Vers un nouveau mythe lunaire de Salomé
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Vers un nouveau mythe lunaire de Salomé
PĹrĂeŊsŇsĂeŊŽ ĹuŠnĹiŠvČeĽrŇsĹiĹtĄaĹiĹrĂeŊŽ ĂdĂe ĎlĄaĞ MĂéĄdĹiĹtĄeĽrĹrĂaŠnĂéĄe— UŢnĂe ĂqĹuĂeŊsĹtĽiĂoŤn? UŢnĞ ŇpĹrĂoĘbĘlĄèŞmĂe? TĂéĚlĄéŊpŘhĂoŤnĂeĽz ĂaĹuĞ 04 99 63 69 23 ĂoŁuĞ 27. ĂcŞvČe72 — DĂéŊpĂaĹrĹt ĹiŠmŇpĹrĹiŠmĂeĽrĹiĂe — 2010-12-13 — 11 ŘhĞ 29 — ŇpĂaĂgĄe 167 (ŇpĂaĂgĽiŠnĂéĄe 167) ŇsĹuĹrĞ 302 Vers un nouveau mythe lunaire de Salomé Modernité de la mise en scène de la danse de Salomé Atsuko Ogane (Université Kanto Gakuin) Salomé de Wilde est une pièce célèbre qui a inspiré de nombreuses adaptations, au théâtre, pour l’opéra et le ballet depuis le début du xxe siècle. Auparavant, Salomé n’était qu’un personnage secondaire dans l’Évangile selon saint Mattieu (XIV : -) et dans celui de saint Marc (VI : -), épisode dans lequel la décollation de saint JeanBaptiste par Hérodias est exécutée par l’entremise de la danse de sa fille ; mais cette histoire s’est transformée à partir des années - en un véritable mythe moderne de Salomé. Mireille Dottin-Orsini ne dit-elle pas : « Les textes fondateurs du mythe, en ce cas, ne sont plus les Évangiles, mais bien Hérodias et À rebours, œuvres phares qui ont pris le relais ? » L’énigme de la danse des sept voiles, ainsi que la scène choquante du baiser de la princesse à la tête décapitée ont suscité un vif . Mireille Dottin-Orsini, Salomé, Figures mythiques, Autrement, Paris, , p. . La plus grande spécialiste de Salomé, Mireille Dottin-Orsini, remarque que le mythe de la femme fatale s’épanouit « autour des années dans toutes les formes d’art et dans toute l’Europe » (ibid., p. ). Dans l’introduction de son ouvrage Salomé entre vers et prose — Baudelaire, Mallarmé, Flaubert, Huysmans, Bertrand Marchal, limitant l’étude de ce mythe à Salomé, précise : « À partir du milieu des années quatre-vingt, [...] Salomé devient véritablement un sujet obligé, ou un lieu commun » (Les Essais, José Corti, , p. ). Nous pourrons même faire remonter l’origine de ce mythe de Salomé aux années soixante-dix, en tenant compte des œuvres suivantes : « La Danseuse » de Banville () ; « La fille d’Hérodias » d’Arthur O’ Shaugnessy () ; « Étude scénique d’Hérodiade » de Mallarmé () ; « Femme » de Tristan Corbière () ; « Salomé » de Jean Lahor () ; Le Coffret de Salomé de Gustave Toudouze () ; Hérodias de Flaubert () ; L’Éxpiation de Salomé de Charles Buet (). PĹrĂeŊsŇsĂeŊŽ ĹuŠnĹiŠvČeĽrŇsĹiĹtĄaĹiĹrĂeŊŽ ĂdĂe ĎlĄaĞ MĂéĄdĹiĹtĄeĽrĹrĂaŠnĂéĄe— UŢnĂe ĂqĹuĂeŊsĹtĽiĂoŤn? UŢnĞ ŇpĹrĂoĘbĘlĄèŞmĂe? TĂéĚlĄéŊpŘhĂoŤnĂeĽz ĂaĹuĞ 04 99 63 69 23 ĂoŁuĞ 27. ĂcŞvČe72 — DĂéŊpĂaĹrĹt ĹiŠmŇpĹrĹiŠmĂeĽrĹiĂe — 2010-12-13 — 11 ŘhĞ 29 — ŇpĂaĂgĄe 168 (ŇpĂaĂgĽiŠnĂéĄe 168) ŇsĹuĹrĞ 302 CAHIERS VICTORIENS ET ÉDOUARDIENS, n° 72 (octobre 2010) intérêt de la part des écrivains et des metteurs en scène. Cette énigme est d’autant plus fascinante que Wilde n’a écrit qu’une seule indication scénique : « Salomé danse la danse des sept voiles. » L’opéra de Strauss a accentué le mysticisme de la pièce de Wilde par sa fameuse représentation de la scène dominée par la Lune immaculée. Or, ces dernières années, nous remarquons deux nouveaux courants contradictoires dans la représentation contemporaine de « la danse de Salomé » : le retour à sa genèse littéraire, la reprise des éléments flaubertiens d’une part, et la résistance au fameux appareil scénique : la disparition de la tête coupée et de la danse des sept voiles, d’autre part. La commémoration du centenaire de la création de l’opéra de Strauss, dont le livret est une traduction de la pièce de Wilde, à Dresde en , pourrait être l’occasion de reconnaître l’étendue et l’influence de cette pièce dans la formation de ce mythe européen. Afin de mieux comprendre cette évolution, nous devons d’abord remonter à la fin du siècle où Salomé devient le mythe emblématique de la femme fatale, dont la mise en scène dans la pièce de Wilde est dominée par l’élément lunaire. Si Wilde ne décrit pas la fameuse danse de Salomé, Flaubert l’a dépeinte seize ans auparavant. D’après notre « Chronologie des adaptations du mythe d’Hérodias-Salomé » du ie siècle (la formation du Nouveau Testament) à nos jours, établie en , Hérodias ( ) de Flaubert présente la première description littéraire de la danse de Salomé, . Atsuko Ogane, La genèse de la danse de Salomé — Flaubert, Moreau, Mallarmé, Wilde, Keio University Press, Tokyo, en japonais, avec une annexe en français présentant la chronologie inédite des adaptations du mythe Hérodias-Salomé, dans tous les domaines artistiques (roman, prose, poème, théâtre, opéra, musique, ballet, pantomime, danse, film, peinture, sculpture) du Moyen Âge jusqu’en (p. -). Pour l’établissement de cette chronologie, nous avons non seulement consulté des ouvrages et des catalogues importants concernant Salomé, notamment ceux de Mireille DottinOrsini et l’annexe de Salomé dans l’édition bilingue de Pascal Aquien, mais aussi collationné et sélectionné les titres des œuvres concernant Hérodias et Salomé, tirées de la base de données FRANTEXT et titres traitant de Salomé à la Bibliothèque nationale de France, et consulté les documents conservés à la Bibliothèque de l’opéra Garnier. Nous envisageons le projet d’hypertextualisation de cette chronologie des adaptations et de la formation du mythe Hérodias-Salomé à partir de , dans le but de créer l’Archive de Salomé. . Hérodias est publié en feuilleton dans Le Moniteur du au avril (Hérodias in Trois contes, introduction et notes par Pierre-Marc de Biasi, Paris, Librairie Générale Française, Le Livre de Poche, . Les références d’Hérodias dans notre texte renvoient à cette édition). Un mois avant, Gustave Toudouze a envoyé à Flaubert son ouvrage Le coffret de Salomé : nouvelle vénitienne (Dentu, Éditeur, ) avec cette dédicace : « À Gustave Flaubert, mon cher maître, hommage respecteux et affectueux souvenir 168 PĹrĂeŊsŇsĂeŊŽ ĹuŠnĹiŠvČeĽrŇsĹiĹtĄaĹiĹrĂeŊŽ ĂdĂe