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LA REVUE DU 10 PRATICIEN ÉDITOR IAL N° 31 MAI 2006 « ET L’ALCOOL? », LA QUESTION QU’IL FAUT POSER… Un patient sur 5 en médecine générale a un usage nocif ou à risque de l’alcool, mais seulement 1 % consultent pour ce motif. C’est dire l’importance d’un interrogatoire empathique des patients sur leur consommation, avec l’aide éventuelle d’un questionnaire, suivi, lorsqu’un mésusage a été repéré, d’une intervention personnalisée de 5 à 10 minutes, voire d’un simple conseil de moins boire. Repérage précoce et intervention brève (RPIB) permettent de repérer près de 1 malade de l’alcool sur 5 et d’obtenir, dans ce groupe, des résultats encourageants, puisque dans une étude publiée dans La Revue du PraticienMédecine Générale, la moitié de ces patients avaient, avec ou sans conseil, diminué leur consommation à un an.1 Un second travail, publié récemment dans la même revue, sur l’acceptabilité en médecine générale des différents questionnaires évaluant le risque alcool, montrait deux autres résultats: 2 d’une part, l’intérêt des médecins pour cette démarche qui leur avait permis de découvrir des usages à risque ou nocifs méconnus, d’autre part, l’accueil très favorable des patients dont seule une minorité avait été gênée par le questionnement tandis que 78 à 98 % étaient prêts à s’y soumettre chaque année. La lutte contre l’alcoolisme, maladie quasi orpheline lorsqu’on songe au désintérêt de la recherche fondamentale et thérapeutique qu’elle suscite, doit mobiliser les médecins, ne serait-ce que pour contrer l’intense lobbying, relayé par certains élus de la nation, en faveur d’une prétendue exception française, source d’une véritable catastrophe sanitaire. 1. Huas D, Pessione F, Bouix JC, Demeaux JL, Allemand H, Rueff B. Efficacité à un an d’une intervention brève auprès des consommateurs d’alcool à problèmes. Rev Prat Med Gen 2002;16:1343-8. 2. Dewost V, Dor B, Orban T, Rieder A, Gache P, Michaud P. Choisir un questionnaire pour évaluer le risque alcool de ses patients. Rev Prat Med Gen 2006;20:321-6. Jean Deleuze OUVERTURES 1049 SANTÉ PUBLIQUE Alcoolisme : le médecin généraliste au cœur d’une prévention efficace D. Martin, B. Basset, Y. Coquin, D. Houssin 1057 REVUE DE PRESSE Sexe et aspirine : une différence mal expliquée. Gammapathies monoclonales : une prévalence plus élevée avec l’âge et chez les hommes P. Cohen 1051 MISE AU POINT L’hydrocéphalie à pression normale C. Thomas-Antérion, O. Moreaud Malades de l’alcool MONOGRAPHIE Conseiller scientifique : D P. Batel, Traitement ambulatoire des maladies de l’alcool, hôpital Beaujon, 92110 Clichy. r Malades de l’alcool : de la préparation au changement, au maintien de l’abstinence P. Batel 1061 Nosographie, repérage et diagnostic des troubles de l’alcoolisation F. Paille Validité et utilisation des tests biologiques marqueurs de l'alcoolisation H.-J. Aubin 1069 Répertoire 1072 Les buveurs excessifs : repérage et intervention brève P. Michaud 1081 Alcool et comorbidité psychiatrique M. Lejoyeux, M. Marinescu 1088 Comment motiver un patient pour qu’il arrête de boire ? J.-B. Daeppen, D. Berdoz 1093 Modalités du sevrage alcoolique F. Vabret 1100 Maintien de l’abstinence après le sevrage P. Batel, S. Balester-Mouret 1107 Le patient alcoolique : quelle est la responsabilité juridique du médecin ? J. Franck … En couverture : Le Buveur. Adrien Van Ostade (1610-1685). Paris, musée du Louvre. Dans la Hollande du siècle d’or, les banquets étaient le prétexte à d’innombrables toasts. La tradition en dictait l’ordre de succession, ainsi que la taille des verres souvent énormes. Au point que le poète français Théophile de Viau (1590-1626), pourtant fort amateur de vin, ne pût s’empêcher de s’exclamer : « Tous ces messieurs les Hollandais ont tant de règles et de cérémonies à s’enivrer que la discipline m’en rebute autant que l’excès ! ». 1 1. Moulin L. « Les liturgies de la table », Paris, Albin Michel, 1989. L A R E V U E D U P R AT I C I E N / 2 0 0 6 : 5 6 © RMN - Daniel Aranudet 1059 1047 LA REVUE DU N° 10 PRATICIEN 114, avenue Charles-de-Gaulle, 92522 Neuilly-sur-Seine Cedex 31 MAI 2006 Tél. : 01 55 62 68 00 Télécopie : 01 55 62 68 16 [email protected] 1115 L’alcool dans MEDLINE RÉFÉRENCES UNIVERSITAIRES Directeur général-Directeur des publications : Dr Alain Trébucq (6903) [email protected] Directeur administratif et financier : Nicolas BOUVET (6861) [email protected] Directeur du marketing : Alain Provenchère (6905) [email protected] 1117 RÉDACTEUR EN CHEF Jean Deleuze P. Eveillard 1116 Fiche patient : Les jeunes et l’alcool 1119 Des guidelines aux mindlines J.-M. Chabot COMITÉ DE RÉDACTION SCIENTIFIQUE Jean-Noël Fiessinger, Jean-Michel Chabot, Jean-François Cordier, Claude-François Degos, Jean Deleuze, Olivier Fain, Alexandre Pariente, Alain Tenaillon Prescription et surveillance des antibiotiques M. Grappin, H. Portier 1128 Épreuves classantes nationales. NO 26. Qu’est-ce qui peut tomber à l’examen ? 1129 Adénopathie superficielle. Orientation diagnostique 1135 Neuropathie périphérique DÉVELOPPEMENT Rédacteur en chef : Marie-Pierre Deleuze Rédacteur en chef adjoint : Perle Bodossian S. de Guibert, M. Bernard CONSEIL SCIENTIFIQUE A. Basdevant, J.-P. Boissel, P. Bougnoux, M.L. Bourgeois, M. Brodin, A. Castaigne, I. Cochereau, M. Cucherat, L. Dubertret, J.-F. Duhamel, R. Fourcade, É.N. Garabédian, J.-J. Hauw, D. Malicier, A. Meyrier, L. Monnier, P. Narcy, A.L. Parodi, G.-A. Princ, P. Reinert, J. Sahel, M. Schlumberger, L. Sedel, G. Slama, B. Varet, J.-L. Wautier A participé à ce numéro : Philippe Eveillard L. Magy, J.-M. Vallat 1143 Sarcoïdose C. Picard, A. Tazi DE MÉMOIRE DE MÉDECIN 1154 1158 COMITÉ D’HONNEUR Philippe Auzépy, Jean-Paul Binet, Charles Fiessinger†, Dominique Laplane Avant Avicenne, l’hôpital franco-musulman de Bobigny K. Kukawka Sommaire du prochain numéro La Revue du Praticien est indexée dans Medline CONTE NTS VOLUME 56, N O 10, MAY 31 ST 2006 OPENERS 1049 PUBLIC HEALTH Alcoholism: general practitioners at the heart of an effective prevention D. MARTIN, B. BASSET, Y. COQUIN, D. HOUSSIN 1051 RESTATEMENT Idiopathic normal pressure hydrocephalus C. THOMAS-ANTÉRION, O. MOREAUD 1057 PRESS REVIEW P. COHEN ALCOHOL-DEPENDENT PATIENTS 1059 Alcohol-dependent patients. From readiness to change to continuous abstinence P. BATEL 1061 Classification, detection and diagnosis of chronic alcohol disorders F. PAILLE 1072 Early detection and brief intervention to reduce excessive drinking P. MICHAUD 1081 Alcohol dependence and abuse and psychiatric disorders M. LEJOYEUX, M. MARINESCU 1088 Motivational interviewing to help patients stop drinking J.-B. DAEPPEN, D. BERDOZ 1093 Alcohol withdrawal syndrome: managing and treatment protocol F. VABRET 1100 Maintaining abstinence after alcohol detoxification P. BATEL, S. BALESTER-MOURET 1107 Alcoholic patients: legal responsibility of physicians 1119 Antibiotic prescription and surveillance M. GRAPPIN, H. PORTIER 1128 National ranking exam. N26. What could fall at the exam? 1129 Superficial adenopathy S. DE GUIBERT, M. BERNARD 1135 Parapherical polyneuropathies L. MAGY, J.-M. VALLAT 1143 Sarcoidosis C. PICARD, A. TAZI MEDICAL RECOLLECTIONS 1154 Before Avicenne, Franco-Muslim hospital in Bobigny K. KUKAWKA SECRÉTARIAT DE LA RÉDACTION Martine Chappon, Hélène Lockwood PUBLICITÉ Directeur commercial groupe : Catherine Le Ménahèze (6915) [email protected] Valérie Ackaouy (6828) [email protected] Antonin Artaud (6992) [email protected] Florence Ginestet (6855) [email protected] Emmanuelle Guiard-Schmid (6913) [email protected] Charlotte Moyroud-Brunissen (6848) [email protected] Frédérique Ronteix (6945) [email protected] Assistante : Agnès Chaminand (6962) [email protected] CONGRÈS Lily-Claude Levasseur (6897) [email protected] RÉDACTION EN CHEF TECHNIQUE Chantal Trévoux (6806) [email protected] RÉALISATION Secrétaire général de la rédaction Marc Trenson (6928) [email protected] Premier rédacteur-graphiste Sabine Meynard-Gueye [email protected] Rédacteurs-graphistes Cristina Campos, Régine Michel, Dominique Pasquet Rédacteurs-réviseurs Annie Rainelli, Jean-Éric Desalme, Monique Feldstein, Élisabeth Scemama La revue adhère à la charte de formation médicale continue par l’écrit du Syndicat national de la presse médicale et des professions de santé (SNPM) et en respecte les règles. (Charte disponible sur demande). Reproduction interdite de tous les articles sauf accord avec la direction. ABONNEMENTS Abonnement France 1 an : 119 e CCP Paris 202 A (Éditions J.-B. Baillière) Pour tout renseignement concernant un abonnement en cours ou un nouvel abonnement, tél.: 01 49 60 06 61 - fax: 01 49 60 10 55 J. FRANCK COPEF MEDICAL TEACHING 1117 From guidelines to mindlines J.-M. CHABOT 1048 SECRÉTAIRES DE RÉDACTION Marie-Aude Dupuy, Richard Delarue Principal actionnaire: Huveaux PLC Executive chairman: John van Kuffeler Group chief executive officer: Gerry Murray Group finance director: Dan O’Brien COPEF : S.A. au capital de 32 163 104 €, 16e année Durée 99 ans à compter du 19/12/90 ISSN : 0035-2640 Numéro de commission paritaire: 0207T81658 Dépôt légal à parution Impression : Dulac (27120 Pacy-sur-Eure) SANTÉ PUBLIQUE D I R E C T I O N G É N É R A L E D E L A SA N T É ALCOOLISME : LE MÉDECIN GÉNÉRALISTE AU CŒUR D’UNE PRÉVENTION EFFICACE D. Martin, B. Basset, Y. Coquin, D. Houssin* Les buveurs excessifs représentent, en France, plus d’un patient sur cinq en médecine de ville si on se réfère aux seuils de consommation à risque retenus par l’Organisation mondiale de la santé (OMS).1, 2 Pour l’ensemble de la population française, on dénombre près de quatre millions de buveurs à risque.3 Le médecin généraliste reste le premier relais qui peut repérer ces personnes et intervenir de façon précoce et efficace, avant que leur situation ne s’aggrave. Cependant, encore aujourd’hui, les médecins français se reconnaissent spontanément, en priorité, comme des soignants plutôt que comme acteurs de prévention. L’alcool ne devient généralement pour eux une préoccupation qu’à un stade tardif lorsque le mésusage de leur patient a des conséquences sur sa santé. Afin d’améliorer le dépistage précoce de ces buveurs excessifs et de prévenir l’aggravation de leur situation, les médecins peuvent maintenant s’appuyer sur des outils d’intervention validés. Le repérage précoce et l’intervention brève (RPIB) ont été promus par l’OMS dans le cadre du programme Less is better, qui a débuté en 1980.4 En effet, il a été démontré qu’un simple conseil de quelques minutes peut réduire d’un tiers le nombre de buveurs excessifs 5 et que cette intervention a le meilleur rapport coût-efficacité 6 en termes de réduction des dommages. Sur ces arguments, la Direction générale de la santé (DGS) a décidé de mettre en place, dès 2005, un plan national de diffusion du repérage précoce et de l’intervention brève sur 5 ans, objectif déjà inscrit comme un des axes forts de la Stratégie d’action Alcool du ministère de la Santé 2002-2004. Son ambition est d’obtenir, à terme, une mobilisation de l’ensemble des soignants, et particulièrement des médecins généralistes, dans l’utilisation en routine du repérage précoce et de l’intervention brève auprès de leurs patients. LES DONNÉES D’OBSERVATION NATIONALES L’Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT) a réalisé une analyse des premières expériences régionales actuellement en cours (Aquitaine, Bourgogne, Bretagne, Champagne-Ardenne et Îlede-France). Le rapport final, disponible sur le site de l’OFDT* présente un état des lieux et une analyse approfondie des stratégies et des facteurs de réussite d’un tel programme, et permet de définir les étapes de sa mise en œuvre et de décrire l’impact de la formation sur les pratiques des professionnels. * Accessible à l’adresse suivante : http://www.ofdt.fr/ ofdtdev/live/ofdt/publi/rapports/rap05/epfxcdk4.html ALCOOL: MOBILISER LES GÉNÉRALISTES La mobilisation des médecins généralistes sur le dépistage est souvent considérée comme le « maillon faible » de la politique sanitaire sur l’alcool7 et reste encore au stade expérimental dans la majorité des régions, sauf en Aquitaine où elle a pris une certaine ampleur. Bien qu’ils se sentent compétents pour intervenir dans le domaine de l’alcool, les médecins généralistes se considèrent néanmoins comme peu (ou pas) efficaces et non légitimes pour s’immiscer dans un domaine considéré comme privé. Ils se disent faiblement mobilisés sur le dépistage des buveurs excessifs, principalement par manque de temps, de formation et de valorisation des actes de prévention. Cependant, le dernier « Baromètre santé médecins pharmaciens 2003 » montre une amélioration, avec un pourcentage de médecins déclarant être efficaces sur l’alcoolisme qui progresse, par rapport à 1998, de 30,1 % à 37,5 %. Quant aux patients, ils accordent généralement une grande confiance à leur médecin sur ce thème. LES STRATÉGIES DE DIFFUSION DU RPIB ET LEURS RÉSULTATS La revue des publications et l’étude des expériences régionales montrent que les meilleures stratégies de diffusion du repérage précoce et de l’intervention brève sont le marketing téléphonique amenant à la for- * Direction générale de la Santé, 14, avenue Duquesne, 75007 Paris. L A R E V U E D U P R AT I C I E N / 2 0 0 6 : 5 6 1049 SANTÉ PUBLIQUE Alcoolisme : le médecin généraliste au cœur d’une prévention efficace mation qui, elle-même, est relayée par l’aide téléphonique ou les entretiens confraternels. Les résultats varient suivant le niveau d’avancement des programmes : en général les praticiens, souvent incrédules au début, sont très satisfaits des formations, adhèrent au programme malgré leur manque de temps, souvent évoqué, les résistances et des difficultés à effectuer le repérage en routine de manière systématique, ce qui suppose une modification en profondeur de leur attitude vis-à-vis de la problématique alcool. En ce qui concerne les patients, seule la région Aquitaine a mis en place une évaluation donnant des résultats fiables : 22 % des personnes diagnostiquées « usagers à risque » et 23 % de celles considérées « à usage nocif » lors du premier repérage, sont passées à une consommation « normale » (usage à moindre risque ou non-usage) après l’intervention brève. Il est intéressant de noter que la majorité des patients diagnostiqués et des médecins n’avaient pas, auparavant, une notion claire de l’existence d’une situation à risque chez les premiers. LA SYNERGIE PROFESSIONNELS-INSTITUTIONS: UN FACTEUR DE RÉUSSITE L’analyse de l’OFDT sur les cinq régions montre que ces stratégies ont été souvent impulsées par les Drass (directions régionales des affaires sanitaires et sociales) [parfois dans le cadre d’un programme régional de santé] et portées par des partenaires locaux comme les unions régionales des caisses d’assurance maladie (Urcam), les réseaux, les unions régionales des médecins libéraux (URML), l’Association nationale de prévention en alcoologie et addictologie (Anpaa), l’Union nationale des associations de formation médicale continue (Unaformec) et La formation du médecin généraliste (MGForm). La réalisation d’une véritable synergie entre les priorités institutionnelles et les visées des professionnels porteurs 1050 du projet est un des facteurs de réussite du programme par la mutualisation des énergies et des compétences selon les étapes suivantes : — sur un socle commun de connaissances et d’outils, les porteurs de projets ont façonné des stratégies personnalisées en fonction de leurs opportunités, de leurs contraintes respectives et des déterminants locaux ; — une fois établi le tissu partenarial local et la mobilisation (recrutement) des médecins, les programmes de formation se sont en général déroulés en deux phases avec, d’abord la formation des formateurs, puis l’extension progressive aux praticiens (dans le cadre ou non de la formation médicale continue [FMC]) ; — les budgets alloués dans le cadre des programmes régionaux de santé (PRS) et par l’Urcam (dans le cadre du Fonds d’aide à la qualité des soins de ville [FAQSV]) ont été les plus utilisés. Certains programmes sont déjà repris dans le Programme régional de santé publique (PRSP) en cours d’élaboration ; — le maintien de la mobilisation des médecins passe souvent par une rémunération (multiplication par 5 de la pratique de repérage), par le renouvellement des échanges entre médecins formés, les relances écrites et téléphoniques et la mise en place d’annuaires des structures et services disponibles et/ou un site Internet. Il ressort de ces expériences que la formation seule ne suffit pas à l’adoption du repérage précoce et de l’intervention brève, d’autant plus que l’alcool est un thème globalement peu mobilisateur pour les médecins qui ne reçoivent pas de formation initiale approfondie en alcoologie ni celle des techniques d’entretien. Le choix d’un questionnaire de dépistage adapté à la pratique médicale française (FACE) rend cette adoption plus facile. Mais au-delà de la décision politique de diffusion du repérage précoce et l’intervention brève, une médiatisation de cette stratégie auprès du grand public est incontournable pour légitimer l’action des praticiens et les accompagner dans leur démarche. INTÉGRER LE REPÉRAGE PRÉCOCE DANS LA FORMATION DES MÉDECINS Ainsi, il existe à ce jour des bases solides sur la pertinence d’une stratégie d’accompagnement et de promotion du RPIB : — une reconnaissance de l’importance de la démarche sur le plan international ; — la mise en évidence des résultats sur le plan national avec, déjà, la mobilisation d’un grand nombre de partenaires (la Mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie [MILDT], l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé [Inpes], Anpaa, Urcam, URML, services déconcentrés, FMC…). Ces premiers résultats montrent que plus de 20 % des patients à risque modifient leurs habitudes de consommation. C’est pourquoi l’initiation au repérage précoce et à l’intervention brève et aux approches motivationnelles et comportementales, dans la formation initiale des médecins généralistes, doit être sérieuseB ment envisagée. 1. Les risques d’alcoolisation excessive chez les patients ayant recours aux soins un jour donné – DREES Études et résultats 2002;192. 2. Le risque d’alcoolisation excessive: les écarts entre les déclarations des patients et l’avis des médecins. DREES Études et résultats 2005;405. 3. Drogues et dépendances, données essentielles. OFDT. Paris : La Découverte, 2005. 4. Alcohol – less is better. WHO Regional Publications, European Series 1996;70. 5. Babor TF, Higgins-Biddle JC, Saunders JB, Monteiro MG AUDIT. The alcohol use disorders identification test: guidelines for use in primary care. Second edition. Genève: WHO, 2001. 6. Babor TF, Caetano R, Casswell S, et al. Alcohol: no ordinary commodity. Research and public policy. Oxford-Londres: Oxford and London University Press, 2003. 7. Cour des Comptes. Le rapport public 2003. Observations des juridictions financières. Paris : Éditions des JO, 2004. L A R E V U E D U P R AT I C I E N / 2 0 0 6 : 5 6 monographie Malades de l’alcool De la préparation au changement, au maintien de l’abstinence Philippe Batel * D’ ordinaire en médecine, et plus encore en santé publique, il s’établit naturellement, et dans un délai plus ou moins court, une corrélation étroite entre la gravité d’un problème sanitaire posé à une population et l’intérêt des chercheurs comme celui des soignants pour éclaircir son origine, enrayer son développement et guérir les sujets qui en sont atteints. Lorsque le phénomène est repéré par des indicateurs solides, stables et invariablement inquiétants (morbidité, mortalité, contagiosité, coût majeur pour la nation, répercussions sociales considérables), les décideurs et les politiques s’en emparent ou y sont contraints par la pression sociétale et l’infamie d’irresponsabilité que dénoncerait leur inaction. Alors, le problème sanitaire peut acquérir le statut de « cause ». Grande souvent, nationale parfois, mondiale plus rarement, la cause est érigée au rang de catastrophe et trouve ainsi une noblesse d’attention, une universalité de précaution et de nombreux supports dans une opinion sensibilisée et relayée par des groupes de pression de malades, de familles et des solidarités de toutes sortes. Le sida, le cancer, la maladie de Parkinson, les myopathies, l’encéphalopathie spongiforme bovine ont, chacune et à des degrés divers, « bénéficié » de cette visibilité nationale pour sensibiliser les soignants à leur prise en charge, normaliser l’image des malades, soulager leurs proches et faire considérablement progresser les connaissances. Combien de temps les maladies alcooliques doiventelles encore attendre leur tour gagnant au carrousel des combats de santé publique ? L’usage nocif d’alcool et sa forme avancée (l’alcoolo-dépendance) affectent 5 millions d’individus dans notre pays, tuent 45 000 d’entre eux chaque année ; près de la moitié des décès de la tranche d’âge 14-30 ans y sont imputables. Il complique considérablement la vie de leur famille, celle de leur entourage et de leur employeur. Il participe largement au remplissage des prisons et coûte annuellement17,6 milliards d’euros à la nation française. Le cortège de souffrances reste difficilement évaluable, car tant infamant que les malades et leur entourage se tapissent dans un mutisme étouffé par la honte. Pourtant, la timidité de l’intérêt des scientifiques pour les troubles de l’alcoolisation reste un mystère, compte tenu des progrès considérables accomplis ces dernières années, aussi bien dans la compréhension des mécanismes de vulnérabilité, en particulier étiologiques de la dépendance et l’efficacité des stratégies pour la traiter. L’investissement discret et trop encore militant des soignants dans leur repérage et leur * Traitement ambulatoire des maladies de l’alcool, hôpital Beaujon, 92110 Clichy. Courriel : [email protected] L A R E V U E D U P R AT I C I E N / 2 0 0 6 : 5 6 1059 prise en charge est un non-sens épidémiologique. Il contribue à la pérennisation d’une catastrophe sanitaire chronicisée. Les politiques et les décideurs avertis de longue date par les experts sont soumis à une pression lobbyiste majeure des alcooliers qui brandissent tour à tour l’exception culturo-vinicole française, les emplois de la filière et le commerce extérieur mis à mal par la concurrence étrangère. Au final et depuis des années, l’ambiguïté de l’État sur le sujet finit par être criminelle par son inaction. REPÉRAGE ET INTERVENTION BRÈVE En attendant de résoudre l’énigme du désintérêt des chercheurs sur l’alcool, cette monographie permettra à chaque praticien de faire le point sur l’essentiel des connaissances actualisées en alcoologie clinique. Le lecteur découvrira que la nosographie des troubles de l’alcoolisation ne se résume pas à l’alcoolo-dépendance, mais qu’elle se définit plus largement autour de la notion de dommages, potentiels chez les consommateurs à risques, et patents chez les consommateurs à problèmes. Contrairement à une idée encore trop injustement répandue, leur repérage systématique est favorisé par une attitude médicale non confrontante (c’est-à-dire dégagée des habituels préjugés sur la sous-déclaration) et des instruments (questionnaires) validés évaluant les aspects qualitatifs et quantitatifs de la consommation d’alcool hebdomadaire. Le repérage de masse est donc non seulement possible dans une «patientèle», mais souhaitable, car directement exploitable. Il permet de repérer près de 1 malade sur 5 (1 homme sur 3) chez qui une intervention thérapeutique est utile. Les objectifs et les moyens diffèrent bien évidemment selon que le trouble de l’alcoolisation s’accompagne ou non de symptômes de dépendance. Dans ce dernier cas, l’objectif thérapeutique se «contente» de réduire la consommation en deçà des seuils de risque au moyen d’un conseil personnalisé de 10 minutes, décrit sous le terme d’intervention brève, dont les résultats à 6 mois sont très encourageants : près de 50 % des patients ont modifié favorablement leur consommation. LA LONGUE MARCHE DES PATIENTS DÉPENDANTS DE L’ALCOOL Le parcours thérapeutique des patients dépendants de l’alcool est plus long et difficile. L’objectif, plus ambitieux, s’établit en trois étapes : préparer, réaliser et maintenir à long terme une abstinence la plus accomplie, solide et bénéfique. Dans le traitement de l’alcoolodépendance, non seulement la pente est forte et la chaussée glissante, mais le tracé bien souvent sinueux avec des bas-côtés très abrupts. Ainsi, accompagner un patient dépendant de l’alcool sur la voie de la rémission peut prendre plusieurs années. À chaque étape, les entretiens motivationnels aident avant tout le soignant à trouver des stratégies pour faire face à la résistance des patients à changer, à les aider à s’approprier la construction du projet thérapeutique, à s’y investir. Le sevrage, étape ô combien symbolique mais essentielle, est néanmoins la phase qui pose désormais le moins de difficultés chez un patient bien préparé. En respectant quelques contre-indications bien balisées, il peut s’effectuer en ambulatoire. Certains patients, dont il reste à définir le profil particulièrement répondeur, bénéficient de préférence d’un séjour résidentiel. Le maintien à long terme et à faible coût psychique (efforts et pénibilité) est favorisé par un accompagnement médical personnalisé au cours duquel on peut associer des psychothérapies utilisant des techniques différentes (soutien, relaxation, inspiration analytique, occupationnelle, de relaxation, familiale, thérapie cognitivo-comportementale), des médicaments facilitant le maintien de l’abstinence ou une aide auprès des groupes d’entraide. Enfin, le comité éditorial de ce numéro a demandé à un juriste de nous rappeler nos responsabilités légales face aux malades de l’alcool, dans des situations courantes de notre exercice médical. Souhaitons que l’ensemble de ce numéro donne envie à nos confrères d’accomplir un devoir moral à l’aune de son enjeu majeur de santé publique : regarder autrement, conseiller avec succès et accompagner efficacement les malades de l’alcool. B FMC et EPP ? Nous sommes prêts ! La Revue du Praticien est un acteur de référence de la FMC. La rigueur de nos pratiques rédactionnelles nous permet de répondre aux exigences des dispositions réglementaires encadrant la FMC et l’Évaluation des pratiques professionnelles (EPP) qui sont en train de se mettre en place : comité de lecture indépendant, déclaration des conflits d’intérêts... LA REVUE DU PRATICIEN donne du crédit à votre FMC ! Votre abonnement à La Revue du Praticien participe au futur calcul de votre crédit FMC : conservez votre facture d’abonnement ; elle tiendra lieu d’attestation. 1060 L A R E V U E D U P R AT I C I E N / 2 0 0 6 : 5 6 monographie Nosographie, repérage et diagnostic des troubles de l’alcoolisation Le repérage précoce des conduites d’alcoolisation a pour but de prévenir l’évolution vers la dépendance ou l’apparition de complications somatiques, psychiques ou sociales. Il repose sur l’évaluation de la consommation déclarée d’alcool au cours d’un entretien confiant, en s’aidant éventuellement de questionnaires et, si besoin, dans un second temps, de la prescription de trois marqueurs biologiques (VGM, gamma-GT et transferrine désialylée). François Paille * I l est très important d’envisager le répérage précoce des conduites d’alcoolisation, si possible avant ou du moins dès qu’elles commencent à induire des problèmes, afin de prévenir l’installation d’une dépendance et/ou la survenue de complications somatiques, psychiques ou sociales. Il faut aussi souligner qu’une prise en charge précoce est plus simple, moins lourde et moins coûteuse qu’aux stades plus avancés et que les méthodes préconisées ont fait la preuve de leur efficacité. NOSOGRAPHIE DES CONDUITES D’ALCOOLISATION Les classifications publiées depuis de très nombreuses années ont l’inconvénient de décrire essentiellement les différentes formes de dépendances, mais aussi celui d’aborder très peu ou pas du tout les modes de début de ces conduites et leurs modalités évolutives précoces avant l’apparition de dommages. Les classifications internationales sont peu utilisables en pratique clinique.1, 2 Pour remédier à cette situation, la Société française d’alcoologie a publié en 2001 des recommandations validées par l’Anaes (actuelle Haute Autorité de santé [HAS]).3 Ces recommandations s’appuient essentiellement sur un modèle médical, sans doute réducteur mais pratique. Elles proposent d’organiser la classification des conduites d’alcoolisation en différentes catégories autour des termes « usage » et « mésusage ». • Non-usage Le non-usage est défini par toute conduite à l’égard des boissons alcooliques caractérisée par une absence de consommation, qu’elle soit momentanée, temporaire, * Service médical, hôpital Maringer-Fournier-Villemin, centre d’alcoologie, 54000 Nancy. Courriel : [email protected] L A R E V U E D U P R AT I C I E N / 2 0 0 6 : 5 6 1061 MALADES DE L’ALCOOL N O S O G R A P H I E , R E P É R A G E E T D I A G N O S T I C D E S T R O U B L E S D E L’A LC O O L I S AT I O N CE QUI EST NOUVEAU L Pendant longtemps, on s’est surtout intéressé aux problèmes L L L L liés aux formes d’alcoolisation les plus graves : dépendance, complications organiques… Il est impératif de prendre en compte et de dépister les patients à des stades plus précoces (usage à risque et usage nocif), pour éviter leur évolution vers des formes plus graves. De plus, les stratégies thérapeutiques à ce stade sont moins lourdes, moins onéreuses et plus efficaces. Ce dépistage n’est pas du domaine des spécialistes qui, souvent, ne voient pas ces patients. Il concerne tous les professionnels de santé, et au premier plan les médecins généralistes. Il repose sur la consommation déclarée d’alcool, mais beaucoup d’études récentes ont confirmé l’intérêt d’outils standardisés comme l’AUDIT. Le diagnostic impose une évaluation clinique complète comprenant, outre les habituelles complications médicopsychosociales, le niveau de motivation du patient, essentiel pour adapter la stratégie thérapeutique, la recherche de consommations de substances psycho-actives associées, très fréquentes, la sévérité de la conduite (estimation du craving). durable, définitive, primaire ou secondaire. Il ne recouvre donc pas la notion d’abstinence qui désigne un non-usage secondaire à une période de mésusage (de type dépendance). Les personnes qui se trouvent dans cette catégorie sont des non-consommateurs. • Usage Le terme «usage» employé seul sans adjectif renvoie à l’usage socialement admis pour lequel le risque, s’il n’est pas nul, est considéré comme acceptable pour l’individu et pour la société. Il s’agit donc de toute conduite d’alcoolisation ne posant pas de problème pour autant que la consommation reste faible (inférieure ou égale aux seuils définis par l’Organisation mondiale de la santé [OMS]) et prise en dehors de toute situation à risque et de tout risque individuel. L’usage peut être expérimental, occasionnel, intermittent, périodique, régulier… Dans ces limites, l’usage caractérise le comportement du consommateur modéré. Cette notion a bénéficié de repères de consommation définis par l’OMS et reconnus internationalement : – usage ponctuel : pas plus de 4 verres par occasion ; – usage régulier : pas plus de 21 verres par semaine chez l’homme (soit 3 verres par jour en moyenne) ; pas plus de 14 verres par semaine chez la femme (soit 2 verres par jour en moyenne). Ces « seuils » n’ont pas de valeur absolue, car chaque personne peut réagir différemment selon son sexe, sa corpulence, son état physique et psychologique, le contexte de consommation… 1062 Trois catégories de mésusage sont ensuite définies : l’usage à risque ; l’usage nocif ; l’usage avec dépendance. • Usage à risque Il se définit par toute conduite d’alcoolisation, ponctuelle ou régulière, qui associe une consommation supérieure aux seuils définis par l’OMS non encore associée à un quelconque dommage médical, psychologique ou social, et/ou à une dépendance. La personne qui se situe dans ce cadre est dénommée consommateur à risque. L’usage à risque inclut également des consommations égales ou inférieures aux seuils de l’OMS lorsqu’elles sont prises : – dans certaines situations à risque pour lesquelles cette consommation est déjà dangereuse, comme la conduite de véhicules, le travail sur machines dangereuses ou à un poste de sécurité…, situations qui requièrent vigilance et attention ; – en cas de risque individuel particulier, par exemple consommations d’autres produits psychoactifs susceptibles de potentialiser les effets de l’alcool, pathologies organiques et/ou psychiatriques associées, notamment celles qui exigent un traitement médicamenteux, modification de la tolérance du consommateur en raison de son âge, de son sexe, de son faible poids, de situations psychologiques ou physiologiques particulières (état de fatigue et surtout grossesse). • Usage nocif Toute conduite d’alcoolisation qui induit au moins un dommage d’ordre médical, psychologique ou social définit l’usage nocif. Il n’y a pas de dépendance. Cette catégorie est donc définie par les dommages provoqués par la consommation, et non par l’importance ou la fréquence de cette consommation. Les personnes qui se situent dans cette catégorie sont dénommées consommateurs à problèmes. • Usage avec dépendance Il est défini par toute conduite d’alcoolisation caractérisée par une perte de la maîtrise de la consommation. Cette catégorie ne se définit pas non plus par rapport à un seuil ou à une fréquence de consommation, ou par l’existence de dommages induits qui sont cependant quasi constants. La définition de la