognitifs importants.
indication par leur stratégie d’action : celles utilisant une
stratégie en aval de la bouteille et visant à créer une dissuasion comportementale par la menace aversive d’un effet
antabuse ; les autres, les médicaments d’aide au maintien
de l’abstinence (MAMA), se situant en amont de la bouteille en agissant sur les phénomènes de l’envie de boire.
Médicaments à effet antabuse
Le disulfirame (Esperal [Antabuse aux États-Unis]) est
le pionnier des traitements pharmacologiques spécifiques
en alcoologie. Utilisé depuis les années 1940 dans le traitement de la dépendance à l’alcool, son action pharmacologique permet l’inhibition de l’acétaldéhyde-déshydrogénase, une des enzymes clés du métabolisme de l’alcool.
En cas de consommation d’alcool, l’accumulation d’acétaldéhyde sanguine provoque des symptômes déplaisants
(flush au niveau du visage et du cou, nausées, vomissements, palpitations, dyspnée, diminution de la pression
artérielle, parfois lipothymie). L’association de ces symptômes avec la consommation d’alcool est destinée à
décourager de nouvelles alcoolisations en créant une
réaction aversive par feedback négatif. Cependant, l’observance du traitement souvent très médiocre (20 à 50 %
selon les études), la négativité des essais randomisés de
grande envergure et l’existence d’une toxicité (neurologique et hépatique) combinée au risque d’exposition à
1102
des complications potentiellement graves (notamment
cardiovasculaires) en cas d’ingestion d’alcool ont conduit
les experts alcoologues à ne pas recommander le disulfirame en première intention.5 Des stratégies multiples
(implant, supervision, association à des thérapies comportementales) visant à augmenter l’observance ont été évaluées; les résultats semblent meilleurs dans ces conditions.
Il est difficile de recommander ce traitement à long terme,
compte tenu de sa toxicité hépatique et neurologique.
Médicaments d’aide au maintien de l’abstinence
Développés depuis l’identification des mécanismes
neurobiologiques de l’envie de boire et du renforcement,
de nombreux médicaments destinés à limiter la consommation d’alcool ont été testés sur des modèles animaux
validés. Seuls deux d’entre eux ont donné, à ce jour, des
résultats suffisamment positifs chez l’homme pour obtenir une autorisation de mise sur le marché (AMM) dans
l’indication : « aide au maintien de l’abstinence »
(v. tableau).
● Acamprosate
Molécule proche de la taurine (agoniste du récepteur
GABA [acide gamma-amino-butyrique]), l’acamprosate
(Aotal) inhibe, par son effet sur les récepteurs NMDA
(N-méthyl-D-aspartate) et la diminution de la fonctionnalité des canaux calciques, l’hyperexcitabilité neuronale
retrouvée lors du sevrage et du post-sevrage chez les
sujets dépendants de l’alcool. Des données récentes semblent confirmer cet effet neuroprotecteur au cours de la
période de sevrage et inviteraient à démarrer le traitement
précocement. Les contre-indications de ce traitement sont
peu nombreuses (insuffisance rénale sévère et allergie
documentée). Les effets indésirables, peu fréquents, se
résument à des désordres gastro-intestinaux qui régressent la plupart du temps spontanément.
Les résultats de nombreux essais randomisés européens et nord-américains ont été évalués dans des métaanalyses. Sur de longues périodes de traitement et de
suivi (supérieures ou égales à un an), l’acamprosate
apporte un bénéfice pour 4 à 6 patients sur 10 traités en
termes de maintien de l’abstinence (réduction du nombre
de jours d’alcoolisation et allongement du délai jusqu’à la
reprise de l’alcoolisation).6, 7 Si l’effet est jugé limité, il est
stable et peut être augmenté en association aux autres
médicaments avec le disulfirame et la naltrexone.8, 9
● Naltrexone
La naltrexone (Revia) est un antagoniste spécifique des
récepteurs aux opiacés ; elle réduit chez l’animal les comportements d’alcoolo-préférence. Ce traitement est destiné à réduire le risque de rechute après sevrage par blocage compétitif des récepteurs opioïdes, s’opposant ainsi
au renforcement positif induit par les opioïdes endogènes
produits lors de la consommation d’alcool. Plusieurs études randomisées contre placebo ont démontré l’intérêt de
ce produit sur la plupart des critères envisagés : amélioL A R E V U E D U P R AT I C I E N / 2 0 0 6 : 5 6
ration du taux d’abstinence à 12 semaines de suivi, réduction du risque de rechute après sevrage (même en cas de
reprise de l’alcoolisation). Les rechutes, lorsqu’elles surviennent, sont plus tardives et moins sévères (réduisant le
nombre et l’intensité des reprises).10 L’efficacité de la naltrexone semble due à une diminution des envies de boire
(appétence ou craving) limitant ainsi le risque de retour
vers une consommation excessive, même en cas de reprise
de l’alcoolisation.
Deux méta-analyses des essais randomisés démontrent
un effet globalement positif dans la diminution du taux
de rechute et l’amélioration du taux d’abstinence. La qualité de l’observance du traitement est discutée, d’autant
qu’elle semble conditionner son efficacité.11 La rareté des
études confirmant l’efficacité de la molécule sur des
durées plus longues (supérieures ou égales à 6 mois) a
limité à ce jour l’AMM en France à trois mois, et ne permet
pas encore de déterminer la durée optimale théorique du
traitement. Les effets indésirables sont peu nombreux et
bénins (nausées, vertiges) en début de traitement et cette
molécule doit être déconseillée aux patients souffrant
d’une insuffisance hépatique sévère.
● Stratégies d’association
Il semble exister un réel bénéfice à associer la prescription
des deux médicaments d’aide au maintien de l’abstinence
sur le marché : l’acamprosate et la naltrexone.12 Une étude
randomisée a comparé le devenir de quatre groupes de
patients dépendants de l’alcool en post-sevrage placés
sous les quatre conditions (placebo ; naltrexone ; acamprosate ; acamprosate et naltrexone) sur trois critères :
amélioration du taux d’abstinence, prévention de la
rechute, et diminution du craving (défini comme le
besoin irrépressible de consommer). Le bénéfice est
significativement en faveur de l’association pour la totalité
des paramètres étudiés en comparaison avec le placebo et
l’acamprosate seul. L’association semble faire mieux que la
naltrexone seule sans pour autant atteindre la significativité.13 Si ces résultats étaient confirmés par d’autres essais,
la prescription combinée des deux molécules serait à
recommander en première intention. Bien que les
patients susceptibles de bénéficier de l’une, de l’autre ou
de l’association de ces molécules soient encore en cours
d’identification, certains auteurs recommandent leur
association.13-15
Médicaments du maintien de l’abstinence après le sevrage
NALTREXONE (REVIA)
ACAMPROSATE (AOTAL)
Indication
❚ Traitement de soutien dans le maintien
❚ Aide au maintien de l’abstinence chez le patient
de l’abstinence chez les patients dépendants de l’alcool dépendant de l’alcool après sevrage
❚ La naltrexone n’est pas un traitement de la période
de sevrage
Posologie
❚ 1 comprimé par jour
❚ 쏜 60 kg : 6 comprimés par jour en 3 prises
❚ 쏝 60 kg : 4 comprimés par jour en 2 prises
Durée
❚ 3 mois (en l’absence de données cliniques
pour des durées supérieures)
❚ 1 an
Effets indésirables
❚ Nausées
❚ Vomissements
❚ Céphalées
❚ Insomnie, anxiété, nervosité, crampes et douleurs
abdominales, asthénie, douleurs articulaires
et musculaires
❚ Diarrhées et, moins fréquemment, nausées,
vomissements et douleurs abdominales
❚ Érythème maculopapuleux
Contre-indications
❚ Dépendance aux opiacés (risque d’apparition
❚ Insuffisance rénale (créatininémie > 120 µmol/L)
❚ Hypersensibilité connue à l’acamprosate
d’un syndrome de sevrage aigu)
❚ Hypersensibilité à la naltrexone
ou à l’un des excipients
❚ Insuffisance hépatocellulaire sévère ou hépatite aiguë
❚ Sujet de plus de 60 ans
Recommandations
❚ Débuter après la phase de sevrage alcoolique
à 1/2 cp par jour durant les 3 premiers jours
(diminue le risque d’intolérance)
❚ Associer à la prise en charge psychologique
❚ Une reprise de l’alcoolisation épisodique
ne contre-indique pas le maintien du traitement
❚ Instaurer dès que possible après l’arrêt
de la consommation d’alcool, y compris durant
la période de sevrage
❚ Associer à la prise en charge psychologique
❚ Une reprise de l’alcoolisation épisodique
ne contre-indique pas le maintien du traitement
Tableau
L A R E V U E D U P R AT I C I E N / 2 0 0 6 : 5 6
1103
MALADES DE L’ALCOOL M A I N T I E N D E L’A B S T I N E N C E A P R È S L E S E V R A G E
● Molécules prometteuses
Plusieurs molécules sont actuellement à l’étude dans le
traitement de la dépendance à l’alcool après le sevrage.
Une forme injectable à libération prolongée de naltrexone, garantissant une meilleure observance, a montré
son efficacité dans le maintien de l’abstinence à 6 mois ; 16
son agrément par la Food and Drug Administration aux
États-Unis est en cours.