ĎlĄaĞ MĂéĄdĹiĹtĄeĽrĹrĂaŠnĂéĄe— UŢnĂe ĂqĹuĂeŊsĹtĽiĂoŤn? UŢnĞ ŇpĹrĂoĘbĘlĄèŞmĂe? TĂéĚlĄéŊpŘhĂoŤnĂeĽz ĂaĹuĞ 04 99 63 69 23 ĂoŁuĞ 27. ĂcŞvČe72 — DĂéŊpĂaĹrĹt ĹiŠmŇpĹrĹiŠmĂeĽrĹiĂe — 2010-12-13 — 11 ŘhĞ 29 — ŇpĂaĂgĄe 169 (ŇpĂaĂgĽiŠnĂéĄe 169) ŇsĹuĹrĞ 302 VERS UN NOUVEAU MYTHE LUNAIRE DE SALOMÉ non seulement en France mais à travers le monde : auparavant, de nombreux artistes ont représenté cette jeune princesse, depuis le Moyen Âge, surtout dans la peinture et la sculpture religieuses, mais c’est seulement à partir de la deuxième moitié du dix-neuvième siècle que Salomé acquit une certaine gloire dans le domaine littéraire. Atta Troll d’Heinrich Heine , long poème allégorique où la reine Hérodiade joue avec la tête coupée de saint Jean-Baptiste comme avec une balle, a paru en Allemagne dans Die Zeitung für die elegante Welt en ; par la suite, la publication de la traduction française de ce poème dans Poèmes et légendes () inaugure la mode d’Hérodias et de Salomé dans le domaine poétique en France. Aussitôt après cette publication, Théodore de Banville fait paraître son « Hérodiade » avec une dédicace à Atta Troll d’Henri Heine , portant la date de « Juin », dans L’Artiste du août . À la même époque, Baudelaire évoque aussi le thème de la femme fatale dans son poème « Le serpent qui danse », dans Les Fleurs du Mal publiées en à Paris, tandis que J. C. Heywood publie deux poèmes dramatiques à New York, Hérodias en et Salomé en . Banville fait paraître un sonnet sur Salomé, « La Danseuse », dédié à la Salomé de Regnault. Ainsi, au début de cette vogue en France, les poètes sont attirés autant par la figure de la mère Hérodias que par celle de sa fille Salomé. En , Mallarmé publie son poème théâtral « Étude scénique d’Hérodiade » dans Le Parnasse contemporain, et crée une princesse solitaire désignée du nom de sa mère. Suite à ces créations poétiques, une vraie mode d’Hérodias-Salomé se répandit dans le domaine romanesque avec le conte d’Hérodias de Flaubert, qui, en plus de la peinture de Moreau et des vers de Mallarmé, inspira définitivement Wilde pour écrire Salomé en français ; néanmoins, si Wilde a emprunté l’élément lunaire au texte de Flaubert, celui-ci est dominé par l’élément solaire. Comment le mythe de Salomé s’est-il ainsi radicalement transformé d’un mythe principalement solaire à un mythe lunaire, vers la fin du xixe siècle ? de son tout dévoué ami, Gustave Toudouze, mars » ; le livre est conservé à la bibliothèque de Flaubert à Canteleu. Il est intéressant de noter que, comme Flaubert, Toudouze mentionne le soleil dans l’incipit et à la fin de son œuvre. . La première traduction française d’Atta Troll a paru dans la Revue des Deux Mondes en mars . . Théodore de Banville, Œuvres poétiques complètes, Édition critique, tome IV, Les Éxilés, Améthistes, Les Princesses, Honoré Champion Éditeur, Paris, , p. . 169 PĹrĂeŊsŇsĂeŊŽ ĹuŠnĹiŠvČeĽrŇsĹiĹtĄaĹiĹrĂeŊŽ ĂdĂe ĎlĄaĞ MĂéĄdĹiĹtĄeĽrĹrĂaŠnĂéĄe— UŢnĂe ĂqĹuĂeŊsĹtĽiĂoŤn? UŢnĞ ŇpĹrĂoĘbĘlĄèŞmĂe? TĂéĚlĄéŊpŘhĂoŤnĂeĽz ĂaĹuĞ 04 99 63 69 23 ĂoŁuĞ 27. ĂcŞvČe72 — DĂéŊpĂaĹrĹt ĹiŠmŇpĹrĹiŠmĂeĽrĹiĂe — 2010-12-13 — 11 ŘhĞ 29 — ŇpĂaĂgĄe 170 (ŇpĂaĂgĽiŠnĂéĄe 170) ŇsĹuĹrĞ 302 CAHIERS VICTORIENS ET ÉDOUARDIENS, n° 72 (octobre 2010) Du mythe solaire au mythe lunaire Wilde rédigea la première version de Salomé en français pendant son séjour à Paris en novembre et décembre ; il fut influencé par plusieurs œuvres littéraires de l’époque : Les Sept Princesses (), pièce symboliste de Maeterlinck, l’a inspiré pour l’appareil de l’écho sur la scène mystique tandis que la lecture de À rebours d’Huysmans raviva son admiration pour Moreau et Mallarmé, qui l’accueillit deux fois à ses Mardis et devait travailler toute sa vie à l’écriture de son Hérodiade. Richard Ellmann signale que les deux tableaux de Salomé de Gustave Moreau et le poème d’Hérodiade de Mallarmé sont à l’origine de la pièce de Wilde , dont la correspondance nous révèle combien la danse de Salomé décrite dans Hérodias de Flaubert l’a fasciné. Ainsi, quand il vit une danseuse romaine exécutant des acrobaties avec Stuart Merrill au Moulin Rouge, il se dit : « I want her to dance on her hands, as in Flaubert’s story » ; et quand il découvrit une gravure d’Hérodias dansant sur ses mains chez Lord Francis Hope en , il s’écria : « La bella donna della mia mente . » Néanmoins, malgré son intérêt pour cette danse sur les mains, comme nous l’avons dit, Wilde n’a décrit ni cette danse, ni d’autres danses acrobatiques, se contentant d’une seule indication scénique sur la danse des sept voiles. Pourquoi resta-t-il silencieux sur cette fameuse danse ? Était-elle impossible à décrire ? Ou était-ce dans l’intention d’accroître le mystère ? Cependant, outre les noms des personnages et la discussion des prêtres , il emprunta de nombreux thèmes non seulement . Richard Ellmann, Oscar Wilde, Alfred A. Knopf, , p. . . Stuart Merrill a écrit également un sonnet sur Salomé en : « Ballet » avec une dédicace « pour Gustave Moreau ». . Richard Ellmann, Oscar Wilde, op. cit., p. -. Wilde respectait Flaubert comme son maître : « Yes ! Flaubert is my master, and when I get on with my translation of the Tentation, I shall be Flaubert II, [...] » (Lettre à W.E. Henley, . The Complete letters of Oscar Wilde, edited by Merlin Holland and Rupert Hart-Davis, Henry Holt and Company, New York, , p. ). . O. Wilde, Salomé, Paris, Flammarion, édition bilingue, présentation de Pascal Aquien, illustrations d’Aubrey Beardsley, . Les références au texte de Salomé renvoient à cette édition bilingue de Pascal Aquien. Dans son introduction, Aquien montre que « Flaubert enfin [...] fut pour Wilde une source inépuisable » et énumère des points communs entre les deux ouvrages : l’arabesque serpentine du S, la localisation de « la terrasse dans le palais » empruntées à Salammbô, la poudre de la chevelure de cette sybille carthaginoise, la discussion des Juifs (p. -). 