Mercredi 8 avril 2015

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Mercredi 8 avril 2015
LES ACTES OFFICIELS
FORUM
MERCREDI 8 AVRIL 2015
L’ACCOMPAGNEMENT SERA-T-IL LE
BUSINESS MODEL DE SANTÉ DE
DEMAIN ?
Si les soins représentent actuellement l’immense
majorité des investissements économiques, n’y
aura-t-il pas demain une place prépondérante,
en termes de Valeur, à l’accompagnement des
personnes malades ou fragilisées ? Comment
guider et soutenir ce changement de paradigme
dans une société confrontée au vieillissement ?
• ANIMATEUR : Olivier MARIOTTE, Directeur de nile
• Philippe CALMETTE - Directeur Général de l’ARS du Limousin
• Bernadette DEVICTOR - Présidente de la CRSA Rhône-Alpes
• Hamid SIAHMED - Directeur Général du CHU de Limoges
• Guy HAGÈGE - Président de la FEGAPEI
• Étienne CANIARD - Président de la Fédération Nationale de
la Mutualité Française
• Grands témoins :
• Christophe DUVERNE - Directeur Général adjoint Pôle
Proximités et Solidarités, Conseil Départemental de la Corrèze
• Évelyne SANCIER - Directrice de SIRMAD Corrèze
Téléassistance
individus. Les inégalités en santé se creusent en amont de l’accès aux
soins au niveau des dispositifs de prévention et d’éducation en santé.
Par exemple, un cadre a aujourd’hui moins de chance de contracter
un cancer qu’un ouvrier. L’objectif est d’aboutir au décloisonnement
des acteurs afin de prévenir les maladies et de réduire les inégalités.
En Limousin, le travail porte notamment sur la gouvernance des
politiques de santé. Le processus de décisions associe l’ensemble des
acteurs en amont de la mise en œuvre des politiques territoriales de
santé. Nous ne sommes pas uniquement dans une logique de plans et
de leurs déclinaisons régionales : nous nous plaçons dans une démarche
de co-construction des politiques territoriales et des parcours. Nous
avons priorisé 7 parcours dont la prévention de la perte d’autonomie,
l’accès aux soins des personnes handicapées ou encore le parcours
des personnes autistes. Pour ce faire, et pour chacun de nos parcours
prioritaires, un conseil scientifique, composé de praticiens, de patients
et d’aidants, a été mis en place. Les propositions concrètes élaborées
par ces conseils sont ensuite proposées à un Comité de Pilotage,
composé de l’ARS, des présidents des Conseils Départementaux,
du président de la région, des fédérations des acteurs de santé,
d’association de patients. Ce temps de préparation des décisions
avec les acteurs permet de gagner du temps dans la mise en œuvre
ultérieure des mesures.
La mise en œuvre, quant à elle, se fait en utilisant les différentes formes
disponibles de contrats : contrats d’objectifs et de moyens (CPOM),
contrats locaux de santé (CLS), contrats d’investissements parcours
(CIP).
Nos politiques de santé sont en train de devenir des politiques de
contractualisation.
OLIVIER MARIOTTE
Comment passer d’un système de cure à care ?
BERNADETTE DEVICTOR
Selon l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), la santé se définit
par le bien-être physique, mental et social d’une personne où le soin
ne représente qu’une partie.
En cancérologie, au-delà de la chirurgie et de la thérapie, il existe
une réelle démarche d’accompagnement de la personne dans sa
globalité, extrêmement importante et représentant un gage de qualité
pour prévenir la récidive. Ce continuum entre les soins techniques et
l’accompagnement de la personne est indispensable.
OLIVIER MARIOTTE
Quel engagement de l’ARS à soutenir le développement de
partenariats locaux ?
PHILIPPE CALMETTE
Les métiers et positionnement des acteurs publics, telles que les
Agences Régionales de Santé, sont en train de changer. Nous sommes
à la fois régulateur de l’offre en santé et acteur de son amélioration. Le
défi est de déployer un système de santé, non exclusivement basé sur
un système de soins. Il faut penser et organiser une approche globale
de la santé publique. Notre système français se caractérise par le
respect du principe d’égalité pour l’accès aux soins lourds quelles que
soient les caractéristiques socioprofessionnelles ou de résidence des
Il faut aujourd’hui changer de paradigme et que chaque intervenant se sente
responsable de l’état de santé de la population. Pour exemple, une femme
de 70 ans polypathologique, avec des problèmes de vue et possédant de
faibles revenus, peut vite souffrir d’isolement puis de dépression.
Les mutuelles sont présentes pour prendre en charge les lunettes
mais la personne souffrante ne se rend pas chez l’ophtalmologiste
de peur de se sentir cataloguée. Aucun des intervenants ne se sent
responsable de cette spirale d’isolement. Comment faire pour passer
à une approche populationnelle ? En France, cette approche est
mise en œuvre dans la psychiatrie de secteur uniquement. Le Service
Territorial de Santé au Public a pour but de réfléchir à la mise en
mouvement de cette approche et faire que les acteurs se connaissent
et appréhendent ensemble les dispositifs. Se pose alors la question
de savoir qui intervient sur un territoire et avec quel référentiel ? Il faut
apprendre à partager des modalités d’intervention et savoir passer le
relais à d’autres personnes quand cela est nécessaire. Il faut revaloriser
les métiers de l’accompagnement, en multi partenariats.
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LES ACTES OFFICIELS
OLIVIER MARIOTTE
Quel accompagnement des personnes âgées ? Quelles évolutions
des pratiques ?
GUY HAGÈGE
Le rapport de Denis Piveteau « O sans solutions » sur les
personnes handicapées présente la description des points clés sur
l’accompagnement et le devoir collectif pour un parcours sans ruptures
chez les personnes handicapées.
Il est primordial d’aborder le point de vue de la personne handicapée
et faire faire à la personne.
Il faut raisonner en réponse modulaire et non plus uniquement en
termes de places, notamment la structuration du territoire. L’orientation
des personnes handicapées doit être un processus permanent et
partagé, comprenant une transversalité sociale, médico-sociale,
sanitaire et scolaire.
L’accompagnement représente un moyen de fluidifier les liens mais
également de mettre en place une démarche de service aux politiques
pour une société plus inclusive et participative.
Au travers du rapport Piveteau, on voit l’inclusion de multiples acteurs,
tels que les organismes payeurs, les décideurs publics ou les proches
aidants, pour une fluidité du parcours.
Les associations gestionnaires sont un lieu de maillage du territoire
mais doivent être en capacité de se réinterroger, notamment car
l’accompagnement est nécessaire pour tous les acteurs afin de
valoriser leur travail et simplifier leurs démarches. Il faut renforcer le
lien entre l’ensemble des acteurs pour fluidifier les démarches.
Les métiers doivent évoluer vers des métiers de l’accompagnement.
Les métiers de coordination de parcours doivent être reconnus,
attractifs et de qualifié, le tout dans un contexte de nouvelles réformes
(tarification de l’activité, référentiel, étude sur les coûts). La fédération
des acteurs présentent des enjeux sociétaux, sociaux et économiques.
OLIVIER MARIOTTE
En quoi une structure dédiée vers les métiers du soin, de la formation
et de la recherche, a une place légitime ? Comment mettre en place
ces nouveaux métiers ?
Étienne CANIARD
HAMID SIAHMED
Cela suggère une évolution au sein de nos structures hospitalouniversitaires et pose la question de la place d’un CHU dans l’émergence
de ce business model de santé de demain. Depuis quelques années,
notre CHU est en mouvement afin de préparer l’hôpital de demain,
qu’il faut réinventer. En 2012, nous avons mené un travail autour du
projet « d’un CHU de séjour à un CHU de parcours ». Cette feuille de
route vise à l’équilibre entre les missions d’expertise, d’excellence, de
recours, d’enseignement, de recherche et d’innovation, en intégrant
les notions de prévention et de santé publique. Le territoire de santé
sur lequel nous travaillons est unique et singulier, notamment de
part un vieillissement de la population assez marqué, conférant une
responsabilité particulière pour offrir toute l’expertise et l’accessibilité
à la population. Nous sommes très attachés à la notion de service
public de territoire.
Cette feuille de route a permis de cerner l’environnement sur lequel
nous évoluons, en termes de vieillissement de la population, d’incidence
des maladies chroniques, de la situation macro économique, du
déficit structurel de l’assurance maladie (pression budgétaire qui
renforce l’exigence d’efficience des organisations). Pour exemple, les
personnes âgées ont deux fois moins recours à l’hospitalisation que la
moyenne nationale, d’où un nécessaire travail d’adaptation des filières
dans la prise en charge de ces personnes. Notre défi est d’améliorer la
qualité de vie aux années de vie qui sont gagnées grâce aux progrès
de la science. Nous avons développé un certain nombre d’initiatives,
notamment dans les services des urgences car la moitié des personnes
âgées polypathologiques ont recours à nos structures en situation
d’urgence, pourtant délétères pour ces personnes. Des outils ont été
mis en place pour contrer ce phénomène et à titre d’exemples :
• la médecine d’urgence de la personne âgée au sein des urgences
avec une prise en charge globale dans le but de soigner, orienter et
accompagner vers le domicile ou une structure de transition.