Antagoniste sérotoninergique pourvu d’un puissant
effet antiémétique, l’ondansétron (Zophren) a montré
une efficacité dans le maintien de l’abstinence à court
(6 semaines) et à moyen terme (12 semaines).17
Le topiramate (Epitomax) est un antiépileptique permettant de réduire, par un mode d’action indirect, la libération de dopamine au niveau méso-cortico-limbique.
Une étude récente (randomisée contre placebo) a montré
son intérêt pour réduire la consommation d’alcool et favoriser l’abstinence de manière significative.18
Enfin, le rimonabant est un antagoniste du récepteur
cannabinoïde CB1 dont les résultats sur des modèles animaux sont très prometteurs.
Les traitements médicamenteux doivent être proposés
plus fréquemment aux patients dépendants de l’alcool, car
ils sont une aide précieuse et reconnue comme efficace
dans la prise en charge pour réduire le risque de rechute et
aider au maintien de l’abstinence. On ne peut que recommander leur prescription systématique, en association avec
la prise en charge médicale, sociale et psychologique. Leur
prescription est recommandée au décours immédiat du
sevrage physique. Néanmoins, des données chez l’animal,
et précliniques chez l’homme, sont en faveur d’un rôle
neuroprotecteur de l’acamprosate qui inviterait à le prescrire au cours du sevrage physique, voire avant.
Les groupes d’entraides
Des associations de malades dites « néphalistes » apportent au patient un soutien précieux à l’aide, le plus souvent,
d’un programme par étapes progressives lui permettant
d’accéder à un état de bien-être dans l’abstinence. Les
bases théoriques de ces associations sont très variables, et
leur allure quasi confessionnelle peut provoquer d’importantes résistances a priori ou lors du premier contact.
Cependant, la référence à Dieu dans le mouvement
« Alcooliques Anonymes » (le plus répandu) n’est qu’un
moyen spirituel de signifier la limite de la condition
humaine pour résoudre son problème et à en appeler à un
« être supérieur » que chacun investira selon ses croyances.
Dans notre expérience, il est impossible de distinguer à
l’avance les « bons candidats » des « allergiques primaires »
à ce type de prise en charge. Cependant, de nombreux
patients réticents à un suivi médical, rassurés par la rencontre avec des semblables et soutenus par l’entraide mutuelle
s’y investissent beaucoup. Ainsi, il apparaît légitime de proposer systématiquement à un sujet dépendant de l’alcool
1104
de se rendre à une réunion proche de son domicile pour se
faire une idée par lui-même. Les adresses des réunions les
plus proches sont disponibles sur le site Internet
(www.alcooliquesanonymes.fr); il convient de se procurer les lieux, dates de rencontres et éventuels contacts des
associations de son quartier d’exercice professionnel en les
reportant sur une feuille d’information à remettre aux
patients. Ces données doivent être remises périodiquement à jour, compte tenu de la labilité de certains groupes.
L’établissement d’un contact de qualité avec un membre
de l’association permet un lien plus direct et personnalisé
qui peut optimiser le « transfert » du patient.
L’accompagnement de l’entourage
La dépendance à l’alcool n’est pas une maladie contagieuse, mais la souffrance qu’elle génère se propage par
continuité à l’ensemble de l’entourage professionnel et
familial. Ce trouble comportemental fixé perturbe en effet
considérablement les relations avec les proches, en induisant, le plus souvent au fil du temps, des réactions très
ambivalentes dans des registres aussi divers que la protection, le rejet, l’incompréhension, la compassion, la tolérance,
la colère, l’abandon, le soutien, la menace, la complicité,
l’isolement, la violence, le partage de la culpabilité, la suspicion, etc. Bien souvent, ces schémas relationnels s’entrecroisent et finissent par se stabiliser dans une relation difficile,
agrémentée de crises conflictuelles, et protégée par des attitudes de déni le plus souvent réciproque, permettant de
rendre vivable (donc de pérenniser) un enfer quotidien.
La prise de contact avec un soignant, souvent suscitée,
suggérée, voire exigée, par l’entourage, est souvent l’occasion « d’une mise au point » au cours de laquelle le médecin est rapidement mis dans une position des plus
inconfortables, sommé de jouer à la fois les rôles de policier, de juge d’instruction, de témoin, d’avocat, de procureur, de « prescripteur » d’abstinence et d’« assureur » de
son maintien… L’épouse inquiète tente de se glisser dans
la consultation, physiquement ou par téléphone, pour
vérifier, compléter les déclarations du patient ou même s’y
substituer. Parfois, l’abstinence, enfin obtenue de grande
lutte, déclenche paradoxalement une crise familiale
importante en déstabilisant les rôles préalablement distribués de coupable persécuteur (le patient) et de victime
persécutée (le conjoint) ; il n’est pas rare que ce renversement de situation conduise à des attitudes paradoxales de
l’entourage qui favorisent inconsciemment la rechute.
Dans ce véritable piège interrelationnel, il est indispensable pour le médecin de défendre sa place de soignant, en
invitant l’entourage du patient à se rendre à un groupe
d’informations et de paroles comme il en existe dans certains centres d’alcoologie ou au sein de mouvements d’entraide (groupe Alanon pour les Alcooliques Anonymes,
groupe Entourage pour le mouvement Croix d’or). Enfin,
les enfants d’un parent dépendant de l’alcool vivent très
difficilement la maladie de celui-ci. Ils se trouvent bien
L A R E V U E D U P R AT I C I E N / 2 0 0 6 : 5 6
P O U R L A P R AT I Q U E
L La recommandation d’une abstinence la plus complète
et la plus longue possible reste l’objectif idéal du traitement
de la dépendance à l’alcool.
L Le projet d’abstinence est mis en place avec le patient plus
sur la forme d’un pari que d’un contrat.
L Les modalités des traitements d’aide au maintien
de l’abstinence, leurs effets secondaires et leurs mécanismes
d’action (quand ils sont élucidés) sont exposés aux patients
pour qu’ils puissent faire un choix.
L Le projet minimal associe un suivi médical un an après
le sevrage (bimensuel au cours du premier trimestre et mensuel
au cours des trois autres trimestres) et la prescription
d’un médicament d’aide au maintien de l’abstinence.
souvent dans un conflit de loyauté à soutenir le « bon
parent » contre le « mauvais parent ». Lorsqu’elle est exprimée, la souffrance de l’entourage renforce la culpabilité
des malades. Des groupes de soutien aux enfants se sont
mis en place dans certains centres ; Alaten (du mouvement Alcooliques Anonymes) accueille les adolescents.
Le dispositif résidentiel : cure, post-cure,
séjours de consolidation
L’étape résidentielle est longtemps restée centrale dans
le schéma de référence du traitement de dépendance à
l’alcool, soit comme lieu de réalisation du sevrage (la
cure), soit dans sa consolidation (la post-cure). Le développement et la validation des stratégies ambulatoires
devraient permettre de redéfinir clairement les indications des séjours résidentiels de post-sevrage.19 La durée
de séjour des options résidentielles dans des établissements spécialisés dépend, avant tout, du contenu des programmes de soins dispensés et de leur orientation. Très
schématiquement, les séjours « courts » proposent des
soins de « cure » organisés sur 3 à 4 semaines et axés sur la
mise en commun des expériences lors de réunions de
groupe, d’ateliers spécifiques (senteurs, vidéo, écritures),
de séances plus informatives sur les mécanismes de la
dépendance et les effets délétères sur la santé et des thérapies plus spécifiques (comportementales, séances de
relaxation, transactionnelles, etc.). Au cours de ces séjours
courts, un bilan somatique systématique est pratiqué. Les
séjours longs (ou « post-cure ») de plusieurs mois (3 à 6)
proposent des programmes plus orientés sur la réinsertion sociale (réapprentissage des horaires), la réhabilitation narcissique et corporelle (activité sportives, relaxation, etc.) et l’intervention de représentants de groupes
d’entraide.
Certains centres ont développé des programmes spécifiques pour des populations spécifiques (les femmes, les
patients polydépendants) ou pour des comorbidités partiL A R E V U E D U P R AT I C I E N / 2 0 0 6 : 5 6
culières (troubles cognitifs, comorbidités psychiatriques).