dépendance ne comporte pas de critères impliquant que la consommation soit quotidienne ou habituelle. Les personnes qui se situent dans cette catégorie sont appelées consommateurs dépendants ou alcoolodépendants. On distingue schématiquement : – la dépendance physique, définie par la survenue d’un syndrome de sevrage lors de l’arrêt brutal de la consommation d’alcool. Elle n’est pas constante et se retrouve chez les consommateurs quotidiens ; – la dépendance psychique, qui est la pulsion à consommer des boissons alcoolisées pour en retrouver les effets. Le diagnostic de dépendance n’est pas toujours facile à porter. Différents éléments doivent être recherchés : L A R E V U E D U P R AT I C I E N / 2 0 0 6 : 5 6 – des signes de dépendance physique (antécédents de crises d’épilepsie, de syndrome de sevrage, existence de signes mineurs de sevrage le matin [tremblements, nausées, anxiété]) ; – le besoin de boire dès le matin ; comme pour le tabac, la consommation d’alcool rapidement après le réveil est un grand signe de dépendance physique ; – une augmentation des doses pour en retrouver les effets (phénomène de tolérance) ; – une difficulté à maîtriser la consommation ; consommation en quantité plus importante ou pendant une période plus longue que prévue, désir persistant de consommation, poursuite de la consommation malgré ses conséquences, y compris des problèmes judiciaires (alcool au volant, violences…), efforts infructueux pour diminuer la consommation ; – un retentissement de la consommation sur la vie quotidienne ; perte d’activités sociales, professionnelles ou de loisirs. Si l’on hésite encore entre usage nocif et dépendance, un test d’arrêt de l’alcool peut être proposé sur 8 à 15 jours. Cette méthode, bien que non évaluée, permet d’apprécier par exemple la diminution d’un taux élevé de gamma-glutamyltransférase (gamma-GT) et de confirmer sa relation avec la consommation d’alcool. Ce test donne l’occasion de revoir le patient et de réaborder le problème avec lui. Il permet au médecin de confirmer la dépendance lorsque le patient n’a pu arrêter sa consommation. Il permet aussi, dans les cas où celui-ci n’est pas conscient de sa dépendance, de lui faire prendre conscience de sa difficulté à maîtriser sa consommation de boissons alcoolisées. Cette prise de conscience personnelle est souvent plus efficace que les interventions du médecin ou de l’entourage. Mais dans la grande majorité des cas, le patient dépendant de l’alcool sait qu’il consomme trop. S’il est dans le déni, c’est parce que cette attitude est la seule psychologiquement admissible pour lui. Se reconnaître « alcoolique » n’est jamais facile. Lever les résistances, l’amener à accepter de se faire aider, renforcer sa motivation sont des objectifs essentiels de l’accompagnement. Il y a peu de travaux qui se sont intéressés à l’évolution entre les diverses catégories d’usage. Si l’idée d’un continuum évolutif est admise, le passage vers une catégorie plus sévère n’est pas pour autant inéluctable. Beaucoup de personnes stabilisent leur conduite dans l’une ou l’autre de ces catégories. Le retour spontané à une catégorie inférieure, en tout cas pour les formes sans dépendance, est également possible. Le diagnostic n’est donc jamais figé pour un sujet donné, car il est susceptible d’évoluer soit spontanément, soit par le fait des interventions réalisées. De plus, comme pour toute conduite à risque, une évaluation en alcoologie doit par principe être périodiquement révisée au fil du temps, notamment au cours de la prise en charge et de L A R E V U E D U P R AT I C I E N / 2 0 0 6 : 5 6 l’accompagnement médico-psychosocial, et aboutir à des propositions d’accompagnement vers un objectif validé avec le sujet. Les recommandations pour la pratique clinique de 2001 ont proposé un algorithme simple pour établir le diagnostic de catégorie d’usage (fig. 1). REPÉRAGE DU MÉSUSAGE D’ALCOOL Le problème du repérage, précoce ou non, se complique du fait que les sujets peuvent sous-estimer, voire dissimuler, leur consommation. De plus, il est rare que la rencon- Niveau 1 Y a-t-il consommation d’alcool ? (sans préjuger de la quantité d'alcool consommée) : √ NON = non-usage ✓ non-usage primaire ✓ non-usage secondaire ➠ RECHERCHER SI : ➠ STOP ➠ STOP √ OUI = usage ou mésusage ? ➠ PASSER AU NIVEAU 2 Niveau 2 Évaluation de la consommation déclarée d’alcool (CDA) : est-elle inférieure ou égale aux seuils de l’OMS ? √ OUI + absence de risque individuel = usage ➠ STOP + absence de situation à risque √ OUI + présence d’au moins un des 2 risques ci-dessus : = mésusage ➠ PASSER AU NIVEAU 3 √ Non (supérieur au seuil) = mésusage ➠ PASSER AU NIVEAU 3 } Niveau 3 Y a-t-il un (des) dommage(s) induit(s) par l’alcool ? (sans tenir compte de la quantité d'alcool consommée) √ NON = usage à risque ou dépendance ? √ OUI = usage nocif ou dépendance ? ➠ PASSER AU NIVEAU 4 Niveau 4 Y a-t-il perte de maîtrise de la consommation ? (sans tenir compte de la quantité d'alcool consommée) √ NON = usage à risque ou usage nocif Selon la réponse au niveau 3 √ OUI = usage avec dépendance ➠ STOP Figure 1 Algorithme de diagnostic de la catégorie d’usage 1063 MALADES DE L’ALCOOL N O S O G R A P H I E , R E P É R A G E E T D I A G N O S T I C D E S T R O U B L E S D E L’A LC O O L I S AT I O N tre avec un professionnel de santé soit directement motivée par la consommation d’alcool ou par une demande de soins. Il concerne l’ensemble des professionnels de santé, les médecins généralistes naturellement, mais aussi les médecins spécialistes, les médecins du travail, les médecins de prévention. La consultation, les visites annuelles et de reprise, et l’admission dans un établissement de santé constituent pour chacun de ces praticiens autant d’opportunités pour mettre en œuvre cette démarche qui doit désormais être assurée de manière plus fréquente et plus systématique. Un mésusage doit par principe être recherché, notamment devant une série de difficultés ou de signes médicaux polymorphes et sans spécificité, mais justement évocateurs par leur juxtaposition ou leur répétition. L’appréciation de la consommation d’alcool devrait aussi se faire de manière simple et systématique chez tout nouveau patient, si l’on accepte de la considérer comme un facteur de risque de mauvaise santé parmi d’autres, et donc de la faire préciser au même titre que les antécédents familiaux et personnels ou d’autres facteurs de risque. Les éléments du repérage Consommation déclarée d’alcool Elle est évaluée en « verre standard » ou « verre de café », ou unité internationale d’alcool (UIA). Fixée en France à 10 g d’alcool pur par verre, elle évalue la quantité d’alcool ingérée indépendamment du type de boisson, car la taille des verres est inversement proportionnelle à la teneur en alcool de la boisson. L’usage à risque est défini par une consommation de plus de 21 verres par semaine chez l’homme, 14 verres par semaine chez la femme, et plus de 4 verres par occasion pour l’usage ponctuel. Des consommations supérieures doivent donc être prises en compte en rappelant que des valeurs inférieures posent déjà des problèmes dans certaines situations particulières (grossesse, pathologies associées…). Cependant, au domicile, les doses sont variables : les verres ne sont pas de la même taille et ils peuvent être plus ou moins remplis. Ce point doit donc être précisé lors de l’entretien.3, 4 Ce recueil peut s’appuyer sur une approche standardisée appréciant : – le nombre de jours de consommation (par exemple par semaine ou par mois) ; – le nombre moyen de verres par jour de consommation (en distinguant éventuellement les jours « actifs » et les jours de repos et le week-end) ; – les écarts par rapport à la consommation habituelle ; – le nombre maximal de verres par occasion de boire ; – le type de boisson consommée ; – le mode de consommation ; – les événements influençant la consommation (événements de vie, anxiété…) ; – le contexte de consommation (seul ou en groupe) ; 1064 – les moments préférés de consommation dans la journée. L’expression de cette consommation ne cause habituellement guère d’ennuis chez les consommateurs à risque lorsqu’elle est recherchée dans un contexte systématique, en dehors de tout aspect inquisitorial ou moralisant. Beaucoup de ces patients n’en ont d’ailleurs pas conscience et n’ont, de ce fait, guère de difficultés à l’exprimer. Il peut en aller tout autrement chez un patient dépendant que le déni caractérise volontiers. La sous-estimation, souvent mise en avant comme une difficulté, est en fait rarement un vrai problème puisqu’il s’agit ici moins d’évaluer la consommation avec une grande exactitude, que de l’apprécier par rapport aux seuils d’intervention. Questionnaires de repérage Le repérage peut se baser sur des questionnaires, utilisés par le médecin ou par le patient lui-même (autoquestionnaires).5-7 Ce sont des outils de repérage, pas de diagnostic. Les plus connus et les plus utilisés en France sont l’AUDIT et le DETA. Le questionnaire AUDIT, 8 riche en informations tout en restant utilisable en routine, semble le plus pertinent pour assurer le dépistage relativement précoce, puisqu’il explore les 12 derniers mois de la vie du patient.9 Selon l’OMS, un score supérieur ou égal à 8 chez les hommes, à 7 chez les femmes, est évocateur d’un mésusage d’alcool. Un score supérieur à 12 chez les hommes, à 11 chez les femmes, serait en faveur d’une dépendance à l’alcool. La sensibilité de l’AUDIT pour l’identification des buveurs à risque et à problèmes varie de 0,51 à 0,97 selon les études et sa spécificité de 0,78 à 0,96.10 Le questionnaire DETA a l’avantage d’être simple (quatre questions).11 Il explore la vie entière. Sa passation peut se faire de façon informelle et être dispersée au cours de l’entretien. Un score égal ou supérieur à 2 est en faveur d’un mésusage (usage nocif ou dépendance), ancien ou récent. La sensibilité du DETA varie en fonction de la population à laquelle on s’adresse. Dans une population où la prévalence de la dépendance est élevée, la sensibilité estimée est de 0,75 à 0,91 et la spécificité de 0,77 à 0,96. Lorsqu’on s’adresse à une population non sélectionnée, les performances sont moindres : 0,64 en médecine générale chez des patients ayant un problème d’alcool connu ; 18,1 % et 26,7 % chez des sujets, en population générale, déclarant consommer respectivement entre 40 et 80 g et plus de 80 g d’alcool par jour. ÉVALUATION CLINIQUE D’une manière générale, plus le repérage se veut précoce, moins le tableau clinique est significatif, la difficulté pour l’intervenant étant de rapporter les signes à la consommation d’alcool. Il convient donc d’y penser systématiquement en recherchant des signes le plus souvent non spéciL A R E V U E D U P R AT I C I E N / 2 0 0 6 : 5 6 Validité et utilisation des tests biologiques marqueurs de l’alcoolisation L’ exploration d’un trouble lié à l’alcool passe évidemment par l’évaluation des modes de consommation passés et actuels, notamment en termes de fréquence et de quantité. Certains tests biologiques permettent, avec plus ou moins de précision, de sensibilité et de spécificité, de rechercher des épisodes de consommation excessive récents, afin de compléter, voire de corriger, les données de l’entretien clinique.1, 2 ÉTHANOL L’éthanol, le plus souvent dosé dans le sang ou l’air expiré, voit sa concentration diminuer rapidement, en raison d’une demivie d’élimination brève. Son dosage ne permet de rechercher que des alcoolisations très récentes, ne datant que de quelques heures, au maximum 24 à 36 heures. Les variations interindividuelles du pic de concentration ne permettent pas d’établir avec fiabilité l’importance de la consommation d’alcool, même dans les suites directes de la consommation. GAMMA-GLUTAMYLTRANSFÉRASE Le dosage de la gamma-glutamyl-transférase (GGT) est un examen fiable, simple et peu coûteux. La GGT est fréquemment augmentée chez les buveurs excessifs chroniques. Sa sensibilité est de l’ordre de 75 à 80 % chez les alcooliques en traitement (ainsi, au moins 20 % des alcooliques actifs ont un taux de GGT normal), et s’abaisse à 50 % dans la population tout-venant. La sensibilité est notamment affectée négativement par les fortes consommations de café. Les alcooliques à GGT élevée ont plus fréquemment une élévation concomitante des transaminases et des signes de stéatose hépatique, voire de fibrose ou de cirrhose. La spécificité de la GGT est de l’ordre de 80 % ; en dehors de toute consommation excessive d’alcool, elle est un indicateur précoce de souffrance hépatique. On trouve également des taux élevés en cas de prise de traitements inducteurs enzymatiques, ainsi que chez les obèses et les diabétiques L A R E V U E D U P R AT I C I E N / 2 0 0 6 : 5 6 de type 2. Une consommation excessive et régulière d’alcool pendant deux à trois semaines est nécessaire pour augmenter le taux de GGT. Après sevrage, le retour à la normale survient en deux à quatre semaines, parfois plus. VOLUME GLOBULAIRE MOYEN Les mécanismes de la macrocytose chez les alcooliques sont mal connus. La sensibilité de ce test est moyenne, de l’ordre de 50 % chez les alcooliques, et de 20 à 30 % chez les buveurs excessifs. La spécificité, bien que meilleure (de l’ordre de 70 %), est perturbée par les nombreuses autres causes de macrocytose. Il faut environ un à deux mois de consommation excessive et régulière d’alcool pour qu’apparaisse une augmentation du volume globulaire moyen. Après sevrage, il se normalise dans un délai à peu près équivalent. S’agissant du dernier marqueur à se normaliser après l’arrêt de l’alcool, il peut avoir un intérêt pour dépister une alcoolisation excessive plus ancienne. TRANSAMINASES La sensibilité et la spécificité des transaminases (alanine aminotransférase [ALT] et aspartate aminotransférase [AST]) sont inférieures à celles de la GGT. L’ALT (essentiellement synthétisée dans le foie) est plus spécifique d’une souffrance hépatique induite par l’alcool que l’AST (largement synthétisée par d’autres organes également). Cependant, c’est l’AST qui, des deux, a la moins mauvaise sensibilité (environ 35 %). TRANSFERRINE DÉSIALYLÉE La carbohydrate-deficient transferrin (CDT) est une variante de la transferrine, dont on a pu observer que la concentration plasmatique est plus élevée chez les buveurs excessifs que chez les non-buveurs. Les premières études de ce marqueur de l’alcoolisation excessive avaient montré d’excellentes performances en termes de sensibilité et de spécificité, généralement supérieures à 90%. Ces chiffres ont ensuite dû être largement revus à la baisse. La fiabilité de la mesure semble moins bonne chez les femmes jeunes, qui ont des taux plus élevés que les hommes ou les femmes plus âgées, indépendamment de leur consommation d’alcool. La transferrine désialylée semble augmenter plus facilement si la consommation d’alcool est associée à une souffrance hépatique. Bien que ce test soit passé dans la pratique courante depuis plusieurs années, il fait encore l’objet de travaux de recherche. Il existe actuellement plusieurs méthodes de dosages ayant des performances différentes. EN PRATIQUE Ces marqueurs peuvent être utiles dans le dépistage de conduites d’alcoolisation excessive. Ils peuvent aussi aider au suivi de l’abstinence (ou de la consommation modérée). Dans ce cas, c’est surtout la surveillance des marqueurs qui étaient élevés lors des épisodes de consommation excessive qui a un intérêt. Aucun marqueur ne possède actuellement les qualités idéales en termes de sensibilité et de spécificité. La transferrine désialylée semble montrer une meilleure spécificité que les autres tests courants. La combinaison des marqueurs peut largement améliorer la sensibilité : transferrine désialylée et GGT, avec éventuellement AST et/ou volume globulaire moyen. Henri-Jean Aubin Centre de traitement des addictions, hôpital Émile-Roux, 94456 Limeil-Brévannes Cedex Courriel : [email protected] 1. Miller PM, Spies C, Neumann T, et al. Alcohol biomarker screening in medical and surgical settings. Alcohol Clin Exp Res 2006;30:185-93. 2. Dillie KS, Mundt M, French MT, Fleming MF. Costbenefit analysis of a new alcohol biomarker, carbohydrate deficient transferrin, in a chronic illness primary care sample. Alcohol Clin Exp Res 2005;29:2008-14. 1065 MALADES DE L’ALCOOL N O S O G R A P H I E , R E P É R A G E E T D I A G N O S T I C D E S T R O U B L E S D E L’A LC O O L I S AT I O N fiques mais qui doivent attirer l’attention par leur association ou leur répétition. Repérer précocement un mésusage de l’alcool suppose donc d’abord d’y penser pour rechercher ensuite l’existence ou non de ces signes de présomption. L’attention est attirée notamment par :3 – un état de santé moins bon, caractérisé par un taux de fréquentation des professionnels de santé ou des dispositifs de soins très supérieur à celui de la population générale (les consommateurs ayant un mésusage d’alcool consultent le médecin environ 9 fois par an contre 5,6 fois pour la population générale) ; – des plaintes diverses concernant la fatigue, la nervosité, l’irritabilité, le sommeil, l’humeur, la capacité de concentration, mais aussi des troubles digestifs (nausées, vomissements, douleurs abdominales), une anorexie ; – de plus grandes difficultés sociales, avec des recours plus fréquents que la population générale aux organismes sociaux pour trouver du travail ou maintenir un emploi de manière stable ; – une certaine instabilité relationnelle avec l’entourage (difficultés conjugales et familiales, problèmes professionnels, conflits de voisinage, etc.) ; LA CONSOMMATION HABITUELLE ❚ Jamais de boissons alcoolisées ❏ Rythme ❚ Quotidien ❏ ❚ Occasionnel I I I I I I I I I I I I jours par semaine jours par mois jours par an Nombre de verres par jour de consommation ❚ Type de boisson Vin 12 ° Bière 5° Apéritif 20° Anisés 45° Alcools 40° I I I I I I I I I I I I I I I Les écarts : préciser selon le même tableau : nombre de jours, nombre de verres par jours. Figure 2 Exemple d’outils de recueil et de suivi de la consommation déclarée d’alcool. 1066 – chez les sujets jeunes, une modification du comportement, un désinvestissement progressif, des difficultés scolaires, et les situations d’échec scolaire. L’état somatique : au stade précoce, l’examen clinique est relativement pauvre ; il existe fréquemment un léger tremblement d’attitude des extrémités, des conjonctives un peu rouges, hyperhémiées, une hépatomégalie, une pression artérielle modérément élevée. Le tableau peut être plus patent, avec un aspect général de laisser-aller, un tremblement marqué des extrémités, un visage vultueux, congestionné, télangiectasique, un subictère conjonctival, une haleine caractéristique signant une alcoolisation récente, souvent accompagnée d’un comportement anormalement loquace et exhubérant ou de troubles de l’élocution. L’examen peut aussi mettre en évidence des signes témoignant de l’existence de complications somatiques de l’alcoolisation chronique (neuropathie centrale ou périphérique, cirrhose, pancréatite chronique…). Enfin, un mésusage de l’alcool peut et doit être évoqué devant l’existence d’autres comorbidités, psychiques ou sociales.12 L’état psychologique : les troubles comportementaux sont certainement ceux qui sont les plus précoces et les plus repérables, notamment par l’entourage et les milieux socio-éducatifs et judiciaires. Les troubles anxieux et dépressifs sont fréquents. Le plus souvent secondaires à la consommation d’alcool, ils s’améliorent après le sevrage. Mais ils peuvent être primaires : persistant ou réapparaissant après le sevrage, ils doivent être pris en compte. À noter l’importance du risque suicidaire, notamment à l’occasion d’une rechute qui favorise le passage à l’acte.13 La situation environnementale : un mésusage de l’alcool peut être à l’origine de difficultés d’ordre conjugal, familial, professionnel ou social mais, à l’inverse, ces mêmes difficultés peuvent conduire à une alcoolisation dépassant le simple usage. Il est d’ailleurs souvent difficile, au début, de faire la part de ce qui est cause ou conséquence : – la personne supporte moins bien son entourage et ses enfants, a tendance à s’isoler et délaisse certaines activités ; – la relation conjugale est marquée par des conflits plus ou moins aigus ou par une indifférence ; la vie sexuelle du couple peut être perturbée ; – l’entourage a déjà pu remarquer que la consommation d’alcool du sujet a tendance à augmenter lors des dîners ou des fêtes ; les prétextes sont nombreux pour consommer ; des problèmes aigus (conduite en état d’alcoolisation, p. ex.) ou chroniques (difficultés familiales, professionnelles) ont déjà pu se poser. Ce même entourage peut cependant minimiser, voire dénier, l’idée que la consommation du sujet relève d’un mésusage de l’alcool ; – sur le plan professionnel, on recherche un désintérêt, un absentéisme ou des arrêts de travail fréquents, des conflits avec les collègues ou la hiérarchie. L A R E V U E D U P R AT I C I E N / 2 0 0 6 : 5 6 Toutefois, une intégration sociale apparemment bonne et longtemps maintenue se conjugue au caractère progressif des changements de comportement pour rendre compte de la difficulté du repérage précoce. L’évaluation du niveau de motivation selon les stades de Prochaska (préintention, intention, préparation, action, maintien, résolution) est un élément clé. Une des causes fréquentes d’échec du traitement est la proposition de stratégies inadaptées au niveau de motivation du patient.14 La consommation d’autres substances psycho-actives est fréquente : tabac, café, anxiolytiques, notamment chez les inactifs et les femmes ; tabac, drogues illicites, notamment le cannabis, et produits stimulants chez les jeunes. Ces associations, dont la fréquence s’accroît d’autant plus que s’y associent des troubles de l’adaptation et des situations d’échecs répétés, sont une réalité sociologique actuelle. Ce sont de bons indicateurs imposant de se poser la question d’un mésusage d’alcool dans de nombreuses situations. La sévérité des conduites d’alcoolisation doit être évaluée. Elle doit être distinguée de la nocivité différée et de la gravité des conséquences organiques ou psychiques induites par le mésusage de l’alcool. – Les signes de gravité portent sur la nature, l’intensité et le nombre des alcoolopathies ou des conséquences médicosociales de l’alcoolisation. – Les signes de sévérité portent sur l’importance quantitative et la fréquence des alcoolisations, sur les risques qu’elles comportent, sur la valeur ou la signification qu’elles prennent pour le sujet et sur l’installation ou non d’une dépendance psychique et/ou physique. Ils sont considérés comme des indicateurs prédictifs de rechute ou d’efficacité du traitement. L’évaluation de la sévérité des conduites d’alcoolisation s’avère plus difficile que celle de leurs conséquences.5 Quelques repères peuvent cependant être donnés :3 les alcoolisations parfois massives des jeunes, surtout quand elles sont répétées au fil des week-ends ; les dangers encourus par le consommateur à risque ; les modifications de la sociabilité du consommateur à problème(s) et le déni du dépendant quant à sa conduite témoignent souvent, parmi d’autres signes, de la sévérité des conduites d’alcoolisation du fait de leur répétition et de l’importance particulière qu’elles peuvent avoir pour le devenir du sujet. Les aspects obsessionnels et compulsifs du besoin d’alcool sont aussi des éléments importants. Le « craving » peut en être un témoin. Au-delà de la simple appétence à l’alcool, il est défini comme le besoin irrépressible de consommer. Mais ce concept reste flou et on ne dispose pas, actuellement, d’outils simples et validés pour le mesurer. On peut, pour ce faire, utiliser une échelle visuelle analogique qui permet d’en suivre l’évolution. Il faut toutefois noter l’absence de corrélation entre les échelles centrées sur le craving et celles visant à repérer l’existence d’un « problème d’alcool », ainsi que la faible corrélation L A R E V U E D U P R AT I C I E N / 2 0 0 6 : 5 6 P O U R L A P R AT I Q U E L Le repérage des conduites d’alcoolisation se fait d’abord sur l’entretien avec le patient. Il permet notamment de recueillir la consommation déclarée d’alcool. L Des questionnaires peuvent apporter une aide dans l’abord de ce problème : DETA ou mieux AUDIT. L Trois marqueurs biologiques peuvent aider à ce repérage : gamma-glutamyltransférase, volume globulaire moyen, transferrine désialylée. L Le diagnostic impose une évaluation clinique complète intégrant: • le sexe et l’âge, les antécédents familiaux, notamment de mésusage d’alcool ; • l’environnement social, familial, professionnel ou socioculturel; • l’âge de début des conduites d’alcoolisation et leur évolution ; • le type de catégorie d’usage, non-usage, usage à risque, usage nocif, usage avec dépendance ; • la fréquence des conduites d’alcoolisation et leurs modalités; • l’existence d’une comorbidité psychiatrique et le moment de son apparition par rapport à la conduite d’alcoolisation (alcoolisme primaire ou secondaire) ; • le repérage des traits de personnalité et du «fonctionnement» du sujet (personnalité anxieuse, passive, dépendante, impulsivité ou agressivité, recherche de sensations, intolérance à la frustration) ; • l’existence de dommages induits d’ordre somatique, psychologique et social, et le niveau de gravité ; • l’existence d’une comorbidité addictive ; • la motivation de la personne à modifier son comportement d’alcoolisation. habituellement retrouvée entre craving et rechute. Cela est peut-être lié à la difficulté et à l’hétérogénéité de son évaluation. L’évaluation de la qualité de vie est une donnée globale, subjective, mais importante à considérer, car elle relève du vécu de l’individu et peut déterminer la demande d’aide et ses modalités. De ce fait, la qualité de vie constitue un des objectifs fondamentaux des interventions et de l’accompagnement et, par conséquent, un élément important de l’évaluation clinique. Pour l’apprécier, on dispose d’échelles validées telles que le questionnaire de qualité de vie SF36,15 mais aucune n’est vraiment utilisable en pratique quotidienne. À défaut, l’utilisation d’une échelle visuelle analogique peut être une approche acceptable. Au total, trois signes sont très évocateurs de l’existence ou du développement d’un mésusage d’alcool : – la concomitance des problèmes de santé, tant sur le plan physique que psychique, avec les difficultés professionnelles et l’existence de troubles comportementaux familiaux et/ou environnementaux ; 1067 MALADES DE L’ALCOOL N O S O G R A P H I E , R E P É R A G E E T D I A G N O S T I C D E S T R O U B L E S D E L’A LC O O L I S AT I O N – la répétition de ces problèmes qui surviennent avec une fréquence anormalement élevée et qui doit faire évoquer le mésusage d’alcool comme probable facteur favorisant, voire aggravant. Cette répétition doit d’autant plus constituer un signe d’alerte qu’il s’agit de sujets jeunes et jusqu’alors apparemment sans problèmes ; – l’imputation aux autres des difficultés et de leurs motifs, et la répétition de ce mode de « défense » qui permet au sujet de ne pas remettre en question ses conduites générales et notamment ses conduites d’alcoolisation. EXAMENS BIOLOGIQUES Trois marqueurs biologiques sont utilisés pour le dépistage d’une alcoolisation chronique : la gamma-GT, le volume globulaire moyen (VGM) et la transferrine désialylée (CDT). Ce sont des indicateurs de mésusage. Ils ne permettent pas d’en préciser la catégorie. Rappelons que la sensibilité des tests biologiques dépend de la prévalence de la maladie dans la population testée. La sensibilité des tests est donc élevée chez les patients dépendants de l’alcool. Elle s’abaisse dans les populations où la consommation d’alcool est plus faible, notamment en population générale, alors que c’est dans ces cas que l’on aurait le plus besoin d’une aide au diagnostic. La biologie ne permet donc guère de détecter un mésusage d’alcool en l’absence d’éléments cliniques évocateurs. Prescrire à l’aveugle un ou plusieurs de ces tests biologiques n’est donc pas recommandé : le médecin doit d’abord essayer d’obtenir des informations fiables par un dialogue confiant et n’envisager la prescription de ces examens que dans un deuxième temps. Les caractéristiques de ces tests et leur utilité sont développées dans l’encadré (v. page 1065). L’association gamma-GT et VGM est la plus utilisée. Sa sensibilité avoisine les 90 à 95 % chez les consommateurs dépendants, mais seulement 65 % en cas d’usage à risque ou d’usage nocif. En effet, pour des raisons encore mal comprises, la gamma-GT et le VGM ne semblent pas détecter les mêmes « malades ». Simple, fiable, peu onéreuse, elle reste donc très utile pour : renforcer la présomption clinique d’un mésusage de l’alcool ; servir de « marqueurs objectifs d’alcoolisation » vis-à-vis du patient, permettant de le revoir et d’aborder à nouveau le problème avec des arguments médicaux supplémentaires ; suivre, après sevrage de l’alcool, l’abstinence et les éventuelles réalcoolisations. D’autres examens biologiques peuvent être prescrits, notamment les bilans hépatique, glycémique et lipidique qui peuvent être indiqués en seconde intention pour apprécier la gravité du retentissement de l’alcoolisation sur le plan médical. Quant aux combinaisons entre questionnaires de repérage et marqueurs biologiques, elles ne permettent guère d’améliorer le dépistage précoce du mésusage d’alcool. 1068 CONCLUSION Le repérage des conduites d’alcoolisation doit intervenir le plus tôt possible, de façon à prévenir leur évolution vers la dépendance et/ou des complications somatiques, psychiques, sociales. De plus, à ce stade, les interventions sont plus courtes, moins onéreuses et ont montré leur efficacité. Le repérage repose d’abord sur l’évaluation de la consommation déclarée d’alcool au cours d’un entretien confiant. Il peut être étayé par des questionnaires dont le plus pertinent semble l’AUDIT. Les examens biologiques réalisés en deuxième intention peuvent apporter une aide. Une évaluation clinique complète intégrant notamment l’appréciation du retentissement médico-psychosocial, et de façon générale la qualité de vie, la motivation, l’existence de conduites addictives associées, la sévérité de la conduite d’alcoolisation, permet ensuite de poser un diagnostic qui permet de négocier la stratégie thérapeutique la mieux adaptée à chaque patient. B SUMMARY Classification, detection and diagnosis of chronic alcohol disorders The alcohol misuse is associated with a wide range of medical and social problems. This is why it is very important to detect earlystages alcohol misuse. The early detection and the diagnosis of chronic alcohol consumption require simple to use, relevant tools. Alcoholisation behaviours are classified according to 5 categories: no use, use, and three types of misuse, at risk drinking, abuse or harmful drinking, and dependence. This screening of early-stage alcohol misuse is at first based on the clinical interview with the patient. It evaluates the alcohol consumption reported by the patient, specially the number of drinking days, the number of drinks per drinking day, the lapses, the type of alcoholic drinks, the way of drinking, and the events that influence it. Screening questionnaires can be usefull: CAGE and especially AUDIT. They can be used as auto-questionnaires. Three biological markers can be helpful to detect chronic alcohol consumption: GGT, MCV and CDT. Rev Prat 2006 ; 56 : 1061-9 RÉSUMÉ Nosographie, repérage et diagnostic des troubles de l’alcoolisation Les conduites d’alcoolisation sont classées en cinq catégories : non-usage, usage, et trois catégories de mésusage, usage à risque, usage nocif et usage avec dépendance. Leur dépistage, si possible précoce, et leur diagnostic nécessitent que les praticiens disposent dans leur pratique courante d’outils fiables, pertinents et simples. Le repérage repose sur l’entretien clinique effectué en dehors de tout aspect moralisateur ou inquisitorial. Il permet de recueillir la consommation déclarée d’alcool, notamment le nombre de jours de consommation, le nombre moyen de verres par jour de consommation, les écarts par rapport à la consommation habituelle, le type de boissons consommées, le mode de consommation et les événements qui l’influencent. Il peut s’aider de questionnaires comme le DETA ou, mieux, l’AUDIT, qui peuvent être utilisés en autoquestionnaire ou en hétéroquestionnaire par le médecin. Trois marqueurs biologiques peuvent aider au repérage d’une alcoolisation chronique, la gamma-glutamyltranférase, le volume globulaire moyen et la transferrine désialylée. L A R E V U E D U P R AT I C I E N / 2 0 0 6 : 5 6 RÉFÉRENCES 1. CIM-10. Classification internationale des maladies. Paris : Masson, 1992. 2. DSM-IV. Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux. American Psychiatric Association. Paris : Masson, 1996. 3. Les conduites d’alcoolisation. Lecture critique des classifications et définitions. Quel objectif thérapeutique ? Pour quel patient ? Sur quels critères ? Alcool Addict 2001;23:3S-75S. 4. Aubin HJ, Tilikete S, Barrucand D. Quantification de la consommation d’alcool. Alcoologie 1999;21:411-5. 5. Aubin HJ, Marra D, Barrucand D. Modes d’évaluation standardisée de l’alcoolisme. In : Adès J, Lejoyeux M, eds. Alcoolisme et psychiatrie. Paris : Masson, 1997:57-65. 6. Reid MC, Fiellin DA, O’Connor PG. Hazardous and harmful alcohol consumption in primary care. Arch Intern Med 1999;150:1681-9. 7. Yersin B. Les questionnaires de dépistage en alcoologie. Alcoologie 1999;21;397-401. 8. Reinert DF, Allen JP. The Alcohol Use Disorders Identification Test (AUDIT): a review of recent research. Alcohol Clin Exp Res 2002;26:272-9. 