• l’accompagnement des personnes atteintes d’Accidents Vasculaires
Cérébraux (AVC) et leur entourage, par l’intermédiaire d’une équipe
mobile intervenant au domicile, dans le processus d’adaptation et
d’acceptation des situations de dépendance en vue d’une meilleure
autonomie et d’un maintien à domicile.
Ceci rompt avec les modèles conventionnels de prise en charge et
nécessite une prise en compte indispensable des actes de prévention
et d’accompagnement dans un système de tarification au parcours.
OLIVIER MARIOTTE
Quelles évolutions futures des complémentaires santé et quelle
reconnaissance de leur activité, notamment les nouveaux services ?
ÉTIENNE CANIARD
Bernadette DEVICTOR
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Nous vivons actuellement une transformation du système, avec de
nombreux changements opérés et d’autres attendus. Il faut inverser
la démarche de prise en charge bâtie sur le modèle des maladies
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aigües, qui partait de l’offre de soins. Il faut privilégier l’organisation
d’une prise en charge autour de patients puis ensuite bâtir un modèle
économique. Il existe une volonté de changement du système mais
toujours dans une optique de solvabilisation avant tout. L’enjeu de
demain tient de l’organisation des parcours, mais qui va les organiser ?
L’ensemble des acteurs de santé devra s’en occuper, il faut cependant
définir l’investissement de chacun dans cette démarche.
L’offre est aujourd’hui principalement bâtie sur un modèle biomédical
qui néglige l’approche médicosociale ou sociale.
Il faut apporter des réponses à des besoins scandaleusement
négligés comme la prise en charge de la santé buccodentaire chez les
personnes âgées. La Mutualité, dans ce sens, joue un rôle primordial
mais encore trop timide. Nos différents métiers nous ont permis de
mettre en place un système permettant le déplacement de chirurgiens
dentistes dans les Établissements d’Hébergement pour les Personnes
Âgées Dépendantes (EHPAD) pour une prise en charge de proximité.
C’est dans le même esprit que nous agissons pour prévenir les chutes
et la dépendance, dues aux déficits sensoriels. Il est question de
transversalité et de parcours, et non de financement.
Un autre levier de changement concerne l’apparition de la santé
numérique qui offre une capacité de traitement de données encore
inimaginable hier. En 2020, on disposera de 50 fois plus de données
qu’aujourd’hui. L’enjeu portera sur l’utilisation de ces données. C’est le
cœur de la fonction d’accompagnement.
Nous sous-estimons la puissance des leviers, tel le progrès
technologique, pour transformer le système.
Grands Témoins
OLIVIER MARIOTTE
Quels sont les points d’aspérité relevés lors du débat ?
CHRISTOPHE DUVERNE
Je porte un regard candide, néanmoins positif, sur les politiques
publiques et les actions à venir. Je retiens de ce débat, comme
présentés sur la plaquette de présentation du CIMA, les trois motsclés suivants :
• écouter, notamment sur le terrain pour plus de proximité car
l’organisation reste encore trop centralisée et sa mise en œuvre
apparaît complexe.
• décloisonner, par la coordination des acteurs, la transversalité des
secteurs et la responsabilité établie de chacun.
• échanger, car la pluralité d’acteurs (institutions, associations, usagers,
libéraux) nécessite de l’humilité et de la tolérance.
Le CIMA est un événement à reconduire de part la nécessité de parler
et d’avancer collectivement, et ne plus faire « à la place de ».
LES ACTES OFFICIELS
possibilité d’hébergement local.
5 facteurs de différenciation dans la mise en œuvre de ce projet
innovant sont à relever :
• une coordination resserrée autour de la personne grâce au guichet
unique composé d’un référent et d’un médecin
• la garantie de continuité de services par une garde soignante
itinérante de nuit
• le lien avec le secteur sanitaire et la chambre en EHPAD pour avoir le
bon professionnel au bon moment pour la bonne personne
• un accompagnement à la vie citoyenne et à la vie sociale
• l’implantation de solutions domotiques et légères pour garantir les
services.
Un représentant régional des Paralysés de France : « Vous n’avez pas
parlé de l’égoïsme actuel de notre société. L’information, la prévention
et le suivi, sont nécessaires afin d’accompagner les patients,
cependant on ne sait pas faire le suivi. Il y a un manque de relais entre
les professionnels de santé. Quel partage de compétences entre les
différents métiers ? »
BERNADETTE DEVICTOR
Selon l’avis émis par la Conférence Nationale de Santé (CNS), notre
modèle est bâti sur la solidarité de proximité mais aussi celle nationale.
Nous avons un modèle mixte, il faut valoriser cette solidarité, comme
ce qui se fait en Angleterre avec les « twin houses », dans lesquelles une
personne valide et une personne handicapée résident et s’engagent
à s’entraider.
HUBERT, Maladies Rares Poitou-Charentes
L’accompagnement de proximité repose sur des personnes seules,
peut-on prévoir un répit pour ces personnes ?
ÉTIENNE CANIARD
On opposait il y a peu encore la solidarité individuelle et l’intervention
collective alors que ces deux notions ne sont pas contradictoires. Le
rôle des aidants est primordial, et l’intervention collective doit être
tournée vers les aidants afin de les appuyer. La Mutualité met d’ailleurs
en place des dispositifs de soutien.
BERNADETTE DEVICTOR
La loi sur l’adaptation de la société au vieillissement porte un début de
reconnaissance du droit au répit mais il faut aller plus loin.
GUY HAGÈGE
On dénombre 8 millions d’aidants en France. Un point nouveau est
la sensibilisation des aidants à leur mission d’aidant, rôle qui a le droit
d’être reconnu et valorisé.
OLIVIER MARIOTTE
Quel retour sur les expériences de terrain et notamment l’innovation
en Corrèze sur le modèle des maisons de retraite à domicile ?
ÉVELYNE SANCIER
Je travaille depuis 15 ans avec le Conseil Général du Limousin, où
nous avons pu accompagner près de 12 000 personnes en perte
d’autonomie. Cependant, malgré la bonne volonté des acteurs, les
ruptures dans la prise en charge et dans les soins apportés conduisaient
à l’hôpital. Nous avons décidé de porter les services de l’EHPAD à
domicile, en apportant une offre globale au domicile des personnes
avec une continuité des services 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, à partir
d’une plateforme de téléassistance, et avec l’appui du CH local et la
Hamid SIAHMED et Guy HAGÈGE
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LES ACTES OFFICIELS
OLIVIER MARIOTTE
ÉTIENNE CANIARD
Avec près de 200 000 médecins et 500 000 infirmières en France, disposet-on des relais nécessaires pour former les professionnels de terrain ?
Bien que parfois limités dans leurs compétences, les élus s’impliquent
de plus en plus aujourd’hui. Je suis davantage inquiet sur la vision
nationale. Le système conventionnel ne fonctionne plus du tout et peu
d’objectifs sont atteints. Cela représente un frein sur la territorialisation
du Projet de Loi de Santé, qui implique l’aval des élus nationaux.
HAMID SIAHMED
Il faut coordonner en lien avec les soins primaires et les intervenants au
domicile un plan de prévention personnalisé de soins. Il s’agit d’une
action importante à mener pour sensibiliser les médecins du premier
recours, former les professionnels de santé à l’évaluation, et c’est là
le rôle des équipes mobiles que nous avons mis en place. Se pose
également la question de l’Éducation Thérapeutique du Patient (ETP),
des aidants et de la personne âgée.
ÉTIENNE CANIARD
La formation est certes importante mais, encore une fois, un
problème d’organisation persiste à cause de difficultés d’insertion
et de coopération. Par exemple, les médecins ont manifesté contre
la vaccination par les pharmaciens, pourtant cela permettrait de
valoriser les compétences de chacun. L’organisation de la médecine
ambulatoire doit être revue et une réflexion sur les coopérations
apparait nécessaire.
GUY HAGÈGE
Tous les domaines, qu’il s’agisse du sanitaire, social ou scolaire,
doivent évoluer au même rythme et se remettre en cause sinon un
déséquilibre se créé.
OLIVIER MARIOTTE
En tant qu’élu local, un changement au niveau de la cité n’apparait pas
simple car il n’existe pas de formation ni de transparence sur la mise en
œuvre des changements, pouvez-vous nous parler d’expériences de
travail avec des élus locaux ?
BERNADETTE DEVICTOR
Les administrés s’expriment auprès des élus car si ces derniers n’ont pas
repéré les points d’action, cela soulève des problèmes d’organisation.