Peu de travaux ont évalué l’efficacité de ces séjours. Les
résultats d’essais cliniques randomisés comparant des
durées variables de séjours ne plaident pas pour une efficacité supérieure des séjours longs sur les séjours courts
chez des patients non sélectionnés.20-23 Il est en revanche
très probable que certains patients bénéficient d’hospitalisations longues.24
Enfin, des hospitalisations de jour permettent d’accompagner le patient dans la phase de post-sevrage immédiate ; le rapport coût-effiacité de cette méthode semble
supérieur à une hospitalisation classique ou à un suivi
ambulatoire.25, 26
CONCLUSION
À l’issue du sevrage, le soignant en charge du projet thérapeutique d’un sujet dépendant de l’alcool doit inscrire
l’aide thérapeutique dans une perspective de partenariat à
long terme, compte tenu de la persistance prolongée du
risque élevé de rechute. Pour ce faire, il peut utiliser, selon
l’offre de soins disponible, ses habitudes et le degré d’alliance du patient, un arsenal très diversifié. Parmi celui-ci,
les grandes options stratégiques sont ambulatoires ou
résidentielles. Le défaut de validation, à ce jour, d’indications préférentielles des « stratégies lourdes » incite à ne
les réserver qu’aux patients dans un état sévère. Une
approche psychothérapique apparaît indispensable pour
permettre au patient de s’installer dans son processus
d’abstinence et à en tirer tous les bénéfices. Une aide
médicosociale peut être apportée pour reconstruire les
dégâts de la dépendance. Les mouvements d’entraide
peuvent s’avérer d’une utilité précieuse pour accompagner certains patients très réticents à une approche médicale. La comorbidité psychiatrique, souvent associée à la
dépendance à l’alcool, doit être repérée précocement et
traitée spécifiquement, en raison du risque important de
rechute qu’elle fait courir. Enfin, la prescription d’un ou
de deux médicaments d’aide au maintien de l’abstinence
optimise les résultats de l’accompagnement et doit être
systématiquement recommandée. Il est indispensable de
se rappeler que, quelles que soient les stratégies thérapeutiques (médicamenteuses, entraides, psychothérapiques,
familiales…), les études évaluant le pronostic de la dépendance à l’alcool traitée à un an post-sevrage rapportent :
un tiers de patients n’ayant tiré aucun bénéfice des traitements, un tiers ayant tiré un bénéfice complet (abstinence
accomplie associée à des améliorations majeures dans les
domaines somatiques, psychiques, relationnels), et un
dernier tiers ayant tiré un bénéfice incomplet ou séquentiel avec des améliorations mineures. Au final, deux tiers
des patients dépendants de l’alcool tirent un bénéfice de
leurs traitements ; le praticien peut-il prendre la responsabilité de ne pas mettre en place de traitement chez les
seuls 20 % d’entre eux qui viennent le consulter ?
B
1105
MALADES DE L’ALCOOL M A I N T I E N D E L’A B S T I N E N C E A P R È S L E S E V R A G E
SUMMARY Maintaining abstinence after alcohol detoxification
“To quit drinking” is not the panacea of alcohol dependence treatment; it is only its first step. Abstinence should be considered more as a mean than a
purpose of the after-withdrawal cares. The frequent resistance of the alcoholic patient to undertake in a long term abstinence can be by-passed by
suggesting to fix himself renewable terms for periods during which he feels rather confident to raise the bet of a “most accomplished possible”
abstinence. To facilitate the realization and the preservation of this abstinence in the best conditions (potentiation of the profits and minimization of the
difficulties), a “therapeutic menu” will be proposed to the patient besides a “minimum plan” containing a medical follow-up over one year, with variable
frequency of visits according to the evolution and the prescription of one or two anti-craving drugs registered. Psychotherapies using different
techniques as Cognitive Behavioural Therapy, group therapy or psychoanalysis could be proposed after a necessary clarification to the patients of the
mechanism of action of each and the waited profits. In the final, two thirds of the patients with alcohol dependence fire in one year a profit of their
treatments; the practitioner takes, actually, no risk and should propose systematically a project to the only 20% of them who come to consult him.
Rev Prat 2006 ; 56 : 1100-6
RÉSUMÉ Maintien de l’abstinence après le sevrage
« S’arrêter de boire » n’est pas la panacée du traitement de la dépendance à l’alcool, ce n’est que son préalable. L’abstinence devrait être considérée
plus comme un moyen que comme le but des traitements après le sevrage. La résistance fréquente d’un patient dépendant de l’alcool pour s’engager
dans une abstinence définitive peut être contournée en lui proposant de fixer lui-même des échéances renouvelables pour des périodes au cours
desquelles il se sent assez confiant pour relever le pari d’une abstinence la plus accomplie possible. Afin de faciliter la réalisation et le maintien de cette
abstinence dans les meilleures conditions (potentialisation des bénéfices et minimisation de la pénibilité), un « menu thérapeutique » est proposé au
patient en plus d’un « plan minimal » contenant un suivi médical sur un an, à fréquence variable selon l’évolution, et la prescription d’un ou de deux
médicaments d’aide au maintien de l’abstinence. Des psychothérapies utilisant des techniques différentes, le soutien d’un groupe d’entraide et
l’accompagnement de l’entourage sont des options thérapeutiques dont il faut expliquer au patient le mécanisme d’action et les bénéfices attendus. Au
final, deux tiers des patients dépendant de l’alcool tirent à un an un bénéfice de leurs traitements ; le praticien prend en fait peu de risques à proposer
systématiquement un projet aux seuls 20 % d’entre eux qui viennent le consulter.
RÉFÉRENCES
1. Miller WR, Benefield RG, Tonigan
JS. Enhancing motivation for
change in problem drinking: a
controlled comparison of two
therapist styles. J Consult Clin
Psychol 1993;61:455-61.
2. Prochaska JO, DiClemente CC,
Norcross JC. In search of how
people change. Applications to
addictive behaviors. Am Psychol
1992;47:1102-14.
3. Jaffe AJ, Rounsaville B, Chang G,
Schottenfeld RS, Meyer RE,
O’Malley SS. Naltrexone, relapse
prevention, and supportive therapy
with alcoholics: an analysis of patient
treatment matching. J Consult Clin
Psychol 1996;64:1044-53.
4. Longabaugh R, Morgenstern J.
Cognitive-behavioral coping-skills
therapy for alcohol dependence.
Current status and future
directions. Alcohol Res Health
1999;23:78-85.
5. Anaes. Modalités et
accompagnement du sujet
alcoolodépendant après sevrage.
Conférence de consensus. Paris:
Anaes, 2001.
6. Garbutt JC, West SL, Carey TS, Lohr
KN, Crews FT. Pharmacological
treatment of alcohol dependence: a
review of the evidence. JAMA
1999;281:1318-25.
7. Kranzler HR,Van Kirk J. Efficacy of
naltrexone and acamprosate for
alcoholism treatment: a metaanalysis. Alcohol Clin Exp Res
2001;25:1335-41.
8. Besson J, Aeby F, Kasas A, Lehert
P, Potgieter A. Combined efficacy
of acamprosate and disulfiram in
1106
the treatment of alcoholism: a
controlled study. Alcohol Clin Exp
Res 1998;22:573-9.
9. Verheul R, Lehert P, Geerlings PJ,
Koeter MW, van den Brink W.
Predictors of acamprosate efficacy:
results from a pooled analysis of
seven European trials including 1485
alcohol-dependent patients.
Psychopharmacology (Berl)
2005;178:167-73.
10. Balester Mouret S. Naltrexone dans
le traitement de
l’alcoolodépendance: d’une revue
de la littérature à la pratique
quotidienne. Courrier Addict
2003;2:67-70.
11. Chick J, Anton R, Checinski K,
et al. A multicentre, randomized,
double-blind, placebo-controlled
trial of naltrexone in the treatment
of alcohol dependence or abuse.
Alcohol Alcohol 2000;35:587-93.
12. Rubio G, Jimenez-Arriero MA, Ponce
G, Palomo T. Naltrexone versus
acamprosate: one year follow-up of
alcohol dependence treatment.
Alcohol Alcohol 2001;36:419-25.
13. Kiefer F, Jahn H, Tarnaske T, et al.
Comparing and combining
naltrexone and acamprosate in
relapse prevention of alcoholism: a
double-blind, placebo-controlled
study. Arch Gen Psychiatry
2003;60:92-9.
14. Heyser CJ, Moc K, Koob GF. Effects
of naltrexone alone and in
combination with acamprosate on
the alcohol deprivation effect in
rats. Neuropsychopharmacology
2003;28:1463-71.
15. Mason BJ. Acamprosate and
naltrexone treatment for alcohol
dependence: an evidence-based
risk-benefits assessment. Eur
Neuropsychopharmacol 2003;13:
469-75.
16. Kranzler HR, Wesson DR, Billot L;
DrugAbuse Sciences Naltrexone
Depot Study Group. Naltrexone
depot for treatment of alcohol
dependence: a multicenter,
randomized, placebo-controlled
clinical trial. Alcohol Clin Exp Res
2004;28:1051-9.
17. Johnson BA, Roache JD, Javors MA,
et al. Ondansetron for reduction of
drinking among biologically
predisposed alcoholic patients: A
randomized controlled trial. JAMA
2000;284:963-71.
18. Johnson BA, Ait-Daoud N, Bowden
CL, et al. Oral topiramate for
treatment of alcohol dependence: a
randomised controlled trial. Lancet
2003;361:1677-85.
19. Batel P. Sevrage alcoolique et
hospitalier. Place du médecin
généraliste et des groupes
d’entraide. Conférence de
Consensus: Objectifs, indications et
modalités du sevrage du patient
alcoolodépendant. Paris: Alcoologie,
1999.
20.Keso L, Salaspuro M. Inpatient
treatment of employed alcoholics: a
randomized clinical trial on
Hazelden-type and traditional
treatment. Alcohol Clin Exp Res
1990;14:584-9.
21. Walsh DC, Hingson RW, Merrigan
DM, et al. A randomized trial of
treatment options for alcohol-
abusing workers. N Engl J Med
1991;325:775-82.