9. Bradley KA, Bush KR, MacDonell MB, et al. Screening for problem drinking comparison of CAGE and AUDIT. Ambulatory Care Quality Improvement Project (ACQUIP). J Gen Intern Med 1998;13:379-88. 10. Fiellin DA, Reid MC, O’Connor PG. Screening for alcohol problems in primary care: a systemic review. Arch Intern Med 2000;160:1977-89. 11. Perdrix A, Decrey H, Pecoud A, Burnand B, Yersin B et le groupe des praticiens PMU. Dépistage de l’alcoolisme en cabinet médical : applicabilité du questionnaire «CAGE» par le médecin praticien. Schweiz Med Wochenschr 1995;125:1772-8. 12. Miche JN, Morel F, Gallais JL. Perception du « risque alcool » et des comorbidités liées à l’alcoolisation. Une enquête de l’observatoire de la médecine générale de la Société française de médecine générale (1994-1995). Rev Prat Med Gen 1999;13:1402-8. 13. Ades J, Lejoyeux M. Dépression et alcoolisme. In : Adès J, Lejoyeux M, eds. Alcoolisme et psychiatrie. Paris : Masson, 1997:81-102. 14. Prochaska JO, Diclemente CC, Norcross JC. In search of how people change. Applications to addictive behaviours. Am Psychol 1992;47:1102-14. 15. Daeppen JB, Krieg MA, et al. MOS-SF-36 in evaluating healthrelated quality of life in alcoholdependent patients. Am J Drug Alcohol Abuse 1998;24:685-94. L’auteur n’a pas transmis de déclaration de conflits d’intérêts. Alcool: le répertoire RECOMMANDATIONS, SITES… www.has-sante.fr Au menu « publications »/Alcoologieaddictologie B Conduites d’alcoolisation. Lecture critique des classifications et définitions. Quel objectif thérapeutique ? Pour quel patient ? Sur quels critères ? (Recommandations pour la pratique clinique [RCP] de la Société française d’alcoologie, ayant obtenu le label méthodologique de l’Anaes, 2001). B Indications de la transplantation hépatique (Conférence de consensus, 2005). B Orientations diagnostiques et prise en charge, au décours d’une intoxication éthylique aiguë, des patients admis aux urgences des établissements de soins (RCP, 2001). B Modalités de l’accompagnement du sujet alcoolo-dépendant après un sevrage (Conférence de consensus, 2001). B Objectifs, indications et modalités du sevrage du patient alcoolo-dépendant (Conférence de consensus, 1999). www.inpes.sante.fr Au menu « espace thématique » de l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé (Inpes), choisissez « alcool ». Que ce soit par l’espace grand public, ou professionnels de santé, vous pouvez accéder, télécharger, imprimer, commander L A R E V U E D U P R AT I C I E N / 2 0 0 6 : 5 6 gratuitement (fax : 0149332391; courriel: [email protected]) toute les brochures d’information et d’aide à l’arrêt ou autres affiches de votre choix. Un conseiller téléphonique de Droguealcool-tabac Info Service répond 24 h sur 24 (appel anonyme et gratuit) au 113. Un autre répond aux jeunes sur le Fil Santé Jeunes : 0 800 235 236. Les questionnaires AUDIT et FACE sont disponibles sur commande. www.drogues.gouv.fr Le ministère de la Santé met également à la disposition du grand public le site de la Mission interministérielle de lutte contre les dépendances et la toxicomanie (Mildt). Au menu « ce qu’il faut savoir », une rubrique alcool est à la disposition de vos patients; ces derniers peuvent aussi utiliser le menu « vos questions nos réponses ». Écoute Alcool répond aux questions de 14 h à 2 h (coût d’un appel local), 7 j sur 7 : 0 811 91 30 30. www.sfalcoologie.asso.fr La Société française d’alcoologie (SFA) contribue au développement multidisciplinaire de l’alcoologie, ses travaux s’intéressent à la prévention, la thérapeutique, l’évaluation, etc. Un support pédagogique, le Diaporama d’alcoologie 2005, peut être commandé sur le site (télécharger le bon de commande). Les documents de référence de la SFA sont téléchargeables sur la page d’accueil: B Les mésusages d’alcool en dehors de la dépendance. Usage à risque — Usage nocif (SFA 2003). B Les conduites d’alcoolisation au cours de la grossesse (Recommandations de la SFA 2002). B Les conduites d’alcoolisation. Lecture critique des classifications et définitions. Quel objectif thérapeutique ? Pour quel patient ? Sur quels critères ? (RCP 2001, label Anaes). B Modalités de l’accompagnement du sujet alcoolo-dépendant après un sevrage (Conférence de consensus 2001, participation Anaes). B Objectifs, indications et modalités du sevrage du patient alcoolo-dépendant (Conférence de consensus 1999, participation Anaes). En 2005, la DGS et la MILDT se sont associées aux actions de la SFA. www.anpaa.asso.fr L’Association nationale de prévention en alcoologie et addictologie (Anpaa) [tél. : 01 42 33 51 04] propose des outils pédagogiques (au menu « prévention, comment agir ») sous forme de jeux, les uns destinés aux enfants, les autres aux adolescents et aux jeunes adultes. Ces outils sont validés par la MILDT. Un forum est ouvert à tous pour discuter du problème alcool et travail. (suite, p. 1 080) 1069 monographie Les buveurs excessifs: repérage et intervention brève Les patients trouvent légitime que leur médecin les interroge sur leur consommation d’alcool. Un repérage précoce des usages à risque ou nocifs, au cours d’un entretien empathique avec l’aide éventuelle d’un questionnaire, peut permettre, grâce à la délivrance d’une intervention brève de 5 à 10 minutes, d’obtenir une réduction sensible de la consommation dans 10 à 50 % des cas. Philippe Michaud * L a Société française d’alcoologie (SFA) propose de nommer « mésusage sans dépendance » la situation des personnes que leur consommation d’alcool met en danger (consommation à risque), ou chez qui il existe un dommage (consommation problématique) sans qu’on retrouve chez eux de dépendance au sens du DSM IV (Diagnostical and statistical manual of mental disorders) ou de la CIM 10 (Classification statistique internationale des maladies et des problèmes de santé connexes). Ce choix comporte une difficulté linguistique : comment appeler les personnes dans le « mésusage sans dépendance » ? Nous avons pris l’habitude, dans le programme « Boire moins c’est mieux », de les appeler « consommateurs excessifs » plutôt que « mésuseurs ». Il recèle aussi, insidieusement, un problème conceptuel, car les mots « sans dépendance » laissent penser qu’à deux critères DSM on n’est pas encore dépendant, et à trois on le serait devenu. La dépendance ne s’acquiert pas en un jour comme une maladie contagieuse ; dans chacune de ses composantes, comportementale, sociale, psychologique, physique, elle peut être absente, modérée, sévère, sur un continuum dont la principale rupture est l’installation de la dépendance physique. Ainsi, même les buveurs sociaux ont des « habitudes », validées par des bénéfices psychologiques et sociaux, qui expliquent la difficulté de changement pour certaines personnes pourtant loin des trois critères du DSM. Nous assumons donc ici une légère nuance dans la terminologie, sans remettre en cause la nécessité de définir précisément l’objet du présent article, ces situations très nombreuses où le problème principal à régler n’est pas un trouble du contrôle de la consommation, mais les conséquences potentielles ou actuelles de comportements de consommation à des niveaux élevés et dangereux même s’ils paraissent socialement acceptables. * Programme « Boire moins, c’est mieux », Association nationale de prévention en alcoologie et addictologie (ANPAA), 3, avenue Gallieni, 92000 Nanterre. Courriel : [email protected] 1072 L A R E V U E D U P R AT I C I E N / 2 0 0 6 : 5 6 UN RISQUE QUI CONCERNE TOUS LES SOIGNANTS Bien qu’il soit aujourd’hui impossible de donner une estimation épidémiologique sérieuse du nombre de consommateurs excessifs en France, les estimations qui sont habituellement retenues, fondées sur des approches indirectes, parlent d’environ 5 millions de personnes concernées. La prévalence extrêmement élevée du phénomène oblige à responsabiliser l’ensemble du corps sanitaire, et l’intervention ne peut que reposer sur les acteurs de soins primaires et de la prévention en population, généralistes, médecins du travail, centres de santé des assurances sociales, urgentistes, obstétriciens et sages-femmes, etc., y compris les services de l’hôpital quand celui-ci est en première ligne. Ce sont toutefois les premiers nommés qui sont les mieux placés pour avoir un effet sur la population : les médecins généralistes qui, en France, voient 80 % de la population adulte une fois par an au moins, et les médecins du travail qui assurent la surveillance sanitaire de 14 millions de salariés. Pour les médecins généralistes, cette nouvelle tâche entre dans un champ d’activité également nouveau : l’intervention de prévention secondaire portant sur les comportements dangereux pour la santé. Elle nécessite de s’intéresser de près aux changements de comportement, à leurs motivations, à la façon dont ils peuvent se produire spontanément ou après une intervention, comment celle-ci peut faciliter ou, au contraire, arrêter la mise en œuvre de ce changement. En somme, cette réflexion n’est pas spécifique à l’alcool, mais elle peut utilement être mise à profit pour des questions aussi importantes que les régimes, l’activité physique, les comportements sexuels à risque, l’observance des traitements, etc. La prévention secondaire doit donc être fermement placée hors du champ de responsabilité des spécialistes de l’addiction : la consommation d’un produit comme l’alcool n’a pas la dépendance pour seule complication envisageable, et si, comme on l’a vu en introduction, on peut concéder qu’il existe une dépendance comportementale chez les consommateurs excessifs, celle-ci n’implique pas de dépendance psychique ou physique, ni de traitement à proprement parler. LE NÉCESSAIRE DIALOGUE AVEC LES PATIENTS ET LES OUTILS QUI LE FACILITENT Le repérage est rendu nécessaire du fait qu’il existe maintenant un bon niveau de preuves concernant l’efficacité d’une réponse sanitaire à cette situation de risque : ce qui est convenu d’appeler les « interventions brèves ». Cellesci peuvent être appliquées dans quasiment toutes les situations professionnelles du champ sanitaire et social, et les mettre en œuvre dans sa pratique clinique n’implique L A R E V U E D U P R AT I C I E N / 2 0 0 6 : 5 6 pas de devenir un spécialiste de l’alcoologie. La stratégie recommandée par l’Organisation mondiale de la santé (OMS), développée en France par le programme « Boire moins c’est mieux »,1 est de permettre aux médecins généralistes, comme à ceux du travail ou de prévention, de s’approprier la méthode et les outils de l’intervention brève pour les appliquer auprès des personnes repérées dans le cadre d’une action d’évaluation du risque aussi systématique que possible. La biologie est habituellement impuissante à mettre en évidence des consommations inférieures à 6-8 verres par jour,2 et le seul recours dont dispose le praticien qui souhaite recueillir des informations sur le niveau de risque associé à l’alcool chez ses patients est donc le dialogue avec eux. Deux approches peuvent être employées : le questionnement clinique pour établir la consommation déclarée d’alcool, et les questionnaires standardisés. Dans la première, il s’agit d’acquérir le savoir-faire relationnel pour interroger précisément les patients afin de chiffrer la consommation ; dans la seconde, d’utiliser de façon appropriée des questionnaires mis au point à cet usage. Des préalables communs existent. – Il faut se débarrasser du sentiment d’intrusion qui est habituel chez les soignants, mal à l’aise dès qu’il s’agit de parler d’alcool, car craignant de donner à croire au patient qu’on l’accuse d’être « alcoolique ». Il a pourtant été montré que les patients trouvent normal que soit abordé ce thème en consultation (de médecine générale), et que les médecins sont jugés légitimes et compétents sur ce sujet.3 De même, interrogés sur l’attitude des médecins sur leur « maladie », les patients dépendants de l’alcool disent qu’ils auraient souhaité être aidés à aborder leurs inquiétudes vis-à-vis de l’alcool alors que leur consommation était encore contrôlable, mais constatent amèrement qu’ils ont alors eu le plus souvent des soignants qui ne voulaient rien entendre : la gêne était du côté des médecins.4 Quand on s’essaie à un repérage systématique, on est étonné de CE QUI EST NOUVEAU L Les questionnaires sont les moyens les plus faciles et les plus efficaces pour mettre en place une stratégie de repérage des consommations excessives d’alcool. L L’intervention brève est une activité de prévention secondaire efficace à l’échelle individuelle et d’un grand effet attendu sur la santé publique. L L’intervention brève est efficace du fait de sa forte composante relationnelle. Elle permet d’adopter dans le conseil des attitudes professionnelles utiles pour agir sur tous les problèmes de comportement de santé, notamment l’adaptation à un problème chronique, un traitement de longue durée, et tous les facteurs de risque, notamment les consommations. 1073 MALADES DE L’ALCOOL L E S B U V E U R S E XC E S S I F S : R E P É R A G E E T I N T E RV E N T I O N B R È V E Recueil de la consommation déclarée d’alcool Si vous en êtes d’accord, nous allons évaluer ensemble la consommation d’une semaine ordinaire, les 7 derniers jours s’ils vous paraissent représentatifs de vos habitudes : VERRES/JOUR LUNDI MARDI MERCREDI Vin Bière / cidre JEUDI VENDREDI SAMEDI DIMANCHE TOTAL DE LA SEMAINE Alcools forts TOTAL ❚ Un verre standard contient environ 10 g d’alcool pur ❚ Un verre de vin = 10 cL, un verre de bière (5°) = 25 cL, un verre d’alcool fort (40°) = 3 cL ❚ Pour les consommations évaluées en bouteilles : — une bouteille de vin (75 cL) = 8 verres standard ; — une bouteille de 70 cL de whisky (de gin, de vodka…) = 22 verres standard ; — une bouteille de pastis (1 L) = 32 verres standard ; — une canette de bière de 50 cL : de 2 à 4 verres standard selon le titre alcoolique. l’absence de malaise du côté du patient, sentiment confirmé dans une étude française récente où l’avis du patient était sollicité.5 – La minimisation de la consommation est réelle, mais c’est aussi le cas dans les études épidémiologiques où les seuils de risques concernent des verres déclarés, et non des verres bus. – Une approche empathique, non jugeante, est la meilleure garantie de la sincérité des réponses et de l’efficacité de l’intervention qui suivra le repérage. Cela étant posé, le calcul de la consommation déclarée d’alcool (v. encadré) repose sur la reconstitution d’une semaine-type, en demandant d’abord quels sont les « jours spécifiques », puis en reprenant sur chacun des jours de la semaine la consommation pas à pas, produit par produit (vin, bière, alcools forts…). On compte soit en grammes soit en verres, en postulant que chaque verre respecte le standard de 10 g d’alcool pur par verre. L’utilisation de questionnaires est peu familière aux médecins français. Le plus connu, le questionnaire CAGE/DETA,6, 7 vise plus le repérage des malades de l’alcool que celui des consommateurs à risque. Il est surtout intéressant en situation de repérage « de masse » des sujets dépendants (hôpitaux, prisons). Il est décevant en médecine générale.8 L’OMS a développé un autoquestionnaire en dix questions, destiné à la salle d’attente, l’AUDIT (Alcohol use disorders identification test).9 Il est 1074 ❚ Avant de remplir le tableau, faire décrire les variations des consommations dans la semaine, puis détailler pour chaque type de boissons alcoolisées : — en consommez-vous ? — à quelle heure prenez-vous votre premier verre ? — combien de verres prenez-vous au repas de midi, au souper, en dehors des repas ? validé en français (v. encadré p. 1075).10 Il classe les patients en trois groupes : a. pour un score inférieur à 7 pour les hommes et 6 pour les femmes, abstinents et consommateurs « à faible risque », qui relèvent d’un conseil de prévention primaire (« veillez à rester en dessous des seuils de risque ») ; b. au-delà de ces chiffres et jusqu’à 12 inclus, les consommateurs excessifs, qui relèvent de l’intervention brève ; c. au-dessus du score de 12, les sujets dépendants, chez qui une prise en charge plus longue et complexe est nécessaire. Présentant d’excellentes valeurs informationnelles et d’un coût quasi nul, très supérieur en cela à la biologie, il a pour intérêt principal de déboucher immédiatement sur une conduite à tenir. Son principal défaut est d’être peu généralisable en l’absence d’un(e) assistant(e) veillant à sa distribution aux patients pendant leur temps d’attente, mais il garde toute sa place dans les lieux où les tâches ne reposent pas sur le seul médecin, comme en médecine du travail, dans les centres de santé ou dans les hôpitaux. Un autre outil, le questionnaire FACE (Formule pour approcher la consommation d’alcool ou Fast alcohol consumption evaluation, [v. encadré p. 1076]), créé à la demande des médecins généralistes, est maintenant disponible; il a les mêmes qualités que l’AUDIT (sensibilité, spécificité, coût) mais a été construit et validé en français pour être utilisé en face-à-face.11 Une étude comparant l’acceptabilité de son utilisation en pratique quotidienne à celle de L A R E V U E D U P R AT I C I E N / 2 0 0 6 : 5 6 Le questionnaire AUDIT Les valeurs attribuées à chaque réponse figurent ici sur la première ligne � � � � � . Elles ne sont pas inscrites sur les autoquestionnaires distribués. Le score à l’AUDIT est la somme des réponses à chaque ligne. Madame, Monsieur Ce questionnaire permet d'évaluer par vous-même votre consommation d’alcool. Merci de le remplir en cochant une réponse par ligne. Si vous ne prenez jamais d’alcool, ne répondez qu’à la première question. Les questions portent sur les 12 derniers mois. UN VERRE STANDARD REPRÉSENTE UNE DE CES BOISSONS : 7 cL d’apéritif à 18° 2,5 cL de digestif à 45° 10 cL de champagne à 12° � 25 cL de cidre « sec » à 5° � 2,5 cL de whisky à 45° 2,5 cL de pastis à 45° 25 cL de bière à 5° � 10 cL de vin rouge ou blanc à 12° � � 1. À quelle fréquence vous arrive-t-il de consommer des boissons contenant de l’alcool ? jamais ❑ 1 fois par mois ou moins ❑ 2 à 4 fois par mois ❑ 2 à 3 fois par semaine ❑ 4 fois ou plus par semaine ❑ 2. Combien de verres standard buvez-vous au cours d’une journée ordinaire où vous buvez de l’alcool ? 1 ou 2 ❑ 3 ou 4 ❑ 5 ou 6 ❑ 7à9❑ 10 ou plus ❑ 3. Au cours d’une même occasion, à quelle fréquence vous arrive-t-il de boire six verres standard ou plus ? jamais ❑ moins de 1 fois par mois ❑ 1 fois par mois ❑ 1 fois par semaine ❑ chaque jour ou presque ❑ 4. Dans les 12 derniers mois, à quelle fréquence avez-vous observé que vous n’étiez plus capable de vous arrêter de boire après avoir commencé ? jamais ❑ moins de 1 fois par mois ❑ 1 fois par mois ❑ 1 fois par semaine ❑ chaque jour ou presque ❑ 5. Dans les 12 derniers mois, à quelle fréquence le fait d’avoir bu de l’alcool vous a-t-il empêché de faire ce qu’on attendait normalement de vous ? jamais ❑ moins de 1 fois par mois ❑ 1 fois par mois ❑ 1 fois par semaine ❑ chaque jour ou presque ❑ 6. Dans les 12 derniers mois, à quelle fréquence, après une période de forte consommation, avez-vous dû boire de l’alcool dès le matin pour vous remettre en forme ? jamais ❑ moins de 1 fois par mois ❑ 1 fois par mois ❑ 1 fois par semaine ❑ chaque jour ou presque ❑ 7. Dans les 12 derniers mois, à quelle fréquence avez-vous eu un sentiment de culpabilité ou de regret après avoir bu ? jamais ❑ moins de 1 fois par mois ❑ 1 fois par mois ❑ 1 fois par semaine ❑ chaque jour ou presque ❑ 8. Dans les 12 derniers mois, à quelle fréquence avez-vous été incapable de vous souvenir de ce qui s’était passé la nuit précédente parce que vous aviez bu ? jamais ❑ moins de 1 fois par mois ❑ 1 fois par mois ❑ 1 fois par semaine ❑ chaque jour ou presque ❑ 9. Vous êtes-vous blessé(e) ou avez-vous blessé quelqu’un parce que vous aviez bu ? non ❑ oui mais pas dans les 12 derniers mois ❑ oui au cours des 12 derniers mois ❑ 10. Est-ce qu’un ami ou un médecin ou un autre professionnel de santé s’est déjà préoccupé de votre consommation d’alcool et vous a conseillé de la diminuer ? non ❑ Votre sexe : homme ❑ L A R E V U E D U P R AT I C I E N / 2 0 0 6 : 5 6 oui mais pas dans les 12 derniers mois ❑ femme ❑ oui au cours des 12 derniers mois ❑ SCORE ❑ 1075 MALADES DE L’ALCOOL L E S B U V E U R S E XC E S S I F S : R E P É R A G E E T I N T E RV E N T I O N B R È V E Le questionnaire FACE FACE ET SA COTATION SCORE ❚ À quelle fréquence consommez-vous des boissons contenant de l’alcool ? Jamais = � 1 fois par mois ou moins = � 2 à 3 fois par semaine = � 4 fois par semaine ou plus = � 2 à 4 fois par mois = � ❚ Combien de verres standard buvez-vous, les jours où vous buvez de l’alcool ? « 1 ou 2 » = � « 3 ou 4 » = � « 5 ou 6 » = � «7à9»=� « 10 ou plus » = � ❚ Votre entourage vous a-t-il fait des remarques concernant votre consommation d’alcool ? Non = � Oui = � ❚ Vous est-il arrivé de consommer de l’alcool le matin pour vous sentir en forme ? Non = � Oui = � ❚ Vous est-il arrivé de boire et de ne plus vous souvenir le matin de ce que vous avez pu dire ou faire ? Non = � Oui = � TOTAL : VALEUR PRÉDICTIVE POSITIVE (%) VALEUR PRÉDICTIVE NÉGATIVE (%) 74 43,4 96,4 84,4 84 35,5 98,1 75 95,8 55,1 98,2 SEUIL SENSIBILITÉ (%) Buveurs excessifs hommes 4 87,8 Buveurs excessifs femmes 3 Dépendance ou abus 8 SPÉCIFICITÉ (%) INTERPRÉTATION DU QUESTIONNAIRE FACE Hommes : score inférieur à 5 = risque faible ou nul score de 5 à 8 = consommation excessive probable score supérieur à 8 = dépendance probable l’AUDIT a montré les nettes préférences des médecins généralistes et des patients pour le FACE.5 L’un et l’autre trouvent cependant leurs limites à l’adolescence et chez les personnes âgées. Chez les jeunes, en effet, les comportements de consommation associent souvent plusieurs produits, mais leur caractère problématique ou non doit tenir compte du contexte psychologique de l’adolescence. L’évaluation du sens du comportement doit s’ajouter à l’évaluation du risque, pour ne pas passer à côté des troubles psychiques et comportementaux graves qui peuvent émerger à cet âge de la vie. Une approche évaluative mise en place depuis une dizaine d’années au Québec utilise une grille de dépistage qui porte sur l’ensemble des substances psychoactives (Dépistage de consommation problématique d’alcool et de drogues chez les adolescents, DEP-ADO).12 Cette grille cherche à caractériser trois niveaux de risques qui justifient trois attitudes : « feu vert », pas d’intervention ; « feu 1076 Femmes : score inférieur à 4 = risque faible ou nul score de 4 à 8 = consommation excessive probable score supérieur à 8 = dépendance probable jaune », intervention brève de conseil par les intervenants de premier recours ; « feu rouge », intervention de soins faisant appel aux ressources d’aide spécialisée. On ignore actuellement la fréquence des troubles liés à l’alcool chez les personnes âgées. Rien ne laisse penser que l’alcoolo-dépendance, ni les dommages dus à l’alcool, disparaissent après 65 ans ; au contraire, l’alcool peut à cet âge perturber l’état clinique même si la consommation est inférieure aux seuils de risque habituellement diffusés : en fonction des pathologies ou de leurs traitements, de petites quantités d’alcool peuvent provoquer des troubles qui n’apparaîtraient pas chez des personnes plus jeunes.13 Pour les personnes âgées, l’AUDIT reste ce jour le seul outil validé en français, mais notre programme réalise actuellement l’adaptation française d’un questionnaire américain, l’ARPS (Alcohol-related problem survey) 14 justement conçu pour tenir compte du contexte dans l’évaluation du risque alcool. L A R E V U E D U P R AT I C I E N / 2 0 0 6 : 5 6 Au total, la principale question autour du repérage des consommateurs excessifs est celle de la stratégie : le repérage des consommations dangereuses ne devrait exclure personne, mais être organisé pour être faisable, acceptable tant par le médecin que par le patient, si possible peu coûteux, et utile. Des outils passés en revue ci-dessus, il est facile de déconseiller la biologie : coûteuse et peu sensible ; parmi les questionnaires disponibles, l’AUDIT et le FACE sont les plus aisément généralisables chez les patients de 18 à 65 ans, aussi bien en médecine de soins qu’en médecine de prévention. Dans les populations spécifiques que sont les jeunes et les personnes âgées, la DEP-ADO et l’ARPS sont les plus prometteurs, mais on manque de recul pour une utilisation rationnelle en France, bien établie en Amérique du Nord. L’essentiel de la stratégie consiste à ne laisser personne en dehors de l’évaluation du risque : quelle que soit la méthode de repérage, parler d’alcool « avec chaque patient » ne signifie pas « à chaque consultation », mais une fois par an ou tous les deux ans, pour tenir compte du potentiel évolutif de tout comportement. QUELLE FORME DONNER À UNE INTERVENTION AUPRÈS D’UN CONSOMMATEUR À RISQUE ? En effet, les comportements évoluent sous l’influence de facteurs nombreux parmi lesquels l’environnement joue un rôle important. Et sur le plan des comportements de santé, les soignants en général, les médecins en particulier, jouent un rôle fondamental. Cela ne signifie pas qu’un conseil médical suffise dans tous les cas, mais il est montré que la qualité de la relation entre la personne conseillée et l’intervenant peut compter beaucoup plus que l’intensité de l’intervention (sa durée, sa fréquence, la coercition qui peut l’accompagner). Pour cela, il faut que celui-ci ait cependant une claire conscience des éléments qui peuvent expliquer un changement de comportement, et des éléments qui le favorisent : – plus l’intervention est tardive, plus la dépendance comportementale est forte, et la dépendance psychique s’installe progressivement, avant même que les critères DSM-IV permettent de considérer un patient comme « dépendant » ; – plus les dommages – réels ou potentiels – sont repérables, mieux ils seront pris en compte ; – plus le comportement est en contradiction avec les valeurs propres du sujet, plus il aura le désir de le modifier; – plus le sujet a de place dans le dialogue pour exprimer ses préoccupations, moins il résiste aux conseils délivrés ; – quand les solutions proviennent du sujet, elles sont plus faciles à réaliser ; – si l’intervenant n’exprime pas de jugement et ne tente pas d’imposer ses solutions, les attitudes de résistance tombent le plus souvent immédiatement. L A R E V U E D U P R AT I C I E N / 2 0 0 6 : 5 6 Une intervention de conseil en matière de comportement de santé (pas seulement pour les consommateurs excessifs) doit donc prendre la forme d’une « collaboration entre experts »,15 le patient restant l’expert de sa propre vie. L’empathie, capacité de repérer les modes de penser du patient et de les utiliser pour raisonner avec lui, est ici le maître mot. Pour intervenir efficacement, il est inutile d’attendre les dommages, car si un patient en situation de risque l’apprend souvent du fait du médecin, il n’a pas pour autant de difficultés à se représenter les dommages qu’une consommation excessive peut provoquer : même si la dépendance vient en premier dans les représentations, les retentissements médicaux et sociaux sont bien connus du grand public.7 Une « intervention brève » peut l’être de façon extrême (on parle alors de conseil minimal) ou être développée sur 5 à 20 minutes (cas le plus fréquent dans les études, en médecine générale) ou sur plusieurs sessions (dans des situations ou auprès de populations particulières). Notre programme a développé, en collaboration avec l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé (Inpes), une forme d’intervention adaptée aux conditions de la médecine générale en France, de durée relativement brève (5 à 10 min), qui reprend les trois éléments utiles dans toute intervention brève : information, approche motivationnelle, conseils pour mener le changement de comportement.16 Les formations au repérage précoce et à l’intervention brève (RPIB) visent en premier lieu l’acquisition du savoir-faire pour le repérage par le questionnaire FACE ; pour l’intervention brève, elle s’appuie sur un contenu type (à la fois informatif, comportemental et motivationnel)16 et sur deux livrets informatifs (que l’Inpes* met gratuitement à la disposition des médecins qui lui en font la demande). Les jeux de rôle sont au centre de la première session, afin de donner aux médecins formés, au-delà des arguments de santé publique qui ne les impressionnent guère, l’occasion de percevoir l’intérêt pour leur relation avec leurs propres patients, l’absence de réticence lors d’une intervention réussie et le caractère bref à la fois du repérage et de l’intervention ; lors de la seconde session, les restitutions de leur expérience « dans la vraie vie », qu’ils partagent alors, confirment que, même avec leurs vrais patients, une telle intervention dure effectivement 5 à 10 minutes, et qu’elle est quasi unanimement bien reçue. Dans d’autres conditions ou auprès d’autres populations, le contenu doit être adapté. Chez les adolescents, plusieurs modalités d’intervention, sur une ou plusieurs séances, utilisant le face-à-face, le feedback écrit et/ou le téléphone ont été utilisées avec succès aux États-Unis ; elles avaient pour point commun de respecter une approche motivationnelle respectant l’attitude « centrée sur le sujet ».17 * [email protected] 1077 MALADES DE L’ALCOOL L E S B U V E U R S E XC E S S I F S : R E P É R A G E E T I N T E RV E N T I O N B R È V E P O U R L A P R AT I Q U E L Faire le point avec chacun de ses patients sur sa consommation d’alcool au moins une fois tous les deux ans, sans tenir compte des stéréotypes, dans les moments où il est le plus naturel de le faire (à l’occasion d’une prescription, d’un bilan, d’une anamnèse, etc.) [le grand public trouve normal de parler d’alcool au cabinet du médecin généraliste]. L Se former au repérage précoce et à l’intervention brève. L’Association nationale de prévention en alcoologie et addictologie ([email protected]), en partenariat avec les organismes de formation médicale continue, peut répondre aux demandes en ce sens. L La biologie n’est d’aucun secours pour le repérage des consommations excessives, car trop peu sensible. L Chez les adultes, deux questionnaires sont facilement utilisables, AUDIT et FACE. Validés en français, ils disposent tous deux d’excellentes qualités psychométriques (sensibilité et spécificité); AUDIT est un autoquestionnaire à remplir en salle d’attente, plus facile d’usage quand le consultant peut déléguer sa distribution; FACE est un questionnaire à inclure dans l’entretien médical, court (5 questions et une minute), et particulièrement acceptable dans la routine médicale. Ils sont disponibles auprès de l’Anpaa et de l’Inpes. L Chez les jeunes et les seniors, une approche spécifique est souhaitable, pour tenir compte des risques particuliers; des outils disponibles en Amérique du Nord sont en cours de validation en français. Dans l’attente, AUDIT et FACE peuvent être utilisés. L Une intervention brève réussie a un style relationnel (empathique et non jugeant) et trois composantes: information, motivation, et conseil comportemental. Sa réalisation prend 5 à 10 minutes. Elle est suivie d’un effet positif du point de vue de la réduction de la consommation en dessous des seuils de risque une fois sur 10 à une fois sur 2. QUELLE EST L’EFFICACITÉ D’UNE INTERVENTION BRÈVE EN MATIÈRE DE CHANGEMENT DE COMPORTEMENT ? À ce jour, une seule étude française a cherché à évaluer cet effet, et elle a montré un succès presque paradoxal, la moitié des patients repérés ayant réduit leur consommation à un an au-dessous des objectifs (4 verres/jour), dans le groupe repérage avec conseil comme dans le groupe repérage seul.18 Cela montre que l’activité de repérage (dans cette étude, l’évaluation de la consommation déclarée d’alcool) est en soit une intervention, ce qu’on relève également dans les groupes témoins de nombreuses études. Une étude en médecine du travail est en cours, mais les résultats n’en seront connus que courant 2006. On trouve 1078 cependant dans les publications internationales une très forte conviction sur l’utilité des interventions brèves, qui sont classées comme les interventions les plus utiles dans le champ de l’alcoologie par plusieurs expertises internationales, du fait de leur efficacité, de leur faible coût et de l’impact attendu sur la santé publique.19, 20 VERS UNE GÉNÉRALISATION ? L’approche de l’intervention précoce auprès des consommateurs excessifs d’alcool s’appuie sur un bouleversement des concepts sur les phénomènes liés à la consommation d’alcool. La seconde moitié du XXe siècle a été, en effet, dominée par le modèle médical de « l’alcoolisme », une maladie dont il convenait d’établir les mécanismes et le traitement. Aujourd’hui, une gestion raisonnée des risques liés à l’usage de l’alcool dans la société doit prendre en compte la diversité des conséquences, leur inégale distribution chez les buveurs en fonction de facteurs multiples de fragilité ou de protection, mais aussi en fonction des caractéristiques de l’« exposition au toxique », de l’histoire des sujets et des évolutions dans leur environnement. Certains consommateurs excessifs, et même certains patients dépendants de l’alcool arrêtent leur comportement dangereux ou problématique sans intervention : ce phénomène a longtemps été ignoré, il existe pourtant et il est vraisemblablement possible de le renforcer.21 D’autres personnes changent immédiatement après une intervention brève, qu’elle soit délivrée par un médecin, une infirmière, un conseiller téléphonique de Drogue-alcool-tabac Info Service (DATIS) [tél : 113] ou d’autres professionnels : c’est le cas chez les consommateurs excessifs, suffisamment