Nous, usagers, avons formé les élus. Peu de communes s’engagent
dans les problématiques de santé, il existe un réel enjeu avec la notion
de parcours de santé pour coordonner les acteurs car les élus et
collectivités ne peuvent être laissés de coté.
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Le Ministère est en charge de la tarification des établissements avec
un accompagnement forcément sanitaire, médicosocial et social,
mais qui va gouverner la coordination entre ces champs ? Qui fait la
formation ? Qui portera la responsabilité ? Quelle responsabilité pour
les personnes handicapées et quelle prise de risque ? Pour qui ?
BERNADETTE DEVICTOR
La responsabilité est primordiale. L’accompagnateur se place plutôt
du coté du soin que du social. Les soins primaires doivent se placer au
premier rang avec la bataille de l’hôpital.
Des questions persistent, au niveau du décloisonnement des dispositifs ;
les médecins doivent-ils être au centre de la coordination ?
La coordination peut être portée par l’équipe de soins de premier
et second recours puis portée par les acteurs médicosociaux. Le
médecin traitant à lui seul ne pourra pas assurer ce rôle, il faut de la
coordination avec l’ensemble des acteurs. Il faut de la coopération et
l’apport de chacun dans le cadre du parcours de santé. Il faut une
complémentarité et un partage d’analyse, d’information, d’outils, et
d’orientation. Il faut une approche bienveillante autour de la personne,
de la reconnaissance de l’autonomie de la personne. Il s’agit des
maître-mots de cette réforme.
GUY HAGÈGE
On ne peut projeter des nouveaux modes de fonctionnement sur les
schémas actuels, une impulsion politique nouvelle sera nécessaire.
HAMID SIAHMED
Tout ceci est une affaire d’organisation dans les murs de l’hôpital
et hors les murs. Il faut soutenir la dynamique de prévention et
de parcours personnalisé de santé en innovant sur les modalités
d’accompagnement.
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LES MÉTIERS DE L’ACCOMPAGNEMENT
SEXUEL POUR LES PERSONNES
HANDICAPÉES NOTAMMENT, ET PLUS
LARGEMENT POUR LES PERSONNES
EN PERTE D’AUTONOMIE.
• ANIMATEUR : Olivier MARIOTTE, Directeur de nile
• Marcel NUSS - Président de l’Association Pour la Promotion
de l’Accompagnement Sexuel (APPAS)
• Jill NUSS - Secrétaire de l’Association Pour la Promotion
de l’Accompagnement Sexuel (APPAS) et ancienne
Accompagnante Sexuelle
• Jean-François CERF - Chef de service du foyer de vie Le Rex
Meulen, Association les Papillons Blancs de Dunkerque
INTERVIEW DE BRIGITTE LAHAIE, marraine de l’Association
Pour la Promotion de l’Accompagnement Sexuel (APPAS)
Je milite pour la liberté sexuelle de chacun. Quand j’ai subi de
multiples chutes de cheval, je me suis rendue compte que le handicap
faisait partie de la vie et qu’il fallait s’adapter. La sexualité existe bien
au-delà de la seule reproduction. Il s’agit d’un sujet très mal abordé et
ancré dans les mœurs comme un sujet tabou.
Il faudrait lancer une pétition pour améliorer le bien-être des
handicapés, faire réagir et avoir un débat sur la prostitution.
OLIVIER MARIOTTE
Quel parcours personnel ? Quel accompagnement pour les personnes
handicapées ?
JILL NUSS
J’ai été escort girl avant de basculer dans l’accompagnement sexuel,
suite à l’appel d’un monsieur en situation de handicap que j’ai
rencontré. Cette rencontre s’est avérée cruciale car auparavant je vivais
valide dans un monde de valides. Je me suis d’abord rapprochée de
l’Association Suisse SEPH puis j’ai rencontré Marcel Nuss. La fondation
de l’Association Pour la Promotion de l’Accompagnement Sexuel s’est
faite en 2013. L’accompagnement sexuel, c’est l’arbre qui cache la
forêt, il faut accompagner autant sur le plan médicosocial que social.
En France, ce n’est pas encore le cas. Pourtant, j’ai régulièrement des
retours positifs et des remerciements sur l’expérience qu’ont vécue les
personnes ayant fait appel à notre association.
OLIVIER MARIOTTE
Quel accueil de cet accompagnement sexuel auprès des professionnels de santé ?
JILL NUSS
Nous observons énormément de rejet et de peur car la notion de
proxénétisme est associée à cet acte car nous mettons en relation la
LES ACTES OFFICIELS
personne en demande et la personne offrant un service. Le personnel
du médico-social n’a pas à le faire, ce n’est pas son rôle. Il faut des
personnes formées à l’accompagnement sexuel.
OLIVIER MARIOTTE
De quel accompagnement bénéficient les personnes vivant au Foyer de vie ?
JEAN-FRANÇOIS CERF
Les Papillons Blancs de Dunkerque est une association de parents,
d’amis, de personnes en situation de handicap mental, créée en
1961. Plus de 700 salariés y travaillent et près de 1200 personnes sont
accompagnées sur Dunkerque, au travers de 25 à 27 établissements
et services. En 2011, nous avons été confrontés à deux situations
parallèles. D’un côté, des personnes accompagnées de notre
établissement ont évoqué le désir d’une vie amoureuse et sexuelle, de
l’autre, nous sortions d’une belle collaboration avec Eric Beauchamp
pour la réalisation d’un spectacle sur les 50 ans de l’association. Nous
avons gardé le contact avec ce réalisateur et lors de discussions sur
nos soucis institutionnels, nous avons décidé de réaliser un film sur ce
sujet. Un comité de pilotage, composé de professionnels, de parents,
d’administrateurs, s’est réuni afin de valider le projet du film et d’écrire
un scénario.
Ce travail a abouti à un docu-fiction de 45-50 minutes, tiré de réalités
institutionnelles, dans lequel les résidents jouent. Nous avons mis en
place des formations auprès des salariés pour les sensibiliser sur les
questions de l’accompagnement de la vie amoureuse et sexuelle. Les
salariés se sentent rassurés et les résidents acquièrent plus de maturité
et de confiance. Il s’agit de prendre acte d’une demande individuelle
au sein d’une collectivité. En 2012, le Comité Consultatif National
d’Éthique (CCNE) s’était prononcé sur le refus de la création d’assistants
sexuels. Les préconisations portaient sur le renforcement de centre de
formation sur cette question. Nous en avons profité pour accompagner
le DVD du film d’un livret pédagogique qui explique le film, permet
de comprendre le pourquoi du film, et amène la théorisation des
principes de vie affective et sexuelle. Soutenus financièrement par le
Conseil Général du Nord, la Fondation de France, des associations
philanthropiques de l’agglomération dunkerquoise, plus de 800
livrets ont été diffusés à ce jour, et nous intervenons dans les centres
de formation, les Instituts Régionaux du Travail Social (IRTS), dans les
écoles d’infirmières, au théâtre, auprès d’associations, ainsi que dans
divers colloques en régions. Les objectifs de départ sont largement
dépassés et élargis. Nous n’avons pas la prétention d’apporter des
solutions mais de soulever des questions.
Nous nous organisons afin que cette thématique ne soit pas
taboue. La vie affective et sexuelle fait partie intégrante du projet de
l’établissement, et nous disposons d’un partenariat avec le planning
familial, permettant de soutenir nos salariés et d’apporter une
expertise.
INTERVIEW DE VANESSA LUCIANO, sexothérapeute et
vice-présidente de l’APPAS, par Brigitte LAHAIE
Une formation est nécessaire pour les prostituées car elles ont peur de
faire mal ou de mal faire, une problématique liée à la multiplicité de
handicaps existants.
En Allemagne, l’accompagnement sexuel est autorisé. Ce n’est pas
uniquement un rapport sexuel, mais un rapport sensuel. La prostitution
constitue souvent le premier pas vers la sexualité chez les personnes
qui ne sont pas en situation de handicap par exemple.
Ne pas prendre en compte la question de la vie affective et sexuelle
pourrait être qualifié de non-assistance à personne en danger car cette
dernière est enfermée dans son propre corps. Il s’agit d’un besoin vital.
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LES ACTES OFFICIELS
OLIVIER MARIOTTE
JILL NUSS
Quel cadre législatif pour l’accompagnement sexuel des personnes
handicapées et quelles évolutions envisagées ?
Nous recevons des réponses des personnes en situation de handicap,
telles que « maman ne voudra pas » ou « mes parents ne voudront
jamais ». Il existe une réelle peur de la réaction des parents.
MARCEL NUSS
Il existe beaucoup de freins. Pour les faire sauter, il faut être très pratique.