170 PĹrĂeŊsŇsĂeŊŽ ĹuŠnĹiŠvČeĽrŇsĹiĹtĄaĹiĹrĂeŊŽ ĂdĂe ĎlĄaĞ MĂéĄdĹiĹtĄeĽrĹrĂaŠnĂéĄe— UŢnĂe ĂqĹuĂeŊsĹtĽiĂoŤn? UŢnĞ ŇpĹrĂoĘbĘlĄèŞmĂe? TĂéĚlĄéŊpŘhĂoŤnĂeĽz ĂaĹuĞ 04 99 63 69 23 ĂoŁuĞ 27. ĂcŞvČe72 — DĂéŊpĂaĹrĹt ĹiŠmŇpĹrĹiŠmĂeĽrĹiĂe — 2010-12-13 — 11 ŘhĞ 29 — ŇpĂaĂgĄe 171 (ŇpĂaĂgĽiŠnĂéĄe 171) ŇsĹuĹrĞ 302 VERS UN NOUVEAU MYTHE LUNAIRE DE SALOMÉ à la Bible , mais aussi à Hérodias, notamment des éléments essentiels qui font le substrat de cette pièce : la Lune pour le symbolique et la trilogie pour le stylistique . Dans Salomé de Wilde, la Lune est omniprésente. Elle se confond avec la princesse, vierge aux allures de femme morte, avec la même couleur argentée et blanche, symbole de chasteté et de froideur. Salomé est intimement liée à la Lune, personnifiant une déesse seule : « Oui, elle est vierge. Elle ne s’est jamais souillée. Elle ne s’est jamais donnée aux hommes, comme les autres déesses . » Cela correspond bien à ce qu’explique Wilde lui-même dans sa correspondance : « My Salome is a mystic, the sister of Salammbô, a Sainte Thérèse who worships the moon . » Salammbô est une sybille de la déesse carthaginoise, Tanit, déesse de la Lune. Dans la mise en scène de Salomé, dominant toujours la scène, la Lune change de couleur et passe symboliquement du blanc au rouge au moment de la décollation de Iokanaan, mais elle n’est qu’une sorte de décor scénique, sans connotation métaphysique ou religieuse. D’où vient ce mythe de la Lune ? Pourquoi la Lune est-elle tellement importante chez Wilde ? Essayons de voir l’influence d’Hérodias sur la pièce de Wilde. À l’opposé de Salomé, dans Hérodias de Flaubert, l’héroïne n’est ni Salomé, ni Iaokanann, mais Hérodias, mère de Salomé, comme le titre l’indique. Le conte est réparti en trois chapitres et c’est seulement dans le dernier que la tête de Iaokanann et le corps de Salomé apparaissent explicitement. L’essentiel pour Flaubert était de décrire la question des races : « La question des Races dominait tout . » Flaubert présente Héro. L’édition bilingue de Pascal Aquien nous fournit les citations bibliques dans le texte de Salomé. Dans son analyse comparative entre la Bible et Salomé de Wilde, Sylviane Messerli montre que le refus de Salomé et l’invitation d’Hérode sont basés sur la tentation du Christ dans le désert (Matthieu , - et Luc , -), et la parole même de Salomé est tirée d’une citation similaire dans le Cantique des cantiques (, ). Voir l’Introduction de Sylviane Messerli, Oscar Wilde, Salomé, premier manuscrit autographe de ; première édition française de ; première édition anglaise de , Fondation Martin Bodmer, Presses universitaires de France, Paris, , p. -. . Pour l’analyse stylistique entre Flaubert et Wilde, voir Atsuko Ogane, « De l’écriture sainte à l’écriture tentatrice. Hérodias de Flaubert et Salomé d’Oscar Wilde », février , Site du Centre Flaubert, rubrique, « Études et critiques » (http:// flaubert.univ-rouen.fr/etudes/ogane\_wilde.php). . Oscar Wilde, Salomé, op. cit., p. . . Ellmann, op. cit., p. . . Lettre à Edma Roger des Genettes, Gustave Flaubert, Correspondance, édition présentée, établie et annotée par Jean Bruneau et Yvan Leclerc, Paris, Gallimard, 171 PĹrĂeŊsŇsĂeŊŽ ĹuŠnĹiŠvČeĽrŇsĹiĹtĄaĹiĹrĂeŊŽ ĂdĂe ĎlĄaĞ MĂéĄdĹiĹtĄeĽrĹrĂaŠnĂéĄe— UŢnĂe ĂqĹuĂeŊsĹtĽiĂoŤn? UŢnĞ ŇpĹrĂoĘbĘlĄèŞmĂe? TĂéĚlĄéŊpŘhĂoŤnĂeĽz ĂaĹuĞ 04 99 63 69 23 ĂoŁuĞ 27. ĂcŞvČe72 — DĂéŊpĂaĹrĹt ĹiŠmŇpĹrĹiŠmĂeĽrĹiĂe — 2010-12-13 — 11 ŘhĞ 29 — ŇpĂaĂgĄe 172 (ŇpĂaĂgĽiŠnĂéĄe 172) ŇsĹuĹrĞ 302 CAHIERS VICTORIENS ET ÉDOUARDIENS, n° 72 (octobre 2010) dias comme l’organisatrice omnipotente du festin, coiffée d’une « mitre assyrienne », symbole de la sacrificatrice, portant l’éphod, manteau du grand sacrificateur . Pendant le festin d’Hérode, Salomé danse sur l’estrade transformée en sanctuaire, tandis qu’a lieu la décollation de Iaokanann afin qu’il s’aquitte de sa mission en tant que vrai prophète annonçant la venue de Jésus-Christ. Tous les symboles du rite (Mystère de Mythra, le taurobole de Cybèle, le sabbat, comme dans La Sorcière de Michelet) se rassemblent et convergent vers le mythe du soleil et le thème de la résurrection, qui est au centre de la doctrine chrétienne. Or, ce rite du sacrifice judaïque de Iaokanann et le sujet de la résurrection chez Flaubert sont intimement liés au mythe de la Lune. Autrement dit, dans la réécriture de cet épisode biblique par Flaubert, il y a un antagonisme du soleil et de la lune, reflété par le contraste entre Iaokanaan, précurseur du Christ, auréolé d’une lumière solaire, et Hérodias, dont le pouvoir grandit au milieu de la nuit, avec « les petits croissants d’or qui tremblent » sur son front, et qui s’incarne en Cybèle, grande déesse de la Lune et mère des dieux, au moment crucial de l’apparition de Salomé . Le culte de Cybèle, « Déesse de Phrygie, dite aussi Grande Mère ou Mère des dieux », fut « la première religion orientale officiellement introduite à Rome » et atteignit son apogée à l’époque impériale . Par ailleurs, instrument de sa mère, Salomé danse en imitant la danse rituelle de la religion de Cybèle avec les instruments musicaux, la flûte, les tympanons, la gingras, les crotales, la harpe, généralement utilisés dans ce culte. À travers cette identification de la mère et de sa fille, Flaubert situe ces deux personnages dans la lignée de la grande déesse Cybèle, parenté qui est un des fondements du mythe moderne de Salomé. On y retrouve aussi le souvenir de la danseuse KuchioukHânem, exécutant la danse du ventre dite « belly dance », évoquant le sifflement du serpent dans son écriture . En même temps, la Salomé de Flaubert symbolise une passerelle entre l’aspect solaire de Iaokanann et « Bibliothèque de la Pléiade », tome V, , p. . . Dans les manuscrits, il révèle : « Ses ancêtres avaient été rois et sacrificateurs » (Manuscrit autographe conservé à la BnF : N.a.fr., , f. v). . Flaubert, Hérodias, op. cit., p. . . Voir « Identification et séparation chez Hérodias et Salomé », dans Atsuko Ogane, La genèse de la danse de Salomé — L’« Appareil scientifique » et la symbolique polyvalente dans Hérodias de Flaubert, Keio University Press, , p. -. . Sur le rôle des instruments de la musique et le sifflement du serpent dans la danse de Salomé chez Flaubert, voir Atsuko Ogane, « Hérodias, splendeur du vers et de la prose — Le serpent ou la genèse de la femme fatale dans la danse de Salomé », Revue Flaubert, « Flaubert et la confusion des genres », no , Site du Centre Flaubert, février avec la transcription numérique des brouillons sur la danse de Salomé 172 PĹrĂeŊsŇsĂeŊŽ ĹuŠnĹiŠvČeĽrŇsĹiĹtĄaĹiĹrĂeŊŽ ĂdĂe ĎlĄaĞ MĂéĄdĹiĹtĄeĽrĹrĂaŠnĂéĄe— UŢnĂe ĂqĹuĂeŊsĹtĽiĂoŤn? UŢnĞ ŇpĹrĂoĘbĘlĄèŞmĂe? TĂéĚlĄéŊpŘhĂoŤnĂeĽz ĂaĹuĞ 04 99 63 69 23 ĂoŁuĞ 27. ĂcŞvČe72 — DĂéŊpĂaĹrĹt ĹiŠmŇpĹrĹiŠmĂeĽrĹiĂe — 2010-12-13 — 11 ŘhĞ 29 — ŇpĂaĂgĄe 173 (ŇpĂaĂgĽiŠnĂéĄe 173) ŇsĹuĹrĞ 302 VERS UN NOUVEAU MYTHE LUNAIRE DE SALOMÉ l’aspect lunaire d’Hérodias, d’autant plus qu’elle danse à la fin comme un grand scarabée, renversant sa tête en bas sur les mains, ses fourreaux de couleur passant par-dessus l’épaule « comme des arcs-en-ciel » : le « scarabée » est souvent appelé « le dieu Khépri », « le soleil levant » qui symbolise la résurrection et « l’arc-en ciel » est le symbole de la conclusion de la nouvelle alliance . Dans Hérodias, où Salomé apparaît autant séductrice que médiatrice sacrée, coexistent les deux mythes solaire et lunaire : le mythe du soleil lié à la résurrection et le mythe de la Lune, associé à la puissance de la grande Déesse et aux rites sacrificiels. Enfin, « la danse du grand scarabée » chez Flaubert symbolise une époque charnière, le passage du monde judaïque de l’Ancien Testament au monde du Nouveau Testament, soit l’avènement du Christianisme. À l’époque où Flaubert concevait le plan d’Hérodias, il vit l’exposition de Salomé dansant devant Hérode et L’Apparition de Gustave Moreau au Salon de . Dans Salomé dansant devant Hérode, on peut remarquer au milieu du tableau l’Arthémis d’Éphèse, déesse de la Lune, à côté de deux Mithras léontocéphales ou des Ahrimans. À l’inverse de Flaubert, Moreau ne fait pas apparaître le soleil, mais l’atmosphère lourde du rite sacrificiel est néanmoins perceptible dans la peinture du sombre sanctuaire oriental . Dans À rebours, Huysmans, vénérant les Salomés de Moreau et les vers d’Hérodiade de Mallarmé, décrit également Salomé dansant en tant que Grande Déesse, comme « la déesse de l’immortelle Hystérie » et « la Beauté maudite ». De même, Mallarmé s’est intéressé à cet épisode de la décapitation de saint Jean-Baptiste et de la danse de Salomé, utilisant les thèmes et le classement génétique linéarisé de la danse de Salomé dans l’annexe (http:// flaubert.univ-rouen.fr/jet/public/revue/article.php?id=36). . Grand dictionnaire encyclopédique Larousse, Paris, Librairie Larousse, , p. ; Dictionnaire des Symboles, mythes, rêves, coutumes, gestes, formes, figures, couleurs, nombres, sous la direction de Jean Chevalier, Robert Laffont, Paris, , p. - ; p. . . En ce qui concerne le rôle determinant ou non pour la genèse d’Hérodias, nous renvoyons à l’opinion de Pierre-Marc de Biasi (voir Flaubert, Hérodias, op. cit., p. ). Flaubert avait pris des notes dans son vieux calepin de - sur Jean-Baptiste, Vitellius et Ponce Pilate. Mais ce qui est intéressant pour notre analyse, c’est que Moreau s’est inspiré de l’image d’Arthémis d’Ephèse et de la lignée de la grande Déesse dans la Tentation de saint Antoine de Flaubert (voir Atsuko Ogane, La genèse de la danse de Salomé, op. cit., , p. -. Il s’agit ici de la question de l’intertextualité dans la formation du mythe de Salomé. . Sur le thème du sacrifice chez Moreau, voir chapitre VI, « Image de Salomé — Flaubert et Gustave Moreau », Atsuko Ogane, ibid., p. -. . Huysmans, À rebours, présentation, notes, dossier, chronologie, bibliographie par Daniel Grojnowski, GF-Flammarion, Paris, , p. . 173 PĹrĂeŊsŇsĂeŊŽ ĹuŠnĹiŠvČeĽrŇsĹiĹtĄaĹiĹrĂeŊŽ ĂdĂe ĎlĄaĞ MĂéĄdĹiĹtĄeĽrĹrĂaŠnĂéĄe— UŢnĂe ĂqĹuĂeŊsĹtĽiĂoŤn? UŢnĞ ŇpĹrĂoĘbĘlĄèŞmĂe? TĂéĚlĄéŊpŘhĂoŤnĂeĽz ĂaĹuĞ 04 99 63 69 23 ĂoŁuĞ 27. ĂcŞvČe72 — DĂéŊpĂaĹrĹt ĹiŠmŇpĹrĹiŠmĂeĽrĹiĂe — 2010-12-13 — 11 ŘhĞ 29 — ŇpĂaĂgĄe 174 (ŇpĂaĂgĽiŠnĂéĄe 174) ŇsĹuĹrĞ 302 CAHIERS VICTORIENS ET ÉDOUARDIENS, n° 72 (octobre 2010) du sacrifice, de la Lune ou des étoiles : supprimant toute la dimension biblique de cette histoire, il nomme la princesse vierge du nom de sa mère, Hérodiade, sujet d’un vaste poème auquel il travailla toute sa vie et qu’il place sous le signe des deux principes solaire et lunaire. Dans le « Cantique de saint Jean » des Noces d’Hérodiade, dernier poème inachevé, il décrit le moment crucial de la décollation de saint Jean, en superposant le soleil couchant du solstice d’été à la chute de la tête décapitée . De là, on peut supposer que Wilde a pu également être influencé par l’Hérodiade lunaire de Mallarmé. À part Flaubert et Mallarmé, qui ont placé ce mythe sous l’influence des deux principes soleil-lune, d’autres écrivains ont adapté ce mythe de la Déesse de la Lune à l’époque où Wilde rédigeait sa pièce : grand ami de Wilde et dédicataire de Salomé dont il corrigea le texte, Pierre Louÿs publie la même année un poème, « La danse », qui présente de nombreuses similitudes avec la pièce de Wilde : la lune, les sept voiles, la danse, le paon, le sang, tous les motifs traditionnellement attachés à Salomé apparaissent dans ce poème. On peut supposer que la brouille de Louÿs avec Wilde dérive de cet excès de similitude entre leurs œuvres. Fasciné par la grande déesse, Louÿs a d’ailleurs écrit de nombreux poèmes sur ce thème dans Les Chansons de Bilitis ( ) : « L’offrande à la Déesse », « La petite Astarté de terre cuite », « Hymne à Astarté », « Les prêtresses de l’Astarté ». De même, il a écrit des poèmes sur la figure de la danseuse, notamment « La danseuse aux crotales », « La danse des fleurs », « La jongleuse », où une petite fille fait « la roue sur les mains et sur les pieds », et « La danseuse », dédié à Wilde, poème qui montre une jeune fille, « la taille ployée à la renverse », comme la Salomé flaubertienne. Inspiré par Hérodias de Flaubert, Jules Laforgue désirait également écrire sa Salomé et a dédié son recueil L’Imitation . Il est difficile de discerner la part de l’influence réciproque entre la genèse de Salomé de Wilde et les Noces d’Hérodiade de Mallarmé. D’après sa correspondance et Sylviane Huot, nous savons que Wilde a visité deux fois au moins ses « Mardis » durant l’année . Cf. (Le « Mythe d’Hérodiade » chez Mallarmé — Genèse et évolution, A. G. Nizet, Paris, , p. -). . Pierre Louÿs, Les Chansons de Bilitis, traduites du grec, illustrations de Monique Rouver, Albin Michel, Paris, , p. . Jules Laforgue, Œuvres complètes, V, Lettres. II (-), notes de G. JeanAubry, Slatkine Reprints, Genève, , p. -. Dans une lettre de à M. Charles Henry, Laforgue annonce la fin définitive de la rédaction d’Imitation de Notre-Dame la Lune et dans le paragraphe suivant, il exprime son admiration pour Hérodias de Flaubert : « Tu connais l’Hérodias de Flaubert. Je viens de finir une petite Salomé de moi. 174 PĹrĂeŊsŇsĂeŊŽ ĹuŠnĹiŠvČeĽrŇsĹiĹtĄaĹiĹrĂeŊŽ ĂdĂe ĎlĄaĞ MĂéĄdĹiĹtĄeĽrĹrĂaŠnĂéĄe— UŢnĂe ĂqĹuĂeŊsĹtĽiĂoŤn? UŢnĞ ŇpĹrĂoĘbĘlĄèŞmĂe? TĂéĚlĄéŊpŘhĂoŤnĂeĽz ĂaĹuĞ 04 99 63 69 23 ĂoŁuĞ 27. ĂcŞvČe72 — DĂéŊpĂaĹrĹt ĹiŠmŇpĹrĹiŠmĂeĽrĹiĂe — 2010-12-13 — 11 ŘhĞ 29 — ŇpĂaĂgĄe 175 (ŇpĂaĂgĽiŠnĂéĄe 175) ŇsĹuĹrĞ 302 VERS UN NOUVEAU MYTHE LUNAIRE DE SALOMÉ de Notre-Dame la Lune « à Gustave Kahn et aussi à la mémoire de la petite Salammbô, prêtresse de Tanit [sic] ». Si Wilde a accentué, en la simplifiant, la dimension lunaire du mythe de Salomé, c’est parce qu’il a insisté sur la virginité, le Beau, et le rite du sacrifice. Rappelons encore la parole de Wilde, « My Salome is a mystic, the sister of Salammbô. » Chez Flaubert, comme chez Mallarmé, Salomé ou Hérodiade ne meurent pas . Mais dans Salomé, dès le début, les prêtres discutent de questions de religion et de sacrifice, et le Nubien révèle la nécessité de sacrifier à leurs dieux des jeunes hommes et des vierges. C’est un augure de la mort du jeune Syrien, de Iokanaan, et de Salomé, sacrifices des deux sexes, comme à la fin de Salammbô : non seulement Mathô, mais aussi Salammbô meurent, punis par les dieux. Dans la pièce de Wilde, l’omniprésence et l’omnipotence de la Lune ont une influence sur Iokanaan. Dans les textes de Flaubert et Mallarmé, où la dualité soleil-lune est présente, le soleil symbolisait Iaokanann ou saint Jean-Baptiste. Mais dans Salomé, l’influence de la Lune est telle que Iokanaan devient aussi lunaire que Salomé — sa peau, ses yeux et ses cheveux sont décrits par les adjectifs « argent » et « blanc », et ce qui est encore plus frappant, sa personnalité est également évoquée comme étant marquée par la lune . La pièce de Wilde, fortement annexée au mythe de la Lune, correspond donc à un effacement du mythe du Soleil symbolisant Iokanaan chrétien. Au moment où la Lune se lève sur la scène de Wilde, apparaît le mythe de la Femme Fatale de la fin de siècle. Ah ! mon cher, qu’il est plus facile de tailler des strophes que d’établir de la prose ! Je ne m’en étais jamais douté. » Dans une lettre précédente, datée de mai et adressée au même destinataire, il annonce la première esquisse de la Salomé des Moralités légendaires : « Je fais une Salomé ! ! » (p. ). . Jules Laforgue, Œuvres complètes, I, Poésie, Le sanglot de la terre — Les complaintes. L’imitation de Notre-Dame la Lune, Genève, Slatkine Reprints (réimpression de l’édition de Paris, -), , p. . . En ce qui concerne le rite du sacrifice et le thème de la danse d’Hérodiade, voir Atsuko Ogane, « Noces, Notion, Sacrifices dans Les Noces d’Hérodiade », Revue d’Histoire Littéraire de la France, e année, no , mars , p. - : chez Wilde, Salomé danse afin d’obtenir la décollation de la tête de Iokanaan, tandis qu’Hérodiade ordonne la décapitation de saint Jean et danse ensuite pour son propre plaisir devant la tête coupée chez Mallarmé. . Voir l’analyse comparative du symbolique chez Flaubert et Wilde d’Atsuko Ogane, « Du mythe solaire au mythe lunaire : d’Hérodias de Flaubert à Salomé d’Oscar Wilde », Rue des Beaux-Arts, Bulletin bimestriel de la Société Oscar Wilde en France, no , janvier/février , no « Articles et conférences » (www.oscholars.com/RBA/ eighteen/18.7/Articles.htm). 175 PĹrĂeŊsŇsĂeŊŽ ĹuŠnĹiŠvČeĽrŇsĹiĹtĄaĹiĹrĂeŊŽ ĂdĂe ĎlĄaĞ MĂéĄdĹiĹtĄeĽrĹrĂaŠnĂéĄe— UŢnĂe ĂqĹuĂeŊsĹtĽiĂoŤn? UŢnĞ ŇpĹrĂoĘbĘlĄèŞmĂe? TĂéĚlĄéŊpŘhĂoŤnĂeĽz ĂaĹuĞ 04 99 63 69 23 ĂoŁuĞ 27. ĂcŞvČe72 — DĂéŊpĂaĹrĹt ĹiŠmŇpĹrĹiŠmĂeĽrĹiĂe — 2010-12-13 — 11 ŘhĞ 29 — ŇpĂaĂgĄe 176 (ŇpĂaĂgĽiŠnĂéĄe 176) ŇsĹuĹrĞ 302 CAHIERS VICTORIENS ET ÉDOUARDIENS, n° 72 (octobre 2010) Modernité de la mise en scène de Salomé À partir des années , il y a en France un foisonnement d’adaptations du mythe dans les domaines de la poésie et du roman. C’est après la publication de Salomé de Wilde que ces adaptations deviennent aussi scéniques et s’élargissent aux genres de l’opéra, de la pantomime et du ballet. Mais c’est surtout l’opéra de Richard Strauss qui a fait connaître la pièce de Wilde à travers le monde entier, notamment par la représentation de la danse des sept voiles et le baiser sanglant sur la tête coupée, qui fascinent metteurs en scène et spectateurs. Pourtant, depuis le début de notre siècle, on remarque quelques changements dans les mises en scène et adaptations de Salomé. L’un de ces changements est la reprise de certains éléments présents dans le texte de Flaubert, œuvre qui constitue la genèse littéraire de la danse de Salomé. Parmi d’autres exemples, cette évolution est perceptible dans le ballet-flamenco créé par Carlos Saura (), et dans la mise en scène théâtrale de La Tragédie de Salomé décrite dans le roman de Patrick Rödel (). Dans Salomé du metteur en scène Carlos Saura et de la danseuse Aída Gómez , tous les sentiments des personnages ne se manifestent pas par la parole, mais