22. Kamara SG, Van Der Hyde VA.
Outcomes of regular vs. extended
alcohol/drug outpatient treatment:
I. Relapse, aftercare, and treatment
re-entry. Med Law 1997;16:607-20.
23. Kamara SG, Van der Hyde VA.
Outcomes of regular versus
extended outpatient alcohol/drug
treatment. Part II. Medical,
psychiatric, legal and social
problems. Med Law 1998;17:131-42.
24. Rychtarik RG, Connors GJ, Whitney
RB, McGillicuddy NB, Fitterling JM,
Wirtz PW. Treatment settings for
persons with alcoholism: evidence
for matching clients to inpatient
versus outpatient care. J Consult
Clin Psychol 2000;68:277-89.
25. Alterman AI, McLellan AT. Inpatient
and day hospital treatment services
for cocaine and alcohol
dependence. J Subst Abuse Treat
1993;10:269-75.
26. Weisner C, Mertens J,
Parthasarathy S, et al. The
outcome and cost of alcohol and
drug treatment in an HMO: day
hospital versus traditional
outpatient regimens. Health Serv
Res 2000;35:791-812.
Les auteurs n’ont pas
transmis de déclaration
de conflits d’intérêts.
L A R E V U E D U P R AT I C I E N / 2 0 0 6 : 5 6
monographie
Le patient alcoolique :
quelle est la responsabilité
juridique du médecin ?
Face aux conséquences sociales de l’alcoolisme, le médecin doit-il
faire primer la protection de l’individu ou celle de la collectivité ?
L’analyse montre que sa responsabilité juridique découle avant tout
de ses diverses obligations à l’égard de son patient et, dans certains
cas, de celles imposées par la loi dans l’intérêt des tiers.
Jérôme Franck *
L
a maladie alcoolique est une pathologie complexe
ayant des conséquences médicales, psychologiques et
sociales. Les médecins sont naturellement compétents
pour prendre en charge les dimensions médicale et
psychologique de ce fléau. Quant à la dimension sociale,
c’est officiellement l’État, à travers la politique de Santé
publique, qui l’assume : la troisième partie du code de la
Santé publique, intitulée Lutte contre les maladies et dépendances 1 prévoit ainsi que l’État organise et coordonne la
prévention et le traitement de l’alcoolisme, prenant à sa
charge les coûts financiers qui y ont trait.
Mais, exception faite des dispositifs légaux concernant
la conduite en état d’ivresse et la réglementation des débits
de boissons, force est de constater l’absence de dispositif
spécifique visant à prendre en charge les conséquences
sociales de l’alcoolisme. La tendance est plutôt inverse : le
décret de mai 20032 relatif aux droits des malades a supprimé de notre ordonnancement juridique la procédure
qui permettait de pallier le silence souvent gardé par la
famille et le voisinage sur les agissements dangereux de
l’alcoolique, par un dépistage judiciaire ou administratif
des alcooliques dangereux, qui pouvait aboutir au placement de ces derniers dans des centres de cure.
En l’absence de dispositif spécifique concernant les
conséquences sociales de l’alcoolisme, tels les risques de
fautes professionnelles, les violences à l’égard des membres de la famille, les risques multiples d’accidents, etc., les
victimes pourraient être tentées de rechercher des
responsabilités au-delà de l’auteur direct des dommages.
Or, le médecin, en tant qu’interlocuteur professionnel
alerté de l’état alcoolique, peut-il être considéré comme
responsable indirect des dommages qui seraient causés
par un patient, qui, sous l’empire de l’alcool, commettrait
des agissements répréhensibles ?
À la prise en charge médicale et psychologique tendrait
ainsi à s’ajouter la responsabilité de gérer, au moins en
* Avocat à la cour, 111, boulevard Pereire, 75017 Paris. Courriel : [email protected]
L A R E V U E D U P R AT I C I E N / 2 0 0 6 : 5 6
1107
MALADES DE L’ALCOOL Q U E L L E E S T L A R E S P O N S A B I L I T É J U R I D I Q U E D U M É D EC I N ?
CE QUI EST NOUVEAU
L Depuis la loi du 4 mars 2002, le malade s’est vu expressément
reconnu le droit de refuser des soins.
L Depuis l’abrogation par le décret du 21 mai 2003
des dispositions anciennes permettant le placement
des personnes souffrant d’un état alcoolique (anciens articles
L.351-1 à L.35-4 du code de la Santé publique), le patient
alcoolique ne peut être hospitalisé d’office que lorsqu’il est
atteint de troubles mentaux susceptibles de compromettre
la sûreté des personnes ou portant atteinte, de façon grave,
à l’ordre public.
partie, la dimension sociale de la maladie ? Les médecins,
qui assument déjà la lourde responsabilité d’apporter à
leurs patients les soins personnels adaptés, se trouvent
souvent démunis face à ce rôle qui sort du contrat de soin
le liant au patient.
La pression est en effet considérable. Selon l’Institut
national de la santé et de la recherche médicale (Inserm),
plus de 5 millions de Français ont une consommation
excessive d’alcool ; l’alcool serait la troisième cause de
mortalité en France, et 15 à 20 % des accidents de travail
sont liés directement à la consommation d’alcool.3 Cette
pathologie est également souvent impliquée dans les actes
de violence, notamment conjugale.
Or, s’il est vrai que le problème de l’alcool dépasse la
sphère purement privée du patient, et qu’il est donc
nécessaire d’aborder ce problème de société dans sa globalité, cela ne justifie pas de faire peser le fardeau de la
responsabilité sur les médecins, au seul prétexte qu’ils se
situent souvent à l’interface entre l’alcoolique et la société.
De plus, cela impliquerait pour le médecin de renoncer à
protéger le patient alcoolique, pour mener à bien une mission de protection de la société. Il convient donc de faire
un point sur l’étendue de la responsabilité juridique du
médecin en présence d’un patient alcoolique. Quelles
sont alors les responsabilités du médecin face aux conséquences de l’alcoolisme, non seulement à l’égard du
patient lui-même, mais aussi à l’égard des tiers ?
Des intérêts contradictoires sont ici en jeu, car donner
la priorité à la protection des tiers risque de compromettre, dans certains cas, le lien de confiance propre à la relation entre un médecin et son patient. Cette question
consiste ainsi à se demander si le médecin doit, à l’occasion de ses fonctions, faire primer la protection de l’individu ou celle de la collectivité.
Le code de déontologie des médecins, en son article 2,
repris par le code de la Santé publique,4 énonce clairement la hiérarchie des intérêts que le médecin se doit de
protéger : « Le médecin, au service de l’individu et de la santé
publique, exerce sa mission dans le respect de la vie humaine de
la personne et de sa dignité. »
1108
Ainsi, pour le médecin, l’individu doit passer avant la
collectivité, et si celui-là est bien un acteur majeur dans la
politique de Santé publique, il doit avant tout honorer le
contrat moral qui le lie à son patient. Sa responsabilité
juridique est donc, en principe, limitée à l’acte médical
individuel bien accompli. Ce dernier, s’il est conforme aux
principes que dictent les règles de la profession, profite au
patient, mais aussi à la société, en ce qu’il contribue tant à
la prévention et au traitement de l’alcoolisme. Ce n’est que
dans les cas extrêmes, déterminés par la loi et la jurisprudence, et dictés par l’intérêt des tiers, que sa responsabilité
excède les limites du service dû au patient.
Sa responsabilité juridique découle, avant tout, de ses
diverses obligations à l’égard du patient alcoolique et, dans
certains cas, de celles imposées par la loi dans l’intérêt des tiers.
LES OBLIGATIONS DU MÉDECIN À L’ÉGARD
DU PATIENT ALCOOLIQUE
La responsabilité juridique se définissant comme l’obligation de répondre de ses actes et d’en supporter les conséquences, il convient tout d’abord de rappeler les deux
composantes essentielles de l’acte médical, quelle que soit
la pathologie du patient.
Le diagnostic consiste notamment à déterminer la gravité de l’état alcoolique, le type de consommation, et
l’existence ou la potentialité de complications.
Le traitement passe par le sevrage, le maintien de l’abstinence, et la prise en charge des complications identifiées
depuis le stade du diagnostic.
À chaque étape, le médecin doit apporter toute diligence pour mener à bien sa mission d’assistance et de soin
du patient. Sa responsabilité risque d’être engagée en cas
de défaillance dans l’accomplissement de cette dernière.
Qualité des soins
L’article 32 du code de déontologie prévoit que le médecin
s’engage à assurer personnellement au patient des soins
consciencieux, dévoués et fondés sur les données acquises de la science, en faisant appel, s’il y a lieu, à l’aide de
tiers compétents. La qualité des soins implique notamment une démarche active d’investigation. Lors du traitement, des soins attentifs et consciencieux doivent être
dispensés. La qualité de ceux-ci peut aussi impliquer une
nécessaire surveillance du patient, par exemple dans les
milieux hospitaliers ouverts.
Obligation d’information
L’information est capitale face au problème de l’alcoolisme, car elle contribue à la prévention.
L’article 35 du code de déontologie précise la qualité de
l’information qui est attendue d’un médecin : elle doit être
loyale, claire et appropriée, et doit tenir compte de la personnalité du patient afin de veiller à la compréhension de
l’information fournie.