Juridiquement, l’accompagnement sexuel relève de la prostitution,
sauf dans le cas d’accompagnement de personnes handicapées
vivant en couple. Pourtant cette prostitution est légale en France, bien
que réprouvée. La loi existante sur le proxénétisme fait que dans le
milieu institutionnel, personne ne sait quoi faire donc personne ne fait
rien. Je suis proxénète bénévole aux yeux de la loi. Les institutions
prennent un risque relatif en passant par l’association, puisque nous
nous engageons à les défendre en cas d’éventuels problèmes avec la
justice. L’évolution nécessaire concerne les mots utilisés, il ne faut pas
parler d’assistanat sexuel mais bien d’accompagnement sexuel. Nous
disposons actuellement de 10 accompagnant(e)s dans l’association. Il
n’existe pas de notion de « pauvre handicapé » ou de « brave assistant ».
Notre but est d’obtenir soit une jurisprudence soit un aménagement
de la loi sur le proxénétisme. Nous avons gagné un premier procès
en référé au mois de mars, nous attendons sereinement la suite. Nous
refusons le moralisme qui s’attaque à la liberté individuelle.
JEAN-FRANÇOIS CERF
La société française n’est pas prête aujourd’hui. En Allemagne, il existe
déjà cet accompagnement sexuel, comme en Suisse et au Danemark.
La loi de 2005 réaffirme d’ailleurs ce droit aux personnes en situation
de handicap.
PATRICK FOUGEYROLLAS, Président du Comité Scientifique
MARCEL NUSS
Des mères masturbent leur fils ou leur payent une prestation
prostitutionnelle. Cependant, cela ressemble beaucoup à une forme
d’inceste. Il s’agit d’une violence psychologique et nous militons
contre cela. Environ 25 à 30 % des femmes et 15 à 20 % des hommes
en situation de handicap qui vivent en milieu institutionnel sont abusés
et/ou violés chaque année. L’association essaie d’éviter ce genre de
violence car les accompagnants sexuels sont des personnes formées.
OLIVIER MARIOTTE
Ce débat doit être porté au niveau national. Quel accueil auprès des
Parlementaires ?
MARCEL NUSS
Un député d’Isère nous offre 5 000 € de sa réserve parlementaire.
Jean-Luc Romero-Michel, Président d’une association combattant
pour le droit de mourir dans la dignité, a adhéré à l’association et
milite en ce sens. Des élus se rapprochent de nous mais ils ne sont pas
encore majoritaires. L’association est jeune et fait beaucoup de bruit !
UN REPRÉSENTANT de l’Association des Paralysés de France
Dans le projet d’inclusion, on parle d’accompagnants sexuels, mais il
y a un refus systématique de la Ministre en place. Comment peut-on
communiquer ? Existe-il des groupes d’expression ?
du CIMA
OLIVIER MARIOTTE
Je ne peux qu’être d’accord et appuyer cette mobilisation-là. Au
Québec, la situation n’est pas plus avancée. Il faut avancer.
Existe-il des ponts interassociatifs ?
MARCEL NUSS
MARCEL NUSS
Il faut préciser une chose. La sexualité n’est pas un droit, c’est une liberté.
La France a ratifié un texte définissant la santé sexuelle par l’OMS.
Cependant, il est facile de ratifier mais il faut mettre en œuvre maintenant.
UNE ASSISTANTE SOCIALE en Corrèze
Quelle est l’envergure nationale de l’APPAS ?
JILL NUSS
L’APPAS est basée en Alsace et plusieurs personnes collaborent avec
nous dans l’ensemble de la France. Un réseau de référents a été mis
en place afin de promouvoir, en région, l’association.
L’association est encore jeune et la première formation a seulement eu
lieu en mars dernier.
Non, on ne trouve pas de ponts interassociatifs. Je suis le
co-fondateur du Collectif Handicaps et Sexualités (CHS), et je suis
devenu Vice-Président de CH(s)OSE, une émanation du CHS, en 2011.
J’ai démissionné des deux en 2011 car rien ne se mettait en place.
L’Association des Paralysés de France (APF) et l’Association Française
contre les Myopathies (AFM) n’ont pas le courage de faire ce que nous
faisons, car elles ont peur d’assumer leurs positions et de perdre leurs
subventions. C’est pour cela que j’ai créé l’APPAS afin de mettre en œuvre
des actions concrètes. En 2007, j’ai promis que l’accompagnement
sexuel serait une réalité en France. Et c’en est devenu une. Nous allons
encore progresser. Il faut respecter les personnes qui sont contre, tout
comme celles qui sont pour acceptent que certains soient contre.
JILL NUSS
Nous sommes ouverts sur les réseaux sociaux et très souvent sollicités
pour une formation ou une intervention. En parler c’est bien, agir c’est
autre chose.
JEAN-FRANÇOIS CERF
L’association suisse « Corps Solidaires » intervient en France afin de
sensibiliser à ce métier. Au sein de cette association, près de 300 heures
de formation sont dispensées. Il s’agit d’un métier à part entière.
MARCEL NUSS
L’association « Corps Solidaires » souhaite d’ailleurs rejoindre l’APPAS.
OLIVIER MARIOTTE
Quel ressenti des familles vis-à-vis de cet accompagnement ?
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Marcel NUSS
MERCREDI 8 AVRIL 2015
FORUM
LES ACTES OFFICIELS
AUDE CADRAN, CLS en Creuse
JILL NUSS
La question de la sexualité est-elle réellement bien abordée au sein
des formations des professionnels du médico-social ? Peut-être
faudrait-il la repenser ?
On parle d’accompagnement sensuel ou sexuel des personnes en
situation de handicap, peut-être devrions-nous parler de personnes
en situation de dépendance ? Nous avons en effet déjà reçu une
demande de la part d’une personne de 97 ans.
JILL NUSS
Nous proposons des formations pour sensibiliser les professionnels de
santé au-delà des formations faites pour les pratiquants et/ou tenter
par l’accompagnement sexuel.
MARCEL NUSS
La formation que nous proposons est « humanisante », on est dans
l’« être » et pas dans le « faire ». Le but de notre formation est de
travailler sur les droits et les devoirs des professionnels de santé
concernant l’accompagnement de la personne dans son ensemble.
Il faut commencer par respecter la personne en soi dont la sexualité
fait partie.
JEAN-FRANÇOIS CERF
Concernant le film, nous avons été sollicités par des EHPAD, cependant
nous préférons différer cette demande, car nous ne souhaitons pas de
mauvaises interprétations.
CLAUDINE, Cadre de santé en EHPAD
En EHPAD, nous sommes confrontés à la sexualité chez les personnes
démentes. Nous essayons de leur laisser leur liberté. Les familles nous
tombent sur le dos, avec des menaces parfois. Quand la personne
est démente, on peut être confronté à leurs oublis, et entendre parler
d’attouchements non consentis.
JEAN-FRANÇOIS CERF
MARCEL NUSS
30 à 40 interventions auprès des centres de formations du métier du
social ont été faites depuis le film. Il existe encore un écart entre la
dimension affective et sexuelle de la personne et la dimension globale
de la personne.
Le but de l’association est de soulager les professionnels mais
également les parents, car ces derniers sont laissés à l’abandon dès
la naissance de leur enfant. Cela représente une charge de travail
énorme. Je milite pour qu’on arrête de stigmatiser les professionnels,
tout le monde a besoin d’être accompagné.
MARCEL NUSS
Il faut préciser une chose. Il ne faut pas entrer dans la confusion des
rôles. Les professionnels ne sont pas là pour faire de l’accompagnement
sexuel. Par contre, ils sont là pour compenser un handicap. Pourtant, ce
n’est pas toujours le cas : on peut prendre l’exemple d’une personne
handicapée qui demande au professionnel de poser sa main (celle de
la personne handicapée) sur son bas-ventre mais elle obtient un refus
du professionnel car ce dernier se doute que la personne handicapée
va se masturber une fois qu’il aura quitté la chambre, ce comportement
relève d’une faute professionnelle, de maltraitance psychologique.
PIERRE, Kinésithérapeute
Comment trouvez-vous, sélectionnez-vous et formez-vous les
accompagnants sexuels ?
JILL NUSS : Concernant la première formation, ils se sont tous
dirigés vers nous et nous avons pu échanger par mails et via Skype.
La formation que nous proposons dure 3 jours et demi, à la fin de
laquelle un certificat est décerné. Un forum a été mis en place. Plus
d’une trentaine de candidats se sont déjà manifestés pour notre
seconde formation.
JEAN-FRANÇOIS CERF
La réaction d’une famille scandalisée car son enfant, bien qu’âgé
de plus de 20 ans, a pu avoir une relation sexuelle est difficile. Nous
sommes encore confrontés à ces réactions pouvant aller jusqu’au désir
des parents de retirer leurs enfants de l’association.