souvent pour qu’il soit envisagé une intervention auprès de tous, ce qui implique une stratégie de repérage partout où elle est envisageable, en priorité à nos yeux en médecine générale, dans les consultations pour les femmes enceintes, en médecine du travail, dans les consultations de prévention (centres d’examen de santé de l’Assurance maladie, p. ex.), aux urgences et chez les personnes hospitalisées ; certaines interventions ont un effet différé, d’autres aucun effet. Parmi les patients qui continuent de boire de façon dangereuse, certains réagiront à une deuxième intervention, d’autres ne changeront rien, d’autres aggraveront le risque jusqu’à changer de statut et devenir malades de l’alcool, sous la forme d’une dépendance et/ou d’une alcoolopathie somatique, qui chacune nécessitera un traitement adapté. Plus le corps médical aborde systématiquement la question de l’alcool, plus il est probable de voir infléchir le parcours d’un patient vers une diminution du risque. La graduation dans les difficultés à changer son comportement implique une graduation dans les réponses. Les spécialistes de l’alcool gardent leurs responsabilités spécifiques, notamment celle de répondre aux situations L A R E V U E D U P R AT I C I E N / 2 0 0 6 : 5 6 décelées par les intervenants de première ligne et échappant à leur capacité de prise en charge, et celle de travailler assidûment aux changements des représentations. Les autorités sanitaires, quant à elles, doivent veiller à renforcer le dispositif de soins en alcoologie, car toute stratégie de repérage des consommateurs excessifs d’alcool met aussi au jour des situations de dépendance avérée. Ce caractère systématique d’une stratégie doit prendre en compte la nécessaire correction des inégalités sociales et régionales devant la santé. Là encore, il y a lieu de penser que la précocité de l’intervention individuelle et son accompagnement par un travail de changement des représentations parmi les groupes humains concernés par un excès de risque, pourraient jouer un rôle important. CONCLUSION Il nous paraît utile de souligner que, si la fréquence des problèmes de santé dus à l’alcool justifie une attitude spécifique vis-à-vis de ce produit, la capacité acquise par les médecins familiarisés avec les interventions brèves sur l’alcool leur sert également à aider leurs patients dans tout changement de comportement : suivre un régime, un traitement chronique, reprendre une activité physique, cesser de fumer, tout cela nécessite pour le patient de s’appuyer sur de l’information, des ressources propres (des motivations personnelles) et des savoir-faire. Les médecins savent le poids de certains facteurs de risque sur la mortalité : surpoids, diabète, hypertension artérielle, hypercholestérolémie, sédentarité, tabac, alcool… toute amélio- Prévalence des facteurs de risque dans la population américaine PRÉVALENCE ESTIMÉE NOMBRE POPULATION DE FACTEURS DANS LA ADULTE DE RISQUE* DES ÉTAS-UNIS (%)** 0 INTERVALLE DE CONFIANCE À 95 % 9,7 9,3-10,1 1 32,6 31,9-33,2 2 40,7 40-41,4 3 14 13,5-14,5 4 3 2,8-3,2 Tableau D’après la réf. 22. * Parmi les facteurs suivants : tabagisme ; surpoids ; sédentarité ; consommation dangereuse d’alcool (définie ici par plus de 14 verres par semaine). ** Âgée de plus de 18 ans. ration de ces facteurs de risque, d’ailleurs souvent regroupés (v. tableau),22 passe par un changement de comportement et éventuellement un traitement chronique dont l’observance est problématique. Une tendance actuelle de la médecine de prévention est de réfléchir à des approches moins spécifiques par produit ou problème, mais plus génériques, sur les moyens du changement.23 Nul doute que, dans l’avenir, les aspects relationnels de la médecine ne redeviennent un des enjeux majeurs de la santé publique, au moins dans les pays où les besoins élémentaires sont satisfaits. B L’auteur déclare n’avoir aucun conflit d’intérêts concernant les données publiées dans cet article. SUMMARY Early detection and brief intervention to reduce excessive drinking The high frequency of excessive drinking among populations of western countries justifies screening strategies by primary health care givers. The intervention following the identification of a problem drinker should be adjusted according to the nature and level of alcohol-related risk or harm. A non-judgmental and benevolent dialogue about alcohol consumption is to be carried out with every patient, for in most cases this is enough to identify anyone concerned by at-risk or harmful drinking and to assess any consequences and dependence levels. Standardized questionnaires have been conceived and validated to encourage practitioners to carry out this type of interview, taking into account two contradictory needs: a systematic approach of the screening and the need for rapidity. In the same objective, among all sorts of ”brief interventions” the efficient ones have been adapted to target populations and to be acceptable to the clinicians’ point of view. These tools have been conceived to help excessive drinkers reduce their alcohol consumptions, but they can be a model for a more general approach to secondary prevention, considering all risk factors, not only hazardous behaviour to health. Rev Prat 2006 ; 56 : 1072-80 RÉSUMÉ Les buveurs excessifs : repérage et intervention brève La fréquence de la consommation excessive d’alcool dans l’ensemble de la société justifie son repérage systématique au niveau des soins primaires. L’intervention qui découle de tout acte de repérage est différente selon le niveau et la nature du risque ou du dommage déjà présent. Un dialogue bienveillant et dépourvu de tout jugement au sujet de la consommation d’alcool doit être établi avec chaque patient, car il permet dans l’immense majorité des cas d’identifier les consommateurs excessifs, puis d’évaluer avec eux les éventuelles répercussions et le niveau de dépendance. Des questionnaires standardisés ont été conçus pour favoriser l’ouverture de ce dialogue, en tenant compte de nécessités contradictoires : caractère systématique de la stratégie de repérage, besoin d’être économe en temps. De même, parmi toutes les variantes possibles de l’« intervention brève », il y a lieu de choisir celles qui sont à la fois efficaces (car adaptées aux populations cibles) et insérables dans les pratiques professionnelles des cliniciens. Ces outils sont actuellement spécifiquement conçus pour l’identification et l’accompagnement des buveurs excessifs vers une réduction de la consommation d’alcool, mais ils peuvent servir de modèle pour une approche généralisée de la prévention secondaire de l’ensemble des facteurs de risque, au-delà même des comportements de santé. L A R E V U E D U P R AT I C I E N / 2 0 0 6 : 5 6 1079 MALADES DE L’ALCOOL L E S B U V E U R S E XC E S S I F S : R E P É R A G E E T I N T E RV E N T I O N B R È V E RÉFÉRENCES 1. Michaud P. Boire moins c’est mieux, un programme de l’OMS en direction des médecins généralistes. Alcool Sante 2001;237:4-15. 2. Aertgeerts B, Buntinx F, Ansoms S, Fevery J. Screening properties of questionnaires and laboratory tests for the detection of alcohol abuse or dependence in a general practice population. Br J Gen Pract 2001;51:172-3. 3. Michaud P, Fouilland P, Grémy I, Klein P. Alcool, tabac, drogue, le public fait confiance aux médecins. Rev Prat Med Gen 2004;17:605-8. 4. ANPA (Association nationale 7. Rueff B. Alcoologie Clinique. Paris : Médecine-sciences/Flammarion, 1988. 8. Huas D, Darné B, Rueff B, Lombrail P, et al. « Malades alcooliques » et consultations de médecine générale: prévalence et détection. 1/4 des hommes adultes consultant en médecine générale. Rev Prat Med Gen 1990;81:45-9. 9. Saunders JB, Aasland O, Babor TF, De La Fuente JR, Grant M. Development of the Alcohol Use Disorders Identification Test (AUDIT): WHO collaborative project on early detection of persons with harmful alcohol consumption. Addiction 1993;88:791-804. de prévention de l’alcoolisme). Alcooliques qu’attendez-vous de nous ? Alcool Sante 1999;231:6-16. 5. Dewost AV, Dor B, Orban T, Rieder A, Gache P, Michaud P. Choisir un questionnaire pour évaluer le risque alcool de ses patients. Acceptabilité des questionnaires FACE, AUDIT, AUDIT intégré dans un questionnaire de santé en médecine générale (France, Belgique, Suisse). Rev Prat Med Gen 2006;20:321-6. 6. Mayfield DG. The CAGE questionnaire : validation of a new alcoholism screening instrument. Am J Psychiatry 1974;131:1121-3. 10. Gache P, Michaud P, Landry U, et al. The Alcohol Use Disorder Identification Test (AUDIT) as a screening tool for excessive drinking in primary health care: reliability and validity of a French version. Alcohol Clin Exp Res 2005;29:2001-7. 11. Arfaoui S. Construction d’un questionnaire court de repérage des consommations problématiques d’alcool en médecine générale : le questionnaire FACE. Thèse pour le doctorat de médecine, 2002, faculté de médecine Necker-Enfants malades, Paris. http://www.urml- idf.org/urml/mach2003/Theses/A RFAOUI.pdf 12. Landry M, Tremblay J, Guyon L, Bergeron J, Brunelle N. La grille de dépistage de la consommation problématique d’alcool et de drogues chez les adolescents et les adolescentes (DEP-ADO) : développement et qualités psychométriques. Drogues Sante Societe 2004;3:20-37. 13. Fink A. Hays RD, Moore AA, Beck JC. Alcohol-related problems in older persons: determinants, consequences and screening. Arch Intern Med 1996;156:1150-6. 14. Fink A, Morton SC, Beck JC, et al. The alcohol-related problems survey: identifying hazardous and harmful drinking in older primary care patients. J Am Geriatr Soc 2002;50:1717-22. 15. Miller WR, Rollnick S. Motivational interviewing, preparing people for change. New York: Gilford press, 2002. 16. Michaud P, Gache P, Batel P, Arwidson P. Intervention brève auprès des consommateurs excessifs. Rev Prat Med Gen 2003;17:282-9. 17. Chossis I. Entretien motivationnel avec les adolescents. Med Hygiene 2004;62:2230-4. 18. 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Addressing multiple behavioural risk factors in primary care- A synthesis of current knowledge and stakeholder dialogue sessions. Am J Prev Med 2004;27:4-17. Alcool: le répertoire (suite de la p. 1 069) ASSOCIATIONS, SITES… www.hcsp.ensp.fr Sur le site du Haut Comité pour la Santé publique (HCSP), vous pouvez faire une recherche par mot-clé : cliquer sur « rechercher » puis dans « recherche par mots-clé » choisissez « abus alcool ». Vous pourrez alors lire différents documents relatifs à ce thème. www.alcoweb.com Le site alcoweb répertorie les sociétés (SFA, Anpaa, HCSP, CFES, v. supra) ou associations implantées en France : ● Alcooliques anonymes (v. infra) ; 1080 ● Croix Bleue (tél. : 01 48 74 85 22/ 01 42 85 30 74) http://membres.lycos.fr/croixbleue ; ● Croix d’or (tél. : 01 47 70 34 18) http://perso.wanadoo.fr/croixdoridf/ croixdoridf ; ● Fédération française interprofessionnelle pour le traitement et la prévention de l’alcoolisme et autres toxicomanies (FITPAT) [tél.: 0144790563]; ● Fédération nationale Joie et Santé (tél. : 01 43 36 83 99) ; ● Vie Libre (tél. : 01 47 39 40 80) http://perso.wanadoo.fr/vie.libre www.alcooliques-anonymes.fr Le mouvement français des Alcooliques anonymes (AA) assure au 0820 32 68 83 une permanence télé- phonique. Il est bien connu de tous, et depuis longtemps, pour ses méthodes de prise en charge, ses groupes de parole, etc. Depuis quelques années, de nouveaux groupes ont été créés pour aider l’entourage (groupe Alanon), et les enfants adolescents (groupe Alaten) de la personne dépendante à l’alcool. Sur le site Internet, vous trouverez toutes les informations pratiques nécessaires à vos patients, date et lieu des rencontres, coordonnées : cliquez sur « les groupes AA », tapez le numéros de votre département ou le nom de votre ville et vous saurez tout sur les activités des AA de votre région… il y a même des english speaking groups. (suite, p. 1 113) L A R E V U E D U P R AT I C I E N / 2 0 0 6 : 5 6 ® monographie Alcool et comorbidité psychiatrique Anxiété, dépression et troubles de la personnalité sont fréquemment associés à l’alcoolo-dépendance. Dépression et anxiété sont le plus souvent secondaires, d’où l’inefficacité des antidépresseurs ou des benzodiazépines au long cours si l’alcoolisation persiste. Plus rarement, l’alcoolisation est secondaire à une dépression chez la femme, à un accès maniaque ou encore à une phobie sociale. Michel Lejoyeux, Matei Marinescu * L es conduites alcooliques sont souvent associées à des troubles psychiatriques ; les plus fréquents sont la dépression, l’anxiété et les troubles de la personnalité. Le repérage de ces troubles psychiatriques revêt une grande importance pour la prise en charge des patients. L’association d’un trouble psychiatrique peut, dans certains cas, modifier les modalités du traitement et aussi l’évolution de la conduite de dépendance. Elle impose une prise en charge intégrée et simultanée des pathologies psychiatriques et de la dépendance à l’alcool. Les conduites alcooliques sont aussi présentes chez les patients ayant une schizophrénie ou un délire chronique. Le comportement d’alcoolisation a pu être décrit comme une recherche d’un « réchauffement émotionnel » chez les patients ayant un sentiment douloureux de « déconnexion » avec leur environnement. Dans d’autres cas, le trouble psychotique apparaît secondaire aux conduites alcooliques. Il s’agit alors de « psychoses alcooliques » comportant une importante note hallucinatoire. CE QUI EST NOUVEAU L Les études pharmacologiques récentes ont confirmé l’inefficacité des antidépresseurs en tant que traitement de l’envie de boire après sevrage. Les antidépresseurs ont également fait la preuve de leur inefficacité chez les patients continuant à s’alcooliser. L L’effet anxiolytique et désinhibiteur de l’alcool chez les phobiques sociaux tient davantage de l’effet placebo (suggestion et attentes du patient) que d’un effet objectif. En pratique, les phobiques consommant de l’alcool voient leurs symptômes anxieux s’aggraver. L Les dimensions de personnalité exposant le plus régulièrement aux conduites alcooliques sont l’impulsivité, la désinhibition, l’intolérance à l’ennui. Ces dimensions de personnalité apparaissent d’autant plus déterminantes qu’elles se retrouvent chez l’homme et chez les patients ayant un niveau élevé de résistance à l’alcool. * Service de psychiatrie, hôpital Bichat-Claude Bernard, 75018 Paris. Courriel : [email protected] ; [email protected] L A R E V U E D U P R AT I C I E N / 2 0 0 6 : 5 6 1081 MALADES DE L’ALCOOL C O M O R B I D I T É S P SYC H I AT R I Q U E S TROUBLES PSYCHIATRIQUES PRIMAIRES OU SECONDAIRES ? De nombreuses approches psychanalytiques ou psychopathologiques « classiques » ont envisagé l’alcoolo-dépendance comme l’autotraitement d’un état anxieux ou d’une tension existentielle. L’alcool a pu être considéré comme un mode de réduction des tensions, un moyen de lutte contre un sentiment de dépression, une sorte d’« euphorisant sauvage » auquel auraient recours les patients dépendants. Les travaux épidémiologiques récents ne confortent pas l’hypothèse selon laquelle les conduites alcooliques seraient le plus souvent secondaires à un état anxieux ou dépressif. Les études prospectives1 remettent en question la notion d’alcoolisme secondaire. Elles suggèrent : – que les symptômes psychiatriques isolés (symptômes d’anxiété ou de dépression) sont plus fréquents chez les alcooliques que les troubles psychiatriques caractérisés. Ces symptômes psychiatriques sont davantage des indices d’une alcoolisation pathologique que des signes d’un trouble psychiatrique « primaire » qu’il faudrait traiter pour « éradiquer » la cause de l’alcoolisme ; – les troubles psychiatriques, même caractérisés, disparaissent dans 90 % des cas après un mois de sevrage d’alcool complet et effectif. Cette observation a été démontrée pour la dépression ainsi que pour la plupart des troubles anxieux. La classification américaine du DSM (Diagnostic and statistical manual of mental disorders) a individualisé parmi les troubles psychiatriques secondaires à la dépendance alcoolique2 les troubles de l’humeur et les troubles anxieux induits par l’alcool. Il s’agit d’états anxieux ou Critères diagnostiques des troubles de l’humeur induits par une consommation pathologique d’alcool UNE PERTURBATION DE L’HUMEUR EST AU PREMIER PLAN ET PERSISTANTE Elle est caractérisée par un ou deux des critères suivants : � humeur dépressive ou diminution marquée de l’intérêt ou du plaisir pour toutes ou presque toutes les activités � la perturbation de l’humeur est étiologiquement liée à la prise d’alcool � les symptômes ne surviennent pas uniquement au décours d’un delirium � les symptômes entraînent une souffrance cliniquement significative ou une altération du fonctionnement social, professionnel ou dans d’autres domaines importants Tableau 1 D’après le DSM IV, réf. 2 1082 Risque relatif de trouble psychiatrique chez les sujets alcoolo-dépendants comparés aux témoins. ❚ Anxiété et dépression 3,2 ❚ Dépression majeure 1,7 ❚ Dépression chronique (dysthymie) 4,4 ❚ Attaque de panique et agoraphobie 0,9 Tableau 2 D’après la réf. 3. dépressifs apparaissant comme des conséquences directes de la consommation pathologique d’alcool (tableau 1). Un travail nord-américain récent conduit en population générale auprès de 43 000 sujets âgés de 18 à 29 ans montre que la dépendance à l’alcool multiplie par 2,4 le risque de dépression ou d’anxiété (tableau 2).3 Un autre travail de Kandel et al.4 a lui aussi confirmé, dans une population nord-américaine, l’augmentation du risque d’anxiété et de dépression associé à la dépendance alcoolique. ALCOOLISME ET DÉPRESSION Les principaux symptômes de la dépression sont le découragement, la tristesse et la perte de l’élan vital ou désintérêt. Les symptômes de dépression sont fréquents chez les alcooliques, notamment avant le sevrage. Schuckit et al.5 ont montré que 80 % des alcooliques ont des symptômes de dépression. Un tiers des patients ont l’ensemble des critères de la dépression majeure (tristesse, désintérêt, ralentissement, troubles du sommeil, de l’appétit). Les états dépressifs associés aux conduites alcooliques comportent un risque de suicide particulièrement élevé.6 Une étude menée à San Diego, à partir de 283 cas de suicide, avait retrouvé 58 % d’alcooliques et de toxicomanes.7 L’alcoolisme était dans plus d’un tiers des cas le diagnostic principal établi de manière rétrospective. Les patients alcooliques et déprimés sont donc exposés à un risque majeur de tentative de suicide et aussi de mort par suicide. Leurs gestes suicidaires, quand ils surviennent, sont souvent impulsifs. Ils surprennent le patient lui-même comme son entourage. Ce risque suicidaire est un argument majeur pour repérer et traiter les dépressions associées à l’alcoolisme. Le principal traitement de la dépression chez l’alcoolique est l’interruption de la consommation d’alcool. Dans la majorité des cas, les améliorations cliniques comme les rechutes sont globales. Elles concernent les deux troubles, dépressif et alcoolique. La fréquence de la dépression varie selon le moment auquel consulte le patient. Chez un patient alcoolique consultant pour une aide ou une demande de sevrage, des L A R E V U E D U P R AT I C I E N / 2 0 0 6 : 5 6 symptômes dépressifs sont retrouvés dans 80 % des cas. Un tiers des patients dépendants de l’alcool consultant leur médecin généraliste ont l’ensemble des critères de la dépression majeure. Cette dépression apparaît alors comme une conséquence directe de la conduite alcoolique. En pratique quotidienne, les patients dépendants de l’alcool proposent une explication inverse. Ils mettent en avant leur cafard, leur tristesse ou leur découragement pour justifier ou expliquer leur excès d’alcool. Ils présentent au généraliste ou au spécialiste leurs alcoolisations comme un « autotraitement » de leur dépression. Les alcoolismes secondaires à la dépression sont exceptionnels (environ 1 cas sur 10) chez l’homme.1 Ces formes sont plus fréquentes chez la femme, habituellement en situation d’isolement social et affectif. La dépression induite par le sevrage d’alcool est elle aussi une entité clinique rare. Le sevrage, rappelons-le, produit plutôt une amélioration de l’humeur qu’une aggravation. Quand elles surviennent, les dépressions de sevrage peuvent réaliser des états dépressifs typiques. Elles peuvent aussi correspondre à des tableaux de tristesse et d’inhibition moins spécifiques marqués par des troubles du caractère, un désintérêt, une insomnie et un amaigrissement (tableaux 3 et 4). ALCOOLISME ET TROUBLES BIPOLAIRES Les troubles bipolaires induisent plus souvent des alcoolismes secondaires que la dépression. Chez les patients ayant un trouble bipolaire, le trouble de l’humeur apparaît plus tôt et les états mixtes sont plus fréquents.8 La prise d’alcool est provoquée par la désinhibition de l’accès maniaque ou par l’irritabilité et l’impulsivité des états mixtes (coexistence chez un même patient de symptômes dépressifs et maniaques). Deux tiers des patients maniacodépressifs ont tendance à augmenter leur consommation d’alcool pendant les périodes maniaques. Ils sont désinhibés. Ils sont logorrhéiques, excités et euphoriques. Toutes leurs envies sont augmentées, y compris celle de consommer de l’alcool. Seulement 20 à 30 % des patients bipolaires en phase de dépression augmentent leur consommation d’alcool. Les consommations d’alcool des patients maniaques sont le fait de prises massives d’alcool fort ou de diverses autres boissons alcoolisées. Elles sont entrecoupées de périodes d’abstinence plus ou moins durables. Les patients, en état maniaque, recherchent le danger, l’aventure et les expériences nouvelles. Ils prennent de l’alcool dans une attente de « défonce » ou de « voyage à l’alcool ». Ils recherchent l’ivresse, l’anéantissement, la perte de conscience. L’alcool augmente encore chez eux le risque de passage à l’acte agressif ou de comportement inadapté (conduites sexuelles à risque et inadaptées). Les troubles bipolaires de l’humeur à cycle rapide induisent moins souvent des alcoolismes que des troubles de l’humeur dont les accès sont plus espacés. L A R E V U E D U P R AT I C I E N / 2 0 0 6 : 5 6 ALCOOLISME ET ANXIÉTÉ Les classifications récentes de l’anxiété distinguent les attaques de panique (crises d’angoisse aiguë isolée), le trouble panique (répétition de crises d’angoisse aiguës), la phobie sociale (forme pathologique de la timidité avec peur du regard de l’autre, peur de parler en public) et l’anxiété généralisée. Ce dernier trouble correspond à un état persistant de tension flottante avec pessimisme, inquiétude et sentiment de vivre en permanence sur le qui-vive. La plupart des symptômes de l’anxiété peuvent être confondus avec des symptômes de sevrage. L’anxiété de sevrage peut être le principal symptôme éprouvé par les patients lors de l’interruption de l’alcool. Il s’agit d’une angoisse survenant plus fréquemment le matin, après l’abstinence de la nuit ou encore après de courtes pério- Différences entre un trouble psychiatrique primaire et un trouble induit par l’alcoolo-dépendance ❚ Trouble psychiatrique primaire ❚ Symptômes apparus avant le début de la prise d’alcool ❚ Symptômes persistants à distance du sevrage ❚ Antécédents de dépression majeure ayant nécessité un traitement antidépresseur ❚ Les symptômes ne sont pas seulement la conséquence du sevrage ou du delirium ❚ Trouble psychiatrique induit par la conduite alcoolique ❚ Dépression ou anxiété apparue pendant le mois ayant suivi une intoxication alcoolique ou un sevrage. ❚ Le trouble psychiatrique est « étiologiquement » lié à la dépendance ou au sevrage. Tableau 3 Alcoolisme et dépression en pratique ❚ En cas de dépression associée à une dépendance alcoolique, un délai de sevrage de deux semaines doit être respecté avant d’introduire un antidépresseur ❚ Le délai est raccourci en cas de dépression sévère, de type mélancolique, ou de dépression avec risque suicidaire ❚ Les tableaux cliniques associant alcoolisme et dépression comportant un risque suicidaire net (idées de suicide formulées par le patient, antécédents de tentative de suicide) sont une indication d’hospitalisation ❚ L’hospitalisation, en cas d’association alcoolisme + dépression, est réalisée de préférence dans un service de psychiatrie Tableau 4 1083 MALADES DE L’ALCOOL C O M O R B I D I T É S P SYC H I AT R I Q U E S des de sevrage. Cet état anxieux marqué par une tension, une appréhension et une sensation de malaise, est spécifiquement calmé par la prise d’alcool. L’effet de l’alcool ne dure pas. Les symptômes anxieux réapparaissent le matin suivant ou après une autre période de sevrage. L’anxiété de sevrage réalise ainsi une obligation de consommation régulière d’alcool. Les autres symptômes de sevrage qui peuvent être présents, associés à l’anxiété sont : les symptômes neuromusculaires (tremblement des mains et de la langue, crampes, paresthésies), les symptômes digestifs (nausées, vomissements), les symptômes neurovégétatifs (sueur, tachycardie, hypotension orthostatique), les troubles du sommeil à type d’insomnie ou de cauchemar. L’irritabilité, les tremblements, l’instabilité, les troubles du caractère sont présents lors des crises de panique, chez les phobiques confrontés à une situation qui leur fait peur et chez les patients en manque d’alcool. Un travail nord-américain a montré que les alcooliques ayant un trouble anxieux associé ne sont pas capables de distinguer les symptômes d’anxiété et les symptômes de sevrage.9 Seuls les tremblements majeurs leur apparaissent plus spécifiques du sevrage. Comme pour la dépression, les travaux épidémiologiques récents soulignent aussi que l’anxiété est plus souvent secondaire à la conduite de dépendance que primaire. Les classifications P O U R L A P R AT I Q U E L L’anxiété et la dépression sont fréquentes chez les alcooliques. L En cas de dépression associée à l’alcoolisme, le traitement le plus efficace est le sevrage. L Les accès maniaques provoquent des conduites alcooliques plus souvent que les dépressions. L L’alcoolisme secondaire à la dépression chez la femme est une entité clinique particulière méritant un traitement simultané de la dépression et de la conduite addictive. L Les antidépresseurs ne sont introduits qu’après deux semaines au minimum de sevrage. Il n’est pas utile de prescrire des antidépresseurs à un patient qui s’alcoolise. L Les attaques de panique peuvent être des symptômes de sevrage ou des conséquences de l’alcoolo-dépendance. L Le traitement ponctuel de l’attaque de panique fait appel aux benzodiazépines. Le traitement à long terme impose un sevrage complet d’alcool. Si les crises de panique persistent, une prise en charge chimio- et psychothérapique est proposée. La chimiothérapie implique les antidépresseurs sérotoninergiques. Il n’est pas utile de prescrire des benzodiazépines à long terme chez les alcooliques. 1084 internationales récentes ont pris en compte la fréquence des troubles anxieux induits par les conduites alcooliques. Elles ont introduit une nouvelle catégorie diagnostique de trouble anxieux induit par une substance. Il s’agit d’états d’angoisse apparus dans les périodes de dépendance ou de sevrage ou dans le mois suivant le sevrage. Une étude épidémiologique nord-américaine a été conduite en population générale (étude COGA).5 Elle a montré que 9,4 % des alcooliques ont un trouble anxieux. En population générale, la prévalence de l’anxiété n’est que de 3,7 %. Selon cette étude, la fréquence du trouble panique est de 4,2 % chez les alcooliques et de 1 % dans le reste de la population ; 3,2 % des alcooliques ont une phobie sociale, contre 1,2 % en population générale. Particularités de l’association entre phobie sociale et alcoolisme Les alcoolismes associés à une phobie sociale sont souvent des alcoolismes secondaires. Les patients phobiques utilisent alors les effets apaisants de l’alcool. Ils se servent de l’alcool comme d’une molécule désinhibitrice et stimulante. Cet effet facilite chez eux l’exposition aux situations qui leur font peur. Il peut leur arriver, par exemple, de consommer de l’alcool avant une représentation ou avant de prendre la parole en public. Ils considèrent l’alcool comme un traitement de leur « trac » ou de leur timidité. En pratique, les effets de l’alcool sur l’anxiété sociale sont transitoires. À l’apaisement initial fait souvent suite un rebond d’angoisse. À moyen terme, l’alcool aggrave la phobie. Les périodes de plus forte consommation d’alcool s’accompagnent d’une exacerbation des symptômes phobiques. Selon Thomas et al.,10 les alcoolismes associés à une phobie sociale sont les formes les plus sévères de dépendance. Les patients n’osent pas interrompre une molécule qui leur apparaît comme protectrice. Ils ont des scores de dépendance physique et psychique élevés. Ils consomment plus souvent de l’alcool pour améliorer leur fonctionnement social. Traitement de l’alcoolisme chez les anxieux Il fait appel avant tout au sevrage. En cas d’anxiété panique, un traitement par benzodiazépines peut être prescrit de manière très ponctuelle. Celui-ci ne devra cependant pas être poursuivi à long terme. Le risque est alors de voir les patients passer de la dépendance à l’alcool à une dépendance aux benzodiazépines. En cas de phobie sociale, le principal traitement est d’ordre psychothérapique. Il privilégie les méthodes cognitivo-comportementales. Le patient apprend progressivement à affronter les situations qui lui font peur, tout en bénéficiant de techniques de relaxation et de détente. Seule cette prise en charge du trouble phobique évite au patient devenu dépendant de recourir régulièrement à l’alcool pour affronter les situations qui l’angoissent. L A R E V U E D U P R AT I C I E N / 2 0 0 6 : 5 6 Le traitement à long terme du trouble panique peut aussi faire appel aux antidépresseurs sérotoninergiques (p. ex. : fluoxétine [Prozac] 20 mg/j ; paroxétine [Déroxat] 20 mg/j) dans le cas où les attaques de panique persisteraient en dépit du maintien effectif du sevrage d’alcool. ALCOOLISME ET TROUBLE DE LA PERSONNALITÉ Les troubles de la personnalité chez l’alcoolique 11 sont des traits de caractère précédant la dépendance. Ils peuvent être aussi des conséquences de la consommation d’alcool. Les descriptions de la « personnalité pré-alcoolique » soulignent l’importance de la « faiblesse du Moi », des tendances dépressives et de l’immaturité chez les alcooliques. Leur personnalité se traduit par une incapacité d’indépendance. Ils recherchent la dépendance conjugale, professionnelle ou affective, de même que la dépendance à un toxique. Les conséquences négatives sur la famille, la société et le métier sont subies et parfois même recherchées. La personnalité pré-addictive expose donc à une sorte de déchéance sociale programmée. Une autre dimension de personnalité impliquée dans l’alcoolisme est le niveau élevé de recherche de sensations. Les caractéristiques de la recherche de sensations sont le goût pour le danger et l’aventure, la recherche d’expériences et la désinhibition. Les alcooliques consomment de l’alcool dans une recherche d’excitation, de variété et d’expériences diverses. Une dernière dimension de la recherche de sensation est l’intolérance à l’ennui. Pour fuir la monotonie et l’ennui, certains patients sont ainsi tentés par une consommation addictive d’alcool. Le repérage de ces caractéristiques de personnalité chez des patients commençant à consommer régulièrement de l’alcool peut, en pratique, inciter à se montrer vigilant et à proposer de manière précoce un sevrage aussi complet que possible. CONCLUSION Les troubles psychiatriques les plus fréquemment associés à l’alcoolo-dépendance sont l’anxiété, la dépression et les troubles de la personnalité. Le plus souvent, les troubles anxieux et dépressifs sont secondaires à l’alcoolisme. Quelques exceptions notables méritent d’être signalées. Il s’agit des alcoolismes secondaires à une dépression chez la femme, à un accès maniaque chez les patients ayant un trouble bipolaire. B SUMMARY Alcool et comorbidité psychiatrique L’alcoolo-dépendance augmente le risque de trouble psychiatrique associé. Les pathologies les plus fréquentes sont la dépression, l’anxiété et les troubles de la personnalité. Les dépressions sont le plus souvent secondaires à la dépendance alcoolique. Elles s’accompagnent d’un risque élevé de conduites suicidaires. Le traitement le plus adapté en cas d’association entre alcoolisme et dépression est le sevrage d’alcool. Un traitement antidépresseur n’est prescrit qu’après deux semaines au minimum de sevrage complet. En cas d’association entre anxiété et alcoolisme, un sevrage est également proposé. Certaines formes d’anxiété comme la phobie sociale apparaissent particulièrement souvent associées à l’alcoolisme, l’alcool étant utilisé pour ses propriétés anxiolytiques et désinhibitrices. Rev Prat 2006 ; 56 : 1081-5 RÉSUMÉ Alcohol dependence and abuse and psychiatric disorders Alcohol dependence increases the risk of associated psychiatric disorders. The most common disorders are depression, anxiety and personality disorders. Depression is usually secondary to alcohol dependence. It is often associated with an increased risk of suicidal behavior. The best suited treatment for an association between alcohol dependence and depression is alcohol withdrawal. Antidepressant treatment should only be initiated after at least two weeks of complete withdrawal. Alcohol withdrawal is also suggested for the association between anxiety and alcoholism. Some forms of anxiety, such as social phobia, are particularly often associated with alcoholism, since alcohol is often used for its anxiolytic and disinhibition effects. RÉFÉRENCES 1. Adès J, Lejoyeux M. Alcoolisme et Psychiatrie. Ouvrage coordonné par J. Adès et M. Lejoyeux. Paris : Masson, Coll. Médecine et Psychothérapie, 2004. 