L A R E V U E D U P R AT I C I E N / 2 0 0 6 : 5 6
L’article L 1111-2 du code de la Santé publique précise
que le contenu de l’information doit porter sur les différentes investigations, traitements ou actions de prévention qui sont proposés, leur utilité, leur urgence éventuelle, leurs conséquences, les risques fréquents ou
normalement prévisibles qu’ils comportent, ainsi que les
solutions alternatives possibles et, enfin, les conséquences
prévisibles en cas de refus par le patient des préconisations ainsi présentées.
Cela consiste, en premier lieu, à alerter le patient alcoolique, à lui faire prendre conscience de son problème.
L’information porte également sur les conséquences
qu’entraîne cette maladie ; enfin, elle consiste à expliquer
au patient, en fonction de son cas, les traitements existants. Le corollaire de l’obligation d’informer le patient
réside dans l’obligation d’obtenir son consentement
éclairé concernant les actions qui lui sont proposées.
Obligation de recueillir le consentement
La loi du 4 mars 2002, relative aux droits des malades
et à la qualité des systèmes de santé,5 a posé comme exigence éthique fondamentale le nécessaire respect du
droit du malade d’accepter ou de refuser ce que le médecin lui propose, et qu’il n’a pas le droit de lui imposer.
Le seul cas où le médecin peut outrepasser le refus du
patient est l’existence d’un risque vital tel que la grève de
la faim ou la conduite suicidaire. En cas de refus de
consentement concernant un acte qui lui paraît nécessaire, telle la cure de désintoxication, le médecin doit s’efforcer à nouveau de convaincre le patient, en s’assurant
que toutes les informations sont comprises. Si, à l’issue de
cette démarche, le patient réitère son refus, le médecin
peut décider de ne pas poursuivre la prise en charge. Dans
ce cas, l’obligation de continuité des soins lui impose de
diriger son patient vers un autre médecin.
Pour ce qui est des adolescents, il convient de signaler
que la loi du 4 mars 2003 offre aux mineurs le droit de
consentir aux soins, ainsi que celui d’être soigné sans
information des parents. Dans ce cas, le médecin doit s’efforcer d’obtenir le consentement du mineur à la consultation des parents ; en cas de refus du mineur, la mise en
œuvre du traitement ne peut se faire que lorsqu’il se fait
obligatoirement accompagner d’une personne majeure
de son choix.
À ce sujet, il est particulièrement recommandé de se
prémunir d’écrits attestant des démarches effectuées
auprès des patients pour obtenir leur consentement, ainsi
que des preuves de leur refus exprès.
Respect du secret professionnel
L’information évoquée ci-dessus est exclusivement
réservée au patient et ne saurait être divulguée aux tiers.
Le patient alcoolique a tout spécialement besoin d’être
assuré d’une relation de confiance avec son médecin.
L’article 4 du code de déontologie précise l’obligation du
L A R E V U E D U P R AT I C I E N / 2 0 0 6 : 5 6
secret professionnel prévue par le Code pénal 6 à l’encontre des personnes dépositaires d’informations à caractère
secret à l’occasion de leur profession. Le secret couvre
l’ensemble des informations concernant le patient, venues
à la connaissance du médecin. L’obligation est générale et
absolue. Seule la loi peut y déroger parfois, dans l’intérêt
des tiers comme exposé ci-dessous. Le secret s’impose à
l’égard de la famille, et même à l’égard des parents de
mineurs, lorsque l’adolescent en fait la demande exprès.7
De même, le médecin ne doit pas se plier à la demande
du juge, à l’exception des enquêtes pénales (v. infra).
Les professionnels de santé, amenés à échanger des
informations pour les nécessités de la continuité des
soins, doivent être vigilants et se garder de diffuser des
informations non pertinentes pour le suivi du dossier.
La non-immixtion dans les affaires de famille
L’article 51 du code de déontologie vient rappeler au
médecin que, malgré son statut de confident des patients
et de leur famille, il doit s’abstenir de s’immiscer sans raison professionnelle dans leurs affaires de famille et dans
leur vie privée. À ce titre, le médecin doit refuser de délivrer imprudemment un certificat médical. Seule la
défaillance dans la pratique des soins est susceptible d’engager la responsabilité du médecin à l’égard du patient
alcoolique, lorsqu’elle a eu pour conséquence la survenue
d’un préjudice pour ce dernier. En plus des obligations
inhérentes au contrat de soin, la loi ou la jurisprudence
impose au médecin des obligations allant au-delà de l’acte
médical bien accompli à l’égard de son patient.
LES OBLIGATIONS DU MÉDECIN
À L’ÉGARD DES TIERS
Le danger que peut représenter le patient alcoolique, tant
pour son entourage que pour l’ordre public de sécurité, a
amené le législateur et le juge à imposer au médecin des
obligations allant au-delà du service dû au patient.
Obligation de mandataire de justice
Le médecin doit se soumettre à l’injonction qui lui est
adressée par une autorité judiciaire ou administrative de
procéder à un examen médical. Cette procédure est particulièrement courante en matière de sécurité routière. Le
médecin requis doit répondre à la mission, toute la mission, et rien que la mission. Il s’agit là d’une obligation qui
sort nécessairement du contrat de soin entre le médecin
et son patient. D’ailleurs, afin de préserver le secret médical, le médecin doit se récuser lorsque la personne à examiner est son patient.
Obligation de placement
Le médecin peut-il être obligé de lancer une procédure
de placement du patient alcoolique dans un établissement
spécialisé ? La réponse est en principe négative, hormis
1109
MALADES DE L’ALCOOL Q U E L L E E S T L A R E S P O N S A B I L I T É J U R I D I Q U E D U M É D EC I N ?
U
Responsabilité pénale
du fait d’infractions commises par un patient alcoolique
n médecin peut-il être déclaré pénalement responsable des infractions commises par un de ses patients en état
d’ébriété ?
L’hypothèse la plus courante est la suivante : un médecin qui laisse partir un
patient se trouvant dans un état d’ébriété
peut-il voir sa responsabilité pénale mise en
cause par les victimes de l’accident de la circulation provoqué par ce patient ou par la
famille de ce dernier ? Si la jurisprudence
semble peu fournie, il n’en demeure pas
moins que cette possibilité existe au regard
des textes applicables.
L’ÉVENTUELLE ATTEINTE
INVOLONTAIRE
À LA VIE OU À L’INTÉGRITÉ
PHYSIQUE
En matière d’atteinte involontaire à la vie
ou à l’intégrité physique, la responsabilité
du médecin peut être retenue, même, s’il
n’est pas l’auteur direct de l’infraction mais
qu’il a créé la situation ayant permis la réalisation du dommage, ou n’a pas pris les
mesures qui auraient permis de l’éviter.1
Cette responsabilité suppose qu’il soit établi
que le médecin a, soit violé de façon manifestement délibérée une obligation particulière de
prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le
règlement, soit commis une faute caractérisée
et qui exposait autrui à un risque d’une particulière gravité qu’il ne pouvait ignorer.
Cela supposerait donc de rapporter la
preuve qu’un médecin ayant reçu dans le
cadre de sa consultation un patient manifestement en état d’ébriété, soit conscient
du fait que ce patient allait utiliser dans un
futur immédiat son véhicule automobile, ce
qui exposait des tiers à un risque d’une particulière gravité. Outre ces éléments, il
conviendrait de rapporter la preuve de
l’omission fautive du médecin qui n’aurait
pas pris les mesures qui s’imposent (p. ex. le
signalement auprès des autorités de police).
Il ne semble pas que les juridictions se
soient prononcées sur cette question
concernant un médecin.
L’OMISSION DE PORTER SECOURS
Selon l’article 223-6 du Code pénal, quiconque pouvant empêcher par son action
immédiate, sans risque pour lui ou pour les
tiers, un délit contre l’intégrité corporelle de
la personne et s’abstient volontairement de
le faire, peut être puni de 5 ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende.
L’omission de porter assistance à une personne en péril, sans risque pour soi ou pour
les tiers, soit par son action personnelle, soit
en provoquant un secours est puni des
mêmes peines.
l’hypothèse où le médecin doit se poser la question du
placement d’office. En effet, le décret de 2003 renforçant le
droit des malades a supprimé la procédure qui pouvait
aboutir au placement d’un patient alcoolique dangereux,
procédure qui débutait par le certificat médical du médecin.
Toutefois, des dispositions identiques concernant le
placement des personnes ayant des troubles mentaux
requérant des soins et compromettant la sûreté des personnes sont quant à elles maintenues.8 Par conséquent,
une telle procédure n’est possible que dans le cas où l’alcoolique dangereux est affecté par de tels troubles.
Obligation de signalement
En présence d’un patient alcoolique susceptible de présenter un danger pour les tiers, le médecin est-il tenu de
signaler cet état de fait aux autorités publiques ? Il n’existe
pas d’obligation de procéder au signalement, mais la loi
1110
Pour être sanctionnée, cette infraction
suppose qu’il y a une abstention volontaire
de la part du médecin qui, connaissant
l’existence du péril imminent, a ainsi volontairement refusé de prendre les mesures qui
s’imposent. Des poursuites pour des faits
similaires ont été engagées à l’encontre de
collègues de travail d’une personne en état
d’ébriété, qui était décédée dans un accident de la circulation. Il leur avait été reproché ensuite par la famille de n’avoir rien
tenté pour l’empêcher de conduire son véhicule. Mais la Cour de cassation a considéré
que l’infraction n’était pas constituée, dès
lors que ces personnes avaient pu légitimement ne pas avoir conscience de l’état d’ébriété avancée du conducteur (Cass. Crim.