MARCEL NUSS
L’accompagnement sexuel, et l’accompagnement de manière
globale, regarde l’ensemble de la population. Nous sommes tous
responsables. On ne peut envisager l’accompagnement en situation
de dépendance sans impliquer l’ensemble des partenaires, ce n’est
pas la seule responsabilité du professionnel. Travaillons ensemble,
tout en restant chacun dans son rôle.
JEAN-FRANÇOIS CERF
L’interdit est facile, privilégions l’écoute.
JILL NUSS
Vive l’éducation, vive la liberté et vive la vie.
MARCEL NUSS : Dans le premier groupe formé, on dénombrait
13 participants de 21 à 74 ans, dont plus de la moitié étaient des
hommes et 3 étaient des professionnels du sexe. Plus de la moitié
étaient mariés. Un certain nombre connaissait le milieu du libertinage.
Seuls 3 sont venus à titre personnel. Chacun des participants avait un
rapport très libéré au corps. Un travail de réflexion et de maturation est
indispensable de la part des candidats. La deuxième formation devrait
comprendre 7 femmes et 7 hommes.
PASCAL, Formateur en gérontologie de la Société Adage en Limousin
La sexualité dépasse la frontière des 60 ans. En Établissement
d’Hébergement pour Personnes Âgées Dépendantes (EHPAD), on le
voit bien. Quel retour d’expérience en institutions pour les personnes
âgées, comme en EHPAD ?
Jill NUSS et Jean-François CERF
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MERCREDI 8 AVRIL 2015
FORUM
ENFANTS FRAGILES, DE
L’ACCOMPAGNEMENT EN
MILIEU SCOLAIRE JUSQU’À
L’ACCOMPAGNEMENT EN FIN DE VIE :
COMMENT PASSER D’UNE LOGIQUE
DE STRUCTURE À UNE LOGIQUE DE
SOINS ?
• ANIMATEUR : Olivier MARIOTTE, Directeur de nile
• Bernadette GROSYEUX - Trésorière de l’European
Association of Service Providers for Persons with Disabilities
(EASPD), directrice générale du Centre de la Gabrielle à la
Mutualité Fonction Publique Action Santé Sociale
• Dr. Michel DUGNAT - Pédopsychiatre, responsable de l’Unité
parents-enfants du CHU Sainte-Marguerite de Marseille
• Amandine GAUTHIER - Parent d’un enfant porteur de
handicap
• Grands témoins :
• Dr. Christine PRADINES - Médecin coordonnateur de la
Maison Départementale des Personnes Handicapées de
Haute-Vienne
• Dr. Danièle HENIAU-MARQUET - Directrice santé,
parentalité et petite enfance au Conseil Départemental
de la Haute-Vienne
LES ACTES OFFICIELS
Il adore aller à l’école, alors qu’auparavant il ne voulait rien faire, ni
parler, ni écrire, ni apprendre. Dorénavant, il a des amis et raconte ses
journées ; de grandes avancées du fait de la socialisation par l’école.
Cependant, cela n’a pas été simple à cause de l’enfer administratif
auprès de la MDPH, mais également de la difficulté affective car on ne
reconnaît pas son enfant.
OLIVIER MARIOTTE
Lors de la préparation de votre intervention, vous nous avez parlé de
votre travail avec l’Association Prader-Willi, pourriez-vous développer
cette idée ?
BERNADETTE GROSYEUX
Nous avons réalisé sous la forme d’une plateforme ce que vous avez
fait, Mademoiselle Gauthier, de façon empirique et personnelle. Il est
extrêmement difficile de coordonner ce parcours. On parle ici d’une
nécessaire interdisciplinarité et globalité de soins. Il faut faire en sorte
que différents professionnels travaillent ensemble. La plateforme
permet à une coordinatrice à temps plein et aux parents de trouver
des solutions multiples. Ce sont près de 900 personnes qui sont
atteintes du syndrome de Prader-Willi.
La coordinatrice met en place le parcours en installant les professionnels
de santé tout comme le patient et l’entourage autour d’une même
table. Des ateliers d’éducation thérapeutique du patient (ETP), des
passages à l’hôpital de jour et de la rééducation sont organisés.
Les structures doivent trouver les moyens, auprès des pouvoirs publics,
de se coordonner entre elles.
OLIVIER MARIOTTE
Que retirez-vous du rôle de coordination, souvent exercé par les
parents ?
MICHEL DUGNAT
Amandine GAUTHIER
OLIVIER MARIOTTE
Quelle progression dans l’accompagnement scolaire des enfants
handicapés par rapport aux dispositifs mis en place ? Quel changement
pour vous, pour votre enfant ?
Il existe le parcours de soins d’un côté et la logique de structures
de l’autre. Un vrai problème de structures, de parcours et de tissu
interstitiel, existe. Il faut faire en sorte qu’existe entre structures des
connaissances partagées et des liens. Le médicosocial, la Protection
Maternelle et Infantile (PMI) ainsi que les services de pédopsychiatrie,
doivent travailler en réseau en réunissant les conditions nécessaires.
Les professionnels doivent se connaître un minimum et partager un
minimum de culture commune ainsi que valeurs communes. Chaque
institution possède sa logique. De quelle manière les pouvoirs
publics peuvent être des facilitateurs de mise en œuvre du parcours ?
Un équilibre est nécessaire pour ne pas être mis sous cloche mais
également ne pas être laissé dans l’abandon.
AMANDINE GAUTHIER, Mère interviewée dans le cadre
de l’étude du Centre Régional pour l’Enfance et l’Adolescence
Inadaptée (CREAI) et de l’Observatoire Régional de Santé (ORS)
Mon enfant de 8 ans est autiste, avec Trouble Envahissant du
Développement (TED). Je souhaitais la scolarité la plus « normale »
possible pour lui et j’ai pu le faire avec l’aide de la Maison
Départementale des Personnes Handicapées (MDPH) et des 12
heures par semaine en hôpital de jour.
Puis s’est posée la question du primaire, donc l’équipe éducative et
l’hôpital de jour m’ont aidé pour chercher une école. Nous avons
trouvé une école avec un pôle autisme pour assurer une scolarisation
quasi-normale, comprenant des ateliers d’accompagnement le matin,
où une auxiliaire de vie scolaire était présente, et en complément de
2,5 jours par semaine d’hôpital de jour. Son enfant pouvait désormais
être inclus dans des cours de sport.
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Bernadette GROSYEUX
MERCREDI 8 AVRIL 2015
FORUM
Grands Témoins
LES ACTES OFFICIELS
OLIVIER MARIOTTE
Quel accompagnement dans l’aide à la formulation des projets de vie ?
OLIVIER MARIOTTE
Quelles missions du médecin départemental de Protection Maternelle
et Infantile (PMI) ?
DANIÈLE HENIAU-MARQUET
Je travaille au département qui est le chef de file du social et n’a pas
de compétence directe dans le domaine de la santé. Il a cependant
une grande place dans la fluidité des parcours. Par ses entrées
multiples (insertion sociale, logement, budget, actions éducatives…),
les professionnels des services sociaux, de la protection de l’enfance
du Conseil Départemental proposent, dans le cadre d’une approche
globale, un accompagnement aux personnes en difficultés et très
souvent dans la précarité. Ils sont attentifs à leurs besoins dans le
domaine de la santé et ils participent, par leur approche spécifique, à
la fluidité du parcours de soins.
En ce qui concerne le secteur de la protection maternelle infantile, qui
me concerne plus particulièrement, nous sommes en « prise » avec le
parcours de soins le plus tôt possible. Notre intervention s’adresse à tous
les publics, même avant la naissance en direction des futurs parents,
avec des actions de prévention et dépistage précoce afin de favoriser
le développement de l’enfant et de minimiser le risque d’apparition de
troubles. Nous travaillons en réseau avec les maternités, les services
de pédiatrie, de pédo-psychiatrie, les Centres d’Action Médico-Social
Précoce (CAMSP), les libéraux, les modes de garde… pour orienter,
soutenir, accompagner le ou les parents dans le parcours de soins.
Mais ce n’est pas, non plus, le rôle du professionnel de faire le parcours.
Le parcours peut s’avérer parfois chaotique du fait de :
• problèmes du système de santé, tels que des délais très longs dans
la prise de rendez-vous,
• absence d’adhésion de certaines familles, pour des raisons culturelles
ou diverses (famille non prête, pas de représentation de la signification
de l’acte de soins …), aux propositions de soins.
CHRISTINE PRADINES
Les parents s’adressent à la MDPH pour formuler un projet de vie,
souvent à la suite d’un diagnostic. Nous menons un travail de recueil
sur le besoin et ressenti des parents et sur ce qu’ils souhaitent pour leur
enfant. Il ne faut pas les déposséder de l’avenir de leur enfant. Nous
recueillons ensuite les avis des professionnels qui gravitent autour des
familles pour aboutir à un projet dans l’intérêt de l’enfant. Il s’agit du
Plan Personnalisé de Compensation.