2. American Psychiatric Association. DSM-IV Critères diagnostiques. Traduction française par Guelfi JD, et al. Paris : Masson, 1996. 3. Dawson DA, Grant BF, Stinson FS, Chou PS. Psychopathology associated with drinking and alcohol use disorders in the college and general adult populations. Drug Alcohol Depend 2005;77:139-50. 4. Kandel DB, Huang FY, Davies M. Comorbidity between patterns of substance use dependence and psychiatric syndromes. Drug and Alcohol Dependence 2001;64:233-41. 5. Schuckit MA, Tipp JE, Bergman M, et al. Comparison of induced and independent major depressive disorders in 2 945 alcoholics. Am J Psychiatry 1997;154:948-57. Les auteurs n’ont pas transmis de déclaration de conflits d’intérêts. L A R E V U E D U P R AT I C I E N / 2 0 0 6 : 5 6 6. Suominen K, Isomestsä E, Henriksson M, Ostamo A, Lönnqvist J. Hopelessness, impulsiveness and intent among suicide attempters with major depression, alcohol dependence or both. Acta Psychiatr Scand 1997;96:142-9. 7. Rich CL, Fowler RC, Young D. Substance abuse and suicide: the San Diego Study. Ann Clin Psychiatry 1989;1:79. 8. Feinman JA, Dunner DL. The effect of alcohol and substance abuse on the course of bipolar affective disorder. J Affect Disord 1996;37: 43-9. 9. Thomas SE, Thevos AK, Randall CL. Alcoholics with and without social phobia: a comparison of substance use and psychiatric variables. J Stud Alcohol 1999;60(4):472-9. 10. George DT, Zerby A, Noble S, Nutt DJ. Panic attacks and alcohol withdrawal: can subjects differentiate the symptoms? Biol Psychiatry 1988;43:240-3. 11. Lejoyeux M. Alcoolo-dépendance, tempérament et personnalité. Médecine Sciences 2004;12,vol.20:1140-4. 1085 monographie Comment motiver un patient pour qu’il arrête de boire? L’entretien motivationnel s’est développpé à partir de la notion simple que la manière de parler d’alcool à un patient a une influence marquée sur sa volonté de parler librement des raisons et des moyens nécessaires pour modifier sa consommation. L’entretien motivationnel représente un style relationnel et un ensemble de techniques qui aident le médecin à faire progresser son patient vers un changement de comportement vis-à-vis de l’alcool. Jean-Bernard Daeppen, Didier Berdoz* Q uoi de plus naturel que d’inciter nos patients à boire moins, à renoncer au tabac et à bouger plus ? Spontanément, les cliniciens donnent des conseils à leurs patients et sont souvent frustrés de constater que ceux-là ne sont pas efficaces. Donner des conseils semble former la base de la plupart des discussions à propos de changements de comportements. La logique de cette approche semble reposer sur le fait que nos patients manquent d’informations, lesquelles, une fois fournies, devraient suffire à produire un changement. Cette méthode repose essentiellement sur une relation médecin-patient relativement paternaliste ; dans ce cadre, le praticien essaie de persuader le patient de la sagesse de considérer un changement de style de vie. Si cette méthode est efficace pour certains, elle semble inefficace pour la plupart des patients, son taux de succès étant limité à 5 à 10 %.1 Un autre problème réside dans le fait que donner des conseils peut produire des effets négatifs. Il est courant de constater que des conseils donnés à un patient qui ne les a pas sollicités génèrent de la résistance. Cette résistance s’exprime, par exemple, dans des dialogues caractérisés par des réponses de type « oui, mais… » de la part du patient. Dans leurs efforts pour changer le comportement de leurs patients, les praticiens ont tendance à insister sur les bénéfices du changement tout en sous-évaluant les coûts. De leur côté, les patients sont très attentifs à l’implication personnelle nécessaire au changement. Ils se montrent très concernés par les conséquences immédiates d’un changement de comportement et attribuent peut-être moins d’importance à des bénéfices futurs. Comment conseiller nos patients à propos de leurs habitudes de vie et, plus particulièrement, comment motiver un patient ayant un problème d’alcool pour qu’il arrête de boire? Au cours des 20 dernières années, de nombreux développements dans la recherche sur le traitement de la dépendance à l’alcool ont eu cours, impliquant un changement important dans la compréhension du principe de la négociation du changement de comportement. AMBIVALENCE Le concept de l’ambivalence s’est révélé décisif dans la négociation autour du changement de comportement d’un patient alcoolique. Dans le contexte de la dépen- * Centre de traitement en alcoologie, Mont-Paisible 16, CHUV 1011 Lausanne, Suisse. Courriel : [email protected] 1088 L A R E V U E D U P R AT I C I E N / 2 0 0 6 : 5 6 Sortie permanente Précontemplation Rechute Maintenance Contemplation Action Décision Figure 1 Stades de préparation au changement. dance, l’ambivalence ne signifie pas la résistance à faire quelque chose, mais plutôt l’expérience d’un conflit psychologique à propos du choix entre deux options possibles. Dans le cas de la dépendance à l’alcool, le conflit apparaît entre les effets positifs et les effets négatifs de l’alcool, ou encore entre les avantages et les inconvénients d’arrêter de boire. L’ambivalence à propos d’un changement de comportement est difficile à résoudre, parce que chaque option du conflit a ses coûts et ses bénéfices. Les réponses de type « oui, mais… » du patient qui reçoit un conseil ont été explorées de manière détaillée. L’hypothèse est apparue que, chez un patient se sentant ambivalent à propos d’un changement de comportement, un effort de persuasion de la part d’un soignant peut générer de la résistance. En d’autres termes, si le praticien argumente en faveur des bénéfices d’un changement en insistant sur les conséquences de la poursuite d’un comportement nuisible pour la santé, le patient prend parti naturellement pour l’autre face de son ambivalence. Il répond « oui, mais… » et argue des difficultés du changement de comportement et des pertes que cela peut engendrer. Ce type d’observation indique que le style du praticien influence notablement la capacité du patient à parler librement de son comportement. La motivation d’un patient au changement peut être influencée favorablement en utilisant une méthode de négociation pour laquelle le patient, et non le praticien, explore les coûts et les bénéfices d’un changement de comportement.2 STADES DE PRÉPARATION AU CHANGEMENT Un autre concept central dans la recherche sur le traitement de la dépendance à l’alcool est celui des stades de préparation au changement. Il décrit une variété d’états motivationnels rencontrés parmi les patients dépendants, partant de ceux qui ne sont pas du tout intéressés au changement (« précontemplation »), en passant par ceux L A R E V U E D U P R AT I C I E N / 2 0 0 6 : 5 6 chez qui l’indécision domine (« contemplation »), jusqu’à ceux qui se préparent au changement (« préparation »). Deux stades ultérieurs indiquent l’état des patients qui ont entamé le changement (« action ») puis ceux qui le maintiennent (« maintenance ») [fig. 1]. Seuls 20 à 30 % des individus qui ont des problèmes d’alcool se trouvent aux stades de l’action, alors que la majorité sont aux stades de la précontemplation et de la contemplation.3 Le concept des stades de préparation au changement est important dans la négociation d’un changement de comportement pour au moins trois raisons. – Le concept aide à expliquer pourquoi des conseils simples ont une efficacité limitée. Si les patients ne sont pas prêts pour l’action (p. ex. au stade de contemplation), ils résistent au conseil parce que le praticien les devance en termes de stade de préparation en assumant qu’ils sont prêts ou qu’ils devraient l’être. On comprend ainsi que la résistance au changement, souvent qualifiée de déni chez les alcooliques, est plutôt le produit de l’interaction de deux personnes qu’une caractéristique propre au patient. C’est comme si la résistance était le signe d’une divergence entre l’agenda de changement du patient et celui du thérapeute, ce dernier ayant tendance à imposer un rythme que le patient n’est pas prêt ou ne se sent pas capable de suivre. – Le concept de stade de préparation souligne le fait que la décision d’un changement de comportement est un processus et non pas un événement ponctuel. Ce processus est constitué d’un mouvement qui, alternativement, rapproche et éloigne du changement de comportement. Ainsi, ce dernier n’est pas nécessairement le seul but utile à poursuivre dans une consultation, la préparation au changement pouvant être prioritaire parfois durant de longues périodes avant qu’il intervienne. CE QUI EST NOUVEAU L La majorité des patients dépendants de l’alcool vus dans les cabinets médicaux ne sont pas prêts à arrêter de boire. L Le concept de stades de préparation au changement est essentiel pour la négociation d’un changement de comportement au cabinet médical. L Le praticien a un rôle déterminant pour permettre au patient dépendant de l’alcool de progresser dans les stades de préparation au changement. L La motivation au changement augmente lorsque c’est le patient, et non le praticien, qui explore les coûts et les bénéfices de l’arrêt de l’alcool. L Le déni reflète une divergence entre l’agenda du changement du patient et celui du praticien, ce dernier ayant tendance à imposer un rythme que le patient n’est pas prêt ou ne se sent pas capable de suivre. 1089 MALADES DE L’ALCOOL C O M M E N T M OT I V E R U N PAT I E N T P O U R Q U ’ I L A R R Ê T E D E B O I R E ? – Le concept de stade de préparation suggère que l’intervention thérapeutique doit être adaptée au degré de préparation au changement de chaque patient. Cela permet d’assurer une meilleure correspondance entre l’agenda du praticien et celui du patient, minimisant l’émergence de la résistance et améliorant notablement l’efficacité des interventions. Le concept de préparation au changement peut être lié à celui d’ambivalence dans un sens clinique utile. Puisque tant de patients sont au stade de la contemplation, les progrès qui vont les mener au stade de la préparation dépendent de l’aide que le thérapeute peut apporter à la résolution de cette ambivalence. C’est à ce défi majeur que l’entretien motivationnel répond (www.motivationalinterview.org).4 COMMENT S’Y PRENDRE ? L’entretien motivationnel s’appuie sur les principes suivants: – potentialiser l’opportunité qui se présente en consultation d’établir le lien entre un problème de santé et le comportement qui y a contribué ; – éviter de dévaloriser le patient en lui « faisant la morale » ; – éviter de mettre en place des buts impossibles à atteindre qui, inévitablement, aboutissent à un sentiment d’échec et de frustration lors de la prochaine consultation; – maximaliser la motivation intrinsèque et valoriser les idées et ressources du patient pour changer de comportement (même si le praticien pense que le patient n’y parviendra pas). Les objectifs de changement de comportement varient en fonction de l’importance que le patient attribue au changement et à sa confiance de le réaliser. Un moyen d’adapter l’intervention au stade de préparation au changement consiste, pour le patient qui se trouve au stade de la précontemplation, à explorer les avantages et les inconvénients de l’alcool ; pour celui qui est au stade de la contemplation, à peser le pour et le contre d’un changement de comportement ; alors que les patients prêts au changement sont orientés vers une discussion sur la manière de procéder. Entrée en matière. – Praticien: « Oui, je constate que votre valeur de GGT est à nouveau au-dessus de la normale. Je me ferais une image plus précise de votre santé si nous pouvions passer quelques minutes à parler de votre consommation d’alcool. Je ne veux certainement pas vous faire la morale, mon but aujourd’hui est plutôt de comprendre un peu plus votre point de vue sur l’alcool. Est-ce que vous seriez d’accord pour que nous abordions cette question quelques minutes? » Le patient répond brièvement de manière positive. – Praticien : « Je vais vous poser deux questions qui vont m’aider à mieux comprendre les choses et je vais vous demander de répondre sur une échelle. Premièrement : quelle importance attribuez-vous aujourd’hui à modifier votre consommation d’alcool ? Si 1 = « aucune importance » et 10 = « très important », quel chiffre donnezvous maintenant ? » (fig. 2) Le patient réfléchit pendant un moment et donne un nombre. – Praticien : « Très bien. Maintenant je vais vous demander la même chose mais à propos de la confiance que vous accordez à votre capacité de modifier votre consommation d’alcool. Si vous décidez de diminuer ou d’arrêter et que 1 = « absolument pas confiant » et 10 = « très confiant », quel nombre donneriez-vous maintenant ? » Si l’importance est basse, les questions suivantes sont utiles. – Praticien: « Vous vous êtes donné un 3 pour l’importance de réduire votre consommation d’alcool. Pourquoi pas 1? » Vont apparaître à ce moment-là les énoncés motivationnels. – Praticien : « Qu’est-ce qui devrait arriver pour que vous progressiez de 3 à 6 ou 7 ? » S’il y a le même problème concernant la confiance, ce même type de questions peuvent être posées sur la confiance (fig. 2). Autre question utile. – Praticien : « Qu’est-ce que je pourrais faire pour vous aider à évoluer de 3 à 6 ou 7 ? » Lorsque l’importance est basse, le patient se sent généralement ambivalent. À ce moment-là, questionner à propos des « pour » et des « contre » de la consommation permet de préciser certains aspects de son ambivalence. Partant du principe que le patient lui-même doit faire sa propre évaluation, le praticien l’invite à énoncer tout ce qu’il aime et ce qu’il aime moins à propos du comportement en question. Après que le patient a listé les aspects positifs, sans l’interrompre ou interpréter ses réponses, le praticien demande quels sont les aspects négatifs. Ensuite, le praticien peut tenter de résumer tant les aspects positifs que les aspects négatifs en restant le plus proche possible des mots que le patient a utilisés, en lui demandant comment il se sent face à ce résumé. – Praticien : « Dites-moi ce que vous aimez à propos de l’alcool ? » Aucune importance/confiance faible 1 2 3 Précontemplation 4 Importance/confiance très élevée 5 Contemplation 6 7 Décision 8 9 Préparation 10 Action Figure 2 Évaluation de l’importance donnée par le patient à sa consommation d’alcool. 1090 L A R E V U E D U P R AT I C I E N / 2 0 0 6 : 5 6 – Patient : « Ah, vous voulez vraiment savoir ce que j’aime à propos de l’alcool ? Le vin m’aide à me relaxer, je l’apprécie. J’ai une vie très stressante, j’aime aussi boire en présence d’amis. » – Praticien : « Bien. Dites-moi maintenant ce que vous aimez moins à propos de l’alcool » – Patient : « Il arrive que ma femme me fasse des reproches à propos de ma consommation, d’avoir mal à la tête le lendemain, d’être un peu inquiet à propos de ma santé. » – Praticien : « D’accord. D’un côté, l’alcool réduit votre stress, il vous permet de vous détendre et joue un rôle dans vos relations sociales. D’un autre côté, il peut arriver que votre épouse vous fasse des reproches et que vous vous fassiez du souci à propos de votre santé. » Face à un patient résistant (déni). Une façon de faire face à la résistance du patient consiste simplement à répéter ou reformuler ce qu’il a dit. Cela l’informe, d’une part que vous l’avez entendu, et d’autre part que vous n’avez pas l’intention d’argumenter avec lui. – Patient : « Je ne peux pas arrêter de consommer, tous mes amis boivent ! » – Praticien : « Arrêter de consommer vous semble presque impossible parce que vous êtes la plupart du temps avec des amis qui boivent. » – Patient : « Oui, c’est ça mais je pourrais peut-être y arriver en… » Une autre manière de faire consiste à amplifier ou à exagérer les propos du patient au point qu’il va relativiser de luimême sa propre argumentation. – Patient : « Je ne peux pas arrêter de consommer, tous mes amis boivent ! » – Praticien : « Ah oui, je vois, vous ne pourriez vraiment pas arrêter parce qu’à ce moment-là vous seriez différent des autres. » – Patient : « Oui, ça me rendrait différent d’eux, quoique ça ne leur ferait pas grand-chose du moment que je leur fiche la paix avec leur consommation. » Ou encore de refléter à la fois les résistances et les éléments motivationnels pour une même perspective de changement. – Patient : « Je ne peux pas arrêter de consommer, tous mes amis boivent ! » – Praticien : « Vous ne voyez pas comment vous feriez pour ne pas boire en présence de vos amis et, en même temps, vous êtes inquiet en constatant les problèmes liés à votre consommation. » – Patient : « Oui, je ne sais pas trop quoi faire. » Une autre façon de diminuer la résistance consiste simplement à changer de sujet. Il est souvent inutile de vouloir dépasser la résistance et, paradoxalement, on avance davantage en n’y répondant tout simplement pas. – Patient : « Je ne peux pas arrêter de consommer, tous mes amis boivent ! » – Praticien : « Vous allez beaucoup trop loin. Je ne suis pas en train de vous parler d’arrêter de boire et je ne crois pas que ce soit vraiment votre objectif en ce moment. Restons-en à évoL A R E V U E D U P R AT I C I E N / 2 0 0 6 : 5 6 P O U R L A P R AT I Q U E L Aborder le sujet sans confrontation, marquant chez le praticien son souhait de comprendre la situation du patient et respecter ses décisions, même si ces dernières vont à l’encontre du bon sens médical. L Explorer l’importance pour le patient de l’arrêt de l’alcool, et augmenter la confiance dans sa capacité d’y parvenir. L Explorer l’importance en demandant quels sont les avantages et les inconvénients de l’alcool. L Négocier des objectifs atteignables. quer ensemble ce que signifie pour vous votre consommation, les choses bonnes et moins bonnes qu’elle vous apporte, et plus tard nous verrons ce que vous comptez faire. » Le patient est responsable des choix et des actions qu’il entreprend et l’intervenant le soutient dans ses efforts. Soutenir le sentiment d’efficacité personnelle, c’est affirmer au patient qu’il a la capacité de changer, élément motivationnel important pour le succès d’un changement. Il n’existe pas de « bonne » ni de « mauvaise » façon de procéder pour changer ; c’est la créativité propre à chaque personne qui est en jeu. Une méthode efficace pour soutenir le patient dans sa capacité d’arrêter de boire consiste à s’enquérir des changements constructifs antérieurs qu’il est parvenu à réaliser. Le partage des expériences antérieures réussies aide à démontrer que le changement est possible. – Patient : « Je suis incapable d’arrêter de boire. » – Praticien : « Vous avez pourtant déjà arrêté de boire plusieurs mois… » L’intervenant encourage le patient à trouver ses propres solutions aux problèmes évoqués, notamment en l’amenant à explorer les contradictions entre ce qu’il est et ce qu’il aimerait être. Le travail motivationnel consiste à révéler ces contradictions et à être le partenaire extérieur du dialogue intérieur que cette contradiction génère. – Thérapeute : « Donc, d’un côté vous ne voyez pas pourquoi vous vous arrêteriez de consommer alors que votre patron vous exploite sans tenir ses promesses d’augmentation de salaire, et d’un autre côté ça vous travaille beaucoup que votre fils de 10 ans vous ait traité d’ivrogne. » – Patient : « Ça m’a fait mal, car je ne veux pas que mon fils souffre de mon problème. » – Thérapeute : « Cela semble très important pour vous. » – Patient : « Bien sûr, c’est très important pour moi. » CONCLUSION En qualité de médecin, nous sommes quotidiennement confrontés à des patients qui ne sont pas des partenaires idéaux de la promotion de leur santé : ils fument, boivent, mangent trop et ne prennent pas toujours leurs médicaments… Chacun développe son style dans la manière de conseiller les patients avec des résultats souvent frus1091 MALADES DE L’ALCOOL C O M M E N T M OT I V E R U N PAT I E N T P O U R Q U ’ I L A R R Ê T E D E B O I R E ? trants. L’application de l’entretien motivationnel à la médecine de premier recours est une conception modélisée du conseil médical.5 Ce modèle constitue l’outil qui permet dorénavant d’optimiser l’enseignement du conseil médical dans les facultés de médecine. Sa description et son application ont permis d’en établir l’efficacité de manière scientifiquement rigoureuse. Bien entendu, cet article n’a pas la prétention de se substituer à un apprentissage pratique. L’application de l’entretien motivationnel en médecine doit impérativement faire l’objet d’une formation spécifique. Ces formations se déroulent en général sur deux jours. En France, des efforts de promotion de la pratique de l’entretien motivationnel sont poursuivis dans le cadre de l’Association francophone de développement de l’entretien motivationnel ([email protected]). Les ouvrages de références actuellement disponibles sont en anglais.4, 6, 7 B L’auteur n’a pas transmis de déclaration de conflits d’intérêts. SUMMARY Motivational interviewing to help patients stop drinking Helping patients to change behavior concerning their drinking is a common task in primary care. This article examines the limitations of using the approach of giving advice and identifies concepts and methods, which offer the promise of improving the quality and effectiveness of consultations about alcohol use. The central role of ambivalence in alcohol dependent patients is explored and practical solutions to resolve ambivalence are described, considering the stages of change model. Rev Prat 2006 ; 56 : 1088-92 RÉSUMÉ Comment motiver un patient pour qu’il arrête de boire ? Aider les patients à réduire leur consommation d’alcool constitue une tâche courante en médecine générale. Certaines limites sont rencontrées par les cliniciens lorsqu’ils conseillent à leurs patients de réduire ou d’arrêter complètement toute consommation d’alcool. L’amélioration de la qualité et de l’efficacité des discussions avec un patient qui boit trop est un premier objectif. Le rôle de l’ambivalence dans l’alcoolo-dépendance est abordé ou expliqué. Des solutions sont envisagées pour l’explorer et la résoudre, tenant compte notamment du stade de préparation au changement. RÉFÉRENCES 1. Wallace P, Cutler S, Haines A. Randomized controlled trial of general practitioner intervention in patients with excessive alcohol consumption. BMJ 1988;297:663-8. 2. Rollnick S. Comments on Dunn et al. The use of brief interventions adapted from motivational interviewing across behavioral domains: a systematic review. Addiction 2001;96:1769-75. 3. Rumpf HJ, Hapke U, Meyer C, John U. Motivation to change drinking behavior: comparison of alcohol-dependent individuals in a general hospital and a general population sample. Gen Hosp Psych 1999;21:348-53. 4. Miller WR, Rollnick S. Motivational interviewing: Preparing people for change. New York: Guilford Press, 2002. 5. Miller WR. Combined Behavioral Intervention manual: A clinical research guide for therapists treating people with alcohol abuse and dependence. COMBINE Monograph Series, (Vol.1). Bethesda, MD: National Institute on Alcohol Abuse and Alcoholism. DHHS No. 045288, 2004. manual: A clinical research guide for therapists treating individuals with alcohol abuse and dependence. Rockville, MD: National Institute on Alcohol Abuse and Alcoholism, 1992. 7. Rollnick S, Mason P, Butler C. Health behavior change: a guide for practitioners. Edimbourg: Churchill Livingstone, 1999. 6. Miller WR, Zweben A, DiClemente CC, Rychtarik RG. POUR EN SAVOIR PLUS Motivational Enhancement Therapy Dossier LE CONCOURS MÉDICAL Femmes enceintes : LECONCOURS ON O objectif medical « zéro alcool » 23 mai 2006 23 mai 2006 n° 19/20 FORMATION PROFESSIONNELLE CONTINUE ENTRETIEN Philippe Lamoureux et Philippe Guilbert Les inégalités de santé s’accentuent MISE AU POINT Quels cancers dépister ? Prothèses endocoronaires actives Larmoiement de la personne âgée L’infection, facteur de thrombose veineuse VIE PROFESSIONNELLE ALCOOL Erreur de diagnostic prénatal : faut-il indemniser l’enfant handicapé ? Prévenir le syndrome d’alcoolisation fœtale Sanctionner un salarié pour un fait de sa vie privée DOSSIER TOME 128 - 705 à 780 • ISSN 0010-5309 • Publication quinzomadaire 1092 www.concoursmedical.com RHERBY D, SUBTIL D, URSO BAIARDO L. (Le Concours Médical 2006; 128 [19-20]:818-21) LA REVUE DU PRATICIEN MÉDECINE GÉNÉRALE 29 mai 2006 RECHERCHE en médecine générale Étude originale Repérage précoce et intervention brève auprès des consommateurs excessifs d’alcool : mobiliser efficacement les généralistes Étude de trois méthodes de promotion du repérage précoce et de l’intervention brève (TMP) par Philippe Michaud, Patrick Fouilland, Anne-Violaine Dewost, Julie Abesdris, Stella de Rohan, Samir Toubal, Isabelle Grémy, Guillaume Fauvel, Nick Heather. [email protected] RÉSUMÉ : Objectif : le programme « Boire moins c’est mieux » (BMCM) de l’ANPAA a proposé à 550 médecins généralistes en 2003 de se former pour pratiquer le repérage précoce et l’intervention brève (RPIB) en médecine générale. Il a utilisé à cette fin l’appel téléphonique au cabinet, une proposition de rémunération et une campagne médiatique dans l’environnement immédiat des médecins. L’objectif de l’étude était d’évaluer l’intérêt respectif de ces trois méthodes. Méthode : la méthode de mobilisation témoin était le courrier. L’appel téléphonique a été utilisé en sus du courrier pour un médecin sur deux, suivant un tirage au sort préétabli. L’encouragement financier (de 2 euros par questionnaire rempli, et 10 euros par IB délivrée) a été utilisé lors d’une deuxième sollicitation des médecins à se former. La mobilisation communautaire n’a eu lieu que dans le seul site de Saint-Quentin-en-Yvelines. Le critère principal de jugement était la participation effective aux soirées de formation. Les critères secondaires étaient l’inscription aux formations et l’activité de RPIB après formation. Résultats : l’appel téléphonique a multiplié par 7 le nombre des participants aux formations, en comparaison avec l’effet du seul courrier (p < 10-7) ; il n’a pas eu d’effet propre sur l’activité de RPIB après formation. La rémunération epuis 1980, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) mène une action résolue en faveur de la réduction de la consommation dangereuse d’alcool, qu’elle distingue de l’alcoolisme en rappelant que la moitié des décès prématurés dus à l’alcool concernent des personnes non dépendantes.1 Le repérage des consommateurs à risque ou à problèmes peut s’appuyer sur des questionnaires comme l’AUDIT2-4 ou le FACE.5 Ce repérage doit atteindre la totalité de la population exposée au risque alcool, mais le « cœur de cible » est, jusqu’à présent, la population adulte entre 20 et 65 ans, tranche d’âges où la consommation excessive d’alcool s’accompagne le plus souvent de conséquences à long terme. Dans cette perspective de masse, les acteurs des soins primaires sont les mieux placés, notamment les médecins généralistes (qui reçoivent au moins une fois par an 80 % de la population adulte) et, en France, les médecins du travail (qui suivent 14 millions de salariés). L’OMS s’est particulièrement intéressée aux généralistes parce qu’ils peuvent légitimement D 2 a eu un puissant effet sur le niveau d’activité de RPIB (p = 10-4), mais son annonce n’a pas eu d’effet sur les inscriptions, et n’a pratiquement pas modifié l’effet du contact téléphonique. La fraction de la population ayant bénéficié d’un acte de repérage a été doublée dans le site avec action communautaire (p < 10-7). Conclusion : un simple appel téléphonique est particulièrement efficace pour augmenter le nombre de médecins formés. La stimulation financière amène un niveau d’activité très proche d’un repérage systématique. L’approche communautaire augmente de façon significative la part de la population dépistée. Étude originale : Repérage précoce et intervention brève auprès des consommateurs excessifs d’alcool : mobiliser efficacement les généralistes ? Rev Prat Med Gen 2006;20:000-0. intervenir auprès de leurs patients qui se mettent en danger avec l’alcool en réalisant une intervention brève (IB).6 L’efficacité de cette dernière est telle qu’elle est aujourd’hui considérée comme l’intervention alcoologique qui a le plus grand intérêt pour la santé publique.7 L’obstacle à franchir pour en percevoir l’apport est cependant de taille : il faut aider les généralistes à s’approprier ce nouvel outil professionnel, ce qui implique qu’ils se débarrassent de leurs tabous et de leurs inhibitions, toujours très intenses quand on aborde les sujets alcool et alcoolisme.La formation des médecins généralistes et des médecins du travail au RPIB n’est pas très difficile. De plus, elle semble remarquablement productive en termes de changements de comportements professionnels.8, 9 Toute la difficulté réside donc dans l’attrait que les formations offertes pour acquérir cette nouvelle compétence peuvent exercer sur les médecins auxquels elles sont proposées. Aujourd’hui, les généralistes reçoivent presque chaque semaine une nouvelle recommandation concernant une « priorité » ; il est humain MICHAUD P, PATRICK FOUILLAND P, DEWOST AD, ET AL. (Rev Prat Med Gen 2006;20: à paraître) L A R E V U E D U P R AT I C I E N - M É D E C I N E G É N É R A L E . T O M E 2 0 . N ° 0 0 0 / 0 0 0 D U 0 0 X X X X X X X X X 2 0 0 6 L A R E V U E D U P R AT I C I E N / 2 0 0 6 : 5 6 monographie Modalités du sevrage alcoolique La plupart des sevrages alcooliques peuvent se faire en ambulatoire, à condition d’évaluer le risque de survenue d’une complication qui peut imposer une hospitalisation. Le traitement médicamenteux, non systématique, associe hydratation, vitaminothérapie et éventuellement des benzodiazépines à demi-vie longue, prescrites de façon décroissante sur 7 jours. François Vabret * L’ alcoolisme est une maladie fréquente dont la prévalence a été plusieurs fois évaluée par différentes études de population. On estime ainsi que, en France, un consultant sur cinq en médecine ambulatoire aurait une maladie liée à son alcoolisation.1 De même, en milieu hospitalier et selon les études, entre 15 et 25 % des patients ont un mésusage d’alcool.2 Chez les patients dépendants, il est admis que le passage par l’abstinence, même si cette dernière ne constitue pas forcément un but en soi, est une étape importante. Elle leur permet d’expérimenter leur existence sans effet de l’alcool, et de tester leurs capacités à rester sans boire. Le sevrage se définit comme une période qui suit immédiatement l’arrêt de l’alcoolisation. La médicalisation du sevrage en fait un élément thérapeutique indiscutable s’inscrivant dans la prise en charge de l’alcoolo-dépendance. DÉFINITION CONCEPTUELLE DU SEVRAGE Il existe souvent une confusion entre le sevrage et la « cure de désintoxication », cette dernière se réduisant souvent, en particulier en milieu hospitalier, à la première étape qu’est le sevrage alcoolique. Or, le sevrage n’est qu’un temps du traitement de l’alcoolo-dépendance, qu’il soit réalisé dans l’urgence, le patient ou son entourage réclamant parfois instamment une prise en charge immédiate, ou de façon programmée. La demande de sevrage se répartit de façon inégale entre le patient et son entourage. On peut être amené à réaliser avec les malades des sevrages itératifs en dépit du souhait réel de ce dernier. Outre leur côté inefficace, de telles procédures peuvent être délétères pour le patient en favorisant la survenue de complications,3 et renforcer leur dépendance. A contrario, les complications sont moins fréquentes en médecine ambulatoire du fait de l’échappement possible du patient au sevrage.4 Il faut donc garder présent à l’esprit que le sevrage est thérapeutique : – s’il est réalisé dans des conditions de confort et de sécurité maximales ; – s’il est associé à un temps de convalescence suffisant ; – s’il s’accompagne d’une ambiance relationnelle qui permette au sujet dépendant de l’alcool d’associer bien-être et abstinence ; – s’il s’effectue avec l’accord exprimé du patient. * Unité d’alcoologie, CHU de Caen, 14033 Caen Cedex. Courriel : [email protected] L A R E V U E D U P R AT I C I E N / 2 0 0 6 : 5 6 1093 MALADES DE L’ALCOOL M O DA L I T É S D U S E V R A G E général avant 24 heures, et sont parfois très rapidement présents, parfois même alors que le taux d’alcoolémie n’est pas encore nul. L’existence d’une alcoolémie positive concomitamment à un syndrome de sevrage est un élément devant faire redoubler de vigilance. Ces symptômes apparaissent rarement après 72 heures suivant la dernière ingestion d’alcool. Leur apparition retardée au-delà de cette durée est néanmoins possible (jusqu’à 4 jours).8 Des symptômes retardés peuvent être imputés éventuellement au sevrage alcoolique en cas d’arrêt d’alcoolisation à partir d’une alcoolémie initiale élevée, lorsque des bêtabloquants, des benzodiazépines, ou des médicaments anesthésiques ont été administrés au moment de l’arrêt de l’alcool (p. ex. lors d’interventions chirurgicales réalisées en urgence chez les patients alcoolisés). Ces symptômes isolés, ou plus souvent associés, dont l’intensité combinée permet de décrire l’intensité du syndrome, se définissent en : – syndrome adrénergique neurovégétatif (tremblements, sueurs, tachycardie, hypertension artérielle, nausées, parfois vomissements, voire hyperthermie) ; – troubles neuropsychiques mineurs (anxiété, irritabilité, troubles du sommeil) ou parfois plus intenses (agitation, confusion, attaque de panique, hallucinations). L’évaluation de ces symptômes est à la base d’un outil d’utilisation simple, performant et reproductible : le score de Cushman (tableau 1).9 Il est sensible et suffisamment spécifique.10 Ce score est considéré comme minime de 0 à 7, moyen de 8 à 14, important de 15 à 21. Chez les patients sous bêtabloquants, il n’est considéré comme minime que jusqu’à 6.11 Il est possible de s’aider à nouveau de ce score pour la mise en route du traitement en élaborant un arbre décisionnel (tableau 2). L’évaluation du score de Cushman doit être régulière pour suivre l’évolution du sevrage ; la première évaluation doit être faite en tenant compte de l’horaire de la dernière consommation d’alcool. La fréquence des évaluations cliniques est fonction de la disponibilité du malade et du soignant. Elle est plus fréquente en milieu hospitalier, QUEL SEVRAGE POUR QUEL MALADE ? Le sevrage peut être réalisé dans l’urgence médico-chirurgicale lorsque, hospitalisés, les patients n’ont pas de boissons alcooliques à leur disposition, ou plus simplement lorsqu’ils sont immobilisés à leur domicile ou en villégiature et qu’ils n’ont pu prévoir d’avance des boissons alcoolisées. Ces sevrages sont de fréquents pourvoyeurs de complications, car insuffisamment anticipés. Le sevrage peut être contraint : il s’agit pour l’essentiel de patients incarcérés. La contrainte légale de ces incarcérations est parfois remplacée dans la vie quotidienne par la demande de l’entourage qui pose des ultimatums. Le sevrage peut être programmé : il s’agit du seul sevrage ayant un sens alcoologique. Il semble le meilleur gage d’un résultat, s’il s’inscrit dans une démarche visant à placer l’étape de l’arrêt de l’alcoolisation dans une stratégie sur le moyen et le long terme. CLINIQUE DU SYNDROME DE SEVRAGE Le sevrage s’accompagne chez les patients dépendants de l’alcool d’un syndrome clinique qui fait partie lui-même de la définition de cette dépendance comme l’ont défini les travaux d’Edwards et Gross,5 à l’origine des classifications de la CIM 10 (Classification statistique internationale des maladies et des problèmes de santé connexes) ou du DSM IV (Diagnostic and statistical manual of mental disorders). On décrit, aux deux extrêmes du syndrome, des signes mineurs de sevrage qui s’observent chez environ 50 % des patients dépendants de l’alcool, dans les heures qui suivent l’arrêt de l’absorption des boissons alcooliques 6,7 et des accidents graves compliquant le sevrage luimême, comme le delirium tremens ou les crises convulsives. Ces complications constituent souvent une évolution du sevrage, rapide et redoutable du fait de leur dangerosité. Les symptômes observés dans le sevrage alcoolique ne sont pas des symptômes spécifiques. Ils apparaissent dans les premières heures après l’arrêt de l’alcoolisation, en Score de Cushman Le score est considéré comme minime de 0 à 7*, moyen de 8 à 14, important de15 à 21 0 1 2 3 Pouls 쏝 80 81 à 100 101 à 120 쏜 120 Pression artérielle systolique 쏝 135 136 à 145 146 à 155 쏜 155 Fréquence respiratoire 쏝 16 16 à 25 26 à 35 쏜 35 Tremblements 0 Main en extension Membres supérieurs Généralisés Sueurs 0 Paumes Paume, front Généralisées Agitation 0 Discrète Généralisée Incontrôlable Troubles sensoriels 0 Gêne bruit lumière Hallucinations critiquées Hallucinations non critiquées Tableau 1 * 0 à 6, si traitement bêtabloquant. 