29-11-1995, no 95-80.803).
Un médecin pourrait-il bénéficier d’une
telle clémence ? La réponse est incertaine,
et c’est pourquoi la vigilance s’impose, étant
rappelé que le signalement aux autorités de
police n’est pas, dans cette hypothèse, constitutif d’une violation du secret médical dont
la révélation n’est pas punissable lorsque la
loi l’impose ou l’autorise.2
1. Article L. 121-3 du Code pénal.
2. Article L. 226-14 du Code pénal.
dégage le médecin de son obligation de secret médical
dans certains cas, et la jurisprudence tend de plus en plus
à l’y encourager.
Dérogations légales au secret médical
• Saisies et perquisitions au sein du cabinet
L’article 56-3 du code de procédure pénale autorise le juge
d’instruction, dans le cas d’une enquête pénale, à procéder à une perquisition et à saisir un dossier médical, au
sein d’un cabinet médical. Le juge d’instruction peut aussi
donner mandat à un officier de police judiciaire pour y
procéder. Dans ce cas, le médecin ne peut opposer le secret médical aux opérations. Pour veiller à ce que les saisies
soient limitées aux nécessités de l’enquête, la loi a apporté
une garantie, en imposant la présence de la personne
responsable de l’ordre ou son représentant pendant ces
opérations.
L A R E V U E D U P R AT I C I E N / 2 0 0 6 : 5 6
• Possibilité de signalement en cas de sévices
L’article 226-14 du Code pénal autorise le médecin à
révéler les symptômes dangereux de son patient alcoolique dans deux cas : d’une part, en cas de connaissance
de sévices ou mauvais traitements infligés aux mineurs de
moins de 15 ans ou à des personnes qui ne sont pas en
mesure de se protéger, il est autorisé à signaler ces faits au
procureur de la République, et à témoigner en justice ; par
ailleurs, en cas de constat de sévices permettant de présumer des sévices sexuels, il peut le signaler au procureur de
la République, en veillant à obtenir auparavant l’accord
des victimes adultes. Ces dérogations à l’obligation du
secret médical autorisent la révélation de faits connus,
mais le médecin doit s’en tenir à l’information nécessaire,
pertinente et non excessive.
L’article 51 du code de déontologie, partageant ce souci de
protection des victimes, prévoit que « lorsqu’un médecin
discerne qu’une personne auprès de laquelle il est appelé est victime de sévices ou de privations, il doit mettre en œuvre les
moyens les plus adéquats pour la protéger, en faisant preuve de
prudence et de circonspection. » Concernant les sévices sur
mineur de moins de 15 ans, le médecin est obligé de le
signaler, « sauf circonstances particulières qu’il apprécie en
conscience. »
Dans ces deux cas, l’obligation n’est pas stricte ; il s’agit
davantage de possibilités offertes de protéger des personnes en danger. Le médecin doit, dans ces situations
particulières, être vigilant car, d’une part révéler ce type
de faits peut parfois avoir de lourdes conséquences sur la
famille, et d’autre part l’omission de révéler des faits peut
engager la responsabilité du médecin (v. infra).
Toutefois, le Code pénal pose une obligation positive
dans les cas suivants :
– l’article 223-6 du Code pénal impose d’intervenir lorsque
la situation est telle qu’il existe un péril immédiat auquel il
pourrait être mis fin grâce au signalement auprès des
autorités de police ;
– l’article 434-1 du Code pénal impose d’alerter les autorités judiciaires en cas de connaissance d’un crime dont il
est encore possible d’arrêter les effets. Le médecin peut se
trouver dans cette situation en présence d’un patient en
état d’ivresse grave s’apprêtant à prendre la route, ou de
celui qui exprime devant lui son intention d’attenter à la
sécurité de quelqu’un. Il est recommandé, dans ces situations d’urgence, d’alerter la police.
Obligation de surveillance ?
Le médecin est-il tenu de surveiller le patient qu’il a
sous sa garde ? Cette question concerne au premier chef
les établissements de santé qui hébergent des patients
dans le cadre de soins dispensés à ces derniers.
L’arrêt Blieck9 de 1991, en admettant la responsabilité
de l’établissement de santé du fait des agissements (un
incendie volontaire) commis par un de ses patients aliéné
mental, a soulevé le débat sur cette question. L’affaire avait
L A R E V U E D U P R AT I C I E N / 2 0 0 6 : 5 6
la particularité suivante : le centre avait décidé de mettre
en place une méthode thérapeutique présentant des
risques sociaux ; les patients évoluaient en milieu ouvert ;
et c’est à cette occasion que M. Blieck avait provoqué un
incendie. Aucune décision de ce type n’a été prise concernant des patients alcooliques, mais la vigilance est de mise
lorsque le patient est dangereux et que les méthodes thérapeutiques exposent les tiers à des risques graves.
LA RESPONSABILITÉ JURIDIQUE
DÉCOULANT DU MANQUEMENT
À CES OBLIGATIONS
Plusieurs responsabilités soumises à des régimes différents sont encourues par le médecin.
La responsabilité disciplinaire : la responsabilité du
médecin public vis-à-vis de ses pairs doit être présente à
l’esprit s’agissant de responsabilité juridique, car il est
aujourd’hui constant que la méconnaissance des dispositions du code de déontologie médicale peut être invoquée par une partie à l’appui d’une action en responsabilité dirigée contre un médecin.11 D’ailleurs, les
dispositions du code de déontologie ont une force
contraignante légale dans la mesure où elles sont codifiées dans le code de la Santé publique. Il convient de
relever que le délai pour intenter une action en responsabilité médicale a été unifié par la loi du 4 mars 2002 :11
quel que soit le stade de la faute évoquée (de prévention,
de diagnostic ou de traitement), les actions tendant à mettre en cause la responsabilité d’un membre du corps
médical se prescrivent au bout de 10 années, non pas à
compter de la date de l’acte médical, mais de celle de la
consolidation du dommage.
Toutefois, cela n’exclut aucunement la contradiction
d’appréciation des juridictions civile et ordinale sur le
comportement du médecin ; les types d’actions ayant une
finalité différente, l’indemnisation d’un côté, la sanction
disciplinaire de l’autre, elles demeurent autonomes.
La responsabilité civile vise l’indemnisation des victimes d’un acte préjudiciable, sous forme de dommages et
intérêts. En matière médicale, il est aujourd’hui établi que
la responsabilité du médecin à l’égard du patient est
contractuelle lorsque ce dernier a été en mesure de choi-
P O U R L A P R AT I Q U E
L Fournir une information complète et précise, même par écrit,
sur les investigations et les traitements.
L Obtenir si possible le consentement du malade sur les soins
à apporter.
L Respecter le secret médical même à l’égard de la famille.
L Ne prendre l’initiative d’une révélation de celui-ci qu’en cas
de menaces graves pour la vie du malade ou de tiers.
1111
MALADES DE L’ALCOOL Q U E L L E E S T L A R E S P O N S A B I L I T É J U R I D I Q U E D U M É D EC I N ?
sir la personne à qui il reproche le préjudice causé ; elle est
délictuelle dans le cas inverse. C’est le cas des situations
d’urgences ou des contrats passés avec un établissement
hospitalier ou une clinique. Il est également important de
relever que les médecins sont tenus par une obligation de
moyens et non de résultats, ce qui rend la qualification de
la faute plus difficile pour celui qui souhaite agir en
responsabilité civile contre un médecin.
Pour obtenir une indemnisation, le demandeur doit
prouver la faute, le préjudice et, enfin, le lien de causalité
entre la faute et le préjudice. Le plus souvent, le préjudice
certain réside dans la perte de chance que la faute a suscitée à l’encontre du patient, du fait qu’il n’a pu faire l’objet
de soins comme les personnes se trouvant dans la même
situation. Il convient à ce sujet de préciser que le médecin
peut utiliser les éléments du dossier médical pour porter à
la connaissance du juge les éléments utiles à la manifestation de la vérité et à sa défense.
En matière de responsabilité médicale, la faute invoquée réside dans l’inobservation des obligations du
médecin envers le patient. C’est pourquoi il est important
pour le médecin de les garder toujours à l’esprit.
Ainsi, à l’égard du patient alcoolique, une qualité de
soins insatisfaisante peut résulter notamment d’une
erreur ou du retard du diagnostic. Au sujet du traitement,
l’insuffisance de surveillance a déjà donné lieu à des
condamnations. La faute est dans ce cas souvent qualifiée
de négligence dans l’exécution de l’obligation de bonne
qualité des soins, que ce soit dans une action en responsabilité civile contractuelle ou délictuelle.
Dans l’arrêt Blieck, la responsabilité de l’établissement
de santé recevant des handicapés mentaux a été engagée
du fait de la garde du patient : la clinique a dû indemniser
les victimes de l’incendie provoqué par un aliéné mental
qui était sous surveillance. Toutefois, cette jurisprudence
n’a pour le moment pas été étendue à l’hypothèse de la
garde de patients alcooliques.