MICHEL DUGNAT
Les parents doivent se sentir acteurs du projet pour leur enfant. Il faut
que le professionnel de santé prenne le temps d’expliquer tous les
enjeux aux parents, en privilégiant l’écoute et l’attention. La réalité des
ressources des territoires famille par famille doit être prise en compte.
Certains parents déménagent uniquement dans le but d’offrir les bons
soins de proximité à leur enfant. Il faut donner aux parents la chance
d’offrir le meilleur à leurs enfants.
AMANDINE GAUTHIER
Le dossier MDPH ne m’a pas été expliqué. Le monsieur de l’hôpital
de jour m’a aidé à le constituer, et pourtant le dossier a été refusé
car il a été considéré comme « mal fait ». Un manque d’information,
sur l’existant dans sa région ou département, persiste. J’ai eu beau
déclarer un problème chez mon fils, personne ne l’a diagnostiqué
autiste avant ses 3 ans. C’est uniquement à ce moment-là qu’on a pu
me diriger vers un centre d’autisme.
CAROLE GUENIN, Directrice d’établissements médicosociaux (CCAS)
La co-construction avec l’alliance des parents est-elle nécessaire ?
Les parents doivent devenir auteur, plutôt qu’acteur. Il n’existe pas de
règles, nous travaillons au cas par cas. Nous devrions discuter avec
les parents de la place qu’ils souhaitent avoir dans le parcours de leur
enfant. Il ne faut pas travailler dans son coin mais organiser un vrai
parcours en regardant l’offre disponible sur le territoire.
DANIÈLE HENIAU-MARQUET
BERNADETTE GROSYEUX
Oui, elle est essentielle. L’information des parents, le dialogue, l’écoute
est la base de l’appropriation du parcours de soins par la famille.
Les parents et les professionnels travaillent ensemble. Les parents ne
peuvent pas être dépossédés de leur rôle d’éducation. Chacun de leur
point de vue trouvera la volonté de co-construire. Les coordonnateurs
sont nécessaires, il faut définir leurs missions. Le cas de handicap rare
devrait être la norme ; la plateforme créée dans le cadre de PraderWilly peut être reproductible.
MICHEL DUGNAT
MICHEL DUGNAT
Un large panel existe dans l’autisme, de multiples parcours peuvent
exister au sein même d’une pathologie. L’ambition du plan périnatalité,
notamment d’aide à l’humanisation de la naissance, des années 2000,
a disparu. Dans la loi, la PMI est en principe le chef de file, cependant
il existe souvent un manque de temps entraînant un réel déficit de
pilotage. On aurait besoin de voir la personne physiquement et se
mettre ensemble autour de la table pour améliorer la coordination
dans le parcours.
Christine PRADINES
OLIVIER MARIOTTE
Pourquoi ne pas utiliser Skype pour rencontrer ces personnes?
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FORUM
LES ACTES OFFICIELS
MICHEL DUGNAT
À l’hôpital, nous ne pouvons pas avoir Skype. Le Directeur des
Systèmes d’Information (DSI) le refuse.
BERNADETTE GROSYEUX
La question de la télémédecine se pose, cependant il faut savoir
l’animer. La coordination devrait donc exister également dans ce
secteur. Pour donner la parole à chacun et rester à un niveau d’expertise
élevé, ce n’est pas simple car cela requiert des moyens en termes de
politiques publiques pour le faire, encore limités. Ils sont à identifier.
FRANCINE, éducatrice spécialisée
On a souvent tendance à rester dans le déclaratif. Pour en sortir, il
faut traiter le décalage affectif, mais aussi culturel. Il arrive que les
parents face le deuil de l’enfant « normal », mais quand la situation
s’améliore, les parents évoluent vers un sentiment de « vous m’avez
pris mon bébé ». Il faut que le champ des possibles soit ouvert en
permanence. Depuis 1994, il existe un internat à la carte où les parents
ne se sentaient pas dépossédés de leur enfant car ils pouvaient les
reprendre quand ils le souhaitaient.
Michel DUGNAT
AMANDINE GAUTHIER
Certains parents n’ont pas la force de se battre, surtout après l’annonce
de la maladie. On nous laisse faire pour son éducation quand il est
« normal », alors pourquoi ne pas nous laisser faire quand il est en
situation de handicap ?
AMANDINE GAUTHIER
MICHEL DUGNAT
La situation diffère pour chaque famille. Le père de mon fils a refusé
son autisme et a coupé tous les ponts. Il faut parler aux parents car
nous pouvons réagir très différemment. On se projette dans l’avenir
de son enfant à travers les grandes étapes de sa vie (diplômes, travail,
mariage, etc) et lorsqu’on apprend sa maladie, on ne lui voit plus
d’avenir.
La notion de GPS évoque une cartographie fixe d’un territoire alors
que les institutions bougent. Il faut donc un GPS et la météo marine.
CHRISTINE PRADINES
Un projet de vie n’est jamais figé, il faut garder une certaine souplesse
pour permettre des changements dans le parcours de l’enfant.
AMANDINE GAUTHIER
La MDPH de mon département voulait absolument que mon fils aille
en centre ou en Institut Médico-Éducatif (IME). Pourtant des évolutions
avaient été notées et la possibilité de l’école « normale » semblait
appropriable. J’ai fait face à la frigidité du système.
CHRISTINE PRADINES
Les familles ne sont pas obligées de suivre les choix qu’on leur
propose. Il faut continuer le dialogue.
HÉLÈNE, Ergothérapeute
Des parents m’appellent tout au long de l’année car ils ne savent plus
quoi faire pour leur enfant. J’ai dû rappeler à la famille qu’elle était
acteur du parcours de son enfant et qu’elle ne devait pas forcément
suivre les choix proposés.
OLIVIER MARIOTTE
N’a-t-on pas besoin d’un GPS, en quelque sorte ?
BERNADETTE GROSYEUX
Les parents possèdent des compétences parentales. Ils sont également
co-contractants avec les pouvoirs publics ou avec les structures. Ce
sont eux qui signent la décision finale et ce pouvoir ne peut leur être
enlevé. Les associations en 1970, lors de la préparation de la première
loi sur le handicap, sont à l’origine de ces droits. Votre persistance,
Mademoiselle Gauthier, a permis de mettre en place ce parcours.
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MARIO LEMOINE, enseignant chercheur en sciences de
l’éducation à l’Université de Limoges
À l’Université de Limoges, nous avons confronté des points de vue et
recueilli des données sur 3 ans auprès des étudiants en situation de
handicap. La plupart des étudiants interrogés regrettent la vision de
parcours. Ils aimeraient qu’on leur « lâche la grappe », qu’ils puissent
se tromper sans le vivre comme un échec rédhibitoire. Ils regrettent la
démarche extrêmement procédurale. Ces étudiants désirent faire face
à des institutions plus réactives et adaptables.
BERNADETTE GROSYEUX
Cette étude est intéressante car les étudiants rappellent leur itinéraire
de vie. Les personnes en situation de handicap ne souhaitent pas parler
d’eux comme « handicapés ». On est dans l’aide et l’accompagnement
mais également dans le choix de vie ordinaire. La possibilité de choisir
librement son parcours est primordiale.
OLIVIER MARIOTTE
Faudrait-il inventer le métier de coordinateur ou donner cette
responsabilité à quelqu’un ?
BERNADETTE GROSYEUX
Je ne sais pas si c’est un métier mais c’est un savoir-faire, une mission
propre.
MICHEL DUGNAT
Qui reconnaît cette position de coordinateur ?
HÉLÈNE, Directrice de crèche
Dans les structures petite enfance, les petits sont dépendants et on
ne réserve pas de places pour les enfants en situation de handicap,
ils sont tous dans la même situation. Ces enfants obtiennent plus de
chance d’être intégrés en s’occupant d’eux comme les autres enfants.
Les professionnels doivent être tolérants.
MERCREDI 8 AVRIL 2015
FORUM
LES ACTES OFFICIELS
DANIÈLE HENIAU-MARQUET
HÉLÈNE, Directrice de crèche
C’est parfois un réel parcours du combattant pour trouver une place
en crèche pour un enfant en situation de handicap. Nous avons créé
un poste de référent départemental pour aider les familles à trouver un
mode de garde. Accueillir un enfant différent demande une ouverture
d’esprit et une formation.
Nous disposons de crèches, cependant ces dernières restent réservées
aux salariés du CHU. J’ai déjà accueilli une mère atteinte de handicap,
on devrait pouvoir étudier cette possibilité comme les autres.
AMANDINE GAUTHIER
J’ai arrêté de travailler pour m’occuper de mon enfant car il y a un
besoin de stabilité pour l’enfant. J’ai été voir la première assistance
maternelle qui a dit gérer la situation alors qu’elle n’en avait pas la
capacité. La deuxième assistante maternelle a tenu un an. Au vu des
déplacements constants entre les assistantes, les grands-parents et le
taxi, je me suis arrêtée de travailler et la situation s’est améliorée pour
mon enfant.