1094 L A R E V U E D U P R AT I C I E N / 2 0 0 6 : 5 6 Arbre décisionnel en ambulatoire ÉVALUATION INITIALE PAR LE SCORE DE CUSHMAN ❚ Score minime (0 à 7)* CHOIX DU TRAITEMENT ❚ Traitement de base per os ❚ Antécédents de crise convulsive ❚ Hospitalisation ou de delirium tremens ❚ Score moyen (8 à 14) ❚ Hospitalisation ❚ Score sévère (15 à 21) ❚ Hospitalisation : réanimation Tableau 2 Pour le calcul du score de Cushman, voir tableau 1. * 0 à 6 si traitement bêtabloquant. dans l’idéal toutes les 4 heures, voire plus fréquemment dans les 24 premières heures, elle est plus espacée en médecine ambulatoire, une évaluation à 24 heures étant souvent la plus précoce. Cette évaluation peut être faite sur la base d’un entretien téléphonique ou avec l’aide de l’entourage. MODALITÉS PRATIQUES DU SEVRAGE ALCOOLIQUE : AMBULATOIRE OU RÉSIDENTIEL Selon notre pratique, d’une part la fréquence des contre-indications au sevrage ambulatoire est nettement plus importante que ce chiffre de 10 %, et d’autre part le choix des modalités de traitement du sevrage est fortement influencé par les attentes des patients qui sont souvent in fine maîtres de la décision. Ainsi, les patients veulent être hospitalisés lorsqu’ils attendent du séjour en institution : – le fait d’être à l’écart physiquement des stimulations d’alcool ; – la recherche d’un bénéfice secondaire de l’hospitalisation (obtention d’un certificat) ; – le fantasme du côté magique d’une admission à l’hôpital ; – ou du fait de leur ambivalence qui s’exprime par le fait d’être en situation de sevrage sans pour autant s’engager à ne plus consommer d’alcool. Au contraire ils souhaitent être sevrés en ambulatoire lorsqu’ils attendent : – de pouvoir rester dans leurs conditions habituelles de vie; – qu’ils ne perçoivent pas la difficulté du sevrage ; – ou encore lorsqu’ils craignent les techniques de sevrage en milieu hospitalier. TRAITEMENT DU SYNDROME DE SEVRAGE Deux modalités du sevrage coexistent : le mode ambulatoire correspondant à un protocole de soins à domicile,12 le mode résidentiel dans un service hospitalier ou en centre spécialisé.13 Ce dernier a longtemps fait figure de référence. Les alternatives ambulatoires se sont développées depuis une vingtaine d’années, notamment pour des raisons économiques, mais aussi pour permettre un accès à cette modalité d’aide moins contraignante aux patients dépendants. Chacune de ces méthodes a des avantages et des inconvénients.14-16 Des essais cliniques randomisés ont établi une efficacité identique à moyen et à long terme du sevrage ambulatoire comparé au sevrage résidentiel,17 mais des études en cours tentent d’isoler les éléments distincts des différentes modalités tels que la sécurité de chaque méthode (fréquences des incidents de sevrage) et le coût réel global comparé. En revanche, l’indication d’une hospitalisation (contre-indication du sevrage ambulatoire) a été déterminée dans le cadre de la conférence de consensus de 1999 sur le sevrage alcoolique.18 Les contre-indications du sevrage ambulatoire peuvent être retenues comme des indications électives au sevrage résidentiel (tableau 3). Dans les études descriptives déjà publiées, les deux critères d’exclusion les plus retenus au sevrage ambulatoire sont l’existence d’accidents antérieurs de sevrage 19 ou un syndrome de sevrage cliniquement sévère témoignant d’une forte alcoolo-dépendance.20 En respectant strictement l’ensemble des critères, les auteurs considèrent que seuls 10 % des patients ne peuvent être sevrés de façon ambulatoire. L A R E V U E D U P R AT I C I E N / 2 0 0 6 : 5 6 L’empathie à la mise en route du traitement, l’explication des symptômes du sevrage et de l’utilisation des médicaments sont les éléments fondamentaux de la sécurité du traitement. Le traitement du sevrage alcoolique correspond à la réduction des symptômes désagréables pour le patient et la prévention des complications de sevrage. Compte tenu de la relative rareté des formes de sevrage compliquées, il n’est pas légitime de proposer un traite- Contre-indication ou non-indication au sevrage ambulatoire Alcoologiques ❚ Dépendance physique sévère (score 쏜 8) ❚ Antécédents de delirium tremens ou de crise convulsive Somatiques ❚ Affections somatiques aiguës ❚ Complication sévère de l’alcoolisme (dénutrition, hépatite alcoolique…) Psychiatrique ❚ Syndrome dépressif sévère associé (jugement clinique) ❚ Affection psychiatrique connue et évolutive Environnementales ❚ Demande pressante de l’entourage (familial, social, judiciaire…) ❚ Entourage non coopérant ou patient en situation d’isolement social sévère Tableau 3 1095 MALADES DE L’ALCOOL M O DA L I T É S D U S E V R A G E Exemple d’ordonnance de sevrage Nom et prénom : . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Date de naissance : . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . a) Arrêter le . . . . . . . . . . . . ., brutalement, toutes boissons alcoolisées (҃ J0)* b) Boire de l’eau ou jus de fruit, tisane, etc. : à volonté** � Diazépam, cp 10 mg*** : schéma décroissant en tenant compte des recommandations suivantes : — en cas d’endormissement, ne pas rattraper au réveil une prise manquée — en cas de tremblement et/ou de sueurs importantes, appeler le médecin — prises entre parenthèses : optionnelles, en cas d’angoisse ou de tremblement DATE 8H 10 H 12 H 15 H 18 H 20 H 22 H Le . . . . . . .(J Ҁ1) 0 0 0 0 0 0 1 Le . . . . . . . .(J0) 1 1/2 0 (1) 1/2 0 1 Le . . . . . . . .(J1) 1 0 1/2 0 0 (1) 1 Le . . . . . . . .(J2) 1/2 0 1/2 0 1/2 0 1 Du . . . . . . . .(J3) au . . . . . . . . . .(J6) 1/2 0 0 0 0 0 1 Le . . . . . . . .(J7) 0 0 0 0 0 0 1 Arrêt du traitement à J8 � Vitamine B1-B6 : 2 cp matin et midi, pendant 21 jours � Zopiclone : en cas d’insomnie, 1 cp au coucher pendant 7 jours * Boissons alcoolisées : cidre, vin, bière, apéritifs, digestifs, liqueurs, pastis… ** Au minimum 2 à 3 litres de liquide par jour, en limitant le café. *** L’utilisation de comprimés dosés à 5 mg, selon le même schéma, est possible en cas de dépendance physique plus modeste ou d’effet sédatif trop important. ment systématique à tous les patients. Une attitude ciblée semble la plus opportune pour minimiser au maximum les risque de complications chez les patients à risque.21 Pour l’American Society of Addiction Medicine, 22 les indications du traitement psychotrope sont (patient à risque de développer une complication de sevrage) : – un score de sevrage moyen ou élevé (supérieur à 7) ; – des antécédents de crise comitiale ou de delirium tremens ; – une comorbidité somatique significative. Le traitement repose sur l’utilisation concomitante d’une hydratation, avec vitaminothérapie, associées à un traitement éventuel par benzodiazépines. Prescription de benzodiazépines Cette classe de médicaments a montré son efficacité thérapeutique, à la fois pour réduire la gravité du syndrome, diminuer l’incidence des crises convulsives et des delirium tremens.22 La conférence de consensus a validé l’utilisation des benzodiazépines en première intention.18 L’utilisation préférentielle d’une benzodiazépine plus qu’une autre n’a pu être démontrée, mais l’usage de médi1096 caments de longue demi-vie est licite pour éviter les phénomènes de rebond lors de la décroissance des doses (p. ex. le clorazépate dipotassique, le diazépam dont les demi-vies sont de 30 à 90 heures) et les phénomènes d’abus. Il n’y a jamais de justification à utiliser concomitamment plusieurs benzodiazépines. L’utilisation de ces médicaments à demi-vie longue chez les patients ayant une insuffisance hépatocellulaire, ou âgés, expose au risque de sédation ou de décompensation hépatique ; c’est dans ce cas que l’utilisation de l’oxazépam (demi-vie de 8 à 10 heures) peut être recommandée. Règles générales La voie orale est la plus simple à utiliser et elle est aussi performante que la voie intraveineuse dès lors que l’absorption est possible. Elle est souvent la seule voie utilisable en ambulatoire. La voie intraveineuse est parfois nécessaire en cas d’agitation, de non-coopération, d’hydratation impossible ou insuffisante. Le traitement est en général administré à heure fixe, à dose décroissante. La prudence est recommandée pour la mise en route des traitements en cas d’alcoolémie positive L A R E V U E D U P R AT I C I E N / 2 0 0 6 : 5 6 Arbre décisionnel en milieu hospitalier SCORE INITIAL CHOIX DU TRAITEMENT RÉÉVALUATION 4 HEURES SI OK ❚ Score 쏝 8, pas d’antécédents de crises convulsives ou de delirium tremens ❚ Traitement classique ❚ Poursuite traitement en diminution ❚ Score 쏝 8, avec antécédents de crises convulsives ou de delirium tremens ❚ Traitement de charge ❚ Poursuite traitement classique per os ❚ Puis diminution quand score 쏝 8 ❚ Score 쏜 8 ❚ Traitement de charge ❚ Poursuite traitement classique par voie intraveineuse ❚ Puis diminution quand score 쏝 8 ❚ Score 쏜 15 ❚ Réanimation Tableau 4 lors de l’évaluation des symptômes, justifiant une réévaluation rapide des symptômes (décroissance moyenne de l’alcoolémie au sevrage de 0,20 g/L/h). La décroissance des doses de médicaments peut être anticipée dans les prescriptions, mais uniquement après amélioration objective des symptômes (réévaluation du score de Cushman). Le sevrage alcoolique se déroulant en général sur une semaine, il n’est pas nécessaire de prolonger au-delà la prescription de psychotropes. En ambulatoire La date de l’arrêt de l’alcoolisation (début du sevrage) est négociée avec le patient, et n’est pas forcément celle de la consultation médicale. Éviter le démarrage du sevrage juste avant un événement festif pour le patient. Les doses sont adaptées en fonction de l’heure du dernier verre, de l’intensité supposée de la dépendance (intervalle de temps entre le lever et l’heure de la première prise de boisson alcoolique), de l’intensité du syndrome de sevrage lors des dernières expériences de sevrage (v. encadré). Une réévaluation au moins téléphonique est souhaitable à J1, un nouvel examen entre J3 et J5 est conseillé. Ce CE QUI EST NOUVEAU L Le sevrage hospitalier n’est qu’une option parmi d’autres. L Si la surveillance médicale d’un sevrage alcoolique est nécessaire, le traitement médicamenteux n’est pas systématique. L Il existe des outils de mesure validés permettant d’évaluer la gravité d’un syndrome de sevrage alcoolique (score de Cushman). L L’attitude de prévention des complications du sevrage alcoolique peut être ciblée autour des patients à risque, ou ayant un score de sevrage élevé. L A R E V U E D U P R AT I C I E N / 2 0 0 6 : 5 6 type de procédure est rarement compatible avec la poursuite de l’activité professionnelle et la prescription d’un arrêt de travail de 7 jours est souvent nécessaire. Le patient doit être prévenu que la conduite automobile est déconseillée. Dans la majorité des cas, les symptômes sont contrôlés avec des doses assez faibles de benzodiazépines : 30 à 40 mg/j de diazépam, 100 à 150 mg/j d’oxazépam, 150 à 200 mg de clorazépate dipotassique, avec une diminution progressive des doses sur une durée totale de 7 jours. En institution Le traitement peut être le même qu’en ambulatoire, mais la dose de benzodiazépines est mieux adaptée sur la base d’une évaluation répétée du score de Cushman. Celui-ci doit être évalué dès l’arrivée du patient aux urgences, dans le service et consigné dans le dossier avec les heures de son calcul. Une nouvelle évaluation toutes les 4 heures, voire plus souvent, peut être nécessaire initialement. Le traitement peut être adapté selon un arbre décisionnel (tableau 4). L’utilisation de doses de charge (non conseillée en pratique ambulatoire) est possible en cas de franchissement de la limite de 8 au score de Cushman (p. ex. 6 fois 10 mg de diazépam répartis sur les 6 premières heures, sauf en cas d’endormissement). Cette pratique a pour but l’obtention d’un état calme et de contrôle des symptômes du sevrage alcoolique en évitant les surdosages éventuels (pouvant être responsables de détresse respiratoire). La réévaluation clinique est faite au plus tard après 6 heures d’évolution pour juger de la poursuite ou non et des éventualités du passage aux doses d’entretien à dose décroissante. Lorsque le score de Cushman est élevé (supérieur à 15), la prise en charge passe par la réanimation, le but objectif du traitement étant d’obtenir un coma calme, par l’utilisation d’une benzodiazépine intraveineuse à fortes doses. Le flunitrazépam ou le midazolam sont en général utilisés, sans que l’on puisse dégager des doses standardisées. 1097 MALADES DE L’ALCOOL M O DA L I T É S D U S E V R A G E P O U R L A P R AT I Q U E L La prise en charge des personnes dépendantes de l’alcool est L L L L fréquente, tant en médecine ambulatoire qu’à l’hôpital, mais seule une partie de ces personnes requiert un traitement médicamenteux. Le syndrome de sevrage alcoolique est un ensemble de signes non spécifiques témoignant d’une alcoolo-dépendance objective. Le syndrome de sevrage alcoolique peut évoluer vers une forme sévère, avec crises convulsives et delirium tremens, parfois mortels sans traitement adapté. Une attitude ciblée en fonction de la situation clinique et étayée par des mesures de la gravité et de l’évolution du syndrome de sevrage permet d’adopter une stratégie individualisée. L’utilisation de benzodiazépines avec hydratation et vitaminothérapie a été validée dans le traitement du syndrome de sevrage alcoolique, tant en ambulatoire qu’en résidentiel, mais avec des stratégies légèrement différentes. Traitements associés L’hydratation L’apport hydrique n’est pas, en soi, un moyen d’influencer la gravité du syndrome de sevrage, même si les premières descriptions du traitement du delirium tremens plaçaient l’hydratation comme tel. Il existe, en revanche, une déshydratation quasi systématique chez les patients dépendants de l’alcool ainsi que des perturbations de la sensation de soif, qui justifient la stimulation de l’hydratation et la mesure des quantités consommées, en général per os et en utilisant des bouteilles de 1,5 L d’eau avec un conseil de une à deux bouteilles minimum par 24 h. Une hydratation intraveineuse est normalement suffisante en perfusant une solution salée (4 g de sodium et 2 g de potassium par litre) de 2 L/24 h (en l’absence de signe d’insuffisance cardiaque), et une hyperhydratation doit être surveillée par ionogramme (risque d’hyponatrémie à l’origine éventuellement d’une confusion mentale interférant avec le tableau du sevrage). L’hypokaliémie parfois observée se corrige par l’apport de magnésium (sulfate de magnésium) avec surveillance de l’électrocardiogramme et non par l’apport direct de potassium. La vitaminothérapie Thiamine : devant la grande prévalence des déficits en thiamine (vitamine B1) chez les sujets dépendants de l’alcool (carence d’apport, diminution de l’absorption intestinale, diminution de la phosphorylation de la thiamine en thiamine pyrophosphate), il est licite d’administrer à titre prophylactique et systématiquement la vitamine B1. En revanche, il n’existe pas actuellement d’indication préférentielle pour conseiller une voie d’administration ou une 1098 durée optimale de ce traitement. Il est habituel d’utiliser des doses de 500 mg/j de thiamine, per os sur une période 10 à 20 jours ; la voie parentérale est préférée lorsqu’il y a altération de l’état général, dénutrition ou signes cliniques évocateurs d’une encéphalopathie de Gayet-Wernicke. Vitamine PP, pyridoxine, acide folique : le tableau clinique d’encéphalopathie pellagreuse chez le patient alcoolique est rare, mais les déficits en vitamine PP fréquents, se combinant aux signes de déficit en vitamine B1 et justifient l’utilisation de 500 mg/j de vitamine PP en cas de dénutrition, durée optimale de traitement non définie. Le déficit en vitamine B6 peut être responsable de crises convulsives conduisant à une utilisation associée des vitamines B1 et B6 de façon systématique. La prescription d’acide folique est à discuter systématiquement chez la femme enceinte. Autres psychotropes L’alcool est souvent utilisé par les patients (et malheureusement aussi parfois par les médecins !) à doses dégressives pour limiter les effets du sevrage. Il n’y a aucune indication validée d’une telle utilisation. Les carbamates : le méprobamate est très employé en France, mais son action préventive dans le syndrome de sevrage n’a jamais été démontrée ; il ne s’agit donc pas d’un traitement adapté. Les neuroleptiques : la chlorpromazine et l’halopéridol réduisent les symptômes de sevrage, mais les phénothiazines ne préviennent pas, voire augmentent, le risque de crise convulsive. Leur utilisation est plutôt réservée aux troubles du comportement ou aux phénomènes hallucinatoires associés à un syndrome de sevrage sévère. CONCLUSION Le sevrage alcoolique est une première étape souvent nécessaire pour établir une communication avec le patient dépendant de l’alcool et réaliser avec lui des projets d’amélioration de la qualité de vie. Une prise en charge adéquate apporte confort et sécurité au patient, en évitant la survenue de complications qui sont potentiellement létales. Les modalités peuvent différer selon le mode de prise en charge, ambulatoire ou institutionnelle. La diversité des situations cliniques justifie l’adoption de protocoles basés sur l’évaluation des sujets à risque et l’utilisation rationnelle des médicaments du sevrage. Les moyens pharmacologiques à disposition sont nombreux et efficaces pour prévenir les complications du sevrage alcoolique. Le sevrage seul est rarement suffisant pour traiter la dépendance alcoolique, mais il facilite la mise en place d’un suivi thérapeutique. B L’auteur n’a pas transmis de déclaration de conflits d’intérêts. L A R E V U E D U P R AT I C I E N / 2 0 0 6 : 5 6 SUMMARY Alcohol withdrawal syndrome: managing and treatment protocol The period immediately after breaking alcohol for alcohol dependent patients is marked by several pathologies troubles like withdrawal syndrome. Taking charge therapeutic of withdrawal is made to limit the severity of this withdrawal syndrome to prevent complications and guarantee a transition toward an accompaniment in abstinence. An attitude based on measuring the withdrawal syndrome and risk factors is effective to limit eventual complications. The detoxification can be realised in ambulatory or in hospital depending on different modes, with specifies indications for hospitalization. The patient preference intervenes often in the mode of choice for the method. An attentive surveillance clinical, benzodiazepine, hydration and vitamin therapy are essential for good alcohol withdrawal. Rev Prat 2006 ; 56 : 1093-9 RÉSUMÉ Modalités du sevrage alcoolique La période qui suit immédiatement l’arrêt de l’alcool chez les personnes dépendantes de l’alcool peut être marquée par diverses complications dont la plus connue est le syndrome de sevrage. La prise en charge thérapeutique du sevrage a pour but de limiter sa gravité, de prévenir ses complications et d’assurer une transition vers l’accompagnement dans l’abstinence. Une attitude ciblée autour de l’évaluation du syndrome de sevrage et des facteurs de risques est efficace pour en limiter les complications. Le sevrage peut être réalisé en ambulatoire ou à l’hôpital selon des modalités légèrement différentes, avec des indications spécifiques pour l’hospitalisation. La préférence du patient intervient souvent de façon déterminante dans le choix de la méthode. Surveillance clinique attentive, benzodiazépines, hydratation et vitaminothérapie sont les bases d’un sevrage alcoolique réussi. RÉFÉRENCES 1. 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Objectifs, indications et modalités du sevrage du patient alcoolodépendant. Conférence de Vos préférences* NCOlURS LE CO dica 23 mai 19/20 2006 n° ION FORMAT IONNELLE PROFESS E CONTINU me IEN ENTRET reux e Lamou Philipp e Guilbert et Philipp santé alités de Les inég ent s’accentu POINT MISE AU ers Quels canc ? dépister s Prothèse naires actives endocoro ent Larmoiemonne âgée de la pers , facteur L’infection se veineuse mbo de thro FORMATION MÉDICALE CONTINUE DOSSIER ALCOOL drome ir le syn e LE VIE SIONNEL PROFES nostic de diag Erreur : faut-il prénatal er ? indemnis handicapé l’enfant rié er un sala tionn Sanc fait pour un privée de sa vie Préven sation fœtal d’alcooli - 705 TOME 128 à 780 • ISSN 0010-53 09 • Publicat l.com ursmedica www.conco adaire ion quinzom Pas obligatoires, juste nécessaires ! * Indices d’intérêt les plus élevés • La Revue du Praticien : 5.5 • Le Concours Médical : 5.3 (Données Cessim) Huveaux France - 114, avenue Charles-de-Gaulle - 92200 Neuilly-sur-Seine - Tél. : 01 55 62 68 00 - Fax : 01 55 62 69 11 - E-mail : [email protected] L A R E V U E D U P R AT I C I E N / 2 0 0 6 : 5 6 1099 monographie Maintien de l’abstinence après le sevrage Après le sevrage, un projet de maintien de l’abstinence doit être systématiquement proposé aux patients dépendants de l’alcool, car les deux tiers en tirent un bénéfice. Ce projet associe au minimum un suivi médical et 1 ou 2 médicaments d’aide au maintien de l’abstinence, mais il peut aussi inclure une psychothérapie ou le soutien d’un groupe d’entraide. Philippe Batel, Sylvain Balester-Mouret * « S’ arrêter de boire » n’est pas la panacée du traitement de la dépendance à l’alcool, ce n’est que son préalable. Ainsi le sevrage, quelle qu’en soit la modalité (ambulatoire ou résidentielle) ou la durée, n’est qu’une étape préparatoire au changement à long terme du comportement. « Quitter l’alcool », « s’en tenir à distance », « ne pas reboire » seraient des objectifs à long terme plus pertinents, à deux conditions toutefois : qu’ils soient davantage considérés comme des moyens d’améliorer sa qualité de vie (psychique, physique, relationnelle) que des buts et, surtout, que le coût pour le patient (efforts à faire, pénibilité) reste le plus faible possible afin d’optimiser la pérennisation des bénéfices acquis. De ce fait, la stratégie thérapeutique doit s’inscrire sur un accompagnement à long terme du patient dépendant de l’alcool qui serait moins fixé sur les résultats (consommation d’alcool) obtenus que sur les moyens (personnels et thérapeutiques) mis en œuvre pour y parvenir. La durée théorique de l’abstinence recommandable est infinie ; néanmoins, quel que soit le niveau de préparation des patients à cette idée d’une abstinence définitive, très peu d’entre eux se sentent capables de renoncer. Ainsi, il appa- raît plus judicieux de fractionner cette éternité apparemment inatteignable en proposant des échéances plus raisonnables et renouvelables à terme. Un nombre considérable d’études ont montré que l’efficacité de stratégies diverses dans l’indication « maintien du sevrage » est faible, la grande majorité des patients rechutant dans les trois mois qui suivent le sevrage (40 à 90 %). Néanmoins, les évaluations divergent selon les critères diagnostiques utilisés pour définir la rechute. En recherche alcoologique, deux positions sont généralement défendues : – la première, rigoureuse, considère comme seul critère de jugement l’abstinence totale et continue (chaque verre bu qualifie la rechute) ; – la seconde, plus descriptive, différencie deux types de reprise de l’alcoolisation ; celles qui marquent à l’évidence dans un délai plus ou moins court la reprise du processus de dépendance sur les aspects qualitatifs et quantitatifs de la consommation d’alcool (rechute) ; et les patients dont la consommation (quantitativement inférieure à 5 verres/j pour les hommes et 3 pour les femmes) marque plus une défaillance temporaire ou partielle du dispositif de * Traitement ambulatoire des maladies de l’alcool, hôpital Beaujon, 92110 Clichy. Courriel : [email protected] 1100 L A R E V U E D U P R AT I C I E N / 2 0 0 6 : 5 6 maintien. Peu de données sont disponibles pour juger de la stabilité à long terme de ce bénéfice partiel du projet d’abstinence constitué par ces consommations intermédiaires ; le risque de retour vers une consommation nocive était généralement équivalent à celui d’une stabilisation ou d’une abstinence. OBJECTIF ET STRATÉGIES En pratique il convient, au terme du sevrage, d’aider le patient à se déterminer sur un projet d’abstinence le plus accompli (« le plus proche de zéro verre ») possible et circonscrit dans le temps. Ainsi, une bonne façon de procéder en intégrant les outils de l’entretien motivationnel est de demander au patient sur quelle période il se considère aujourd’hui suffisamment capable de se maintenir abstinent. Un pari aux termes définis (objectif et échéance), plus qu’un contrat, peut être ainsi établi avec lui. Le médecin n’en est pas seulement un témoin privilégié ; il est le guide et le conseiller du projet d’abstinence en proposant (comme un menu thérapeutique) divers moyens thérapeutiques pour aider à sa réalisation dans les meilleures conditions. La fréquence des rechutes est présentée au patient, non pas comme un risque élevé d’échec au projet d’abstinence, mais comme un incident fréquent qui signe une difficulté à maintenir celle-ci, accessible à une aide qu’il convient alors de trouver ensemble. Les modalités des traitements d’aide au maintien de l’abstinence, leurs effets secondaires et leurs mécanismes d’action (quand ils sont élucidés) sont explicités aux patients. Si la plupart d’entre eux sont compatibles, certains ne peuvent être simultanés (p. ex. interférence des différents types de psychothérapies) et certains ne sont pas disponibles sur l’ensemble du territoire. Enfin, l’adhésion a priori du patient à une technique peut s’avérer rapidement source de désillusion dès les premières expériences. Ainsi, il est nécessaire de reconsidérer chaque fois, tout au long du suivi, la pertinence adaptée du projet. Nous listerons ici les cinq principaux types d’approches et donnerons, chaque fois que cela est possible, des éléments de validation de leurs efficacités générale et spécifique (indications préférentielles). Les psychothérapies Les multiples techniques psychothérapiques utilisées dans l’accompagnement du malade dépendant de l’alcool sont souvent inspirées de celles indiquées dans les troubles mentaux. D’autres sont plus spécifiques aux addictions comme les techniques motivationnelles développées par Miller et al. 1 et conduisent le patient à s’engager dans la première étape de la prise en charge ; elles peuvent cependant être utilisées à n’importe quel moment au cours des étapes du changement modélisées par Prochaska et al., notamment 2 lors des rechutes pour redynamiser l’investissement du patient dans un processus L A R E V U E D U P R AT I C I E N / 2 0 0 6 : 5 6 d’abstinence (v. page 1088). La psychothérapie de soutien est plus couramment utilisée. Ne requérant pas de formation particulière, elle s’appuie sur une attitude empathique prudente, sans implication personnelle et associant un renforcement positif de tout progrès.3 En pratique, il est important de maintenir un contact avec le patient par tous les moyens personnalisés (téléphone, courrier, courriel, SMS [short message service] ) y compris lors de son absence au cours du suivi. Les psychothérapies d’inspiration analytique chez les malades de l’alcool ont été prépondérantes dans les décennies 1960 et 1970. Leur principe est de résoudre les conflits inconscients qui pourraient jouer un rôle dans la genèse de la maladie alcoolique. L’accessibilité du sujet à un travail d’introspection et sa détermination à s’engager dans un traitement de longue haleine sont autant d’aptitudes requises pour poser ce type d’indication. La mise en route du travail psychothérapique s’effectue après une période de préparation et est facilitée par l’abstinence du sujet. L’évaluation de ce type de traitement est difficile. Il semble raisonnable de le proposer aux patients chez qui un trouble névrotique est repéré. Enfin, des modèles adaptés de thérapies cognitives et comportementales ont été développés. Effectuées en individuel ou, mieux encore, dans des groupes de patients, le principe général est de modifier la conduite du sujet vis-àvis de l’alcool par des procédures de désensibilisation et de renforcement positif vers une attitude de sobriété ou d’abstinence. Durant la phase d’accompagnement, deux types de techniques sont particulièrement intéressants : 1. la reconnaissance des principales situations à risque de rechutes ; 2. l’affirmation de soi. L’évaluation individuelle de ces méthodes est compliquée par l’utilisation simultanée au sein de protocoles complexes. Il semble toutefois que leur efficacité soit meilleure chez les consommateurs à risque que chez les patients dépendants de l’alcool. Enfin, une analyse récente de 26 études suggère que l’efficacité chez les patients alcoolo-dépendants serait limitée aux patients dont la dépendance est peu sévère, engagés dans un programme de traitement structuré.4 Les médicaments De très nombreux psychotropes (anxiolytiques, antidépresseurs, neuroleptiques, thymorégulateurs, antipsychotiques) ont été prescrits aux malades dépendants de l’alcool dans le but d’améliorer leur pronostic d’abstinence. L’hypothèse de leur efficacité reposait sur le postulat du caractère « secondaire » de l’alcoolo-dépendance à un trouble psychopathologique dont la correction était supposée entraîner de facto la disparition du trouble de l’alcoolisation. Hélas! Ces stratégies se sont avérées majoritairement infructueuses. Néanmoins, la prescription de médicaments peut être utile, comme l’a recommandé la conférence de consensus sur le maintien de l’abstinence.5 Deux familles de médicaments se distinguent dans cette 1101 MALADES DE L’ALCOOL M A I N T I E N D E L’A B S T I N E N C E A P R È S L E S E V R A G E CE QUI EST NOUVEAU L La durée initiale d’abstinence après le sevrage est définie L L L L L L à l’avance par le malade sur la base probabiliste de son appréciation de sa capacité à la maintenir sur une période donnée. La prolongation du projet d’abstinence à l’échéance de la période initiale est systématiquement proposée et débouche sur le renouvellement du pari sur une nouvelle période dans la majorité des cas. Les « paris » d’abstinence se renouvellent annuellement à échéances de loin en loin. Le patient fait le choix des composantes de son projet thérapeutique d’accompagnement parmi l’ensemble des outils thérapeutiques qui lui sont présentés. Toute reprise de l’alcoolisation n’est pas une rechute. Si des consommations intermédiaires stables ne sont pas