Concernant les manquements à l’obligation d’information, depuis le revirement de jurisprudence apporté par
l’arrêt Hedreul en 1997,12 c’est au médecin qu’il revient de
prouver qu’il a apporté l’information suffisante à son
patient concernant sa maladie. Cette décision ayant légitimement suscité de vives inquiétudes, plusieurs décisions
sont venues la préciser : ainsi, l’arrêt Guyomar a précisé
que la preuve de l’information peut être faite par tout
moyen, selon un faisceau de présomptions. La preuve ne
réside donc pas forcément dans l’écrit. Toutefois, le
recours à l’écrit est recommandé.13 Ainsi, la remise de
documents type de sensibilisation d’information peut être
complétée par un écrit attestant la remise de ce document
placé dans le dossier médical, et le patient n’apposerait sa
signature que sur ce dernier formulaire.14
Concernant l’obligation de ne pas s’immiscer dans les
affaires de famille, de nombreuses décisions ont
condamné des médecins pour avoir établi des certificats à
leurs patientes pour attester de la présomption qu’ils
avaient que l’époux avait des symptômes liés à l’alcoolisme.
La responsabilité pénale ne peut être engagée qu’en
cas de réalisation d’une infraction prévue par le Code
pénal ; elle vise à sanctionner l’atteinte portée à l’encontre
de la société, sous forme d’amende ou de peine d’emprisonnement.
Concernant l’alcoolisme, les infractions évoquées à
l’occasion de l’intervention ou de l’omission du médecin
tiennent aux manquements suivants :
– la violation du secret médical est passible de 15 000 euros
d’amende et de 1 an d’emprisonnement ;
– le manquement à l’obligation de qualité des soins peut aboutir à une condamnation pour homicide involontaire ou
atteinte à l’intégrité corporelle par maladresse, imprudence, inattention ou négligence, passible de 45 000
euros d’amende et de 3 ans de prison ;15
– l’omission de signaler l’état alcoolique dangereux peut également, selon la gravité de l’état alcoolique et les circonstances de l’affaire, entraîner la qualification d’omission de
porter secours lorsque le patient se blesse ou décède, passible de 5 ans de prison et de 75 000 euros d’amende ;16 ou
encore celle de non-dénonciation auprès de la police de la
dangerosité d’une personne pouvant commettre un crime
sur autrui, passible de 45 000 euros et 3 ans de prison ;17
La responsabilité est administrative lorsque l’institution est un établissement public.
CONCLUSION
Les actions en responsabilité contre les médecins de
patients alcooliques sont, à l’heure actuelle, rares, et
devraient le demeurer si les médecins gardent à l’esprit les
mesures qui sont attendues d’eux tant à l’égard de leur
patient qu’en présence de patients dangereux, vis-à-vis
des tiers.
B
SUMMARY Alcoholic patients: legal responsibility of physicians
The liability rising from medical cares given to a patient suffering from an addiction to alcohol does not differ from those stemming from cares to other
pathologies. The cares must be relevant with regard to state of art, an information as comprehensive as possible must be provided to the patient, on
the investigations to be carried out, as well as on the treatments considered. The most difficult thing to achieve is to obtain a full co-operation of the
patient, who since the law of March 4, 2002, has the right to refuse a treatment, which cannot be imposed to him. Safeguarding the medical secrecy in
particular with regard to the family can be difficult, because of the pressures exerted to obtain the revelation from it. But this revelation of the medical
secrecy is authorized by the law only within very precise limits. In very specific circumstances, a doctor can be liable for a criminal offence made by his
patient, for instance when he does not prevent his patient to drive a car, while he is obviously drunk.
Rev Prat 2006 ; 56 : 1107-13
1112
L A R E V U E D U P R AT I C I E N / 2 0 0 6 : 5 6
RÉSUMÉ Le patient alcoolique : quelle est la responsabilité juridique du médecin ?
La responsabilité découlant des actes de soins apportés à un patient souffrant d’une addiction à l’alcool ne diffère pas de celle des soins prodigués
pour d’autres pathologies. Les soins doivent être conformes aux données acquises de la science, une information aussi complète que possible devant
être fournie au malade, tant sur les investigations à mener que sur les traitements envisagés. L’exercice, certainement plus délicat dans cette
hypothèse, est d’obtenir une pleine coopération du malade qui, depuis la loi du 4 mars 2002, s’est vu reconnaître pleinement le droit de refuser un
traitement qui ne peut être imposé au malade. De même, la préservation du secret médical notamment à l’égard de la famille peut être difficile, en
raison des pressions que celle-ci pourrait exercer pour en obtenir la révélation. Mais cette révélation du secret médical n’est autorisée par la loi que
dans des limites très précises. Enfin, dans des hypothèses spécifiques, il pourrait arriver que le médecin soit contraint d’assumer la responsabilité des
actes commis par son patient. En effet, la jurisprudence a admis que des établissements hospitaliers soient déclarés responsables, sur le plan civil,
d’agissements de malades dont ils avaient la garde. Quant à la responsabilité pénale, les textes pourraient permettre de déclarer un médecin coupable
d’atteinte involontaire à la vie ou à l’intégrité physique, lorsqu’il commet une faute caractérisée comme, par exemple, le fait de ne pas empêcher un
patient en état d’ébriété manifeste de conduire un véhicule.
RÉFÉRENCES
1. Article R 3111-1 et suivants du code
de la Santé publique.
2. Décret 2003-462 du 21 mai 2003,
Journal officiel du 27/05/2003.
Circulaire DGS/SD 4 no 2003-452 du
28/08/2003 relative aux trois
premières parties du code de la
Santé publique. Pour une
explication de l’ancien régime, voir
Pansier FJ, Garay A «L’abus
d’alcool». In : Le médecin, le patient
et le droit. Rennes : ENSP 1999 :
p. 155 et suivantes.
3. Faire face à la toxico-dépendance
sur le lieu de travail. Site Internet
www.gereso.fr
4. Article R 4127-2 du code de la Santé
publique.
5. Loi no 2002-303 du 4 mars 2002
relative aux droits des malades et à
la qualité du système de santé,
Titre II, Chapitre II, Article 11. Article
L 11110-7 du code de la Santé
publique.
6. Article 226-13 du Code pénal.
7. Article L 1111-5 du code de la Santé
publique.
8. Articles L 3213-1 et L 3213-2 du code
de la Santé publique.
9. Cour de cassation. Assemblée
plénière, 29 mars 1991. Association
des centres éducatifs du
Limousin/André Blieck.
10. Cour de cassation, Civ. 1re, 18 mars
1997, pourvoi no 95-12576.
11. Article L 1142-28 du code de la Santé
publique.
12. Cour de cassation, Civ. 1re, 25 février 1997.
13. Conseil national des médecins.
Commentaires du code de
déontologie. Site Internet
www.conseil-national.medecin.fr
14. Civ. 1re 14 novembre 1997 ; chronique
de jurisprudence « Responsabilité
médicale ». In : Médecine et droit.
Paris : Elsevier, 1999, p. 13-21.
15. Article 221-6 du Code pénal.
16. Article 223-6 du Code pénal.
17. Article 434-1 du Code pénal.
Alcool: le répertoire
(suite de la p. 1 080)
ASSOCIATIONS, SITES…
www.entretienmotivationnel.org
L’Association francophone de diffusion
de l’entretien motivationnel (AFDEM
[06 07 91 44 94]) a été créée en 2003
pour diffuser les concepts et la pratique de l’entretien motivationnel.
Elle propose des informations sur ce
type d’entretien et des formations. Elle
promeut l’échange et la réflexion
autour des champs d’application et l’élaboration de matériel pédagogique.
Les formateurs issus du MINT [Motiva-
L A R E V U E D U P R AT I C I E N / 2 0 0 6 : 5 6
tional interviewing network of trainers] s’adressent à différents publics
travaillant dans le soin, la prévention, le
conseil, l’action sociale ou éducative,
dans un souci d’adaptation aux situations spécifiques rencontrées par chacun. Le calendrier des formations est
affiché sur le site.
Un espace bibliographique met en ligne
au menu « documents pédagogiques »
un petit ouvrage québécois, L’Entrevue motivationnelle : un guide de formation.
Un espace est réservé aux membres.
www.educalcool.qc.ca/cgi/
Un petit tour sur ce site canadien vous
permettra de juger de leur façon
d’aborder le problème : des informations, des messages forts…, mais rien
de révolutionnaire ! Nos amis les
Canadiens avaient beaucoup à nous
apprendre, il y a seulement quelques
années, dans le domaine de l’information grand public. Il semble que nous
ayons rattrapé notre retard car, bonne
nouvelle, le fossé existant entre les
sites Internet français et les sites
canadiens rétrécit à vue d’œil !
1113
L’alcool dans MEDLINE
par Philippe Eveillard
Comment garder le contact avec l’actualité de l’alcool dans les prochains mois ? Une solution : interroger régulièrement la banque
de données bibliographiques MEDLINE à l’aide des « bonnes » équations de recherche. Elles figurent dans cette page.
Elles sont également sur le site 33docpro.com à l’adresse http://minilien.com/?6b8L90IOPm et il suffit d’un clic de souris
pour afficher les notices correspondantes.