par la danse, la musique, le décor, les robes et les couleurs changeantes de l’éclairage. Saura choisit les éléments soleillune comme cadre de cette représentation : comme dans le conte de Flaubert, la première scène s’ouvre avec le soleil levant et l’aube où les silhouettes d’Hérode et Hérodias apparaissent, tandis que Salomé exécute la danse des sept voiles du crépuscule orange et rougeâtre à la nuit avec au fond un grand panneau pâle sur lequel est figuré un croissant. La dernière scène se clôt également, comme dans Hérodias, avec le soleil levant en deçà duquel le cortège funèbre de Salomé, portée audessus des épaules des danseuses, avance lentement. Saura applique l’image du soleil, symbole principal de Iaokanann dans Hérodias, aux personnages d’Hérodias et Hérode ; celui-ci porte un dalmatica, une soutane de style byzantin qu’on utilise dans les églises catholiques, au centre duquel un soleil d’or est dessiné. Le metteur en scène utilise aussi le motif du soleil pour Hérodias, qui porte un peigne disposé verticalement dans ses cheveux, comme les rayons du soleil, et une robe . Salomé, ballet-flamenco de Carlos Saura, DVD, collector’s édition, avec Aída Gómez (Salomé), José Antonio et Aída Gómez pour la chorégraphie, Tomatito, invité spécial, pour la guitare flamenco. 176 PĹrĂeŊsŇsĂeŊŽ ĹuŠnĹiŠvČeĽrŇsĹiĹtĄaĹiĹrĂeŊŽ ĂdĂe ĎlĄaĞ MĂéĄdĹiĹtĄeĽrĹrĂaŠnĂéĄe— UŢnĂe ĂqĹuĂeŊsĹtĽiĂoŤn? UŢnĞ ŇpĹrĂoĘbĘlĄèŞmĂe? TĂéĚlĄéŊpŘhĂoŤnĂeĽz ĂaĹuĞ 04 99 63 69 23 ĂoŁuĞ 27. ĂcŞvČe72 — DĂéŊpĂaĹrĹt ĹiŠmŇpĹrĹiŠmĂeĽrĹiĂe — 2010-12-13 — 11 ŘhĞ 29 — ŇpĂaĂgĄe 177 (ŇpĂaĂgĽiŠnĂéĄe 177) ŇsĹuĹrĞ 302 VERS UN NOUVEAU MYTHE LUNAIRE DE SALOMÉ sur laquelle apparaît une spirale orientale. Dans Hérodias, l’identité de la mère et de la fille se confond avec le symbole de la Lune dont la déesse est Cybèle. Par contre, dans Salomé de Saura, la couleur blanche est attribuée au pantalon large de Iaokanann vers qui Salomé, tout à coup fascinée, approche et danse sur le fond bleu avec le croissant. Elle danse dans le crépuscule et se suicide en s’entortillant d’un grand tissu blanc de sa taille à son cou et meurt quand le soleil se lève. Comme Wilde, Saura oppose le soleil et la lune, mais les couplages sont différents : le couple solaire et maléfique Hérode-Hérodias s’oppose au couple lunaire et blanc Iaokanann-Salomé (chez Flaubert, c’est HérodeIaokanaan solaire contre Hérodias-Salomé lunaire). Dans l’histoire des adaptations du mythe d’Hérodias-Salomé, il est très rare qu’on montre Hérodias en motif solaire. La danse flamenco des sept voiles est représentée par le strip-tease des gazes multicolores et la tête coupée d’Iokanaan n’est plus un accessoire de la scène, mais l’acteur joue le rôle de la tête, si bien que le réalisme atroce de la tête décollée en est renforcé. La reprise des éléments flaubertiens se manifeste également dans une mise en scène décrite dans le roman Marguerite et Salomé () de Patrick Rödel , philosophe et spécialiste de Spinoza : la nièce de Florent Schmitt assista durant l’été à la création de la musique de La Tragédie de Salomé qui connut un grand succès dans l’entre-deux-guerres. Devenue vieille, elle accepte de se charger de l’éducation du petit-fils de son ami d’enfance, Albert II, qu’elle initie à la beauté et au secret de Salomé. Dans le dernier chapitre, elle est invitée à assister à la représentation de La Tragédie de Salomé mise en scène par Albert II et son ami. Dans cette adaptation du mythe de Salomé, l’origine du mythe n’est plus l’épisode de l’Évangile, mais un ballet moderne, la mise en scène d’une des adaptations de ce mythe, qui occupe la première place, comme un théâtre dans le théâtre. L’auteur met en relief le processus psychologique des artistes et leur vif attachement au mythe de « la danse de Salomé » et à la création du mythe né de l’intertextualité même des adaptations. Ainsi, la mise en scène elle-même devient apparemment le sujet du roman. L’« estrade », transformée en « sanctuaire » du rite sacrificiel de Iaokanann chez Flaubert, est préparée devant la spectatrice, Marguerite. Beaucoup des éléments flaubertiens sont utilisés d’une nouvelle manière : « Les cintres » (p. ), (d’où Salomé entre dans la salle du festin chez Flaubert), « une tunique » (p. ) (le bras nu de . Patrick Rödel, Marguerite et Salomé, Bordeaux, éditions Confluences, , p. . Les références au texte renvoient à cette édition. 177 PĹrĂeŊsŇsĂeŊŽ ĹuŠnĹiŠvČeĽrŇsĹiĹtĄaĹiĹrĂeŊŽ ĂdĂe ĎlĄaĞ MĂéĄdĹiĹtĄeĽrĹrĂaŠnĂéĄe— UŢnĂe ĂqĹuĂeŊsĹtĽiĂoŤn? UŢnĞ ŇpĹrĂoĘbĘlĄèŞmĂe? TĂéĚlĄéŊpŘhĂoŤnĂeĽz ĂaĹuĞ 04 99 63 69 23 ĂoŁuĞ 27. ĂcŞvČe72 — DĂéŊpĂaĹrĹt ĹiŠmŇpĹrĹiŠmĂeĽrĹiĂe — 2010-12-13 — 11 ŘhĞ 29 — ŇpĂaĂgĄe 178 (ŇpĂaĂgĽiŠnĂéĄe 178) ŇsĹuĹrĞ 302 CAHIERS VICTORIENS ET ÉDOUARDIENS, n° 72 (octobre 2010) Salomé saisit « une tunique oubliée » chez Flaubert), « un psyché [sic] » (p. ) dans la première danse (Salomé danse « comme une Psyché curieuse » dans Hérodias), l’image d’« une sphinge » (p. ) (souvenir de la forte impression que Flaubert avait eue du « Sphinx »), l’image du renversement (« vin renversé » dans le texte de Rödel ; Salomé renversée sur ses mains dans Hérodias). De plus, Rödel utilise un nouvel appareillage théâtral : les septs miroirs, intimement liés aux voiles multicolores de Salomé. Dès le commencement surgit, comme dans Hérodias, la question de l’identité jumelle entre Hérodias et Salomé : dans Hérodias, « Sur l’estrade, elle retira son voile. C’était Hérodias, comme autrefois dans sa jeunesse » ; chez Rödel, les deux silhouettes féminines, Hérodias et Salomé, « sont rigoureusement semblables. » L’inceste virtuel se fait par la rencontre des yeux entre Hérode et Salomé chez Flaubert, et le même « face à face » a lieu dans le roman de Rödel, et se superpose au souvenir de « cet échange de regards » entre Marguerite et Oncle Flo. Mais la question de l’identité est mise en relief d’une façon plus accélérée chez Rödel, d’autant plus qu’il utilise l’appareil des miroirs : chaque