considérées comme telles, elles sont souvent instables et doivent inciter à un retour vers l’abstinence ou une vigilance accrue. Les deux médicaments d’aide au maintien de l’abstinence actuellement sur le marché (Aotal et Revia) peuvent être associés. Le séjour en postcure n’est pas systématique; les indications spécifiques concernent les patients sévères, désocialisés, en grande difficulté avec leur entourage ou atteints de troubles cognitifs importants. indication par leur stratégie d’action : celles utilisant une stratégie en aval de la bouteille et visant à créer une dissuasion comportementale par la menace aversive d’un effet antabuse ; les autres, les médicaments d’aide au maintien de l’abstinence (MAMA), se situant en amont de la bouteille en agissant sur les phénomènes de l’envie de boire. Médicaments à effet antabuse Le disulfirame (Esperal [Antabuse aux États-Unis]) est le pionnier des traitements pharmacologiques spécifiques en alcoologie. Utilisé depuis les années 1940 dans le traitement de la dépendance à l’alcool, son action pharmacologique permet l’inhibition de l’acétaldéhyde-déshydrogénase, une des enzymes clés du métabolisme de l’alcool. En cas de consommation d’alcool, l’accumulation d’acétaldéhyde sanguine provoque des symptômes déplaisants (flush au niveau du visage et du cou, nausées, vomissements, palpitations, dyspnée, diminution de la pression artérielle, parfois lipothymie). L’association de ces symptômes avec la consommation d’alcool est destinée à décourager de nouvelles alcoolisations en créant une réaction aversive par feedback négatif. Cependant, l’observance du traitement souvent très médiocre (20 à 50 % selon les études), la négativité des essais randomisés de grande envergure et l’existence d’une toxicité (neurologique et hépatique) combinée au risque d’exposition à 1102 des complications potentiellement graves (notamment cardiovasculaires) en cas d’ingestion d’alcool ont conduit les experts alcoologues à ne pas recommander le disulfirame en première intention.5 Des stratégies multiples (implant, supervision, association à des thérapies comportementales) visant à augmenter l’observance ont été évaluées; les résultats semblent meilleurs dans ces conditions. Il est difficile de recommander ce traitement à long terme, compte tenu de sa toxicité hépatique et neurologique. Médicaments d’aide au maintien de l’abstinence Développés depuis l’identification des mécanismes neurobiologiques de l’envie de boire et du renforcement, de nombreux médicaments destinés à limiter la consommation d’alcool ont été testés sur des modèles animaux validés. Seuls deux d’entre eux ont donné, à ce jour, des résultats suffisamment positifs chez l’homme pour obtenir une autorisation de mise sur le marché (AMM) dans l’indication : « aide au maintien de l’abstinence » (v. tableau). ● Acamprosate Molécule proche de la taurine (agoniste du récepteur GABA [acide gamma-amino-butyrique]), l’acamprosate (Aotal) inhibe, par son effet sur les récepteurs NMDA (N-méthyl-D-aspartate) et la diminution de la fonctionnalité des canaux calciques, l’hyperexcitabilité neuronale retrouvée lors du sevrage et du post-sevrage chez les sujets dépendants de l’alcool. Des données récentes semblent confirmer cet effet neuroprotecteur au cours de la période de sevrage et inviteraient à démarrer le traitement précocement. Les contre-indications de ce traitement sont peu nombreuses (insuffisance rénale sévère et allergie documentée). Les effets indésirables, peu fréquents, se résument à des désordres gastro-intestinaux qui régressent la plupart du temps spontanément. Les résultats de nombreux essais randomisés européens et nord-américains ont été évalués dans des métaanalyses. Sur de longues périodes de traitement et de suivi (supérieures ou égales à un an), l’acamprosate apporte un bénéfice pour 4 à 6 patients sur 10 traités en termes de maintien de l’abstinence (réduction du nombre de jours d’alcoolisation et allongement du délai jusqu’à la reprise de l’alcoolisation).6, 7 Si l’effet est jugé limité, il est stable et peut être augmenté en association aux autres médicaments avec le disulfirame et la naltrexone.8, 9 ● Naltrexone La naltrexone (Revia) est un antagoniste spécifique des récepteurs aux opiacés ; elle réduit chez l’animal les comportements d’alcoolo-préférence. Ce traitement est destiné à réduire le risque de rechute après sevrage par blocage compétitif des récepteurs opioïdes, s’opposant ainsi au renforcement positif induit par les opioïdes endogènes produits lors de la consommation d’alcool. Plusieurs études randomisées contre placebo ont démontré l’intérêt de ce produit sur la plupart des critères envisagés : amélioL A R E V U E D U P R AT I C I E N / 2 0 0 6 : 5 6 ration du taux d’abstinence à 12 semaines de suivi, réduction du risque de rechute après sevrage (même en cas de reprise de l’alcoolisation). Les rechutes, lorsqu’elles surviennent, sont plus tardives et moins sévères (réduisant le nombre et l’intensité des reprises).10 L’efficacité de la naltrexone semble due à une diminution des envies de boire (appétence ou craving) limitant ainsi le risque de retour vers une consommation excessive, même en cas de reprise de l’alcoolisation. Deux méta-analyses des essais randomisés démontrent un effet globalement positif dans la diminution du taux de rechute et l’amélioration du taux d’abstinence. La qualité de l’observance du traitement est discutée, d’autant qu’elle semble conditionner son efficacité.11 La rareté des études confirmant l’efficacité de la molécule sur des durées plus longues (supérieures ou égales à 6 mois) a limité à ce jour l’AMM en France à trois mois, et ne permet pas encore de déterminer la durée optimale théorique du traitement. Les effets indésirables sont peu nombreux et bénins (nausées, vertiges) en début de traitement et cette molécule doit être déconseillée aux patients souffrant d’une insuffisance hépatique sévère. ● Stratégies d’association Il semble exister un réel bénéfice à associer la prescription des deux médicaments d’aide au maintien de l’abstinence sur le marché : l’acamprosate et la naltrexone.12 Une étude randomisée a comparé le devenir de quatre groupes de patients dépendants de l’alcool en post-sevrage placés sous les quatre conditions (placebo ; naltrexone ; acamprosate ; acamprosate et naltrexone) sur trois critères : amélioration du taux d’abstinence, prévention de la rechute, et diminution du craving (défini comme le besoin irrépressible de consommer). Le bénéfice est significativement en faveur de l’association pour la totalité des paramètres étudiés en comparaison avec le placebo et l’acamprosate seul. L’association semble faire mieux que la naltrexone seule sans pour autant atteindre la significativité.13 Si ces résultats étaient confirmés par d’autres essais, la prescription combinée des deux molécules serait à recommander en première intention. Bien que les patients susceptibles de bénéficier de l’une, de l’autre ou de l’association de ces molécules soient encore en cours d’identification, certains auteurs recommandent leur association.13-15 Médicaments du maintien de l’abstinence après le sevrage NALTREXONE (REVIA) ACAMPROSATE (AOTAL) Indication ❚ Traitement de soutien dans le maintien ❚ Aide au maintien de l’abstinence chez le patient de l’abstinence chez les patients dépendants de l’alcool dépendant de l’alcool après sevrage ❚ La naltrexone n’est pas un traitement de la période de sevrage Posologie ❚ 1 comprimé par jour ❚ 쏜 60 kg : 6 comprimés par jour en 3 prises ❚ 쏝 60 kg : 4 comprimés par jour en 2 prises Durée ❚ 3 mois (en l’absence de données cliniques pour des durées supérieures) ❚ 1 an Effets indésirables ❚ Nausées ❚ Vomissements ❚ Céphalées ❚ Insomnie, anxiété, nervosité, crampes et douleurs abdominales, asthénie, douleurs articulaires et musculaires ❚ Diarrhées et, moins fréquemment, nausées, vomissements et douleurs abdominales ❚ Érythème maculopapuleux Contre-indications ❚ Dépendance aux opiacés (risque d’apparition ❚ Insuffisance rénale (créatininémie > 120 µmol/L) ❚ Hypersensibilité connue à l’acamprosate d’un syndrome de sevrage aigu) ❚ Hypersensibilité à la naltrexone ou à l’un des excipients ❚ Insuffisance hépatocellulaire sévère ou hépatite aiguë ❚ Sujet de plus de 60 ans Recommandations ❚ Débuter après la phase de sevrage alcoolique à 1/2 cp par jour durant les 3 premiers jours (diminue le risque d’intolérance) ❚ Associer à la prise en charge psychologique ❚ Une reprise de l’alcoolisation épisodique ne contre-indique pas le maintien du traitement ❚ Instaurer dès que possible après l’arrêt de la consommation d’alcool, y compris durant la période de sevrage ❚ Associer à la prise en charge psychologique ❚ Une reprise de l’alcoolisation épisodique ne contre-indique pas le maintien du traitement Tableau L A R E V U E D U P R AT I C I E N / 2 0 0 6 : 5 6 1103 MALADES DE L’ALCOOL M A I N T I E N D E L’A B S T I N E N C E A P R È S L E S E V R A G E ● Molécules prometteuses Plusieurs molécules sont actuellement à l’étude dans le traitement de la dépendance à l’alcool après le sevrage. Une forme injectable à libération prolongée de naltrexone, garantissant une meilleure observance, a montré son efficacité dans le maintien de l’abstinence à 6 mois ; 16 son agrément par la Food and Drug Administration aux États-Unis est en cours. Antagoniste sérotoninergique pourvu d’un puissant effet antiémétique, l’ondansétron (Zophren) a montré une efficacité dans le maintien de l’abstinence à court (6 semaines) et à moyen terme (12 semaines).17 Le topiramate (Epitomax) est un antiépileptique permettant de réduire, par un mode d’action indirect, la libération de dopamine au niveau méso-cortico-limbique. Une étude récente (randomisée contre placebo) a montré son intérêt pour réduire la consommation d’alcool et favoriser l’abstinence de manière significative.18 Enfin, le rimonabant est un antagoniste du récepteur cannabinoïde CB1 dont les résultats sur des modèles animaux sont très prometteurs. Les traitements médicamenteux doivent être proposés plus fréquemment aux patients dépendants de l’alcool, car ils sont une aide précieuse et reconnue comme efficace dans la prise en charge pour réduire le risque de rechute et aider au maintien de l’abstinence. On ne peut que recommander leur prescription systématique, en association avec la prise en charge médicale, sociale et psychologique. Leur prescription est recommandée au décours immédiat du sevrage physique. Néanmoins, des données chez l’animal, et précliniques chez l’homme, sont en faveur d’un rôle neuroprotecteur de l’acamprosate qui inviterait à le prescrire au cours du sevrage physique, voire avant. Les groupes d’entraides Des associations de malades dites « néphalistes » apportent au patient un soutien précieux à l’aide, le plus souvent, d’un programme par étapes progressives lui permettant d’accéder à un état de bien-être dans l’abstinence. Les bases théoriques de ces associations sont très variables, et leur allure quasi confessionnelle peut provoquer d’importantes résistances a priori ou lors du premier contact. Cependant, la référence à Dieu dans le mouvement « Alcooliques Anonymes » (le plus répandu) n’est qu’un moyen spirituel de signifier la limite de la condition humaine pour résoudre son problème et à en appeler à un « être supérieur » que chacun investira selon ses croyances. Dans notre expérience, il est impossible de distinguer à l’avance les « bons candidats » des « allergiques primaires » à ce type de prise en charge. Cependant, de nombreux patients réticents à un suivi médical, rassurés par la rencontre avec des semblables et soutenus par l’entraide mutuelle s’y investissent beaucoup. Ainsi, il apparaît légitime de proposer systématiquement à un sujet dépendant de l’alcool 1104 de se rendre à une réunion proche de son domicile pour se faire une idée par lui-même. Les adresses des réunions les plus proches sont disponibles sur le site Internet (www.alcooliquesanonymes.fr); il convient de se procurer les lieux, dates de rencontres et éventuels contacts des associations de son quartier d’exercice professionnel en les reportant sur une feuille d’information à remettre aux patients. Ces données doivent être remises périodiquement à jour, compte tenu de la labilité de certains groupes. L’établissement d’un contact de qualité avec un membre de l’association permet un lien plus direct et personnalisé qui peut optimiser le « transfert » du patient. L’accompagnement de l’entourage La dépendance à l’alcool n’est pas une maladie contagieuse, mais la souffrance qu’elle génère se propage par continuité à l’ensemble de l’entourage professionnel et familial. Ce trouble comportemental fixé perturbe en effet considérablement les relations avec les proches, en induisant, le plus souvent au fil du temps, des réactions très ambivalentes dans des registres aussi divers que la protection, le rejet, l’incompréhension, la compassion, la tolérance, la colère, l’abandon, le soutien, la menace, la complicité, l’isolement, la violence, le partage de la culpabilité, la suspicion, etc. Bien souvent, ces schémas relationnels s’entrecroisent et finissent par se stabiliser dans une relation difficile, agrémentée de crises conflictuelles, et protégée par des attitudes de déni le plus souvent réciproque, permettant de rendre vivable (donc de pérenniser) un enfer quotidien. La prise de contact avec un soignant, souvent suscitée, suggérée, voire exigée, par l’entourage, est souvent l’occasion « d’une mise au point » au cours de laquelle le médecin est rapidement mis dans une position des plus inconfortables, sommé de jouer à la fois les rôles de policier, de juge d’instruction, de témoin, d’avocat, de procureur, de « prescripteur » d’abstinence et d’« assureur » de son maintien… L’épouse inquiète tente de se glisser dans la consultation, physiquement ou par téléphone, pour vérifier, compléter les déclarations du patient ou même s’y substituer. Parfois, l’abstinence, enfin obtenue de grande lutte, déclenche paradoxalement une crise familiale importante en déstabilisant les rôles préalablement distribués de coupable persécuteur (le patient) et de victime persécutée (le conjoint) ; il n’est pas rare que ce renversement de situation conduise à des attitudes paradoxales de l’entourage qui favorisent inconsciemment la rechute. Dans ce véritable piège interrelationnel, il est indispensable pour le médecin de défendre sa place de soignant, en invitant l’entourage du patient à se rendre à un groupe d’informations et de paroles comme il en existe dans certains centres d’alcoologie ou au sein de mouvements d’entraide (groupe Alanon pour les Alcooliques Anonymes, groupe Entourage pour le mouvement Croix d’or). Enfin, les enfants d’un parent dépendant de l’alcool vivent très difficilement la maladie de celui-ci. Ils se trouvent bien L A R E V U E D U P R AT I C I E N / 2 0 0 6 : 5 6 P O U R L A P R AT I Q U E L La recommandation d’une abstinence la plus complète et la plus longue possible reste l’objectif idéal du traitement de la dépendance à l’alcool. L Le projet d’abstinence est mis en place avec le patient plus sur la forme d’un pari que d’un contrat. L Les modalités des traitements d’aide au maintien de l’abstinence, leurs effets secondaires et leurs mécanismes d’action (quand ils sont élucidés) sont exposés aux patients pour qu’ils puissent faire un choix. L Le projet minimal associe un suivi médical un an après le sevrage (bimensuel au cours du premier trimestre et mensuel au cours des trois autres trimestres) et la prescription d’un médicament d’aide au maintien de l’abstinence. souvent dans un conflit de loyauté à soutenir le « bon parent » contre le « mauvais parent ». Lorsqu’elle est exprimée, la souffrance de l’entourage renforce la culpabilité des malades. Des groupes de soutien aux enfants se sont mis en place dans certains centres ; Alaten (du mouvement Alcooliques Anonymes) accueille les adolescents. Le dispositif résidentiel : cure, post-cure, séjours de consolidation L’étape résidentielle est longtemps restée centrale dans le schéma de référence du traitement de dépendance à l’alcool, soit comme lieu de réalisation du sevrage (la cure), soit dans sa consolidation (la post-cure). Le développement et la validation des stratégies ambulatoires devraient permettre de redéfinir clairement les indications des séjours résidentiels de post-sevrage.19 La durée de séjour des options résidentielles dans des établissements spécialisés dépend, avant tout, du contenu des programmes de soins dispensés et de leur orientation. Très schématiquement, les séjours « courts » proposent des soins de « cure » organisés sur 3 à 4 semaines et axés sur la mise en commun des expériences lors de réunions de groupe, d’ateliers spécifiques (senteurs, vidéo, écritures), de séances plus informatives sur les mécanismes de la dépendance et les effets délétères sur la santé et des thérapies plus spécifiques (comportementales, séances de relaxation, transactionnelles, etc.). Au cours de ces séjours courts, un bilan somatique systématique est pratiqué. Les séjours longs (ou « post-cure ») de plusieurs mois (3 à 6) proposent des programmes plus orientés sur la réinsertion sociale (réapprentissage des horaires), la réhabilitation narcissique et corporelle (activité sportives, relaxation, etc.) et l’intervention de représentants de groupes d’entraide. Certains centres ont développé des programmes spécifiques pour des populations spécifiques (les femmes, les patients polydépendants) ou pour des comorbidités partiL A R E V U E D U P R AT I C I E N / 2 0 0 6 : 5 6 culières (troubles cognitifs, comorbidités psychiatriques). Peu de travaux ont évalué l’efficacité de ces séjours. Les résultats d’essais cliniques randomisés comparant des durées variables de séjours ne plaident pas pour une efficacité supérieure des séjours longs sur les séjours courts chez des patients non sélectionnés.20-23 Il est en revanche très probable que certains patients bénéficient d’hospitalisations longues.24 Enfin, des hospitalisations de jour permettent d’accompagner le patient dans la phase de post-sevrage immédiate ; le rapport coût-effiacité de cette méthode semble supérieur à une hospitalisation classique ou à un suivi ambulatoire.25, 26 CONCLUSION À l’issue du sevrage, le soignant en charge du projet thérapeutique d’un sujet dépendant de l’alcool doit inscrire l’aide thérapeutique dans une perspective de partenariat à long terme, compte tenu de la persistance prolongée du risque élevé de rechute. Pour ce faire, il peut utiliser, selon l’offre de soins disponible, ses habitudes et le degré d’alliance du patient, un arsenal très diversifié. Parmi celui-ci, les grandes options stratégiques sont ambulatoires ou résidentielles. Le défaut de validation, à ce jour, d’indications préférentielles des « stratégies lourdes » incite à ne les réserver qu’aux patients dans un état sévère. Une approche psychothérapique apparaît indispensable pour permettre au patient de s’installer dans son processus d’abstinence et à en tirer tous les bénéfices. Une aide médicosociale peut être apportée pour reconstruire les dégâts de la dépendance. Les mouvements d’entraide peuvent s’avérer d’une utilité précieuse pour accompagner certains patients très réticents à une approche médicale. La comorbidité psychiatrique, souvent associée à la dépendance à l’alcool, doit être repérée précocement et traitée spécifiquement, en raison du risque important de rechute qu’elle fait courir. Enfin, la prescription d’un ou de deux médicaments d’aide au maintien de l’abstinence optimise les résultats de l’accompagnement et doit être systématiquement recommandée. Il est indispensable de se rappeler que, quelles que soient les stratégies thérapeutiques (médicamenteuses, entraides, psychothérapiques, familiales…), les études évaluant le pronostic de la dépendance à l’alcool traitée à un an post-sevrage rapportent : un tiers de patients n’ayant tiré aucun bénéfice des traitements, un tiers ayant tiré un bénéfice complet (abstinence accomplie associée à des améliorations majeures dans les domaines somatiques, psychiques, relationnels), et un dernier tiers ayant tiré un bénéfice incomplet ou séquentiel avec des améliorations mineures. Au final, deux tiers des patients dépendants de l’alcool tirent un bénéfice de leurs traitements ; le praticien peut-il prendre la responsabilité de ne pas mettre en place de traitement chez les seuls 20 % d’entre eux qui viennent le consulter ? B 1105 MALADES DE L’ALCOOL M A I N T I E N D E L’A B S T I N E N C E A P R È S L E S E V R A G E SUMMARY Maintaining abstinence after alcohol detoxification “To quit drinking” is not the panacea of alcohol dependence treatment; it is only its first step. Abstinence should be considered more as a mean than a purpose of the after-withdrawal cares. The frequent resistance of the alcoholic patient to undertake in a long term abstinence can be by-passed by suggesting to fix himself renewable terms for periods during which he feels rather confident to raise the bet of a “most accomplished possible” abstinence. To facilitate the realization and the preservation of this abstinence in the best conditions (potentiation of the profits and minimization of the difficulties), a “therapeutic menu” will be proposed to the patient besides a “minimum plan” containing a medical follow-up over one year, with variable frequency of visits according to the evolution and the prescription of one or two anti-craving drugs registered. Psychotherapies using different techniques as Cognitive Behavioural Therapy, group therapy or psychoanalysis could be proposed after a necessary clarification to the patients of the mechanism of action of each and the waited profits. In the final, two thirds of the patients with alcohol dependence fire in one year a profit of their treatments; the practitioner takes, actually, no risk and should propose systematically a project to the only 20% of them who come to consult him. Rev Prat 2006 ; 56 : 1100-6 RÉSUMÉ Maintien de l’abstinence après le sevrage « S’arrêter de boire » n’est pas la panacée du traitement de la dépendance à l’alcool, ce n’est que son préalable. L’abstinence devrait être considérée plus comme un moyen que comme le but des traitements après le sevrage. La résistance fréquente d’un patient dépendant de l’alcool pour s’engager dans une abstinence définitive peut être contournée en lui proposant de fixer lui-même des échéances renouvelables pour des périodes au cours desquelles il se sent assez confiant pour relever le pari d’une abstinence la plus accomplie possible. Afin de faciliter la réalisation et le maintien de cette abstinence dans les meilleures conditions (potentialisation des bénéfices et minimisation de la pénibilité), un « menu thérapeutique » est proposé au patient en plus d’un « plan minimal » contenant un suivi médical sur un an, à fréquence variable selon l’évolution, et la prescription d’un ou de deux médicaments d’aide au maintien de l’abstinence. Des psychothérapies utilisant des techniques différentes, le soutien d’un groupe d’entraide et l’accompagnement de l’entourage sont des options thérapeutiques dont il faut expliquer au patient le mécanisme d’action et les bénéfices attendus. Au final, deux tiers des patients dépendant de l’alcool tirent à un an un bénéfice de leurs traitements ; le praticien prend en fait peu de risques à proposer systématiquement un projet aux seuls 20 % d’entre eux qui viennent le consulter. RÉFÉRENCES 1. Miller WR, Benefield RG, Tonigan JS. 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L A R E V U E D U P R AT I C I E N / 2 0 0 6 : 5 6 monographie Le patient alcoolique : quelle est la responsabilité juridique du médecin ? Face aux conséquences sociales de l’alcoolisme, le médecin doit-il faire primer la protection de l’individu ou celle de la collectivité ? L’analyse montre que sa responsabilité juridique découle avant tout de ses diverses obligations à l’égard de son patient et, dans certains cas, de celles imposées par la loi dans l’intérêt des tiers. Jérôme Franck * L a maladie alcoolique est une pathologie complexe ayant des conséquences médicales, psychologiques et sociales. Les médecins sont naturellement compétents pour prendre en charge les dimensions médicale et psychologique de ce fléau. Quant à la dimension sociale, c’est officiellement l’État, à travers la politique de Santé publique, qui l’assume : la troisième partie du code de la Santé publique, intitulée Lutte contre les maladies et dépendances 1 prévoit ainsi que l’État organise et coordonne la prévention et le traitement de l’alcoolisme, prenant à sa charge les coûts financiers qui y ont trait. Mais, exception faite des dispositifs légaux concernant la conduite en état d’ivresse et la réglementation des débits de boissons, force est de constater l’absence de dispositif spécifique visant à prendre en charge les conséquences sociales de l’alcoolisme. La tendance est plutôt inverse : le décret de mai 20032 relatif aux droits des malades a supprimé de notre ordonnancement juridique la procédure qui permettait de pallier le silence souvent gardé par la famille et le voisinage sur les agissements dangereux de l’alcoolique, par un dépistage judiciaire ou administratif des alcooliques dangereux, qui pouvait aboutir au placement de ces derniers dans des centres de cure. En l’absence de dispositif spécifique concernant les conséquences sociales de l’alcoolisme, tels les risques de fautes professionnelles, les violences à l’égard des membres de la famille, les risques multiples d’accidents, etc., les victimes pourraient être tentées de rechercher des responsabilités au-delà de l’auteur direct des dommages. Or, le médecin, en tant qu’interlocuteur professionnel alerté de l’état alcoolique, peut-il être considéré comme responsable indirect des dommages qui seraient causés par un patient, qui, sous l’empire de l’alcool, commettrait des agissements répréhensibles ? À la prise en charge médicale et psychologique tendrait ainsi à s’ajouter la responsabilité de gérer, au moins en * Avocat à la cour, 111, boulevard Pereire, 75017 Paris. Courriel : [email protected] L A R E V U E D U P R AT I C I E N / 2 0 0 6 : 5 6 1107 MALADES DE L’ALCOOL Q U E L L E E S T L A R E S P O N S A B I L I T É J U R I D I Q U E D U M É D EC I N ? CE QUI EST NOUVEAU L Depuis la loi du 4 mars 2002, le malade s’est vu expressément reconnu le droit de refuser des soins. L Depuis l’abrogation par le décret du 21 mai 2003 des dispositions anciennes permettant le placement des personnes souffrant d’un état alcoolique (anciens articles L.351-1 à L.35-4 du code de la Santé publique), le patient alcoolique ne peut être hospitalisé d’office que lorsqu’il est atteint de troubles mentaux susceptibles de compromettre la sûreté des personnes ou portant atteinte, de façon grave, à l’ordre public. partie, la dimension sociale de la maladie ? Les médecins, qui assument déjà la lourde responsabilité d’apporter à leurs patients les soins personnels adaptés, se trouvent souvent démunis face à ce rôle qui sort du contrat de soin le liant au patient. La pression est en effet considérable. Selon l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), plus de 5 millions de Français ont une consommation excessive d’alcool ; l’alcool serait la troisième cause de mortalité en France, et 15 à 20 % des accidents de travail sont liés directement à la consommation d’alcool.3 Cette pathologie est également souvent impliquée dans les actes de violence, notamment conjugale. Or, s’il est vrai que le problème de l’alcool dépasse la sphère purement privée du patient, et qu’il est donc nécessaire d’aborder ce problème de société dans sa globalité, cela ne justifie pas de faire peser le fardeau de la responsabilité sur les médecins, au seul prétexte qu’ils se situent souvent à l’interface entre l’alcoolique et la société. De plus, cela impliquerait pour le médecin de renoncer à protéger le patient alcoolique, pour mener à bien une mission de protection de la société. Il convient donc de faire un point sur l’étendue de la responsabilité juridique du médecin en présence d’un patient alcoolique. Quelles sont alors les responsabilités du médecin face aux conséquences de l’alcoolisme, non seulement à l’égard du patient lui-même, mais aussi à l’égard des tiers ? Des intérêts contradictoires sont ici en jeu, car donner la priorité à la protection des tiers risque de compromettre, dans certains cas, le lien de confiance propre à la relation entre un médecin et son patient. Cette question consiste ainsi à se demander si le médecin doit, à l’occasion de ses fonctions, faire primer la protection de l’individu ou celle de la collectivité. Le code de déontologie des médecins, en son article 2, repris par le code de la Santé publique,4 énonce clairement la hiérarchie des intérêts que le médecin se doit de protéger : « Le médecin, au service de l’individu et de la santé publique, exerce sa mission dans le respect de la vie humaine de la personne et de sa dignité. » 1108 Ainsi, pour le médecin, l’individu doit passer avant la collectivité, et si celui-là est bien un acteur majeur dans la politique de Santé publique, il doit avant tout honorer le contrat moral qui le lie à son patient. Sa responsabilité juridique est donc, en principe, limitée à l’acte médical individuel bien accompli. Ce dernier, s’il est conforme aux principes que dictent les règles de la profession, profite au patient, mais aussi à la société, en ce qu’il contribue tant à la prévention et au traitement de l’alcoolisme. Ce n’est que dans les cas extrêmes, déterminés par la loi et la jurisprudence, et dictés par l’intérêt des tiers, que sa responsabilité excède les limites du service dû au patient. Sa responsabilité juridique découle, avant tout, de ses diverses obligations à l’égard du patient alcoolique et, dans certains cas, de celles imposées par la loi dans l’intérêt des tiers. LES OBLIGATIONS DU MÉDECIN À L’ÉGARD DU PATIENT ALCOOLIQUE La responsabilité juridique se définissant comme l’obligation de répondre de ses actes et d’en supporter les conséquences, il convient tout d’abord de rappeler les deux composantes essentielles de l’acte médical, quelle que soit la pathologie du patient. Le diagnostic consiste notamment à déterminer la gravité de l’état alcoolique, le type de consommation, et l’existence ou la potentialité de complications. Le traitement passe par le sevrage, le maintien de l’abstinence, et la prise en charge des complications identifiées depuis le stade du diagnostic. À chaque étape, le médecin doit apporter toute diligence pour mener à bien sa mission d’assistance et de soin du patient. Sa responsabilité risque d’être engagée en cas de défaillance dans l’accomplissement de cette dernière. Qualité des soins L’article 32 du code de déontologie prévoit que le médecin s’engage à assurer personnellement au patient des soins consciencieux, dévoués et fondés sur les données acquises de la science, en faisant appel, s’il y a lieu, à l’aide de tiers compétents. La qualité des soins implique notamment une démarche active d’investigation. Lors du traitement, des soins attentifs et consciencieux doivent être dispensés. La qualité de ceux-ci peut aussi impliquer une nécessaire surveillance du patient, par exemple dans les milieux hospitaliers ouverts. Obligation d’information L’information est capitale face au problème de l’alcoolisme, car elle contribue à la prévention. L’article 35 du code de déontologie précise la qualité de l’information qui est attendue d’un médecin : elle doit être loyale, claire et appropriée, et doit tenir compte de la personnalité du patient afin de veiller à la compréhension de l’information fournie. L A R E V U E D U P R AT I C I E N / 2 0 0 6 : 5 6 L’article L 1111-2 du code de la Santé publique précise que le contenu de l’information doit porter sur les différentes investigations, traitements ou actions de prévention qui sont proposés, leur utilité, leur urgence éventuelle, leurs conséquences, les risques fréquents ou normalement prévisibles qu’ils comportent, ainsi que les solutions alternatives possibles et, enfin, les conséquences prévisibles en cas de refus par le patient des préconisations ainsi présentées. Cela consiste, en premier lieu, à alerter le patient alcoolique, à lui faire prendre conscience de son problème. L’information porte également sur les conséquences qu’entraîne cette maladie ; enfin, elle consiste à expliquer au patient, en fonction de son cas, les traitements existants. Le corollaire de l’obligation d’informer le patient réside dans l’obligation d’obtenir son consentement éclairé concernant les actions qui lui sont proposées. Obligation de recueillir le consentement La loi du 4 mars 2002, relative aux droits des malades et à la qualité des systèmes de santé,5 a posé comme exigence éthique fondamentale le nécessaire respect du droit du malade d’accepter ou de refuser ce que le médecin lui propose, et qu’il n’a pas le droit de lui imposer. Le seul cas où le médecin peut outrepasser le refus du patient est l’existence d’un risque vital tel que la grève de la faim ou la conduite suicidaire. En cas de refus de consentement concernant un acte qui lui paraît nécessaire, telle la cure de désintoxication, le médecin doit s’efforcer à nouveau de convaincre le patient, en s’assurant que toutes les informations sont comprises. Si, à l’issue de cette démarche, le patient réitère son refus, le médecin peut décider de ne pas poursuivre la prise en charge. Dans ce cas, l’obligation de continuité des soins lui impose de diriger son patient vers un autre médecin. Pour ce qui est des adolescents, il convient de signaler que la loi du 4 mars 2003 offre aux mineurs le droit de