L
a formulation des équations de
recherche de cette monographie sur
l’alcool a bénéficié de l’aide du
thésaurus MeSH et des bordereaux
d’indexation de PubMed/MEDLINE.
Les équations
L Alcohol-Related Disorders/classification [mh] AND Alcohol-Related Disorders/diagnosis [mh]
L Alcohol Drinking/diagnosis [mh] OR Alcohol Drinking/therapy [mh] AND (Psychotherapy, Brief
[mh] OR brief intervention [ti])
CE QUE DIT LE MESH
Une bonne façon de débrouiller les
problèmes de traduction des thèmes de
la monographie est de parcourir les
branches du thésaurus qui « parlent »
d’alcool. Pour cela, la sollicitation du
module « Terminologie » de CISMeF
apparaît comme un passage obligé.
L’entrée du mot « alcool » dans la fenêtre
« recherche » de Terminologie affiche
49 descripteurs dont un grand nombre
ne sont pas en adéquation avec les
thèmes de la monographie (c’est l’effet
« double troncature par défaut » qui est
responsable du « bruit »).
Dans la liste, il est facile de distinguer
les descripteurs qui correspondent aux
atteintes organiques et ceux qui sont en
rapport avec « l’alcool » en général.
Les premiers (cardiomyopathie
alcoolique, cirrhose alcoolique, hépatite
alcoolique, neuropathie périphérique
L'arborescence
de Alcohol-Related
Disorders
Mental Disorders
Substance-Related Disorders
Alcohol-Related Disorders
Alcohol Amnestic Disorder
Alcohol Withdrawal Delirium
Alcoholic Intoxication
Alcoholism
Psychoses, Alcoholic
Wernicke Encephalopathy
L A R E V U E D U P R AT I C I E N / 2 0 0 6 : 5 6
L Alcoholism [mh] AND Mental Disorders [mh] AND Comorbidity [mh]
L Alcoholism/rehabilitation [mh] AND Physician-Patient Relations [mh]
L Alcohol Withdrawal Delirium/prevention and control [mh]
L Alcoholism/rehabilitation [mh] AND Temperance [mh]
L Alcoholism/therapy [mh] AND Legislation, Medical [mh]
alcoolique, pancréatite alcoolique…) ne
font pas partie des thèmes de la présente
monographie. Ils appartiennent à la
branche Substance-Related Disorders
issue de Disorders of Environmental Origin.
En revanche, les descripteurs « autour »
de l’alcool se retrouvent fréquemment
dans les thèmes abordés. Citons : les
troubles liés à l’alcool (Alcohol-Related
Disorders), l’alcoolisme (Alcoholism), le
delirium tremens (Alcohol Withdrawal
Delirium) et la consommation d’alcool
(Alcohol Drinking). Les trois premiers
appartiennent à la branche SubstanceRelated Disorders issue de Mental Disorders,
le dernier appartient à la branche Behavior
de la catégorie Psychiatry and Psychology.
CE QUE SUGGÈRENT
LES BORDEREAUX D'INDEXATION
Les obstacles rencontrés pour exprimer
(si possible en langage MeSH) les mots
ou expressions comme buveurs excessifs,
intervention brève, arrêt de consommation,
sevrage alcoolique ou abstinence sont
franchis plus ou moins aisément par
l’analyse des bordereaux d’indexation. La
technique consiste à entrer le mot ou
l’expression dans la fenêtre de PubMed
en tant que mot du titre, et à afficher les
bordereaux d’indexation des trois ou
quatre premières notices « indexed for
MEDLINE ». Dans ces bordereaux, il n’est
pas rare de trouver la solution pour franchir
l’obstacle. Exemple avec « intervention
brève » et « abstinence ».
Intervention brève
Intervention brève peut se traduire par
le descripteur Psychotherapy, Brief. Mais
l’entrée de l’équation brief intervention
[ti] AND Alcohol Drinking [mh] dans la
fenêtre d’interrogation de PubMed affiche
des notices qui ne sont pas indexées avec
le descripteur Psychotherapy, Brief. Cela
suggère que la meilleure façon de traduire
« intervention brève » dans le contexte
des buveurs excessifs est d’associer
Psychotherapy, Brief (en tant que
descripteur) et brief intervention (en tant
que mot du titre).
Abstinence
L’entrée de abstinence [ti] AND
Alcoholism/rehabilitation [mh] dans la
fenêtre d’interrogation de PubMed/MEDLINE
affiche plus de 100 notices dans le
bordereau d’indexation desquelles le
descripteur Temperance est retrouvé avec
une grande fréquence.
Note : L’entrée de « abstinence » dans
Terminologie ne donne rien. Dans la
définition (scope note) de Temperance figure
l’expression « abstinence from alcohol ».
1115
F I C H E PAT I E N T / L A R EV U E D U P R AT I C I E N
Les jeunes et l’alcool
D’après www.inpes.sante.fr
ACCIDENTS
Sur la route, un accident mortel sur trois est
directement lié à l’alcool, sans compter les milliers
de blessés graves. Des alcooliques ? Non, dans 85 %
des accidents dus à l’alcool les conducteurs sont des
buveurs occasionnels.
Quand vous devez prendre le volant, il est fortement
conseillé de ne pas boire du tout. Refusez de monter avec
quelqu’un qui a bu, insistez pour qu’il passe le volant.
Avec 0,5 g d’alcool dans le sang (2 verres maximum),
les risques sont multipliés par 2, par 10 à 0,8 g
(3 verres) et par 35 avec 1,2 g (5 verres) !
Il n’existe aucune méthode miracle pour dessaouler. Un
douche froide, un café bien serré, un bol d’air frais… ne
réduisent pas l’alcoolémie et sont donc des méthodes
inefficaces. Le seul remède, c’est le temps. En effet, l’alcool
met plusieurs heures avant d’être éliminé par l’organisme.
RAPPORTS SEXUELS À RISQUE
Après quelques verres, vous « branchez » plus
facilement en soirées ? C’est peut-être vrai, mais
attention, quand on a bu et qu’on est un peu « parti »,
on peut oublier de prendre ses précautions. Un seul
rapport sexuel sans préservatif suffit pour être
contaminé par le sida, par d’autres maladies
sexuellement transmissibles ou pour se retrouver
enceinte contre sa volonté.
VIOLENCES
Quand on a bu, le ton monte très vite. Une remarque, un
regard mal interprété peuvent dégénérer. Résultat : des
embrouilles, des coups.
L’alcool est aussi souvent en cause dans les cas de
violence familiale, sans parler des délits et actes de
délinquances.
MALAISES
Baisse de lucidité, fatigue, perte de mémoire : les
lendemains de cuite, c’est le brouillard toute la journée.
À l’école, à la fac, au travail, vous êtes lent à réagir,
vous n’êtes plus à la hauteur.
À terme, boire trop et trop souvent vous expose au
risque de vous couper des autres et de vous renfermer
sur vous-même.
AUTANT LE SAVOIR
Contrairement à une idée reçue, un verre de bière, de
whisky coca, de gin tonic, de vodka et de vin…
contiennent tous la même quantité d’alcool quand ils
1116
sont servis au café, au restaurant ou en boîte de nuit :
environ 10 g d’alcool pur par verre. C’est ce qu’on appelle
un verre standard. Cela s’explique facilement : si ces
verres n’ont pas la même forme ni la même contenance,
la quantité d’alcool pur reste la même pour tous.
1 verre standard = 10 g d’alcool pur = ballon de vin
12° (10 cL) = 1/2 de bière 5° (25 cL) = verre
de whisky 40° (3 cL) = apéritif 18° (6 cL) = verre
de pastis 45° (3 cL) = coupe de champagne 12°
(10 cL)
QUELQUES REPÈRES
Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), il faut
respecter 4 règles pour éviter les risques dus à une
consommation excessive d’alcool :
앬 pas plus de 4 verres standard en une seule occasion ;
앬 pour les femmes, pas plus de 2 verres standard par jour ;
앬 pour les hommes, pas plus de 3 verres standard par jour ;
앬 aucune boisson alcoolisée : quand on conduit un
véhicule, quand on travaille sur une machine
dangereuse, quand on exerce des responsabilités qui
nécessitent vigilance et précision, quand on prend
certains médicaments, pendant une grossesse.
L’ALCOOL, UN ACCÉLÉRATEUR DE CANCER
Au-delà de 2 verres par jour en moyenne pour
les femmes, et 3 verres par jour en moyenne pour
les hommes, vous augmentez vos risques de :
➜ cancers (bouche, gorge, œsophage, foie) ;
➜ maladies cardiovasculaires (dont
l’hypertension artérielle) ;
➜ cirrhose du foie, pancréatite ;
➜ maladies du système verveux (névrites,
atteintes de la mémoire) ;
➜ troubles psychiques (anxiété, irritabilité,
insomnie, dépression).
N’oubliez pas que vous prenez aussi des risques
liés aux effets immédiats de l’alcool :
➜ accidents de la circulation, du travail, de la vie
courante ;
➜ violence, rapports sexuels non protégés (sida),
malformations chez les enfants à naître
exposés à l’alcool pendant la grossesse.
L A R E V U E D U P R AT I C I E N / 2 0 0 6 : 5 6