fois qu’Hérode arrache un voile coloré, que « la toile rouge » ou « une housse », sont remontées, « à chaque danse qu’elle abandonne un de ses voiles », un nouveau miroir apparaît et la nouvelle nature de Salomé, maléfique, violente, se dévoile. La dualité de Salomé, présente chez Flaubert, alliance de sainteté et sexualité, apparaît également ici, mais d’une façon plus théâtrale, opposant Salomé la Blanche et Salomé la Noire. Les termes du dévoilement se succèdent, liés à ceux des miroirs : « [...] et dévoile un grand miroir [...] » (p. ) ; « Un deuxième miroir apparaît, celui que dissimulait une housse orangée » (p. ) ; « Un troisième miroir se dénude » avec le voile jaune. Ce qui nous frappe, c’est qu’à « chaque fois un nouveau miroir surgit où son image se fragmente, se démultiplie » (p. ). Comme Hérodiade de Mallarmé, Salomé danse à la fin pour elle-même : « Elle ne danse plus pour Hérode ni pour les dignitaires de sa cour, elle ne danse plus pour obéir aux ordres qu’Hérodiade lui avait donnés de séduire Hérode, elle danse enfermée dans une solitude qu’aucun regard ne vient troubler, qu’aucun désir ne vient émouvoir, elle danse pour elle-même et pour l’image d’elle-même que les six miroirs lui renvoient » (p. ). Enfin, le septième miroir apparaît et avec lui la nudité de Salomé : ce n’était pas le corps féminin d’une jeune fille, mais un corps d’homme, celui d’Albert II, « qui se répète et se réfracte à l’infini dans les miroirs 178 PĹrĂeŊsŇsĂeŊŽ ĹuŠnĹiŠvČeĽrŇsĹiĹtĄaĹiĹrĂeŊŽ ĂdĂe ĎlĄaĞ MĂéĄdĹiĹtĄeĽrĹrĂaŠnĂéĄe— UŢnĂe ĂqĹuĂeŊsĹtĽiĂoŤn? UŢnĞ ŇpĹrĂoĘbĘlĄèŞmĂe? TĂéĚlĄéŊpŘhĂoŤnĂeĽz ĂaĹuĞ 04 99 63 69 23 ĂoŁuĞ 27. ĂcŞvČe72 — DĂéŊpĂaĹrĹt ĹiŠmŇpĹrĹiŠmĂeĽrĹiĂe — 2010-12-13 — 11 ŘhĞ 29 — ŇpĂaĂgĄe 179 (ŇpĂaĂgĽiŠnĂéĄe 179) ŇsĹuĹrĞ 302 VERS UN NOUVEAU MYTHE LUNAIRE DE SALOMÉ qui le cernent, corps pluriel et déchiré, corps haletant et souffrant, corps tendu en une dernière volonté pour repousser ses images brisées. C’était la nudité d’Albert II » (p. ). S’agissant de la danse de Salomé, incarnation de la féminité, les spectateurs attendent toujours sa nudité sous les voiles. Pourtant, dans cette mise en scène contemporaine de Rödel, plus on enlève les voiles, plus le corps se fragmente et se multiplie, et les genres sexuels se mélangent. Il ne s’agit plus de la dualité des deux sexes, ni des deux principes opposés, féminin et masculin, mais de la figure de l’androgyne. Autrement dit, cette Salomé contemporaine dépasse la question des deux genres présentée depuis plusieurs siècles de représentation. L’autre courant dans les mises en scène contemporaines de Salomé est la disparition de la tête décapitée et de la danse des sept voiles. On ne montre plus une imitation de la tête décapitée ; Salomé ne danse ni avec des voiles ni avec une jupe-portefeuille de gazes superposées à enlever une à une, comme la passionnante Salomé de Karita Mattila dans la mise en scène de Lev Dodin () de l’opéra de Richard Strauss. À l’occasion du centenaire de sa création, à Dresde en , les représentations de Salomé de Richard Strauss ont offert une mise en scène, due à Peter Mussbach ( ), très originale et impressionnante : la terrasse du palais d’Hérode est transformée en un grand bassin de piscine qui penche vertigineusement, planant dans le vide noir. Sans la lune, l’éclairage bleu-pâle crée une atmosphère de nuit mystérieuse qui plonge tout à coup le spectateur dans un monde étrange et inquiétant. Jochanaan est assis au sommet d’une échelle de piscine, symbole de la prison souterraine. La robe de Salomé, évoquant Marilyn Monroe, et la combinaison de Jochanaan sont toutes blanches comme s’ils étaient habillés à l’identique, alors que les autres personnages, Hérodias et Hérode, portent des vêtements noirs. La similitude de couleur blanche entre Salomé et Jochanaan semble respecter le motif de l’original de Wilde, soit l’identification lunaire entre les deux protagonistes, qui pro. Salomé de Richard Strauss, mise en scène par Lev Dodin, à l’Opéra Bastille de Paris en . Direction par James Conlon avec Karita Mattila (Salomé), Albert Dohmen (Jochanaan), Anja Silja (Hérodias), David Borovsky pour les décors et costumes. . Salomé de Richard Strauss, représentation de Peter Mussbach, à Semperoper, Sächsische Staatsoper Dresden, en pour la commémoration du centenaire de la première représentation de Salomé en à Dresde. Direction par Kent Nagano avec Evelyn Herlitzius (Salomé), Alan Titus (Jochanaan), A. Schmidt-Futterer pour les décors et costumes. C’est la première représentation de l’opéra de Strauss à avoir été retransmise en direct à la télévision allemande. 179 PĹrĂeŊsŇsĂeŊŽ ĹuŠnĹiŠvČeĽrŇsĹiĹtĄaĹiĹrĂeŊŽ ĂdĂe ĎlĄaĞ MĂéĄdĹiĹtĄeĽrĹrĂaŠnĂéĄe— UŢnĂe ĂqĹuĂeŊsĹtĽiĂoŤn? UŢnĞ ŇpĹrĂoĘbĘlĄèŞmĂe? TĂéĚlĄéŊpŘhĂoŤnĂeĽz ĂaĹuĞ 04 99 63 69 23 ĂoŁuĞ 27. ĂcŞvČe72 — DĂéŊpĂaĹrĹt ĹiŠmŇpĹrĹiŠmĂeĽrĹiĂe — 2010-12-13 — 11 ŘhĞ 29 — ŇpĂaĂgĄe 180 (ŇpĂaĂgĽiŠnĂéĄe 180) ŇsĹuĹrĞ 302 CAHIERS VICTORIENS ET ÉDOUARDIENS, n° 72 (octobre 2010) vient de celle des jumeaux solaires et saints Iaokanann et Salomé, dans le conte de Flaubert. Mussbach enlève tout le contexte historique juif et met en contraste la féminité jeune et âgée, Salomé et Hérodias, qui toutes deux séduisent Hérode et Jochanaan. Dans l’intention d’exciter celui-ci, Salomé séduit Hérode et mime l’acte sexuel. Inversement, pour tenter Hérode vieilli, Hérodias séduit Jochanaan. Miroir l’une de l’autre, elles sont similaires dans leur rôle de femme fatale et séductrice. Plus surprenant est le fait que Mussbach ne fait plus exécuter à Salomé la danse des voiles. Elle ne danse plus en enlevant ses voiles jusqu’à dévoiler sa nudité, mais pour exprimer la nudité de sa passion. La scène de la tête coupée est également omise. Salomé se glisse sous le linceul qui recouvre Jochanaan décapité et elle se transforme avec lui en une statue moderne informe. Mussbach enlève ainsi du climax traditionnel la fameuse danse des voiles et le baiser sanglant de Salomé sur