CHRISTINE PRADINES
Il existe des possibilités d’aides aux aidants, telles que les Prestations
de Compensation au Handicap (PCH) proposées à la famille.
PAULINE, mère dont l’enfant est atteint de troubles d’autisme
Je suis en diminution d’activité de travail car mon fils de 7 ans a
été reconnu comme étant atteint de troubles envahissants, et non
d’autisme. Je suis dans votre cas de figure, Mademoiselle Gauthier,
au niveau des dossiers MDPH. Il s’agit d’un réel combat pour la mère,
et notamment lorsque le papa est absent. On a l’impression d’être
délaissée par les professionnels de santé. J’ai dû sortir mon fils de
l’éducation scolaire ordinaire car les enseignants ne s’occupaient pas
de mon enfant et souhaitaient le sédater. Nous sommes seules.
AMANDINE GAUTHIER
Il est difficile de s’occuper de son enfant car nous sommes essoufflées.
On se bat pour son enfant mais nous ne disposons plus de temps
pour lui.
MICHEL DUGNAT
On a des parents qui sont en situation de handicap et qui ne répondent
pas assez au nourrissage affectif de leur enfant. Les crèches sont un
bien précieux incroyable dans ce cadre.
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MERCREDI 8 AVRIL 2015
FORUM
PILOTAGE DES PROJETS :
VISION NATIONALE OU APPROCHE
TERRITORIALE ?
En privilégiant l’approche par « Plans »,
ne risquons-nous pas de re-cloisonner les
problématiques transversales au système de
santé, et d’aller à contre-courant de la logique du
Parcours de Santé ? Doit-on privilégier une vision
centralisatrice ou bien une vision régionaliste ?
• ANIMATEUR : Olivier MARIOTTE, Directeur de nile
• Michel LAFORCADE - Directeur général de l’ARS d’Aquitaine
• Xavier FALAISE - Directeur des Services régionaux à l’AFM-T
• Dr. Laurence TANDY, Directrice Adjointe à la Direction
d’Appui à la Stratégie et du Droit des personnes de l’Agence
Régionale de Santé du Limousin
• Grand témoin :
• Pr. Yves MATILLON - Directeur de l’Institut des Sciences
et des Techniques de la réadaptation à l’UCB Lyon1
OLIVIER MARIOTTE
Quelle vision de l’accompagnement au niveau territorial ? Quelle
démarche mise en œuvre et quels partenariats engagés ?
XAVIER FALAISE
Il faut parler d’humain dans la mise en place des parcours pour
les personnes malades atteintes de maladies rares ou neurodégénératives, car cela requiert un parcours de santé complexe.
Au-delà du diagnostic, de la multitude de personnes intervenantes
et de l’interdisciplinarité, il faut faire face aux incapacités. La maladie
impacte l’ensemble de la famille, car elle est souvent héréditaire. Ces
personnes sont souvent perdues et confrontées à des risques de
rupture dans le parcours. Nous avons mis en place des techniciens
de parcours il y a 30 ans, que l’on nomme désormais « référents de
parcours de santé » (acquérir des ressources pour être acteurs de leur
santé). Ces coachs permettent un apport d’information, un éclairage
sur la maladie, l’empowerment du patient (rendre le malade acteur et
compétent) et l’orientation vers les dispositifs existants. Ces référents
sont présents lors des consultations médicales et apporte une
démarche d’accompagnement particulière des malades. Ce modèle
pourrait servir à d’autres personnes atteintes de maladies évolutives
complexes. Sur le terrain, avec d’autres associations, nous avons pu
développer des partenariats. En Rhône-Alpes, nous avons œuvré
avec le CISS et les associations locales, avec le soutien financier de
l’ARS, pour développer un projet de transfert de compétences. Il s’agit
d’actions de terrain suivies au niveau national par le Ministère et la
CNSA notamment.
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LES ACTES OFFICIELS
La force de ce travail d’accompagnement provient de la demande des
familles en termes de besoins et d’attentes. L’accompagnement de
proximité se fait tout au long du parcours de la vie, d’avant la naissance
jusqu’à l’après décès. Nous sommes au cœur de la vie de la personne
pour lui « faire faire ».
OLIVIER MARIOTTE
L’échelon national aide-t-il à mettre en œuvre ces actions ?
XAVIER FALAISE
Oui. Le niveau national permet d’apporter une vision d’ensemble et de
réguler les divergences entre les régions en termes de suivi médical,
de démarches, de défense des droits lors de contentieux par exemple.
On ne vit pas de la même manière avec sa maladie selon la région.
Nous privilégions la concertation, à travers la plateforme d’appui, et
la coopération avec les acteurs locaux comme les pouvoirs publics.
OLIVIER MARIOTTE
Comment mettre en œuvre les actions à l’échelon local ?
LAURENCE TANDY
Il ne faut pas opposer cadrage national et initiative de proximité. Les
circulaires émanent du terrain. Le niveau national donne la possibilité
de reproduire les initiatives jugées positives. Les acteurs viennent
vers nous et nous appuyons les demandes que nous recevons. Qu’il
s’agisse d’une approche populationnelle ou par pathologie, les points
de ruptures se retrouvent à tous les échelons. Les problèmes de
coordination et de transmission de l’information sont transposables
à un ensemble de pathologies. Nous avons besoin de structurer et
de faire fructifier les initiatives locales. Nous nous appuyons sur un
comité d‘experts, comprenant les patients, en partant du terrain avec
des professionnels de tous horizons, puis nous réunissons le comité
de pilotage (Conseil Départemental, les Conseils Régionaux et les
collectivités) afin de mettre en musique ce qui a été décidé par le
comité d’experts. Il s’agit d’un changement profond. Concernant les
personnes âgées, il faut faire travailler une aide à domicile et faire
valoir son travail, notamment les informations qu’elle détient, en
les transmettant au médecin par exemple. Cela permet d’aboutir à
un changement de mentalité d’exercice. Il peut être parfois difficile
d’accompagner l’ensemble des initiatives locales mais l’appui national
doit être considéré comme une aide.
OLIVIER MARIOTTE
La fonction d’animation est-elle partagée et considérée comme une
politique générale du Ministère de la Santé ou tient de la personnalité
et la politique de l’ARS en elle-même ?
Xavier FALAISE
MERCREDI 8 AVRIL 2015
FORUM
LES ACTES OFFICIELS
LAURENCE TANDY
Le parcours est porté par le Ministère de la Santé. La façon de le
décliner diverge mais on remarque une convergence sur le principe.
Le partage, notamment par la Conférence Régionale de la Santé et
de l’Autonomie (CRSA), est équitable sur tout le territoire. Les modes
peuvent être partiellement développés, cependant l’impulsion est
donnée. La particularité du Limousin repose sur le nombre de parcours
important sur lesquels les priorités ont été portées.
Grand Témoin
OLIVIER MARIOTTE
Laurence TANDY
L’approche esquissée ici correspond-t-elle au niveau national ?
YVES MATILLON
Je souhaite revenir sur la partie recherche et de l’évolution de son
financement. L’Agence Nationale de la Recherche (ANR) ou l’Institut
National de la Santé et de la Recherche Médicale (INSERM) ont des
processus de décision nationaux, cependant une ouverture vers les
réalités régionales se fait. C’est le cas avec les Programmes Hospitaliers
de Recherche Clinique (PHRC), qui ont tendance à s’élargir avec
l’association de professionnels de santé, de nouvelles thématiques
et touchant le premier recours. Des projets régionaux peuvent rentrer
dans ce cadre et se faire financer. La Mutualité intervient sur les projets
de parcours, notamment grâce au Fonds de Développement des
Services de Soins et d’Accompagnement Mutualistes (FDSSAM).
Des millions d’euros sont attribués aux projets locaux pour la prise en
compte des parcours.
LAURENCE TANDY
Le terme de parcours de santé me choque moins que celui de parcours
de soins car il s’agit d’une approche complète. L’accompagnement
fait partie du parcours de santé, ce n’est pas antinomique.
CHRISTIAN, porteur du projet « les béquilles du cognitif »
Devrions-nous parler de parcours d’accompagnement à la place
du parcours de santé car l’inclusion du parcours de santé est déjà
comprise ?
MICHEL DUGNAT
Concernant les métiers, le dispositif juridique reste napoléonien, c’està-dire que le Ministère décide des personnes rentrant dans le code de
la santé publique, comme c’est le cas en ostéopathie.
Que conseilleriez-vous pour se faire croiser la question du parcours
de soins/santé pendant la grossesse et la question de la souffrance
psychique ? Comment faire pour améliorer la qualité périnatale du
suivi et du prendre soin dans ces situations, dans les grandes régions
pauvres comme en Provence-Alpes-Côte d’Azur (PACA) ?