consentir aux soins, ainsi que celui d’être soigné sans information des parents. Dans ce cas, le médecin doit s’efforcer d’obtenir le consentement du mineur à la consultation des parents ; en cas de refus du mineur, la mise en œuvre du traitement ne peut se faire que lorsqu’il se fait obligatoirement accompagner d’une personne majeure de son choix. À ce sujet, il est particulièrement recommandé de se prémunir d’écrits attestant des démarches effectuées auprès des patients pour obtenir leur consentement, ainsi que des preuves de leur refus exprès. Respect du secret professionnel L’information évoquée ci-dessus est exclusivement réservée au patient et ne saurait être divulguée aux tiers. Le patient alcoolique a tout spécialement besoin d’être assuré d’une relation de confiance avec son médecin. L’article 4 du code de déontologie précise l’obligation du L A R E V U E D U P R AT I C I E N / 2 0 0 6 : 5 6 secret professionnel prévue par le Code pénal 6 à l’encontre des personnes dépositaires d’informations à caractère secret à l’occasion de leur profession. Le secret couvre l’ensemble des informations concernant le patient, venues à la connaissance du médecin. L’obligation est générale et absolue. Seule la loi peut y déroger parfois, dans l’intérêt des tiers comme exposé ci-dessous. Le secret s’impose à l’égard de la famille, et même à l’égard des parents de mineurs, lorsque l’adolescent en fait la demande exprès.7 De même, le médecin ne doit pas se plier à la demande du juge, à l’exception des enquêtes pénales (v. infra). Les professionnels de santé, amenés à échanger des informations pour les nécessités de la continuité des soins, doivent être vigilants et se garder de diffuser des informations non pertinentes pour le suivi du dossier. La non-immixtion dans les affaires de famille L’article 51 du code de déontologie vient rappeler au médecin que, malgré son statut de confident des patients et de leur famille, il doit s’abstenir de s’immiscer sans raison professionnelle dans leurs affaires de famille et dans leur vie privée. À ce titre, le médecin doit refuser de délivrer imprudemment un certificat médical. Seule la défaillance dans la pratique des soins est susceptible d’engager la responsabilité du médecin à l’égard du patient alcoolique, lorsqu’elle a eu pour conséquence la survenue d’un préjudice pour ce dernier. En plus des obligations inhérentes au contrat de soin, la loi ou la jurisprudence impose au médecin des obligations allant au-delà de l’acte médical bien accompli à l’égard de son patient. LES OBLIGATIONS DU MÉDECIN À L’ÉGARD DES TIERS Le danger que peut représenter le patient alcoolique, tant pour son entourage que pour l’ordre public de sécurité, a amené le législateur et le juge à imposer au médecin des obligations allant au-delà du service dû au patient. Obligation de mandataire de justice Le médecin doit se soumettre à l’injonction qui lui est adressée par une autorité judiciaire ou administrative de procéder à un examen médical. Cette procédure est particulièrement courante en matière de sécurité routière. Le médecin requis doit répondre à la mission, toute la mission, et rien que la mission. Il s’agit là d’une obligation qui sort nécessairement du contrat de soin entre le médecin et son patient. D’ailleurs, afin de préserver le secret médical, le médecin doit se récuser lorsque la personne à examiner est son patient. Obligation de placement Le médecin peut-il être obligé de lancer une procédure de placement du patient alcoolique dans un établissement spécialisé ? La réponse est en principe négative, hormis 1109 MALADES DE L’ALCOOL Q U E L L E E S T L A R E S P O N S A B I L I T É J U R I D I Q U E D U M É D EC I N ? U Responsabilité pénale du fait d’infractions commises par un patient alcoolique n médecin peut-il être déclaré pénalement responsable des infractions commises par un de ses patients en état d’ébriété ? L’hypothèse la plus courante est la suivante : un médecin qui laisse partir un patient se trouvant dans un état d’ébriété peut-il voir sa responsabilité pénale mise en cause par les victimes de l’accident de la circulation provoqué par ce patient ou par la famille de ce dernier ? Si la jurisprudence semble peu fournie, il n’en demeure pas moins que cette possibilité existe au regard des textes applicables. L’ÉVENTUELLE ATTEINTE INVOLONTAIRE À LA VIE OU À L’INTÉGRITÉ PHYSIQUE En matière d’atteinte involontaire à la vie ou à l’intégrité physique, la responsabilité du médecin peut être retenue, même, s’il n’est pas l’auteur direct de l’infraction mais qu’il a créé la situation ayant permis la réalisation du dommage, ou n’a pas pris les mesures qui auraient permis de l’éviter.1 Cette responsabilité suppose qu’il soit établi que le médecin a, soit violé de façon manifestement délibérée une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, soit commis une faute caractérisée et qui exposait autrui à un risque d’une particulière gravité qu’il ne pouvait ignorer. Cela supposerait donc de rapporter la preuve qu’un médecin ayant reçu dans le cadre de sa consultation un patient manifestement en état d’ébriété, soit conscient du fait que ce patient allait utiliser dans un futur immédiat son véhicule automobile, ce qui exposait des tiers à un risque d’une particulière gravité. Outre ces éléments, il conviendrait de rapporter la preuve de l’omission fautive du médecin qui n’aurait pas pris les mesures qui s’imposent (p. ex. le signalement auprès des autorités de police). Il ne semble pas que les juridictions se soient prononcées sur cette question concernant un médecin. L’OMISSION DE PORTER SECOURS Selon l’article 223-6 du Code pénal, quiconque pouvant empêcher par son action immédiate, sans risque pour lui ou pour les tiers, un délit contre l’intégrité corporelle de la personne et s’abstient volontairement de le faire, peut être puni de 5 ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende. L’omission de porter assistance à une personne en péril, sans risque pour soi ou pour les tiers, soit par son action personnelle, soit en provoquant un secours est puni des mêmes peines. l’hypothèse où le médecin doit se poser la question du placement d’office. En effet, le décret de 2003 renforçant le droit des malades a supprimé la procédure qui pouvait aboutir au placement d’un patient alcoolique dangereux, procédure qui débutait par le certificat médical du médecin. Toutefois, des dispositions identiques concernant le placement des personnes ayant des troubles mentaux requérant des soins et compromettant la sûreté des personnes sont quant à elles maintenues.8 Par conséquent, une telle procédure n’est possible que dans le cas où l’alcoolique dangereux est affecté par de tels troubles. Obligation de signalement En présence d’un patient alcoolique susceptible de présenter un danger pour les tiers, le médecin est-il tenu de signaler cet état de fait aux autorités publiques ? Il n’existe pas d’obligation de procéder au signalement, mais la loi 1110 Pour être sanctionnée, cette infraction suppose qu’il y a une abstention volontaire de la part du médecin qui, connaissant l’existence du péril imminent, a ainsi volontairement refusé de prendre les mesures qui s’imposent. Des poursuites pour des faits similaires ont été engagées à l’encontre de collègues de travail d’une personne en état d’ébriété, qui était décédée dans un accident de la circulation. Il leur avait été reproché ensuite par la famille de n’avoir rien tenté pour l’empêcher de conduire son véhicule. Mais la Cour de cassation a considéré que l’infraction n’était pas constituée, dès lors que ces personnes avaient pu légitimement ne pas avoir conscience de l’état d’ébriété avancée du conducteur (Cass. Crim. 29-11-1995, no 95-80.803). Un médecin pourrait-il bénéficier d’une telle clémence ? La réponse est incertaine, et c’est pourquoi la vigilance s’impose, étant rappelé que le signalement aux autorités de police n’est pas, dans cette hypothèse, constitutif d’une violation du secret médical dont la révélation n’est pas punissable lorsque la loi l’impose ou l’autorise.2 1. Article L. 121-3 du Code pénal. 2. Article L. 226-14 du Code pénal. dégage le médecin de son obligation de secret médical dans certains cas, et la jurisprudence tend de plus en plus à l’y encourager. Dérogations légales au secret médical • Saisies et perquisitions au sein du cabinet L’article 56-3 du code de procédure pénale autorise le juge d’instruction, dans le cas d’une enquête pénale, à procéder à une perquisition et à saisir un dossier médical, au sein d’un cabinet médical. Le juge d’instruction peut aussi donner mandat à un officier de police judiciaire pour y procéder. Dans ce cas, le médecin ne peut opposer le secret médical aux opérations. Pour veiller à ce que les saisies soient limitées aux nécessités de l’enquête, la loi a apporté une garantie, en imposant la présence de la personne responsable de l’ordre ou son représentant pendant ces opérations. L A R E V U E D U P R AT I C I E N / 2 0 0 6 : 5 6 • Possibilité de signalement en cas de sévices L’article 226-14 du Code pénal autorise le médecin à révéler les symptômes dangereux de son patient alcoolique dans deux cas : d’une part, en cas de connaissance de sévices ou mauvais traitements infligés aux mineurs de moins de 15 ans ou à des personnes qui ne sont pas en mesure de se protéger, il est autorisé à signaler ces faits au procureur de la République, et à témoigner en justice ; par ailleurs, en cas de constat de sévices permettant de présumer des sévices sexuels, il peut le signaler au procureur de la République, en veillant à obtenir auparavant l’accord des victimes adultes. Ces dérogations à l’obligation du secret médical autorisent la révélation de faits connus, mais le médecin doit s’en tenir à l’information nécessaire, pertinente et non excessive. L’article 51 du code de déontologie, partageant ce souci de protection des victimes, prévoit que « lorsqu’un médecin discerne qu’une personne auprès de laquelle il est appelé est victime de sévices ou de privations, il doit mettre en œuvre les moyens les plus adéquats pour la protéger, en faisant preuve de prudence et de circonspection. » Concernant les sévices sur mineur de moins de 15 ans, le médecin est obligé de le signaler, « sauf circonstances particulières qu’il apprécie en conscience. » Dans ces deux cas, l’obligation n’est pas stricte ; il s’agit davantage de possibilités offertes de protéger des personnes en danger. Le médecin doit, dans ces situations particulières, être vigilant car, d’une part révéler ce type de faits peut parfois avoir de lourdes conséquences sur la famille, et d’autre part l’omission de révéler des faits peut engager la responsabilité du médecin (v. infra). Toutefois, le Code pénal pose une obligation positive dans les cas suivants : – l’article 223-6 du Code pénal impose d’intervenir lorsque la situation est telle qu’il existe un péril immédiat auquel il pourrait être mis fin grâce au signalement auprès des autorités de police ; – l’article 434-1 du Code pénal impose d’alerter les autorités judiciaires en cas de connaissance d’un crime dont il est encore possible d’arrêter les effets. Le médecin peut se trouver dans cette situation en présence d’un patient en état d’ivresse grave s’apprêtant à prendre la route, ou de celui qui exprime devant lui son intention d’attenter à la sécurité de quelqu’un. Il est recommandé, dans ces situations d’urgence, d’alerter la police. Obligation de surveillance ? Le médecin est-il tenu de surveiller le patient qu’il a sous sa garde ? Cette question concerne au premier chef les établissements de santé qui hébergent des patients dans le cadre de soins dispensés à ces derniers. L’arrêt Blieck9 de 1991, en admettant la responsabilité de l’établissement de santé du fait des agissements (un incendie volontaire) commis par un de ses patients aliéné mental, a soulevé le débat sur cette question. L’affaire avait L A R E V U E D U P R AT I C I E N / 2 0 0 6 : 5 6 la particularité suivante : le centre avait décidé de mettre en place une méthode thérapeutique présentant des risques sociaux ; les patients évoluaient en milieu ouvert ; et c’est à cette occasion que M. Blieck avait provoqué un incendie. Aucune décision de ce type n’a été prise concernant des patients alcooliques, mais la vigilance est de mise lorsque le patient est dangereux et que les méthodes thérapeutiques exposent les tiers à des risques graves. LA RESPONSABILITÉ JURIDIQUE DÉCOULANT DU MANQUEMENT À CES OBLIGATIONS Plusieurs responsabilités soumises à des régimes différents sont encourues par le médecin. La responsabilité disciplinaire : la responsabilité du médecin public vis-à-vis de ses pairs doit être présente à l’esprit s’agissant de responsabilité juridique, car il est aujourd’hui constant que la méconnaissance des dispositions du code de déontologie médicale peut être invoquée par une partie à l’appui d’une action en responsabilité dirigée contre un médecin.11 D’ailleurs, les dispositions du code de déontologie ont une force contraignante légale dans la mesure où elles sont codifiées dans le code de la Santé publique. Il convient de relever que le délai pour intenter une action en responsabilité médicale a été unifié par la loi du 4 mars 2002 :11 quel que soit le stade de la faute évoquée (de prévention, de diagnostic ou de traitement), les actions tendant à mettre en cause la responsabilité d’un membre du corps médical se prescrivent au bout de 10 années, non pas à compter de la date de l’acte médical, mais de celle de la consolidation du dommage. Toutefois, cela n’exclut aucunement la contradiction d’appréciation des juridictions civile et ordinale sur le comportement du médecin ; les types d’actions ayant une finalité différente, l’indemnisation d’un côté, la sanction disciplinaire de l’autre, elles demeurent autonomes. La responsabilité civile vise l’indemnisation des victimes d’un acte préjudiciable, sous forme de dommages et intérêts. En matière médicale, il est aujourd’hui établi que la responsabilité du médecin à l’égard du patient est contractuelle lorsque ce dernier a été en mesure de choi- P O U R L A P R AT I Q U E L Fournir une information complète et précise, même par écrit, sur les investigations et les traitements. L Obtenir si possible le consentement du malade sur les soins à apporter. L Respecter le secret médical même à l’égard de la famille. L Ne prendre l’initiative d’une révélation de celui-ci qu’en cas de menaces graves pour la vie du malade ou de tiers. 1111 MALADES DE L’ALCOOL Q U E L L E E S T L A R E S P O N S A B I L I T É J U R I D I Q U E D U M É D EC I N ? sir la personne à qui il reproche le préjudice causé ; elle est délictuelle dans le cas inverse. C’est le cas des situations d’urgences ou des contrats passés avec un établissement hospitalier ou une clinique. Il est également important de relever que les médecins sont tenus par une obligation de moyens et non de résultats, ce qui rend la qualification de la faute plus difficile pour celui qui souhaite agir en responsabilité civile contre un médecin. Pour obtenir une indemnisation, le demandeur doit prouver la faute, le préjudice et, enfin, le lien de causalité entre la faute et le préjudice. Le plus souvent, le préjudice certain réside dans la perte de chance que la faute a suscitée à l’encontre du patient, du fait qu’il n’a pu faire l’objet de soins comme les personnes se trouvant dans la même situation. Il convient à ce sujet de préciser que le médecin peut utiliser les éléments du dossier médical pour porter à la connaissance du juge les éléments utiles à la manifestation de la vérité et à sa défense. En matière de responsabilité médicale, la faute invoquée réside dans l’inobservation des obligations du médecin envers le patient. C’est pourquoi il est important pour le médecin de les garder toujours à l’esprit. Ainsi, à l’égard du patient alcoolique, une qualité de soins insatisfaisante peut résulter notamment d’une erreur ou du retard du diagnostic. Au sujet du traitement, l’insuffisance de surveillance a déjà donné lieu à des condamnations. La faute est dans ce cas souvent qualifiée de négligence dans l’exécution de l’obligation de bonne qualité des soins, que ce soit dans une action en responsabilité civile contractuelle ou délictuelle. Dans l’arrêt Blieck, la responsabilité de l’établissement de santé recevant des handicapés mentaux a été engagée du fait de la garde du patient : la clinique a dû indemniser les victimes de l’incendie provoqué par un aliéné mental qui était sous surveillance. Toutefois, cette jurisprudence n’a pour le moment pas été étendue à l’hypothèse de la garde de patients alcooliques. Concernant les manquements à l’obligation d’information, depuis le revirement de jurisprudence apporté par l’arrêt Hedreul en 1997,12 c’est au médecin qu’il revient de prouver qu’il a apporté l’information suffisante à son patient concernant sa maladie. Cette décision ayant légitimement suscité de vives inquiétudes, plusieurs décisions sont venues la préciser : ainsi, l’arrêt Guyomar a précisé que la preuve de l’information peut être faite par tout moyen, selon un faisceau de présomptions. La preuve ne réside donc pas forcément dans l’écrit. Toutefois, le recours à l’écrit est recommandé.13 Ainsi, la remise de documents type de sensibilisation d’information peut être complétée par un écrit attestant la remise de ce document placé dans le dossier médical, et le patient n’apposerait sa signature que sur ce dernier formulaire.14 Concernant l’obligation de ne pas s’immiscer dans les affaires de famille, de nombreuses décisions ont condamné des médecins pour avoir établi des certificats à leurs patientes pour attester de la présomption qu’ils avaient que l’époux avait des symptômes liés à l’alcoolisme. La responsabilité pénale ne peut être engagée qu’en cas de réalisation d’une infraction prévue par le Code pénal ; elle vise à sanctionner l’atteinte portée à l’encontre de la société, sous forme d’amende ou de peine d’emprisonnement. Concernant l’alcoolisme, les infractions évoquées à l’occasion de l’intervention ou de l’omission du médecin tiennent aux manquements suivants : – la violation du secret médical est passible de 15 000 euros d’amende et de 1 an d’emprisonnement ; – le manquement à l’obligation de qualité des soins peut aboutir à une condamnation pour homicide involontaire ou atteinte à l’intégrité corporelle par maladresse, imprudence, inattention ou négligence, passible de 45 000 euros d’amende et de 3 ans de prison ;15 – l’omission de signaler l’état alcoolique dangereux peut également, selon la gravité de l’état alcoolique et les circonstances de l’affaire, entraîner la qualification d’omission de porter secours lorsque le patient se blesse ou décède, passible de 5 ans de prison et de 75 000 euros d’amende ;16 ou encore celle de non-dénonciation auprès de la police de la dangerosité d’une personne pouvant commettre un crime sur autrui, passible de 45 000 euros et 3 ans de prison ;17 La responsabilité est administrative lorsque l’institution est un établissement public. CONCLUSION Les actions en responsabilité contre les médecins de patients alcooliques sont, à l’heure actuelle, rares, et devraient le demeurer si les médecins gardent à l’esprit les mesures qui sont attendues d’eux tant à l’égard de leur patient qu’en présence de patients dangereux, vis-à-vis des tiers. B SUMMARY Alcoholic patients: legal responsibility of physicians The liability rising from medical cares given to a patient suffering from an addiction to alcohol does not differ from those stemming from cares to other pathologies. The cares must be relevant with regard to state of art, an information as comprehensive as possible must be provided to the patient, on the investigations to be carried out, as well as on the treatments considered. The most difficult thing to achieve is to obtain a full co-operation of the patient, who since the law of March 4, 2002, has the right to refuse a treatment, which cannot be imposed to him. Safeguarding the medical secrecy in particular with regard to the family can be difficult, because of the pressures exerted to obtain the revelation from it. But this revelation of the medical secrecy is authorized by the law only within very precise limits. In very specific circumstances, a doctor can be liable for a criminal offence made by his patient, for instance when he does not prevent his patient to drive a car, while he is obviously drunk. Rev Prat 2006 ; 56 : 1107-13 1112 L A R E V U E D U P R AT I C I E N / 2 0 0 6 : 5 6 RÉSUMÉ Le patient alcoolique : quelle est la responsabilité juridique du médecin ? La responsabilité découlant des actes de soins apportés à un patient souffrant d’une addiction à l’alcool ne diffère pas de celle des soins prodigués pour d’autres pathologies. Les soins doivent être conformes aux données acquises de la science, une information aussi complète que possible devant être fournie au malade, tant sur les investigations à mener que sur les traitements envisagés. L’exercice, certainement plus délicat dans cette hypothèse, est d’obtenir une pleine coopération du malade qui, depuis la loi du 4 mars 2002, s’est vu reconnaître pleinement le droit de refuser un traitement qui ne peut être imposé au malade. De même, la préservation du secret médical notamment à l’égard de la famille peut être difficile, en raison des pressions que celle-ci pourrait exercer pour en obtenir la révélation. Mais cette révélation du secret médical n’est autorisée par la loi que dans des limites très précises. Enfin, dans des hypothèses spécifiques, il pourrait arriver que le médecin soit contraint d’assumer la responsabilité des actes commis par son patient. En effet, la jurisprudence a admis que des établissements hospitaliers soient déclarés responsables, sur le plan civil, d’agissements de malades dont ils avaient la garde. Quant à la responsabilité pénale, les textes pourraient permettre de déclarer un médecin coupable d’atteinte involontaire à la vie ou à l’intégrité physique, lorsqu’il commet une faute caractérisée comme, par exemple, le fait de ne pas empêcher un patient en état d’ébriété manifeste de conduire un véhicule. RÉFÉRENCES 1. Article R 3111-1 et suivants du code de la Santé publique. 2. Décret 2003-462 du 21 mai 2003, Journal officiel du 27/05/2003. Circulaire DGS/SD 4 no 2003-452 du 28/08/2003 relative aux trois premières parties du code de la Santé publique. Pour une explication de l’ancien régime, voir Pansier FJ, Garay A «L’abus d’alcool». In : Le médecin, le patient et le droit. Rennes : ENSP 1999 : p. 155 et suivantes. 3. Faire face à la toxico-dépendance sur le lieu de travail. Site Internet www.gereso.fr 4. Article R 4127-2 du code de la Santé publique. 5. Loi no 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, Titre II, Chapitre II, Article 11. Article L 11110-7 du code de la Santé publique. 6. Article 226-13 du Code pénal. 7. Article L 1111-5 du code de la Santé publique. 8. Articles L 3213-1 et L 3213-2 du code de la Santé publique. 9. Cour de cassation. Assemblée plénière, 29 mars 1991. Association des centres éducatifs du Limousin/André Blieck. 10. Cour de cassation, Civ. 1re, 18 mars 1997, pourvoi no 95-12576. 11. Article L 1142-28 du code de la Santé publique. 12. Cour de cassation, Civ. 1re, 25 février 1997. 13. Conseil national des médecins. Commentaires du code de déontologie. Site Internet www.conseil-national.medecin.fr 14. Civ. 1re 14 novembre 1997 ; chronique de jurisprudence « Responsabilité médicale ». In : Médecine et droit. Paris : Elsevier, 1999, p. 13-21. 15. Article 221-6 du Code pénal. 16. Article 223-6 du Code pénal. 17. Article 434-1 du Code pénal. Alcool: le répertoire (suite de la p. 1 080) ASSOCIATIONS, SITES… www.entretienmotivationnel.org L’Association francophone de diffusion de l’entretien motivationnel (AFDEM [06 07 91 44 94]) a été créée en 2003 pour diffuser les concepts et la pratique de l’entretien motivationnel. Elle propose des informations sur ce type d’entretien et des formations. Elle promeut l’échange et la réflexion autour des champs d’application et l’élaboration de matériel pédagogique. Les formateurs issus du MINT [Motiva- L A R E V U E D U P R AT I C I E N / 2 0 0 6 : 5 6 tional interviewing network of trainers] s’adressent à différents publics travaillant dans le soin, la prévention, le conseil, l’action sociale ou éducative, dans un souci d’adaptation aux situations spécifiques rencontrées par chacun. Le calendrier des formations est affiché sur le site. Un espace bibliographique met en ligne au menu « documents pédagogiques » un petit ouvrage québécois, L’Entrevue motivationnelle : un guide de formation. Un espace est réservé aux membres. www.educalcool.qc.ca/cgi/ Un petit tour sur ce site canadien vous permettra de juger de leur façon d’aborder le problème : des informations, des messages forts…, mais rien de révolutionnaire ! Nos amis les Canadiens avaient beaucoup à nous apprendre, il y a seulement quelques années, dans le domaine de l’information grand public. Il semble que nous ayons rattrapé notre retard car, bonne nouvelle, le fossé existant entre les sites Internet français et les sites canadiens rétrécit à vue d’œil ! 1113 L’alcool dans MEDLINE par Philippe Eveillard Comment garder le contact avec l’actualité de l’alcool dans les prochains mois ? Une solution : interroger régulièrement la banque de données bibliographiques MEDLINE à l’aide des « bonnes » équations de recherche. Elles figurent dans cette page. Elles sont également sur le site 33docpro.com à l’adresse http://minilien.com/?6b8L90IOPm et il suffit d’un clic de souris pour afficher les notices correspondantes. L a formulation des équations de recherche de cette monographie sur l’alcool a bénéficié de l’aide du thésaurus MeSH et des bordereaux d’indexation de PubMed/MEDLINE. Les équations L Alcohol-Related Disorders/classification [mh] AND Alcohol-Related Disorders/diagnosis [mh] L Alcohol Drinking/diagnosis [mh] OR Alcohol Drinking/therapy [mh] AND (Psychotherapy, Brief [mh] OR brief intervention [ti]) CE QUE DIT LE MESH Une bonne façon de débrouiller les problèmes de traduction des thèmes de la monographie est de parcourir les branches du thésaurus qui « parlent » d’alcool. Pour cela, la sollicitation du module « Terminologie » de CISMeF apparaît comme un passage obligé. L’entrée du mot « alcool » dans la fenêtre « recherche » de Terminologie affiche 49 descripteurs dont un grand nombre ne sont pas en adéquation avec les thèmes de la monographie (c’est l’effet « double troncature par défaut » qui est responsable du « bruit »). Dans la liste, il est facile de distinguer les descripteurs qui correspondent aux atteintes organiques et ceux qui sont en rapport avec « l’alcool » en général. Les premiers (cardiomyopathie alcoolique, cirrhose alcoolique, hépatite alcoolique, neuropathie périphérique L'arborescence de Alcohol-Related Disorders Mental Disorders Substance-Related Disorders Alcohol-Related Disorders Alcohol Amnestic Disorder Alcohol Withdrawal Delirium Alcoholic Intoxication Alcoholism Psychoses, Alcoholic Wernicke Encephalopathy L A R E V U E D U P R AT I C I E N / 2 0 0 6 : 5 6 L Alcoholism [mh] AND Mental Disorders [mh] AND Comorbidity [mh] L Alcoholism/rehabilitation [mh] AND Physician-Patient Relations [mh] L Alcohol Withdrawal Delirium/prevention and control [mh] L Alcoholism/rehabilitation [mh] AND Temperance [mh] L Alcoholism/therapy [mh] AND Legislation, Medical [mh] alcoolique, pancréatite alcoolique…) ne font pas partie des thèmes de la présente monographie. Ils appartiennent à la branche Substance-Related Disorders issue de Disorders of Environmental Origin. En revanche, les descripteurs « autour » de l’alcool se retrouvent fréquemment dans les thèmes abordés. Citons : les troubles liés à l’alcool (Alcohol-Related Disorders), l’alcoolisme (Alcoholism), le delirium tremens (Alcohol Withdrawal Delirium) et la consommation d’alcool (Alcohol Drinking). Les trois premiers appartiennent à la branche SubstanceRelated Disorders issue de Mental Disorders, le dernier appartient à la branche Behavior de la catégorie Psychiatry and Psychology. CE QUE SUGGÈRENT LES BORDEREAUX D'INDEXATION Les obstacles rencontrés pour exprimer (si possible en langage MeSH) les mots ou expressions comme buveurs excessifs, intervention brève, arrêt de consommation, sevrage alcoolique ou abstinence sont franchis plus ou moins aisément par l’analyse des bordereaux d’indexation. La technique consiste à entrer le mot ou l’expression dans la fenêtre de PubMed en tant que mot du titre, et à afficher les bordereaux d’indexation des trois ou quatre premières notices « indexed for MEDLINE ». Dans ces bordereaux, il n’est pas rare de trouver la solution pour franchir l’obstacle. Exemple avec « intervention brève » et « abstinence ». Intervention brève Intervention brève peut se traduire par le descripteur Psychotherapy, Brief. Mais l’entrée de l’équation brief intervention [ti] AND Alcohol Drinking [mh] dans la fenêtre d’interrogation de PubMed affiche des notices qui ne sont pas indexées avec le descripteur Psychotherapy, Brief. Cela suggère que la meilleure façon de traduire « intervention brève » dans le contexte des buveurs excessifs est d’associer Psychotherapy, Brief (en tant que descripteur) et brief intervention (en tant que mot du titre). Abstinence L’entrée de abstinence [ti] AND Alcoholism/rehabilitation [mh] dans la fenêtre d’interrogation de PubMed/MEDLINE affiche plus de 100 notices dans le bordereau d’indexation desquelles le descripteur Temperance est retrouvé avec une grande fréquence. Note : L’entrée de « abstinence » dans Terminologie ne donne rien. Dans la définition (scope note) de Temperance figure l’expression « abstinence from alcohol ». 1115 F I C H E PAT I E N T / L A R EV U E D U P R AT I C I E N Les jeunes et l’alcool D’après www.inpes.sante.fr ACCIDENTS Sur la route, un accident mortel sur trois est directement lié à l’alcool, sans compter les milliers de blessés graves. Des alcooliques ? Non, dans 85 % des accidents dus à l’alcool les conducteurs sont des buveurs occasionnels. Quand vous devez prendre le volant, il est fortement conseillé de ne pas boire du tout. Refusez de monter avec quelqu’un qui a bu, insistez pour qu’il passe le volant. Avec 0,5 g d’alcool dans le sang (2 verres maximum), les risques sont multipliés par 2, par 10 à 0,8 g (3 verres) et par 35 avec 1,2 g (5 verres) ! Il n’existe aucune méthode miracle pour dessaouler. Un douche froide, un café bien serré, un bol d’air frais… ne réduisent pas l’alcoolémie et sont donc des méthodes inefficaces. Le seul remède, c’est le temps. En effet, l’alcool met plusieurs heures avant d’être éliminé par l’organisme. RAPPORTS SEXUELS À RISQUE Après quelques verres, vous « branchez » plus facilement en soirées ? C’est peut-être vrai, mais attention, quand on a bu et qu’on est un peu « parti », on peut oublier de prendre ses précautions. Un seul rapport sexuel sans préservatif suffit pour être contaminé par le sida, par d’autres maladies sexuellement transmissibles ou pour se retrouver enceinte contre sa volonté. VIOLENCES Quand on a bu, le ton monte très vite. Une remarque, un regard mal interprété peuvent dégénérer. Résultat : des embrouilles, des coups. L’alcool est aussi souvent en cause dans les cas de violence familiale, sans parler des délits et actes de délinquances. MALAISES Baisse de lucidité, fatigue, perte de mémoire : les lendemains de cuite, c’est le brouillard toute la journée. À l’école, à la fac, au travail, vous êtes lent à réagir, vous n’êtes plus à la hauteur. À terme, boire trop et trop souvent vous expose au risque de vous couper des autres et de vous renfermer sur vous-même. AUTANT LE SAVOIR Contrairement à une idée reçue, un verre de bière, de whisky coca, de gin tonic, de vodka et de vin… contiennent tous la même quantité d’alcool quand ils 1116 sont servis au café, au restaurant ou en boîte de nuit : environ 10 g d’alcool pur par verre. C’est ce qu’on appelle un verre standard. Cela s’explique facilement : si ces verres n’ont pas la même forme ni la même contenance, la quantité d’alcool pur reste la même pour tous. 1 verre standard = 10 g d’alcool pur = ballon de vin 12° (10 cL) = 1/2 de bière 5° (25 cL) = verre de whisky 40° (3 cL) = apéritif 18° (6 cL) = verre de pastis 45° (3 cL) = coupe de champagne 12° (10 cL) QUELQUES REPÈRES Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), il faut respecter 4 règles pour éviter les risques dus à une consommation excessive d’alcool : 앬 pas plus de 4 verres standard en une seule occasion ; 앬 pour les femmes, pas plus de 2 verres standard par jour ; 앬 pour les hommes, pas plus de 3 verres standard par jour ; 앬 aucune boisson alcoolisée : quand on conduit un véhicule, quand on travaille sur une machine dangereuse, quand on exerce des responsabilités qui nécessitent vigilance et précision, quand on prend certains médicaments, pendant une grossesse. L’ALCOOL, UN ACCÉLÉRATEUR DE CANCER Au-delà de 2 verres par jour en moyenne pour les femmes, et 3 verres par jour en moyenne pour les hommes, vous augmentez vos risques de : ➜ cancers (bouche, gorge, œsophage, foie) ; ➜ maladies cardiovasculaires (dont l’hypertension artérielle) ; ➜ cirrhose du foie, pancréatite ; ➜ maladies du système verveux (névrites, atteintes de la mémoire) ; ➜ troubles psychiques (anxiété, irritabilité, insomnie, dépression). N’oubliez pas que vous prenez aussi des risques liés aux effets immédiats de l’alcool : ➜ accidents de la circulation, du travail, de la vie courante ; ➜ violence, rapports sexuels non protégés (sida), malformations chez les enfants à naître exposés à l’alcool pendant la grossesse. L A R E V U E D U P R AT I C I E N / 2 0 0 6 : 5 6