la tête décapitée, ce qui est révolutionnaire dans l’histoire centenaire de l’opéra de Strauss, pour aller directement au cœur de la question de la passion et de la libido. Cette tendance à supprimer la danse des sept voiles et l’épisode de la tête coupée se retrouve dans le genre romanesque contemporain. Dans Salomé () de François Weyergans , roman de sa jeunesse quand il était critique de cinéma, le narrateur confie dans son monologue ses fantasmes autour de la figure de Salomé, associant les femmes réelles avec qui il a eu des relations sexuelles et qu’il appelle toutes Salomé et les références culturelles, littéraires ou musicales, liées à Salomé : Salomé de Strauss, Hérodias de Flaubert, Salomé de Wilde, etc. D’une part, il relate les plaisirs réels qu’il a avec les femmes, pour écorcher vif la jouissance, la passion et la libido associées à ce mythe de Salomé ; d’autre part, il associe sa peur et ses angoisses en tant qu’apprenti cinéaste préparant un film sur Salomé, à celles de ses prédécesseurs qui ont adapté ce mythe, si bien que le corps « réel » de Salomé se mêle à celui de Salomé dans son écriture, et son regard comme cinéaste à celui de son objet, Salomé elle-même. Les digressions sur ses souvenirs, la confession du sexe pervers et du plaisir avec ses Salomés, celle de son désarroi et de ses obsessions créent un autre fantasme de l’écriture et du rythme, dévoilant la nudité de sa passion pour une Salomé éternelle. La Salomé du xxie siècle n’a plus besoin de la danse des sept voiles ni du baiser à la tête décapitée, mais elle acquiert une nouvelle existence . François Weyergans, Salomé, roman, Clamecy, Éditions Léo Scheer, , p. 180 PĹrĂeŊsŇsĂeŊŽ ĹuŠnĹiŠvČeĽrŇsĹiĹtĄaĹiĹrĂeŊŽ ĂdĂe ĎlĄaĞ MĂéĄdĹiĹtĄeĽrĹrĂaŠnĂéĄe— UŢnĂe ĂqĹuĂeŊsĹtĽiĂoŤn? UŢnĞ ŇpĹrĂoĘbĘlĄèŞmĂe? TĂéĚlĄéŊpŘhĂoŤnĂeĽz ĂaĹuĞ 04 99 63 69 23 ĂoŁuĞ 27. ĂcŞvČe72 — DĂéŊpĂaĹrĹt ĹiŠmŇpĹrĹiŠmĂeĽrĹiĂe — 2010-12-13 — 11 ŘhĞ 29 — ŇpĂaĂgĄe 181 (ŇpĂaĂgĽiŠnĂéĄe 181) ŇsĹuĹrĞ 302 VERS UN NOUVEAU MYTHE LUNAIRE DE SALOMÉ en tant que fantasme de l’écriture et de la langue à travers l’intertextualité, et le seuil entre homme et femme tend souvent à disparaître dans la recherche de la sexualité. Ce n’est pas un hasard si ces deux courants dans l’évolution de la mise en scène de Salomé sont contemporains, si on les rapporte à la genèse de la danse de Salomé à la fin du xixe siècle : depuis la première description littéraire, par Flaubert, de la fille sans nom d’Hérodias, la dualité des deux principes soleil-lune et la question de l’identité de SaloméHérodias suscitent toujours l’intérêt des metteurs en scène, d’autant plus que c’est là l’origine de la « modernité » du mythe de la femme fatale. Puisque Wilde a privilégié l’aspect lunaire du mythe et a sublimé la question de la passion et la libido avec le sacrifice des deux protagonistes, ceux qui cherchent à renouveler la représentation wildienne qui a dominé tout le xxe siècle doivent désormais revoir la danse des sept voiles et la scène du baiser sanglant. À la recherche de la nudité de Salomé, on a abouti à supprimer la danse des voiles et le baiser visuel : il ne s’agit plus d’un érotisme visuel du corps, mais d’une mise à nu plus intérieure. Pénétrant les arcanes du mystère d’Éros et Thanatos, du conflit entre l’esprit et la chair, et de la question moderne de l’identité, le mythe de Salomé commence à apparaître comme un nouveau mythe de l’humanité, dans toute son intertextualité. Bibliographie Banville Théodore de, Œuvres poétiques complètes, Les Éxilés, Améthistes, Les Princesses, Paris, Honoré Champion, édition critique, tome IV, , p. . Bram Dijkstra, Idols of Perversity — Fantasies of Feminine Evil in fin-de-siecle Culture, New York, Oxford University Press, , p. Catalogue de l’Exposition « Salomé dans les collections françaises », Musées de Saint-Denis, Alibi, Auxerre, Tourcoing, juin -février . Daffner Hugo, Salomé, ihre Gestalt in Geschichte und Kunst-Dichtung, bildende Kunst, Musik, Munich, H. Schmidt, , p. 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Salomé, Éditions Autrement, collection « Figures mythiques », (contributions de : Dottin-Orsini Mireille, Wald-Lasowski Patrice et Roman, Dubar Monique, Cadars Pierre, Tubeuf André, Pawyza Fanny, bibliographie des œuvres traitant de Salomé et des études sur le thème de Salomé, nombreuses illustrations). —–. Catalogue de l’exposition « S comme Salomé » (La figure de Salomé dans la littérature, la peinture et les arts graphiques), Presses universitaires du Mirail, , réédité en , p. —–. « Le développement du mythe de Salomé », in Catalogue de l’Exposition « Salomé dans les collection françaises », Musées de Saint-Denis, Tourcoing, Albi, Auxerre, juin -mars , p. -. Dictionnaire des Symboles, mythes, rêves, coutumes, gestes, formes, figures, couleurs, nombres, sous la direction de Chevalier Jean, Paris, Robert Laffont, , p. - ; . Ellmann Richard, Oscar Wilde, Alfred A. Knopf, , p. -. 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Salomé de Strauss Richard, mise en scène par Dodin Lev, à l’Opéra Bastille de Paris en . Direction par Conlon James avec Mattila Karita (Salomé), Dohmen Albert (Jochanaan), Silja Anja (Hérodias), Borovsky David pour les décors et costumes. Toudouze, Gustave, Le coffret de Salomé : nouvelle vénitienne, Dentu, Éditeur, . Weyergans François, Salomé, roman, Clamecy, Éditions Léo Scheer, , p. Wilde Oscar, The Complete Letters of Oscar Wilde, edited by Holland Merlin and Hart-Davis Rupert, New York, Henry Holt and Company, , p. . —–. Salomé, édition bilingue, présentation de Pascal Aquien, illustrations de Beardsley Aubrey, Paris, Flammarion, , p. ; -. —–. Salomé, premier manuscrit autographe de ; première édition française de ; première édition anglaise de , Introduction de Messerli Sylviane, Fondation Martin Bodmer, PUF, Paris, , p. -. Zagona Helen Grace, The Legend of Salome and the Principle of Art for Art’s Sake, Paris, Librairie Minard, , p. . 184