À quel degré d’adéquation peut-on aboutir entre le projet local et le
cadrage national ? Des difficultés peuvent subvenir à ce moment-là.
Le Limousin compte 8 000 naissances alors qu’en PACA, on dénombre
presque 60 000 naissances. »
Je m’interroge sur la démultiplication des notions de parcours, de telle
sorte d’arriver à une défragmentation de la prise en charge des malades.
LAURENCE TANDY
La problématique française porte sur la reconnaissance des nouveaux
métiers.
Les points de rupture dans les parcours sont identiques donc les
solutions devraient être identiques. La solution humaine de référent
de parcours de santé est reproductible à d’autres pathologies. Les
autres parcours en Limousin ont un comité de pilotage comprenant
les mêmes membres afin de ne pas démultiplier les lieux de décision.
XAVIER FALAISE
LAURENCE TANDY
Vous parlez d’un projet à l’initiative d’une personne qui a fédéré autour
d’elle des professionnels de tout univers, en associant notamment
des sages femmes dans une équipe de pédopsychiatres autour de
la prise en charge de parcours complexes. Il s’agit d’une approche
pluridisciplinaire pour une plus grande transversalité. Les entrées
dans le parcours sont multiples, elles peuvent se faire par la PMI et les
travailleurs sociaux notamment. Je conseille de joindre directement
le Docteur qui a mis ce système en œuvre au Centre Hospitalier
Spécialisé (CHS) d’Esquirol.
Ce sont ce type d’initiatives qu’il faut faire connaître pour que le
cadrage national puisse l’appliquer dans d’autres régions.
Notre expérience de l’accompagnement tout au long du parcours a
permis d’élaborer une réponse applicable à un ensemble de parcours.
XAVIER FALAISE
Les acteurs locaux ont tout à disposition pour construire de vrais
parcours. La personne malade n’a pas à s’adapter au parcours. Il faut
mener un travail d’interpellation des acteurs locaux pour réunir et
construire ensemble des réponses.
On fait le constat du manque de lien entre les différents spécialistes
auxquels se confronte le patient dans sa prise en charge médicale. Des
consultations multidisciplinaires, financées par les fonds du Téléthon, ont
été mises en œuvre au CHU pour une meilleure coordination. Le Plan
Maladies Rares a permis de mettre en place des centres de référence.
CHRISTIAN, porteur du projet « les béquilles du cognitif »
Le handicap est une souffrance imposée par le milieu dans lequel on
évolue comme disait Monsieur Fougeyrollas. On ne peut inclure le
handicap dans le parcours de santé que s’il approche les perturbations
cognitives. Comment peut-on traiter handicap et parcours de santé ?
YVES MATILLON
Des objectifs de recherche clinique pourraient être financés, car il en
existe peu sur le champ de la multidisciplinarité, et des appels d’offre
existent.
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FORUM
LES ACTES OFFICIELS
UNE PERSONNE DE L’ASSISTANCE
OLIVIER MARIOTTE
Il existe un paradigme médical en France. Au Canada, on aborde
la question du handicap d’un point de vue écologique car c’est lors
de l’interaction entre la personne et l’environnement que se pose la
situation de handicap.
La problématique de financement est la suivante : nous disposons du
Fonds d’Intervention Régional (FIR) et d’une possibilité de fongibilité
mais cela ne constitue qu’un fonds d’amorçage.
YVES MATILLON
Il s’agit d’une question juridique car la seule personne apte à agir sur
le corps d’une personne est le médecin. Le reste représente de la
concession sociale, nous devons intégrer le système juridique.
PASCAL POUSSE
Les acteurs de terrain sont en train de construire le nouveau modèle
de santé de demain. Une convergence entre les niveaux et avec
tous les acteurs est nécessaire. Le niveau territorial devrait pouvoir
proposer des directives au niveau national. Nous sommes en marche
en Limousin mais également ailleurs. Il faut prendre en compte les
nouveaux métiers et les nouvelles compétences.
YVES MATILLON
Si on veut faire aboutir cette convergence, une vraie stratégie doit être
mise en œuvre. C’est un ensemble d’activité qui fait qu’on aboutit à
un métier. On acquiert des compétences, on ne les transfère pas ! Il
faut retrouver le sens de chacun des mots. Il faut créer une activité
particulière qui nécessite des compétences particulières. Faisons le
ménage parmi l’ensemble des métiers déjà existants.
LAURENCE TANDY
C’est un début prometteur et il est prévu d’élargir le FIR. En France, la
réforme prend du temps, aujourd’hui nous disposons d’une certaine
souplesse.
OLIVIER MARIOTTE
Nous avons dressé le constat d’un manque d’actes d’ophtalmologie,
une convention avec les orthoptistes a été faite mais le projet est
tombé à l’eau.
LAURENCE TANDY
Des procédures d’expérimentation existent mais prennent du temps
à se formaliser et se généraliser. La problématique juridique est
fondamentale en France.
YVES MATILLON
La filière juridique est importante mais également la filière sociale.
La France est un des seuls pays à ne pas reconnaître le métier
d’orthoptiste.
MARIE-LAURE VILLARS
LAURENCE TANDY
Je suis sage-femme et j’accompagne un événement de la vie, la
naissance. On peut voir apparaître des pathologies, chroniques
et psychiatriques, impactant l’environnement de la personne. En
Limousin, on nous a fait confiance pour instaurer une double culture.
Je suis consciente de la limite de mes confrères. Nous devons être
plus ouverts, cependant les personnalités doivent s’y prêter.
En effet, de mon poste de sage-femme, j’ai été vers la santé mentale
en acquérant de nouvelles compétences. La façon de travailler évolue
dans l’accompagnement de la naissance car il ne constitue plus
uniquement un acte technique. Suis-je une référente de parcours de
santé ? Sûrement.
LAURENCE TANDY
On ne reconnaît l’existence d’un nouveau métier que s’il y a un
diplôme, de nouvelles compétences et des nouvelles rémunérations.
L’évolution des compétences n’est pas évidente et le cadrage national
permet d’apporter un appui à cette transformation. Il faut un soutien
juridique afin de donner du sens à ces nouvelles compétences, en
passant par une reconnaissance.
YVES MATILLON
Disposez-vous d’un partage, d’une analyse ou une étude la possibilité
d’extrapolation ?
LAURENCE TANDY
Le parcours des Personnes Âgées En Risque de Perte d’Autonomie
(PAERPA) correspond à neuf expérimentations sur neuf territoires
différents. Le partage des expériences par l’évaluation permet de se
coordonner et d’anticiper les actions.
JEAN-PIERRE, Directeur d’établissement
Nous avons des aides médico-psychologiques (AMP), des moniteurs
éducateurs et des aides soignants. Les AMP ne sont pas forcément
formées pour faire les toilettes. Cela nécessite une formation,
cependant légalement on ne peut former les personnes qui ne sont
pas infirmiers ou aides soignants. Le référent de parcours de santé
n’est pas un métier, il s’agit d’une fonction à remplir.
XAVIER FALAISE
On a tendance à se tourner vers l’ARS ou les collectivités locales
en quémandant mais cela aboutit uniquement à des réponses
défavorables à cause d’un manque de fongibilité. Nous devons être
offreurs de réponses aux besoins des pouvoirs politiques.
OLIVIER MARIOTTE
Yves MATILLON
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Les plans d’expérimentation, comme « Territoires de soin numérique »
déployés sur 5 régions, ne représentent-ils pas un frein ?
MERCREDI 8 AVRIL 2015
FORUM
LES ACTES OFFICIELS
PATRICK CHARPENTIER
YVES MATILLON
Il ne faut pas confondre le contenant et le contenu. Nous travaillons la
matière. La gouvernance de l’ARS doit permettre de combler ce qu’il
manque et recenser ce dont on dispose déjà. Il faut faire travailler les
personnes ensemble jusque dans la formation. Tout le monde n’a pas
la chance de bénéficier de fonds, il faut réussir à conjuguer cela.
Nous devons faire fructifier les niveaux régional et national. Les
expérimentations permettent d’organiser des tentatives d’amélioration
du système, comme par exemple la réorganisation de la première
année de médecine. Aucune culpabilisation ne doit être ressentie par
les professionnels de santé et du médicosocial.
XAVIER FALAISE
LAURENCE TANDY
Il existe la possibilité de faire, bien que tout ne soit pas rose. Nous
n’avons pas besoin d’attendre le cadrage national pour aboutir à des
initiatives efficaces. C’est une question de changement de culture, il
faut redonner le pouvoir d’action aux personnes en situation fragile.
Trois enjeux majeurs ont été identifiés, à savoir la formation, la
pluridisciplinarité (lutter contre l’omnipotence) et le changement
de paradigme, qui est déjà en route grâce à la transformation des
mentalités, illustrée par le référent de parcours de santé. Il faut
désormais passer à l’acte.
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